HISTOIRE DE LA GRÈCE

QUINZIÈME VOLUME

CHAPITRE II — DEPUIS LA FONDATION DE MESSÊNÊ ET DE MEGALOPOLIS JUSQU’À LA MORT DE PÉLOPIDAS (suite).

 

 

Très différent toutefois fut le sentiment dans Sikyôn. Le corps d’Euphrôn y fut transporté, et il jouit du privilège remarquable d’être enterré dans la place du marché[1]. Non seulement on lui construisit un tombeau, mais encore une chapelle dans laquelle il fut adoré comme Archegêtês, ou héros-patron et second fondateur de la cité. Il reçut les mêmes honneurs qu’on avait rendus à Brasidas dans Amphipolis. Les citoyens plus humbles et les esclaves, auxquels il avait accordé la liberté et les droits politiques, — ou du moins le nom de droits politiques, — se souvenaient de lui avec une admiration respectueuse comme de leur bienfaiteur, oubliant ou excusant les atrocités dont il avait frappé leurs adversaires politiques. Telle est la Némésis vengeresse qui menace toujours et, quelquefois, atteint une oligarchie qui tient la masse des citoyens exclue des privilèges politiques. Une situation est ainsi créée, permettant à quelque citoyen ambitieux et énergique d’accorder des faveurs à cette masse et de gagner de la popularité, et ainsi d’acquérir le pouvoir qui, employé ou non à l’avantage de la majorité, est d’accord avec ses antipathies quand il humilie ou,’crase la minorité qui jadis monopolisait la puissance.

Nous pouvons présumer d’après ces détails que le gouvernement de Sikyôn devint démocratique. Mais l’irritante brièveté de Xénophon ne nous apprend ni les arrangements subséquents faits avec l’harmoste thêbain dans l’Acropolis, ni comment furent réglées les dissensions intestines entre la démocratie de la ville et les réfugiés dans la citadelle, ni ce que l’on fit des citoyens qui tuèrent Euphrôn. Nous apprenons seulement que, peu de temps après, le port de Sikyôn, qu’Euphrôn avait occupé conjointement avec les Lacédæmoniens et les Athéniens, resta défendu imparfaitement à cause du rappel de ces derniers à Athènes ; et qu’en conséquence il fut repris par les forces de la ville, aidées des Arkadiens[2].

Il parait que les actes d’Euphrôn — depuis qu’il proclama pour la première fois la démocratie à Sikyôn, et acquit réellement le despotisme pour lui-même jusqu’à sa mort et à la reprise du port — s’accomplirent pendant toute l’année 367 et la première moitié de 366 avant J.-C. Probablement aucun ennemi de ce genre ne se serait élevé pour susciter des embarras à Thèbes, si la politique recommandée par Épaminondas en Achaïa n’eût été annulée, et s’il n’eût lui-même encouru le mécontentement de ses compatriotes. Il est probable aussi que son influence fut affaiblie, et la politique de Thèbes affectée en mal, par l’absence accidentelle de son ami Pélopidas, qui accomplissait alors sa mission auprès de la cour de Perse à Suse. Ce voyage et le retour, avec la négociation de l’affaire dont il était chargé, ont dû occuper la plus grande partie de l’année 367 avant J.-C. ; et se terminèrent probablement par le retour des ambassadeurs au commencement de 366 avant J.-C.

Les principaux Thêbains avaient été alarmés du langage de Philiskos, — qui était venu quelques mais auparavant comme ambassadeur de la part du satrape Ariobarzanês et avait menacé d’employer l’argent asiatique dans l’intérêt d’Athènes et de Sparte contre Thêbes, bien que ses menaces semblent m’avoir Jamais été réalisées : ils n’avaient pas été moins inquiétés par la présence du Lacédæmonien Euthyklês (après l’échec d’Antalkidas)[3], à la cour de Perse, dont il demandait le secours. De plus, Thêbes avait actuellement des prétentions à l’hégémonie de la Grèce, au moins aussi bonnes que celles de l’une ou de l’autre de ses rivales ; tandis que, depuis le fatal exemple donné par,Sparte à la paix appelée du nom d’Antalkidas, en 387 avant J.-C., et imité par Athènes après la bataille de Leuktra, en 371 avant J.-C., — c’était devenu une sorte de mode reconnue que l’État grec dominant obtint son titre du rescrit terrifiant du Grand Roi et se donnât comme imposant les conditions que ce prince avait dictées. C’est sur ce terrain : d’élévation empruntée que Thèbes cherchait actuellement à se placer. Il y avait dans son cas une raison particulière qui pouvait excuser eu partie l’importance que ses chefs y attachaient. L’établissement des deux nouvelles cités, Messênê et Megalopolis, avait été presque l’acte capital de sa politique. La vitalité et les chances de durée pour ces deux cités, — surtout pour cette dernière, qui avait a lutter contre l’inextinguible hostilité de Sparte, — seraient considérablement augmentées dans l’état actuel de l’esprit grec, si elles étaient reconnues autonomes en vertu d’un rescrit persan. Pour atteindre ce but[4], Pélopidas et Ismenias se dirigeaient en ce moment vers Suse comme ambassadeurs, sans doute en vertu d’un vote formel de l’assemblée des alliés, puisque l’Arkadien Antiochos, célèbre pancratiaste, l’Eleien Archidamos et un citoyen d’Argos les accompagnaient. Instruits de cette démarche, les Athéniens envoyèrent également à Suse Timagoras et Leôn ; et nous lisons avec quelque surprise que ces ambassadeurs de puissances hostiles s’y rendirent tous dans la même compagnie[5].

Pélopidas, bien qu’il refusât d’accomplir la cérémonie habituelle du prosternement[6], fut reçu favorablement, par la cour de Perse. Xénophon, qui raconte toute l’affaire d’une manière injustement odieuse à l’égard des Thêbains, oubliant qu’ils ne faisaient alors qu’imiter l’exemple de Sparte en sollicitant l’aide persane, — Xénophon, dis-je, affirme que sa demande fut grandement servie par le souvenir de l’ancienne alliance de Thêbes avec Xerxês, contre Athènes et Sparte, à l’époque de la bataille de Platée, et par le fait que Thèbes avait non seulement refusé de seconder l’expédition d’Agésilas contre l’Asie, mais qu’elle l’avait réellement désapprouvée. Il y a peut-être lieu de douter que cet argument ait compté pour beaucoup ; on peut en dire autant de l’éloquence pleine de franchise (le Pélopidas, si vantée par Plutarque[7], éloquence qui ne pouvait arriver aux oreilles persanes que par le canal d’un interprète. Mais le fait capital pour le Grand Roi à connaître, c’était que les Thêbains avaient été victorieux à Leuktra ; qu’ils avaient subséquemment foulé encore plus aux pieds la gloire de Sparte, en promenant leurs armes en Laconie et en affranchissant la moitié du pays qu’ils avaient conquise ; que, quand ils n’étaient plus dans le Péloponnèse, leurs alliés lés Arkadiens et les Argiens avaient été honteusement défaits par les Lacédæmoniens (â la Bataille sans larmes), Ces exploits dont se glorifiait Pélopidas, — confirmés comme étant des faits réels même par l’Athénien Timagoras, — convainquirent les ministres persans qu’il était de leur intérêt d’exercer l’ascendant sur la Grèce au moyen de Thèbes, de préférence à Sparte. Aussi, quand le Grand Roi demanda à Pélopidas quelle sorte de rescrit il désirait, ce dernier obtint ce qu’il -voulut. Messênê fut déclarée autonome- et indépendante de Sparte ; il fut dit également qu’Amphipolis serait une cité libre et autonome ; les Athéniens reçurent l’ordre de faire rentrer et de désarmer leurs -vaisseaux de guerre actuellement en service actif, soles peine d’une intervention persane contre eux, en cas de désobéissance. De plus, Thèbes fut déclarée la première cité de la Grèce, et toute cité qui refuserait de reconnaître son hégémonie était menacée d’y être contrainte immédiatement par les forces persanes[8]. Quant aux points de dispute entre Elis et l’Arkadia — la première réclamant la souveraineté sur la Triphylia, qui se déclarait arkadienne et avait été admise dans la communauté arkadienne —, le rescrit prononça en faveur des Éleiens[9], probablement à la demande de Pélopidas, vu qu’il existait à ce moment beaucoup de froideur entre les Thêbains et les Arkadiens.

Leôn l’Athénien protesta contre le rescrit persan en faisant observer à haute voix quand il l’entendit lire : Par Zeus, Athéniens, je crois qu’il est temps pour vous de chercher quelque autre ami que le Grand Roi. Cette remarque, que le roi put entendre et qui lui fut traduite, amena l’addition suivante au rescrit : Si les Athéniens ont quelque chose de plus juste à proposer, qu’ils viennent en informer le roi. Cependant une modification si vague ne contribua guère à apaiser les murmures des Athéniens. Au retour de leurs deux ambassadeurs à Athènes, Leôn accusa son collègue Timagoras d’avoir non seulement refusé de s’associer avec lui pendant le voyage, mais encore de s’être prêté aux desseins de Pélopidas, de s’être engagé par des promesses entachées de haute trahison, et n’avoir reçu du roi de Perse des présents considérables. Sur ces accusations, Timagoras fut condamné et exécuté[10]. L’ambassadeur arkadien Antiochos fut également indigné du rescrit ; il refusa même de recevoir les présents de courtoisie formelle qu’on offrit à tous, et qu’accepta Pélopidas lui-même, tout en refusant toutefois rigoureusement toute autre chose au delà. La conduite de ce Thêbain éminent présenta ainsi un contraste prononcé avec les acquisitions de l’Athénien Timagoras[11]. Antiochos, à son retour en Arkadia, rendit compte de sa mission à l’assemblée panarkadienne, appelée les Dix Mille, à Megalopolis. Il parla, de la manière la plus méprisante, de ce qu’il avait vu à la cour de Perse. Il y avait (disait-il) une quantité de boulangers, de cuisiniers, d’échansons, de porteurs, etc. : mais, pour des hommes capables de combattre contre des Grecs, il n’en put voir un seul, bien qu’il les cherchât avec beaucoup de soin ; et même le platane d’or si vanté n’était pas assez large pour donner de l’ombre à une cigale[12].

D’autre part, l’ambassadeur éleien revint avec des sentiments de satisfaction, et les Thêbains avec triomphe (306 av. J.-C.). Des députés de chacune de leurs cités alliées furent invités à venir à Thèbes, pour entendre la lecture du rescrit persan. Il fut produit par un Persan indigène, leur compagnon officiel depuis Suse, — le premier Persan probablement qui eût été jamais vu dans Thèbes depuis les temps qui précédèrent immédiatement la bataille de Platée ; — après avoir montré publiquement le sceau royal, il lut le document à haute voix, comme l’avait fait le satrape Tiribazos à l’occasion de la paix d’Antalkidas[13].

Mais, bien que les chefs thêbains imitassent ainsi exactement la conduite de Sparte, tant dans les moyens que dans la fin, ils ne trouvèrent nullement le même acquiescement empressé, quand ils invitèrent les députés présents à prêter serment au rescrit, au Grand Roi et à Thêbes. Tous répondirent qu’ils étaient venus avec des instructions qui les autorisaient à écouter et à rapporter, mais à rien de plus, et que l’acceptation ou le rejet devait être décidé dans leurs cités respectives. Et ce ne fut pas le pis. Lykomêdês et les autres députés d’Arkadia, jaloux déjà de Thèbes et sans doute encore plus indisposés par le rapport plein de colère que leur fit leur ambassadeur Antiochos, allèrent encore plus loin et firent insérer dans le procès-verbal une protestation générale contre l’hégémonie de Thèbes, affirmant que l’assemblée ne devait pas être tenue constamment dans cette cité, mais sur le théâtre de la guerre, partout où ce pourrait être. Irrités d’un tel langage, les Thêbains accusèrent Lykomêdês de violer le principe fondamental de la confédération ; alors lui et ses collègues arkadiens se retirèrent sur-le-champ, et rentrèrent dans leurs foyers, en déclarant qu’ils ne voulaient plus siéger dans l’assemblée. Les autres députés paraissent avoir suivi son exemple. Dans : le fait, comme ils avaient refusé de prononcer le serment qui leur était soumis, le but spécial de l’assemblée : était manqué.

Après n’avoir pu réussir à en venir à leurs fins avec les alliés collectivement, les Thêbains résolurent d’essayer l’efficacité de demandes individuelles. En conséquence, ils dépêchèrent des ambassadeurs, portant le rescrit persan, pour visiter les cités successivement et inviter chacune d’elles à accepter et à prononcer un serment d’adhésion. Chaque cité séparément (pensaient-ils) craindrait de refuser, dans le danger d’une hostilité combinée du Grand Roi et de Thèbes. Ils avaient tantale confiance dans les terreurs que causaient le nom et le sceau du roi, qu’ils adressèrent cet appel non seulement aux cités en alliance avec eux, mais même à plusieurs de leurs ennemis. Leurs ambassadeurs exposèrent d’abord la proposition à Corinthe, cité non seulement en opposition avec eux, mais même servant de centre d’opération pour les forces athéniennes et lacédæmoniennes destinées à garder la ligne de l’Oneion et à empêcher l’entrée d’une armée thêbaine dans le Péloponnèse. Mais les Corinthiens rejetèrent entièrement la proposition et refusèrent formellement de se lier par des serments communs à l’égard du roi de Perse. Les ambassadeurs éprouvèrent le même refus quand ils passèrent dans le Péloponnèse, sinon de toutes les cités visitées, du moins d’une proportion si considérable que la mission échoua complètement. Et ainsi le rescrit que Thèbes avait eu tant de peine à se procurer se trouva en pratique impuissant à confirmer ou à imposer son hégémonie[14], bien que sans doute le seul fait qu’il comprenait et reconnaissait Messênê contribuât à fortifier la vitalité et à rehausser la dignité de cette cité nouvellement née.

Dans leurs efforts pour faire servir le rescrit persan à la reconnaissance de leur hégémonie d’une extrémité à l’autre de la Grèce, les Thêbains durent naturellement visiter la Thessalia et les districts septentrionaux, aussi bien que le Péloponnèse (366 av. J.-C.). Il parait que Pélopidas et Ismenias se chargèrent eux-mêmes de cette mission, et qu’en l’exécutant ils furent arrêtés et détenus prisonniers par Alexandre de Pheræ. Ce despote semble être venu à Pharsalos, sous des apparences pacifiques, pour s’y rencontrer avec eux. Ils nourrissaient l’espoir de le déterminer aussi bien que les autres Thessaliens a accepter le rescrit persan, car nous voyons par l’exemple de Corinthe qu’ils avaient essayé leurs moyens de persuasion sur des ennemis aussi bien que sur des amis. Mais les Corinthiens, tout en repoussant la demande, avaient néanmoins respecté la morale publique, regardée comme sacrée même entre ennemis en Grèce, et avaient congédié les ambassadeurs (Pélopidas était-il du nombre ? nous ne pouvons l’affirmer), sans offenser leurs personnes. Le tyran de Pheræ ne fit pas de même. Remarquant que Pélopidas et Ismenias n’étaient pas accompagnés de forces militaires, il s’empara d’eux et les emmena à Pheræ comme prisonniers.

Tout perfide que fût ce procédé, il fut extrêmement profitable à Alexandre (366 av. J.-C.). L’importance personnelle de Pélopidas était telle, que son emprisonnement frappa de terreur les partisans de Thèbes en Thessalia et engagea plusieurs d’entre eux à se soumettre au despote de Pheræ, qui envoya de plus informer les Athéniens de sa capture et solliciter leur aide contre la vengeance imminente de Thèbes. Fortement frappés de cette nouvelle, les Athéniens considérèrent Alexandre comme un second Jasôn, propre à arrêter l’ascendant menaçant de leur voisine et rivale[15]. Ils envoyèrent immédiatement à son secours trente trirèmes et mille hoplites sous Autoklês, qui, ne pouvant franchir l’Euripos, quand la Bœôtia et l’Eubœa étaient toutes deux hostiles à Athènes, fut forcé de faire le tour de cette dernière île. Il arriva à Pheræ juste à temps, car les Thêbains, irrités à l’excès de l’arrestation de Pélopidas, avaient dépêché sans retard huit mille hoplites et six cents cavaliers pour le délivrer ou le venger. Malheureusement pour eux, Épaminondas n’avait pas été renommé commandant depuis ses opérations de la dernière année en Achaïa. Il servait en ce moment comme hoplite dans les rangs, tandis que Kleomenês avec d’autres bœôtarques avait le commandement. En entrant en Thessalia, ils furent rejoints par divers alliés du pays. Mais l’armée d’Alexandre, aidée par les Athéniens et placée sous les ordres d’Autoklês, se trouva très formidable, surtout en cavalerie. Les Thessaliens alliés de Thèbes, agissant avec leur perfidie habituelle, désertèrent à l’heure du danger ; et l’entreprise, difficile et périlleuse ainsi, fut rendue impraticable par l’incapacité des bœôtarques. Ne pouvant tenir tête à Alexandre et aux Athéniens, ils furent forcés de se retirer vers leur pays. Mais leur commandement était si inhabile et la cavalerie de l’ennemi si active, que toute l’armée fut dans un danger imminent d’être affamée ou détruite. Rien ne les sauva à ce moment que la présence d’Épaminondas, simple soldat dans les rangs. Remplie d’indignation aussi bien que de terreur, toute l’armée se réunit pour déposer ses généraux, et à l’unanimité le pria de la tirer de ses périls. Épaminondas accepta le devoir, — disposa la retraite dans un ordre parfait, — se chargea du commandement de l’arrière-garde, repoussant toutes les attaques de l’ennemi, et ramena à Thêbes l’armée saine et sauve[16].

Cet exploit mémorable, en déshonorant les malheureux bœôtarques, qui furent condamnés à une amende et déposés de leur charge, éleva plus haut que jamais la réputation d’Épaminondas parmi ses compatriotes. Mais l’insuccès de l’expédition fut pour un temps un coup fatal à l’influence de Thêbes en Thessalia, où Alexandre victorieux exerça alors un empire irrésistible, tenant encore Pélopidas dans son cachot. La cruauté et l’oppression, habituelles en tout temps au despote de Pheræ, furent poussées à un excès dont auparavant on n’avait pas eu d’exemple. Outre d’autres actes de brutalité dont nous lisons le récit avec horreur, il entoura, dit-on, de forces militaires les citoyens non armés de Melibœa et de Skotussa, et les massacra tous en masse. Dans de pareilles mains, la vie de Pélopidas tenait à un fil ; cependant lui-même ; avec ce courage personnel qui ne l’abandonna jamais, tint contre le tyran un langage de défi et de provocation indomptables. Un grand nombre de Thessaliens, et même Thêbê, épouse d’Alexandre, manifestèrent une grande sympathie à l’égard d’un prisonnier aussi illustre, et Alexandre, craignant d’encourir l’inimitié implacable de Thèbes, fut amené à épargner sa vie, tout en le retenant captif. Aussi son emprisonnement parait-il avoir duré quelque temps, avant que les Thêbains, découragés par leur dernier échec, fussent prêts à entreprendre une seconde expédition pour le délivrer.

Enfin ils envoyèrent dans ce dessein une armée, qui fut placée, en cette occasion, sous le commandement d’Épaminondas. La gloire de son nom rallia de nombreux adhérents dans le pays, et sa prudence, non moins que son habileté militaire, se déploya d’une manière remarquable, en défaisant et en intimidant Alexandre, sans toutefois le réduire à un désespoir qui aurait pu devenir fatal au prisonnier. A la fin le despote fut forcé d’envoyer une ambassade pour s’excuser de sa récente violence, offrir de rendre Pélopidas, et solliciter d’être admis à une paix et à une alliance avec Thèbes. Niais Épaminondas ne voulut rien accorder de plus qu’une trêve temporaire[17], avec l’engagement d’évacuer la Thessalia, tandis qu’il demanda en échange l’élargissement de Pélopidas et d’Ismenias. Ses conditions furent acceptées, de sorte qu’il eut le bonheur de ramener en sûreté à Thèbes son ami délivré. Toutefois, bien que ce premier but fût rempli, il est évident qu’il ne rendit pas à Thèbes la même influence en Thessalia dont elle avait joui avant l’arrestation de Pélopidas[18]. Cet événement avec ses conséquences continua d’être un désastre pour Thèbes et un avantage pour Alexandre, qui redevint maître de toute la. Thessalia ou de la plus grande partie de ce pays, ainsi que des Magnêtes, des Achæens Phthiotes et d’autres nations tributaires dépendantes de la Thessalia, — tout en conservant entières son influence a Athènes et ses relations avec cet État[19].

Tandis que les armes thêbaines perdaient ainsi-4a terrain en Thessalia, un point important était gagné en leur faveur de l’autre côté de la Bœôtia (366 av. J.-C.). Orôpos, sur la frontière nord-est de l’Attique attenante à la Bœôtia, fut prise et enlevée à Athènes par un parti d’exilés qui vinrent d’Eretria en Eubœa, avec l’aide de Themisôn, despote de la cité mentionnée en dernier lieu. Elle avait été plus d’une fois perdue et reprise entre Athènes et Thèbes ; elle était vraisemblablement d’origine bœôtienne, et n’avait jamais été incorporée comme dème, ou membre constitutif égal de la république athénienne, mais elle était reconnue ; seulement comme dépendance d’Athènes, bien que, comme elle était tout près de la frontière, beaucoup de ses citoyens fussent également citoyens d’Athènes, dêmotes du dème voisin Græa[20]. A une époque aussi rapprochée que celle qui précéda immédiatement la bataille de Leuktra, Athènes et Thèbes avaient échangé des remontrances pleines de colère relativement à une portion du territoire oropien. A. cette époque, à ce qu’il paraît, les Thêbains furent forcés de céder, et leurs partisans dans Orôpos furent bannis[21]. Ce furent ces partisans qui, grâce à l’aide de Themisôn et des Erétriens, effectuèrent actuellement leur retour, de telle sorte qu’ils reprirent possession d’Orôpos, et sans doute bannirent les principaux citoyens amis d’Athènes[22]. La sensation produite chez les Athéniens fut si grande que non seulement ils marchèrent avec toutes leurs forces pour recouvrer la place, mais encore qu’ils rappelèrent leur général Charês avec les troupes mercenaires qu’il commandait dans les territoires de Corinthe et de Phlionte. En outre, ils demandèrent le secours des Corinthiens et de leurs autres alliés du Péloponnèse. Ces alliés ne répondirent pas à l’appel ; mais l’armée athénienne seule aurait suffi pour reprendre Orôpos, si les Thêbains ne l’eussent occupée de manière à la mettre à l’abri de leur attaque. Athènes fut obligée de consentir à ce qu’ils l’occupassent, bien qu’en protestant, et à la condition tacite que le droit disputé serait remis à un arbitrage impartial[23].

La prise d’Orôpos amena plus d’une conséquence importante (366 av. J.- C.). A cause du rappel de Charês de Corinthe, le port de Sikyôn ne put plus être défendu contre les Sikyoniens de la ville qui, avec l’aide des Arkadiens, le reprirent ; de sorte que et la ville et le port rentrèrent dans la ligue des Thêbains et des Arkadiens. De plus, Athènes éprouva du mécontentement contre ses alliés, péloponnésiens pour n’avoir pas répondu à son appel lors de là, circonstance d’Orôpos, bien que des troupes athéniennes -eussent été constamment de service pour protéger le Péloponnèse contre les Thêbains. Le Mantineien Lykomêdês vint à savoir qu’Athènes était dans ces dispositions ; c’était le clef le plus capable et le plus ambitieux d’Arkadia, qui non seulement était jaloux de la supériorité des Thêbains, mais qui en était venu à une rupture formelle avec eux à l’assemblée tenue pour la réception du rescrit persan[24]. Désireux de séparer les Arkadiens de Thêbes aussi bien que de Sparte, Lykomêdês profita à ce moment du mécontentement d’Athènes pour ouvrir des négociations avec cette cité, et il persuada la majorité des Dix Mille Arkadiens de l’y envoyer en qualité d’ambassadeur. Il fut difficile de faire accueillir sa, proposition par les Athéniens, à cause de l’alliance qui existait entre eux et Sparte. Mais on leur rappela que détacher Ies Arkadiens de Thèbes n’était pas moins dans l’intérêt de Sparte que dans celui d’Athènes, et une réponse favorable fut alors donnée à Lykomêdês. Celui-ci s’embarqua à Peiræeus pour revenir ; mais jamais il ne parvint en Arkadia, car il se trouva qu’il débarqua à l’endroit où étaient réunis les exilés arkadiens du parti opposé, qui le mirent à mort sur-le-champ[25]. Toutefois, malgré sa mont, l’alliance entre l’Arkadia et Athènes finit par se conclure, bien que non pas sans opposition.

Thèbes fut pendant cette année engagée dans sa malheureuse campagne en Thessalia (à laquelle il a déjà été fait allusion) pour délivrer Pélopidas, campagne qui la mit hors d’état de faire des efforts efficaces dans le Péloponnèse. Mais aussitôt que cette délivrance eut été accomplie, Épaminondas, son plus grand homme et son seul orateur remarquable, fut envoyé en Arkadia pour opposer, conjointement avec un ambassadeur d’Argos, un obstacle diplomatique à l’alliance athénienne proposée (366 av. J.-C.). Il eut à parler contre Kallistratos, l’orateur le plus distingué d’Athènes, qui avait été envoyé par ses compatriotes pour plaider leur cause au milieu des Dix Mille Arkadiens, pet qui, entre autres arguments, dénonça les énormités qui assombrissaient les légendes héroïques et de Thêbes et d’Argos. Orestês et Alkmæôn, tous deux meurtriers de leurs mères (demanda Kallistratos), n’étaient-ils pas natifs d’Argos ? Œdipe, qui tua son père et épousa sa mère, n’était-il pas natif de Thèbes ?Oui (dit Épaminondas dans sa réponse), ils l’étaient. Mais Kallistratos a oublié de vous dire que ces personnages, tant qu’ils vécurent dans leurs foyers, furent innocents ou réputés tels. Aussitôt que leurs crimes furent connus, Argos et Thèbes les bannirent ; et c’est alors qu’Athènes les reçut, souillés d’un crime avoué[26]. Cette réplique adroite fit beaucoup d’honneur au talent oratoire d’Épaminondas, mais son discours en général ne fut pas heureux. Les Arkadiens conclurent une alliance avec Athènes, sans toutefois renoncer formellement à l’amitié de Thêbes.

Aussitôt que cette nouvelle alliance eut été ratifiée, il devint important pour Athènes de se procurer une entrée libre et assurée dans le Péloponnèse ; tandis qu’en même temps la lenteur montrée récemment par Corinthe, par rapport à l’appel fait pour Orôpos, lui inspirait des doutes sur sa fidélité. En conséquence il fut résolu dans l’assemblée athénienne, sur la motion d’un citoyen nommé Demotiôn, qu’on s’emparerait de Corinthe et qu’on l’occuperait, vu qu’il y avait déjà quelques garnisons athéniennes éparses sur divers points du territoire corinthien, prêtes à être concentrées et utilisées pour un pareil dessein. Ou prépara une flotte et une armée de terre sous les ordres de Charès et on les envoya. Mais en arrivant au port corinthien de Kenchreæ, Charès ne put même obtenir d’être admis. La proposition de Demotiôn et la résolution des Athéniens étaient parvenues à la connaissance des Corinthiens, qui se mirent aussitôt sur leurs gardes, envoyèrent des soldais à eux pour relever les divers postes avancés athéniens sur leur territoire, et invitèrent ces derniers à exposer les griefs dont ils pouvaient avoir à se plaindre, vu qu’on n’avait pas besoin de leurs services. Charès prétendit avoir entendu dire que Corinthe était en danger. Mais lui et les autres Athéniens furent congédiés, bien qu’avec toute sorte d’expressions de remerciements et de politesse[27].

C’est ainsi que fut déjoué le projet perfide d’Athènes, et que les Corinthiens furent en sûreté pour le moment. Cependant leur position était précaire et triste ; car leurs ennemies, Thèbes et Argos, étaient déjà maîtresses d’eux par terre, et Athènes, d’alliée qu’elle était, s’était actuellement changée en ennemie (366 av. J.-C.). Aussi résolurent-ils de réunir des forces mercenaires suffisantes qu’ils payeraient eux-mêmes[28] ; mais tout en pourvoyant à la sécurité militaire, ils envoyèrent à Thèbes des ambassadeurs chargés d’ouvrir des négociations pour une paix. Les Thêbains leur accordèrent la permission d’aller consulter leurs alliés et de traiter pour la paix conjointement avec tous ceux qui pourraient être amenés à .partager leurs vues. Conséquemment les Corinthiens allèrent à Sparte et exposèrent leur affaire devant l’assemblée complète des alliés, convoqués pour cette occasion. Nous sommes sur le bord de la ruine (dit le député corinthien), et nous devons faire la paix. Nous nous réjouirons de la faire conjointement avec vous, si vous voulez y consentir ; mais si vous jugez convenable de continuer la guerre, ne vous formalisez pas si nous faisons la paix sans vous. Les Épidauriens et les Phliasiens, réduits à la même détresse, tinrent le même langage, exprimant leur lassitude et leur désir de la paix[29].

Il avait été arrêté à Thèbes qu’on n’accueillerait aucune proposition de paix qui ne contiendrait pas une reconnaissance formelle de l’indépendance de Messênê. Les Corinthiens et les autres alliés de Sparte n’eurent aucune difficulté à s’accorder sur ce point. Mais ils s’efforcèrent en vain de déterminer Sparte elle-même à se soumettre à la même concession. Les Spartiates refusèrent résolument d’abandonner un territoire légué par leurs ancêtres victorieux, et occupé en vertu d’une si longue prescription. Ils repoussèrent avec plus d’indignation encore l’idée de reconnaître comme Grecs libres et voisins égaux ceux qui avaient été si longtemps leurs esclaves. Ils déclarèrent qu’ils étaient déterminés à continuer la guerre, même seuls et malgré tous ses dangers, afin de regagner ce qu’ils avaient perdu[30] ; et bien qu’ils ne pussent empêcher directement les Corinthiens et les autres alliés, pour lesquels la lassitude de la guerre était devenue intolérable, de négocier une paix séparée pour eux-mêmes, — cependant ils ne donnèrent- leur consentement qu’à contrecœur- Archidamos, fils d’Agésilas, reprocha même aux, alliés de montrer, un égoïsme timide, en partie en abandonnant leur bienfaitrice Sparte à l’heure où elle avait besoin d’appui, en partie en lui recommandant de se soumettre à un sacrifice ruineux pour son honneur[31]. Le prince spartiate : conjura ses compatriotes, au nom de toute leur ancienne dignité, de repousser avec mépris les ordres de Thèbes ; de ne reculer ni devant les efforts ni devant le danger pour reconquérir Messênê, dussent-ils même combattre seuls contre toute la Grèce ; de convertir leur population militaire en un camp permanent, et d’envoyer leurs femmes et leurs enfants trouver un asile dans des cités étrangères amies.

Bien que les Spartiates ne fussent pas disposés- à adopter les suggestions désespérées d’Archidamos, cependant cet important congrès aboutit à une scission entre eux et leurs alliés (366 av. J.-C.). Les Corinthiens, les Phliasiens, les Épidauriens et autres, allèrent à Thèbes et conclurent la paix, en reconnaissant l’indépendance de Messênê et en affirmant l’indépendance de chaque cité- séparée dans son propre territoire, sans alliance obligatoire ni hégémonie de la part d’aucune cité. Cependant ; quand les Thêbains les engagèrent à contracter une alliance, ils refusèrent, en disant que cela ne ferait que les embarquer dans une guerre de l’autre côté, tandis que l’objet seul de leurs voeux, c’était la paix. En conséquence on jura la paix, aux conditions indiquées dans le rescrit persan, en ce qui regardait l’autonomie générale de chaque cité séparée, et spécialement celle de Messênê, mais n’enfermant aucune sanction, directe ou indirecte, de l’hégémonie thêbaine[32].

Ce traité éloigna de la guerre et plaça dans une position de neutralité un nombre considérable d’États grecs, — surtout ceux qui étaient voisins de l’isthme, — Corinthe, Phlionte, Epidauros, probablement Trœzen et Hermionê, puisque nous ne les trouvons pas mentionnées de nouveau au nombre des parties belligérantes (366 av. J.-C.). Mais il laissa encore en état de guerre les Etats plus puissants, Thèbes et Argos, — Sparte et Athènes[33], aussi bien que l’Arkadia, l’Achaïa et Elis. Toutefois les relations entre ces États furent alors quelque peu compliquées ; car Thèbes était en guerre avec Sparte, et en alliance, bien que l’alliance ne fût pas entièrement sincère, avec les Arkadiens ; tandis qu’Athènes était en guerre avec Thèbes, et cependant alliée avec Sparte aussi bien qu’avec l’Arkadia. Les Argiens étaient alliés avec Thèbes et l’Arkadia, et en guerre avec Sparte ; les Eleiens étaient dans des termes hostiles, mais non en guerre réelle avec l’Arkadia, — tout en étant cependant (à ce qu’il paraîtrait) alliés avec Thêbes. En dernier lieu, les Arkadiens eux-mêmes étaient en train de perdre, les uns à l’égard des autres, leur coopération et leur harmonie intérieures, qui n’avaient commencé que tout récemment. Il se formait parmi eux deux partis, sous les anciens auspices rivaux de Mantineia et de Tegea. Tegea, occupée par un harmoste thêbain et par une garnison thêbaine, était fortement attachée à Megalopolis et à Messênê aussi bien qu’à Thèbes, constituant ainsi une frontière forte et unie contre Sparte.

Si les Spartiates se plaignaient de leurs alliés péloponnésiens, qui les pressaient de reconnaître Messênê comme État indépendant, ils ne furent pas moins indignés contre le roi de Perse, qui, bien que s’appelant encore leur allié, avait inséré la même reconnaissance dans le rescrit accordé à Pélopidas[34]. Les Athéniens aussi furent mécontents de ce rescrit. Ils avaient (comme il a déjà été dit) condamné à mort Timagoras, un de leurs ambassadeurs qui avaient accompagné Pélopidas, pour avoir reçu des présents. Ils profitèrent actuellement de l’ouverture que leur laissaient les mots mêmes du rescrit, pour envoyer une nouvelle ambassade à la cour de Perse, et pour solliciter des conditions plus favorables. Leurs nouveaux ambassadeurs, faisant connaître que Timagoras avait trahi son devoir et avait été puni pour cela, obtinrent du Grand Roi un nouveau rescrit, qui déclarait qu’Amphipolis était une possession athénienne et non une ville libre[35]. L’autre article aussi du premier rescrit, qui commandait à Athènes de faire rentrer tous ses vaisseaux armés, fut-il révoqué à ce moment, c’est ce que nous ne pouvons pas dire ; mais cela semble probable.

Au même moment où les Athéniens envoyèrent cette seconde ambassade, ils dépêchèrent aussi un armement sous Timotheos à la côte d’Asie Mineure, toutefois avec des instructions expresses de ne pas violer la paix avec le roi de Perse (366 av. J.-C.). Agésilas, roi de Sparte, vint sur le même théâtre, bien que sans forces publiques ; il profitait seulement de sa réputation militaire depuis longtemps établie pour servir les intérêts de son pays en qualité de négociateur. L’attention tant de Sparte que d’Athènes était tournée en ce moment, d’une manière directe et spéciale, vers Ariobarzanês, le satrape de Phrygia, qui (comme je l’ai déjà raconté) avait envoyé en Grèce, deux ans auparavant, Philiskos d’Abydos, en vue soit d’obtenir des Thêbains la paix pour Sparte à des conditions favorables, soit d’aider cette dernière contre eux[36]. Ariobarzanês était alors en train de préparer et, apparemment, avait consommé ouvertement, depuis sa révolte contre le roi de Perse, qu’Agésilas mettait toute son influence à fomenter. Cependant les Athéniens, désirant encore éviter une rupture avec la Perse, recommandèrent à Timotheos d’assister Ariobarzanês, — toutefois avec la clause conditionnelle qu’il ne violerait pas la trêve avec le Grand Roi. Ils accordèrent aussi et au satrape (ainsi qu’à ses trois fils) et à Philiskos, la faveur du droit de cité athénien[37]. Ce satrape semble avoir eu en ce moment une armée mercenaire considérable, et avoir été en possession des deux côtés de l’Hellespont, aussi bien que de Perinthos sur la Propontis, tandis que Philiskos, comme son principal officier, exerçait un ascendant étendu, déshonoré par beaucoup de brutalité et de tyrannie, sur les cités grecques de cette région.

Empêché par ses instructions d’aider ouvertement le rebelle Ariobarzanês, Timotheos tourna ses forces contre l’île de Samos, qui était occupée à ce moment par Kyprothemis, chef grec, avec des forces militaires au service de Tigranês, satrape perse résidant sur le continent opposé. Comment ou quand Tigranês l’avait-il acquise, c’est ce que. nous ignorons ; mais les Perses, une fois que la paix d’Antalkidas leur eut assuré la possession tranquille des Grecs asiatiques continentaux, tendirent naturellement à étendre leur domination sur les îles voisines. Après avoir poursuivi ses opérations militaires dans Samos, avec 8.000 peltastes et 30 trirèmes, pendant dix ou onze mois, Timotheos en devint maître. Son succès avait été d’autant plus agréable, qu’il avait trouvé moyen de payer et d’entretenir ses troupes pendant tout le temps aux dépens des ennemis, sans tirer sur le trésor athénien ni extorquer de contributions des alliés[38]. Athènes acquit ainsi une possession importante, tandis qu’un corps considérable de Samiens du parti contraire alla en exil, perdant ainsi ses propriétés. Comme Samos n’était pas au- nombre des possessions légitimes du roi de Perse, il fut entendu que cette conquête, n’impliquait pas de guerre entre lui et Athènes. Dans le fait, il parait que la révolte d’Ariobarzanês, et la fidélité incertaine de divers satrapes voisins, ébranlèrent pendant quelque temps l’autorité du roi et absorbèrent ses revenus dans ces régions. Autophradatês, satrape de Lydia, — et Mausôlos, prince indigène de Karia sous la suprématie persane, — attaquèrent Ariobarzanês, dans le dessein, réel ou prétendu, de réprimer sa révolte, et ils assiégèrent Assos et Adramyttion. Mais ils furent amenés, dit-on, à se désister pair l’influence personnelle d’Agésilas[39]. Comme ce dernier n’avait ni armée ni aucun moyen de séduction (si ce n’est peut-être quelque argent qu’il recevait d’Ariobarzanês), nous pouvons à bon droit présumer que les deus assiégeants n’étaient pas très ardents pour la cause. De plus, nous les verrons tous deux, peu d’années après, révoltés conjointement avec Ariobarzanês lui-même, contre le roi de Perse[40]. Agésilas obtint de tous trois des secours pécuniaires pour Sparte[41].

L’acquisition de Samos, tout en rehaussant la réputation de Timotheos, agrandit considérablement la domination maritime d’Athènes (365 av. J.-C.). Elle semble aussi avoir affaibli l’empire du Grand Roi sur l’Asie Mineure,  avoir disposé les habitants à la révolte, tant satrapes que cités grecques, — et avoir ainsi servi Ariobarzanês, qui récompensa et Agésilas et Timotheos. Agésilas put rapporter dans sa patrie une somme d’argent à ses compatriotes embarrassés ; mais Timotheos, refusant un secours pécuniaire, obtint pour Athènes la faveur plus importante d’une réadmission dans la Chersonèse de Thrace. Ariobarzanês lui céda Sestos et Krithôtê dans cette péninsule, possessions doublement précieuses en ce qu’elles rendaient les Athéniens maîtres en partie du passage de l’Hellespont, avec un vaste territoire circonvoisin à occuper[42].

Samos et la Chersonèse ne furent pas simplement de nouveaux États confédérés tributaires agrégés à l’assemblée athénienne. Elles furent, dans une vaste proportion, de nouveaux territoires acquis à Athènes qu’elle put occuper au moyen de citoyens athéniens en qualité de klêruchi, ou citoyens établis au dehors. Une grande partie de la Chersonèse avait été possédée par des citoyens athéniens, même du temps du premier Miltiadês, et plus tard jusqu’à la destruction de l’empire athénien en 405 avant J.-C. Bien que tous ces propriétaires eussent été chassés en Attique et expropriés, ils n’avaient jamais perdu l’espoir d’un retour favorable de fortune et d’une rentrée éventuelle[43]. Ce moment était actuellement arrivé. La renonciation formelle à toute propriété privée en dehors de l’Attique, qu’Athènes avait proclamée lors de la formation de la seconde confédération, en 318 avant J.-C., comme moyen de se faire des alliés maritimes, — fut oubliée, maintenant qu’elle ne craignait plus Sparte. Le même système de klêruchiæ, qui avait jeté tant de défaveur sur son premier empire, fut recommencé en partie. On envoya de nombreux klêruchi ou possesseurs de lots pour occuper des terres tant à Samos que dans la Chersonèse. Ces hommes étaient des citoyens athéniens, qui restaient encore citoyens d’Athènes même dans leur domicile étranger, et dont les propriétés faisaient partie de la liste imposable d’Athènes. Les détails de cette importante mesure nous sont inconnus. A Samos, les émigrants doivent avoir été des hommes nouveaux, car il n’y avait jamais eu auparavant de klêruchi dans cette île[44]. Mais dans la Chersonèse, les anciens propriétaires athéniens, qui avaient été expropriés quarante ans auparavant (ou leurs descendants), revinrent sans doute alors et essayèrent, avec plus ou moins de succès, de ravoir leurs anciennes terres, renforcés qu’ils furent par des troupes de nouveaux émigrants. Et Timotheos, après avoir une fois pris pied à Sestos et à Krithôtê, étendit bientôt ses acquisitions jusqu’à Elæonte et à d’autres endroits ; ce qui enhardit Athènes à réclamer publiquement toute la Chersonèse ou du moins la plus grande partie, comme son ancienne possession, — depuis sa frontière septentrionale extrême à une ligne tirée en travers de l’isthme, au nord de Kardia, jusqu’à Elæonte à son extrémité méridionale[45].

Cette transmission de terres dans Samos à des propriétaires athéniens, combinée avec la reprise de la Chersonèse, paraît avoir excité une vive sensation d’une extrémité à l’autre de la Grèce, comme étant une renaissance de tendances ambitieuses de la part d’Athènes et un abandon manifeste de ces professions désintéressés qu’elle avait faites en 378 avant J.-C. Même dans l’assemblée athénienne, un citoyen nommé Kydias protesta fortement contre l’émigration des klêruchi à Samos[46]. Cependant, quelque exposée à la critique que fût la mesure, comme elle avait été précédée d’un siège triomphant et de l’expulsion de maints propriétaires indigènes, elle ne semble pas avoir jeté Athènes, dans autant de difficultés réelles que la reprise de ses anciens droits dans la Chersonèse. Non seulement elle y entra en conflit avec des villes indépendantes, comme Kardia[47], qui résistèrent à ses prétentions, — et avec des propriétaires résidant que ses citoyens ne purent déposséder qu’avec son aide, — mais encore avec un nouvel ennemi, Kotys, roi de Thrace. Ce prince, qui réclamait la Chersonèse comme un territoire thrace, était lui-même sur le point de s’emparer de Sestos, quand Agésilas ou Ariobarzanês le chassa[48], pour faire place è. Timotheos et aux Athéniens.

Nous avons déjà mentionné que Kotys[49], — le nouvel ennemi thrace, mais antérieurement l’ami d’Athènes, qui l’avait adopté comme citoyen, — était beau-père du général athénien Iphikratês, qu’il avait mis à même d’établir et de peupler la ville et colonie appelée Drys, sur la côte de Thrace. Iphikratês avait été employé par les Athéniens pendant les trois ou quatre dernières années sur les côtes de la Macédoine et de la Chalkidikê, et en particulier contre Amphipolis ; mais il n’avait pas pris cette dernière ville .ni obtenu (autant que nous le savons) aucun autre succès, bien qu’il eût fait pendant trois ans la dépense d’un général mercenaire nommé Charidêmos avec un corps de troupes. Comment doit-on expliquer un résultat si peu profitable de la part d’un homme énergique comme Iphikratês ; — c’est ce que nous ne pouvons dire. Mais il le mettait naturellement, devant les yeux de ses compatriotes, dans un contraste désavantageux avec Timotheos, qui venait d’acquérir Samos et la Chersonèse. Une autre circonstance offrit un motif de plus pour se défier d’Iphikratês : c’est qu’Athènes était alors en guerre avec son beau-père Kotys. Aussi les Athéniens résolurent-ils alors de le rappeler et de nommer Timotheos[50] à un commandement étendu, comprenant la Thrace et la Macédoine, aussi bien que la Chersonèse. Il se peut que des inimitiés de parti, entre les deux chefs athéniens, avec leurs amis respectifs, aient contribué au changement. Comme Iphikratês avait été l’accusateur de Timotheos peu d’années auparavant, de même ce dernier peut avoir saisi cette occasion de se venger[51]. En tout cas, le général déposé se conduisit de manière à justifier la défiance de ses compatriotes, en prenant parti pour son beau-père Kotys dans la guerre et en combattant réellement contre Athènes[52]. Il avait en sa possession quelques otages d’Amphipolis, que lui avait livrés Harpalos, ce qui faisait espérer beaucoup qu’on pourrait arracher la reddition de la ville. Il avait remis ces otages à la garde du général mercenaire Charidêmos, bien que l’assemblée athénienne eût décidé par un vote qu’ils seraient envoyés à Athènes[53]. Aussitôt que la nomination d’Iphikratês fut annulée, Charidêmos rendit sur-le-champ les otages aux Amphipolitains eux-mêmes, privant ainsi Athènes d’un avantage considérable. Et ce ne fut pas tout. Bien que Charidêmos eût été trois ans avec sa troupe au service d’Athènes, sous Iphikratês, cependant quand le nouveau général Timotheos désira le réengager, il déclina la proposition et il emmena ses soldats dans des transports athéniens pour entrer a la solde d’un ennemi décidé d’Athènes, — de Kotys, et conjointement avec Iphikratês lui-même[54]. Plus tard il allait par mer en partant de Kardia prendre du service sous les autres ennemis d’Athènes, Olynthos et Amphipolis, quand il fut pris par la flotte athénienne. Dans ces circonstances, il fut déterminé de nouveau à servir Athènes.

Ce fut sur ces deux cités, et sur la côte générale de la Macédoine et de la Thrace chalkidique, que Timotheos dirigea d’abord son attention, ajournant pour le moment Kotys et la Chersonèse (365-364 av. J.-C.). Dans cette entreprise il trouva un moyen d’obtenir l’alliance de la Macédoine, qui avait été hostile à son prédécesseur Iphikratês. Ptolémée d’Alôros, régent de ce pays, qui avait assassiné le roi précédent, Alexandre, fils d’Amyntas, fut assassiné lui-même (365 av. J.-C.) par Perdikkas, frère d’Alexandre[55]. Perdikkas, pendant la première ou la seconde année de son règne, semble avoir été pour Athènes un ami et non un ennemi. Il prêta main-forte à Timotheos, qui tourna ses forces contre Olynthos et les autres villes, tant dans la Thrace chalkidique que sur la côte de Macédoine[56]. Il est probable que la confédération olynthienne avait acquis de nouveau de la force pendant les années de la récente humiliation spartiate ; de sorte que Perdikkas trouvait à ce moment son compte en aidant Athènes à la soumettre ou à l’affaiblir, précisément comme son père Amyntas avait invoqué Sparte dans le même dessein. Timotheos, avec l’aide de Perdikkas, fut très heureux de ces côtés ; il se rendit maître de Torônê, de Potidæa, de Pydna, de Methônê et de diverses autres places. Comme il soumit un grand nombre des villes chalkidiques alliées avec Olynthos, ce que cette cité conservait encore en ressources et en partisans diminua tellement, que l’on dit vaguement que Timotheos la conquit[57]. Ici, comme à Santos, il obtint ses succès non seulement sans dépenses pour Athènes, mais encore (nous dit-on) sans rigueurs exercées sur les alliés, simplement au moyen des contributions régulières payées par les confédérés thraces d’Athènes ; de plus, il put s’aider de l’emploi d’une monnaie temporaire d’un métal ordinaire[58]. Cependant, bien que Timotheos fût ainsi victorieux dans le golfe Thermaïque et auprès de, ce golfe, il ne fut pas plus heureux que sou prédécesseur dans la tentative qu’il fit pour accomplir ce qu’Athènes avait le plus à cœur, — la prise d’Amphipolis ; quoique, par la capture accidentelle de Charidêmos sur mer, il pût de nouveau enrôler ce chef avec sa troupe, dont les services semblent avoir été appréciés à Athènes avec reconnaissance[59]. Timotheos dépêcha d’abord Alkimachos, qui fut repoussé, puis il débarqua lui-même et attaqua la cité. Mis les Amphipolitains, aidés par les Thraces voisins en nombre considérable (et peut-être par le Thrace Kotys), firent une résistance si énergique, qu’il fut forcé de se retirer avec perte et même de brûler quelques trirèmes qui, ayant été amenées pour attaquer la cité du côté large du fleuve Strymôn en amont, ne purent être ramenées en face de l’ennemi[60].

Timotheos tourna ensuite (363 av. J.-C.) son attention vers la guerre contre Kotys en Thrace et vers la défense dies possessions athéniennes nouvellement acquises dans la Chersonèse, et actuellement menacées par l’apparition d’un ennemi nouveau et inattendu pour Athènes dans les eaux orientales de la mer Ægée, — une flotte thêbaine.

J’ai déjà mentionné qu’en 366 avant J.-C. Thèbes avait éprouvé de grands malheurs en Thessalia. Pélopidas avait été frauduleusement arrêté et retenu comme prisonnier par Alexandre de Pheræ ; on avait dépêché pour le délivrer une armée thêbaine, qui avait été repoussée honteusement et n’avait pu effectuer sa retraite que grâce au génie d’Épaminondas, servant alors comme simple particulier et invité par les soldats à prendre le commandement. On avait ensuite envoyé Épaminondas lui-même à la tête d’une seconde armée pour qu’il dégageât son ami captif, ce qu’il avait accompli, mais non sales abandonner la Thessalia et sans laisser Alexandre plus puissant que jamais. Pendant un certain temps après cette défaite, les Thêbains restèrent comparativement humiliés et tranquilles. Enfin, l’oppression aggravée du tyran Alexandre causa de telles souffrances et provoqua de telles plaintes, portées à Thèbes de la part des Thessaliens, que Pélopidas, brillant du désir de venger tant sa cité que lui-même, décida les Thêbains à le mettre à la tête d’une nouvelle armée, dans le dessein d’envahir la Thessalia[61] (364-363 av. J.-C.).

A la même époque, probablement, les succès remarquables des Athéniens sous Timotheos, à Samos et dans la Chersonèse, avaient excité de l’inquiétude dans toute, la Grèce, et de la jalousie de la part des Thêbains. Épaminondas osa proposer à ses compatriotes de lutter avec Athènes sur son propre élément et de disputer l’hégémonie de la Grèce, non seulement sur terre, mais encore sur mer. En fait le rescrit rapporté de la cour de Perse par Pélopidas sanctionnait cette prétention, en commandant à. Athènes, de désarmer ses vaisseaux de guerre, sous peine d’encourir le châtiment du Grand Roi[62], ordre qu’elle avait complètement défié au point de pousser ses efforts maritimes avec plus d’énergie qu’auparavant. Épaminondas employa, toute son éloquence pour convaincre ses compatriotes que, Sparte étant maintenant humiliée, l’État d’Athènes était leur ennemi actuel et principal. Il leur rappela — dans un langage analogue à celui dont s’était servi Brasidas dans les premières années de la guerre du Péloponnèse, et Hermokratês à Syracuse[63], — que des hommes tels que les Thêbains, soldats braves et exercés sur terre, pourraient bientôt acquérir les mêmes qualités à bord de vaisseaux, et que les Athéniens eux-mêmes avaient été jadis simplement des hommes de terre, jusqu’à ce que les exigences de la guerre des Perses les forçassent de s’adonner à la mer[64]. Nous devons abattre cette rivale hautaine (conseillait-il à ses compatriotes) ; nous devons transporter dans notre citadelle, la Kadmeia, ces magnifiques propylæa qui ornent l’entrée de l’acropolis d’Athènes[65].

Ce langage expressif, s’il vécut longtemps dans le souvenir hostile des orateurs athéniens, excita sur le moment une ardeur extrême de la part des auditeurs thêbains. Ils résolurent de construire et d’équiper cent trirèmes, et de disposer des bassins avec des arsenaux propres à entretenir constamment un nombre pareil. Épaminondas lui-même fut nommé commandant, pour faire voile avec la première flotte, aussitôt qu’elle serait prête, vers l’Hellespont et vers les îles voisines de l’Iônia, tandis qu’en même temps on envoya des invitations à Rhodes, à Chios et à Byzantion, pour les encourager à se préparer à rompre avec Athènes[66]. Toutefois la nouvelle entreprise rencontra quelque opposition dans l’assemblée thêbaine, en particulier de la part de Menekleidas, orateur de l’opposition, qui, sévère dans ses critiques, qu’il réitère souvent, sur les principaux personnages tels que Pélopidas et Épaminondas, a été dépeint par Cornélius Nepos et par Plutarque sous d’odieuses couleurs. Des démagogues comme lui, dont le pouvoir résidait dans l’assemblée publique, sont communément représentés comme s’ils avaient un intérêt naturel à plonger leurs cités dans la guerre, afin qu’il pût y avoir plus de sujets d’accusation contre les principaux personnages. Cette manière de les représenter est fondée surtout sur le portrait que Thucydide donne de Kleôn dans la première moitié de la guerre du Péloponnèse : j’ai tâché, dans un précédent volume, de montrer[67] que ce n’est pas une appréciation équitable même de Kleôn séparément, encore bien moins des démagogues en général, hommes peu belliqueux et par goût et par aptitude. Menekleidas à Thèbes, loin de favoriser des expéditions guerrières en vue de pouvoir dénoncer les généraux quand ils reviendraient, défendit ce que la paix continue avait de prudent, et accusa Épaminondas d’engager son pays dans des projets éloignés et dangereux, en malte d’imiter les exploits d’Agamemnôn en partant d’Aulis en Bœôtia, en qualité de commandant d’une flotte imposante destinée à faire des conquêtes dans l’Hellespont. Avec l’aide de Thèbes (répondit Épaminondas), j’ai déjà fait plus qu’Agamemnôn. Lui, avec les forces de Sparte et toute la Grèce en outre, a mis dix ans à prendre une seule ville, tandis, que moi, avec la seule armée de Thèbes et à la seule journée de Leuktra, j’ai écrasé la puissance de la Sparte d’Agamemnôn[68]. Tout en repoussant l’accusation sur les motifs personnels, Épaminondas soutint que la paix équivaudrait à une renonciation à l’hégémonie de la Grèce., et que, si Thèbes désirait conserver cette position supérieure, elle devait maintenir constamment ses citoyens dans une pratiqué et une action guerrières-

Quelques lecteurs peuvent croire qu’il vaut mieux se tromper avec Épaminondas qu’avoir raison avec Menekleidas. Mais sur le point principal de ce débat, Menekleidas paraît avoir eu réellement raison. Car les exhortations générales attribuées à Épaminondas ressemblent de trop près à ces stimulants fiévreux qu’Alkibiadês administra à Athènes pour pousser ses compatriotes dans la fatale expédition contre Syracuse[69]. En accordant même que son avis fût sage, par rapport à la guerre sur terre, nous devons nous rappeler que dans cette circonstance il engageait Thèbes dans une carrière maritime nouvelle et inconnue, pour laquelle elle n’avait ni aptitude ni facilités. Conserver l’ascendant sur la terre seule exigeait toutes ses forces et pouvait devenir trop difficile pour elle ; conserver l’ascendant sur terre et sur mer à la fois devait être plus impraticable encore. En embrassant les deux, elle ne devait probablement garder ni l’un ni l’autre. Ces considérations nous autorisent à soupçonner que le projet de franchir la mer Ægée pour acquérir des dépendances d’outre-mer fut suggéré à ce grand homme moins par une saine appréciation des intérêts permanents de Thèbes que par la jalousie contre Athènes, — surtout depuis les récentes conquêtes de Timotheos[70].

Cependant le projet fut réellement exécuté, et une flotte thêbaine considérable sous Épaminondas traversa la mer Ægée en 363 avant J.-C. Dans la même année, apparemment, Pélopidas s’avança en Thessalia, à la tête d’une armée de terre thêbaine, contre Alexandre de Pheræ. Ce que fit la flotte, c’est ce qu’il flous est à peine donné de savoir. Il parait qu’Épaminondas visita Byzantion ; et l’on nous dit qu’il repoussa l’escadre athénienne de garde commandée par Lachês, et qu’il décida plusieurs des alliés d’Athènes à se déclarer en sa faveur[71]. Lui et Timotheos paraissent avoir été tous deux dans ces mers, sinon en même temps, du moins à un faible intervalle l’un de l’autre. Tous deux furent sollicités par l’oligarchie d’Hêrakleia du Pont contre le peuple ; et tous deux refusèrent leur concours[72]. Timotheos délivra, dit-on, la ville assiégée de Kyzikos (Cyzique) ; par qui était-elle assiégée, nous ne le savons pas d’une manière certaine ; mais c’était probablement par la flotte thébaine[73]. Épaminondas ramena sa flotte à la fin de l’année, sans avoir remporté de brillante victoire, ni acquis de possession tenable pour Thèbes ; non toutefois sans affaiblir Athènes, sans ébranler son empire sur ses dépendances et sans seconder indirectement les hostilités poursuivies par Kotys, au point que les affaires athéniennes, dans la Chersonèse et la Thrace, furent beaucoup moins prospères en 362 avant J.-C. qu’elles ne l’avaient été en 364 avant J.-C. Il est probable qu’Épaminondas avait l’intention de retourner avec sa flotte l’année suivante (362 av. J.-C.), et de pousser encore plus loin ses entreprises maritimes[74] ; mais nous le verrons impérativement appelé ailleurs, à un champ de bataille différent et fatal. Et c’est ainsi que la première expédition navale de Thèbes fut aussi la dernière.

Pendant ce temps (363 av. J.-C.), son ami et collègue Pélopidas s’était avancé en Thessalia contre le despote Alexandre, qui à ce moment était à l’apogée de sa puissance, tenant sous sa, dépendance une portion considérable de la Thessalia avec les Achæens Phthiotes et les Magnêtes, et ayant Athènes pour alliée. Néanmoins, si révoltantes avaient été ses cruautés, et si nombreux étaient les mécontents qui avaient envoyé demander le secours de Thèbes, que Pélopidas ne désespéra pas de triompher de lui. Il ne fut pas non plus intimidé même par une éclipse de soleil, qui, dit-on, arriva précisément comme il commençait sa marche, ni par les sombres avertissements que les prophètes fondèrent sur ce phénomène ; bien que cet événement effrayât beaucoup de ses concitoyens, de sorte que son armée en devint moins nombreuse aussi bien que moins confiante. Arrivant à Pharsalos et se renforçant par la jonction de ses alliés thessaliens, il trouva Alexandre qui venait à sa rencontre à la tête de forces mercenaires bien équipées, très supérieures en nombre. Les deux chefs se disputèrent à qui occuperait le premier les collines appelées Kynos Kephalæ, ou les Tètes du Chien. Pélopidas y arriva le premier avec sa cavalerie, battit celle de l’ennemi et la poursuivit à quelque distance ; mais il laissa ainsi les collines, que la nombreuse infanterie de l’ennemi put occuper librement, tandis que sa propre infanterie, arrivant trop tard, fut repoussée avec perte dans la tentative qu’elle fit pour emporter la position. C’est ainsi que la bataille semblait s’annoncer mal, quand Pélopidas revint de la poursuite. Ordonnant à sa cavalerie victorieuse de charger l’infanterie sur la colline en flanc, il mit immédiatement pied à terre, saisit son bouclier et se mit à la tète de sa propre infanterie découragée, qu’il conduisit de nouveau à la colline pour attaquer la position. Sa présence inspira une ardeur nouvelle et si grande, que ses troupes, bien qu’étant repoussées deux fois, réussirent dans une troisième tentative à chasser l’ennemi du sommet de la colline. Maître ainsi de ce point, Pélopidas vit devant lui toute l’armée de l’ennemi, qui se retirait un peu en désordre, sans toutefois être défaite, tandis qu’Alexandre en personne était à l’aile droite, s’efforçant de la rallier et de l’encourager. Quand Pélopidas vit pour ainsi dire à sa portée cet ennemi détesté, — par lequel il avait été lui-même perfidement arrêté et jeté dans un cachot, et dont les cruautés étaient dans toutes les bouches, — il fut saisi d’un transport de rage et de folie, comme Cyrus le jeune sur le champ de bataille de Kunaxa à la vue de son frère Artaxerxés. Sans songer à ses devoirs comme général, sales même voir par qui il était suivi, il s’élança impétueusement en criant et en défiant Alexandre de s’avancer pour combattre. Ce dernier, déclinant le cartel, se retira parmi ses gardes, au milieu desquels se jeta Pélopidas avec le petit nombre qui le suivait, et où, tout en combattant avec une bravoure désespérée, il rencontra la mort. Cette action téméraire avait été consommée si rapidement, que son armée derrière lui ne s’en aperçut pas d’abord. Mais elle précipita bientôt sa marche pour le sauver et le venger, chargea avec vigueur les troupes d’Alexandre et les mit en fuite avec des pertes sérieuses[75].

Toutefois cette victoire, bien qu’importante pour les Thêbains et plus importante encore pour les Thessaliens, perdit aux yeux des uns et des autres toute sa valeur sensible par la mort de Pélopidas. Les démonstrations de douleur dans toute l’armée furent universelles et sans bornes. Les soldats encore chauds de leur victoire, les blessés dont les blessures n’avaient pas encore été pansées, affluèrent autour du corps, entassant auprès de lui comme trophée les armes de leurs ennemis tués. Beaucoup, refusant soit d’allumer du feu, soit de toucher à leur repas du soir, attestèrent leur affliction en coupant leurs cheveux aussi bien que la crinière de leurs chevaux. Les cités thessaliennes rivalisèrent entre elles en marques de respect et d’attachement, et obtinrent des Thébains la permission de prendre la part principale dans ses funérailles, comme ayant perdu leur défenseur et leur protecteur. A Thèbes, l’émotion ne se manifesta pas d’une manière moins frappante. Cher à ses compatriotes d’abord en qualité de chef de cette poignée dévouée d’exilés qui bravèrent tout péril pour arracher la cité aux Lacédæmoniens, Pélopidas avait été réélu sans interruption à la charge annuelle de bœôtarque pendant toutes les années qui s’étaient écoulées depuis (378-364 av. J.-C.)[76]. Il avait pris une part importante dans toutes leurs luttes et dans toutes leurs gloires ; il avait été le premier à les animer à l’heure du découragement ; il s’était prêté, avec la sagesse d’un patriote et la générosité d’un ami, à seconder l’ascendant directeur d’Épaminondas et sa modération de conduite à l’égard d’ennemis vaincus[77].

Tout ce que Thêbes pouvait faire, c’était de venger la mort de Pélopidas. Les généraux thêbains, Malkitas et Diogeitôn[78] conduisirent en Thessalia ; une armée puissante de 7.000 hoplites, et se mirent à la tête de leurs partisans dans ce pays. Avec ces forces combinées, ils serrèrent Alexandre de prés, le battirent complètement et le réduisirent à se soumettre à leurs conditions. Il fut forcé de renoncer à toutes ses dépendances en Thessalia, de se confiner à Pheræ, avec son territoire près du golfe de Pagasæ, et de jurer fidélité à Thèbes comme à son chef. Toute la Thessalia, avec les Achæens Phthiotes et les Magnètes, fut annexée à l’empire de Thèbes, qui acquit ainsi dans la Grèce septentrionale plus d’ascendant quelle n’en avait jamais eu auparavant[79]. La puissance d’Alexandre fut effectivement abattue sur terre ; mais il continua encore à être puissant sur mer on il exerçait ses pirateries, comme on le verra l’année suivante.

 

 

 



[1] Xénophon, Helléniques, VII, 3, 12.

[2] Xénophon, Helléniques, VII, 4, 1.

[3] Plutarque, Artaxerxés, c. 22.

[4] Il est évident que Messênê était le grand objet de la mission de Pélopidas à la cour de Perse ; nous le voyons non seulement par Cornélius Nepos (Pélopidas, c. 4), et par Diodore (XV, 81), mais encore même par Xénophon, Helléniques, VII, 1, 36.

[5] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 33-38 ; Plutarque, Pélopidas, c. 30 ; Plutarque, Artaxerxés, c. 32.

Les mots de Xénophon doivent faire allusion à quelque ambassadeur argien, bien que le nous ne soit pas mentionné et doive probablement avoir disparu, — ou peut-être le mot τις, en ce qu’il se peut que Xénophon n’ait pas appris le nom.

Il paraîtrait que la mission que Pharnabazos conduisit à la cotir de Perse (ou du moins entreprit de conduire) en 408 avant J.-C., des ambassadeurs de cités grecques hostiles se trouvaient dans la même compagnie (Xénophon, Helléniques, I, 5, 13), comme dans l’occasion actuelle.

[6] Plutarque, Artaxerxés, c. 22. Toutefois, Ismenias, son collègue, laissa tomber, dit-on, son anneau, et s’arrêta alors pour le ramasser, immédiatement devant le roi, accomplissant ainsi le prosternement.

[7] Plutarque, Pélopidas, c. 30.

[8] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 36.

Il est clair que ce ne sont pas les mots exacts du rescrit de 367 avant J.-C., bien que dans le premier cas de la paix d’Antalkidas (387 av. J.-C.) Xénophon semble avoir donné le rescrit dans ses termes mêmes (V, 1, 31).

Ce qu’il dit ensuite (VII, 1, 38) au sujet d’Elis et de l’Arkadia prouve qu’il y avait d’autres questions comprises. Conséquemment, je n’hésite pas à croire qu’Amphipolis fut reconnue aussi comme autonome. C’est ce que nous lisons dans Démosthène, Fals. Legat., p. 388, c. 42. Démosthène fait ici allusion à l’effet produit sur l’esprit du Grand Roi et au changement dans sa conduite, quand il apprit que Timagoras avait été mis à mort en revenant à Athènes : l’adverbe de temps τότε fait allusion au rescrit donné quand Timagoras était présent.

Dans les mots de Xénophon, l’hégémonie de Thêbes est déclarée ou impliquée. Cf. la convention imposée par Sparte à Olynthos, après que cette dernière fut réduite (V, 31 26).

[9] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 38.

[10] Démosthène, Fals. Leg., c. 42, p. 383.

Dans un autre passage du même discours (c. 57, p. 400), Démosthène dit que Leôn avait été ambassadeur conjointement avec Timagoras pendant quatre ans. Certainement cette mission de Pélopidas à la cour de Perse ne peut, avoir duré quatre ans et Xénophon dit que les Athéniens envoyèrent les deux ambassadeurs quand ils apprirent que Pélopidas s’y rendait. J’imagine que Leôn et Timagoras ont pu être envoyés à la cour de Perse peu après la bataille de Leuktra, à l’époque où les Athéniens firent jurer de nouveau le premier rescrit du roi persan, qui établissait Athènes comme chef à la place de Sparte (Xénophon, Helléniques, VI, 5, 1, 2). Ce fut exactement quatre ans auparavant (371-367 av. J.-C.). Leôn et Timagoras ayant entrepris conjointement la première ambassade, et en étant peut-être revenus récemment, furent à ce moment envoyés conjointement pour une seconde. Démosthène a réuni le temps des deux comme s’il n’y en avait qu’une.

[11] Plutarque, Pélopidas, c. 30.

Démosthène parle du montant que Timagoras reçut, en argent, du roi de Perse, comme ayant été 40 talents, (Fals. Leg., p. 383), outre d’autres présents et d’autres choses à sa convenance. Cf. aussi Plutarque, Artaxerxés, c. 22.

[12] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 38.

[13] Xénophon, Helléniques, V, 1, 30.

[14] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 40.

[15] Les fortes expressions de Démosthène montrent quel effet remarquable cette nouvelle produisit à Athènes (cont. Aristokratês, p. 660, s. 142).

On dit qu’Alexandre promit aux Athéniens une quantité de bétail assez considérable pour maintenir très bas le prix de la viande à Athènes (Plutarque, Apophth. Reg., p. 193 E).

[16] Diodore, XV, 71 ; Plutarque, Pélopidas, c. 28, Pausanias, IX, 15, 1.

[17] Plutarque (Pélopidas, c. 29) dit une trêve pour trente jours ; mais il est difficile de croire qu’Alexandre eût été satisfait d’un terme si court.

[18] Le récit de l’arrestation de Pélopidas par Alexandre, avec ses conséquences, est contenu surtout dans Diodore, XV, 71-75 ; Plutarque, Pélopidas, c. 27-29 ; Cornélius Nepos, Pélopidas, c. 5 ; Pausanias, IX, 15, 1. Xénophon n’en fait pas mention.

J’ai placé l’arrestation dans l’année 366 avant J.-C., après le retour de Pélopidas de son ambassade en Perse, ambassade que, d’accord avec M. Fynes Clinton, je rapporte à l’année 367 avant J.-C. Plutarque place cette arrestation avant l’ambassade ; Diodore la place dans l’année comprise entre le solstice d’été de 368 et celui de 367 avant J.-C. ; mais il ne mentionne pas au tout l’ambassade, dans son ordre chronologique régulier ; il y fait seulement allusion en résumant les exploits à la fin de la carrière de Pélopidas.

En admettant que I’ambassade à la cour de Perse se soit effectuée en 367avant J.-C., l’arrestation ne peut pas bien avoir été opérée avant ce temps. L’année 368 avant J.-C. semble avoir été celle où Pélopidas fit sa seconde expédition en Thessalia, et dont il revint victorieux en ramenant les otages.

L’arrestation de Pélopidas fut accomplie à un moment où Épaminondas n’était ni bœôtarque, ni commandant de I’armée thébaine. Or, il semble que ce ne fut qu’il la fin de l’année 367 avant J.-C., après les accusations auxquelles donna lieu sa conduite en Achaïa, qu’Épaminondas ne fut pas renommé général.

Xénophon, en décrivant l’ambassade de Pélopidas en Perse, mentionne les raisons qu’il a d’espérer une réception favorable et les choses dont il avait à se faire gloire (Helléniques, VII, 1, 35). Or, si Pélopidas, immédiatement auparavant, avait été saisi et retenu Tendant quelques mois en prison par Alexandre de Pheræ, assurément Xénophon y aurait fait allusion comme à un article d’un sens opposé. Je sais qu’il ne faut pas toujours se fier à cette conséquence tirée du silence de Xénophon. Mais dans le cas actuel, nous devons nous rappeler qu’il n’aime pas les deux chefs thêbains ; et nous pouvons conclure à bon droit que là où il énumère les trophées de Pélopidas, il n’aurait guère manqué de mentionner une honte signalée, si elle avait existé, et subie immédiatement avant.

Pélopidas fut fait prisonnier par Alexandre, non dans une bataille, mais quand il accomplissait une mission pacifique, et dans des circonstances dans lesquelles aucun homme moins infâme qu’Alexandre ne l’aurait arrêté (παρασπονόηθείς, — Plutarque, Apophth., p. 194 D. ; Pausanias, IX, 15, 1 ; Legationis jure satis tectum se arbitraretur, — Cornélius Nepos). Son imprudence à se fier, dans quelques circonstances que ce soit, à un homme tel qu’Alexandre est blâmée par Polybe (VIII, 1) et par d’autres. Niais nous devons supposer que cette imprudence doit être en partie justifiée ou expliquée par quelques circonstances plausibles, et là, proclamation du rescrit persan me parait présenter l’explication la plus raisonnable de sa conduite.

C’est pour ces raisons, qui, à mon sens, l’emportent sur toutes les probabilités en sens contraire, que j’ai placé l’arrestation de Pélopidas en 366 avant J.-C., après l’ambassade en Perse, non sans toutefois sentir que la chronologie de cette période ne peut être rendue absolument certaine.

[19] Plutarque, Pélopidas, c. 31-35.

[20] V. l’inscription et les commentaires instructifs publiés par le professeur Ross, dans lesquels il fait connaître distinctement pour la première fois le Dême Γραής, près d’Orôpos (Ross, Die Demen von Attica, p. 6, 7, Halle, 1846).

[21] Isocrate, Orat. XIV (Plataïc.), s.22-40.

[22] Xénophon, Helléniques, VII, 4, 1 ; Diodore, XV, 76.

La prise antérieure d’Orôpos, quand Athènes la perdit en 411 avant J.-C., fut accomplie dans des circonstances tout à fait analogues (Thucydide, VIII, 60).

[23] Xénophon, Helléniques, VII, 4, 1 ; Diodore, XV, 76.

Cf. Démosthène, De Corona, p. 259, s. 123 ; Æschine, cont. Ktesiphôn, p. 397, s. 85.

Il semblerait que nous devrions rapporter à cette perte d’Orôpos le jugement de Chabrias et de Kallistratos à Athènes, en même temps que la mémorable harangue de ce dernier que Démosthène entendit dans sa jeunesse avec une si vive admiration. Mais nos informations sont si vagues et si chétives, que nous ne pouvons rien établir avec certitude sur ce point. Rehdantz (Vitæ Iphicratis, Chabriæ et Timothei, p. 109-114) réunit, dans un chapitre instructif, tous les témoignages disséminés.

[24] Xénophon, Helléniques, III, 1, 39 ; VII, 4, 2.

[25] Xénophon, Helléniques, VII, 4, 3.

Xénophon mentionne la singularité de l’accident. Il y avait une quantité de vaisseaux au Peiræeus ; Lykomêdês n’avait qu’à choisir et à décider où il voulait débarquer. Il fixa précisément le lieu où les exilés étaient réunis, sans savoir qu’ils y étaient.

[26] Cornélius Nepos, Épaminondas, c. 6, Plutarque, Reip. Ger. Præcep., p. 819 F. ; Plutarque, Apophth. Reg., p. 193 D.

Cf. une allusion semblable, de la part d’autres personnes, aux crimes compris dans la légende thébaine (Justin, IX, 3).

Il se peut que ce soit pendant cette ambassade dans le Péloponnèse que Kallistratos adressa à l’assemblée publique à Messênê le discours auquel Aristote fait allusion (Rhétorique, III, 17, 3) ; il est assez possible que ce soit aussi contre Épaminondas.

[27] Xénophon, Helléniques, VII, 4, 4-6. Les débats publics de l’assemblée athénienne n’étaient pas favorables au succès d’un projet, comme celui que proposa Demotiôn, auquel le secret était indispensable. Cf. un autre projet, divulgué de la même manière, dans Thucydide, III, 3.

[28] Il semble probable que ce furent les mercenaires placés par les Corinthiens sous le commandement de Timophanês, et employés plus tard par lui comme instruments pour établir un despotisme.

Plutarque (Timoléon, c. 3, 4) fait une brève allusion à des mercenaires équipés à cette époque (autant que nous pouvons vérifier sa chronologie), et aux mercenaires corinthiens réunis alors, en rapport avec Timoleôn et Timophanês, — j’aurai à en parler longuement dans un autre chapitre.

[29] Cf. Xénophon, Helléniques, VII, 4, 8, 9, avec Isocrate, Or. VI (Archidamus), s. 106.

[30] Xénophon, Helléniques, VII, 4, 9.

[31] Ce sentiment de mécontentement contre les alliés est exposé fortement et à plusieurs reprises dans le Discours d’Isocrate appelé Archidamus, composé comme s’il devait être prononcé dans cette assemblée, — et bonne preuve (qu’il ait été réellement prononcé ou non) des sentiments qui animaient ce prince et un parti considérable à Sparte. Archidamos regarde ceux des alliés qui recommandaient aux Spartiates de rendre Messênê, comme des ennemis pires même que ceux qui avaient rompu complètement. Il spécifie les Corinthiens, les Phliasiens et les Épidauriens, sect. 11-13. Cf. sect. 67, 87, 99, 105, 106, 123.

Nous pouvons conclure de ce discours d’Isocrate que le mécontentement des Spartiates, contre leurs alliés, parce que ces derniers leur conseillaient à abandonner Messênê ; était beaucoup plus grand que ne nous amènerait à le croire le récit de Xénophon (Helléniques, VII, 4, 8-11).

Dans l’argument mis en tête du discours, il est affirmé (entre diverses autres inexactitudes) que les Spartiates avaient envoyé à Thêbes demander la, paix, et que les Thêbains avaient dit en réponse — que la paix serait accordée. Or les Spartiates n’avaient jamais envoyé à Thèbes dans ce dessein ; les Corinthiens allèrent à Thèbes et y apprirent la condition péremptoire exigeant la reconnaissance de Messênê. Ensuite les Thêbains ne durent jamais demander à Sparte de coloniser de nouveau où de rétablir Messênê, ce qu’ils avaient déjà fait eux-mêmes.

[32] Diodore (XV, 76) dit que le roi de Perse envoya en Grèce des ambassadeurs, qui firent que cette paix fut conclue. Mais il ne semble pas qu’il y ait lieu de croire que dols ambassadeurs persans quelconques aient visité la Grèce depuis le retour de Pélopidas, dont l’arrivée avec le rescrit constitua en fait une intervention persane. La paix conclue alors fut sur la base générale de ce rescrit : c’est jusque-là, mais pas plus loin (à mon sens), que l’assertion de Diodore relative à une intervention persane est exacte.

[33] Diodore (XV, 76) est inexact encore en présentant la paix comme acceptée universellement, et comme mettant fin à la guerre bœôtienne et lacédæmonienne, qui avait commencé avec la bataille de Leuktra.

[34] Xénophon, Encom. Agesil., II, 30.

[35] Cette seconde mission des Athéniens à la cour de Perse, conformément l’invitation contenue dans le rescrit donné à Pélopidas (Xénophon, Helléniques, VII, 1, 37), me paraît impliquée dans Démosthène, Fals. Legat., p. 385, s. 150 ; p. 420, s. 283 ; Orat. De Halonneso, p. 84, s. 30.

Si le roi de Perse fut informé que Timagoras avait été mis à mort par ses compatriotes en revenant à Athènes, — et s’il envoya (κατέπεμψεν) un autre rescrit relatif à Amphipolis, — cette information ne peut avoir été communiquée, et le nouveau rescrit avoir été obtenu, que par une seconde ambassade qui lui fut envoyée d’Athènes.

Il se peut que le Lacédæmonien Kallias ait accompagné cette seconde mission athénienne à Suse : on nous parle de lui comme étant revenu avec une lettre amicale du roi de Perse pour Agésilas (Xénophon, Encom. Agesil., VIII, 3 ; Plutarque, Apophth. Lacon., p. 1213 E.), apportée par un messager persan. Mais le renseignement est trop vague pour nous permettre de vérifier ce fait comme se rapportant à l’occasion actuelle.

[36] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 27.

[37] Démosthène, De Rhodior. Libert., p. 193, s. 10. Cont. Aristokratês, p, 666, s. 165 ; p. 687, s. 242.

[38] Démosthène, ut sup. ; Isocrate, Or. IV (De Permutat.), s. 118 ; Cornélius Nepos, Timotheos, c. 1.

Les stratagèmes par lesquels Timotheos obtint de l’argent pour ses troupes à Samos, sont touchés dans le Pseudo-Aristote, Œconomic., II, 23 ; et dans Polyen, III, 10, 9 ; autant que nous pouvons les comprendre, ce parait n’avoir été que des contributions légèrement déguisées, levées sur les habitants.

Comme Ariobarzanês donna de l’argent à Agésilas, il se peut qu’il en ait donné un peu à Timotheos pendant ce siège.

[39] Xénophon, Encom. Ages., II, 26 ; Polyen, VII, 26.

Je ne sais si c’est à cette époque que nous devons rapporter le siège d’Atarneus par Autophradatês, qu’il fut amené à abandonner par une proposition ingénieuse d’Euboulos, qui occupait la place (Aristote, Politique, II, 4,10).

[40] C’est avec la plus grande difficulté que nous établissons quelque chose qui ressemble à un fil d’événements à cette époque, tant nos autorités sont misérablement chétives et indistinctes.

Rehdantz (Vitæ Iphicratis, Chabrias et Timothei, ch. V, p. 118-130) est un auxiliaire instructif, en ce qu’il réunit les fragments d’information : Cf. aussi Weissenborn, Hellen., p. 192-194 (Iéna, 1844).

[41] Xénophon, Encom. Ages., II, 26, 27.

[42] Isocrate, Or. XV (De Permut.), s. 115-119 ; Cornélius Nepos, Timotheus, c. 1.

Isocrate insiste particulièrement sur le fait que les conquêtes de Timotheos assurèrent à Athènes un vaste territoire circonvoisin (s. 114).

L’importance que l’Hellespont avait pour Athènes en lui assurant une provision régulière de blé importé de l’Euxin, faisait quelquefois appeler Sestos la planche à farine du Peiræeus (Aristote, Rhétorique, III, 10, 3).

[43] V. Andocide, de Pace, s. 15.

[44] Que l’occupation de Samos (sans doute en partie seulement par des klêruchi athéniens) ait commencé en 366 ou 365 av. J.-C. — c’est ce qui est établi par Diodore, XVIII, 8-18, quand il mentionne le rétablissement des Samiens quarante-trois ans après par le Macédonien Perdikkas. Cela n’est pas incompatible avec le fait que des détachements additionnels de klêruchi furent envoyés en 361 et en 352 avant J.-C., comme le mentionne le scholiaste d’Æschine, cont. Timarchos, p. 31, c. 12 ; et Philochore, Fr. 131, édit. Didot. Voir la note de Wesseling, qui révoque en doute l’exactitude de la date dans Diodore. Je ne partage pas sa critique, bien qu’elle soit appuyée et par Bœckh (Public Econ. of Athens, III, p. 428) et par M. Clinton (Fast. Hellen., ad ann. 352). Je regarde comme extrêmement improbable qu’un si long intervalle se soit écoulé entre la prise de l’île et l’envoi des klêruchi, ou qu’Athènes ait en recours pour la première fois en 352 avant J.-C. à cette dernière mesure, blessante comme elle l’était aux yeux de la Grèce, alors qu’elle était tant affaiblie et par la Guerre sociale et par les progrès de Philippe : Strabon mentionne deux mille klêruchi comme ayant été envoyés a Samos. Mais nous ne pouvons dire s’il entend la première fournée seule ou toutes les différentes fournées ensemble (Strabon, XIV, p. 638). Le père du philosophe Epikouros (Epicure) fut au nombre de ces klêruchi : Cf. Diogène Laërce, X, 1.

Rehdantz (Vitæ Iphieratis, Chabriæ et Timothei, p. 127) nie semble avoir une idée juste de la chronologie très difficile de cette époque.

Démosthène mentionne les propriétés de ces klêruchi, quand il fait la revue générale des ressources et des revenus d’Athènes, dans un discours prononcé dans l’olympiade 106, 352 avant J.-C. (De Symmoriis, p. 182, s. 19).

[45] V. Démosthène, De Halonneso, p. 86, s. 40-42 ; Æschine, De Fals. Legat., 264. s. 74.

[46] Aristote, Rhétorique, II, 8, 4.

[47] Démosthène, cont. Aristokratês, p. 677, s. 201 ; p. 679, s. 209.

[48] Xénophon, Encom. Ages., II, 26.

[49] Démosthènes, cont. Aristokratês, p. 660, s. 141.

[50] Démosthènes, Cont. Aristokratês, p. 669, s. 174.

[51] V. Démosthènes, Cont. Timotheos, p. 1187, 1188, s. 10-15.

Timotheos s’engagea publiquement par serment dans l’assemblée athénienne, en une occasion, d’intenter à Iphikratês une γραφή ξενίας mais jamais il ne réalisa cet engagement, et même il se réconcilia si bien plus tard avec Iphikratês, qu’il donna sa fille en mariage au fils de ce dernier (ibid. p. 1204, s. 78).

A. quelle date ou circonstance précise doit-on rapporter cet engagement juré, c’est ce que nous ne pouvons déterminer. Il est possible que la γραφή ξενίας se rapporte aux relations d’Iphikratês avec Kotys, relations qui pouvaient en quelque manière entraîner la perte de son droit de cité ; car il est difficile de comprendre comment une γραφή ξενίας, dans son sens habituel (impliquant la négation de tout droit primitif de cité) pouvait jamais être intentée comme charge contre Iphikratês, qui non seulement remplissait tous les devoirs actifs d’un citoyen, mais servait dans le poste le plus élevé et recevait du peuple des honneurs distingués.

[52] Démosthène, cont. Aristokratês, p. 664, s. 153.

[53] Démosthène, Cont. Aristokratês, p. 669, s. 174-177. Relativement à ces otages, je ne puis faire plus que de répéter la mention brève et obscure de Démosthène. Des diverses conjectures proposées pour l’expliquer, aucune ne me parait satisfaisante. Qui était Harpalos, je ne puis me permettre de le dire.

[54] Démosthène, cont. Aristokratês, p. 669, s. 175.

L’orateur s’en réfère à des lettres écrites par Iphikratês et par Timotheos au peuple athénien, à l’appui de ces allégations. Par malheur, ces lettres ne sont pas citées en substance.

[55] Diodore, XV, 77 ; Æschine, De Fals. Leg., p. 250, c. 14.

[56] Démosthène (Olynth., I, p. 21, s. 14) mentionne l’assistance prêtée par les Macédoniens à Timotheos contre Olynthos. Cf. aussi son discours ad Philippi Epistolam (p. 154, s. 9). Cela ne peut guère faire allusion à autre chose qu’à la guerre poursuivie par Timotheos sur ces côtes en 364 avant J.-C. Voir aussi Polyen, III, 10, 14.

[57] Diodore, XV, 81 ; Cornélius Nepos, Timotheos, I ; Isocrate, Or. XV (De Permut.), s. 115-119 ; Dinarque, cont. Demosth., s. 14, cont. Philokl., s. 19.

Je donne dans le texte ce que je crois être la vérité réelle contenue dans l’assertion large d’Isocrate Χαλκιδεϊς άπαντας κατεπολεμησεν (s. 119). L’orateur dit que Timotheos acquit vingt-quatre cités en tout ; mais ce total comprend probablement ses conquêtes dans d’autres temps aussi bien que dans d’autres endroits. L’expression de Nepos, — Olynthios bello subegit, — est vague.

[58] Isocrate, l. c. ; Aristote, Œconomic., II, 22 ; Polyen, III, 10, 14.

[59] Démosthène, Cont. Aristokrat., p. 669, s. 177.

[60] Polyen (III, 10, 8) mentionne ce fait, qui est expliqué si l’on compare (dans Thucydide, VII, 9) la description de l’attaque dirigée par l’Athénien Enetiôn sur Amphipolis en 414 avant J.-C.

Ces échecs de Timotheos sont énumérés, selon moi, dans ce catalogue de neuf défaites, que le scholiaste d’Æschine (De Fals. Leg. p. 755, Reiske) spécifie comme ayant été subies par Athènes dans le territoire appelé les Neuf Chemins (Έννεα Όδοί), l’ancien nom du lieu où fut bâtie Amphipolis. Ils forment le huitième et le neuvième article du catalogue.

Le troisième article est la prise d’Amphipolis par Brasidas. Le quatrième est la défaite de Kle6n par Brasillas. Puis viennent :

5. Οί ένοικοΰντες έπ̕ Ήϊονα Άθηναΐοι έξελάθησαν. La seule manière dont je puis faire de ces mots un fait historique, D’est en supposant qu’ils font allusion à l’expulsion de tous les Athéniens résidant au dehors qui furent renvoyés à Athènes, après la défaite d’Ægospotami. Nous savons par Thucydide que quand Amphipolis fut prise par Brasidas, beaucoup des Athéniens qui y étaient établis se retirèrent à Eiôn, où ils restèrent probablement jusqu’à la fin de la guerre du Péloponnèse, et qu’alors ils furent forcés de retourner à Athènes. Nous expliquerions alors οί ένοικοΰντες έπ̕ Ήϊονα Άθηναΐοι, — par les Athéniens résidant à Eiôn, ce qui, bien que ce ne soit pas le sens habituel de la préposition έπί avec un accusatif, semble la seule signification déterminée que l’on puisse établir ici.

6. Οί μετά Σιμμίχου στρατηγοΰντος διεφθάρησαν.

7. Ότε Πρωτόμαχος άπέτυχεν (Άμφιλιτών αύτούς παραδόντων τοϊς όμόροις Θραξί, ces derniers mots sont insérés par Bekker d’après un MS.). Ces deux événements mentionnés en dernier lieu sont totalement inconnus. Il est possible dé supposer qu’ils se rapportent à la période où Iphikratês commandait les forces d’Athènes dans ces régions, de 368 à 365 avait J.-C.

8. Έκπεμφθείς ύπό Τιμοθέου Άλκίμαχος άπέτυχεν άύτοΰ, παραδόντων  αύτούς Θραξίν έπί Τιμοκράτους Άθήνησιν άρχοντος.

Le mot Τιμοθέου est inséré ici par Bekker d’après un MS, à la place, de Τιμοσθένους, que l’on trouve dans l’édition de Reiske.

9. Τιμόθεος έπιστρατεύσας ήττήθη έπί Καλαμιώνος.

Ici il y a deux défaites de Timotheos spécifiées ; l’une sous l’archontat de Timokratês, qui coïncide exactement avec le commandement de Timotheos dans ces régions (du solstice d’été de 364 à celui de 363 avant J.-C.). Mais l’autre archonte, Kalamyôn, est inconnu dans les Fastes d’Athènes. Winiewski (Comment. in Demosth. De Coronâ, p. 39), Boehneke et d’autres commentateurs suivent Corsini en représentant Kalamiôn comme une corruption de Kallimedês, qui fut archonte de 360 à 359 avant J.-C., et M. Clinton insère même ce fait dans ses tables pour cette année. Mais je suis d’accord avec Rehdantz (Vitæ Iphicratis, Chab. et Tim., p. 153), qui pense que cet événement après le solstice d’été de 360 avant J.-C. ne peut guère être concilié avec ce qui se fit en Chersonèse avant et après cette époque, tel que Démosthène le rapporte dans le discours contre Aristokrate. Sans pouvoir expliquer l’erreur au sujet du nom de l’archonte, et sans déterminer si l’erreur réelle ne peut pas consister à avoir mis έπί au lien de ύπό, — je ne puis m’empêcher de croire que Timotheos essuya deux échecs : l’un par son lieutenant, et I’autre par lui-même, près d7Amphipolis, — tous les deux survenant en 364 ou dans la première partie de 363 avant J.-C. Pendant une grande partie de 363 av. J.-C., l’attention de Timotheos semble avoir été tournée vers la Chersonèse, Byzantion, Kotys, etc.

Je comprends en général la chronologie de cette époque comme le docteur Thirlwall (Hist. Græc., vol. V, ch. 42, p. 244-257).

[61] Plutarque, Pélopidas, c. 31 ; Diodore, XV, 80.

[62] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 36.

[63] Thucydide, II, 87 ; VII, 21.

[64] Diodore, XV, 78.

[65] Æschine, Fals. Leg., p. 276, c. 32, s. 111.

[66] Diodore, XV, 78, 79.

[67] Voir tome IX, ch. 4 de cette Histoire.

[68] Cornélius Nepos, Épaminondas, c. 5 ; Plutarque, Pélopidas, c. 25 ; Plutarque, De Sui Laude, p. 542 A.     

Ni l’un ni l’autre de ces deux auteurs ne me semblent avoir bien compris soit l’attaque, soit la, riposte, dans lesquelles le nom d’Agamemnôn est ici présenté. Comme j’ai donné ce débat dans le texte, il y a un fondement réel pour l’attaque et un point réel dans la réponse ; comme on le trouve dans Cornélius Nepos, il n’y a ni l’un ni l’autre.

On peut voir par Hérodote, VII, 159, que les Spartiates se regardaient comme ayant hérité d’Agamemnôn le commandement de la Grèce.

[69] Thucydide, VI, 17, 18.

[70] Plutarque (Philopœmen, c. 14) mentionne que quelques auteurs représentaient Épaminondas comme ayant consenti contre son gré à cette expédition maritime. Il explique cette répugnance par rapport à l’opinion méprisante exprimée par Platon au sujet du service maritime. Mais cette opinion de Platon est fondée sur des raisons étrangères au caractère d’Épaminondas ; et il me semble évident que les auteurs que Plutarque suivit ici présentaient l’opinion seulement comme une hypothèse pour expliquer pourquoi un général sur terre aussi grand qu’Épaminondas avait fait si peu de chose sur mer, quand il prit le commandement d’une flotte, en se chargeant d’une fonction pour laquelle il avait peu de capacité, comme Philopœmen (Plutarque, Reipubl. Gerend. Prœcept., p. 812 E).

Bauch (dans son traité, Épaminondas und Thebens Kampf um die Hegemonie, Breslau, 1834, p. 70, 71) soutient qu’Épaminondas fut contraint contre son avis plus sage d’entreprendre cette expédition maritime. Je ne puis partager cette opinion. L’oracle que Bauch cite d’après Pausanias (VIII, 11, 6) prouve aussi peu que l’extrait mentionné plus haut de Plutarque.

[71] Isocrate, Or. V (Philip.), s. 53 ; Diodore, XV, 79. Je ne suis pas sûr que ces mots généraux s’appliquent à Chios, à Rhodes et à Byzantion, lieux qui ont été mentionnés auparavant.

[72] Justin, XVI, 4.

[73] Diodore, XV, 81 ; Cornélius Nepos, Timotheos, c. 1.

[74] Diodore, XV, 79.

[75] Pour la description de cette mémorable scène, V. Plutarque, Pélopidas, c. 31, 32 ; Diodore, XV, 80, 81 ; Cornélius Nepos, Pélopidas, c. 5.

[76] Diodore, XV, 81 ; Plutarque, Pélopidas, c. 34, dit la même chose en substance.

[77] Plutarque, Comparaison Pélopidas et Marcellus, c. 1.

[78] Diodore (XV, 78) place dans une seule et même année : — 1° Le projet maritime d’Épaminondas, comprenant ses conseils pour le recommander, l’équipement de la flotte, et l’expédition réelle. — 2° L’expédition de Pélopidas en Thessalia avec ses conséquences immédiates. Il mentionne d’abord la première des deux, mais il les place toutes deux dans la première année de l’olympiade 104, année dans laquelle Timokratês fut archonte à Athènes, c’est-à-dire du solstice d’été de 364 à celui de 363 avant J.-C. Il passe immédiatement de l’expédition maritime à une allusion à la bataille de Mantineia, qui (dit-il) fut fatale à Épaminondas et l’empêcha de poursuivre ses vues d’activité maritime.

La bataille de Mantineia se livra en juin on en juillet 362 avant J.-C. L’expédition maritime, qui précéda immédiatement cette bataille, dut donc naturellement s’effectuer dans l’été de 363 avant J.-C., l’aimée 364 avant J.-C. ayant été occupée dans les équipements navals nécessaires.

J’incline à croire que la marche de Pélopidas en Thessalia s’accomplit aussi en 363 avant J.-C., et que sa mort arriva ainsi pendant qu’Épaminondas était absent et à bord de la flotte. C’est ce qui implique encore d’une manière probable pourquoi la seconde armée thêbaine qui alla venger Pélopidas fut commandée non par son ami et collègue Épaminondas, mais par d’autres généraux. Si Épaminondas eût été à Thèbes, les choses ne se seraient guère passées ainsi.

L’éclipse de soleil, que Plutarque et Diodore mentionnent comme ayant précédé immédiatement le départ de Pélopidas, ne semble pas avoir été encore identifiée d’une manière certaine. Dodwell, sur l’autorité d’un ami astronome, la place le 13 juin, 364 avant J : C., à cinq heures du matin. D’autre part, Calvisius la place le 13 juillet de la même année julienne, à onze heures moins un quart du jour (voir l’Art de vérifier les dates, tom. I, p. 257). Nous pouvons faire remarquer que le jour nommé par Dodwell (comme il l’admet lui-même) ne tomberait pas dans l’année olympique 364-363 avant J.-C., mais pendant le mois qui précéda le commencement de cette année. De plus, Dodwell parle comme s’il n’y avait pas d’autres mois que juin, juillet et août propres à des expéditions militaires, hypothèse qu’on ne peut raisonnablement admettre.

Sievers et le docteur Thirlwall acceptent l’éclipse mentionnée par Dodwell, comme marquant le temps où commença l’expédition de Pélopidas, — juin 364 avant J.-C. Mais par contre, M. Clinton n’en fait pas mention dans ses Tables, ce qui semble montrer qu’il n’était pas satisfait de l’assertion ni de l’identité chronologique de Dodwell. S’il pouvait résulter de nouveaux calculs astronomiques qu’il n’y eut pas d’éclipse de soleil dans l’année 363 avant J.-C. visible à Thêbes, — je m’arrêterais alors à l’éclipse mentionnée par Calvisius (13 juillet 364 avant J.-C.) comme identifiant le temps de l’expédition de Pélopidas, qui, d’après cette supposition, précéderait de huit ou de neuf mois le commencement de la course d’Épaminondas au delà de la mer. L’éclipse mentionnée par Calvisius est préférable à celle que mentionne Dodwell, parce qu’elle tombe dans l’année olympique indiquée par Diodore. Mais il me semble que de nouvelles recherches astronomiques sont nécessaires ici.

[79] Plutarque, Pélopidas, c. 35.