HISTOIRE DE LA GRÈCE

QUATORZIÈME VOLUME

CHAPITRE IV — DEPUIS LA RÉDUCTION D’OLYNTHOS PAR LES LACÉDÆMONIENS JUSQU’AU CONGRES DE SPARTE ET À LA PAIX PARTIELLE EN 371 AVANT J.-C.

 

 

Au commencement de 379 avant J.-C., l’empire des Lacédæmoniens sur terre avait atteint un point de grandeur dont on n’avait jamais vu auparavant le pareil. Sur mer, leur flotte était passablement puissante, et ils semblent avoir partagé avec Athènes l’empire sur les îles plus petites ; tandis que les plus grandes (autant que nous pouvons l’établir) étaient indépendantes de l’une et de l’autre. Mais tout l’ensemble de la Grèce continentale, tant en dedans qu’en dehors du Péloponnèse, — à l’exception d’Argos, de l’Attique et des plus puissantes cités thessaliennes, — était actuellement inscrit dans la confédération dépendante de Sparte. L’occupation de Thèbes, au moyen d’une garnison spartiate et d’une oligarchie de partisans locaux, parut mettre son empire à l’abri de toute chance d’une attaque heureuse ; tandis que la fin victorieuse de la guerre contre Olynthos porta partout un sentiment d’intimidation causée par sa puissance étendue. Ses alliés aussi, — gouvernés comme ils le furent dans bien des cas par des harmostes spartiates et par des oligarchies dont le pouvoir reposait sur Sparte, — furent beaucoup plus dépendants d’elle qu’ils ne l’avaient été pendant le temps de la guerre du Péloponnèse.

Cette situation fit de Sparte l’objet du même mélange de crainte et de haine (la première l’emportant), qu’on avait ressenti à l’égard d’Athènes souveraine cinquante ans auparavant, quand on la désignait comme la cité despote[1]. Et ce sentiment fut encore aggravé par la récente paix d’Antalkidas, en tout sens l’œuvre de Sparte, qui d’abord l’avait obtenue, et ensuite mise à exécution. Cette paix était assez honteuse en ce qu’elle était dictée par le roi de Perse, et imposée en son nom, et qu’elle lui livrait tous les Grecs asiatiques. Mais elle le devint encore plus quand on vit que l’autonomie universelle qu’elle promettait était exécutée de manière à ne signifier rien de plus que soumission à Sparte. De tous les actes commis encore par cet État, qui non seulement pervertirent l’autonomie promise à chaque cité, mais violèrent toutes les règles reconnues de conduite équitable de ville à ville, — le plus flagrant fut la prise et l’occupation récentes de la Kadmeia à Thèbes. Le renversement qu’elle opéra (en faisant alliance avec Amyntas, roi de Macédoine, et en partie à son profit) de la libre confédération olynthienne ne fut guère moins blessant pour tout Grec doué d’un patriotisme compréhensif ou panhellénique. Sparte parut comme l’alliée du roi de Perse d’un côté, d’Amyntas le Macédonien de l’autre, du despote Syracusain Denys d’un troisième — comme livrant l’indépendance de la Grèce à l’étranger, et comme cherchant à y abattre partout ce libre esprit qui faisait obstacle à ses harmostes et aux oligarchies dévouées à sa cause.

Cependant, tout impopulaire que fût Sparte, elle était incontestablement au premier rang comme chef de la Grèce. Personne n’osait révoquer en doute sa suprématie, ni provoquer de résistance contre elle. Le ton des Grecs patriotiques et au libre langage à ce moment se manifeste dans deus hommes éminents qui résidaient à Athènes, — Lysias et Isocrate. De ces deux rhéteurs, le premier composa un discours qu’il lut publiquement à Olympia pendant la célébration de la quatre-vingt-dix-neuvième Olympiade, 384 ans avant J.-C., trois ans après la paix d’Antalkidas. Dans ce discours (dont par malheur il ne reste qu’un fragment conservé par Denys d’Halicarnasse), Lysias pousse le cri de danger pour la Grèce, en partie du côté du roi persan, en partie de celui du despote Denys de Syracuse[2]. Il invite tous les Grecs à mettre de côté toute hostilité et toute jalousie mutuelles, et à s’unir pour tenir tête à ces deux ennemis réellement formidables, comme leurs ancêtres l’avaient fait antérieurement, en montrant le même zèle à abattre les despotes et à repousser l’étranger. Il signale le nombre des Grecs (en Asie) cédés au roi de Perse, auquel ses grandes richesses permettaient de soudoyer un nombre illimité de soldats grecs, et dont les forces navales étaient supérieures à tout ce que les Grecs pouvaient réunir ; tandis que l’armée navale la plus forte de la Grèce était celle du Syracusain Denys. Reconnaissant les Lacédæmoniens comme chefs de la Grèce, Lysias exprime son étonnement qu’ils laissent tranquillement le feu s’étendre d’une cité à l’autre. Ils devraient songer que les malheurs de ces cités qui avaient été détruites, tant par les Perses que par Denys, menacent leurs propres foyers ; et ne pas attendre patiemment que les deux puissances hostiles eussent réuni leurs forces pour attaquer le centre de la Grèce, qui restait encore indépendant.

Des deux ennemis communs, Artaxerxés et Denys, — que Lysias dénonce ainsi, — le second avait envoyé à cette même fête olympique une magnifique théorie ou ambassade pour offrir un sacrifice solennel en son nom, et en même temps plusieurs chars qui devaient prendre part à la course, ainsi que quelques excellents rhapsodes chargés de réciter des poèmes composés par lui. La légation syracusaine, conduite par Thearidès, frère de Denys, était couverte de riches vêtements et logée dans une tente d’une magnificence extraordinaire, ornée d’or et de pourpre, comme probablement on n’en avait pas vu depuis le fastueux étalage fait par Alkibiadês[3] dans la quatre-Vingt-dixième Olympiade (420 av. J.-C.). Tout en excitant les spectateurs présents è faire des efforts comme Grecs pour délivrer leurs frères grecs asservis par Denys, Lysias les exhorta à commencer sur-le-champ leur démonstration hostile contre ce dernier en pillant la tente magnifique qu’ils avaient sous les yeux, et qui insultait la plaine sacrée d’Olympia par le spectacle de la richesse extorquée à des victimes grecques. Il paraît que cette exhortation fut mise en partie à effet, mais seulement en partie[4]. Quelques personnes assaillirent les tentes, mais furent probablement retenues par les surveillants éleiens sans difficulté.

Cependant cet incident, rapproché du discours de Lysias, nous aide à comprendre les appréhensions et les sympathies qui agitaient la foule olympique en 384 avant J.-C. C’était la première fête olympique après la paix d’Antalkidas ; fête mémorable, non seulement parce qu’elle y amena Athéniens, Bœôtiens, Corinthiens et Argiens, que la guerre précédente avait dû empêcher de venir soit en 388, soit en 392 avant J.-C., mais encore parce qu’on y vit les visiteurs et les théories des Grecs asiatiques pour la première fois depuis qu’ils avaient été cédés par Sparte aux Perses, — aussi bien que ceux de ces nombreux Grecs italiens et siciliens que Denys avait asservis. Tous ces malheureux, surtout les Asiatiques, se plaignaient sans doute amèrement des misères de leur nouveau sort, et de Sparte comme les ayant abandonnés ; plaintes qui devaient provoquer une véritable sympathie de la part des Athéniens, des Thêbains, et de tous les autres qui s’étaient soumis contre leur gré à la paix d’Antalkidas. Il v eut ainsi un ensemble considérable de sentiment prêt à répondre aux déclamations de Lysias. Et plus d’un patriote grec, qui rougissait de porter les mains sur les tentes ou sur les envoyés du despote de Syracuse, dut cependant accorder un douloureux assentiment à la remarque de l’orateur, que le monde grec libre était en feu[5] des deux côtés ; que les Asiatiques, les Italiens et les Siciliens avaient déjà passé dans les mains d’Artaxerxés et de Denys, et que, si ces deux formidables ennemis se réunissaient, les libertés mêmes de la Grèce centrale seraient en grand danger.

Il est aisé de voir combien un tel sentiment de douleur et de honte dut contribuer à faire naître l’antipathie contre Sparte. Lysias, dans la portion de son discours que nous possédons, déguise son blâme contre elle sous les formes de la surprise. Mais Isocrate, qui composa un discours analogue quatre ans plus tard (qui peut bien avoir été lu à la fête olympique suivante de 380 av. J.-C.), s’exprime plus franchement. Il dénonce les Lacédæmoniens comme traîtres à la sécurité et à la liberté générales de la Grèce, et comme secondant des rois étrangers aussi bien que des despotes grecs à s’agrandir aux dépens de cités grecques autonomes, — le tout dans l’intérêt de leur ambition égoïste. Il n’est pas étonnant (dit-il), que le monde hellénique libre et agissant de lui-même devienne chaque jour resserré dans un espace plus ,étroit, quand Sparte, l’État président, aide Artaxerxés, Amyntas et Denys à l’absorber, et entreprend elle-même d’injustes agressions contre Thêbes, Olynthos, Phlionte et Mantineia[6].

Les citations précédentes, de Lysias et d’Isocrate, seraient suffisantes pour montrer l’idée que des contemporains intelligents se faisaient, tant de l’état de la Grèce que de la conduite de Sparte, pendant les huit années qui suivirent la paix d’Antalkidas (387-379 av. J.-C.). Mais l’ami de Lacédæmone, Xénophon, est encore plus expressif dans la condamnation qu’il prononce contre Sparte. Ayant décrit sa position triomphante et vraisemblablement inattaquable après la réduction d’Olynthos et de Phlionte, il continue en disant[7] : Je pourrais produire une foule d’autres incidents, tant en Grèce que chez les barbares, pour prouver que les dieux veillent avec soin sur les impies et les méchants ; mais les événements que je suis sur le point de raconter sont tout à fait suffisants. Les Lacédæmoniens, qui avaient juré de laisser à chaque cité son autonomie, ayant violé leurs serments en s’emparant de la citadelle de Thèbes, furent punis par les mêmes hommes qu’ils avaient lésés,bien que personne dans le monde ne les eût jamais vaincus auparavant. Et la faction thêbaine, qui les avait introduits dans la citadelle, avec le dessein arrêté de faire de leur cité l’esclave de Sparte afin de pouvoir régner despotiquement elle-même,a été renversée par sept assaillants seulement, parmi les exilés qu’elle avait bannis.

Quels ont dû être la haine et le sentiment d’abus de suprématie que nourrissaient à l’égard de Sparte les Grecs neutres ou hostiles, quand Xénophon, remarquable à la fois par sa partialité pour elle et par son aversion pour Thèbes, pouvait employer ces mots décisifs en annonçant la phase prochaine de l’humiliation spartiate, qu’il représente comme un juste châtiment envoyé par les dieux ? La phrase que je viens de traduire marque, à la manière banale des Hellenica de Xénophon, ce même moment de contraste et de transition signalés, — gloire passée obscurcie d’une manière soudaine et inattendue par l’arrivée du malheur, — qui est figuré à l’avance dans le récit de Thucydide par le dialogue entre les ambassadeurs athéniens et le conseil mélien[8] ; ou dans l’Œdipe et l’Antigonê de Sophokle[9], par les avertissements du prophète Teiresias.

Il y avait à ce moment trois ans (depuis le coup frappé par Phœbidas) que le gouvernement de Thêbes était dans les mains de Leontiadês et de ses partisans oligarchiques que soutenait la garnison spartiate dans la Kadmeia (379 av. J.-C.). Relativement aux détails de sa manière de procéder, nous avons à peine de renseignements. Nous pouvons seulement (comme je l’ai fait remarquer plus haut) en juger par l’analogie des Trente tyrans à Athènes et des dékarchies de Lysandros, auxquels il était exactement semblable par l’origine, la position et les intérêts. Que son esprit en général ait dû être cruel, oppressif et rapace, c’est ce dont nous ne pouvons douter, bien que nous n’ayons pas le moyen de savoir à quel degré. Les appétits de maîtres absolus, aussi bien que ceux d’une garnison étrangère considérable, devaient assurer un pareil résultat ; en outre, ces maîtres ont dû être dans une crainte constante de soulèvements et de conspirations au milieu d’un corps de citoyens pleins de cœur qui voyaient leur cité, de chef de la fédération bœôtienne qu’elle était, réduite à n’être rien de plus qu’une dépendance captive de Sparte. Cette crainte était aggravée par le voisinage d’un corps nombreux d’exilés thêbains, appartenant au parti opposé ou anti-spartiate, dont trois ou quatre cents membres s’étaient enfuis à Athènes au moment même de l’arrestation de leur chef Ismenias, et avaient sans doute été subséquemment rejoints par d’autres. Les chefs thêbains redoutaient tant un malheur de la part de ces exilés, qu’ils soudoyèrent des assassins chargés de les faire disparaître par un meurtre privé à Athènes, et ils réussirent réellement à tuer ainsi Androkleidas, chef de la troupe et principal .successeur d’Ismenias, bien qu’ils manquassent leur coup sur les autres[10]. Et nous pouvons être sûrs qu’ils firent servir la prison de Thêbes à des énormités et à des exécutions, quand nous lisons que, non seulement l’on y trouva des prisonniers quand le gouvernement fut renversé[11], mais encore que, dans la chaleur du mouvement révolutionnaire, le corps du geôlier qu’on avait tué fut l’objet d’une antipathie si farouche qu’une foule de femmes thêbaines foulèrent son corps aux pieds et crachèrent dessus[12]. A Thèbes, comme dans les autres cités grecques, non seulement les femmes rie prenaient pas part aux disputes politiques, mais elles se montraient même rarement en public[13], de sorte que cette furieuse manifestation de sentiment de vengeance doit avoir eu pour cause la perte de fils, d’époux ou de frères, ou les mauvais traitements qu’ils avaient reçus.

Les exilés thêbains trouvèrent à Athènes non seulement un abri sûr, mais une sympathie sincère pour leurs plaintes contre l’injustice lacédæmonienne. La faveur généreuse que les Thébains avaient montrée, vingt-quatre ans auparavant, à Thrasyboulos et aux autres réfugiés athéniens, pendant la toute-puissance des Trente, fut actuellement payée avec reconnaissance dans ce changement, de fortune des deux cités[14], et payée encore au mépris des menaces de Sparte, qui demandait l’expulsion des exilés, — comme dans la première occasion elle avait demandé que les réfugiés athéniens fussent renvoyés de Thèbes. Toutefois protéger ces exilés thêbains était tout ce qu’Athènes pouvait faire. Leur rétablissement était une tâche qui dépassait son pouvoir, — et vraisemblablement le leur plus encore. Car le gouvernement actuel de Thèbes était fermement assis, et avait les citoyens complètement sous son autorité. Administré par une petite faction, Archias, Philippos, Hypathês et Leontiadês (dont les deux premiers étaient à ce moment polémarques, bien que le dernier fût le plus énergique et le plus résolu), — il était en même temps soutenu par la garnison considérable de 1.500 Lacédæmoniens et alliés[15] sous Lysanoridas et deux autres harmostes dans la Kadmeia, — aussi bien que par les postes lacédæmoniens dans les autres Cités bœôtiennes alentour, — Orchomenos, Thespiæ, Platée, Tanagra, etc. Bien que l’ensemble général des sentiments thêbains dans la cité fût décidément contraire au gouvernement, et que les jeunes gens, tout en s’exerçant à la palestre (exercices gymnastiques auxquels on se livrait à Thèbes avec plus d’ardeur que partout ailleurs, Sparte exceptée), entretinssent, par des communications secrètes, l’ardeur d’un patriotisme vif, mais contenu, — cependant toute manifestation ou tout rassemblement était réprimé de force, et la minorité qui gouvernait occupait avec vigilance les postes dominant la ville basse, aussi bien que la citadelle[16].

Pendant un certain temps, les exilés thêbains à Athènes attendirent dans l’espérance de quelque soulèvement dans leur cité ou de quelque aide positive des Athéniens. A la fin, le troisième hiver après leur fuite, ils commencèrent à désespérer d’être encouragés d’un côté ou de l’autre, et ils résolurent de prendre l’initiative par eux-mêmes. Parmi ,eux on comptait plusieurs hommes des familles les plus riches et les plus grandes de Thèbes, propriétaires de chars, de jockeys et d’établissements où on les dressait à lutter dans les diverses fêtes, Pélopidas, Mellôn, Damokleidas, Theopompos, Pherenikos et autres[17].

De ces hommes, le plus hardi à créer des mesures agressives, bien que presque le plus jeune, était Pélopidas, dont l’audace et le dévouement absolu, dans une entreprise qui semblait entièrement désespérée, se communiquèrent bientôt à une poignée de ses compagnons. Les exilés, qui entretenaient constamment une correspondance secrète avec leurs amis de Thèbes, se sentaient assurés de la sympathie des citoyens en général, s’ils pouvaient une fois frapper un coup. Cependant il ne fallait rien moins que faire périr les quatre chefs, Leontiadês et ses collègues, — et personne dans la ville ne voulait se dévouer pour une tentative si dangereuse et si désespérée. Ce fut cette conspiration que Pélopidas, Mellôn et cinq ou dix autres exilés — le nombre de la troupe entière est donné différemment, les uns disant sept, les autres douze[18] —, entreprirent d’exécuter. Beaucoup de leurs amis de Thèbes entrèrent dans l’affaire comme auxiliaires, qui ne s’y seraient pas embarqués comme auteurs principaux. De tous les auxiliaires, le plus efficace et le plus indispensable fut Phyllidas, le secrétaire des polémarques ; après lui, Charôn, homme éminent et ardent patriote. Phyllydas, ayant été envoyé à Athènes pour affaire officielle, entra en conférence secrète avec les conspirateurs, concerta avec eux le jour de leur arrivée à Thèbes et même s’engagea à leur fournir un accès auprès des polémarques eux-mêmes. Charôn promit non seulement de les cacher dans sa maison, jusqu’à ce que le moment de frapper leur coup fut venu, — mais encore il s’inscrivit pour prendre part à l’attaque armée. Néanmoins, malgré ces encouragements partiels, le plan paraissait encore désespéré à beaucoup de gens qui en désiraient sincèrement le succès. Epaminondas, par exemple, — Glue nous voyons paraître maintenant devant nous pour la première fois, — qui résidait à Thèbes, et non ,seulement partageait les vues politiques de Pélopidas, mais encore était attaché à lui par une intime amitié, — dissuada d’autres personnes de se mêler de cette tentative, et refusa d’y participer. Il déclara distinctement qu’il ne deviendrait pas je complice de l’effusion du sang de concitoyens. Il parait qu’il y avait parmi les exilés des hommes dont la violence lui faisait craindre qu’ils ne voulussent pas, comme Pélopidas, tirer l’épée exclusivement contre Leontiadês et ses collègues, mais qu’ils ne profitassent du succès pour accomplir des actes violents et sans mesures contre d’autres ennemis politiques[19].

Le jour pour l’exécution de l’entreprise fut fixé par Phyllidas le secrétaire, qui avait préparé un banquet du soir en l’honneur d’Archias et de Philippos, afin de célébrer l’époque où ils sortaient de charge comme polémarques, — et qui avait promis à cette occasion d’amener en leur compagnie quelques femmes remarquables par leur beauté, aussi bien que des meilleures familles de Thèbes[20]. De concert avec le corps général des exilés thêbains à Athènes, qui se tenaient prêts sur la frontière de l’Attique ; avec quelques Athéniens, leurs amis politiques, à marcher sur Thèbes dès qu’ils en recevraient l’avis, — et de concert également avec deux des dix stratêgi d’Athènes, qui prirent sur eux d’appuyer secrètement l’entreprise, sans un vote public ; — Pélopidas, Mellôn et leur cinq[21] compagnons franchirent le Kithærôn, se rendant d’Athènes à Thèbes. Il faisait un temps pluvieux, vers le mois de décembre 379 avant J.-C. ; ils étaient déguisés en paysans ou en chasseurs, sans autres armes qu’un poignard caché, et ils franchirent les portes de Thèbes un par un à la nuit tombante, précisément au moment oui les derniers gens de ferme rentraient chez eux de leurs champs. Ils arrivèrent tous sains et saufs à la maison de Charôn, le rendez-vous désigné.

C’était toutefois un simple accident qui avait empêché qu’ils ne retournassent sur leurs pas et que tout le plan n’échouât. En effet, un Thêbain, nommé Hipposthenidas, favorable à la conspiration, mais pusillanime, qui avait été mis dans le secret contre la volonté de Phyllidas, — eut tant de frayeur au moment où l’exécution approchait, qu’il prit sur lui, à l’insu des autres, de dépêcher Chlidôn, fidèle esclave de Mellôn, avec l’ordre de partir de Thèbes à cheval, d’aller au-devant de son maître en route, et de le prier, lui et ses compagnons, de retourner en Attique, vu qu’il était survenu des circonstances qui rendaient le projet impraticable pour le moment. Chlidôn, allant au logis pour chercher sa bride, mais ne la trouvant pas à sa place habituelle, demanda à sa femme où elle était. Celle-ci, feignant d’abord de la chercher, fiait par avouer qu’elle l’avait prêtée à un voisin. Chlidôn fut si irrité de ce retard, qu’il entra dans une vive altercation avec sa femme, laquelle, de son côté, lui souhaita mauvaise chance pour son voyage. Enfin il se mit à la battre jusqu’à ce que des voisins accourussent s’interposer. Son départ manqua ainsi accidentellement, de sorte que le message destiné à contremander les conspirateurs ne leur parvint jamais en route[22].

C’est dans la maison de Charôn qu’ils restèrent cachés tout le jour suivant, dans la soirée duquel devait avoir lieu le banquet d’Archias et de Philippos. Phyllidas avait pris ses mesures pour les introduire à ce banquet au moment où les deux polémarques seraient ivres, en costume féminin, comme étant les femmes dont la visite était attendue. L’heure était presque arrivée, et ils se préparaient à jouer leurs rôles, quand un messager inattendu frappa à la porte, invitant Charôn à venir sur-le-champ en présence des polémarques. Tous à l’intérieur furent atterrés de cet appel, qui semblait impliquer que le complot avait été divulgué, peut-être par le timide Hipposthenidas. Il fut convenu entre eux que Charôn devait obéir sans tarder. Néanmoins, dans l’incertitude douloureuse où il était, il craignit surtout que les amis qu’il avait abrités ne le soupçonnassent de perfidie à l’égard d’eux-mêmes et de leur cause. Aussi, avant de partir, envoya-t-il chercher son fils unique, jeune homme de quinze ans et de grande espérance à tous égards. Il plaça ce jeune homme entre les mains de Pélopidas comme otage pour répondre de sa fidélité. Mais Pélopidas et les autres, attestant avec véhémence qu’ils n’avaient aucun soupçon, prièrent Charôn d’éloigner son fils hors de la portée de ce danger qui les entourait tous actuellement. Toutefois ils ne purent parvenir à l’obtenir de Charôn, qui laissa son fils avec eux pour qu’il partageât le sort commun. Il alla en présence d’Archias et de Philippos, qu’il trouva déjà à moitié ivres, mais instruits, par une nouvelle venue d’Athènes, qu’il se tramait quelque complot, sans qu’ils sussent par qui. Ils l’avaient fait venir pour le questionner, comme notoirement ami des exilés ; mais il n’eut pas beaucoup de difficulté, avec l’aide de la collusion de Phyllidas, à dissiper les soupçons vagues d’hommes ivres, qui ne désiraient qu’une chose, revenir, à la gaieté du festin[23]. Il lui fut permis de se retirer et de rejoindre ses amis. Néanmoins, bientôt après son départ, — tant ces hommes imprévoyants eurent de chances en leur faveur, — un nouveau message fut remis à Archias le polémarque, de la part de son homonyme Archias l’hiérophante athénien, contenant un exposé exact des noms et du plan des conspirateurs, que le parti philo-laconien à Athènes était parvenu à connaître. Le messager qui portait cette dépêche la remit à Archias en l’avertissant qu’elle avait trait à des choses très sérieuses. A demain les affaires sérieuses, dit le polémarque en mettant la dépêche, sans l’ouvrir ni la lire, sous l’oreiller du lit sur lequel il était couché[24].

Revenus à leur fête, Archias et Philippos pressèrent impatiemment Phyllidas d’introduire les femmes selon sa promesse. Alors le secrétaire sortit et amena dans une chambre voisine les conspirateurs, revêtus de costumes de femme ; puis revenant auprès des polémarques, il leur apprit que les femmes n’entreraient pas avant que les domestiques fussent d’abord congédiés. L’ordre fut donné sur-le-champ à ces derniers de partir, tandis que Phyllidas eut soin qu’ils fussent abondamment fournis de vin au logis de l’un d’entre eux. Les polémarques restèrent ainsi seuls avec un ou deux amis à talle, à moitié ivres comme eux, entre autres Kabeirichos, l’archonte de l’année, qui toujours, pendant la durée de sa charge, était détenteur de la lance consacrée, emblème de ses fonctions, et qui l’avait à ce moment tout près de lui. Phyllidas conduisit alors les prétendues femmes dans la salle du banquet ; trois d’entre elles vêtues comme des dames de distinction, les quatre autres les suivant comme femmes de leur suite. Leurs longs voiles et les amples plis de leurs vêtements étaient tout à fait suffisants pour les déguiser, — même les hôtes à table n’eussent-ils pas été ivres, — jusqu’au moment où elles s’assirent à côté des polémarques ; et l’instant où on leur leva leurs voiles était le signal de faire usage de leurs poignards. Archias et Philippos furent tués sur-le-champ, après n’avoir fait que peu de résistance ; mais Kabeirichos, avec sa lance, essaya de se défendre, et périt ainsi avec les autres, bien que les conspirateurs n’eussent pas en dans l’origine l’intention de lui ôter la vie[25].

Avant réussi jusque-là, Phyllidas conduisit trois des conspirateurs — Pélopidas, Kephisodôros et Damokleidas — à la maison de Leontiadês, où il obtint d’être admis en se disant porteur d’un ordre des polémarques. Leontiadês se reposait après souper, avec sa femme assise à ses côtés, filant de la laine, quand ils entrèrent dans sa chambre. Étant brave et plein de force, il se leva précipitamment, saisit son épée, et blessa mortellement Kephisodôros à la gorge ; une lutte désespérée s’ensuivit entre lui et Pélopidas dans l’entrée étroite de la porte, où un troisième n’avait pas de place pour approcher. A la fin cependant Pélopidas le renversa et le tua ; puis ils se retirèrent, en enjoignant avec menaces à sa femme de garder le silence, et fermèrent la porte après eux en ordonnant péremptoirement qu’on ne la rouvrît pas. Ils se rendirent ensuite à la maison d’Hypatês, qu’ils tuèrent pendant qu’il cherchait à se sauver sur le toit[26].

Les quatre grands chefs du parti philo-laconien dans Thèbes ayant été à ce moment mis à mort, Phyllidas se dirigea vers la prison avec les conspirateurs. Là le geôlier, qui dans les actes oppressifs commis par les gouverneurs décédés avait été leur agent de confiance, hésita à l’admettre ; mais Pélopidas le tua d’un coup soudain de sa lance, de manière à assurer à tous une libre entrée. Délivrer les prisonniers, hommes probablement pour la plupart professant la même politique que les conspirateurs, — leur fournir des armes prises aux dépouilles des batailles suspendues dans les portiques voisins, — et les ranger en ordre de combat près du temple d’Amphiôn, — tels furent les actes suivants ; ensuite ils commencèrent à sentir quelque assurance de sûreté et de triomphe[27]. Epaminondas et Gorgidas, informés de ce qui s’était passé, furent les premiers à paraître en armes avec quelques amis pour soutenir la cause ; tandis qu’une proclamation fut faite partout à haute voix par les hérauts, annonçant que les despotes étaient tués, — que Thèbes était libre, — et que tous les Thêbains qui faisaient cas de la liberté eussent à se rassembler en armes dans la place du marché. Il y avait à ce moment à Thêbes beaucoup de trompettes qui étaient venus pour disputer le prix à la fête des Hêrakleia qui approchait. Hipposthenidas engagea ces hommes à sonner de leurs trompettes dans les différentes parties de la ville, et à exciter ainsi partout les citoyens à prendre les armes[28].

Bien que pendant les ténèbres la surprise fût le sentiment dominant, et que personne ne sût que faire, — cependant, aussitôt que le jour commença à poindre et que la vérité finit par être connue, il n’y eut qu’un sentiment de joie et d’enthousiasme patriotique dans la majorité des citoyens[29]. Cavaliers et hoplites coururent en armes à l’agora. C’est alors, pour la première fois depuis la prise de la Kadmeia par Phœbidas, qu’une assemblée en forme du peuple thêbain fut réunie, et c’est devant elle que Pélopidas et les conjurés ses compagnons se présentèrent. Les prêtres de la cité leur mirent des couronnes sur la tête, et les remercièrent au nom des dieux locaux ; tandis que l’assemblée les salua par des acclamations de joie et de gratitude, et nomma d’une commune voix Pélopidas, Mellôn et Charôn, les premiers Bœôtarques renouvelés[30]. La remise en vigueur de ce titre, qu’on avait laissé tomber depuis la paix d’Antalkidas, fut en elle-même un événement d’une grande signification ; elle impliquait non seulement que Thèbes s’était réveillée à la liberté, mais que la confédération bœôtienne aussi avait été ou serait rétablie.

Les conspirateurs avaient immédiatement dépêché des messagers en Attique pour faire connaître leur succès ; à cette nouvelle tous les autres exilés, avec les deux généraux athéniens instruits du complot, et un corps de volontaires athéniens ou corps francs, qui tous étaient prêts sur la frontière attendant un appel, — affluèrent à Thèbes pour achever l’œuvre. Les généraux spartiates, de leur côté également, envoyèrent demander du secours à Platée et à Thespiæ. Pendant toute la nuit, ils avaient été troublés et alarmés par le tumulte qui régnait dans la cité, où des lumières se montraient çà et là et où l’on entendait sonner des trompettes et retentir des cris en l’honneur du succès récent[31]. Instruits bientôt du meurtre des polémarques, de qui ils avaient eu l’habitude de recevoir des ordres, ils ne savaient ni à qui se fier ni qui consulter, tandis qu’ils étaient sans doute assiégés par les fugitifs effrayés du parti actuellement défait, qui se précipitaient vers la Kadmeia pour assurer leur vie. Ils comptaient d’abord sur une diversion que feraient en leur faveur les forces qui se trouvaient à Platée et à Thespiæ. Mais il ne fut pas permis à ces forces mêmes d’approcher de la porte de la ville ; car à peine parurent-elles en vue, que la cavalerie thêbaine nouvellement réunie les chargea vigoureusement et les força de se retirer avec perte. Les Lacédæmoniens dans la citadelle furent non seulement laissés sans appui, mais ils virent leurs ennemis dans la ville renforcés par les autres exilés et par les volontaires auxiliaires[32].

Cependant Pélopidas et les autres nouveaux Bœôtarques se trouvèrent à la tête d’un corps de citoyens armés, remplis de dévouement et de patriotisme, et unanimes à saluer la récente révolution. Ils profitèrent de cette première explosion d’ardeur pour se préparer à enlever d’assaut la Kadmeia sans différer, sachant combien il était important de prévenir toute aide de Sparte. Et déjà les citoyens se précipitaient à l’assaut, — une proclamation étant faite qui promettait des récompenses considérables à ceux qui pénètreraient les premiers dans la citadelle, quand le commandant lacédæmonien envoya des propositions relatives à une capitulation[33]. On leur garantit sans hésiter et avec serment qu’ils sortiraient de Thèbes sans être inquiétés, et qu’ils auraient les honneurs de la guerre ; puis la Kadmeia fut livrée. Au moment où les Spartiates sortaient des portes, un grand nombre de Thêbains du parti vaincu s’avancèrent également. Mais l’exaspération des vainqueurs contre ces derniers fut si difficile à gouverner, que plusieurs des plus odieux furent saisis quand ils passaient et mis à mort ; dans quelques cas, leurs enfants mêmes avec eux. Et un plus grand nombre d’entre eux auraient été tués de cette manière, si les auxiliaires athéniens, avec une sollicitude généreuse, n’eussent fait tous leurs efforts pour les dérober à tous les regards et les mettre en sûreté[34]. On ne dit pas — et il n’est pas certain — que ces Thêbains fussent protégés par la capitulation. Toutefois, même l’eussent-ils été, le sentiment de colère aurait pu encore prévaloir contre eux.

Des trois harmostes qui évacuèrent ainsi la Kadmeia sans coup férir, deux furent mis à mort, le troisième condamné à une lourde amende et banni par les autorités de Sparte[35]. Nous ne savons pas quelles étaient les fortifications de la Kadmeia, ni ce qu’elle avait de provisions ; mais nous ne pouvons guère nous étonner que ces officiers fussent considérés comme ayant déshonoré les armes lacédæmoniennes, en ne faisant aucune tentative pour la défendre ; si nous nous rappelons qu’à peine plus de quatre ou de cinq jours étaient nécessaires pour obtenir de Sparte un secours suffisant, — et que quarante-trois ans plus tard la garnison macédonienne, dans le même lieu, se maintint contre les Thêbains de la ville pendant plus de quatorze jours, jusqu’à ce que Alexandre fût revenu d’Illyria[36]. Le premier messager qui apporta à Sparte la nouvelle de la conspiration et de la révolution de Thèbes paraît avoir fait connaître en même temps que la garnison avait évacué la Kadmeia et était en pleine retraite avec une suite d’exilés thêbains du parti vaincu[37].

Cette révolution de Thèbes fut comme une commotion électrique pour le monde grec. Pour un lecteur moderne l’assassinat des quatre chefs, dans leurs maisons et au banquet, produit un sentiment de répugnance qui détourne son attention des autres traits de cet acte mémorable. Or un ancien Grec non seulement n’avait pas de répugnance pareille, mais la vengeance complète de la prise de la Kadmeia et de la mort d’Ismenias avait toutes ses sympathies, tandis qu’il admirait en outre l’extraordinaire audace personnelle de Pélopidas et de Mellôn, — l’habile combinaison du complot et le renversement soudain, par une force si petite et si méprisable, d’un gouvernement qui, la veille, semblait inattaquable[38]. Il est à remarquer que nous voyons ici les hommes les plus riches de Thèbes affronter seuls et de leurs propres personnes un danger qui n’a dû paraître à une appréciation raisonnable guère moins que désespéré. Depuis l’Odysseus et l’Achille homériques jusqu’à la fin de l’hellénisme libre, le Grec riche se dépouille dams la palestre, et expose sa personne dans les rangs en qualité de soldat comme les plus pauvres citoyens, étant en général supérieur à eux en force et en puissance corporelle[39].

Si la révolution de Thèbes agit avec force sur l’esprit grec par la manière dont elle fut accomplie, elle changea aussi sur-le-champ par ses effets positifs la balance dit pouvoir erg Grèce. L’empire de Sparte, loin d’être incontesté et presque universel sur la Grèce, n’est dorénavant maintenu que par plus ou moins d’efforts, jusqu’à ce qu’enfin il soit complètement renversé[40].

Les exilés thêbains, en arrivant à Sparte, excitèrent au plus haut point la colère des éphores et d’Agésilas, l’ennemi de Thèbes. Bien qu’on fût au fort de l’hiver[41], on décréta immédiatement une expédition contre Thèbes, et on convoqua les contingents alliés. Agésilas refusa d’en prendre le commandement, sur la raison qu’il avait plus de soixante ans, et que conséquemment il n’était plus astreint à un service étranger obligatoire. Mais (dit Xénophon)[42] ce n’était pas sa raison réelle. Il craignait que ses ennemis à Sparte ne dissent : Voilà Agésilas qui nous induit encore en dépenses, afin de pouvoir soutenir des despotes dans d’autres cités, comme il venait de le faire à Phlionte, ce qui lui avait attiré ce reproche : nouvelle preuve que les reproches faits à Sparte (que j’ai cités quelques pages plus haut d’après Lysias et Isocrate) de s’allier avec des despotes grecs aussi bien qu’avec des étrangers pour détruire la liberté grecque, trouvaient un écho dans Sparte elle-même. En conséquence Kleombrotos, l’autre roi de Sparte, prit le commandement. Il avait succédé récemment à son frère Agésipolis, et n’avait jamais commandé auparavant.

Kleombrotos conduisit son armée (378 av. J.-C.) le long de l’isthme de Corinthe, par Megara jusqu’à Platée, taillant en pièces un avant-poste de Thêbains, composé surtout des prisonniers délivrés par la récente révolution, qui avaient été placés pour défendre le défilé intermédiaire des montagnes. De Platée il s’avança à Thespiæ, et de là à Kynoskephalæ, dans le territoire thêbain, où il resta campé pendant seize jours ; après quoi il se retira à Thespiæ. Il parait qu’il ne fit rien, et que son inaction fut le sujet de beaucoup d’étonnement dans son armée, qui douta même, dit-on, qu’il fût réellement et sérieusement hostile à Thèbes. Il se peut que les exilés, avec l’exagération habituelle, l’aient amené à espérer qu’ils pourraient provoquer un soulèvement dans Thèbes, s’il voulait seulement s’en approcher. En tout cas, le mauvais temps doit avoir été un sérieux empêchement pour agir, vu que dans sa marche de retour vers le Péloponnèse, en passant par Kreusis et par Ægosthenæ, le vent suscita un ouragan tel que ses soldats ne purent avancer sans quitter leurs boucliers, qu’ils revinrent prendre ensuite. Toutefois, Kleombrotos ne quitta pas la Bœôtia sans laisser Sphotrias comme harmoste à Thespiæ, avec un tiers de toute l’armée, et une somme considérable d’argent qui devait être employée à soudoyer des mercenaires et à agir avec vigueur contre les Thêbains[43].

L’armée de Kleombrotos, dans sa marche de Megara à Platée, avait passé près de la lisière de l’Attique, et elle avait causé tant d’alarme aux Athéniens qu’ils placèrent Chabrias avec un corps de peltastes pour garder leur frontière et la route voisine, qui menait, par Eleutheræ, en Bœôtia. C’était la première fois qu’une armée lacédæmonienne avait touché l’Attique — qui actuellement n’était plus gardée par les lignes de Corinthe, comme dans la guerre entre 394 et 388 av. J.-C. — depuis la retraite du roi Pausanias, en 404 avant J.-C., ce qui prouvait combien le pays était exposé, au point de faire revivre dans l’esprit athénien tous les terribles souvenirs de Dekeleia et de la guerre du Péloponnèse. Ce fut dans le premier moment où régnait cette alarme, — et vraisemblablement tandis que Kleombrotos était encore avec son armée à Thespiæ ou à Kynoskephalæ, tout près de la frontière athénienne, — que trois ambassadeurs lacédæmoniens ; Etymoklês et deux autres, arrivèrent à Athènes demander satisfaction pour la part que les deux généraux et les volontaires athéniens avaient prise, en concertant l’entreprise de Pélopidas et de ses compagnons et en y aidant. Si dominant était le désir de l’esprit public d’éviter de faire offense à Sparte, que ces deux généraux furent tous deux accusés devant le dikasterion. Le premier des deux fut condamné et exécuté ; le second, profitant de cet avertissement — puisque, conformément au psêphisma de Kannônos[44], les deux accusés devaient être jugés séparément —, s’échappa, et une sentence de bannissement fut rendue contre lui[45]. Ces deux généraux avaient été incontestablement coupables d’un grave abus de leurs fonctions publiques. Ils avaient exposé le sénat à un péril public, non seulement sans consulter le sénat ni l’assemblée, mais même sans prendre l’avis de leur propre conseil des Dix. Néanmoins la rigueur de la sentence indique l’alarme, aussi bien que le mécontentement du corps général des Athéniens, tandis qu’elle servait à désavouer dans le fait, sinon dans la forme, toute relation politique avec Thèbes[46].

Toutefois, même avant que les ambassadeurs lacédæmoniens eussent quitté Athènes, un incident, à la fois soudain et mémorable, changea complètement les dispositions des Athéniens (378 av. J.-C.). L’harmoste lacédæmonien Sphodrias (que Kleombrotos avait laissé à Thespiæ pour qu’il continuât la guerre contre Thêbes), instruit que Peiræeus, du côté de la terre, était sans portes ni poste nocturne, — vu qu’on ne soupçonnait pas d’attaque, — conçut l’idée de le surprendre par une marche de nuit en partant de Thespiæ, et de se rendre maître ainsi d’un seul coup du commerce, des richesses et des ressources navales d’Athènes. Mettant ses troupes en marche un soir, après un repas pris de bonne heure, il comptait arriver au Peiræeus le lendemain matin avant l’aurore. Mais son calcul se trouva faux. Le matin le surprit quand il n’était pas parvenu plus loin que la plaine thriasienne, près d’Éleusis ; comme il était inutile d’avancer plus loin, il retourna de là et rentra à Thespiæ, non toutefois sans commettre divers actes de pillage contre les Athéniens du voisinage.

Ce plan contre Peiræeus ne parait pas avoir été mal conçu. Si Sphodrias eût été un homme capable d’organiser et d’exécuter des mouvements aussi rapides que ceux de Brasidas, il n’y a pas de raison pour qu’il n’eût pu réussir ; et dans ce cas, toute la face de la guerre aurait changé, puisque les Lacédæmoniens, une fois maîtres de Peiræeus, auraient à la fois pu et voulu conserver cette place. Mais ce fut une de ces injustices que personne ne loue jamais avant qu’elle ait été heureusement consommée, — consilium, quod non potest laudari nisi peractum[47]. Comme ce projet échoua, il a été considéré, par les critiques aussi bien que par les contemporains, non seulement comme un crime, mais comme une faute, et son auteur Sphodrias comme un homme brave, mais singulièrement faible et étourdi[48]. San : admettre ce blâme dans toute son étendue, nous pouvons voir que son agression actuelle eut sa source dans un désir malencontreux de rivaliser avec la gloire que Phœbidas, malgré le mécontentement simulé ou passager de ses compatriotes, avait acquise en s’emparant de la Kadmeia. Que Sphodrias reçût des instructions secrètes de Kleombrotos (comme le dit Diodore), c’est ce qui n’est pas suffisamment prouvé, tandis qu’il faut considérer comme tout à fait improbable le soupçon que Xénophon donne à entendre comme étant en circulation, à savoir qu’il fut travaillé par des émissaires et par des présents secrets de ses ennemis les Thêbains, en vue de plonger Athènes dans une guerre avec Sparte[49] ; et ce soupçon semble simplement une hypothèse, suggérée par les conséquences de l’acte, — qui furent telles : que, si ses ennemis l’avaient gagné par des présents, il n’aurait pu les servir mieux.

La présence de Sphodrias et de son armée dans la plaine thriasienne fut communiquée peu après l’aurore à Athènes, où elle excita non moins de terreur que de surprise. Tout le monde prit instantanément les armes pour la défense de la cité ; mais la nouvelle arriva bientôt que l’envahisseur était retiré. Ainsi rassurés, les Athéniens passèrent de la crainte à l’indignation. Les ambassadeurs lacédæmoniens, qui logeaient chez Rallias, le proxenos de Sparte, furent immédiatement arrêtés et interrogés. Mais ils affirmèrent tous les trois qu’ils n’étaient ni moins étonnés ni moins exaspérés de la marche de Sphodrias que les Athéniens eux-mêmes, ajoutant, en manière de confirmation, que, s’ils avaient eu réellement connaissance de quelque dessein de saisir le Peiræeus, ils se seraient arrangés de manière qu’on ne les trouvât pas dans la ville et dans leur logement ordinaire, dans la maison du proxenos, où naturellement où devait immédiatement les saisir. Ils terminèrent en assurant que Sphodrias serait non seulement désavoué, mais puni de la peine capitale à Sparte, et leur réponse fut jugée A satisfaisante qu’il leur fut permis de partir, tandis que les Athéniens envoyèrent une ambassade à Sparte pour demander le châtiment du général qui les avait offensés[50].

Les éphores appelèrent immédiatement Sphodrias à Sparte pour être jugé sur urge accusation capitale. Il désespéra tellement lui-même de son cas qu’il n’osa point paraître, tandis que l’impression générale fut, tant à Sparte qu’ailleurs, qu’il serait certainement condamné. Néanmoins, bien qu’il fiât ainsi absent et non défendu, il fut acquitté, purement grâce à l’estime et à la faveur privées pour son caractère en général. Il était du parti de Kleombrotos, de sorte que tous les amis de ce dernier épousèrent sa querelle comme chose toute naturelle. Mais comme il était du parti opposé à Agésilas, ses amis craignaient que ce dernier ne se déclarât contre lui et ne le fît condamner. Une seule chose sauva Sphodrias, ce fut l’intimité particulière qui existait entre son fils Kleonymos et Archidamos, fils d’Agésilas. La douleur et les importunités d’Archidamos déterminèrent Agésilas, quand cette cause importante fut portée devant le 1 mat de Sparte, à mettre de côté sa conviction comme juge et à voter de la manière suivante : Assurément Sphodrias est coupable ; sur ce point, il ne peut y avoir deux opinions. Néanmoins, nous ne pouvons pas mettre à mort un homme tel que lui, qui, enfant, jeune homme et homme fait, a été salis tache, sans rien perdre de l’honneur spartiate. Sparte ne peut se priver de soldats tels que Sphodrias[51]. Les amis d’Agésilas, suivant cette opinion et coïncidant avec ceux de Kleombrotos, assurèrent un verdict favorable. Et il est remarquable qu’Etymoklês lui-même, qui, en qualité d’ambassadeur à Athènes, avait annoncé comme une certitude que Sphodrias serait mis à mort, — en qualité de sénateur et d’ami d’Agésilas, vota pour son acquittement[52].

Ce remarquable incident — qui nous vient d’un témoin non seulement favorable à Lacédæmone, mais encore personnellement intime avec Agésilas — montre combien le cours de la justice à Sparte était puissamment dominé par la sympathie et les intérêts privés, — surtout par ceux des deux rois. Il explique en particulier ce qui a été dit ailleurs relativement aux actes oppressifs commis par les harmostes et les dékarchies spartiates, actes pour lesquels on ne pouvait obtenir de réparation à Sparte. Dans le cas actuel non seulement la culpabilité de Sphodrias était avouée, mais encore il était sûr que son acquittement serait suivi d’une guerre avec Athènes. Si, dans ces circonstances, la demande de réparation faite par les Athéniens fut dominée par la faveur ales deux rois, quelle chance y avait-il de quelque justice pour la plainte d’une cité dépendante ou d’un individu lésé contre l’harmoste ? Le contraste entre la manière dont procédaient Sparte et Athènes est également instructive. Seulement quelques jours auparavant, les Athéniens avaient condamné, à la prière de Sparte, leurs deux généraux, qui, sans y être autorisés, avaient aidé les exilés thêbains. En agissant ainsi, le dikasterion athénien appliquait la loi à une mauvaise conduite publique manifeste, — et cela encore dans un cas où leurs sympathies étaient pour l’acte, bien que leur crainte d’une guerre avec Sparte fût plus forte. Mais la circonstance la plus importante à signaler, c’est qu’à Athènes il n’y a ni influence privée, ni influence royale capables de dominer la sincère conscience judiciaire d’un dikasterion nombreux et indépendant.

Le résultat de l’acquittement de Sphodrias doit avoir été bien connu à l’avance de tout le monde à Sparte. Même la voix générale de la Grèce dénonça la sentence comme inique[53]. Mais les Athéniens, qui s’étaient si récemment empressés de donner suite aux remontrances de Sparte contre leurs propres généraux, en furent piqués au vif, et, ils ne le furent que plus par suite des compliments extraordinaires à l’adresse de Sphodrias, sur lesquels reposa l’acquittement. Ils contractèrent immédiatement une alliance sincère avec Thêbes, et tirent de vigoureux préparatifs de guerre contre Sparte, tant par mer que par terre (378 av. J.-C.). Après avoir achevé les fortifications de Peiræeus, de manière à le mettre à l’abri de toute tentative future, ils s’appliquèrent à construire de nouveaux vaisseaux de guerre et à étendre leur ascendant maritime aux dépens de Sparte[54].

A partir de ce moment, une nouvelle combinaison commença dans la politique grecque. Les Athéniens jugèrent le moment favorable pour tenter d’édifier une nouvelle confédération, analogue à la Confédération de Dêlos, formée un siècle auparavant ; base sur laquelle avait fini par s’élever le formidable empire athénien, perdu à la fin de la guerre du Péloponnèse. Il y avait une tendance à former une pareille union fédérale, en tant qu’Athènes avait déjà un petit corps d’alliés maritimes ; tandis que des rhéteurs tels qu’Isocrate (dans son Panégyrique, publié deux ans auparavant) avaient familiarisé l’esprit public avec des idées plus larges. Mais à ce moment l’entreprise fut poussée avec la détermination et la véhémence d’hommes souffrant d’une insulte récente. Les Athéniens avaient un bon terrain pour y bâtir ; puisque, si le mécontentement contre l’ascendant de Sparte était largement répandu, la dernière révolution de Thèbes avait fait beaucoup pour diminuer le sentiment de crainte sur lequel reposait surtout cet ascendant. Thèbes accueillit avec beaucoup de faveur l’union avec Athènes, et ses chefs inscrivirent volontiers leur cité comme membre constitutif de la nouvelle confédération[55]. Ils reconnurent avec joie la présidence d’Athènes — réservant toutefois, tacitement  ou expressément, leurs propres droits comme présidents de la fédération bœôtienne, aussitôt qu’elle pourrait être rétablie, rétablissement qui à ce moment était désirable même pour Athènes, si l’on songe que les villes bœôtiennes étaient alors ales alliées dépendantes de Sparte sous des harmostes et des oligarchies.

Les Athéniens envoyèrent ensuite des ambassadeurs dans les îles principales et les cités maritimes de la mer Ægée, les invitant toutes à faire alliance à des conditions honorables et sur un pied d’égalité. Les principes furent en général les mêmes que ceux sur lesquels la confédération de Dêlos avait été formée contre les Perses, presque un siècle auparavant. On proposa qu’un congrès de députés se réunit à Athènes, un de chaque cité, grande aussi bien que petite, chacun avec un vote, qu’Athènes fût l’Etat président, toutefois chaque cité individuelle étant autonome ; qu’un fond commun fût levé, avec des forces navales communes, au moyen d’une taxe imposée sur chaque membre par ce congrès, et appliquée comme cette même autorité pourrait le prescrire ; le but général étant défini ainsi : maintien de la liberté et garantie contre une agression étrangère, pour chaque confédéré, par les forces communes de tous. On prit soin de bannir autant que possible ces associations d’idées de tribut et lie sujétion qui rendaient, impopulaire le souvenir du premier empire athénien[56]. Et comme il y avait beaucoup de citoyens athéniens qui, pendant ces temps de suprématie, avaient été établis au dehors comme klêruchi dans diverses dépendances, mais qui avaient été privés de leurs biens à la fin de la guerre, — on jugea nécessaire de rendre un décret en forme[57] renonçant à toute remise en vigueur de ces droits suspendus et l’interdisant. Il fut décrété de plus que dorénavant aucun Athénien sous aucun prétexte ne posséderait de bien, soit maison, soit terre, dans le territoire d’aucun des confédérés, ni par achat, ni comme garantie gour de l’argent prêté, ni par tout autre mode d’acquisition. Tout Athénien qui enfreignait cette loi était ainsi sujet à une dénonciation devant l’assemblée, qui, le fait prouvé, devait le priver du bien dont une moitié allait au dénonciateur, et l’autre moitié était appliquée aux desseins généraux de la confédération.

Tels furent les principes libéraux de confédération proposés en ce moment par Athènes, — qui, en qualité de candidat au pouvoir, était équitable et juste, comme le Deiokês d’Hérodote[58], — et ratifiés formellement, tant par les Athéniens que par la voix générale des députés confédérés assemblés dans leurs murs. Le décret et le traité formels d’alliance furent inscrits sur une colonne de pierre et placés à coté de la statue de Zeus Eleutherios ou le Libérateur, symbole indiquant à la fois qu’ils étaient affranchis de Sparte, et qu’ils avaient leur liberté à défendre contre la Perse et d’autres ennemis[59]. Des réunions périodiques des députée, confédérés durent être tenues (était-ce souvent, nous l’ignorons) à Athènes, et l’assemblée fut reconnue comme juge compétent de toutes les personnes accusées de trahison contre la confédération, fussent-elles même des citoyens athéniens. Pour donner une garantie plus complète aux confédérés en général, il fut dit dans le traité original que, si un citoyen athénien quelconque ou faisait une motion, ou mettait aux voix une question, dans l’assemblée athénienne, contraire à la teneur de ce document, — il serait jugé devant l’assemblée pour trahison ; et que, s’il était reconnu coupable, il pourrait être condamné par elle à la punition la plus sévère.

Trois chefs athéniens se tirent remarquer comme commissaires dans la première organisation de la confédération, et dans les relations avec les nombreuses cités dont il fallait gagner l’adhésion par une invitation amicale, — Chabrias, Timotheos, fils de Konôn, et Kallistratos[60]. Le premier des trois est déjà connu du lecteur. Lui et Iphikratês étaient les guerriers les plus distingués qu’Athènes comptât parmi ses citoyens. Mais comme elle n’avait été engagée dans aucune «lierre, depuis la paix d’Antalkidas en 389 avant J.-C., elle n’avait pas eu besoin de leurs services ; aussi tous deux avaient-ils été absents de la cité pendant une grande partie des neuf’ dernières années, et Iphikratês semble avoir encore été absent. A l’époque où la paix fut conclue, Iphikratês servait dans l’Hellespont et en Thrace, Chabrias chez Evagoras à Kypros ; chacun d’eux y ayant été envoyé par Athènes à la tête d’un corps de peltastes mercenaires. Au lieu de licencier leurs troupes et de retourner à Athènes comme de paisibles citoyens, il n’était pas moins agréable aux goûts militaires de ces généraux qu’avantageux à leur importance et à leur profit, de tenir leurs bandes réunies, et de prendre du service à l’étranger. Aussi Chabrias était-il resté au service d’abord à Kypros, ensuite auprès du roi égyptien indigène Akoris. Les Perses, contre lesquels il servait, trouvèrent son hostilité si incommode, que Pharnabazos demanda aux Athéniens de le rappeler, sous peine du déplaisir du Grand Roi ; et il les pria en même temps d’envoyer Iphikratês à l’aide des satrapes persans qui organisaient une grande expédition contre l’Egypte. Les Athéniens, auxquels la bonne volonté de la Perse était à ce moment d’une importance particulière, le satisfirent dans les deux points ; ils rappelèrent Chabrias, qui devint ainsi disponible pour le service athénien[61], et envoyèrent Iphikratês pour prendre le commandement dans l’armée des Perses.

Iphikratês, depuis la paix d’Antalkidas, avait employé ses peltastes au service des rois de Thrace ; d’abord à celui de Seuthês, près des rivages de la Propontis, qu’il aida à recouvrer certaines possessions perdues, ensuite à celui de Kotys, dont il acquit la faveur, et épousa bientôt la fille[62]. Non seulement il jouit d’une grande liberté pour entreprendre des opérations guerrières et pour piller, parmi les Thraces mangeurs de beurre[63], mais encore il acquit, comme dot, un fonds considérable de ces produits que des princes thrace avaient à leur disposition, en même temps qu’un don même plus important, — un village, port de mer non loin de l’embouchure de l’Hèbre, appelé Drys, où il établit un poste fortifié, et réunit une colonie grecque dépendante de lui[64]. Miltiadês, Alkibiadês et d’autres athéniens éminents avaient fait la même chose avant lui ; bien que Xénophon eût refusé une proposition semblable quand elle lui fut faite par le premier Seuthês[65]. Iphikratês devint ainsi un personnage considérable en Thrace, sans toutefois abandonner ses relations avec Athènes, mais en faisant servir sa position dans chacune à augmenter son importance dans l’autre. S’il était en état de favoriser les projets de citoyens athéniens pour des acquisitions commerciales et territoriales dans la Chersonèse et dans d’autres parties de la Thrace, — il pouvait également prêter l’aide de l’art naval et militaire athénien non seulement à des princes de Thrace, mais à d’autres même au delà de ces limites, — puisqu’on nous dit qu Amyntas, roi de Macédoine, finit par lui être si attaché ou si redevable qu’il l’adopta pour fils[66]. Quand il fut envolé en Perse par les Athéniens, à la requête de Pharnabazos (vers 378 av. J.-C. apparemment), Iphikratês avait de bonnes raisons pour croire qu’une carrière plus lucrative encore s’ouvrait devant lui[67].

Iphikratês étant ainsi au dehors, les Athéniens associèrent à Chabrias, dans la mission d’organiser leur nouvelle confédération et dans les mesures à prendre pour y arriver deux autres collègues, dont nous entendons parler pour la première fois, — Timotheos, fils de Konôn, et Kallistratos, le plus célèbre orateur de son temps (378 av. J.-C.)[68]. Les talents de Kallistratos n’étaient nullement militaires ; tandis que Timotheos et Chabrias étaient des hommes d’un mérite militaire distingué. Mais pour acquérir de nouveaux alliés et attirer des députés à son congrès proposé, Athènes avait besoin d’un appel persuasif, d’une conduite conciliante et d’une netteté réelle dans toutes ses propositions, non moins ,que du talent d’un général. On nous dit que Timotheos, sans .aucun doute populaire, comme fils du libérateur Konôn, à cause des souvenirs de la bataille de Knidos, — fut en particulier heureux en obtenant de nouvelles adhésions ; et probablement Kallistratos[69], l’accompagnant partout dans les différentes îles, ne contribua pas peu par son éloquence au même résultat. Sur leur invitation, bien des cités entrèrent comme confédérées[70]. A cette époque (comme lors de la première confédération de Dêlos) toutes celles qui s’y joignirent doivent avoir été des membres volontaires. Et nous pouvons comprendre les motifs qui les y poussèrent, quand nous voyons le tableau tracé par Isocrate (en 380 av. J.-C.) ale la tyrannie des Perses sur le continent asiatique, menaçant d’absorber les des voisines. Non seulement il y avait alors une nouvelle base de force imposante, présentée par l’union d’Athènes et de Thêbes, — mais il y avait aussi une haine répandue au loin contre Sparte la souveraine ; haine aggravée depuis qu’elle avait perverti le don d’autonomie, promis par la paix d’ Antalkidas, et la coïncidence de ces sentiments assura un très grand succès à la mission athénienne chargée d’appeler des confédérés. Toutes les cités de l’Eubœa (excepté Histiæa, au nord de l’île) aussi bien que Chios, Mitylênê, Byzantion et Rhodes, — dont les trois premières avaient toujours continué d’être favorablement disposées pour Athènes depuis la paix d’Antalkidas[71], — entrèrent dans la confédération. Une flotte athénienne sous Chabrias, faisant voile parmi les Cyclades et les autres îles de la mer Ægée, aida à chasser les harmostes lacédæmoniens[72], avec leurs oligarchies locales dévouées, partout où il s’en trouvait encore ; et toutes les cités délivrées ainsi devinrent membres égaux du congrès nouvellement constituée à Athènes. Après un certain intervalle il finit par n’y avoir pas moins de soixante-dix villes, dont beaucoup étaient puissantes séparément, qui y envoyèrent des députés[73] ; agrégat suffisant pour intimider Sparte, et même pour flatter Athènes de l’espoir de recouvrer quelque chose qui rappelât son ancien lustre.

Les premiers votes, tant d’Athènes elle-même que du congrès nouvellement réuni, furent des menaces de guerre sur la plus grande échelle. On prit une résolution à l’effet d’équiper 20.000 hoplites, 500 cavaliers et 200 trirèmes[74]. Probablement les députés insulaires et ioniens promirent, au, nom de chaque État, une certaine contribution d’argent, mais rien de plus. Toutefois nous n’en savons pas le chiffre, — ni jusqu’à quel point les engagements, grands ou petits, furent réalisés, — ni si Athènes fut autorisée à en imposer l’exécution à ceux qui manqueraient à leurs obligations, — ni si elle était en état de faire valoir cette autorité dans le cas où le congrès la lui aurait confiée. C’était ainsi que, au sein de la confédération de Dêlos, Athènes s’était rendue la, première fois impopulaire, — en imposant les résolutions de l’assemblée confédérée aux membres qui éludaient leurs devoirs ou qui se séparaient. C’était ainsi que ce qui était d’abord une association volontaire avait fini insensiblement par devenir un empire par la force. Dans les nouvelles circonstances de 378 avant J.-C., nous pouvons présumer que les confédérés, bien que pleins d’ardeur et prodigues de promesses lors de leur première réunion à Athènes, furent même au début peu exacts, et dans la suite le devinrent encore moins, à remplir leurs engagements, et cependant qu’Athènes fut forcée d’être réservée en réclamant ou en exerçant le droit d’en imposer l’accomplissement. Obtenir un vote de contribution de la majorité des députés présents, lie fut que le premier pas dans l’opération ; obtenir un payement ponctuel quand on envoya la flotte athénienne dans les desseins de la percevoir, — sans toutefois encourir une impopularité dangereuse, — était le second pas, huis de beaucoup le plus douteux et le plus difficile.

Toutefois. il ne faut pas oublier qu’y, ce moment olé la Confédération fut formé ; pour la première fois (378 av. J.-C.), Athènes et les autres cités se réunirent par un mouvement spontané de réciprocité et de coopération sincères. Peu d’années après, nous verrons cela changé : Athènes égoïste et les alliés récalcitrants[75].

Excités aussi bien par leur position d’hégémonie renouvelée que par une nouvelle animosité contre Sparte, les Athéniens firent d’importants efforts personnels, tant financiers flue militaires. Equipant une flotte qui, pour le moment, eut la supériorité dans la mer Ægée, ils ravagèrent le territoire hostile d’Histiæa en Eubœa, et annexèrent à leur confédération les îles de Peparêthos et de Skiathos. Ils imposèrent aussi une taxe foncière directe, dont toutefois le montant ne nous est pas connu.

Ce fut à l’occasion de cette taxe qu’ils introduisirent un grand changement dans les dispositions financières et dans la constitution de la cité, changement qui rend remarquable l’archontat de Nausinikos (378-377 av. J.-C.). Le grand corps des citoyens athéniens opulents aussi bien que des metœki fut à ce moment classé de nouveau dans des vues de taxation. On se rappelle que même dès le temps de Solôn[76], les citoyens d’Athènes avaient été répartis en quatre classes, — pentakosiomedimni, hippeis, zeugitæ, thêtes, — distinguées les unes des autres par le chiffre de leurs biens respectifs. De ces classes soloniennes, la quatrième, ou la plus pauvre, ne payait pas de taxes directes, tandis que les trois premières étaient taxées suivant des impositions représentant une certaine proportion de leurs biens actuels. La propriété imposable de la plus riche (ou pentakosiomedimni qui avaient au minimum un revenu de cinq cents médimnes de blé par an ou au-dessus) était inscrite sur le rôle des contributions pour une somme égale à douze fois leur revenu ; celle des hippeis (comprenant tons ceux qui possédaient entre trois cents et cinq cents médimnes de revenu annuel) à dix fois leur revenu ; celle des zeugitæ (ou possesseurs d’un revenu annuel entre deux cents et trois cents médimnes) à cinq fois leur revenu. Un médimne de blé était compté comme équivalent à une drachme, ce qui permettait l’application de ce même système de classes aux biens meubles aussi bien qu’à la terre. De sorte que, quand une taxe foncière actuelle — ou εϊσφορά — était imposée, elle opérait comme une taxe égale ou proportionnelle, par rapport à tous les membres de la même classe ; mais comme une taxe graduée ou progressive, sur tous les membres de la plus riche classe en tant que comparés avec ceux de la plus pauvre.

Les trois classes fondées sur la propriété par Solen, et que nous avons nommées plus haut, paraissent avoir duré, bien que probablement avec des modifications, jusqu’à la fin de la guerre du Péloponnèse, et avoir été conservées en grande partie, après le rétablissement de la démocratie en 403 avant J.-C., pendant l’archontat d’Eukleidês[77]. Bien que l’éligibilité aux grandes charges de l’État eût avant cette époque cessé de dépendre d’une qualité pécuniaire, il était encore nécessaire de posséder quelque moyen de distinguer les citoyens plus riches, non seulement dans le cas où une taxation directe était imposée, mais encore parce que l’inscription d’un homme comme possesseur de plus que d’un minimum donné de propriété l’exposait à servir dans des liturgies ou charges onéreuses. Il semble donc qu’on conserva le cens solonien dans ses principes généraux de classification et de gradation. Le bien de chaque homme étant évalué, il fut rangé dans l’une des trois classes ou plus, suivant son montant. Pour chacune des classes, on admit une proportion fixe de capital imposable en rapport avec le bien de chaque homme, et chacun fut inscrit sur le rôle, non pour tout son bien, mais pour la somme de capital imposable correspondante à son bien, suivant la proportion admise. Dans la première classe ou la plus riche, la proportion entre le capital imposable et le bien actuel fut plus grande que dans la moins riche ; dans la seconde, la proportion fut plus grande que dans la troisième. La somme de tous ces articles de capital imposable, dans toutes les différentes classes, luise en regard du nom de chaque homme dans le rôle, constitua le cens collectif d’Athènes, sur lequel toute taxe foncière directe fut imposée, en proportion égale sur chaque individu.

Relativement aux modifications antérieures dans le registre de propriété imposable, ou aux particularités dans sa division en classes, qui avaient été introduites en 403 avant J.-C., lors de l’archontat d’Eukleidês, nous n’avons pas d’informations. Nous ne pouvons pas non plus établir le chiffre ni le nombre des taxes foncières directes imposées à Athènes entre cet archontat et celui de Nausinikos en 378 avant .I.-C. Mais à cette dernière époque le registre fut de nouveau considérablement modifié au moment oh Athènes se préparait à faire de plus grands efforts. On évalua de nouveau la propriété de tout homme possédant un bien qui montait à vingt-cinq mines (ou deux mille cinq cents drachmes) et au-dessus. D’après cette évaluation, chacun fut inscrit sur le rôle pour une somme de capital imposable égale à une fraction donnée de ce qu’il possédait. Mais cette fraction fut différente dans chacune des différentes classes. Combien y eut-il de classes, c’est ce que nous ne savons pas d’une manière certaine, et nous ne pouvons pas dire non plus, si ce n’est par rapport à la plus basse classe taxée, quelle somme fut prise comme minimum pour chacune d’elles. Toutefois, il n’a pu guère y avoir moins de trois classes, et il a pu probablement y en avoir quatre. Mais relativement à la première classe ou la plus riche, nous savons que chaque homme fut inscrit dans le rôle pour un capital imposable égal à un cinquième de son bien d’après l’estimation, et que des possesseurs de quinze talents y étaient compris. Le père de Démosthène mourut cette année-là, et Démosthène enfant fut rendu par ses tuteurs à la première classe comme possesseur de quinze talents ; alors son nom fut inscrit sur le registre avec un capital imposable de trois talents mis en regard de son nom, ce qui était un cinquième de son bien actuel. Le capital imposable de la seconde classe fut inscrit à une fraction inférieure à un cinquième des biens actuels de ses membres (assez probablement, un sixième, comme pour tous les metœki inscrits) ; celui de la troisième, à une fraction encore plus petite ; celui de la quatrième (s’il y avait une quatrième classe), à une fraction plus petite que la troisième. Cette dernière classe descendit jusqu’au minimum de vingt-cinq mines ou deux mille cinq cents drachmes, au-dessous de quoi on ne compta plus[78].

Outre les capitaux imposables des citoyens, gradués ainsi, le rôle comprenait aussi ceux des metœki ou étrangers résidant, qui furent inscrits chacun (sans aucune différence de bien plus grand ou plus petit, au-dessus de vingt-cinq mines) pour un capital imposable égal à un sixième de son bien actuel[79], proportion moindre que la classe la plus liche de citoyens, et probablement égale à la seconde classe en ordre de richesses. Tous ces articles additionnés montaient à cinq mille sept cent cinquante ou six mille talents[80], formant le rôle collectif de propriété imposable, c’est-à-dire quelque chose qui se rapprochait de six mille talents environ. Une taxe foncière ne faisait point partie des moyens réguliers de l’État. Elle n’était imposée que dans des occasions spéciales, et toutes les fois qu’elle l’était, elle avait ce rôle pour base, — chaque homme, riche ou pauvre, étant taxé également, suivant son capital imposable qui y était inscrit. Une taxe foncière de 1 p. 100 produisait ainsi soixante talents ; de 2 p. 100, cent vingt talents, etc. Il est extrêmement probable que les efforts d’Athènes pendant l’archontat de Nausinikos, où ce nouveau rôle fut préparé four la première fois, a pu faire qu’on imposa alors une taxe foncière, mais nous n’en connaissons pas le chiffre[81].

En même temps que ce nouveau rôle de capital imposable, on fit une nouvelle répartition des citoyens en certaines classes appelées Symmories. Autant que nous pouvons l’établir, dans un sujet fort obscur, il semble que ces symmories étaient au nombre de vingt, deux pour chaque tribu ; que chacune contenait soixante citoyens, faisant ainsi douze cents en tout ; que ces douze cents étaient les citoyens les plus riches sur le rôle, — contenant peut-être les deux premières des quatre classes inscrites. Toutefois, parmi ces douze cents, les trois cents plus riches ressortaient comme corps séparé ; trente pour chaque tribu. Ces trois cents étaient les hommes les plus riches de la cité, et étaient appelés les commandants ou chefs de Symmories. Les trois cents et les douze cents correspondaient, pour parler en nombre rond, aux anciennes classes soloniennes des pentakosiomedimni et des hippeis, cette dernière classe ayant également compris douze cents membres au commencement de la guerre du Péloponnèse[82]. Les liturgies, ou fonctions onéreuses et coûteuses, étaient remplies principalement par les Trois Cents, mais en partie aussi par les Douze Cents. Il semblerait que les premiers fussent un corps essentiellement flottant, et qu’après qu’un homme en avait fait partie pendant quelque temps, s’acquittant des fonctions onéreuses qui étaient attachées, les stratêgi ou généraux permissent qu’il fût mêlé aux Douze Cents, et qu’ils fissent monter un membre de ce dernier corps pour prendre sa place dans les Trois Cents. Quant aux rapports d’homme à homme aussi, la loi attique admettait toujours le procédé appelé antidosis ou échange de biens. Tout citoyen qui croyait qu’il avait été surchargé lui-même de liturgies coûteuses, et qu’un autre citoyen, aussi riche ou plus riche que lui-même, n’avait pas eu sa part équitable, — pouvait, si on lui imposait une nouvelle liturgie, demander que l’autre s’en chargeât à sa place et en cas de refus, il pouvait lui proposer un échange de biens, sous l’engagement qu’il prendrait sur lui la nouvelle charge si on lui transmettait les biens de l’autre.

Il faut faire remarquer que, outre les douze cents plus riches citoyens qui composaient les Symmories, il y avait un nombre plus considérable de citoyens moins fortunés qui n’y étaient pas compris, mais qui cependant étaient encore soumis à la taxe foncière ; personnes qui possédaient du bien, il partir du minimum de vingt-cinq mines, jusqu’à un maximum que nous ne connaissons pas, point auquel commençaient les Symmories, — et qui correspondaient, sans parler avec précision, à la troisième classe cru Zeugitæ du cens solonien. Les deux Symmories de chaque tribu (comprenant ses cent vingt plus riches membres) surveillaient le registre des biens de chaque tribu, et percevaient les contributions dues par ses membres moins riches inscrits. À l’occasion, quand l’État demandait un payement immédiat, les trente hommes les plus riches de chaque tribu (composant en tout les trois cents) avançaient tous le montant de la taxe qui devait être imposée sur la tribu, ayant leur moyen légal d’action contre les autres membres pour le recouvrement de la somme qu’il s’agissait d’imposer sur chacun. Les plus riches citoyens étaient ainsi à la fois armés de droits et chargés de devoirs, tels qu’il ne leur en avait pas appartenu avant l’archontat de Nausinikos. Leur intervention (supposait-on) faisait que le rôle se rapprochait plus de la vérité quant à l’imposition établie sur chaque individu, tandis que les sommes réellement imposées arrivaient plus immédiatement que si l’État intervenait directement par des officiers à lui. Peu après, le système des Symmories fut étendu à la triérarchie ; changement auquel on n’avait pas songé d’abord. Chaque Symmorie avait ses chefs, ses administrateurs, ses officiers chargés d’établir les taxes, agissant sous la présidence générale des Stratêgi. Vingt-cinq ans plus tard, nous voyons également Démosthène (âgé alors de trente ans environ) recommander une application encore plus compréhensive du même principe, de manière que toutes les ressources et forces de l’État, hommes, argent, vaisseaux, pussent être ainsi divisées en fractions distinctes, et attribuées à des Symmories distinctes, chacune avec des devoirs -connus d’une étendue limitée que devaient remplir les personnes qui la composaient, et chacune exposée non seulement à une poursuite légale, mais encore à la perte de l’estime, dans le cas où ces devoirs ne seraient pas remplis. Toutefois on verra plutôt qu’en pratique on finit par faire un grand abus du système des Symmories, qui produisit des effets pernicieux qu’on n’avait pas prévus.

Toutefois, actuellement je me borne à mentionner cette nouvelle classification financière et politique introduite en 378 avant J.-C., comme une preuve de l’ardeur avec laquelle Athènes s’embarqua dans sa guerre projetée contre Sparte. Le sentiment, chez les Thêbains ses alliés, n’était pas moins déterminé. Le gouvernement de Leontiadês et de la garnison spartiate avait laissé derrière lui une antipathie si forte, que la grande majorité des citoyens, se jetant sincèrement dans la révolution soulevée contre eux, se prêta à tous les ordres de Pélopidas et de ses collègues, qui, de leur côté, n’eurent pas d’autre pensée que celle de repousser l’ennemi commun. Le gouvernement thêbain devint alors probablement démocratique dans sa forme ; et plus encore démocratique en, esprit, par l’ardeur unanime qui régnait dans toute la masse. Ses forces militaires furent soumises à l’éducation la meilleure ; la portion la plus fertile de la plaine au nord de Thèbes, d’où venait la principale subsistance de la cité, fut entourée d’un fossé et d’une palissade[83], pour repousser l’invasion spartiate attendue ; et l’on organisa alors pour la première fois le mémorable Bataillon Sacré. C’était une brigade de trois cents hoplites, appelée le Lochos ou régiment de la cité, en ce qu’elle était consacrée à la défense de la Kadmeia ou Acropolis[84]. Elle fut tenue constamment en armes et soumise à des exercices aux frais de l’État, comme les Mille à Argos, dont j’ai fait mention dans le cinquième chapitre du neuvième volume de cette Histoire, Elle se composait de citoyens jeunes des meilleures familles, distingués par leur force et leur courage dans les sérieuses épreuves de la palestre de Thèbes, et elle était organisée de manière que chaque couple de soldats voisins fût formé en même temps d’amis intimes ; de sorte que tout le bataillon était ainsi uni par des liens qu’aucun danger ne pouvait rompre. D’abord, sa première destination sous Gorgidas son commandant — comme nous le voyons par les Trois Cents, hommes d’élite qui combattirent en 424 avant J.-C. à la bataille de Dêlion[85] — fut de composer les rangs de devant que devait suivre le corps général des hoplites. Mais par une circonstance qui sera bientôt mentionnée, il finit par être employé comme un régiment isolé, et dans une charge il fut alors impossible de lui résister[86].

Nous devons faire remarquer que les Thêbains avaient toujours été de bons soldats, tant comme hoplites que comme cavaliers. Aussi l’enthousiasme actuel, avec l’éducation plus soutenue, ne fit-il que les rendre beaucoup meilleurs, de bons qu’ils étaient. Mais Thèbes, à, ce moment, fut favorisée d’une autre bonne fortune, telle qu’il ne lui en était jamais encore échu. Elle trouva parmi ses citoyens un chef du mérite le plus rare. A ce moment, Epaminondas, fils de Polymnis, se montre pour la première fois dans la vie publique de la Grèce. Sa famille, plutôt pauvre que riche, était au nombre des plus anciennes de Thèbes ; elle appartenait à ces Gentes appelées Sparti, dont les ancêtres héroïques étaient nés, disait-on, des dents du dragon semées par Kadmos[87]. Il semble avoir été alors d’âge moyen ; Pélopidas était plus jeune, et d’une famille très riche ; cependant les relations entre eux deux étaient celles d’une amitié égale et intime, attestée dans un jour de bataille où ils étaient rangés côte à côte comme hoplites, et où Epaminondas avait sauvé la vie à son ami blessé, en recevant lui-même plusieurs blessures et en courant le plus grand danger possible[88].

Épaminondas avait rempli avec ponctualité les devoirs militaires et gymnastiques obligatoires pour tout citoyen thêbain. Mais on nous dit que dans les gymnases il s’appliqua à acquérir le maximum d’activité plutôt que de force ; les mouvements agiles d’un coureur et d’un athlète — et non la lourde constitution musculaire, obtenue en partie par une nourriture excessive, du pugile bœôtien[89]. Il apprit également la musique vocale et instrumentale, et la danse ; ce qui dans ces temps signifiait, non pas simplement le talent de jouer de la lyre ou de la flûte, mais tout ce qui appartenait au maniement gracieux, expressif et accentué, soit de la voix, soit du corps : prononciation rythmique, exercée par la répétition des poètes, — et mouvements disciplinés, pour prendre part à une fête chorique avec un accord convenable au milieu d’une foule d’acteurs citoyens. De cette double éducation gymnastique et musicale, dont la combinaison constituait un citoyen grec accompli, la première prédominait à Thèbes, la seconde à Athènes. De plus, à Thêbes, l’éducation musicale avait pour base plutôt la flûte (pour la construction de laquelle des roseaux excellents poussaient pris du lac Kopaïs) ; à Athènes, plutôt la lyre, qui permettait à l’exécutant de marier sa voix aux sons de son instrument. On entendit l’athénien Alkibiadês[90] faire la remarque, lorsqu’il jeta sa flûte avec dégoût, que jouer de la flûte était une occupation bonne pour les Thêbains, puisqu’ils ne savaient pas parler ; et par rapport aux compatriotes de Pindare[91] en général, la remarque n’était guère moins vraie que méprisante. Sur ce point capital, Epaminondas forma une brillante exception. Non seulement il apprit la lyre[92] aussi bien que la flûte avec les meilleurs maîtres, mais encore, différant de son frère Kapheisias et de son ami Pélopidas, il manifesta, dès ses plus jeunes années, un ardent penchant intellectuel qui eût été remarquable même dans un Athénien. Il recherchait avec empressement la conversation des philosophes à sa portée, au nombre desquels était le Thêbain, Simmias et le Tarentin Spintharos., tous deux jadis compagnons de Sokratês ; de sorte que l’influence stimulante de la méthode socratique pénétra ainsi, partiellement et de seconde main dans le cœur d’Épaminondas. Comme les relations entre Thèbes et Athènes depuis la fin de la guerre du Péloponnèse, étaient devenues de plus en plus amicales, et qu’elles finirent par amener une alliance et une guerre combinée contre Sparte, — nous pouvons raisonnablement présumer qu’il profita des maîtres de la seconde ville aussi bien que de la première. Mais la personne à laquelle il se voua particulièrement, et que non seulement il écouta comme disciple, mais qu’il soigna presque comme fils pendant les dernières années d’un âge avancé, — ce fut un exilé Tarentin, nommé Lysis, membre de la confrérie pythagoricienne, qui, polir des causes que nous ne pouvons découvrir, avait cherché un asile à Thèbes et qui y resta jusqu’à sa mort[93]. C’est avec lui, aussi bien qu’avec d’autres philosophes qu’Epaminondas discutait tous les sujets d’études et de recherches alors en vogue. En persévérant dans cette marche pendant quelques années, non seulement il acquit une instruction positive considérable, mais encore il devint familier avec des combinaisons intellectuelles nouvelles et plus larges, et fut, comme Periklês[94], affranchi de cette interprétation timide de la nature qui rendit tant de commandants grecs esclaves des signes et des présages. Sa patience comme auditeur, et son indifférence pour briller lui-même en parlant étaient si remarquables que Spintharos (père d’Aristoxenos), après de nombreuses conversations avec lui, affirmait qu’il n’avait jamais rencontré personne qui comprit plus ni qui parlât moins[95].

 

À suivre

 

 

 



[1] Thucydide, I, 124.

[2] Lysias, Fragm. Orat. XXXIII (Olympic.), éd. Bekker ap. Denys Hal., Judic. de Lysiâ, p. 520-525, Reiske.

Éphore parait avoir affirmé qu’il y eut un plan concerté entre le roi de Perse et Denys, pour attaquer la Grèce de concert et se la partager (V. Ephori Fragm. 141, éd. Didot). L’assertion est faite par le rhéteur Aristide, et l’allusion à Éphore est conservée ici par le Scholiaste à Aristide (qui cependant s’est trompé, en la rapportant à Denys le jeune). Aristide attribue l’insuccès de cette attaque à la valeur de deux généraux athéniens, Iphikratês et Timotheos, dont le premier captura la flotte de Denys, tandis que le second défit la flotte lacédæmonienne à Leukas. Mais ces événements arrivèrent en 373-372 avant J.-C., alors que la puissance de Denys n’était ni si formidable ni si agressive qu’elle l’avait été entre 387-382 avant J.-C. ; de plus les vaisseaux pris par Iphikratês étaient seulement au nombre de dix, une petite escadre. Aristide me parait avoir mal compris la date à laquelle se rapportait réellement l’assertion d’Éphore.

[3] Voir Pseudo-Andocide, cont. Alkibiadês, s. 30, et tome IX, ch. 5 de cette Histoire.

[4] Denys d’Halicarnasse, Judic. de Lvsiâ, p. 319 ; Diodore, XIV, 109.

Denys ne spécifie pas la date de ce discours de Lysias ; mais Diodore le place dans l’Olympiade 98, 388 avant J.-C., — l’année avant la paix d’Antalkidas. Sur ce point, je me permets de m’éloigner de lui et de l’assigner à l’olympiade 99, ou 384 avant J.-C., trois ans après la paix ; d’autant plus que sa chronologie olympique ne me paraît pas claire, comme on peut le voir en comparant XV, 7, avec XIV, 109.

1° L’année 388 avant J.-C. fut une année de guerre, dans laquelle Sparte, avec ses alliés d’un côté — et Thêbes, Athènes, Corinthe et Argos de l’autre, — étaient en hostilités acharnées. La guerre dut empêcher les quatre états mentionnés en dernier lien d’envoyer quelque légation publique sacrifier à la fête Olympique. Lysias, comme metœkos athénien, n’aurait pu guère N aller, mais certainement il n’aurait pas pu y aller pour y faire une démonstration oratoire publique et hardie.

2° Le langage de Lysias implique que le discours fut prononcé après la cession des Grecs asiatiques à la Perse. Cela est tout à fait convenable après la paix d’Antalkidas, mais ce n’est nullement admissible avant cette paix. On peut dire la même chose de la phrase — ού γάρ άλλοτρίας δεΐ τας τών άπολωλότώς συμφοράς νομϊζειν, άλλ̕ οίκείας ; ce qui doit être rapporté à la récente sujétion des Grecs asiatiques par la Perse, et des Grecs italiens et siciliens par Denys.

3° En 388 avant J.-C. — quand Athènes et une portion si considérable des grandes cités de la Grèce étaient en guerre avec Sparte et conséquemment contestaient sa suprématie, — Lysias aurait difficilement parlé, des Spartiates comme ήγεμόνες τών Έλλήνων, ούκ άδίκως, καί δία τήν έμφυτον άρετήν καί διά τήν πρός τόν πόλεμον έπιστήμην. Cette remarque est faite également par Sievers (Geschich. Griech. bis zur Schlacht von Mantineia, p. 138). Et il n’aurait pas déclamé si ardemment contre le roi de Perse, à une époque où Athènes ne désespérait pas encore d’avoir son aide contre Sparte.

Pour ces raisons (aussi bien que pour d’autres que j’exposerai en racontant l’histoire de Denys), il rue semble que le discours de Lysias ne convient pas à 388 avant J.-C., — mais convient parfaitement à 381 avant J.-C.

[5] Lysias, Orat. Olymp. Fragm.

[6] Isocrate, Or. IV (Panegyr.), s. 145, 146 : cf. son Discours VIII, De Pace, s. 122, et Diodore, XV, 23.

Denys de Syracuse avait envoyé vingt trirèmes rejoindre les Lacédæmoniens à l’Hellespont, peu de mois avant la paix d’Antalkidas (Xénophon, Helléniques, V, 1, 26).

[7] Xénophon, Helléniques, V, 4, 1.

Ce passage est convenablement caractérisé par le docteur Peter (dans sa Commentatio Critica in Xenophontis Hellenica, Halle, 1837, p. 82) comme le point critique de l’histoire : Hoc igitur in loto quasi editiore operis sui Xenophon subsistit, atque uno in conspectu Spartanos, et ad sua felicitatis fastigium ascendere videt, et rursus ab eo delabi : tanta autem divina ; justitiæ conscientia tangitur in hac Spartanorum fortuna conspicua, ut vix suum judicium, quanquam id solet facere, suppresserit.

[8] Voir la fin du ch. 1 du tome X de cette Histoire.

[9] Sophokle, Œdipe Tyr., 450 ; Antigone, 1066.

[10] Plutarque, Pélopidas, c. 6 ; cf. Plutarque, De Gen. Socrat., c. 29, p. 596 B.

[11] Xénophon, Helléniques, V, 4, 14.

[12] Plutarque, De Gen. Soc., c. 33, p. 589 B. C.

Parmi ces prisonniers était un Thêbain distingué du parti démocratique, nommé Amphitheos. Il devait être bient6t exécuté ; et les conspirateurs, qui lui étaient attachés personnellement, semblent avoir accéléré l’heure de leur complot pour sauver sa vie (Plutarque, De Gen. Socrat., p. 577 D, p. 586 F).

[13] Le langage de Plutarque (De Gen. Socrat., c. 33, p. 598 C) est expliqué par la description faite dans le discours de Lykurgue, cont. Leokratês (c. XI, s. 40), — de l’alarme universelle qui régna à Athènes après la bataille de Chæroneia, au point que même les femmes ne pouvaient rester dans leurs maisons. Cf. également les mots de Makaria, dans les Hêrakleidæ d’Euripide, 475, et Diodore, XIII, 55, — dans sa description de la prise de Sélinonte en Sicile.

[14] Plutarque, Pélopidas, c. 6.

Voir ce sentiment de gratitude de la part de démocrates athéniens à l’égard de ceux des Thêbains qui leur avaient donné asile à Thêbes pendant leur exil avec Thrasyboulos, — présenté d’une manière frappante dans un discours de Lysias, dont par malheur il ne nous reste qu’un fragment (Lysias, Fragm. 46, 37, Bekk. ; Denys d’Halicarnasse, Judic. de Isæo, p. 594). Celui qui prononce ce discours avait été reçu à Thêbes par Kephisodotos, père de Pherenikos ; ce dernier était actuellement en exil à Athènes, et l’orateur n’avait pas seulement bien accueilli Pherenikos dans sa maison avec une affection fraternelle, mais il avait encore prononcé ce discours en sa faveur devant le dikasterion ; Pherenikos ayant des droits légitimes aux biens laissés vacants par l’assassinat d’Androkleidas.

[15] Diodore, XV, 25 ; Plutarque, Pélopidas, c. 12 ; Plutarque, De Gen. Socr., c. 17, p. 586 E.

Dans un autre passage de ce traité (l’avant-dernière phrase), il donne le nombre dans la Kadmeia comme étant de 5.000 ; mais il est très probable que le plus petit nombre est le vrai.

[16] Plutarque, De Gen. Socr., c. 4, p, 577 B ; c. 17, p. 587 B ; c. 25, p. 594 C ; c. 27, p. 595 A.

[17] Plutarque, Pélopidas, c. 7, 8. Plutarque, De Gen. Socrat., c. 17, p. 587 D.

[18] Xénophon dit sept (Helléniques, V, 4, 1, 2) ; Plutarque et Cornélius Nepos douze (Plutarque, De Gen. Socrat., c. 21 p. 576 C ; Plutarque, Pélopidas, c. 8-13 ; Cornélius Nepos, Pélopidas, c. 2).

Il est remarquable que Xénophon ne mentionne jamais le nom de Pélopidas dans cette conspiration, ni au fait (à une seule exception près) d’un bout à l’autre de ses Hellenica.

[19] Plutarque, De Gen. Socrat., c. 3, p. 576 E ; p. 577 A.

Les femmes thêbaines se faisaient remarquer pour leur figure et leur beauté majestueuses (Dikæarque, Vit. Græc., p. 144, éd. Fuhr.).

[20] Xénophon, Helléniques, V, 4, 4. Plutarque, De Gen. Socrat., c.4, p. 577 C ; Plutarque, Pélopidas, c. 9.

[21] Plutarque (Pélopidas, c. 25 ; De Gen. Socrat., c. 26, p. 594 D) mentionne parmi eux Menekleidês, Darriokleidas et Theopompos. Cf. Cornélius Nepos, Pélopidas, c. 2.

[22] Plutarque, Pélopidas, c. 8 ; Plutarque, De Gen. Socrat., c. 17, p. 586 B ; c. 18, p. 587 D-E.

[23] Xénophon ne mentionne pas cette invitation que reçut Charôn, et cette visite séparée qu’il fit aux polémarques, — ni rien de la scène avec son fils. Il signale seulement Charôn comme ayant accueilli les conspirateurs dans sa maison, et il semble parler de lui comme d’une personne de peu de conséquence (V, 4, 3).

L’anecdote est mentionnée dans les deux compositions de Plutarque (De Gen. Socr., c. 28, p. 595, et Pélopidas, c. 9), et elle est trop intéressante pour être omise, étant parfaitement compatible avec ce que nous lisons dans Xénophon, bien qu’elle ait peut-être un air quelque peu théâtral.

[24] Plutarque, Pélopidas, c. 10 ; De Gen. Socrat., c. 30, p. 596 F.

Cette circonstance également n’a pas place dans le récit de Xénophon. Cornélius Nepos, Pélopidas, c. 3. Æneas (Poliorcetic., 31) fait allusion en général à l’omission de l’ouverture immédiate de la lettre survenue, comme ayant causé la prise de la Kadmeia, qui cependant n’en fut que la conséquence éloignée.

[25] La description que fait Xénophon de cet assassinat des polémarques à Thèbes diffère essentiellement de celle de Plutarque. Je suis Xénophon en général, en introduisant toutefois plusieurs des détails trouvés dans Plutarque, qui sont intéressants et qui ont l’air d’être authentiques.

Xénophon lui-même donne à entendre (Helléniques, V, 4, 7) qu’outre l’histoire donnée dans le texte, il y en avait aussi une autre racontée par quelques personnes, — à savoir que Mellôn et ses compagnons avaient eu accès auprès des polémarques comme des convives en état d’ivresse. C’est ce dernier récit que Plutarque a adopté et qui l’entraîne dans maints détails tout à fait incompatibles avec le récit de  Xénophon. Je crois l’histoire des conspirateurs introduits en costume de femme le plus probable des deux. Il est appuyé par l’analogie exacte de ce que nous dit Hérodote relativement à Alexandre, fils d’Amyntas, prince de Macédoine (Hérodote, V, 20).

Cf. Plutarque, Pélopidas, c. 10, 11. Plutarque, De Gen. Socrat., c. 31, p 597. Polyen (II, 4, 3) donne un récit avec beaucoup de circonstances différentes, s’accordant toutefois avec le fait que Pélopidas, en costume de femme, tua le général spartiate. L’histoire à laquelle Aristote fait allusion (Politique, V, 5, 10), bien qu’il nomme et Thèbes et Archias, ne peut guère se rapporter à cet événement.

C’est cependant Plutarque qui mentionne la présence de Kabeirichos l’archonte au banquet, et la curieuse coutume thêbaine que l’archonte, pendant son année de charge, ne quittait jamais la lance consacrée. Comme natif de Bœôtia, Plutarque était sans doute familier avec ces vieilles coutumes.

Sur quels autres auteurs, Plutarque copia-t-il les abondants détails de cette révolution à Thèbes, qu’il mêle dans la vie de Pélopidas et dans le traité appelé : De Genio Socratis, — c’est ce que nous ignorons. Quelques critiques supposent qu’il les a empruntés à Dionysodôros et à Anaxis, — historiens bœôtiens dont l’ouvrage comprenait cette période, mais dont il ne reste pas un seul fragment (V. Fragm. Histor. Græc., éd. Didot, vol. II, p. 84).

[26] Xénophon, Helléniques, V, 4, 9 ; Plutarque, Pélopidas, c. 2, 12, et De Gen. Socrat., p. 597 D-F. Ici encore Xénophon et Plutarque diffèrent ; ce dernier avance que Pélopidas entra dans la maison de Leontiadês sans Phyllidas, — ce qui me paraît entièrement improbable. D’autre part, Xénophon ne dit rien de la défense de Leontiadês et de son conflit personnel avec Pélopidas, que je copie sur Plutarque. Vu homme aussi brave que Leontiadês, éveillé et n’ayant point bu, n’a pas dû se laisser tuer sans une défense dangereuse pour les assaillants. Plutarque, dans un autre endroit, signale la mort de Leontiadês comme la circonstance marquante de toute la glorieuse entreprise, et comme celle qui fit le plus d’impression sur Pélopidas (Plutarque : — Non posse suaviter vivi secundum Epicurum, — p. 1099 A-E).

[27] Xénophon, Helléniques, V, 4, 8 ; Plutarque, Pélopidas, c. 12 ; De Gen. Socrat., p. 598 B.

[28] C’est un détail curieux que nous apprenons par Plutarque (De Gen. Socr., c. 34, p. 598 D).

Les inscriptions orchoméniennes dans la collection de Bœckh rappellent les prix donnés à ces Σαλπιγκταί ou trompettes (V. Bœckh, Corp. Inscr., n° 1584, 1585, etc.).

[29] La joie unanime qui accueillit dans Thèbes l’accomplissement de la révolution — et l’ardeur avec laquelle les citoyens finirent par l’appuyer au moyen d’une force armée — sont attestées par Xénophon, témoin assez mal disposé, — Helléniques, V, 4, 9.

[30] Plutarque, Pélopidas, c.12.

[31] Plutarque, De Gen. Socrat., p. 598 E ; Pélopidas, c. 12.

[32] Xénophon dit expressément que les athéniens oui furent appelés à Thèbes et qui y vinrent réellement furent les deux généraux et les volontaires, qui tous connaissaient le complot auparavant et étaient prêts sur les frontières de l’attique (Helléniques, V, 4, 9,10).

[33] Xénophon, Helléniques, V, 4, 10, 11. Diodore, XV, 25.

[34] Xénophon, Helléniques, V, 4, 12.

[35] Xénophon, Helléniques, V, 4, 13 ; Diodore, XV, 27.

Plutarque (Pélopidas, c. 13) augmente l’effet théâtral en disant que la garnison lacédæmonienne dans sa retraite rencontra réellement à Megara le renfort sous le roi Kleombrotos, qui s’était avancé jusque-là en marche pour délivrer la Kadmeia. Mais cela est extrêmement improbable. Le récit de Xénophon donne à entendre clairement que la Kadmeia fut livrée le lendemain matin après le mouvement de nuit. Les commandants capitulèrent dans le, premier moment de trouble et de désespoir, sans même soutenir un assaut.

[36] Arrien, I, 6.

[37] En racontant cette révolution qui s’opéra à Thêbes, et la conduite que les Athéniens tinrent à son égard, j’ai suivi Xénophon presque entièrement.

Diodore (XV, 25, 26), s’accorde avec Xénophon pour dire que les exilés thêbains revinrent d’Attique à Thèbes de nuit, en partie grâce au concours des Athéniens, — qu’ils tuèrent les gouverneurs, — appelèrent les citoyens à la liberté le lendemain matin, les trouvant tous dévoués à la cause, — et qu’ensuite ils se mirent en devoir d’assiéger les 1.500 Lacédæmoniens et Péloponnésiens sur la Kadmeia.

Mais après s’être accordé avec Xénophon jusque-là, Diodore expose ce qui suivit d’une manière tout à fait incompatible avec ce dernier ; ainsi (il nous dit) :

Le commandant lacédæmonien envoya sur-le-champ à Sparte la nouvelle de ce qui était arrivé et demanda un renfort. Les Thêbains essayèrent aussitôt de prendre la Kadmeia d’assaut, mais ils furent repoussés avec de grandes pertes, tant en morts qu’en blessés. Craignant de ne pouvoir s’emparer de la forteresse avant qu’un renfort vint de Sparte, ils envoyèrent à Athènes des ambassadeurs demander du secours, rappelant aux Athéniens qu’eux (les Thêbains) avaient aidé Athènes à s’affranchir des Trente et à rétablir la démocratie. Les Athéniens, en partie désirant reconnaître ce service, en partie souhaitant s’assurer les Thêbains comme alliés contre Sparte, décidèrent, par un vote public, qu’on les secourrait sur-le-champ. Demophôn le général réunit 5.000 hoplites et 500 cavaliers, avec lesquels il se rendit en hâte à Thèbes le lendemain, et toute la population se prépara à le suivre, s’il était nécessaire. Toutes les autres cités de Bœôtia envoyèrent également du secours à Thèbes, — de sorte qu’il s’y trouva réunie une armée considérable de 12.000 hoplites et de 2.000 cavaliers. Ces forces combinées, dont les Athéniens faisaient partie, assiégèrent la Kadmeia jour et nuit, se relevant tour à tour, mais elles furent repoussées avec de grandes pertes tant en tués qu’en blessés. A la fin, la garnison se trouva sans provisions, les Spartiates tardaient à envoyer du renfort, et une sédition éclata parmi les alliés péloponnésiens qui formaient la partie de beaucoup la plus considérable de la garnison. Les Péloponnésiens, refusant de combattre plus longtemps demandèrent avec instances qu’on capitulât ; ce que le gouverneur lacédæmonien fut obligé de faire de force, bien que lui et les Spartiates qui étaient avec lui désirassent tenir jusqu’à la mort. En conséquence, la Kadmeia fut livrée, et la garnison retourna dans le Péloponnèse. Le renfort lacédæmonien envoyé par Sparte arriva seulement un peu trop tard.

Toutes ces circonstances exposées par Diodore non seulement diffèrent complètement de Xénophon, nais elles sont inconciliables avec sa conception de l’événement. Nous devons rejeter l’un ou l’autre.

Or Xénophon est non seulement le meilleur témoin des deux, mais il est, dans la circonstance actuelle, soutenu par toutes les probabilités collatérales du cas.

1° Diodore représente les Athéniens comme ayant envoyé par un vote public du secours à Thèbes, afin de la récompenser du secours que les Thêbains avaient expédié auparavant pour rétablir la démocratie athénienne contre les Trente. Or cela est inexact comme fait. Les Thêbains n’avaient jamais envoyé aucun secours, positif ou ostensible, à Thrasyboulos et aux démocrates athéniens contre Thèbes. Ils avaient assisté Thrasyboulos sous main et sans acte public du gouvernement, et ils avaient refusé de servir avec les Spartiates contre lui. Hais ils n’envoyèrent jamais de forces pour l’aider contre les Trente. Conséquemment, les Athéniens ne pouvaient pas lors avoir envoyé de forces publiques à Thêbes pour acquitter un service semblable que les Thêbains leur avaient rendu auparavant.

2° Si les Athéniens avaient voté en forme, envoyé une armée publique -considérable, et pris une part vigoureuse dans plusieurs assauts meurtriers contre la garnison lacédæmonienne dans la Kadmeia, — c’eût été le commencement le plus flagrant et le moins équivoque d’hostilités coutre Sparte. Après cela, aucun ambassadeur spartiate n’aurait pu aller à Athènes et demeurer en sûreté dans la maison du Proxenos, comme nous voyons par Xénophon qu’ils le firent. En outre, l’histoire de Spodrias (qui sera bientôt racontée) prouve clairement qu’Athènes était en paix avec Sparte, et n’avait commis aucun acte d’hostilité, contre elle pendant trois ou quatre mois ait moins après la révolution de Thêbes. Elle réfute donc le récit de Diodore an sujet du vote public des Athéniens et de l’armée athénienne publique sous Demophôn, aidant à attaquer la Kadmeia. Chose étrange à dire — Diodore lui-même, trois chapitres plus loin (XV, 29), raconte cette histoire au sujet de Sphodrias, précisément de la mène manière que Xénophon (avec peu de différence) ; il commence son récit en déclarant que les Athéniens étaient encore en paix avec Sparte, et il oublie qu’il avait raconté lui même une rupture distincte de cette paix du côté des Athéniens.

3° La nouvelle de la révolution de Thêbes doit nécessairement avoir complètement surpris le publie athénien (bien que quelques Athéniens connussent le projet), vu que c’était un projet qui n’avait et ante de réussir que par un profond mystère. Or, que le public athénien, qui apprenait la nouvelle pour la première fois, — qui n’avait pas à se plaindre positivement de Sparte, et avait beaucoup de raisons pour craindre son pouvoir, — sur lequel aucune circonstance antérieure n’avait agi ou que rien n’avait préparé à prendre une résolution dangereuse, — que ce public, dis-je, s’identifiât immédiatement avec Thèbes et provoquait la guerre avec Sparte de la manière impétueuse qu’avance Diodore, — cela, à mon sens, est éminemment improbable, et demande de, bonnes preuves qui nous amènent à y croire.

4° Admettez que l’assertion de Diodore soit vraie — quelle explication raisonnable peut-on donner de la version erronée que nous lisons dans Xénophon ? Les faits comme il les raconte sont en contradiction de la manière la plus frappante avec ses partialités philolaconiennes ; d’abord, le renversement de la puissance lacédæmonienne à Thèbes par une poignée d’exilés ; plus encore, toute l’histoire de Sphodrias et de son acquittement.

Mais admettez que l’assertion de Xénophon soit vraie, — et nous pouvons expliquer d’une façon très plausible l’origine de la version erronée de Diodore. Quelques mois plus tard, après l’acquittement de Sphodrias à Sparte, les Athéniens en réalité entrèrent sincèrement dans l’alliance de Thèbes et envoyèrent une armée publique considérable (dans le fait cinq mille hoplites, le même nombre que celui des soldats de Demophôn, selon Diodore, c. 321 pour l’aider à repousser Agésilas avec l’armée spartiate. Il n’est nullement extraordinaire que leur vote public et leur expédition entreprise vers juillet 378 avant J.-C. — aient été reportés par erreur à décembre 379 avant J.-C. Les orateurs athéniens aimaient à dire avec jactance qu’Athènes avait sauvé Thêbes de Sparte, et cela pouvait se dire avec quelque vérité, par rapport è l’aide qu’elle lui prêta réellement plus tard. Isocrate (Or. XIV, Plataïc., s. 31) avance cette vanterie en termes généraux, mais Dinarque (cont. Demosth., s. 40) est plus distinct et donne en peu de mots une version semblable à celle que nous trouvons dans Diodore, et aussi Aristide dans deux allusions très brèves (Panathen., p. 172, et Or. XXXVIII, Socialis, p. 486-498). Il se peut qu’Aristide aussi bien que Diodore ait copié Ephore ; mais, quoi qu’il en soit, il est aisé de comprendre l’erreur qui a donné lieu à leur version.

5° En dernier lieu, Plutarque ne dit rien du vote publie des Athéniens ni de la division régulière de troupes de Demophôn, qui, suivant l’assertion de Diodore, aida à prendre la Kadmeia l’assaut. V. Plutarque (De Gen. Socrat. ad fin. Agesil., c. 23 ; Pélopidas 12, 13). Il donne seulement à entendre comme le fait Xénophon, qu’il y eut quelques volontaires athéniens qui assistèrent les exilés.

M. Rehdantz (Vitæ Iphicratis, Chabriæ, etc., p. 38-13) discute cette différence avec une longueur considérable, et cite à ce sujet divers auteurs allemands avec aucun desquels je ne suis complètement d’accord.

A mon sens, la solution propre est de rejeter complètement (comme appartenant à une époque postérieure) l’assertion de Diodore, relative au vote public à Athènes et à l’armée qui, selon lui, fut envoyée à Thêbes sous Demophôn, et d’accepter le récit plus croyable de Xénophon, qui attribue à Athènes une prudence raisonnable et une grande crainte de Sparte, — qualités dont les orateurs athéniens n’étaient pas disposés à se vanter. Suivant ce récit, la question de savoir si l’on enverrait des Athéniens pour aider à attaquer la Kadmeia n’aurait guère pu être soumise à une discussion publique, vu que la citadelle fut livrée immédiatement par sa garnison intimidée.

[38] L’audacieux coup de main de Pélopidas et de Mellôn, contre le gouvernement de Thêbes, a une analogie remarquable avec celui par lequel Evagoras entra dans Salamis et renversa l’ancien despote Isocrate. (Or. IX, Evagoras, s. 34).

[39] Voir, comme explication du sentiment grec sur ce point, Xénophon, Helléniques, III, 4, 19, et Xénophon, Encom. Agesil., I, 28.

[40] Si dans le fait nous pouvions croire Isocrate, parlant par la bouche d’un Platæen, il semblerait que les Thêbains, immédiatement après leur révolution, envoyèrent à Sparte une humble ambassade pour conjurer toute hostilité, prier d’être admis comme alliés, et promettre de rendre contre Ies Athéniens leurs bienfaiteurs des services tout aussi dévoués qu’en avait rendu le gouvernement déposé, ambassadeurs auxquels les Spartiates répondirent avec hauteur en leur enjoignant de recevoir leurs exilés, et de chasser les assassins Pélopidas et ses compagnons. Il est possible que les

Thêbains aient envoyé pour essayer s’ils pourraient échapper à l’inimitié spartiate ; mais il est extrêmement improbable qu’ils aient fait des promesses telles que celles qui sont mentionnées ici, et il est certain qu’ils commencèrent sans retard à se préparer vigoureusement pour cette hostilité qu’ils voyaient approcher.

V. Isocrate, Or. XIV (Plataïc.), s. 31.

Ce discours est mis dans la bouche d’un Platæen et semble être un assemblage de presque tous les arguments sur lesquels on pouvait insister, à tort ou à raison, contre Thêbes.

[41] Xénophon, Helléniques, V, 4, 14.

[42] Xénophon, Helléniques, V, 4, 13. Plutarque, Agésilas, c. 24.

[43] Xénophon, Helléniques, V, 4, 15-18.

[44] V. tome XI, ch. 4 de cette Histoire, au sujet du psêphisma de Kannônos.

[45] Xénophon, Helléniques, V, 4, 19 ; Plutarque, Pélopidas, c. 14.

Xénophon mentionne les ambassadeurs lacédæmoniens à Athènes, mais il ne dit pas expressément qu’ils fussent chargés de demander réparation pour la conduite de ces deux généraux ou îles volontaires. Toutefois je ne puis douter qu’il n’en fût ainsi ; car dans ces temps, il n’y avait pas d’ambassadeurs en résidence. — il n’y avait que des ambassadeurs envoyés avec des misions spéciales.

[46] Le jugement et la condamnation de ces deux généraux ont servi de fondement à un dur reproche fait à la démocratie athénienne. Waschsmuth (Hellen. Alterth., I, p. 651) les dénonce comme une horreur judiciaire, ou abomination, — ein Graenlgericht. Rehdantz (Vitæ Iphicrat., Chabriæ, etc., p. 44, 45) dit : — Quid ? quia invasionem Lacedæmoniorum viderant in Bœôtiam factam esse, non puduit eos, damnare imperatores quorum facta suis decretis comprobaverant ? …. Igitur hanc illius facinoris excusationem habebimus. Rebus quæ a Thebanis agebantur (i. e. par les propositions des Thêbains cherchant à être en paix avec Sparte, et essayant d’être comptés comme ses alliés, — selon l’allégation d’Isocrate, ce qui, à mon sens, est très inexactement rapporté, comme je l’ai mentionné plus haut) cognitis, Athenienses, quo enixius subvenerant, in major pœnitentia perculsi sunt... Sed tantum abfuit ut sibimet irascerentur, ut, e more Atheniensium, punirentur qui perfecerant id quod tum populos exoptaverat.

Les censures de Waschsmuth, de Rehdantz, etc., admettent comme fait réel : — 1° Que les Athéniens avaient rendu un vote en forme dans l’assemblée publique pour envoyer du secours a Thêbes sous deux généraux, qui en conséquence partirent à la tête de l’armée et remplirent leurs instructions. 2° Que les Athéniens, se repentant plus tard ou frappés de terreur, jugèrent et condamnèrent ces deux généraux pour avoir exécuté la commission qui leur avait été confiée.

J’ai déjà présenté (dans une note précédente) des raisons de croire que la première de ces affirmations est inexacte ; la seconde, comme en dépendant, sers donc inexacte également.

Ces auteurs me paraissent choisir ici une portion de chacun des deux récits incompatibles de Xénophon et de Diodore, et les confondre d’une manière qui contredit l’un et l’autre.

Ainsi, ils prennent à Diodore l’allégation que les Athéniens envoyèrent à Thêbes, par un vote public, une armée considérable qui combattit avec les Thêbains contre la Kadmeia, — allégation qui non seulement ne se trouve pas dans Xénophon, mais que son récit exclut évidemment, bien qu’indirectement.

Ensuite, ils prennent à Xénophon l’allégation que les Athéniens jugèrent et condamnèrent les deux généraux qui étaient complices le la conspiration de Mellôn contre les chefs thêbains (V, 1, 19). Or la mention de ces deux généraux suit d’une manière naturelle et logique dans Xénophon. II avait dit auparavant qu’il y eut deux des généraux athéniens qui aidèrent sous main à organiser le complot, et qui ensuite vinrent à Thèbes avec les volontaires. Mais elle ne peut s’ajusterait récit de Diodore, qui ne dit jamais un mot de cette condamnation par les athéniens, — ni ne fait aucune mention de deux généraux athéniens quelconques, Il nous dit que l’armée athénienne qui alla à Thèbes était commandée par Demophôn : il ne signale pas d’autre collègue. Il dit en termes généraux que la conspiration fut organisée « avec l’aide des Athéniens » sans dire un mot de deux généraux agissant spécialement.

Waschsmuth et Rehdantz regardent comme admis, très gratuitement, que ces deux généraux condamnés (mentionnés par Xénophon et non par Diodore) sont identiques à Demophôn et à un autre collègue, commandants d’une armée qui partit en vertu d’un vote public (mentionné par Diodore et non par Xénophon).

Les récits de Xénophon et de Diodore (comme je l’ai fait remarquer auparavant) sont distincts et incompatibles l’un avec l’autre. Nous avons à choisir entre eux. J’adhère à celui de Xénophon pour des raisons présentées antérieurement. Mais si quelqu’un préfère celui de Diodore, il doit alors rejeter complètement l’histoire de la condamnation des deux généraux athénien, (qui ne paraissent nulle part dans Diodore) et supposer que Xénophon fut mal informé sur ce point, comme sur les autres faits du cas.

Que les deux généraux athéniens (en admettant comme vraie la narration de Xénophon) fussent jugés et punis, quand les conséquences de leur conduite non autorisée menaçaient de retomber cruellement sur Athènes, — c’est ce qui ne me semble ni improbable ni déraisonnable. Ceux que choque le, rigueur de la sentence feront bien de lire les remarques que les ambassadeurs lacédæmoniens font (Xénophon, Helléniques, V, 4, 23) sur la conduite de Sphodrias.

Pour passer d’une sentence rigoureuse à une autre, — quiconque croit le récit de Diodore de préférence à celui de Xénophon doit regarder comme excessivement cruelle l’exécution des deux commandants lacédæmoniens qui livrèrent la Kadmeia. Suivant Diodore, ces officiers avaient fait tout ce que des hommes braves pouvaient faire : ils avaient résisté longtemps, repoussé beaucoup d’attaques, et ne furent empêchés de tenir plus longtemps que par une mutinerie dans leur garnison.

Ici encore, nous voyons la supériorité du récit de Xénophon sur celui de Diodore. Suivant le premier, ces commandants lacédæmoniens rendirent la Kadmeia sans faire aucune résistance. Leur condamnation, comme celle des deux généraux athéniens, devient une chose facile à comprendre et à expliquer.

[47] Tacite, Histoires, I, 38.

Cf. (dans Plutarque, Antoine, c. 32) la remarque de Sextus Pompée à son capitaine Menas, quand ce dernier lui demandait la permission de couper les câbles du vaisseau, pendant qu’Octave et Antoine dînaient à bord, et de se saisir de leurs personnes : — Je ne puis permettre une chose pareille, mais tu aurais dû le faire sans me demander la permission. Réponse familière aux lecteurs du drame de Shakespeare, Antoine et Cléopâtre.

[48] Kallisthenês, Fragm. 2, éd, Didot, apud Harpocration, v. Σφοδρίας ; Diodore, XV, 29 ; Plutarque, Pélopidas, c. 14 ; Plutarque, Agésilas, c. 24. Le faux calcul de Sphodrias quant au temps nécessaire pour se rendre à Peiræeus n’est pas pire que d’autres erreurs que Polybe raconte (dans un discours très instructif, IX, 12, 20, vraisemblablement extrait de ses commentaires perdus sur la Tactique, comme ayant été commises par divers autres habiles commandants.

[49] Xénophon, Helléniques, V, 4, 20 ; Diodore, XV, 29 ; Plutarque, Pélopidas, c. 14 ; Plutarque, Agésilas, c. 24, 25.

Diodore affirme que des ordres secrets furent donnés à Sphodrias par Kleombrotos.

En rejetant le soupçon mentionné par Xénophon, — à savoir que ce furent les chefs thêbains qui excitèrent et corrompirent Sphodrias, — nous pouvons faire remarquer : — 1° Que le plan aurait bien pu réussir, et son succès aurait été ruineux pour les Thêbains. S’ils avaient été les instigateurs, ils n’auraient pas manqué d’en donner avisa Athènes en même temps ; ce qu’ils ne firent certainement pas. 2° Que si les Lacédæmoniens avaient puni Sphodrias, il n’en fût pas résulté de guerre. Or tout le monde aurait prédit qu’en admettant que le plan échouât, ils le puniraient certainement. 3° Le vif intérêt pris dans la suite par Agésilas au sort de Sphodrias et le haut éloge qu’il fit du caractère de ce dernier, — s’accordent tout à fait avec la croyance de sa part que Sphodrias (comme Phœbidas) avait pu offenser une cité étrangère par excès d’ambition à servir son pays. Mais si Agésilas (qui détestait les Thêbains outre mesure) avait pensé que Sphodrias agissait sons l’influence de présents faits par eux, non seulement il eût été disposé à laisser la justice suivre son cours, mais il aurait approuvé et favorisé la condamnation.

Dans une occasion précédente (Helléniques, III, 5, 3), Xénophon avait imputé aux Thébains un raffinement semblable de stratagème, vraisemblablement avec aussi peu de raison.

[50] Xénophon, Helléniques, V, 22 ; Plutarque, Agésilas, c. 21.

[51] Xénophon, Helléniques, V. 4, 32.

Xénophon explique assez au long (V, 4, 25-33), et d’une manière très intéressante, tant les relations entre Kleonymos et Archidamos que l’appel d’Archidamos a son père. Le renseignement a tout l’air de dériver d’une connaissance personnelle, et la crainte seule d’être prolixe m’empêche de le donner en entier.

Cf. Plutarque, Agésilas, c. 25, Diodore, XV, 29.

[52] Xénophon, Helléniques, V, 4, 22-32.

[53] Xénophon, Helléniques, V, 4, 24.

[54] Xénophon, Helléniques, V, 4, 34-63.

[55] Xénophon, Helléniques, V, 4, 31 ; Xénophon, De Vectigal, V, 7 ; Isocrate, Or. XIV (Plataïc.), s. 20, 23, 37 ; Diodore, XV, 29.

[56] La contribution fut appelée alors σύνταξες et non φόρος : Isocrate, De Pace, s. 37-46 ; Plutarque, Phokiôn, c. 7 ; Harpocration, V. Σύνταξις.

Plutarque, De Fortuna Athen., p. 351.

[57] Isocrate, Or. XIV (Plataïc.), 5. 17. Diodore, XV, 28, 29.

Isocrate et Diodore parlent vaguement de ce vote, dans un langage qui pourrait nous faire croire que c’était un vote de restitution distincte, rendant des biens réellement possédés. Mais les Athéniens n’avaient jamais regagne réellement les propriétés privées situés au dehors et perdues à la fin de la guerre, bien qu’ils l’eussent fort désiré et qu’ils eussent nourri l’espérance qu’une tournure favorable de circonstances les mettrait à même d’effectuer ce recouvrement. Et comme, s’il se fût effectué, c’eût été aux dépens de ceux dont ils sollicitaient maintenant I’alliance, la renonciation publique et formelle de ces droits fut une mesure très politique et contribua beaucoup à apaiser l’inquiétude dans les îles, bien qu’en fait en ne céda rien que des droits sur des propriétés dont on ne jouissait pas réellement.

On a récemment découvert à Athènes une inscription qui rapporte le décret athénien original, dont les principales dispositions sont mentionnées dans mon texte. Il a pour date l’archontat de Nausinikos. Elle est avec les restaurations de M. Bœckh (par bonheur une portion en a été trouvée dans un état assez bon de conservation) dans l’appendice de la nouvelle édition de son ouvrage : — Ueber die Staatshaushattung der AthenerVerbesserungen und Nachtræge zu den drei Baenden der Staatshaushaltung der Athener, p. 20.

Ensuite vient une instruction portant que le secrétaire du sénat des Cinq Cents inscrira le décret sur une colonne de pierre, et le placera à côté de la statue de Zeus Eleutherios avec ordre aux trésoriers de la déesse de débourser soixante drachmes pour les frais de cette opération.

Il paraît qu’il est annexé à cette inscription une liste de celles des cités qui s’étaient déjà jointes à la confédération, avec certains autres noms ajoutés plus tard, de cités qui s’y réunirent subséquemment. L’inscription elle même ordonne que cette liste soit consignée.

Malheureusement M. Bœckh n’a pas annexé cette liste, qu’il dit en outre n’avoir été conservée que dans un état fragmentaire et en faible partie. Il signale seulement, comme y étant contenues, les villes de Poicessa et de Kôressos dans l’île de Keos, — et d’Antissa et d’Eresos dans Lesbos ; toutes les quatre comme communautés autonomes.

[58] Hérodote, I, 96.

[59] Tel est le sentiment qui se rattachait à Ζεύς Έλευθερίος. — Pausanias, le vainqueur de Platée, offre à Zeus Eleutherios un sacrifice solennel et des actions de grâces après la bataille dans l’agora de la ville (Thucydide, II, 71). De même Ies Syracusains immédiatement après l’expulsion de la dynastie gélonienne (Diodore, XI, 72) et Mæandrios à Samos (Hérodote, III, 142).

[60] Diodore, XV, 29.

[61] Diodore, XV, 29.

[62] Cornélius Nepos, Iphikratês, c. 2 ; Chabrias, c. 2, 3.

[63] V. un fragment intéressant (conservé par Athénée, IV, p. 131) de la comédie appelé Protesilaos, — par le poète athénien Anaxandridês (Meineke, Comic. Græc., Fragm. III, p. 182). Il contient une description curieuse des noces d’Iphikratês avec la fille de Kotys en Thrace, animées par un banquet abondant et par de nombreux coups de vin donnés à une foule innombrable de Thraces dans la place du marché.

Ou y voyait des vases d’airain aussi vastes que des cuviers à vin pleins de bouillons, — Kotys lui-même, le vêtement relevé autour du cops et servant le bouillon dans un bassin d’or, puis allant çà et là goûter tous les bois du vin et d’eau tout mélangés, jusqu’à va qu’il fût lui-même le premier homme enivré. Iphikratês amena d’Athènes plusieurs des meilleurs joueurs de harpe et de flûte.

La distinction entre le beurre que les Thraces mangeaient, ou dont ils se flottaient la peau, et l’huile d’olive habituellement employée en Grèce, mérite attention. Le mot αύγμηροκόμας semble indiquer l’absence de ces onguents parfumés qui, à un banquet de Grecs, auraient été appliqués aux cheveux des hôtes, leur donnant un lustre brillant et de l’humidité. Cependant il parait que les femmes lacédæmoniennes se frottaient quelque fois au beurre, et non d’huile : V. Plutarque, ad Koloten., p. 1109 B. Le nombre de stratagèmes guerriers en Thrace, attribués à Iphikratês par Polyen et par d’autres écrivains sur la tactique, indique que ses exploits y furent en renom aussi bien que continués longtemps.

[64] Théopompe, Fragm. 175, éd. Didot, Démosthène, Cont. Aristokratês, p. 664.

[65] Xénophon, Anabase, VII, 2, 38 ; VI 1, 5, 8 ; VII, 6, 43. Xénophon, Helléniques, I, 5, 17 ; Plutarque, Alkibiadês, c. 36.

V. aussi un passage frappant (dans Lysias, Or. XXVIII, cont. Ergoklês, s. 5) au sujet de l’avis donné à Thrasyboulos par un de ses concitoyens mécontents : cet avis consistait à s’emparer de Byzantion, à épouser la fille de Seuthês, et à défier Athènes.

[66] Æschine, Fals. Leg., c. 13, P. 249.

Comme analogie pour l’adoption d’Iphikratês, nous voyons Ada, reine de Karia, adopter comme fils Alexandre le Grand, adoption que ce prince ne déclina pas. Arrien, I, 23, 12. A quelle époque Amyntas prit-il cette mesure, c’est ce que nous ne pouvons pas établir distinctement : Amyntas mourut en 370 avant J.-C., tandis que de 378 à 371 avant J -C., Iphikratês semble avoir été en partie chargé du commandement de la flotte athénienne dans la mer ionienne (V. Rehdantz, Vitæ Iphicratis, etc., ch. 4) Ainsi l’adoption se fit à quelque moment entre 387-378 avant J.-C., peut-être après le rétablissement d’Amyntas dans ses possessions maritimes par l’expédition lacédæmonienne contre Olynthos, — 382-380 avant J.-C Amyntas était si faible et si peu en sûreté du côté des Thessaliens et d’autres voisins sur terre (V. Démosthène, Cont. Aristokratês, p. 657, s. 112) que c’était un grand avantage pour lui de cultiver la faveur d’un Athénien guerrier établi sur la côté de Thrace, tel qu’Iphikratês.

[67] De ces absences d’Hommes tels qu’Iphikratês et Chabrias, on a tiré une conclusion qui condamne sévèrement le peuple athénien. Il avait un caractère si mauvais et si curieux (a-t-on dit), qu’aucun de ses généraux ne pouvait vivre à Athènes tranquillement ; tous vivaient au dehors autant qu’ils le pouvaient. Cornélius Nepos (Chabrias, c. 3) fait cette remarque, empruntée dans l’origine à Théopompe (Fr. 117, éd. Didot), et transcrite par maints commentateurs modernes comme si c’était une vérité exacte et littérale : Hoc Chabrias nuntio (i. e. en étant rappelé d’Égypte, par suite de la remontrance de Pharnabazos) Athenas rediit neque ibi diutius est moratus, quam fuit necesse. Non enim libenter erat ante oculos suorum civium, quod et vivebat laute et indulgebat sibi liberalius, quam ut inuidiam vulgi posset effugere. Est enim hoc commune vitium in magnis liberisque civitatibus, ut invidia gloriæ comes sit et libenter de his detrahant, quos eminere videant altius; neque animo æquo pauperes alienam opulentium intuuntur fortunam. Itaque Chabrias, cum ei licebat, plurimum aberat. Neque vero solus ille aberat Athenis libenter, sed omnes fere principes fecerunt idem, quod tantum se ab invidia putabant futuros, quantum a conspectu suorum recesserint. Itaque Conon plurimum Cypri vixit, Iphicrates in Thræcia, Timotheus Lesbo, Chares Sigeo.

Que le peuple d’Athènes, entre autres faiblesses humaines, eût sa bonne part d’envie et de jalousie, cela ne peut se nier ; mais que ces attributs lui appartinssent d’une manière marquée ou particulière, c’est ce qui (à mon sens) ne peut se démontrer par aucune preuve existante — et qui très certainement ne l’est pas par la preuve citée ici.

Chabrias aimait une vie de jouissances, de luxe et de plaisirs. Si au lieu d’être Athénien, il eût été Spartiate, il aurait indubitablement été forcé de s’expatrier pour satisfaire ce goût ; car c’étaient la tendance et le but exprès de la discipline spartiate, non pas d’égaliser les biens, mais d’égaliser les habitudes, les jouissances et les fatigue personnelles des riches et des pauvres. C’est un point que les admirateurs de Lykurgue, — Xénophon et Plutarque, — attestent non moins clairement que Thucydide, Platon, Aristote et autres. Si donc l’on considérait coquine une preuve d’envie et de mauvais caractère, d’empêcher des hommes riches de dépenser leur argent à se procurer des jouissances, nous pourrions à bon droit considérer le reproche comme établi contre Lykurgue et Sparte. Mais il ne l’est pas contre Athènes. Il n’y avait pas de ville en Grèce où les moyens de vivre dans le luxe et le bien-être fussent plus abondamment mis en vente, ni ou un homme riche eût plus complètement la liberté de les acheter. On en peut trouver partout des preuves. Même le fils de ce même Chabrias, — Ktesippos, — qui hérita de l’amour de son père pour les jouissances, sans hériter de ses qualités plus grandes, — trouva le moyen de satisfaire ce goût d’une manière malheureusement si facile, qu’il dissipa tout son avoir dans de pareilles dépenses (Plutarque, Phokiôn, c. 7 ; Athénée, IV, p. 165). Et Charès se plut même davantage à Athènes par suite de son amour de jouissances et de plaisirs, — si nous devons en croire un autre fragment (238) du même Théopompe.

Conséquemment, l’allégation de Théopompe et de Nepos n’est ni vraie comme fait, ni suffisante, si elle avait été vraie pour appuyer l’hypothèse d’un public athénien malveillant auquel ils la rattachent. Iphikratês et Chabrias ne résidaient pas loin d’Athènes parce qu’ils aimaient les jouissances ou craignaient l’envie de leurs compatriotes, niais parce que tous deux gagnaient beaucoup à le faire sous le rapport de l’importance, du profit et des goûts. Tous deux étaient des hommes πολεμικοί καί φιλοπόλεμος έσχάτως (pour employer une expression de Xénophon relative au Lacédæmonien Klearchos, Anabase, II, 6, 1), tous deux aimaient la guerre et avaient de grands talents pour la faire, — qualités entièrement compatibles avec un grand amour de jouissances, tandis que ni l’un ni l’autre n’avaient ni goût ni talent pour la routine et les débat, civils d’Athènes quand elle était en paix. De plus, chacun d’eux commandait un corps de peltastes, par le moyen duquel il pouvait obtenir un service lucratif aussi bien que de la distinction à l’étranger ; de sorte que nous pouvons assigner une raison suffisante pour laquelle tous deux préférèrent être absents d’Athènes pendant lit plus grande partie des neuf années que dura la paix d’Antalkidas. Ensuite Iphikratês fut au dehors pendant trois ou quatre ans, en service chez les satrapes persans par ordre des Athéniens ; Chabrias également alla longtemps après, encore au service de l’étranger, en Egypte, à l’époque où le roi spartiate Agésilas y était (sans toutefois qu’il y restât longtemps, puisque nous le trouvons partant en qualité de commandant d’Athènes pour la Chersonèse en 359-358 avant .7.-C. — Démosthène, cont. Aristokratês, p. 677, s. 201) ; mais ni lui ni Agésilas n’y allèrent pour échapper au mal de compatriotes envieux. Démosthène ne parle pas d’Iphikratês comme se trouvant mal à Athènes, ou comme désireux d’en sortir : V. Orat. cont. Meidiam, p. 535, s. 83.

De plus, quant à Konôn et à sa résidence à Kypros, il est vraiment surprenant de voir ce fait cité comme une explication de la jalousie on du mauvais caractère des Athéniens. Konôn alla à Kypros immédiatement après le désastre d’Ægospotami et y resta, c’est-à-dire resta loin d’Athènes pendant onze ans (405-393 av. J.-C.), jusqu’à l’année qui suivit sa victoire à Knidos. On se rappellera qu’il était un des six généraux athéniens qui commandaient la flotte à Ægospotami. Ce désastre, tout en causant à Athènes un hommage irréparable, était en même temps tel qu’il notait d’une infamie bien méritée les généraux en chef. Konôn fut moins coupable que ses collègues, en ce qu’il fut en état de s’échapper avec huit vaisseaux quand les autres furent capturés. Mais il ne pouvait espérer, et évidemment il n’espéra pas, pouvoir se montrer de nouveau dans Athènes, à moins de pouvoir racheter sa honte par quelque nouveau service signalé. Il paya noblement sa dette à son pays par la victoire de Knidos, en 394 avant J.-C., et alors il revint l’année d’après pour recevoir à Athènes un accueil honorable et reconnaissant. Environ une année ou deux après, il partit de nouveau comme ambassadeur pour la Perse au service de son pays. Il y fut arrêté et emprisonné par le satrape Tiribazos ; mais il réussit à s’échapper, et mourut à Kypros, à ce qu’il semblerait, vers 390 avant J.-C. Aussi rien ne peut-il être moins fondé que l’allégation de Théopompe, que Konôn vivait au dehors à Kypros, parce qu’il craignait les mauvaises dispositions imméritées du public à Athènes. Pendant combien de temps Timotheos peut-il avoir vécu à Lesbos, c’est ce que nous n’avons pas le moyeu de dire. Mais depuis Pannée370 avant J.-C. jusqu’à sa mort, nous entendons parler de lui si fréquemment ailleurs, au service de son pays, que sa résidence n’a pu être de longue durée.

[68] Æschine, Fals. Legat., c. 40, p. 283.

[69] L’emploi du nouveau mot συντάξεις, au lieu du terme impopulaire φόρους, est expressément attribué à Kallistratos, — Harpocration, in Voce.

[70] Isocrate donne le nombre de 21 cités (Or. XV, Permut., s. 120). Dinarque aussi, cont. Démosthène, s. 15 ; cont. Philoklês, s. 17. L’assertion d’Æschine, que Timotheos fit entrer 75 cités dans la confédération, semble bien forte et doit probablement comprendre tout ce que ce général eu acquit ou prit (Æschine, Fals. Leg., c. 24, p. 263). Bien que je regarde le nombre de 21 comme assez probable, cependant il est difficile d’identifier quelles étaient ces villes, mais Isocrate, en tant qu’il spécifie, comprend Samus, Sestos et Krithôtê, qui ne furent acquises que bien des années après, — en 366-365 avant J.-C.

Aucun de ces orateurs ne fait de distinction entre les cités que Timotheos fit entrer dans la confédération ou amena par la persuasion à s’y joindre, quand elle fut formée pour la première fois dans ce nombre, nous pouvons compter l’Eubœa ou la plus grande partie, — Plutarque, De Glor. Athen., p. 351 A, — et les autres qu’il prit plus tard en les assiégeant, comme Samos.

[71] Isocrate, Or. XIV, Plataïc., s. 30.

[72] Isocrate, Or. XIV, Plataïc., s. 20.

L’adverbe de temps employé ici indique vers 372 avant J.-C., une année avant la bataille de Leuktra environ.

[73] Diodore, XV, 30.

[74] Diodore, XV, 29.

Polybe (II, 62) dit que les Athéniens envoyèrent (et non pas simplement votèrent d’envoyer) 10.000 hoplites, et garnirent d’hommes 100 trirèmes.

Ces deux auteurs parlent de la résolution comme si elle avait été prise par les Athéniens seuls ; mais nous devons la considérer comme l’ayant été conjointement avec l’assemblée des alliés nouvellement réunie.

[75] Xénophon, De Vectignal, V, 6.

Dans les premières années de cette confédération, des offrandes votives de guirlandes ou couronnes, en signe de reconnaissance pour Athènes, furent décrétées par les Eubœens, aussi bien que par le corps général des alliés. On pouvait encore voir ces couronnes trente ans après à Athènes, avec des inscriptions commémoratives (Démosthène, cont. Androtion, c. 21, p. 616 ; cont. Timokratês, c. -11, p. 756).

[76] Pour la description du cens solonien. V. tome IV, ch. 4 de cette Histoire.

[77] C’est l’opinion de M. Bœckh, vraisemblablement exacte, autant qu’elle peut être établie sur un sujet très imparfaitement connu (Public Economy of Athens, B. IV, ch. 5).

[78] Démosthène, cont. Aphob., I, p. 815, 816 ; Cont. Aphob. II, p. 836 ; cont. Aphob. De Perjur., p. 862. Cf. Bœckh, Publ. Econ. Ath., IV, 7.

Dans l’exposition que fait M. Bœckh du nouveau rôle foncier introduit sous l’archontat de Nausinikos, il incline vers l’hypothèse de quatre classes distinctes distribuées ainsi (p. 671 de la nouvelle édition de sa Staatshaushattung der Athener) :

1° La première classe comprenait toutes les personnes qui possédaient du bien jusqu’à la valeur de 12 talents et au-dessus. Elles étaient inscrites sur le rôle, chacune pour un cinquième ou 20 p. 100 de son bien.

2° La seconde classe renfermait tous ceux qui possédaient des biens montant à 6 talents, mais au-dessous de douze, chacun d’eux était inscrit sur le rôle, au chiffre de 16 p. 100 de son bien.

3° La troisième classe comprenait tous ceux dont les possessions montaient à 2 talents, mais n’atteignaient pas 6 talents Chacun était inscrit sur le rôle au chiffre de 12 p. 100 de son bien.

4° La quatrième classe comprenait tous ceux dont le minimum était de 25 mines, mais au-dessous du maximum de 2 talents. Chacun d’eux était inscrit sur le rôle au chiffre de 8 p. 100 de son bien.

Ce détail ne repose sur aucune preuve intuitive ; mais il sert à expliquer le principe de distribution et de gradation adopté alors.

[79] Démosthène, cont. Androtion, p. 613, c. 17.

[80] Polybe dit la première somme (II, 62), Démosthène la seconde (De Symmoriis, p. 183, c. 6). Toutefois Bœckh a démontré que Polybe ne comprenait pas ce que signifiait réellement la somme qu’il disait.

[81] Je suis encore obligé sur ce point d’être en désaccord avec M. Bœckh, qui avance comme fait positif qu’une taxe foncière de 5 pour 10, montant a 300 talents, fut imposée et levée pendant l’archontat de Nausinikos (Publ. Econ. Ath., IV, 7, 8, p. 517-521, trad. angl.). La preuve donnée à l’appui de cette assertion est un passage de Démosthène, cont. Androtion (p. 606, c. 14). Or les mots de ce passage impliquent — non pas qu’une taxe foncière de 300 talents environ avait été levée ou demandée pendant l’archontat de Nausinikos, mais — qu’une somme totale de 300 talents, ou a peu près, avait été levée (ou demandée) au moyeu de tontes les diverses taxes foncières imposées depuis l’archontat de Nausinikos jusqu’à ta date di discours. Le discours fut prononcé vers 355 avant J.-C. ; Nausinikos était archonte en 378 avant Conséquemment, ce que l’orateur affirme, c’est qu’une somme de 300 talents avait été levée ou demandée an moyen de toutes les diverses taxes foncières imposées entre ces deux dates, et que la somme totale d’arriérés due sur toutes ces taxes, à l’époque où Androtion entra en charge, était de 14 talents.

Taylor, à la vérité, dans sa note, pensant que la somme de 300 talents est très petite, comme total de toutes les taxes foncières imposées pendant vingt-trois ans, suggère qu’il pourrait être à propos de lire έπί Ναυσινίκου au lieu de άπό Ναυσινίκου, et je présume que M. Bœckh adopte cette leçon. Mais il serait dangereux de fonder une assertion historique sur mi pareil changement de texte, quand même le texte actuel serait moins défendable qu’il ne l’est réellement. Et assurément le pluriel τάς εϊσφοράς prouve que l’orateur a en vue non pas la seule taxe foncière imposée pendant l’archontat de Nausinikos, mais deus taxes foncières ou plus, imposées à différentes époques. En outre, Androtion se vouait à la tâche de recueillir les arriérés dus encore en général, de quelque manière qu’ils eussent pu se former. Il n’aurait pas eu de motif pour distinguer isolément ceux qui s’étaient formés dans l’année 378 avant J.-C. ; en outre, ces arriérés avaient probablement fini par se confondre avec d’autres longtemps avant 355 avant J.-C. Démosthène prend l’année de Nausinikos pour point de départ, parce que ce fut alors que commença le nouveau rôle et un nouveau calcul.

[82] Relativement aux Symmories, cf. Bœckh, Staatshaushaltung der Athener, IV, 9, 10 ; Schoemann, Antiq. Jur. Publ. Græcor., s. 78 ; Parreidt, De Symmoriis, p. 18 sqq.

[83] Xénophon, Helléniques, V, 4, 38.

[84] Plutarque, Pélopidas, c. 18, 19.

[85] Diodore, XII, 70.

Ces couples de voisins qui combattirent côte a côte a Dêlion étaient appelés Heniochi ou Parabatæ, — conducteurs de chars et compagnons voisins : nom emprunte. à l’analogie de l’habitude de combattre sur des chars,telle qu’elle est décrite dans l’Iliade et probablement dans beaucoup des poèmes épiques perdus ; le conducteur du char étant lui-même un excellent guerrier, bien qu’occupé pour le moment d’autres devoirs, — Diomêdês et Sthenelos, Pandaros et Æneas, Patroklos et Automedôn, etc.

[86] Plutarque, Pélopidas, c. 18, 19. Hieronymus, apud Athenæum, XIII, p. 602 A. Il y avait une division militaire carthaginoise qui portait le même nom, composée de citoyens choisis et riches, au nombre de 2.500 (Diodore, XVI, 80).

[87] Pausanias, VIII, 11, 5.

Dikæarque, seulement une génération plus tard, se plaignait de ne pouvoir découvrir le nom de la mère d’Épaminondas (Plutarque, Agésilas, c. 19).

[88] Plutarque, Pélopidas, c. 4 ; Pausanias, IX, 13, 1. Suivant Plutarque, Épaminondas avait atteint l’âge de quarante ans avant de devenir connu publiquement (De Occult. Vivendo, p. 1129 C).

Plutarque affirme que la bataille (dans laquelle Pélopidas fut grièvement blessé et sauvé par Epaminondas) se livra à Mantineia, quand ils combattaient du côté des Lacédæmoniens, sous le roi Agésipolis, contre les Arkadiens ; les Thêbains étant à ce moment amis de Sparte, et ayant envoyé un contingent à son aide.

Je ne comprends pas de quelle bataille Plutarque peut vouloir parler ici. Les Thêbains ne furent jamais assez unis avec Sparte pour envoyer aucun contingent a son aide, après la prise d’Athènes (en 401 av J.-C.). La plupart des critiques pensent que la guerre dont parle Plutarque est l’expédition conduite par Agésipolis contre Mantineia, par laquelle la ville fut décomposée en villages, — en 385 avant J.-C. : voir les Fasti Hellenici de M. Clinton à l’année 383 av. J.-C. Mais, en premier lieu, il n’a pu y avoir de contingent thêbain assistant alors Agésipolis ; car Thèbes était en terme, peu amicaux avec Sparte, — et certainement elle n’était pas son alliée. En second lieu, il ne semble pas qu’il ait été livré de bataille suivant le récit de Xénophon.

Je suis donc disposé à révoquer en doute ce que dit Plutarque, quant à cette prétendue bataille de Mantineia ; bien que je croie qu’Épaminondas a pu sauver la vie de Pélopidas, dans quelque combat antérieur, avant la paix d’Antalkidas.

[89] Cornélius Nepos, Épaminondas, c. 2 ; Plutarque, Apophth. Reg., p. 183 D ; Aristophane, Acharn., 872.

Cf. les citations dans Athénée, X, p. 417. La perfection de forme exigée dans le coureur était également différente de celle qu’on exigeait dans le lutteur (Xénophon, Mémorables, III, 8, 4 ; III, 10, 6).

[90] Plutarque, Alkibiadês, c. 3.

[91] Pindare, Olympiques, VI, 90.

[92] Aristoxenos mentionne la flûte. Cicéron et Cornélius Nepos, la lyre (Aristoxen. Fragm. 60, éd. Didot, ap. Athenæ, IV, p. 184 ; Cicéron, Tusculanes, Disp. I, 2 ; 4 ; Cornélius Nepos, Épaminondas, c. 2).

[93] Aristox. Fragm. 11, éd. Didot ; Plutarque, De. Gen. Socratt., p, 583 ; Cicéron, De Offic., I, 44, 155 ; Pausanias, IX, 13, 1 ; Ælien, V. H., III, 17.

L’assertion (qui fut, dit-on, avancée par Aristoxenos, et que copia Plutarque aussi bien que Jamblique) que Lysis, qui instruisit. Epaminondas, avait été une des personnes réellement pressentes à la réunion des Pythagoriciens a Krotôn, quand Kylôn brûla la maison, et que lui et un autre avaient été les seuls qui s’étaient échappes, — cette assertion, dis-je, ne peut se concilier avec la chronologie.

[94] Cf. Diodore, XV, 52, avec Plutarque, Periklês, c. 61 et Plutarque, Démosthène, c. 20.

[95] Plutarque, De Gen. Socrat., p. 576 D. Cf. Cornélius Nepos, Épaminondas, c. 3, — et Plutarque, De Audiend., c. 3, p. 39 F.

Nous pouvons présumer à bon droit que ce jugement de Spintharos fut communiqué par lui à son fils Aristoxenos, sur qui Plutarque le copia ; et nous savons qu’Aristoxenos, dans ses écrits, mentionnait d’autres particularités relatives à Epaminondas (Athénée, IV, p. 184). Nous voyons ainsi que Plutarque avait accès à de bonnes sources d’information relativement à ce dernier. Et comme il avait composé une Vie d’Epaminondas (Plutarque, Agésilas, c. 28), bien que malheureusement elle ne nous soit pas parvenue, nous pouvons bien croire qu’il avait pris quelque peine pour recueillir des matériaux dans ce dessein, matériaux qui furent naturellement employés dans son dialogue dramatique De Genio Sokratis. Cela fortifie notre confiance dans les renseignements intéressants que ce dialogue fournit sur le caractère d’Epaminondas, aussi bien que dans les allusions accidentelles répandues dans d’autres écrits de Plutarque.