QUATORZIÈME VOLUME
Après avoir d’abord essayé d’intimider les Mantineiens en ravageant leurs terres, Agésipolis commença l’œuvre du blocus en creusant un fossé autour de la ville, une moitié des soldats étant de garde, taudis que l’autre bêchait. Le fossé étant achevé, il se prépara à élever un mur de circonvallation. Mais ayant appris que la précédente moisson avait été assez bonne pour qu’il restât un fonds considérable de provisions dans la ville, et pour que la tentative de l’affamer devînt fatigante et pour Sparte et pour ses alliés, il essaya une méthode plus rapide pour parvenir à son but. Comme la rivière Ophis, d’une largeur considérable pour un cours d’eau grec, passait par le milieu de la ville, il établit un barrage à l’endroit où elle en sortait du côté le plus bas[1], il fit ainsi que l’eau inonda l’intérieur de la ville et menaça la solidité des murs, qui semblent n’avoir pas eu une grande hauteur, et avoir été construits en briques cuites au soleil. Désappointés dans la demande de secours qu’ils gent à Athènes[2], et ne pouvant donner un appui extérieur à leurs tours qui chancelaient, les Mantineiens furent forcés de solliciter une capitulation. Mais Agésipolis refusa alors d’accéder à la requête, si ce n’est à condition que non seulement les fortifications de leur cité, mais la cité elle-même, seraient démolies en grande partie, et que les habitants seraient de nouveau répartis dans ces cinq villages qui avaient été réunis, bien des années auparavant, pour former la ville collective de Mantineia. Les Mantineiens furent également obligés de se soumettre à, cette nécessité, et la capitulation fut ratifiée. Bien qu’il rie fût rien dit dans les termes de cette capitulation au sujet des chefs du gouvernement démocratique mantineien, cependant ces derniers, se sachant détestés et par leur propre opposition oligarchique et par les Lacédæmoniens, regardèrent comme certain qu’ils seraient mis à mort. Et tel eût été leur sort assurément, si Pausanias (le dernier roi de Sparte, exilé en ce moment à Tegea), qui avait toujours eu d’eux une bonne opinion, n’eût obtenu de son fils Agésipolis, comme faveur personnelle, la vie des plus détestés, au nombre de soixante, à, condition qu’ils s’exileraient. Il fut très difficile à Agésipolis d’accomplir les désirs de son père. Ses soldats lacédæmoniens étaient rangés en armes des deux côtés de la porte par laquelle ces hommes odieux sortaient ; et Xénophon mentionne comme une marque signalée de la discipline lacédæmonienne, qu’ils pussent tenir leurs lances sans les employer quand des ennemis désarmés étaient ainsi à leur portée ; d’autant plus que les Mantineiens oligarchiques manifestaient les dispositions les plus meurtrières, et qu’il était extrêmement difficile de les maintenir[3]. Comme auparavant à Peiræeus, de même ici encore à Mantineia, on voit le libéral mais infortuné roi Pausanias intervenir comme médiateur pour apaiser la férocité des antipathies politiques. La cité de Mantineia fut alors détruite, et les habitants furent répartis de nouveau dans les cinq villages dont elle avait été formée. Des quatre cinquièmes de la population chaque homme démolit sa maison et la rebâtit dans le village près duquel se trouvait son bien. Le dernier cinquième continua à occuper Mantineia comme village. Chaque village fut placé sous un gouvernement oligarchique et resta sans fortifications. Bien que d’abord (dit Xénophon) le changement fût pénible et odieux, bientôt cependant, quand les hommes se virent, installés sur leurs propres biens territoriaux — et plus encore, quand ils se sentirent délivrés des fâcheux démagogues — la nouvelle situation devint plus populaire que l’ancienne. Les Lacédæmoniens furent encore plus satisfaits. Au lieu de la seule cité de Mantineia, cinq villages arkadiens distincts étaient actuellement inscrits sur leur catalogue d’alliés. Ils assignèrent à chacun un xenagos séparé (officier spartiate destiné au commandement de chaque contingent allié), et le service militaire de tous fut désormais accompli avec la régularité la plus grande[4]. Tel fut le dépècement ou séparation en parties de l’ancienne cité de Mantineia, l’un des actes les plus odieux de l’impérieux despotisme spartiate. Son vrai caractère est voilé par la partialité de l’historien, qui le raconte avec une assurance confiante que, quand la peine du déplacement fut passée, la population se sentit décidément dans un état meilleur, grave au changement. On aie peut ajouter foi t cette assurance que sur cette .raison, qu’étant captifs d’après les lais grecques de la guerre, il se peut qu’ils aient été reconnaissants d’échapper ! aux dangers plus terribles de la mort ou de l’esclavage personnel, en les payant de la perte de leur communauté civique. Ce qu’ils éprouvaient à. l’égard du changement, c’était une véritable aversion, comme le proue leur conduite subséquente après la bataille de Leuktra. Aussitôt que la crainte qu’inspirait Sparte fut dissipée, ils se rassemblèrent d’un mouvement unanime, pour constituer et fortifier de nouveau leur cité démantelée[5]. Dans le fait, il aurait été étrange qu’il en eût été autrement ; car l’attachement à une communauté civique était l’instinct politique le plus fort de l’esprit grec. Le citoyen d’une ville était opposé, et souvent d’une manière très malheureuse, à l’idée rue compromettre le jeu séparé et autonome de sa communauté, en se joignant à une combinaison politique plus étendue, quelque équitablement qu’elle fût formée, et bien qu’elle pût promettre en général un accroissement de dignité hellénique. Mais il reculait plus vivement encore devant l’idée de briser sa ville en villages séparés, et d’échanger le caractère de citoyen contre celui de villageois, qui n’était rien moins qu’une grande dégradation sociale, aux yeux des Grecs en général, sans en excepter les Spartiates[6]. A vrai dire, la sentence exécutée par ces derniers contre Mantineia fut, en fait de déshonneur aussi bien que de privation, une des plus rigoureuses qui pussent être infligées à des Grecs libres. Toute la gloire et la supériorité distinctives de l’hellénisme, — toutes les manifestations intellectuelles et artistiques, — tout ce qu’il y avait de littérature et de philosophie, ou de sociabilité raffinée et raisonnable, dépendaient de la vie municipale du peuple. Et l’influence de Sparte, pendant la période de son empire, fut particulièrement funeste et rétrograde, en ce qu’elle tendit non seulement à décomposer les fédérations, telles que la Bœôtia, en villes isolées, mais même à décomposer des villes suspectes, telles que Mantineia en villages ; et cela dans le dessein de rendre chacune d’elles exclusivement dépendantes d’elle-même. Athènes, pendant la période de son empire, n’avait pas exercé cette influence désorganisatrice, et encore moins Thêbes, que nous verrons ci-après se mettre activement en avant pour fonder les nouvelles et grandes cités de Mégalopolis et de Messênê. Les tendances souveraines de Sparte sont pires que celles soit d’Athènes, soit de Thêbes ; elles renferment moins de sympathies civilisatrices ou panhelléniques, et elles s’appuient de la manière la plus systématique sur des factions qui les favorisent dans chaque cité subordonnée. Dans le traitement même de Mantineia qui vient d’être raconté, il est clair que l’attaque de Sparte fut au moins bien accueillie, sinon provoquée dans l’origine, par le parti oligarchique de la ville qui cherchait à se rendre maître du pouvoir et à massacrer ses adversaires politiques. Il réussit complètement dans le premier objet, et son gouvernement fut probablement plus assuré dans les cinq villages qu’il ne l’aurait été dans la ville entière. Quant au second, rien ne les empêcha de réussir- que l’intervention accidentelle de l’exilé Pausanias ; hasard, qui seul épargna au nom spartiate la honte additionnelle d’un massacre politique, outre l’odieux durable encouru par l’acte lui-même, celui de détruire une ancienne cité autonome, qui n’avait pas fait preuve d’inimitié ouverte, et qui était assez modérée dans ses manifestations démocratiques pour recevoir la critique favorable de juges plutôt mal disposés pour la démocratie en général[7]. Trente ans avant, quand Mantineia avait conquis certains districts arkadiens voisins, et que, pour les conserver, elle avait été réellement en guerre avec Sparte, les Spartiates victorieux n’exigèrent rien de plus que la réduction de la cité à son district primitif[8] ; actuellement, ils ne se contentent de rien moins que de la décomposition de la cité en villages non fortifiés, bien qu’il n’y eût pas eu de guerre réelle auparavant. Tant la puissance spartiate, aussi bien que la tendance despotique spartiate, avait fait de progrès pendant cet intervalle ! Le langage général d’Isocrate, de Xénophon et de Diodore[9] indique que cette sévérité à l’égard de Mantineia ne fut que la plus rigoureuse dans une série de sévérités, étendue par les Lacédæmoniens à toute leur confédération, et agissant sur tous ceux de ses membres qui leur donnaient un motif de désaffection ou de défiance. Pendant les dix années qui suivirent la reddition d’Athènes, ils avaient été maîtres du monde grec tant sur terre que sur mer, avec un pouvoir tel que n’en avait possédé aucun État grec ; jusqu’à ce que la bataille de Knidos, et la coalition d’Athènes, de Thèbes, d’Argos et de Corinthe, secondée par la Perse, eussent détruit leur empire sur mer, et l’eussent fortement compromis sur terre. Enfin la paix d’Antalkidas, en mettant la Perse de leur côté (au prix de la liberté des Grecs asiatiques) leur avait permis de dissoudre la coalition hostile faite contre eux. L’autonomie générale, dont ils furent les interprètes autorisés ; ne signifia rien de plus qu’une séparation des cités bœôtiennes d’avec Thèbes[10], et de Corinthe d’avec Argos, — sans qu’elle fait nullement destinée à être appliquée aux relations entre Sparte et ses alliés. Avant ainsi les mains libres, les Lacédæmoniens mirent tous leurs soins à élever leur ascendant sur terre au peint où il avait été avant la bataille de Knidos, et même à regagner autant que possible de leur empire sur mer. Ramener une domination semblable à celle des Harmostes et des Dékarchies de Lysandros, et rétablir une oligarchie locale composée de leurs partisans les plus dévoués, dans chacune de ces cités où le gouvernement avait été rendu tant soit peu libéral pendant la période récente de guerre, — telle fut leur politique systématique. Ceux des exilés qui avaient encouru la condamnation de leurs concitoyens pour avoir servi la cause de Sparte trouvèrent alors le moment convenable pour prier les Spartiates d’intervenir et d’obtenir leur retour. Ce fut de cette manière qu’un corps de chefs politiques de Phlionte alors en exil, — dont le grand mérite était que quand la cité était gouvernée par eux, elle avait montré du zèle à servir Sparte, tandis que dans les mains de leurs adversaires elle était à ce moment devenue tiède ou même mal disposée, — ces exilés, dis je, obtinrent des Ephores un message poli dans la forme mais impérieux en substance, adressé aux Phliasiens, demandant que les bannis fussent réintégrés comme amis de Sparte, envoyés en exil sans cause légitime[11]. Tandis que la puissance spartiate, pendant les quelques années qui suivirent la paix d’Antalkidas, était ainsi décidément en mouvement ascendant sur terre, on fit aussi des efforts pour la rétablir sur mer. Plusieurs des Cyclades et autres îles plus petites furent rendues de nouveau tributaires. Toutefois dans cette dernière sphère, Athènes devint sa rivale. Depuis la paix et la restitution de Lemnos, d’Imbros et de Skyros, combinées avec la nouvelle fortification de Peiræeus et ses Longs Murs, — le commerce et le pouvoir naval d’Athènes étaient revenus à la vie, bien que par des pas lents et humbles. Comme les forces cavales de l’Angleterre comparée avec la France, la marine de guerre d’Athènes reposait sur une marine considérable de commerce, qui existait à peine en Laconie. Sparte n’avait pas de marins, à l’exception d’Ilotes contraints ou d’étrangers payés[12] ; tandis que le commerce de Peiræeus exigeait et entretenait à la fois une population nombreuse de cette sorte. Le port de Peiræeus était commode, parce qu’on y trouvait tout ce dont on avait besoin, et il était bien pourvu d’artisans, — tandis que la Laconie avait peu d’artisans et manquait notoirement de ports[13]. Conséquemment, dans cette lutte maritime, Athènes, quoiqu’elle ne fût que l’ombre d’elle-même, avait pour point de départ un avantage en tant que comparée avec Sparte, et, malgré la supériorité rie cette derrière sur terra, elle était en état de lutter avec elle en acquérant des dépendances tributaires parmi les îles plus petites de la mer Ægée. four ces dernières, qui n’avaient pas de marine à elles, et qui (comme Athènes elle-même) avaient besoin d’approvisionnements habituels de blé importé, il était essentiel d’obtenir à la fois une entrée à Peiræeus et la protection des trirèmes athéniennes contre cet essaim de pirates, qui se montrèrent après la paix d’Antalkidas, quand il n’y avait pas d’État maritime prédominant ; en outre, le marché de Peiræeus était souvent fourni de blé étranger venu de Crimée, grâce à la préférence que les princes du Bosphore montraient pour Athènes, à un moment où les navires d’autres villes ne pouvaient obtenir de cargaison[14]. Un tribut modéré payé à Athènes assurait à l’île tributaire de plus grands avantages que si elle l’eût payé à Sparte, — avec une protection au moins égale. Probablement l’influence d’Athènes sur ces insulaires était encore aidée par le fait qu’elle administrait les fêtes et prêtait les fonds du saint temple à Dêlos. Nous savons, par des inscriptions qui restent, que des sommes considérables, furent empruntées à intérêt au trésor du temple, non seulement par des insulaires individuellement, mais encore par les cités des îles collectivement, — Naxos, Andros, Ténos, Siphnos, Seriphos. Le conseil amphictyonique, qui faisait ces prêts (ou du moins les membres présidents), étaient Athéniens, nommés annuellement à Athènes[15]. En outre ces insulaires renflaient un hommage religieux et assistaient aux fêtes Miennes, et étaient ainsi amenés à entrer dans le cercle d’une influence athénienne centrale, susceptible, dans des circonstances favorables, d’être fortifiée et rendue importante Même politiquement. Grâce à ces secours, Athènes acquérait lentement une seconde confédération maritime, qui, comme nous le verrons bientôt, eut une importance considérable, bien qu’elle n’approchât jamais de la grandeur de son premier empire ; de sorte que dans l’année 180 avant J.-C., où Isocrate publia son Panégyrique (sept ans après la pain d’Antalkidas), bien que son pouvoir général fût encore faible, comparé avec la puissance dominante de Sparte[16], cependant sa marine avait déjà fait tant de progrès, qu’il réclame pour elle le droit de prendre le commandement sur mer, dans cette croisade, sur laquelle il insiste avec force, de Sparte et d’Athènes dans une union harmonieuse à la tête de la Grèce, contre les barbares asiatiques[17]. Il semblerait que peu d’années après la paix d’Antalkidas. Sparte devint tant soit peu honteuse d’avoir livré les Grecs asiatiques à la Perse, et que le roi Agésipolis et d’autres Spartiates de conséquence encouragèrent le projet d’une nouvelle expédition grecque contre l’Asie, destinée à répondre à des propositions de quelques sujets mécontents d’Artaxerxés[18]. C’est sur quelque projet semblable, discuté généralement, bien qu’il ne fût jamais réalisé, qu’Isocrate édifia probablement son panégyrique, composé dans un ton élevé d’éloquence patriotique (380 av. J.-C.), pour stimuler à la fois Sparte et Athènes dans cette cause, et les engageant toutes deux, comme chefs réunis de la Grèce, à suspendre les dissensions à l’intérieur pour une grande manifestation panhellénique contre l’ennemi commun au dehors. Mais quelles que soient les idées de cette sorte que les chefs spartiates ont pu nourrir, leur attention fut détournée, vers 382 avant J.-C., par des mouvements dans une région plus éloignée du monde grec, qui amenèrent des conséquences importantes. Depuis l’année 414 avant J.-C. (dans laquelle les Athéniens étaient occupés au siège de Syracuse), nous n’avons rien appris ni des rois de Macédoine, ni des cités grecques chalkidiques de la péninsule de Thrace confinant à ce royaume. Jusqu’à cette année, Athènes conserva encore une partie de son empire maritime dans ces régions. Les Platæens étaient encore en possession de Skiônê (sur l’isthme de Pallênê) qu’elle leur avait assignée ; tandis que l’amiral athénien Euetiôn, secondé par beaucoup de Thraces soudoyés, et même par Perdikkas, roi de Macédoine, entreprit un siège inutile pour reconquérir Amphipolis sur le Strymôn[19]. Mais le fatal désastre essuyé à Syracuse ayant mis Athènes hors d’état de défendre des intérêts aussi éloignés, ils furent perdus pour elle avec le reste de son empire, — peut-être plus tôt, bien que nous ignorions comment. En même temps, pendant les dernières années de la guerre du Péloponnèse, le royaume de Macédoine grandit beaucoup en pouvoir ; en partie, nous pouvons le croire, à cause de la condition impuissante d’Athènes, — mais plus encore grâce aux talents et à l’énergie d’Archélaos, fils et successeur de Perdikkas. L’ordre de succession chez les princes macédoniens ne semble pas avoir été réglé, de sorte que la mort de plusieurs d’entre eux amena des disputes et l’effusion du sang. En outre, il y avait des tribus distinctes de Macédoniens, qui, bien que formant une partie, réelle ou nominale, de la domination des princes Téménides, étaient néanmoins sujettes immédiatement de princes particuliers à elles, séparés mais subordonnés. Le règne de Perdikkas avait été fort troublé de cette manière. Dans le principe, il avait dépouillé de la couronne de son propre frère Alketas[20], qui paraît (autant que nous pouvons le reconnaître) y avoir eu plus de droits que lui ; ensuite, il avait aussi chassé son frère cadet Philippe de sa principauté subordonnée. Rétablir Amyntas, fils de Philippe, était un des projets du prince thrace Sitalkês, dans l’expédition entreprise conjointement avec Athènes, pendant la seconde année de la guerre du Péloponnèse[21]. A la mort de Perdikkas (vers 413 av. J.-C.), son fils aîné ou seulement légitime était un enfant de sept ans ; mais son fils naturel[22] Archélaos était d’un âge mûr et d’une ambition peu scrupuleuse. Le prince détrôné Alketas vivait encore, et avait à ces moments de grandes chances de remonter sur le trône : Archélaos l’invita lui et son fils, sous prétexte qu’il accomplirait lui-même leur rétablissement, et il les tua tous deux dans l’ivresse d’un banquet. Ensuite il se débarrassa de l’enfant, son frère légitime, en l’étouffant dans un puits, et au moyen de ces crimes il se fit roi. Toutefois son gouvernement fut si énergique et si habile, que la Macédoine parvint à un degré de puissance militaire tel qu’aucun de ses prédécesseurs n’en avait jamais possédé de pareil. Le nombre de ses troupes, de ses équipements militaires et de ses plagies fortifiées fut fort augmenté ; tandis qu,’il ouvrit également des routes de communication entre les diverses : portions de son territoire, — nouveauté vraisemblablement partout, à cette époque[23]. Outre cette organisation améliorée (que par malheur il ne nous est pas donné de connaître en détail), Archélaos fonda une magnifique fête Olympique périodique, en l’honneur de Zeus Olympien et des Muses[24], et il entretint une correspondance avec les poètes et les philosophes d’Athènes. Il décida les poètes tragiques Euripide et Agathôn, aussi bien que le poète épique Chœrilos, à le Visiter en Macédoine, où Euripide en particulier fut traité avec une faveur et une libéralité distinguées[25], et où il resta jusqu’à sa mort, qui arriva en 406 ou en 405 avant J.-C. Archélaos invita également Sokratês, qui déclina l’invitation, — et il parait avoir montré quelque faveur à Platon[26]. Il périt la même année que Sokratês (399 av. J.-C.), de mort violente ; deux jeunes Thessaliens, Kratenas et Hellanokratês, avec un Macédonien nommé Dekamnichos, l’assassinèrent dans une partie de chasse. Les deux premiers, étaient des jeunes gens auxquels il était fortement attaché, mais dont il avait blessé la dignité en les, traitant d’une manière insultante et en n’accomplissant pas des promesses qu’il leur avait faites ; le troisième. était un Macédonien qui, pour avoir fait une remarque offensante sur la mauvaise haleine d’Euripide, avait été livré au poète par ordre d’Archélaos, afin qu’il fût fouetté. Euripide fit réellement exécuter la sentence ; mais ce fut seulement six ans après sa mort que Dekamnichos, qui n’avait ni oublié ni pardonné l’affront, trouva l’occasion de se venger en excitant et en aidant les assassins d’Archélaos[27]. Ces incidents, racontés sur l’autorité d’Aristote, et se rapportant aussi bien au roi macédonien Archélaos qu’au citoyen athénien, le poète Euripide, expliquent le contraste entre la Macédoine et Athènes. Le gouvernement du premier est tout personnel, — il dépend des passions, des goûts, des appétits et des talents du roi. L’ambition d’Archélaos le conduit tant à ses crimes pour acquérir le trône que plus tard à son organisation améliorée des forces militaires de l’État ; son admiration pour les poètes et les philosophes d’Athènes lui inspire une vive sympathie pour Euripide, et assure à ce dernier une satisfaction personnelle pour une remarque offensante ; ses appétits, mêlant la licence à l’insulte, finissent par lui attirer des ennemis personnels d’un caractère formidable. L’État c’est moi — est marqué dans toute la série de ses actes ; la personnalité du monarque est l’élément déterminant. Or, à Athènes, il n’existe pas d’élément semblable. Il n’y est pas facile, d’une part, d’améliorer l’organisation militaire, grâce à l’ascendant d’un chef énergique, — comme cette ville l’apprit à ses dépens, quand elle fut plus tard attaquée par Philippe, le successeur à Archélaos après quelque intervalle, et à bien des égards son pendant. Mais, d’autre part, ni les goûts personnels ni les appétits d’aucun Athénien individuel ne comptent comme causes actives dans la marche des affaires publiques, qui est déterminée par la loi établie et parles sentiments prononcés du corps des citoyens. Quelque grave insulte qu’Euripide eût pu recevoir à Athènes, les dikastes n’auraient jamais ordonné que le coupable lui fût livré pour être fouetté. Ils lui auraient infligé une punition dans la mesure que la nature de la faute et la loi préexistante leur paraissaient demander. Des mesures politiques ou des sentences judiciaires pouvaient être le résultat d’un jugement plus ou moins bon ; mais, en tout cas, elles étaient toujours dictées en raison d’une loi connue et des idées que le public avait des intérêts, de la dignité et des obligations de l’État, sans l’intrusion avouée de la personnalité d’aucun citoyen. Pour Euripide, — qui avait pendant toute sa vie été le but des attaques d’Aristophane et des autres auteurs comiques, et qui avait été forcé d’entendre, dans le théâtre plein de monde, des sarcasmes beaucoup plus hardis que ce qui est attribué à Dekamnichos, — le contraste dans le fait a dû être frappant, de voir l’offenseur livré entre ses mains, et le fouet mis à sa disposition, par ordre de son nouveau patron. Et il n’est guère à son honneur d’avoir profité du privilège, en faisant administrer la punition réellement, — punition que, pendant les cinquante années de sa vie passée, il n’avait pu voir infliger à aucun citoyen athénien libre. Kratenas ne survécut pas à son action plus de trois ou quatre jours, après lesquels Orestês, fils d’Archélaos, enfant, fut placé sur le trône, sous la tutelle d’Aeropos. Toutefois ce dernier, après quatre années environ, se défit de son pupille, et régna à sa place pendant deux ans. Il mourut alors de maladie, et eut pour successeur son fils Pausanias, qui, après un règne d’une année seulement, fut assassiné par Amyntas, qui lui succéda[28]. Cet Amyntas (célèbre surtout comme père de Philippe et grand-père d’Alexandre le Grand), quoique allié à la famille royale, n’avait été rien de plus qu’un serviteur d’Aeropos[29], jusqu’à ce qu’il se fit roi en mettant Pausanias à mort[30]. Il régna vingt-quatre ans, bien qu’avec des interruptions (393-369 av. J.-C.) ; années, pour la plupart, de trouble et d’humiliation pour la Macédoine, et d’exil pour lui-même à l’occasion. La vigoureuse organisation militaire introduite par Archélaos parait avoir décliné ; tandis que les détrônements et les assassinats fréquents de rois, commencent même à Perdikkas, père d’Archélaos, et continués jusqu’à Amyntas, bouleversèrent l’autorité centrale et désunirent les diverses portions du nom macédonien, qui tendirent naturellement à se séparer et ne purent être réunies que par une main ferme. Les régions intérieures de la Macédoine étaient bordées au nord, au nord-est et au nord-ouest par des tribus barbares et belliqueuses, thraces et illyriennes, dont les invasions étaient assez fréquentes et sauvent formidables. Tentés probablement par la position chancelante du gouvernement, les Illyriens se jetèrent sur Amyntas pendant la première année de son règne ; il se peut qu’ils aient été appelés par d’autres princes de l’intérieur[31] ; et en tout cas leur arrivée opéra comme un signal qui fit que les mécontents se déclarèrent. Amyntas, — qui avait acquis le sceptre seulement peu de mois auparavant par l’assassinat de son prédécesseur, et qui avait peu d’empire sur le peuple, — fut non seulement hors d’état de les repousser, mais il se vit obligé d’évacuer Pella, et même de se retirer entièrement de la Macédoine. Désespérant de sa position, il céda aux Olynthiens une portion considérable du territoire voisin, — la basse Macédoine ou la côte et les cités autour du golfe Thermaïque[32]. Comme on a représenté que cette cession avait été faite au moment de sa détresse et de son expatriation, nous pouvons à bon droit soupçonner qu’elle le fut pour quelque bienfait réciproque ou équivalent important, dont Amyntas pouvait bien avoir besoin à un moment si critique. C’est à cette occasion que nous entendons parler de nouveau des Chalkidiens d’Olynthos, et de la confédération qu’ils réunirent graduellement autour de leur cité comme centre (392 av. J.-C.). La confédération semble avoir eu pour point de départ cette cession d’Amyntas, — ou plutôt, pour parler plus proprement, son abdication ; car la cession de ce qu’il ne pouvait pas garder était d’une importance comparativement médiocre, et nous verrons qu’il essaya de le reprendre dès qu’il acquit de la force. Sa fuite eut pour effet de détruire le gouvernement de la basse Macédoine ou Macédoine maritime, et de laisser les cités qui y étaient situées sans défense contre les Illyriens ou contre d’autres envahisseurs venant de l’intérieur. Pour ces cités, la seule chance de’ sécurité était de se jeter dans les bras des villes grecques de la côte, et d’organiser, conjointement avec ces dernières, une confédération pour un mutuel soutien. Parmi tous les Grecs de la côte, les plus braves et les plus persévérants — c’était ainsi qu’ils s’étaient montrés dans leurs premières luttes contre Athènes, quand elle était au faîte de sa puissance —, aussi bien que les plus rapprochés, étaient les Chalkidiens d’Olynthos. Ces Olynthiens se mirent alors en avant, — prirent dans leur alliance et sous leur protection les villes plus petites de la Macédoine maritime immédiatement auprès d’eux, — et bientôt étendirent la confédération au point d’embrasser toutes les villes plus considérables de cette région, — y compris même Pella, la cité la plus importante du pays[33]. Comme ils commencèrent cette entreprise à un moment où les Illyriens étaient maîtres du pays au point de réduire Amyntas au désespoir et à la fuite, nous pouvons être sûrs qu’elle a dû leur coûter de sérieux efforts, non sans de grands dangers s’ils échouaient. Nous pouvons être sûrs également que les cités elles-mêmes ont dû les aider avec bon vouloir, sinon avec ardeur, précisément comme les Grecs insulaires et asiatiques s’attachèrent à Athènes lors de la première formation de la confédération de Dêlos. Les Olynthiens n’auraient pas été en état de conquérir même les cités macédoniennes moins considérables, encore bien moins Pella, de force et contre le gré des habitants. Comment les Olynthiens furent-ils obligés de se, retirer, et par quelles démarches la confédération se forma-t-elle, c’est ce qu’il ne nous est pas donné de savoir. Nos informations (malheureusement très brèves) viennent de l’ambassadeur akanthien Kleigenês, parlant à Sparte environ dix ans plus tard (383 av. J.-C.), et décrivant en peu de mots la confédération telle qu’elle était alors. Mais il est une circonstance que ce témoin, — lui-même hostile à Olynthos et venant solliciter contre elle l’aide des Spartiates, — atteste d’une manière expresse, ce sont les principes équitables, généreux et fraternels, sur lesquels les Olynthiens formèrent leur plan dés le début. Ils ne se présentèrent pas comme une cité souveraine enrôlant un corps d’alliés dépendants, mais ils invitèrent chaque cité séparée à adopter des lois communes et un droit de cité réciproque avec Olynthos, en jouissant de la pleine liberté de contracter mutuellement des mariages, d’établir des relations commerciales et de posséder des propriétés foncières. Que les cités macédoniennes près de la mer fissent un bon accueil à une proposition aussi libérale que celle-ci, venant des plus puissants d’entre leurs voisins grecs, c’est ce qui ne peut nullement nous surprendre, surtout à une époque où elles étaient ex-posées aux envahisseurs illyriens, et où Amyntas avait fui le pays. Les Macédoniens avaient jusqu’alors toujours été sujets[34] : leurs cités n’avaient pas (comme les cités grecques) joui chacune de son autorité séparée dans ses propres murailles ; l’offre que leur faisaient alors les Olynthiens était l’offre de la liberté en échange de leur sujétion passée sous les rois macédoniens, combinée avec des forces suffisantes pour les protéger contre les Illyriens et autres envahisseurs. Il se peut aussi que ces diverses cités, — Anthémonte, Therma, Chalastra, Pella, Alôros, Pydna, etc., — aient contenu, parmi la population indigène, une certaine proportion d’habitants grecs domiciliés, auxquels la proposition des Olynthiens dut être particulièrement agréable. Nous pouvons comprendre ainsi pourquoi l’offre des Olynthiens fut accueillie avec plaisir par les cités maritimes macédoniennes. Elles furent les premières qui fraternisèrent comme associées volontaires à la confédération que les Olynthiens, après avoir établi cette base, se mirent en devoir d’agrandir encore, en faisant les mêmes propositions libérales aux cités grecques de leur voisinage. Plusieurs de ces dernières se joignirent à eux volontairement, d’autres n’osèrent pas refuser, au point que la confédération finit par enfermer un nombre considérable de Grecs, — en particulier Potidæa, située sur l’isthme de Pallênê, et commandant la route de communication entre les cités en deçà de Pallênê et le continent. Les Olynthiens appliquèrent avec une sincérité scrupuleuse leurs principes déclarés d’association égale et intime, évitant tout empiétement ou prééminence blessante en faveur de leur propre cité. Mais, malgré cette manière libérale d’agir, ils trouvèrent parmi leurs voisins des obstacles qu’ils n’avaient pas éprouvés de la part des Macédoniens. Chacune des cités grecques avait été accoutumée à son autonomie municipale et à son droit de cité séparée avec ses lois et ses coutumes particulières. Toutes étaient attachées à cette sorte de vie politique distincte par l’un des instincts les plus tenaces et les plus universels de l’esprit grec : toutes y renonçaient avec répugnance, même en consentant à entrer dans la confédération olynthienne, avec ses généreuses promesses, sa sécurité agrandie, et ses avantages manifestes, et il y en eut même qui, dédaignant toute considération future, refusèrent de changer de condition, si ce n’est à la pointe de l’épée. Au nombre de ces dernières étaient Akanthos et Apollonia, les cités les plus considérables (après Olynthos) de la péninsule chalkidique, et conséquemment les plus en état de rester seules. Les Olynthiens ne s’adressèrent pas à elles avant d’avoir attiré déjà dans leur confédération un nombre considérable d’autres cités grecques aussi bien que macédoniennes. Alors ils invitèrent Akanthos et Apollonia à y entrer aux mêmes conditions d’union égale et de droit de cité commun. La proposition étant déclinée, ils envoyèrent un second message donnant à entendre que, si elle n’était acceptée dans un certain temps, ils l’imposeraient par des mesures de contrainte. Si puissantes étaient déjà les forces militaires de la confédération olynthienne, qu’Akanthos et Apollonia, incapables de résister sana une aide étrangère, dépêchèrent des ambassadeurs à Sparte chargée d’exposer la position Lies affaires dans la péninsule chalkidique, et de solliciter son intervention contre Olynthos. Leur ambassade arriva à Sparte vers 333 avant J.-C. au moment où les Spartiates après avoir décomposé la cité rie Mantineia en villages et fait violence à Phlionte, étaient en plein essor de pouvoir sur le Péloponnèse, et où ils avaient également, dissous la fédération bœôtienne, plaçant des harmostes dans Platée et dans Thespiæ pour empêcher tout mouvement à Thêbes. L’Akanthien Kleigenês, s’adressant à l’assemblée des Spartiates et de leurs alliés, traça un tableau alarmant du développement récent et des tendances futures d’Olynthos, et il invoqua l’intervention de Sparte contre cette cité. La confédération olynthienne (dit-il) comprenait déjà un grand nombre de cités, grandes et petites, grecques aussi bien que macédoniennes, — Amyntas ayant perdu son royaume. Sa puissance militaire, grande même à présent, allait grandissant chaque jour[35]. Le territoire, comprenant une vaste étendue de fertiles terres à blé, pouvait nourrir une population nombreuse. Du bois pour la construction de navires[36] était sous la main, tandis que les nombreux ports des cités confédérées assuraient un commerce prospère aussi bien qu’un revenu constant, grâce aux droits de douane. Les tribus thraces voisines seraient aisément tenues dans une dépendance volontaire, et augmenteraient ainsi les forces militaires d’Olynthos ; même les mines d’or du mont Pangæos ne tarderaient, pas à être à sa portée d’une manière assurée. Tout ce que je vous expose actuellement (telle fut la substance de son discours) se dit publiquement dans le peuple olynthien, qui est plein d’espoir et de confiance. Comment pouvez-vous, Spartiates, qui prenez une peine jalouse pour empêcher l’union des cites bœôtiennes[37], permettre D’agrégation d’une puissance bien plus formidable, tant sur terre que sur mer, comme l’est celle d’Olynthos ? Athènes et Thèbes y ont déjà envoyé des députés, — et les Olynthiens ont décrété de dépêcher une ambassade à leur tour pour contracter alliance avec ces cités, de là vos ennemis tireront une force additionnelle considérable. Nous autres, d’Akanthos et d’Apollonia, ayant décliné la proposition de nous joindre volontairement à la confédération, avons reçu avis que, si nous persistions, ils nous y contraindraient. Or, nous désirons garder les lois et les coutumes de nos pères, et continuer d’être une cité par nous-mêmes[38]. Mais si nous ne pouvons obtenir votre secours, nous serons dans la nécessité de nous réunir à eux, — comme plusieurs autres cités l’ont déjà fait, qui n’ont pas osé refuser, cités qui vous auraient envoyé des ambassadeurs avec nous si elles n’avaient pas craint d’offenser les Olynthiens. Ces cités, si vous intervenez sur-le-champ, et avec de puissantes forces, se révolteront maintenant contre la confédération. Mais si vous différez votre intervention, et que vous laissiez à la confédération le temps d’agir, leurs sentiments changeront bientôt. Elles en viendront à être liées ensemble dans une étroite unité, par le droit commun de bourgeoisie, les mariages mutuels et la réciprocité de possessions foncières qui ont déjà été arrêtés pour l’avenir. Toutes finiront par être convaincues qu’elles ont un intérêt commun, tant à appartenir à la confédération qu’à la fortifier, — précisément comme les Arkadiens, quand ils vous suivent, Spartiates, en qualité d’alliés, sont mis en état non seulement de préserver leurs propriétés, mais d’en piller d’autres. Si, par vos délais vous laissez les tendances attractives de la confédération agir réellement, vous verrez bientôt qu’il ne sera plus en votre pouvoir de la dissoudre[39]. Ce discours de l’ambassadeur akanthien est remarquable sous plus d’un rapport. Venant des lèvres d’un ennemi, il est le meilleur de tous les témoignages quant à l’esprit libéral et compréhensif dans lequel les Olynthiens agissaient. Ils sont accusés, non pas d’injustice, ni d’ambition égoïste, ni du désir d’abaisser ceux qui les entourent, — mais littéralement d’organiser une nouvelle association sur des principes trop généreux et trop séduisants ; de remplacer avec douceur, au lieu de les briser violemment, les barrières entre les diverses cités, par des liens réciproques de propriété et de famille parmi les citoyens de chacune ; de les réunir toutes en un nouvel agrégat politique, dans lequel non seulement toutes jouiront de droits égaux, mais auquel toutes gagneront sans exception. L’avantage, tant en sécurité qu’en pouvoir, qui en résultera dans l’avenir pour toutes est non seulement admis par l’orateur, mais il est le point saillant de son argumentation. Hâtez-vous de briser la confédération (dit-il à Sparte avec insistance) avant que ses fruits soient mûrs, afin que les confédérés ne puissent jamais les goûter ni en connaître la bonté ; car s’ils le font, vous rie les déterminerez pas à y renoncer. Par induction, il admet aussi, — et il ne dit rien qui tende même à faire naître un doute, — que les cités qu’il représente, Akanthos et Apollonia, partageraient avec les autres ce même bienfait. Mais l’instinct politique grec était néanmoins prédominant. Nous désirons conserver les lois de nos pères et être une cité par nous-mêmes. C’est ainsi que l’objection est présentée sans voile, quand la question était de savoir non si Akanthos perdrait sa liberté et deviendrait sujette d’une ville souveraine comme Athènes, — mais si elle deviendrait un membre libre et égal d’un agrégat politique plus considérable, cimenté par tous les liens qui pourraient rendre une union sûre, profitable et digne. Il est curieux de voir combien l’orateur a la pleine conscience que cette répugnance, bien que prépondérante au moment, était néanmoins essentiellement transitoire, et donnait place, à l’attachement quand l’union finissait par se faire sentir comme une réalité : et avec quelle force il prie Sparte de ne pas perdre de temps à profiter de cette répugnance pendant qu’elle durait. Il lui fait appel, non pour des objets avantageux ou panhelléniques, mais dans l’intérêt de sa domination, qui avait besoin que le monde grec fut pour ainsi dire pulvérisé en atomes menus, agissant par eux-mêmes, sans cohésion, — de telle sorte que chaque cite ou chaque village, s’il se trouvait protégé contre l’ambition de toute autre commune, fût en outre empêché de former une union ou fusion politique égale avec toute autre, étant ainsi plus complètement impuissant et cependant à l’égard de Sparte. Ce ne fut, pas seulement d’Akanthos et d’Apollonia, mais encore de la part du roi macédonien dépossédé Amyntas, que des ambassadeurs vinrent à Sparte pour demander du secours contre Olynthos. Il parait qu’Amyntas, après avoir abandonné le royaume et fait sa cession aux Olynthiens, avait obtenu quelque aide se la Thessalia et essayé de se réinstaller par la force. Il avait échoué dans ce projet, étant défait par les Olynthiens. Dans le fait, notas trouvons un autre personnage nommé Argæos, mentionné comme compétiteur pour le sceptre macédonien, et le possédant pendant deux années[40]. Après avoir entendu ces suppliants, les Lacédæmoniens déclarèrent d’abord qu’ils étaient prêts à faire droit à leur prière et à renverser Olynthos ; ensuite ils soumirent le même point au vote des alliés réunis[41]. Parmi ces derniers, il n’y avait pas de véritable antipathie contre les 4lynthiens, telle que celle qui avait prévalu contre Athènes avant la guerre du Péloponnèse, dans l’assemblée tenue alors à Sparte. Mais la puissance de Sparte sur ses alliés était beaucoup plus grande qu’elle ne l’avait été à ce moment. La plupart de leurs cités étaient au pouvoir d’oligarchies qui dépendaient de son appui pour exercer l’autorité sur leurs concitoyens ; de plus, les événements récents en Bœôtia et à Mantineia avaient eu pour effet une sérieuse intimidation. Le désir de conserver la faveur de Sparte dominait conséquemment, de sorte que la plupart des orateurs, aussi bien que la plupart des votes, se déclarèrent pour la guerre[42], et il fut voté, qu’on mettrait sur pied une armée combinée de dix mille hommes. Pour former ce total, on imposa à chaque confédéré un contingent proportionnel, combiné avec la clause additionnelle, ajoutée actuellement pour la première fois, que chacun pourrait fournir de l’argent au lieu d’hommes, au taux de trois oboles æginæennes (une demi-drachme æginæenne) pour chaque hoplite. Un cavalier, pour, celles des villes qui en fournissaient, était compté comme équivalent à quatre hoplites ; un hoplite, comme équivalent à deux peltastes : ou elles payaient une contribution pécuniaire sur la même échelle. Toute ville en défaut fut rendre passible d’un dédit d’un statère (quatre drachmes) par jour pour chaque soldat non envoyé, dédit que Sparte devait faire payer[43]. Cette substitution autorisée d’un payement pécuniaire à la place du service personnel est la même que celle qui, comme je l’ai déjà raconté, s’effectua près d’un siècle avant dans la confédération de Dêlos sous la présidence d’Athènes[44]. Ce système n’était pas de nature à être appliqué d’une manière étendue parmi les alliés spartiates, qui étaient à la fois plus pauvres et plus belliqueux que ceux d’Athènes. Mais, dans les deux cas, il fut favorable à l’ambition de l’État dominant, et la tendance devient ici manifeste de sanctionner, par la formalité d’une résolution publique, cet ascendant lacédæmonien accru, qui avait déjà grandi en pratique. Les ambassadeurs akanthiens, tout en exprimant la satisfaction que leur causait le vote récemment émis, donnèrent à entendre que la réunion de ces nombreux contingents occuperait quelque temps, et ils insistèrent de nouveau sur la nécessité d’une intervention immédiate, même avec une petite armée, avant que les Olynthiens pussent trouver le temps de mettre leurs plans réellement à exécution ou de les faire apprécier par les cités environnantes. De médiocres forces lacédæmoniennes (disaient-ils), si elles sont envoyées sans retard, non seulement maintiendront fermes dans leur refus celles des cités qui ont refusé de se joindre à Olynthos, mais encore elles engageront les autres, qui s’étaient unies à elle contre leur gré, à se révolter. En conséquence, les éphores nommèrent sur-le-champ Eudamidas, lui assignant deux mille hoplites, — neodamodes (ou ilotes affranchis), periœki et Skiritæ ou Arkadiens habitant la frontière. Les Akanthiens avaient un tel désir qu’on se hâtât, qu’ils ne voulurent pas lui laisser le temps même de réunir entièrement cette petite troupe. Il fut mis en marche immédiatement avec ce qui se trouva prêt, tandis que son frère Phœbidas, resta derrière, chargé de réunir le reste et de le suivre. Et il semble que les Akanthiens ne se trompaient pas dans leur jugement. Car Eudamidas, arrivant en Thrace après une marche rapide, bien qu’il ne fût pas en état de lutter avec les Olynthiens en rase campagne, décida cependant Potidæa à se révolter contre eux et put défendre les villes, comme Akanthos et Apollonia, qui se tenaient résolument à l’écart[45]. Amyntas amena une armée qui devait agir de concert avec lui. Le retard dans la marche de Phœbidas produisit des conséquences non moins importantes qu’inattendues. La ligne directe du Péloponnèse à Olynthos traversait le territoire thêbain, passage que les Thêbains, quels qu’eussent pu être leurs désirs, n’étaient pas assez puissants pour refuser, bien qu’ils eussent contracté une alliance avec Olynthos[46] et qu’une proclamation fût faite pour défendre aux citoyens thêbains de se joindre aux forces lacédæmoniennes. Eudamidas, étant parti sans tarder un moment, l’ordre reçu, traversa la Bœôtia et ne s’arrêta pas dans sa marche vers la Thrace. Mais on sut que son frère Phœbidas devait bientôt le suivre ; et sur ce fait les membres du parti favorable à Lacédæmone dans Thèbes organisèrent une conspiration. Ils obtinrent des éphores et du sentiment de haine qui animait Agésilas contre Thèbes, que l’ordre secret serait donné à Phœbidas de coopérer avec eux dans tout mouvement de parti qu’ils pourraient trouver l’occasion d’exécuter[47] ; et quand il s’arrêta avec son détachement près du gymnase à peu de distance en dehors des murs, ils concertèrent l’affaire aussi bien avec lui qu’entre eux. Leontiadês, Hypathês et Archias étaient les chefs du parti dans Thèbes favorable à Sparte, parti décidément en minorité, cependant puissant encore, et à ce moment si fortifié par l’ascendant illimité du nom spartiate, que Leontiadês lui-même était un des polémarques de la cité. Le sentiment anti-spartiate, prédominant dans Thèbes, — qui comprenait la plupart des citoyens opulents et actifs, ceux qui remplissaient successivement la charge d’hipparques ou généraux de la cavalerie[48], — avait pour chefs Ismenias et Androkleidas. Ismenias en particulier, le premier aussi bien que le plus habile chef de la dernière guerre contre Sparte, était actuellement en charge comme polémarque, conjointement avec son rival Leontiadês. Tandis qu’Ismenias, qui détestait les Spartiates, se tenait loin de Phœbidas. Leontiadês le courtisa assidûment et gagna sa confiance. Le jour des Thesmophoria[49], fête religieuse célébrée par les femmes séparément des hommes pendant laquelle l’Acropolis ou Kadmeia était consacrée exclusivement n leur usage, — Phœbidas, affectant d’avoir terminé sa halte, se mit en marche comme s’il se dirigeait vers la Thrace, vraisemblablement en faisant le tour des murs de Thèbes, mais sans Y entrer. A ce moment le sénat était réuni dans le portique de l’Agora, et la chaleur d’un midi d’été avait chassé tout le monde des rues, quand Leontiadês, se retirant du sénat à la dérobée, alla en toute hâte à cheval rejoindre Phœbidas, lui fit faire volte-face et conduisit les Lacédæmoniens droit à la Kadmeia, dont les portes, aussi bien que celles de la ville, s’ouvrirent à son ordre comme polémarque. Non seulement il n’y avait pas de citoyens dans les rues, il n’y en avait même pas dans la Kadmeia, aucune personne du sexe masculin n’étant autorisée à assister aux Thesmophoria, fête réservée aux femmes ; de sorte que Phœbidas et son armée se trouvèrent maîtres de la Kadmeia sans la moindre opposition. Ils firent en même temps une acquisition qui n’avait, guère moins d’importance, — les personnes de toutes les femmes thêbaines réunies, qui servirent d’otages pour assurer la soumission paisible, bien que forcée, des citoyens de la ville, située au pied de l’Acropolis. Leontiadês remit à Phœbidas la clef des portes et descendit ensuite dans la ville, ordonnant que personne ne montât à la citadelle sans soli ordre[50]. Le sénat assemblé apprit avec consternation l’occupation de l’Acropolis par Phœbidas. Avant que les sénateurs eussent pu délibérer, Leontiadês vint reprendre sa place. Les lochagi et les citoyens armés de son parti, auxquels il avait donné préalablement ses ordres, se tenaient tout prés. Sénateurs (dit-il), ne soyez pas intimidés par la nouvelle que les Spartiates sont dans la Kadmeia ; car ils nous assurent qu’ils n’ont aucun dessein hostile contre quiconque n’appelle pas la guerre contre eux. Mais moi, comme polémarque, je suis autorisé par la loi à arrêter toute personne dont la conduite est manifestement et entièrement criminelle. Conséquemment j’arrête cet homme-ci, Ismenias, comme étant celui qui surtout allume la guerre. En avant, capitaines et soldats, emparez-vous de lui, et menez-le où l’ordre vous a été donné de le conduire. En conséquence Ismenias fut saisi et entraîné comme prisonnier à la Kadmeia, tandis que les sénateurs, atterrés et terrifiés, ne firent pas de résistance. Ceux d’entre eux qui étaient partisans du polémarque arrêté, et beaucoup même d’entre les membres plus neutres, quittèrent le sénat et retournèrent chez eux, reconnaissants d’échapper la vie sauve. Trois cents d’entre eux, y compris Androkleidas, Pélopidas, Mellôn et autres, cherchèrent leur salut dans un exil volontaire à Athènes ; ensuite le reste du sénat, composé actuellement des parti-1~ans favorables à Sparte, outre quelques dissidents, si toutefois il y en avait, vota formellement le renvoi d’Ismenias et nomma un nouveau polémarque à sa place[51]. Ce coup de violence arrogante dont on frappa Ismenias forme un digne pendant à l’arrestation de Theramenês par Kritias[52], vingt-deux ans auparavant, dans le sénat .l’Athènes, sous les Trente. Terrible en lui-même, il fut probablement accompagné par des actes semblables de force contre d’autres personnes du même parti. La soudaine explosion et le succès complet de la conspiration, ourdie par le chef même du pouvoir exécutif, celui de tous les conspirateurs à qui il est le plus difficile de résister, — la présence de Phœbidas dans la Kadmeia, et d’un sénat complaisant dans la ville, — l’arrestation ou la fuite d’Ismenias et de tous ses principaux partisans, — furent plus que suffisants pour briser tout esprit de résistance de la- part des citoyens, font le premier désir fut probablement de tirer leurs épouses et leurs filles des mains des Lacédæmoniens dans la Kadmeia. Avant un tel pria à offrir, Leontiadês dut arracher sine soumission d’autant plus facilement et probablement obtenir un vote du peuple ratifiant le nouveau régime, ’alliance spartiate, et l’occupation continue de l’Acropolis. Après avoir pris les premiers arrangements pour établir son autorité, il se rendit sans retard à Sparte, pour y annoncer que l’ordre régnait à Thèbes. La nouvelle de la prise de la Kadmeia et de la révolution à Thèbes avait été reçue à Sparte avec la plus grande surprise aussi bien qu’avec un sentiment mêlé de honte et de satisfaction. Probablement, partout dans la Grèce, elle causa une sensation plus grande que tout événement depuis la bataille d’Ægospotami. Cet acte, jugé en vertu de la loi publique reconnue en Grèce, était une honteuse iniquité, pour laquelle Sparte n’avait pas l’ombre d’un prétexte. Il était pire même que la surprise de Platée par les Thêbains avant la guerre du Péloponnèse, qui avait pour excuse que la guerre était en tout cas imminente, tandis que dans la circonstance actuelle, les Thêbains n’avaient rien fait pour violer la paix d’Antalkidas ni menacé de la violer. Il fut condamné par le sentiment indigné de toute la Grèce, attesté involontairement même par Xénophon, l’ami de Lacédæmone[53]. Mais en même temps il augmenta immensément la puissance spartiate. Il avait été accompli avec une habileté et un succès supérieurs ; et Phœbidas pouvait bien se vanter d’avoir frappé en faveur de Sparte le coup le plus important depuis Ægospotami, en la délivrant de l’un de ses deux ennemis réellement formidables[54]. Néanmoins, loin de recevoir des remercîments à Sparte, il devint un objet de colère et de blâme, tant pour les éphores que pour les citoyens en général. Tout le monde fut content de rejeter sur lui l’odieux de cet acte et de le dénoncer comme ayant agi sales ordres. Même les éphores, qui l’avaient secrètement autorisé à l’avance à coopérer en général avec la faction à Thèbes, n’ayant sans doute jamais donné d’instructions spéciales, le désavouèrent en ce moment avec indignation. Agésilas seul prit sa défense, en soutenant que la seule question était de savoir si sa conduite à Thèbes avait été nuisible ou profitable à Sparte. Dans le premier cas, il méritait une punition ; dans le second, il était toujours légitime de rendre service, même impromptu, et sans ordres préalables. Sa conduite jugée en vertu de cette règle, le verdict n’était pas douteux. Car chacun à Sparte sentait combien l’acte était avantageux en lui-même ; et il le sentit plus encore, quand Leontiadês vint dans la cité, avec d’humbles sollicitations et de nombreuses promesses. Dans son discours adressé aux éphores et au sénat réunis, il leur rappela combien Thèbes leur avait été hostile jusque-là, sous Ismenias et le parti qui venait d’être renversé, — et dans quelle alarme jalouse ils avaient été constamment que Thèbes ne rétablit par la force la fédération bœôtienne. Maintenant (ajouta-t-il) vos craintes peuvent cesser ; seulement prenez autant de soin de soutenir notre gouvernement, que nous en prendrons d’obéir à vos ordres. Dans l’avenir, vous n’aurez qu’à nous envoyer une brève dépêche, pour obtenir tous les services dont vous aurez besoin[55]. Les Lacédæmoniens résolurent, à la demande d’Agésilas, de garder leur garnison actuellement dans la Kadmeia, de soutenir Leontiadês avec ses collègues dans le gouvernement de Thèbes, et de juger Ismenias. Cependant en même temps, comme sorte de satisfaction donnée à l’opinion de, la Grèce, ils votèrent un blâme à Phœbidas, lui enlevèrent son commandement, et même le condamnèrent à une amende. Toutefois, très probablement l’amende ne fut jamais exigée ; car nous verrons par la conduite de Sphodrias plus tard que le mécontentement contre Phœbidas, s’il fut d’abord véritable, ne dura certainement pas longtemps. Que les Lacédæmoniens condamnassent Phœbidas et gardassent en même temps la Kadmeia, — c’est ce qui a été signalé comme une grande contradiction. Néanmoins nous ne devons pas oublier que, s’ils eussent évacué la Kadmeia, le parti de Leontiadês à Thèbes, qui s’était compromis pour Sparte aussi bien que pour son propre agrandissement, aurait été sacrifié sans retour. La même excuse, si c’en est une, ne peur être donnée eu égard à leur manière de traiter. Ismenias, qu’ils firent juger à Thèbes devant une cour composée de trois commissaires lacédæmoniens, et d’un de chaque cité alliée. Il fut accusé, probablement par Leontiadês et par ses autres ennemis, d’être entré en relations d’amitié et d’avoir formé une conspiration avec le roi de Perse au détriment de la Grèce[56], — d’avoir eu part au fonds persans apportés en Grèce par Timokratês le Rhodien, — et d’être l’auteur réel de cette guerre qui avait troublé la Grèce depuis 395 avant J.-C. jusqu’à la paix d’Antalkidas. Après une défense inutile, il fut condamné et exécuté. Si ce sort lui eût été infligé par ses ennemis politiques comme une conséquence de leur victoire intestine, il eût été trop conforme à la guerre de parti en Grèce pour provoquer une remarque spéciale. Mais il y a quelque chose de particulièrement révoltant dans la prostitution d’une solennité judiciaire et d’un prétexte panhellénique, dont les Lacédæmoniens se rendirent coupables dans cette circonstance. Ils ne pouvaient avoir aucun droit possible de juger Ismenias comme criminel, encore moins de le juger comme criminel sur le chef de confédération avec le roi de Perse, — quand eux-mêmes, seulement cinq ans avant, ils avaient agi non seulement comme alliés, mais même comme instruments de ce monarque, en imposant la paix d’Antalkidas. Si Ismenias avait reçu de l’argent d’un satrape persan, le Spartiate Antalkidas avait tiré le même profit d’un autre, et pour le même dessein aussi, à savoir de continuer une guerre grecque. Le motif réel des Spartiates fut sans doute de se venger de ce Thébain distingué peur avoir suscité contre eux la guerre qui commença en 395 avant J.-C. Le simulacre de justice par lequel cette vengeance fut masquée, et l’impudence qu’il y eut à punir en lui comme trahison cette même alliance étrangère avec laquelle ils s’étaient fastueusement identifiés, font paraître toute leur conduite comme une énormité plus grande encore. Leontiadês et ses partisans furent ainsi établis comme maîtres dans Thèbes, avec une garnison lacédæmonienne dans la Kadmeia pour les soutenir et exécuter leurs ordres. Thèbes, jadis si hautaine, fut inscrite comme membre de la confédération lacédæmonienne. Sparte put alors poursuivre l’expédition olynthienne avec un redoublement de vigueur. Bien qu’Eudamidas et Amyntas arrêtassent le développement de la confédération olynthienne, ils n’avaient pas été assez forts pour l’abattre, de sorte qu’il fallut de plus grandes forces, et qu’on mit immédiatement en réquisition le corps Collectif de dix mille hommes, qui avait été décrété antérieurement, et qui fut mis sous le commandement de Teleutias, frère d’Agésilas. Le nouveau général, homme de manières très populaires, fut bientôt en marche à la tête de cette armée considérable, qui comprenait beaucoup d’hoplites et de cavaliers thêbains fournis pax les nouveaux maîtres de Thèbes dans leur dévouement absolu pour Sparte. Il envoya en avant des ambassadeurs à Amyntas en Macédoine, pour le prier de faire les plus grands efforts dans le dessein de recouvrer les cités macédoniennes qui s’étaient jointes aux Olynthiens, — ainsi qu’à Derdas, prince du district de la haute Macédoine, appelée Elimeia, demandant sa coopération contre cette insolente cité qui ne tarderait pas à étendre sa domination (prétendait-il) de la région maritime à la région intérieure, si elle n’était renversée[57]. Bien que les Lacédœmoniens fussent maîtres partout et eussent les mains libres, — que Teleutias fût un officier capable et eût des forces puissantes, et que Derdas l’eût rejoint avec quatre cents cavaliers macédoniens excellents, — cependant la conquête d’Olynthos se trouva ne pas être une entreprise aisée (382 av. J.-C.)[58]. La cavalerie olynthienne, en particulier, était nombreuse et puissante. Hors d’état de tenir tête à Teleutias sur le terrain ou d’arrêter sa marche, néanmoins, dans un engagement irrégulier qui se livra près des portes de la ville, elle défit la cavalerie lacédæmonienne et thêbaine, jeta même la confusion dans l’infanterie, et fut sur le point de remporter une victoire complète, si Derdas, avec sa cavalerie sur l’autre aile, n’eût fait une diversion qui força les Olynthiens à revenir sur leurs pas pour protéger la ville. Teleutias, restant maître du terrain, continua à ravager le territoire olynthien pendant l’été, ce dont toutefois les Olynthiens se vengèrent par de fréquentes excursions de maraude contre les cités qui étaient dans son alliance[59]. Le printemps suivant (381 av. J.-C.), les Olynthiens essuyèrent diverses défaites partielles, l’une surtout près d’Apollonia que leur fit subir Derdas. Ils furent de plus en plus réduits à leurs murs, au point que Teleutias devint confiant et commença à les mépriser. Il était dans ces dispositions, quand un corps de cavaliers olynthiens se montra un matin, passa la rivière près de leur cité et s’avança en ordre calme vers le camp lacédæmonien. Indigné qu’ils manifestassent tant d’audace, Teleutias ordonna à Tlemonidas avec les peltastes de les disperser ; alors les Olynthiens se retirèrent lentement, tandis que les peltastes se précipitèrent avec ardeur à leur poursuite, même quand ils repassaient la rivière. Les Olynthiens n’eurent pas plus tôt vu que la moitié des peltastes l’avait franchie, qu’ils se retournèrent soudain, les chargèrent vigoureusement et les mirent en fuite en tuant cent d’entre eux avec leur commandant Tlemonidas. Tout cela se passait en vue de Teleutias, qui perdit complètement son sang-froid. Il saisit ses armes et s’élança en avant, pour protéger les fugitifs avec les hoplites qui l’entouraient, en envoyant à toutes ses troupes, hoplites, peltastes et cavaliers, l’ordre d’avancer également. Mais les Olynthiens, se retirant de nouveau, l’attirèrent vers la vire, qui gagna avec une ardeur si inconsidérée, que beaucoup de ses soldats, gravissant l’éminence sur laquelle la cité était située, coururent au pied des murailles[60]. Là toutefois ils furent reçus par une grêle de traits qui les forcèrent de se retirer en désordre ; alors les Olynthiens tirent une nouvelle sortie, probablement par plus d’une porte à la fois, et les chargèrent d’abord avec des cavaliers et ales pelta tes, ensuite avec des hoplites. Les Lacédæmoniens et leurs alliés, mis en désordre et serrés de près par les premiers, ne purent résister à la charge compacte des seconds ; Teleutias lui-même, qui combattait dans les premiers rangs, fut tué, et sa mort fut un signal de fuite pour tous ceux qui l’entouraient. Toute l’armée des assiégeants se dispersa et s’enfuit dans différentes directions, — à Akanthos, à Spartôlos, à Potidæa, à Apollonia. Les Olynthiens les poursuivirent d’une manière si vigoureuse et si efficace, que les pertes des fugitifs furent immenses. De fuit toute l’armée fut ruinée[61], car probablement un grand nombre parmi les alliés qui s’échappèrent fut découragé et retourna dans ses foyers. Probablement, à une autre époque, une victoire si décisive aurait détourné les Lacédæmoniens d’opérations nouvelles et sauvé Olynthos (380 av. J.-C.). Mais en ce moment, ils étaient si complètement maîtres partout ailleurs, qu’ils ne songèrent qu’à réparer le déshonneur par une démonstration plus imposante encore. Leur roi Agésipolis fût mis à la tête d’une expédition disposée sur l’échelle la plus considérable ; et son nom provoqua une coopération plus empressée, tant en hommes qu’en argent, de la part des alliés. I1 se mit en marche avec trente conseillers spartiates, comme Agésilas était allé en Asie, outre un corps d’élite de jeunes gens énergiques comme volontaires, composé des periœki, des fils illégitimes de Spartiates et d’étrangers ou citoyens auxquels la pauvreté avait fait perdre leurs droits, admis, comme amis de citoyens spartiates plus riches, à partager la pénible éducation de Lykurgue[62]. On pressa également Amyntas et Derdas de faire de plus grands efforts qu’auparavant, de sorte qu’Agésipolis fut en état ; après avoir reçu leurs renforts dans sa marche à travers la Macédoine, de se présenter devant Olynthos avec des forces écrasantes, et de confiner les citoyens dans leurs murs. Il acheva alors de ravager leur territoire, ce que Teleutias avait commencé, et même il prit Torônê d’assaut. Mais l’extrême chaleur de l’été lui causa bientôt une fièvre, qui devint fatale dans l’intervalle d’une semaine, bien qu’il se fût fait porter pour se reposer dans le bois sacré et prés des eaux limpides, qui se trouvaient prés du temple de Dionysos à Aphytis. Son corps fut plongé dans du miel et transporté à Sparte, ou il fut enseveli avec les solennités accoutumées[63]. Polybiadês, qui succéda à Agésipolis dans le commanderaient (379 av. J.-C.) poursuivit la guerre avec la même vigueur ; et les Olynthiens, privés des produits de leur sol aussi bien que d’importations, furent bientôt réduits à des embarras tels qu’ils furent forcés de solliciter la paix. Ils furent obligés de détruire leur fédération, et de s’inscrire comme membres assermentés de la confédération lacédæmonienne, avec ses obligations de service à l’égard de Sparte[64]. L’union olynthienne étant dissoute, les cités grecques qui la composaient furent inscrites séparément comme alliées de Sparte, tandis que les cités maritimes de la Macédoine furent privées de leur protecteur grec voisin, et repassèrent sous la domination d’ Amyntas. Ces deux actes, la dissolution de cette confédération naissante et le rétablissement de la Macédoine maritime furent des malheurs signalés pour le monde grec. Jamais les armes de Sparte ne furent employées d’une manière plus funeste ni plus inexcusable. Qu’une puissante confédération grecque fût formée dans la péninsule chalkidique, dans la région frontière où la Hellas confinait aux tribus non Helléniques, — c’était un incident d’un avantage signalé pour le monde hellénique en général. Elle eût servi de boulevard à la Grèce contre les Macédoniens et les Thraces voisins, aux dépens desquels elle eût accompli ses conquêtes, si elle en eût fait. Qu’Olynthos n’opprimât pas ses voisins grecs, — que les principes de sa confédération fussent du caractère le plus équitable, le plus généreux et le plus séduisant, — qu’elle n’employât pas une force plus grande qu’il n’était nécessaire pour surmonter un instinct irréfléchi d’autonomie municipale, — et que les mêmes villes qui obéissaient à cet instinct dussent devenir sensibles elles-mêmes, dans un temps très court, aux avantages procurés par la confédération à chacune et à toutes, — ce sont des faits certifiés par les instances des Akanthiens récalcitrants, quand ils supplient Sparte de ne pas laisser à la confédération le temps de faire sentir son action. L’intervention seule de Sparte aurait pu anéantir cette promesse libérale et bienfaisante ; ainsi que ce hasard seul, que pendant les trois années de 382 à 379 avant J.-C., elle était à l’apogée de sa puissance et avait les mains tout à fait libres, avec Thèbes et sa Kadmeia occupées par sa garnison. Cette prospérité ne dura pas longtemps sans diminuer. Peu de mois seulement après la soumission d’Olynthos, la Kadmeia fut reprise par les exilés thêbains, qui suscitèrent contre Sparte une guerre si vigoureuse, qu’elle aurait été hors d’état de se mêler d’Olynthos, comme nous le verrons expliqué par ce fait (qui sera raconté ci-après) qu’elle refusa d’intervenir en Thessalia pour protéger les cités thessaliennes contre Jasôn de Pheræ. Si la confédération olynthienne avait été laissée à son action naturelle, elle aurait bien pu unir toutes les cités helléniques qui l’entouraient dans une action harmonieuse, de manière à retenir la côte de la nier en la possession d’une confédération de communautés libres et indépendantes, confinant aux princes macédoniens de l’intérieur. Mais Sparte intervint avec sa force étrangère, à la fois irrésistible et funeste, pour combattre ces tendances ; et pour faire échouer ce changement salutaire, — d’une autonomie fractionnaire et d’une action isolée en une autonomie entière et égale avec une action collective, — qu’Olynthos travaillait à effectuer. Elle donna la victoire à Amyntas, et prépara la base indispensable sur laquelle son fils Philippe s’éleva plus tard, pour réduire non seulement Olynthos, mais Akanthos, Apollonia et la majeure partie du monde grec, à un niveau commun de sujétion. Un grand nombre de ces Akanthiens, qui dédaignaient le bienfait d’une association égale et d’une société libre avec des Grecs et des voisins, finirent par reconnaître combien leurs murailles séparées étaient impuissantes comme boulevard contre leurs voisins macédoniens ; et par se voir confondus dans cette commune servitude que l’imprudence de leurs pères leur avait léguée. Par la paix d’Antalkidas, Sparte avait livré les Grecs asiatiques à la Perse ; en écrasant la confédération olynthienne ; elle livra virtuellement les Grecs thraces aux princes macédoniens. Jamais l’occasion ne se représenta de placer l’hellénisme sur une base ferme, solide et se soutenant d’elle-même, autour vie la côte du golfe Thermaïque. Pendant le cours de la guerre olynthienne, les Lacédæmoniens intervinrent encore sous Agésilas, dans l’intérieur du Péloponnèse, par une expédition contre la cité de Phlionte. Il a déjà été dit que certains exilés de cette cité avaient été rappelés récemment, sur l’ordre exprès de Sparte. Le parti qui gouvernait à Phlionte avait en même temps rendu un vote à l’effet de restituer à ces exiles leurs biens qui avaient été confisqués, en remboursant sur le trésor public, à ceux qui les avaient achetés, le prix qu’ils avaient payé, — et en réservant tout point contesté à une décision judiciaire (384 av. J.-C.)[65]. Les exilés de retour allèrent alors de nouveau à Sparte, se plaindre de ne pouvoir obtenir la juste restitution de leurs biens, en disant que les tribunaux de la cité étaient entre les mains de leurs adversaires, dont beaucoup, étant intéressés directement comme acquéreurs, leur refusaient le droit d’en appeler à une autorité étrangère et impartiale, et qu’il y avait dans la ville elle-même bien des personnes qui les considéraient comme lésés. Ces allégations étaient probablement plus ou moins fondées en vérité. En même temps, l’appel à Sparte, qui abrogeait l’indépendance de Phlionte, irrita tellement les chefs phliasiens qu’ils frappèrent d’une amende tous les appelants. Ces derniers insistèrent sur cette sentence comme sur un nouveau motif pour donner plus de force à leurs plaintes à Sparte, et comme sur une nouvelle preuve des sentiments anti-spartiates, aussi bien que de l’injustice arrogante, des chefs phliasiens[66]. Leur cause fut chaudement épousée par Agésilas, qui avait de relations personnelles d’hospitalité avec quelques-uns des exilés, tandis qu’il parait que son collègue le roi Agésipolis était en bons termes avec le parti qui gouvernait à Phlionte, — qu’il avait reçu de ce parti une aide empressée, tant en hommes qu’en argent, pour son expédition olynthienne, — et qu’il l’avait publiquement remercié de son dévouement à Sparte[67]. Le gouvernement phliasien, enhardi par le témoignage déclaré d’Agésipolis, certifiant sa fidélité, s’était imaginé qu’il était sur un terrain solide, et qu’il n’avait pas à redouter de coercition de la part de Sparte. Mais la faveur marquée d’Agésipolis, absent et actuellement en Thrace, lui nuisit plutôt dans l’esprit d’Agésilas, conformément à cette jalousie qui régnait ordinairement entre les deux rois spartiates. Malgré de vives remontrances à Sparte, de la part de beaucoup de gens qui repoussaient des hostilités contre une cité de cinq mille citoyens, au profit d’une poignée d’exilés, — non seulement il appuya la, déclaration de guerre contre Phlionte par les éphores, mais encore il prit le commandement de l’armée[68]. L’armée étant rassemblée, et les sacrifices sur la frontière favorables, Agésilas s’avança avec sa rapidité habituelle vers Phlionte ; il renvoya les ambassadeurs phliasiens, qui vinrent au-devant de lui en chemin, et lui offrirent des présents ou lui adressèrent des prières pour qu’il se désistât, en leur répondant durement que le gouvernement avait déjà trompé Sparte une fois, et qu’il ne se contenterait que d’une chose, la reddition de l’acropolis. Voyant sa prétention repoussée, il marcha vers la cité, et la bloqua par un mur de circonvallation. Les assiégés se défendirent avec une bravoure et une patience résolues, sous un citoyen nommé Delphion, qui, avec une troupe d’élite de trois cents hommes, fit une garde constante sur tous les points, et molesta même les assiégeants par de fréquentes sorties. Par décret public, tout citoyen fut mis à une demi ration de pain, de sorte que le siège se prolongea le double du temps qu’Agésilas avait supposé possible, d’après les renseignements des exilés quant au fonds existant de provisions. Toutefois, insensiblement la famine se fit sentir ; les désertions de l’intérieur augmentèrent, parmi ceux qui étaient favorables aux exilés, ou qui ne leur étaient pas décidément contraires ; désertions qu’Agésilas eut soin d’encourager en fournissant aux déserteurs une abondante nourriture, et en les enrôlant tomme émigrants phliasiens du côté spartiate. Enfin, après un blocus d’environ une année[69], les provisions à l’intérieur furent épuisées, de sorte que les assiégés furent forcés de demander à Agésilas la permission de dépêcher à Sparte des ambassadeurs pour solliciter des conditions. Agésilas fit droit à leur requête. Mais étant en même temps indigné qu’ils se soumissent à Sparte plutôt qu’à lui, il envoya demander aux éphores l’autorisation de dicter lui-même les conditions. Dans l’intervalle, il redoubla sa surveillance sur la ville ; malgré cela, Delphion, avec un de ses subordonnés les plus actifs, parvint à s’échapper à ce dernier moment. Phlionte l’ut alors forcée de se rendre à discrétion à Agésilas, qui nomma un conseil de cent membres (composé moitié d’exilés, moitié de ceux de l’intérieur de la cité) investi de pouvoirs absolus de vie et de mort sur tous les citoyens, et autorisé à faire une constitution pour le gouvernement futur de la ville. Jusqu’à complète exécution de ces mesures, il laissa une garnison dans l’acropolis, avec une paye assurée pour six mois[70]. Si Agésipolis eût vécu, il se peut que les Phliasiens eussent obtenu des conditions meilleures. Gomment se conduisit la toute-puissante hékatontarchie nommée par Agésilas avec des sentiments de parti[71], c’est ce que nous ignorons. Mais les présomptions sont toutes défavorables, si l’on songe que la situation de ce conseil aussi bien que sa puissance était analogue à celle des Trente, à Athènes, et des dékarchies de Lysandros établies ailleurs. Olynthos et Phlionte semblent s’être rendues, l’une à Polybiadês, l’autre à Agésilas, presque à la même époque (379 av. J.-C.). |
[1]
En 1627, pendant la guerre de Trente Ans, la ville allemande de Wolfenbüttel
fut contrainte de se rendre de la même manière, à cause d’un barrage établi
dans la rivière Ocker qui la traversait : moyen inventé par le général comte
Pappenheim, le commandant autrichien qui l’assiégeait. Voir Life of Wallenstein
du colonel Mitchell, p. 107.
La description que donne Xénophon de Mantineia telle qu’elle était en 385 avant J.-C., avec la rivière Ophis, cour, d’eau considérable, passant au milieu d’elle, est parfaitement claire. Quand la cité, après avoir été détruite à ce moment, fut rebâtie en 370 avant J.-C., l’emplacement fut tellement changé que la rivière ne la traversait plus. Mais le cours actuel de la rivière Ophis, telle que le donnent d’excellents observateurs topographiques modernes, le colonel Leake et Kiepert, est à une distance très considérable de Mantineia, rebâtie en 370 avant J.-C., dont la situation est exactement connue, puisque le circuit de ses murs reste encore marqué distinctement. Conséquemment, la Mantineia de 370 avant J.-C., en tant que comparée à la Mantineia en 385 avant J.-C., doit avoir été éloignée à une distance considérable, — ou autrement la rivière Ophis a dû changer son cours. Le colonel Leake suppose que l’Ophis avait été artificiellement détourné de son cours, afin d’être conduit à travers la ville de Mantineia, supposition qu’il fonde sur les mots de Xénophon (Helléniques, V, 2, 7). Mais il est très difficile d’être d’accord avec lui sur ce point, quand nous regardons sa propre carte (annexée aux Peloponnesiaca) du district de Mantineia et de la Tegeatis, et que nous remarquons la grande distance qui existe entre la rivière Ophis et Mantineia, et les mots de Xénophon ne semblent pas non plus impliquer nécessairement que la rivière ait été détournée artificiellement. Il paraît plus facile de croire que la rivière a changé son cours. V. Leake, Travels in Morea, vol. III, eh. 24, p. 71, et Peloponnesiaca, p. 380, et Ernst Curtius, Peloponnesos, p. 239, — qui cependant laisse encore ce point obscur.
[2] Diodore, XV, 5.
[3]
Xénophon, Helléniques, V, 2, 6. Voir
auparavant V, 2, 3.
J’ai déjà fait remarquer plus d’une fois, et le lecteur en verra ici un nouvel exemple, combien le mot βέλτιστοι, — qui est appliqué au parti riche ou aristocratique en politique, comme son équivalent l’est dans d’antres langues, par des écrivains dont ce parti a les sympathies, — est complètement dépouillé de toute véritable signification morale quant au caractère.
[4]
Xénophon, Helléniques, V, 2, 7.
Voir ce qu’il dit de cette division de la cité de Mantineia. Éphore (Fr. 128, éd. Didot) dit que, divisée, elle forma de nouveau les cinq villages primitifs, et Strabon affirme qu’il y avait dans l’origine cinq villages constitutifs (VIII, p. 337). De là il est probable qu’après cette διοίκισις, on laissa Mantineia la cité subsister comme l’un des cinq villages non fortifiés ; de sorte qu’on peut faire accorder en substance Ephore, Strabon et Xénophon.
[5]
C’est ce que mentionne Xénophon lui-même (Helléniques,
VI, 5, 3). Les Lacédæmoniens, bien qu’ils fissent des remontrances à ce sujet,
étaient à cette époque trop humiliés pour intervenir par la force et
l’empêcher. La raison pour laquelle ils n’intervinrent pas par la force (selon
Xénophon) fut qu’une paix générale venait d’être jurée alors, garantissant
l’autonomie à chaque cité séparée, de sorte que les Mantineiens, en vertu de
cette paix, avaient le droit de faire ce qu’ils firent (V, 5, 5). Cette seconde
paix eut Athènes pour auteur et pour garante ; mais l’autonomie qu’elle
garantissait était seulement la même que celle qui avait été garantie
ouvertement par la paix d’Antalkidas dont Sparte avait été la garante.
Une autonomie générale, telle qu’elle était interprétée
par Athènes, était une chose différente d’une autonomie générale telle qu’elle
avait été quand parte l’avait interprétée. Les Spartiates, quand ils eurent
dans leurs mains et le pouvoir d’interpréter et le pouvoir d’imposer, ne se
firent pas scrupule de falsifier complètement l’autonomie, au point d’assiéger
Mantineia et de détruire la cité par la force ; tandis que quand ces mêmes
pouvoirs passèrent aux Athéniens, ceux-ci reconnurent tout de suite que le
traité les empêchait d’intervenir en aucune sorte, fût-ce même d’une manière
beaucoup moins violente.
Nous pouvons voir par là combien est entièrement partial et favorable à Lacédæmone le récit que fait Xénophon de la διοίκισις de Mantineia, combien il cache complètement le côté odieux de cette mesure.
[6] Voir la remarquable sentence des Spartiates, dans laquelle ils repoussent la réclamation des Pisans quant au droit de présider et d’administrer la fête Olympique (qui avait été leur ancien privilège) parce qu’ils étaient χωρίται et impropres à cette tâche (Xénophon, Helléniques, III, 2, 31) : cf. χωριτικώς (Xénophon, Cyropédie, IV, 5, 54).
[7] Aristote, Politique, VI, 2, 2.
[8] Thucydide, V, 81.
[9] Isocrate, Or. IV (Panegyr.), s. 133, 134, 146, 266 ; Or. VIII (De Pace), s. 123 ; Xénophon, Helléniques, V, 2, 1-8 ; Diodore, XV, 5, 9-19.
[10] Xénophon, Helléniques, V, 1, 35.
[11] Xénophon, Helléniques, V. 2, 8-10.
[12] Xénophon, Helléniques, VII, 1, 3-12.
[13] Xénophon, Helléniques, IV, 8, 7.
[14] Isocrate, Or. XVII (Trapezit.), s. 71.
[15]
Voir l’importante inscription appelée Mamor
Sandvicense qui contient les comptes rendus par les Amphiktyons annuels à
Délos, de 377 à 373 avant J.-C.
Bœckh, Staatshaushaltung
der Athener, vol. II, p. 214, 1ère éd. ; vol. II, p. 78 sqq., 2e éd.
La liste des cités et des individus qui empruntaient de l’argent au temple est donnée dans ces comptes avec le montant de l’intérêt soit payé par eux, soit restant en arrière.
[16] Telle est la description qu’Isocrate fait lui même (Orat. XV (Permutat.), s. 61) de l’état du monde grec quand il publia son Panégyrique.
[17]
Le Panégyrique d’Isocrate, dont la
date est assez exactement connue, a une grande valeur en ce qu’il nous permet
de comprendre la période qui suivit immédiatement la paix d’Antalkidas
Il mentionne en particulier la multiplication des pirates, et la lutte entre Athènes et Sparte au sujet du tribut des îles dans la mer Ægée (s. 133 ; s. 151). Cf. Xénophon, Helléniques, VI, 1, 12.
[18] Diodore, XV, 9, 19.
[19] Thucydide, VII, 9.
[20]
Ceci est attesté par Platon, Gorgias, c, 26, p. 471 A.
Cette assertion de Platon, que Perdikkas chassa du
trône son frère Alketas, ne parait pas attirer l’attention des commentateurs.
Il se peut qu’elle puisse expliquer les embarras chronologiques lui se rattachent
au règne de Perdikkas, dont les années sont, selon différents auteurs, 23, 28,
35, 40, 41. Voir M. Clinton, Fasti Hellenici, ch. 4, p. 222 — où il discute la
chronologie des rois macédoniens, et Krebs, Lection. Diodoreæ, p. 159.
Il n’y a aucun moyen de déterminer quand le règne de Perdikkas commença, — ni exactement quand il finit. Nous savons par Thucydide qu’il était roi en 432, et en 414 avant J.-C. Mais le fait de son acquisition de la couronne par l’expulsion d’un frère aîné rend moins étonnant que le commencement de son règne soit exposé différemment par différents auteurs, bien que les auteurs semblent pour la plupart considérer Perdikkas comme le successeur immédiat d’Alexandre, sans mentionner Alketas.
[21] Thucydide, I, 57 ; II, 97, 100.
[22] La mère d’Archélaos était une esclave d’Alketas ; c’est pour cette raison que Platon appelle Alketas δεσπότην καί θείον d’Archélaos (Platon, Gorgias, c. 26, p. 471 A).
[23] Thucydide, II, 100.
[24] Arrien, I, 11 ; Diodore, XVII, 16.
[25] Plutarque, De Vitioso Pudore, c. 7, p. 531 E.
[26] Aristote, Rhétorique, II, 24 ; Sénèque, De Beneficiis, V, 6 ; Ælien, V. H., XIV, 17.
[27] Voir les renseignements, malheureusement très brefs, d’Aristote (Politique, V, 8, 10-13). Platon (Alkibiadês, II, ch. 5, p. 141 D), tout en mentionnant l’assassinat d’Archélaos par son παιδικα (mignon), présente le motif de ce dernier autrement qu’Aristote, comme ayant été un désir ambitieux de posséder lui-même le trône. Diodore (XIV, 371 représente Kratenas comme ayant tué Archélaos sans intention dans une partie de chasse.
Dekamnichos est cité par Aristote (Politique, l. c.) comme un des exemples de personnes réellement fouettées, ce qui preuve qu’Euripide profita du privilège accordé par Archélaos.
[28] Diodore, XIV, 84-89.
[29] Ælien, V. H., XII, 43 ; Dexippus ap. Syncell., p. 263 ; Justin, VII, 4.
[30] Diodore, XIV, 89.
[31] Voir dans Thucydide, IV, 112, — les relations d’Archibæos, prince des Macédoniens, appelés Lynkastæ dans l’intérieur du pays, avec les envahisseurs illyriens, — 423 avant J. C.
Archelaos avait été engagé à une époque plus récente dans une guerre avec un prince de l’intérieur nommé Archibæos, — peut-être le même personnage (Aristote, Politique, V, 8, 11).
[32] Diodore, XIV, 92, XV, 19.
La fuite d’Amyntas après le règne d’une année, est confirmée par Dexippus, ap. Syncell., p. 263.
[33] Xénophon, Helléniques, V, 2, 12.
Nous savons par Diodore qu’Amyntas s’était enfui du pays poussé par le désespoir, et qu’il avait cédé aux Olynthiens une portion considérable au moins de la basse macédoine. Conséquemment la lutte entre ces derniers et Amyntas (laquelle il est fait allusion ici) a dû se produira quand il revint et essaya de reprendre sa domination.
[34] Xénophon, Helléniques, V, 2, 12. Cf. V, 2, 38.
[35] Xénophon, Helléniques, V, 2, 14.
Le nombre des troupes olynthiennes est donné dans Xénophon comme étant de 800 hoplites, — d’un beaucoup plus grand nombre de peltastes, et de 1.000 cavaliers, en admettant qu’Akanthos et Apollonia se soient jointes à la confédération. M. Mitford et autres ont fait remarquer que ces chiffres tels qu’ils sont ici, doivent décidément être au-dessous de la réalité. Mais nous n’avons pas à notre disposition de moyen de les corriger. La suggestion que fait M. Mitford de 8.000 hoplites au lieu de 800 ne repose sur aucune autorité.
Démosthène dit qu’Olynthos seule, et avant qu’elle eût réuni tous les Chalkidiens en confédération (De Fals. Leg., c 75, p. 425), possédait 400 cavaliers et une population de 5.000 citoyens ; pas plus que cela (dit-il) à l’époque où les Lacédæmoniens les attaquèrent. Les assertions historiques de ce grand orateur, pour une époque qui coïncide presque avec sa naissance, doivent être revues avec précaution.
[36] Cf. Bœckh, Public Economy of Athens, p. 54, s. 100, trad. angl.
[37] Xénophon, Helléniques, V, 2, 16.
Je traduis ici la substance du discours, non les mots exacts.
[38] Xénophon, Helléniques, V, 2, 14.
[39] Xénophon, Helléniques, V, 2, 18.
[40] Diodore, XIV, 92 ; XV, 9.
Démosthène parle d’Amyntas comme ayant été chassé de son royaume par les Thessaliens (cont. Aristokr., c. 29, p. 657). Si ce fait est historiquement exact, il doit se rapporter à quelque guerre subséquente dans laquelle il fut engagé avec les Thessaliens, peut-être à l’époque où Jason de Pheræ acquit la domination sur la Macédoine (Xénophon, Helléniques, VI, 1).
[41] V. tome VIII, ch. 2 de cette Histoire.
[42] Xénophon, Helléniques, V, 2, 20.
[43] Xénophon, Helléniques, V, 2, 21, 22.
Diodore (XV, 31) mentionne le fait qu’un hoplite était compté comme équivalent à deux peltastes, eu égard au rôle lacédæmonien peu d’années après ; mais il a du être également nécessaire de fixer cette proportion dans la présente occasion.
[44] Voir tome VII, ch. 6 de cette Histoire.
[45] Xénophon, Helléniques, V, 2, 21 ; Diodore, XV, 21.
[46] Xénophon, Helléniques, V, 2, 27-34.
[47] Telle est l’assertion de Diodore (XV, 29) et eu substance celle de Plutarque (Agésilas, c. 24), qui donne à entendre que c’était l’opinion générale du temps Et elle me parait plus probable que ce que dit Xénophon, — à savoir que la première idée s’en présenta quand Phœbidas était sous les murs de Thèbes, et que le chef spartiate fut persuadé par Leontiadês d’agir sous sa propre responsabilité. La conduite d’Agésilas et des éphores après le fait ressemble à celle de personnes qui en avaient préalablement examiné la possibilité. Mais la suggestion primitive a dû venir de la faction thêbaine elle-même.
[48] Plutarque, (De Genio Socratis, c. 5, p. 578 B) dit que la plupart de ces officiers de cavalerie furent plus tard en exil avec Pélopidas à Athènes.
Nous avons peu ou point d’informations relativement au gouvernement de Thèbes. Il semblerait avoir été à ce moment une oligarchie rendue libérale. Il y avait un sénat et deux polémarques : il se peut que les polémarques aient été plus de deux en tout, bien que les mots de Xénophon nous amènent plutôt a en supposer deux seulement, — et il semble qu’il y a pu également un magistrat civil, choisi par la voie du sort et renouvelé annuellement, et dont la charge avait pour marque qu’il avait constamment en sa possession la lance sacrée de l’État et le sceau de la cité (Plutarque, De Gen. Socr., c. 31, p 597 — B. — C).
A ce moment, il faut se le rappeler, il n’y avait pas d’officiers tels que les Bœôtarques, puisque les Lacédæmoniens, en imposant la paix d’Antalkidas, avaient mis fin à la fédération bœôtienne.
[49] Le rhéteur Aristide (Or. XIX, Eleusin. p. 452 Cent. ; p. 419 Dind.) dit que la Kadmeia fut prise pendant la fête Pythienne. Cette fête se célébra en juillet ou en août 383 près du commencement de la troisième année de la (99e) olympiade. Voir tome IX, ch. 4 de cette Histoire. Relativement à l’aunée et au mois dans laquelle la fête Pythienne se célébrait, il y a une différence d’opinion entre les commentateurs. Je suis d’accord avec ceux qui la placent dans le premier quart de la troisième aimée olympique. Et la date de la marche de Phœbidas s’accorderait parfaitement avec cette supposition.
Xénophon ne parle pas de la faite Pythienne comme étant en cours de célébration quand Phœbidas était campé près de Thèbes, car elle ne se rapportait pas particulièrement à cette ville.
[50] Xénophon, Helléniques, V, 2, 28, 25.
[51] Xénophon, Helléniques, V, 2, 30, 31.
[52] Xénophon, Helléniques, II, 3. Voir tome XII, ch. 1 de cette Histoire.
[53] Xénophon, Helléniques, V, 4, 1.
[54] Il est curieux que Xénophon, qui considère Phœbidas comme un homme plutôt au cœur ardent que sage, parle de lui comme s’il n’avait pas rendu de service réel à Sparte par la prise de la Kadmeia (V, 2, 28). L’explication de ceci, c’est que Xénophon écrivit son histoire à une époque postérieure, après la défaite de Leuktra et la chute de Sparte ; chute qui fut amenée par la réaction contre sa domination arrogante et oppressive, surtout après la prise de la Kadmeia, — ou (dans la pieuse croyance de Xénophon) par le mécontentement des dieux, qu’une telle iniquité attira sur eux (V, 4, 1). Ainsi, de cette manière, il est établi que Phœbidas n’avait pas agi avec une véritable sagesse, et qu’il avait fait à son pays plus de mal que de bien ; critique que, nous pouvons en être sûrs, personne ne fit à l’époque de la prise elle-même, ni pendant trois années après.
[55] Xénophon, Helléniques, V, 2, 34.
Xénophon mentionne le mécontentement des éphores et des Spartiates en général contre Phœbidas, mais non l’amende, qui est certifiée par Diodore (XV, 290), par Plutarque (Pélopidas, c. 6, et De Genio Socratis, p. 57n A) et par Cornélius Nepos (Pélopidas), c. l.
[56] Xénophon, Helléniques, V, 2, 35 ; Plutarque, De Genio Socratis, p. 576 A. Plutarque, dans un autre endroit (Pélopidas, c. 5), représente Ismenias comme ayant été amené à part pour y être jugé.
[57] Xénophon, Helléniques, V, 2, 38.
[58] Démosthène (De Fals. Leg., c. 75, p. 425) parle avec un éloge convenable de la vaillante résistance faite par les Olynthiens à la grande armée de Sparte. Mais ses expressions égarent complètement quant au caractère et au résultat de la guerre. Si nous n’avions pas d’autre information que la sienne, nous serions amenés à croire que les Olynthiens avaient été victorieux et les Lacédœmoniens battus.
[59] Xénophon, Helléniques, V, 2, 40-43.
[60] Thucydide, I, 63, — avec le Scholiaste.
[61] Xénophon, Helléniques, V, 3, 4-6.
Diodore (XV, 21) porte la perte à 1.200 hommes.
[62] Xénophon, Helléniques, V, 3, 9.
L’expression — ξένος τών τροφίμων — est expliquée par un passage de Phylarque dans Athénée, VI, p. 271 (auquel s’en réfère Schneider dans sa note sur cet endroit). J’ai déjà dit que les droits politiques d’un citoyen spartiate dépendaient de ce qu’il était en état de fournir constamment sa quote-part à la table publique. Beaucoup d’entre les familles pauvres finirent par être hors d’état de le faire, et perdirent ainsi leurs droits et leur part aux exercices ; mais quelquefois des citoyens riches payaient leur quote-part pour elles, et par ce secours les mettaient à même de continuer leurs exercices en qualité de ξύντροφοι, τρόφιμοι, μόθακες, etc., comme compagnons de leurs propres fils. Les deux fils de Xénophon furent élevés à Sparte (Diogène Laërce, II, 54), et étaient ξένοι τών τροφιυων καλουμένων. Si l’un ou l’autre était alors assez âgé, il a pu probablement être au nombre des volontaires qui accompagnèrent Agésipolis.
[63] Xénophon, Helléniques, V, 3,18 ; Pausanias, III, 5, 9.
[64] Xénophon, Helléniques, V, 3, 26 ; Diodore, XV, 22, 23.
[65] Xénophon, Helléniques, V, 2, 10.
[66] Xénophon, Helléniques, V, 3, 10, 11.
[67] Xénophon, Helléniques, V, 3, 10.
[68] Xénophon, Helléniques, V, 3, 12,13 ; Plutarque, Agésilas, c. 24 ; Diodore, XV, 219.
[69] Xénophon, Helléniques, V, 3, 25.
Cette expression générale les choses relatives à Phlionte comprend non seulement le blocus, mais le traitement et les plaintes préliminaires des exilés phliasiens. Une année donc est tout ce que nous pouvons admettre pour le blocus, — peut-être plus que nous ne devons admettre.
[70] Xénophon, Helléniques, V, 3, 17-26.
[71] Le panégyrique d’Agésilas trouve peu à louer dans cette conduite à Phlionte, si ce n’est la φιλετσιρεία ou attachement de parti à son héros (Xénophon, Agésilas, II, 21).