TREIZIÈME VOLUME
Nous avons déjà représenté la fin de la guerre du Péloponnèse, avec l’organisation victorieuse de l’empire lacédæmonien par Lysandros (404-396 av. J.-C.) comme une période amenant avec elle un accroissement de souffrances pour les villes qui avaient jadis appartenu à l’empire athénien, par comparaison à ce, qu’elles avaient enduré sous Athènes, — et une dépendance plus dure, que n’accompagnait aucune sorte d’avantages, même pour les Péloponnésiens et les cités de l’intérieur qui avaient toujours été alliés dépendants de Sparte. Pour compléter le triste tableau du monde grec pendant ces années, nous pouvons ajouter (ce qui sera détaillé ci-après plus complètement) que des calamités d’un caractère plus déplorable encore accablèrent les Grecs siciliens : d’abord par suite de l’invasion des Carthaginois, qui saccagèrent Himera, Sélinonte, Agrigente, Gela et Kamarina, — ensuite par le despotisme tyrannique de Denys à Syracuse. Sparte seule y avait gagné, et cela dans une prodigieuse mesure, tant en revenu qu’en puissance. C’est de ce temps et de la conduite de Lysandros que divers auteurs anciens dataient le commencement de sa dégénération, qu’ils attribuent principalement à ce qu’elle abandonna les institutions de Lykurgue en admettant la monnaie d’or et d’argent. Ces métaux avaient été rigoureusement prohibés, aucune monnaie n’étant tolérée, à l’exception de lourdes pièces en fer, non portatives si ce n’est à un montant très minime. Que telle ait été l’ancienne institution de Sparte, sous laquelle tout Spartiate ayant en sa possession de la monnaie d’or et d’argent était passible d’une punition, s’il était découvert, c’est ce qui paraît assez certain. Jusqu’à quel point le règlement a-t-il pu être éludé en pratique, c’est ce que nous n’avons pas le moyen de déterminer. Quelques-uns des éphores s’opposèrent avec énergie à l’admission de la somme considérable apportée à Sparte par Lysandros comme reste de ce qu’on avait reçu de Cyrus, afin de poursuivre la guerre. Ils prétendirent que l’admission de tant d’or et d’argent dans le trésor public était une transgression flagrante des ordonnances de Lykurgue. Mais leur résistance fut inutile, et les nouvelles acquisitions furent reçues, bien que ce délit continuât encore d’être passible d’une peine (délit qui devint même capital, si nous pouvons en croire Plutarque) pour tout individu s’il venait à être trouvé avec de l’or et de l’argent en sa possession[1]. On ne peut douter que l’introduction dans Sparte d’une somme considérable d’or et d’argent monnayés ne fût en elle-même un phénomène frappant et important, si on la considère par rapport à la discipline et aux coutumes particulières de l’État. Elle était de nature à créer de fortes antipathies dans le cœur d’ail Spartiate de vieille roche, et peut-être le roi Archidamos, s’il eût vécu, aurait-il pris part à l’opposition des éphores. Mais Plutarque et autres l’ont trop critiquée comme un phénomène isolé, tandis que ce fut réellement une marque et une partie caractéristiques d’une réunion nouvelle de circonstances, auxquelles Sparte était graduellement arrivée pendant les dernières années de la guerre, et qui furent amenées à agir de la manière la plus efficace par le succès définitif obtenu à Ægospotami. Les institutions de Lykurgue, tout en excluant tous les citoyens spartiates, par des exercices incessants et des repas publics, du commerce et de l’industrie, du faste et du luxe, — n’éteignaient nullement dans leurs cœurs l’amour de l’argent[2], tandis qu’elles avaient une tendance à exagérer plutôt qu’à diminuer l’amour du pouvoir. Les rois spartiates Léotychidês et Pleistoanax avaient tous deux commis la fauté de recevoir des présents ; Tissaphernês avait trouvé moyen (pendant la vingtième année de la guerre du Péloponnèse) de corrompre non seulement l’amiral spartiate Astyochos, mais encore presque tous les capitaines de la flotte péloponnésienne, excepté le Syracusain Hermokratês ; Gylippos, aussi bien que son père Kleandridês, s’était avili par la même fraude, et Anaxibios à Byzantion ne fut pas du tout plus pur. Ainsi Lysandros, asservi seulement à son désir de dominer et lui-même exemple remarquable d’incorruptibilité, ne fut pas le premier à greffer ce vice sur l’esprit de ses compatriotes. Mais, bien qu’il le trouvât déjà répandu parmi eux, il contribua beaucoup à lui donner une prédominance encore plus décidée, par l’immense augmentation d’occasions de péculat et l’accroissement de butin que fournit son empire spartiate nouvellement organisé. Non seulement il apporta à Sparte un reste considérable en or et en argent, mais il y eut un tribut annuel bien plus considérable imposé par lui sur les villes dépendantes, combiné avec de nombreuses nominations d’harmostes pour gouverner ces villes. Ces nominations présentaient d’abondants profits illicites, faciles à acquérir et même difficiles à éviter, vu que les décemvirs dans chaque cité étaient empressés d’acheter ainsi une tolérance ou une connivence pour leurs méfaits. Tant de nouvelles sources de corruption suffirent pour agir de la manière la plus défavorable sur le caractère spartiate, sinon en y semant de nouveaux vices, du moins en stimulant toutes ses mauvaises tendances inhérentes. Pour comprendre le changement considérable qui s’opéra ainsi dans les Spartiates, nous n’avons qu’à comparer les discours du roi Archidamos et des Corinthiens, faits en 432 avant J.-C., au commencement de la guerre du Péloponnèse, — avec l’état des choses à la fin de la guerre, pendant les onze années qui s’écoulèrent entre la victoire d’Ægospotami et la défaite de Knidos (405-394 av. J.-C.). A la première de ces deux époques, Sparte n’avait ni sujets tributaires ni fonds dans son trésor, tandis que ses citoyens étaient très peu disposés à payer des impôts[3] : vers 334 avant J.-C., trente-sept ans après qu’elle eut été défaite à Leuktra et qu’elle eut perdu la Messênia, Aristote remarque le même fait, qui était alors redevenu vrai[4] ; mais, pendant la durée de son empire, entre 405 et 394 avant J.-C., elle possédait un revenu public considérable, produit par le tribut des cités dépendantes. En 432 avant Sparte est non seulement prudente, mais timide ; elle est surtout opposée à toute action loin de ses frontières[5] ; en 404 avant J.-C., après la fin de la guerre, elle devient agressive, disposée à s’immiscer dans les autres États et prête à avoir des ennemis ou à faire des acquisitions loin aussi bien que près[6]. En 432 avant J.-C., ses mœurs insociables et exclusives, en opposition au reste de la Grèce, avez l’expulsion constante des autres Grecs de son sein, sont remarquables parmi ses attributs[7] ; tandis qu’à la fin de la guerre ses relations étrangères avaient acquis un si grand développement qu’elles devinrent le principal objet d’attention pour ses principaux citoyens aussi bien que pour ses magistrats, de sorte que des étrangers affluèrent à Sparte, et des Spartiates se répandirent dans les autres parties de la Grèce d’une manière constante et inévitable. Il en résulta que la rigueur de la discipline de Lykurgue céda sur bien des points, et que les principaux Spartiates en particulier s’efforcèrent pair divers expédients d’en éluder, les obligations. Ce fut à ces principaux personnages qu’échurent les grandes prises, qui leur permettaient de s’enrichir aux dépens, : soit des sujets étrangers, soit du trésor publie, et tendaient à aggraver de plus en plus chez les Spartiates, cette inégalité de fortune qu’Aristote signale d’une manière si expresse à son époque[8], vu que les citoyens d’un rang moins élevé n’avaient pas d’occasions semblables ouvertes devant eux, ni d’industries particulières qui leur permissent de préserver leurs biens d’unie subdivision et d’une absorption graduelles, et d’être constamment en état de fournir à la table publique, pour eux-mêmes et leurs fils, cette contribution qui formait la base du privilège politique spartiate. De plus, le spectacle de ces prises lucratives nouvellement offertes, — accessibles seulement à cette section particulière de familles spartiates influentes qui finirent insensiblement par être connues sous le titre d’Égaux ou de Pairs, — envenima le mécontentement des citoyens énergiques placés au-dessous de cette position privilégiée au point de menacer la tranquillité de l’Etat, — comme on le verra bientôt. Cette uniformité de vie, d’habitudes, de qualités, d’aptitudes, de jouissances, de fatigues et de contraintes, que les règlements de Lykurgue avaient imposée pendant si longtemps, et qu’ils continuaient encore de prescrire, — enlevant à la fortune ses principaux avantages et entretenant ainsi le sentiment d’égalité personnelle parmi les citoyens pauvres ; — cette uniformité, dis-je, finit par être de plus en plus éludée par les riches, grâce à la vénalité aussi bien qu’à l’exemple des éphores et des sénateurs[9] ; tandis que, pour ceux qui n’avaient pas de moyens de corruption, elle continua d’exister sans relâche, si ce n’est en tant que beaucoup d’entre eux tombèrent dans une condition plus dégradée, par suite de la perte de leur droit de cité. Ce n’est pas seulement Isocrate[10] qui atteste la corruption produite dans le caractère des Spartiates par la possession de cet empire étranger qui suivit la victoire d’Ægospotami, — c’est encore leur ardent panégyriste Xénophon. Après avoir loué avec chaleur les lois de Lykurgue ou les institutions spartiates, il est obligé d’admettre que ses éloges, quoique mérités dans le passé, sont, par un triste changement, devenus inapplicables à ce présent dont il était lui-même témoin[11]. Autrefois (dit-il) les Lacédæmoniens avaient coutume de préférer leur propre société et un genre modéré de vie dans leur pays aux nominations comme harmostes dans des villes étrangères, avec toutes les flatteries et la corruption qui les accompagnent. Autrefois ils craignaient d’être vus avec de l’or en leur possession ; aujourd’hui, il y en a quelques-uns qui le montrent même avec faste. Autrefois, ils imposaient leur (xenelasia ou) expulsion des étrangers et interdisaient les voyages au dehors, afin que leurs citoyens ne contractassent pas à l’étranger les habitudes d’une vie relâchée ; mais aujourd’hui ceux qui jouissent chez eux de la plus haute influence s’appliquent avant tout à être employés perpétuellement comme harmostes au dehors. Il y avait un temps oui ils se donnaient de la peine pour être dignes du commandement ; mais aujourd’hui ils s’efforcent beaucoup plus de l’avoir et de le garder que d’avoir toutes les qualités nécessaires pour l’exercer. En conséquence, les Grecs dans les anciens temps avaient coutume de venir prier les Spartiates de vouloir bien se faire leurs chefs contre ceux qui leur faisaient du tort ; mais aujourd’hui ils s’exhortent les uns les autres à concerter des mesures pour exclure Sparte de son empire renouvelé. Et nous ne pouvons pas nous étonner que les Spartiates soient tombés en discrédit quand ils ont manifestement cessé d’obéir au dieu de Delphes et aux institutions de Lycurgue. Cette critique (écrite à quelque moment entre 394-271 av. J.-C.), due à l’ardent panégyriste de Sparte, est extrêmement instructive. Nous savons par d’autres témoignages combien l’empire spartiate était fatal aux cités sujettes : nous apprenons ici combien il le fut au caractère des Spartiates eux-mêmes et à ces institutions intérieures que même un ennemi de Sparte, qui détestait leur politique étrangère, se sentait cependant forcé d’admirer[12]. Tous ces vices, sur lesquels Xénophon insiste ici, proviennent de divers incidents qui se rattachent à son empire. Le caractère modéré, lent, casanier, à l’antique, — dont se plaignent les Corinthiens[13], mais dont le roi Archidamos se fait honneur, au commencement de la guerre du Péloponnèse, — se trouve changé, à la fin de cette guerre, en esprit d’agression et de conquête, en ambition publique aussi bien que privée, en disposition chez les grands personnages à se soustraire à l’égalité triomphante[14] de discipline ordonnée par Lykurgue. Agis, fils d’Archidamos (426-399 av. J.-C.), et Pausanias, fils de Pleistoanax (408-394 av. J.-C.), étaient les deux rois de Sparte à la fin de la guerre. Mais Lysandros, l’amiral ou commandant de la flotte, était pour le moment[15] plus grand que l’un et l’autre des deux rois, qui n’avaient le droit de commander les troupes que sur terre. T’ai déjà mentionné comment son autorité et son insolence présomptueuses offensèrent non seulement Pausanias, mais encore plusieurs des éphores et des principaux citoyens de Sparte, aussi bien que Pharnabazos, le satrape persan, et amenèrent ainsi indirectement le renversement des Trente à Athènes, le découragement partiel des dékarchies dans toute la Grèce et la révocation du commandement de Lysandros lui-même. Ce ne fut pas sans répugnance que le vainqueur d’Athènes se soumit à redescendre à une condition privée. Dans la foule des flatteurs qui l’encensaient au moment de sa toute-puissance, il n’en manquait pas qui lui suggéraient l’idée qu’il était beaucoup plus digne de régner qu’Agis ou que Pausanias, qu’on devrait prendre pour rois, non les premiers-nés du lignage d’Eurysthenês et de Proklês, mais les choisis parmi tous les Hêraklides, race à laquelle appartenait Lysandros lui-même[16], et que la personne choisie devrait être non seulement un descendant d’Hêraklês, mais un digne pendant d’Hêraklês lui-même. Tandis qu’on chantait des pæans en l’honneur de Lysandros à Samos[17], — que Chœrilos et Antilochos composaient des poèmes à sa louange, — qu’Antimachos (poète extrêmement estimé par Platon) entrait en une lutte formelle de vers épiques récités sous le titre de Lysandria et était vaincu par Nikeratos, — il y avait un autre ardent admirateur, rhéteur ou sophiste d’Halikarnassos, nommé Kleôn[18], qui écrivit un discours prouvant que Lysandros avait bien gagné la dignité royale ; — que la supériorité personnelle devait l’emporter sur la descendance légitime, — et que la couronne devait être donnée, par voie d’élection, au plus digne d’entre les Hêraklides. En songeant que la rhétorique n’était ni employée ni estimée à Sparte, nous pouvons raisonnablement croire que Lysandros ordonna réellement la composition de ce discours pour servir d’instrument d’exécution à des projets que lui-même avait préconçus, de la même manière qu’un demandeur ou un défendeur athénien devant le dikasterion avait l’habitude de s’armer d’un discours de Lysias ou de Démosthène. Kleôn faisait sa cour par état au moyen d’une telle composition en prose, soit que le projet fût recommandé d’abord par lui-même, soit qu’il fût habituellement discuté dans un cercle d’admirateurs ; tandis que Lysandros dut probablement reconnaître le compliment par une récompense non moins libérale que celle qu’il donna au poète médiocre Antilochos[19]. Et la composition dut être mise soles la forme d’une harangue adressée par l’amiral à ses compatriotes, sans aucune idée déterminée qu’elle fût jamais prononcée ainsi. Les rhéteurs, dans leurs écrits, adoptaient souvent cette hypothèse d’un orateur et d’un auditoire, comme nous pouvons le voir dans Isocrate, — en particulier dans son sixième discours, appelé Archidamos. Poussé soit par sa propre ambition, soit par les suggestions des autres, Lysandros en vint alors à concevoir l’idée d’interrompre la succession des deux familles royales, et de s’ouvrir une porte pour arriver à la couronne. On a traité ses projets de révolutionnaires ; mais il semble qu’il n’y a rien en eux qui mérite à juste titre cette dénomination dans le sens que le mot a aujourd’hui, si nous considérons avec soin ce que les rois spartiates étaient dans l’année 400 avant J.-C. Sous ce rapport, les associations d’idées qui se rattachent au titre de roi sont trompeuses pour un lecteur moderne. Les rois spartiates n’étaient nullement des rois, dans aucun sens moderne du mot ; non seulement ils n’étaient pas rois absolus, mais pas même rois constitutionnels. Ce n’étaient pas des souverains, et aucun Spartiate n’était, leur sujet ; chaque Spartiate était membre d’une communauté grecque libre. Le roi spartiate lie gouvernait pas ; il ne régnait pas non plus, dans le sens d’avoir un gouvernement exercé en son nom et par des délégués. Le gouvernement était exercé par les Ephores, qui consultaient fréquemment le sénat, et faisaient appel à l’occasion, bien que rarement, à l’assemblée publique des citoyens. Le roi spartiate n’était pas légalement inviolable. Il pouvait être, et l’était ê, l’occasion, arrêté, jugé et puni pour mauvaise conduite dans l’accomplissement de ses fonctions. C’était un personnage agissant de lui-même, un grand officier de l’État, jouissant de certains privilèges définis, et exerçant certaines fonctions militaires et judiciaires qui passaient comme une universitas par transmission héréditaire dans sa famille ; mais soumis au contrôle des Ephores quant à la manière dont il remplissait ces devoirs[20]. Ainsi, par exemple, c’était son privilège de commander l’armée quand on l’envoyait en service à l’étranger ; cependant on fit une loi exigeant qu’il prit avec lui des députés, comme conseil de guerre, sans lequel rien ne devait être fait. Les Ephores rappelèrent Agésilas quand ils le jugèrent bon, et ils citèrent en justice Pausanias, et le punirent pour mauvaise conduite prétendue dans son commandement[21]. La seule manière dont les rois spartiates formaient une partie du pouvoir souverain dans l’État, ou avaient part à l’exercice du gouvernement, proprement appelé ainsi, c’était qu’ils avaient des votes ex officio dans le sénat, et qu’ils y pouvaient voter par procuration quand ils n’étaient pas présents. Dans les anciens temps, connus très imparfaitement, les rois spartiates semblent avoir été réellement souverains, le gouvernement ayant été exercé en réalité par eux ou d’après leurs ordres. Mais dans l’année 400 avant J.-C., Agis et Pausanias étaient devenus simplement des officiers héréditaires de l’État, grands et élevés, portant encore l’ancien titre de leurs ancêtres. Ouvrir ces fonctions héréditaires à tous les membres de la Gens Hêraklide par voie d’élection entre eux, pouvait être un changement meilleur ou pire : c’était une nouveauté effrayante — précisément comme si l’on eût proposé que l’un des divers sacerdoces, qui étaient héréditaires dans des familles particulières, fût rendu électif —, à cause de l’extrême attachement des Spartiates pour des coutumes antiques et sanctifiées : mais on ne peut, à proprement parler, l’appeler révolutionnaire. Les éphores, le sénat et l’assemblée publique auraient pu faire un tel changement dans toutes les formes légales, sans aucun appel à la violence ; les rois eussent voté contre ce changement, mais ils eussent été vaincus par la pluralité des suffrages. Et s’il se fût opéré, le gouvernement spartiate serait resté, sous le rapport de la forme aussi bien qu’en principe, précisément ce qu’il était auparavant, bien que les familles Eurysthénide et Proklide eussent perdu leurs privilèges. On n’a pas ici l’intention de nier que les rois spartiates fussent des hommes de grande importance dans l’État, surtout quand ils combinaient avec leur position officielle une énergie personnelle prononcée. Mais il n’en est pas moins vrai que les associations d’idées qui se rattachent au titre de roi dans l’esprit moderne, ne s’appliquent pas convenablement à eux. Pour en arriver à ses fins à Sparte, Lysandros savait bien qu’il devait employer des influences d’un caractère inaccoutumé. Quittant Sparte peu après son rappel, il visita les oracles de Delphes, de Dôdônê et de Zeus Ammôn en Libye[22], afin de se procurer, par persuasion ou, par corruption, des ordres pour les Spartiates à l’appui de ses projets. L’effet général des injonctions d’un oracle sur l’esprit spartiate était si grand, que Kleomenês avait obtenu ainsi la déposition du roi Demaratus, — et l’exilé Pleistoanax, son propre rappel[23], là corruption ayant été dans les deux cas le moyen déterminant. Mais Lysandros ne fut pas aussi heureux. Aucun de ces oracles ne put être amené, par aucune offre, à oser prononcer une sentence aussi grave que celle d’abroger la loi établie de succession au trône spartiate. On dit même que les prêtres d’Ammôn, non contents de refuser ses offres, vinrent à Sparte dénoncer sa conduite ; sur cette accusation, Lysandros fut mis en jugement, mais acquitté. L’assertion qu’il fut ainsi jugé et acquitté, je la crois fausse. Mais, de cette façon, ses plans échouèrent complètement, — et il fut forcé d’avoir, recours à un autre stratagème, faisant encore appel à la sensibilité religieuse de ses compatriotes. Il était né quelque temps auparavant, dans l’une des villes de l’Euxin, un jeune homme nommé Silênos, dont la mère affirmait qu’il était fils d’Apollon, assertion qui trouva crédit au loin ; nonobstant diverses difficultés soulevées par les sceptiques. Tout en faisant connaître à Sparte qu’il était né au dieu un nouveau fils, les partisans de Lysandros répandirent aussi partout la nouvelle qu’il existait des manuscrits sacrés et des annales inspirées, cachées et non encore lues, sous la garde des prêtres de Delphes, monuments qui ne devaient être ni touchés ni consultés avant que quelque fils véritable d’Apollon se présentât pour les réclamer. De connivence avec quelques-uns des prêtres, on fabriqua certains oracles conformes aux vues de Lysandros. On convint que Silênos se présenterait à Delphes, montrerait les preuves de sa parenté divine, et demanderait ensuite à examiner ces annales secrètes, ce que les prêtres, après un examen rigoureux en apparence, étaient prêts à accorder. Silênos les lirait ensuite à haute voix en présence de tous les spectateurs ; et parmi ces oracles, il s’en trouverait un recommandant aux Spartiates de choisir leurs rois parmi leurs meilleurs citoyens[24]. Ce projet approcha si près de son accomplissement que Silênos se présenta réellement à Delphes, et, exposa ses prétentions. Mais un des associés, ou sentit son courage faillir, ou manqua le coup, au moment critique ; de sorte que les annales mystérieuses restèrent encore cachées. Cependant, bien que Lysandros fût ainsi force d’abandonner son plan, il ne fut rendu public qu’après sa mort. Il aurait probablement, réussi si Lysandros avait trouvé dans le temple des associés pourvus du courage et de l’astuce convenables, — si nous considérons le respect profond et habituel des Spartiates pour Delphes, oracle sur la sanction duquel on croyait en général que reposaient les institutions de Lykurgue. Et bientôt il se présenta, une occasion dans laquelle le changement proposé aurait pu être essayé avec une facilité et un à-propos inaccoutumés, bien que Lysandros lui-même, ayant échoué une fois, renonçât à son entreprise, et employât son influence, qui durait sans être affaiblie, à donner le sceptre à un autre au lieu de l’acquérir pour lui-même[25], — comme Mucien à l’égard de l’empereur Vespasien. Ce fut apparemment une année environ après les campagnes en Elis que le roi Agis, vieillard alors, tomba malade à Heræa en Arkadia, et fut rapporté à Sparte, où il ne tarda pas à expirer (399 av. J.-C.). Son épouse Timæa avait donné le jour à un fils nommé Léotychidês, à ce moment jeune homme âgé de quinze ans[26] environ. Niais la légitimité de ce jeune homme avait toujours été suspectée par Agis, qui avait déclaré, quand on lui fit connaître pour la première fois la naissance de l’enfant, qu’il ne pouvait pas être de lui. La frayeur l’avait tenu éloigné du lit de sa femme à la suite d’un tremblement de terre, que l’on expliqua comme étant un avertissement de Poseidôn, et que l’on prit pour une interdiction des relations conjugales pendant un certain temps, et c’était durant cet intervalle que Léotychidês était né. Voilà une histoire. Il y en avait une autre, d’après laquelle, le jeune prince était fils d’Alkibiadês, lié pendant l’absence d’Agis, commandant alors à Dekeleia. D’autre part, on prétendait qu’Agis, bien qu’il doutât dans l’origine de la légitimité de Léotychidês, avait plus tard rétracté ses soupçons et l’avait pleinement reconnu, surtout, et avec une solennité particulière, pendant sa dernière maladie[27]. Comme dans, le cas de Demaratos, environ un siècle avant[28], — Agésilas, le frère cadet d’Agis, puissamment secondé par Lysand1os, tira parti de ces doutes pour exclure Léotychidês, et occuper le trône lui-même. Agésilas était fils du roi Archidamos, qui l’avait eu non pas de Lampito, mère d’Agis, mais d’une seconde femme nommée Eupolia. Il avait atteint actuellement l’âge mûr de quarante ans[29], et après avoir été élevé sans aucune perspective de devenir roi, — du moins jusqu’à une époque très récente, — il avait passé par la rigueur non mitigée de l’éducation et des exercices spartiates. Il se distinguait par toutes les vertus particulières à sa patrie : obéissance exemplaire à l’autorité, dans l’accomplissement de ses pénibles exercices militaires aussi bien que civils, — émulation, en essayant de surpasser tout compétiteur, — courage, énergie, aussi bien que facilité extraordinaire à endurer la fatigue ; — simplicité et frugalité dans toutes ses habitudes personnelles ; — extrême sensibilité à l’égard de l’opinion de ses concitoyens. Envers ses amis ou ses adhérents personnels, il était remarquable par la chaleur de son attachement, et même par un dévouement peu scrupuleux, avec une disposition à se servir de toute son influence pour défendre leurs injustices ou leurs fautes ; tandis qu’il était comparativement facile à apaiser et généreux dans sa manière d’agir avec des rivaux à Sparte, nonobstant son ardeur à être le premier dans toute sorte de luttes[30]. Ses manières étaient enjouées et populaires, et sa physionomie agréable, bien que sa taille fût non seulement petite, mais sans noblesse, et qu’il eût en outre le défaut de boiter d’une jambe[31], ce qui explique son refus constant de souffrir qu’on fit sa statue[32]. Il était indifférent à l’argent, et exempt d’un excès de sentiment égoïste, si ce n’est dans sa passion pour la supériorité et la puissance. Malgré son rang comme frère d’Agis, Agésilas n’avait jamais encore été essayé dans aucun commandement militaire, quoiqu’il eût probablement servi dans l’armée soit à Dekeleia soit en Asie. Aussi son caractère était-il encore voilé en grande partie. Et il se peut que sa popularité ait thé d’autant plus grande au moment où le trône devint vacant, en ce que, n’ayant jamais été en position d’exciter la jalousie, il ne se distinguait que par ses mérites, ses efforts, sa patience et son obéissance ponctuelle, qualités dans lesquelles même les plus pauvres citoyens étaient ses compétiteurs à conditions égales. Bien plus, la contrainte qu’il exerçait sur lui-même et l’habitude d’étouffer ses émotions, créées par une éducation spartiate, étaient chez lui, que le rusé Lysandros lui-même ne le connaissait pas à cette époque. Lui et Agésilas avaient été d’anciens et intimes amis[33], tous deux ayant été placés comme enfants dans la même troupe pour être formés à la discipline : exemple remarquable du caractère de cette discipline qui établissait l’égalité, puisque nous savons que Lysandros était de parents et de condition pauvres[34]. Il commit la méprise de supposer qu’Agésilas était d’une disposition particulièrement aimable et docile, et ce fut le principal motif qui l’engagea à épouser les prétentions de ce dernier au trône, après le décès d’Agis. Lysandros comptait, si grâce à lui Agésilas devenait roi, sur un grand accroissement de sa propre influence, et en particulier sur une nouvelle mission en Asie, sinon comme général ostensible, du moins comme chef réel sous le commandement titulaire du nouveau roi. En conséquence, lorsque les solennités imposantes qui marquaient toujours les funérailles d’un roi de Sparte furent terminées[35], et que le jour arriva d’installer un nouveau roi, Agésilas, à l’instigation de Lysandros, se présenta pour contester la légitimité et le titre de Léotychidês, et pour réclamer le sceptre pour lui-même, — véritable Hêraklide, frère du dernier roi Agis. Dans le débat, qui probablement eut lieu non seulement devant les éphores et le sénat, mais devant les citoyens assemblés en outre, — Lysandros appuya chaudement ses prétentions. Par malheur, il ne nous est pas permis de savoir grand’chose de ce débat. Nous ne pouvons douter que l’âge mûr et l’excellente réputation d’Agésilas ne comptassent comme une grande recommandation, mais en regard d’un jeune homme non éprouvé, et ce fat probablement le point réel (puisque la parenté des deux compétiteurs était si rapprochée) d’où dépendit la décision[36] ; car la légitimité ale Léotychidês était positivement affirmée par sa mère Timæa[37], et nous ne voyons pas que la question de paternité ait été soumise à l’oracle de Delphes, comme dans le cas de Demaratos. Il y avait toutefois une circonstance qui était un grand obstacle pour Agésilas, — c’était sa difformité personnelle. On n’avait jamais connu encore un roi de Sparte boiteux. Et si yen remontant plus d’un siècle nous retrouvons une semblable difformité dans un des princes Battiades de Kyrênê[38], nous voyons les Kyrénæens prendre la chose tellement à cœur, qu’ils envoient demander conseil à Delphes, et appeler le réformateur mantineien Démonax. Outre ce sentiment de répugnance, les dieux avaient encore averti spécialement Sparte de se barder d’un règne boiteux. Diopeithês, prophète et conseil religieux de haute réputation, soutint la cause de Léotychidês. Il produisit un ancien oracle qui disait à Sparte que, avec tout son orgueil, elle lie devait pas souffrir qu’un règne boiteux nuisit à son pas ferme[39] ; car, si elle le faisait, elle serait longtemps assiégée par des souffrances sans exemple et par des guerres ruineuses. Cette prophétie avait déjà été invoquée une fois, environ quatre-vingts années avant[40], mais avec une interprétation très différente. Pour des chefs grecs comme Themistoklês ou Lysandros, c’était un mérite qui n’était pas sans importance de pouvoir éluder des textes incommodes ou des sentiments religieux intraitables, par une explication ingénieuse. Et Lysandros éleva ici la voix — comme Themistoklês l’avait fait dans l’occasion critique qui précéda la bataille de Salamis[41] — pour combattre les interprètes de profession ; il soutint que par un règne boiteux, le dieu voulait dire, non pas un défaut corporel dans le roi, — qui pouvait n’être pas même de naissance, mais résulter de quelque mal positif[42], — mais le règne d’un roi qui n’était pas un véritable descendant d’Hêraklês. L’influence de Lysandros[43], combinée sans doute avec une prépondérance de sentiment qui tendait déjà vers Agésilas, fit que cet effort d’interprétation subtile fut bien accueilli comme convaincant, et détermina la nomination du candidat boiteux comme roi. Toutefois, il y eut une minorité considérable qui pensa que décider ainsi c’était pécher contre les dieux et se moquer de l’oracle. Et, bien que les murmures de ces dissidents fussent comprimés par les talents et les succès d’Agésilas pendant les premières années de son règne, cependant, lorsque, dans ses dix dernières années, le malheur et l’humiliation vinrent fondre en masse sur cette cité orgueilleuse, le sentiment public se rapprocha décidément de leur manière de voir. Plus d’un Spartiate pieux s’écria alors, avec des sentiments d’amer repentir, que la parole divine ne manquait jamais de se réaliser à la fin[44], et que Sparte était justement punie pour avoir volontairement fermé les yeux à l’avertissement distinct et miséricordieux qui lui était donné, au sujet des malheurs d’un règne boiteux[45]. Outre la couronne, Agésilas acquit en même temps les biens considérables laissés par le dernier roi Agis, acquisition qui lui permit de déployer sa générosité en en donnant immédiatement la moitié à ses parents maternels, — personnes pauvres pour la plupart[46]. La popularité que lui valut cette démarche fut encore augmentée par sa manière de se conduire à l’égard des éphores et du sénat. Entre ces magistrats et les rois, il régnait habituellement de la mésintelligence. Les rois, qui n’avaient pas perdu la tradition de la puissance absolue dont leurs ancêtres avaient joui jadis, montraient autant de réserve hautaine qu’ils l’osaient à l’égard d’une autorité qui était devenue alors essentiellement supérieure à la leur. Mais Agésilas, — non moins par suite de ses habitudes préétablies que de son désir de suppléer aux défauts de son titre, — adopta une ligne de conduite soigneusement opposée. Non seulement il s’appliquait à éviter toute collision avec les éphores, mais il témoignait une déférence marquée tant à leurs ordres qu’à leurs personnes. Il se levait de son siége toutes les fois qu’ils paraissaient ; il se conciliait et les éphores et les sénateurs par des présents faits à propos[47]. C’est lui qui gagna le plus à cette conduite judicieuse aussi bien qu’à son exacte observation des lois et des usages[48]. Combinées avec ce talent et cette énergie qui ne lui firent jamais défaut, elles lui assurèrent lin pouvoir plus réel qu’il n’en était jamais échu à aucun roi de Sparte, pouvoir non seulement sur les opérations militaires au dehors, dont habituellement les rois étaient chargés, — mais encore sur la politique de l’État à l’intérieur C’est sur l’accroissement et le maintien :de ce pouvoir réel que se concentrèrent principalement ses pensées, dispositions nouvelles créées par la royauté, et qui ici s’étaient jamais montrées en lui auparavant dédaignant comme Lysandros, l’argent, le luxe, et tout l’étalage extérieur du pouvoir., — il montra, comme roi, une simplicité ultra-spartiate, poussée presque jusqu’à l’affectation, dans sa nourriture, son costume et ses habitudes générales. Mais comme Lysandros aussi, il se complut dans l’exercice de la domination au moyen de groupes ou factions de partisans dévoués, qu’il se faisait rarement un scrupule de .soutenir dans toute leur carrière d’injustice et d’oppression. Bien qu’il fût un homme aimable, sans disposition à la tyrannie et encore moins au pillage à son profit, — Agésilas se fit ainsi l’instrument volontaire de l’une et de l’autre à l’avantage de ses divers collaborateurs set amis, dont il identifiait la puissance et l’importance avec les siennes propres[49]. Au moment où Agésilas devint roi, Sparte était à l’apogée de son pouvoir ; presque toutes les villes grecques étaient ses sujettes et ses alliées, avec ou sans tribut. Elle était engagée dans la tâche (comme je l’ai déjà mentionné) de protéger les Grecs asiatiques contre les satrapies persanes de leur voisinage. Et la partie la plus intéressante de la vie d’Agésilas consiste dans l’ardeur avec laquelle il épousa, et dans la vigueur et l’habileté avec lesquelles il accomplit ce grand devoir panhellénique. On verra que le succès dans sa carrière si pleine de promesses fut arrêté[50] par le coupable concours qu’il prêta avec un esprit factieux à ses partisans, à l’intérieur et au dehors, — par sa soif insatiable de toute puissance spartiate, — et par son indifférence ou par son aversion pour tout plan généreux de combinaison avec les cités dépendantes de Sparte. Toutefois son attention fut attirée d’abord sur une dangereuse conspiration intérieure dont Sparte était menacée (398-397 av. J.-C.). Le règne boiteux, n’avait pas encore douze mois de durée, quand Agésilas, occupé à sacrifier dans l’une des solennités établies de l’État, fut informé par le prophète qui sacrifiait, que les victimes présentaient des symptômes menaçants, présageant une conspiration du caractère le plus formidable. Un second sacrifice annonça pis encore, et au troisième le prophète s’écria : Agésilas, la révélation que nous avons sous les yeux signifie que nous sommes dans ce moment même au milieu de nos ennemis. Ils continuèrent encore à sacrifier, mais les victimes furent offertes alors aux dieux qui détournent le malheur et qui en préservent, avec prière que ces derniers, par une intervention tutélaire, éloignassent le péril imminent. Enfin, après plus d’une répétition et avec beaucoup de difficulté, on obtint des victimes favorables, dont la signification ne tarda pas à devenir claire. Cinq jours après, un dénonciateur se présenta devant les éphores pour leur communiquer le secret qu’il se préparait une conspiration dangereuse, organisée par un citoyen du nom de Kinadôn[51]. Le conspirateur nommé ainsi était un citoyen spartiate, mais non pas de cette troupe d’élite appelée les Égaux ou les Pairs. Il a déjà été dit que des inégalités s’étaient graduellement formées parmi les citoyens de Sparte ayant droit à ce titre, inégalités qui tendaient tacitement à mettre à part un certain nombre d’entre eux sous le nom de Pairs, et tous les autres sous le nom corrélatif des Inférieurs. En outre, comme le droit au privilège dans chaque famille lie durait qu’autant que le citoyen pouvait fournir une contribution déterminée pour lui-même et pour ses fils à la table publique, et que l’industrie de toute sorte était incompatible avec les rigoureux exercices personnels imposés à tous, — la conséquence naturelle était qu’à chaque génération un certain nombre de citoyens perdaient leurs privilèges et ne comptaient plus comme tels. Mais ils n’en devenaient pour cela ni Periœki ni Ilotes. Ils étaient encore des citoyens, dont les droits, bien qu’en expectative, pouvaient être renouvelés à un moment quelconque par la munificence d’un personnage riche[52] ; de sorte qu’eux aussi, avec les citoyens d’un rang moins élevé, étaient connus sous la dénomination des Inférieurs. C’est à cette classe qu’appartenait Kinadôn. C’était un jeune homme d’une force et d’un courage- remarquables, qui s’était acquitté avec honneur de ses devoirs dans la discipline de Lykurgue[53], et il y avait puisé ce sentiment d’égalité personnelle et ce mépris du privilège qu’en suggérait la théorie aussi bien que la pratique. Nonobstant toute son exactitude à remplir ses devoirs, il trouvait que la constitution, comme elle fonctionnait dans la pratique, l’excluait des honneurs et des distinctions de l’État, les réservant pour les citoyens choisis connus sous le nom de Pairs. Et cette exclusion était devenue plus marquée et plus blessante depuis la formation de l’empire spartiate après la victoire d’Ægospotami, qui avait tant multiplié le nombre des postes lucratifs (harmosties et autres) monopolisés par les Pairs. Privé des grands avantages politiques, Kinadôn était encore employé par les éphores, à cause de sols courage élevé et de sa capacité militaire, dans cette troupe permanente qu’ils entretenaient pour maintenir l’ordre à l’intérieur[54]. Il avait été l’agent chargé de plusieurs de ces arrestations arbitraires qu’ils ne se faisaient jamais scrupule de faire exécuter à l’égard des personnes qu’ils regardaient comme dangereuses. Mais son esprit n’était pas satisfait ; bien plus, en le mettant en contact étroit avec les hommes revêtus de l’autorité, cette fonction contribua à diminuer son respect pour eux. Il voulait n’être inférieur à personne à Sparte[55], — et il entreprit sa conspiration pour réaliser cet objet en renversant la constitution. J’ai déjà dit qu’au milieu du défaut général de sécurité qui régnait dans la société politique de la Laconie, les éphores entretenaient une police secrète et un système peu scrupuleux d’espionnage, qui arriva à son plus haut point d’efficacité sous le titre de Krypteia. Ces précautions étaient à ce moment plus nécessaires que jamais ; car les changements dans le jeu pratique de la politique spartiate contribuaient à multiplier le nombre des mécontents et à jeter les Inférieurs, aussi bien que les Periœki et les Neodamodes (Ilotes affranchis) dans une antipathie qui leur était commune avec les Ilotes, contre l’association exclusive des Pairs. Les dénonciateurs étaient sûrs ainsi d’encouragement et de récompense, et l’homme qui vint en ce moment trouver les éphores, ou bien était réellement l’ami intime de Kinadôn, ou avait fait profession de l’être, afin de tirer de lui son secret. Kinadôn (dit-il aux éphores) m’a mené à l’extrémité de la place du marché, et il m’a dit de compter combien il y avait là de Spartiates. J’en ai compté environ quarante, outre le roi, les éphores et les sénateurs. Comme je lui demandais pourquoi il m’avait invité à le faire, il répondit : — Parce que ce sont les hommes, et les seuls hommes que tu dois considérer comme ennemis[56] ; tous les autres qui sont dans la place du marché, au nombre de plus, de quatre mille, sont des amis et des camarades. Kinadôn me signala également comme nos seuls ennemis, un ou deux Spartiates que nous rencontrâmes dans les rues ou qui, étaient seigneurs dans les districts de la campagne ; tous les autres qui. Les entouraient étant : favorables à notre dessein. — Combien t’a-t-il dit qu’il y avait de complices réellement instruits du complot ? demandèrent les éphores. — Seulement un petit nombre (fut-il répondu) ; mais des gens, entièrement dignes de confiance ; toutefois, ces confidents eux-mêmes disaient que tous ceux qui étaient autour d’eux étaient des complices, — Inférieurs, Periœki, Neodamodes et Ilotes, tous également ; car toutes les fois qu’un homme quelconque de ces classes parlait d’un Spartiate, il ne pouvait déguiser son antipathie intense ; — il parlait comme s’il était capable de manger les Spartiates tout crus[57]. Mais comment (continuèrent les éphores), Kinadôn comptait-il avoir des armes ? — Voici ce qu’il dit (répliqua le témoin) : Nous autres de la troupe permanente nous avons nos armes toutes prêtes ; et ici il y a une quantité de couteaux, d’épées, de broches, de hachettes ou haches et de faux, — en vente sur cette place du marché, qui conviendront à une multitude insurgée ; en outre, tout homme qui laboure, la terre, ou coupe du bois, ou taille de la pierre, a sous la, main des outils qui serviront d’armes en cas die besoin, surtout dans une lutte avec dies ennemis dépourvus eux-mêmes d’armes. Quand on lui demanda quel était le moment fixé pour l’exécution, le témoin ne put le dire ; on lui avait recommandé seulement de rester là et d’être prêt[58]. Il ne parait pas que cet homme sût le nom d’aucune personne engagée dans ce complot, si ce n’est celui de Kinadôn lui-même. L’alarme des éphores fut si vive qu’ils s’abstinrent de toute convocation en forme, même de ce qu’on appelait la petite assemblée, — comprenant le sénat, dont les rois étaient membres ex officio, et peut-être un petit nombre d’autres personnes considérables en outre. Mais les membres de cette assemblée furent réunis secrètement pour délibérer sur la circonstance ; Agésilas, probablement, était du nombre. Arrêter Kinadôn immédiatement dans Sparte parut imprudent, vu que ses complices, dont le nombre était encore inconnu, seraient ainsi avertis, soit de se mettre en insurrection, soit au moins de s’échapper. Mais ils combinèrent avec beaucoup de soin et d’art un stratagème pour l’arrêter hors de Sparte, à l’insu de ses complices. Les éphores, l’appelant devant eux, déclarèrent lui confier (comme ils l’avaient fait auparavant à l’occasion) une mission pour se rendre à Aulôn (ville laconienne sur la frontière du côté de l’Arkadia et de la Triphylia), et pour y arrêter quelques personnes désignées par leur nom dans une skytalê ou mandat d’arrêt en forme, comprenant quelques-uns des Periœki aulonites, — quelques Ilotes — et une autre personne nommée, femme d’une beauté rare résidant en cet endroit, dont on savait que l’influence répandait la désaffection parmi tous, les Lacédæmoniens qui y allaient, vieux aussi bien que jeunes[59]. Quand Kinadôn demanda quelles forces il devait prendre avec lui pour cette mission, les éphores pour obvier à ce qu’il soupçonnât qu’ils voulussent choisir des compagnons ayant des vues hostiles à sort égard, le prièrent d’aller trouver l’hippogretês — ou commandant des trois cents jeunes gardes appelés Cavaliers, bien qu’en réalité ils ne fussent pas montés — et de lui demander les sic ou sept premiers hommes de la garde[60] qui pourraient se trouver là. Mais eux (les éphores) avaient déjà tenu une conférence secrète avec l’hippogretês, et lui avaient appris et ceux qu’ils désiraient qu’on envoyât et ce qu’auraient à faire les personnes envoyées : Ensuite ils dépêchèrent Kinadôn pour sa prétendue mission, lui disant qu’ils mettraient à sa disposition trois chariots, afin qu’il pût amener plus facilement les prisonniers à Sparte. Kinadôn se mit en route pour Aulôn, sans avoir le -plus petit soupçon du complot ourdi par les éphores, qui, pour assurer le succès de leur plan, envoyèrent après lui une troupe de gardes de plus pour réprimer toute résistance qui pourrait être faite. Mais leur stratagème réussit aussi complètement qu’ils pouvaient le désirer. Il fut arrêté en route par ceux qui l’accompagnaient ostensiblement pour sa prétendue mission. Ces hommes l’interrogèrent, le mirent à la torture[61] et entendirent de sa bouche le nom de ses complices, dont ils écrivirent la liste, qu’ils envoyèrent à Sparte par un des gardes. Les éphores, en la recevant, arrêtèrent immédiatement les personnes principalement engagées dans l’affaire, en particulier le prophète Tisamenos, et ils les interrogèrent en même temps que Kinadôn, aussitôt que ce dernier fut amené prisonnier. Ils lui demandèrent, entre autres questions, quel était son dessein en mettant, la conspiration en train ; à quoi il répliqua : Je ne voulais être inférieur à personne dans Sparte. Sa punition ne fut pas différée longtemps. On lui mit des menottes et autour du cou un lien auquel ses mains furent attachées ; — dans cet état, il fut conduit par la ville, avec des hommes qui le fouettaient et le piquaient pendant la marche. Ses complices furent traités de la même manière, et à la fin tous furent mis à mort[62]. Tel est le curieux récit fait par Xénophon de cette conspiration que le succès ne couronna pas. Probablement il tira ses renseignements d’Agésilas lui-même, vu qu’il est difficile d’expliquer aisément de quelle autre manière il aurait pu apprendre tant de choses au sujet des manœuvres les plus secrètes des éphores, dans un gouvernement passé en proverbe pour son mystère constant, comme celui de Sparte. Ce récit jette pour nous une lueur, bien que malheureusement fugitive et imparfaite, sur les dangers intérieurs du gouvernement spartiate. Nous connaissions, par des témoignages plus anciens, le grand mécontentement qui dominait parmi les Ilotes et jusqu’à un certain point parmi les Periœki. Mais l’incident décrit ici nous présente la première manifestation d’un corps de mécontents parmi les Spartiates eux-mêmes, mécontents formidables tant par leur énergie que par leur position, comme Kinadôn et le prophète Tisamenos. L’état du sentiment de désaffection dans les municipes provinciaux de la Laconie nous est prouvé d’une manière frappante par le cas de cette belle femme que l’on prétendait être si active dans un prosélytisme politique à Aulôn, non moins que par les expressions passionnées de haine révélées dans la déposition du dénonciateur lui-même. Bien que les détails soient peu connus, cependant il semble que la tendance des affaires à Sparte était de concentrer et le pouvoir et la fortune entre les mains d’une oligarchie se rétrécissant toujours parmi les citoyens ; ainsi s’aggravaient les dangers à l’intérieur, même à l’époque où le pouvoir de l’État était le plus grand au dehors, et ainsi frayait la route pour cette irréparable humiliation qui commença à la défaite de Leuktra. Il n’y a guère lieu de douter qu’un mécontentement répandu bien plus au loin ne soit parvenu à la connaissance des éphores que celui qui est indiqué particulièrement dans Xénophon (397 av. J.-C.). Et il est probable que cette découverte fut un des motifs (comme cela s’était présenté en 424 av. J.-C., à l’occasion de l’expédition de Brasidas en Thrace) qui contribuèrent à décider l’expédition asiatique d’Agésilas, comme un débouché pour des mécontents braves dans un service militaire lointain et lucratif. A ce moment Derkyllidas avait fait la guerre en Asie Mineure, pendant près de trois ans, contre Tissaphernês et Pharnabazos, avec assez d’efficacité et de succès pour protéger à la fois les Grecs asiatiques sur la côte et pour intercepter tous les revenus que ces satrapes transmettaient à la cour ou dont ils jouissaient eux-mêmes. Pharnabazos était déjà allé à Suse (pendant sa trêve avec Derkyllidas, en 397 av. J.-C.) et non seulement il avait obtenu un renfort, qui opéra sous lui-même et sous Tissaphernês en 396 avant J.-C., contre Derkyllidas, en Lydia, niais il avait combiné des plans pour renouveler la guerre maritime contre Sparte[63]. C’est maintenant que nous entendons mentionner de nouveau le nom de Konôn, qui, après s’être sauvé avec neuf trirèmes de la défaite d’Ægospotami, était resté pendant les sept dernières années sous la protection d’Evagoras, prince de Salamis, dans l’île de Kypros. Konôn, s’étant marié à Salamis et ayant un fils[64] qui y était né, ne concevait qu’une faible espérance de retourner jamais dans sa ville natale, quand, heureusement pour lui aussi bien que pour Athènes, les Perses redevinrent désireux d’avoir un amiral et une flotte qui agissent sur la côte de l’Asie Mineure. Grâce aux représentations de Pharnabazos aussi bien que d’Evagoras de Kypros, — et à la correspondance de ce dernier avec le médecin grec Ktêsias, qui désira être employé en personne dans la négociation et qui semble avoir eu une influence considérable sur la reine Parysatis[65], — des ordres furent obtenus et des fonds fournis pour équiper, en Phénicie et en Kilikia, une flotte nombreuse, sous le commandement de Konôn. Pendant que cet officier commençait à se montrer et à agir avec les trirèmes qui se trouvèrent prêtes (au nombre de quarante environ), le long de la côte méridionale de l’Asie Mineure, de la Kilikia à Kaunos[66], — on poursuivit avec vigueur d’autres préparatifs dans les ports phéniciens, afin de porter la flotte à trois cents voiles[67]. Ce fut par une sorte d’accident que la nouvelle de cet équipement parvint à Sparte, — dans un siècle où les résidents diplomatiques étaient encore inconnus. Un marchand syracusain nommé Herodas, après avoir visité les ports phéniciens dans des vues de commerce, vint à Sparte et y fit connaître les préparatifs qu’il avait vus, suffisants pour exciter beaucoup d’inquiétude. Les Spartiates prenaient conseil entre eux et communiquaient avec leurs alliés voisins, quand Agésilas, sur la prière de Lysandros, se présenta comme volontaire pour solliciter le commandement d’une armée de terre, dans le dessein d’attaquer les Perses en Asie. Il proposa de prendre avec lui seulement trente citoyens spartiates jouissant de tous leurs droits ou pairs, comme une espèce de conseil d’officiers ; 2.000 Neodamodes ou Ilotes affranchis, que les éphores étaient probablement contents d’envoyer au loin et qui durent être choisis parmi les plus braves et les plus formidables, et 6.000 hoplites des alliés de terre, que la perspective d’un service lucratif contre des ennemis asiatiques devait tenter. Lysandros projetait d’être le chef de ces trente Spartiates, et comptant ainsi sur l’influence préétablie qu’il avait sur Agésilas, d’exercer le commandement réel lui-même, sans le titre. Les armes persanes ne lui inspiraient pas de craintes sérieuses, ni sur terre ni sur mer. Il prenait l’annonce de la flotte phénicienne pour une vaine menace, comme elle l’avait été si souvent dans la bouche de Tissaphernês pendant la dernière guerre, tandis que l’expédition de Cyrus lui avait fait concevoir en outre l’ardent espoir d’une autre Anabasis heureuse ou invasion victorieuse de la Perse, en remontant de la côte de la mer dans l’intérieur. Mais il avait encore plus à cœur d’employer son ascendant nouvellement acquis à rétablir partout les dékarchies, qui avaient excité une haine si intolérable et exercé tant d’oppression que même les éphores avaient refusé de prêter une aide positive pour les soutenir, de sorte qu’en plusieurs endroits elles avaient été détruites ou modifiées[68]. Si l’ambition d’Agésilas était comparativement moins souillée par des antipathies personnelles et factieuses, et plus panhellénique dans son but que celle de Lysandros, — elle était : en même temps plus illimitée quant à une victoire à remporter sur le Grand Roi, qu’il rêvait de détrôner ou dit moins de chasser d’Asie Mineure et de la côte[69]. Tant, était puissante l’influence exercée par l’expédition de Cyrus sur les projets et l’imagination de Grecs énergiques ; si soudaine fut l’explosion d’ambition dans l’esprit d’Agésilas, ambition dont jusqu’alors personne ne lui avait fait honneur. Bien que ce plan fût formé par deux des hommes les plus capables de la Grèce, il finit par être imprudent et téméraire, en ce qui concernait la stabilité de l’empire lacédæmonien. Cet empire, aurait dû être assuré sur mer, là où était son danger réel, avant que des tentatives fussent, faites pour l’étendre par de nouvelles acquisitions dans l’intérieur des terres. Et si ce, n’est pour des desseins de conquête, il n’y avait pas besoin de nouveaux renforts en Asie Mineure, puisque Derkyllidas y était, déjà avec une armée capable de tenir tête aux satrapes. Néanmoins les Lacédæmoniens embrassèrent le plan avec ardeur, d’autant plus que des ambassadeurs vinrent de beaucoup de villes sujettes, envoyés par les partisans de Lysandros et de concert avec lui, pour demander qu’Agésilas fût placé à la tête de l’expédition, avec des forces aussi grandes qu’il lui en faudrait[70]. On ne trouva probablement aucune difficulté à lever le nombre proposé d’hommes chez les alliés, vu qu’il y avait une grande perspective de pillage pour les soldats en Asie. Mais le changement de position de Sparte par rapport à ses plus puissants alliés fut révélé par le refus que firent Thèbes, Corinthe et Athènes de prendre aucune part à l’expédition. Le refus de Corinthe, il est vrai, avait pour excuse ouverte un récent incendie de mauvais augure de l’un des temples dans la ville, et celui d’Athènes la faiblesse et l’épuisement non encore réparés. Mais cette dernière, du moins, avait déjà commencé à concevoir quelque espérance des projets de Konôn[71]. Le fait seul qu’un roi de Sparte était sur le point de prendre le commandement, et de passer en Asie, donnait à l’entreprise une importance particulière. Les rois spartiates, dans leur fonction de chefs de la Grèce, croyaient avoir hérité du sceptre d’Agamemnôn et d’Orestês[72] ; et Agésilas, en particulier, assimilait son expédition à une nouvelle guerre de Troie, — effort de la Grèce combinée dans le dessein de se venger de l’ennemi asiatique commun du nom hellénique. Les sacrifices ayant été trouvés favorables, Agésilas prit des mesures pour faire passer les troupes des divers ports à Ephesos. Mais lui-même, avec une division, toucha en route à Geræstos, point méridional de l’Eubœa, dans son désir d’aller de là sacrifier à Aulis, le port de Bœôtia où Agamemnôn avait offert son mémorable sacrifice immédiatement avant le départ pour Troie. Il parait qu’il se rendit à cet endroit et commença le sacrifice sans demander permission aux Thébains ; de plus, il était accompagné par son propre prophète, qui dirigeait les solennités d’une manière non conforme à la pratique habituelle du temple ou de la chapelle d’Artemis à Aulis. Pour ces deux raisons, les Thêbains, prenant ce procédé pour une insulte, envoyèrent un corps d’hommes armés, et le forcèrent de renoncer au sacrifice[73]. Ne participant pas eux-mêmes à l’expédition, ils considéraient probablement que le roi spartiate était présomptueux de prendre pour lui-même le caractère panhellénique d’un second Agamemnôn, et ils infligèrent ainsi à Agésilas une humiliation qu’il ne pardonna jamais. Agésilas semble être arrivé en Asie (396 av. J.-C.) vers l’époque on Derkyllidas avait récemment conclu son dernier armistice avec Tissaphernês et Pharnabazos, armistice destiné à donner du temps à une communication mutuelle tant avec Sparte qu’avec la cour de Perse. Quand le satrape lui demanda quel était son dessein en venant, Agésilas se borna à renouveler la demande qui avait été faite auparavant par Derkyllidas, — l’autonomie pour les Grecs asiatiques. Tissaphernês répliqua en proposant une continuation du même armistice jusqu’à ce qu’il eût communiqué avec la cour de Perse, — ajoutant qu’il espérait être autorisé a accorder la demande. Un nouvel armistice fut, en conséquence, juré par les deux parties pour trois mois ; Derkyllidas (qui avec son armée vint alors sous le commandement d’Agésilas) et Herippidas étant envoyés vers le satrape pour recevoir son serment et en prêter un autre entre ses mains à leur tour[74]. Tandis que l’armée était ainsi condamnée à une inaction momentanée à Ephesos, la conduite et la position de Lysandros commencèrent à exciter une intolérable jalousie chez les officiers supérieurs, et surtout chez Agésilas. Si grande et si établie était la réputation de Lysandros ; — dont la statue avait été élevée à Ephesos même dans le temple d’Artemis[75], aussi bien que dans beaucoup d’autres cités, — que tous les Grecs asiatiques le considéraient comme le chef réel de l’expédition. Qu’il fût le chef réel, sous le commandement nominal d’un autre, ce n’était rien de plus que ce qui s’était présenté auparavant, dans l’année où il remportait la grande victoire d’Ægospotami, — les Lacédæmoniens l’ayant alors envoyé également avec la qualité ostensible de secrétaire de l’amiral Arakos, afin de sauver l’inviolabilité de leur propre règle qui voulait que le même homme ne servit pas deux fois comme amiral[76]. C’était à l’instigation de Lysandros, et dans l’espérance de sa présence, que les décemvirs et d’autres partisans dans les cités sujettes avaient envoyé à Sparte demander Agésilas, prince jusqu’alors non éprouvé et inconnu. De sorte que Lysandros, — se faisant honneur, et à bon droit, d’avoir assuré à Agésilas d’abord la couronne, puis son importante nomination, — projetait, et c’était ce que d’autres attendaient, d’exercer de nouveau le commandement et de renouveler dans chaque ville les dékarchies détruites ou affaiblies. Un grand nombre de ses partisans vinrent à Ephesos pour saluer son arrivée, et l’on voyait une foule de solliciteurs suivre partout ses pas, tandis qu’Agésilas paraissait comparativement négligé. De plus, Lysandros reprit toute cette insolence de manières qu’il avait contractée pendant ses premiers commandements, et qui, dans cette occasion, ne fut que plus blessante, vu que celles d’Agésilas étaient à la fois courtoises et simples à un degré particulier[77]. Les trente conseillers spartiates, dont Lysandros avait été nommé président, ne se voyant ni consultés par lui, ni sollicités par d’autres, furent profondément mécontents. Leurs plaintes contribuèrent à encourager Agésilas, qui était encore plus vivement blessé dans sa dignité personnelle, à montrer une force résolue et impérieuse de volonté, ce dont on ne l’avait jamais cru auparavant capable. Il rejeta successivement toute demande qui lui était faite par Lysandros ou par son entremise ; plan systématique qui, bien que n’étant jamais déclaré formellement[78], ne tarda pas à être reconnu par les solliciteurs, par les Trente et par Lysandros lui-même. Ce dernier se trouva ainsi non seulement désappointé dans tous ses calculs, mais humilié à l’excès, bien que sans aucun motif palpable de plainte. Il fut forcé d’avertir ses partisans que son intervention leur était plutôt nuisible que profitable, qu’ils eussent à s’abstenir d’attentions obséquieuses à son égard, et à s’adresser directement à Agésilas. Il fit aussi des remontrances à ce prince pour soit propre compte. — En vérité, Agésilas, tu connais le moyen d’avilir tes amis. — Oui, certainement (répondit le roi), ceux d’entre eux qui veulent paraître plus grands que moi ; mais quant à ceux qui cherchent âme soutenir, je rougirais si je ne savais leur rendre l’Honneur qu’ils méritent. — Lysandros fut forcé d’admettre la force de cette réponse, et de demander, comme seul mayen d’échapper à cette humiliation présente et palpable, d’être envoyé dans quelque mission séparée, s’engageant à servir fidèlement, quel que fût le devoir dont on le chargeât[79]. Cette proposition, sans doute même plus agréable à Agésilas qu’à lui-même, étant acceptée sans difficulté, il fut dépêché en mission vers l’Hellespont. Fidèle à son engagement d’oublier les offenses passées et de servir avec zèle, il trouva moyen de gagner un des grands de Perse, nommé Spithridatês, qui avait ê, se plaindre de Pharnabazos. Spithridatês se mit en révolte ouverte, amenant un régiment de 200 chevaux rejoindre Agésilas ; ce qui le mit à même d’avoir des renseignements complets sur la satrapie de Pharnabazos, comprenant le territoire appelé Phrygia dans le voisinage de la Propontis et de l’Hellespont[80]. L’armée, sous les ordres de Tissaphernês, avait été déjà puissante au moment où sa timidité engagea ce satrape à conclure le premier armistice avec Derkyllidas. Mais de nouveaux. renforts, reçus depuis la conclusion du second et plus récent armistice (396 av. J.-C.), l’avaient porté à un tel excès de confiance, que, même avant l’expiration des trois mois stipulés, il envoya demander avec instance le départ immédiat d’Agésilas d’Asie, et déclarer la guerre sur-le-champ si ce départ était différé. Tandis que ce message, accompagné de rapports formidables quant aux forces du satrape, remplissait l’armée à Ephesos d’une alarme mêlée d’indignation, Agésilas accepta le défi avec un joyeux empressement ; il fit répondre au satrape qu’il le remerciait de se parjurer d’Une manière si flagrante, au point de mettre les dieux contre lut et d’assurer aux Grecs leur faveur[81]. Des ordres furent donnés sur-le-champ, et des contingents appelés de chez les Grecs asiatiques, pour un mouvement en avant vers le sud, en vue de traverser le Mæandros et d’attaquer Tissaphernês en Karia, où il résidait habituellement. On commanda aux villes sur la route de préparer des magasins, de sorte que Tissaphernês, s’attendant pleinement à une attaque dans cette direction, fit passer son infanterie en Karia, dans le dessein d’agir sur la défensive ; tandis qu’il garda sa nombreuse cavalerie dans la plaine du Mæandros, en vue d’accabler Agésilas, qui n’avait pas de cavalerie, dans sa marche sur ce territoire uni vers les collines et le terrain raboteux de la Karia. Mais le roi lacédæmonien, après avoir mis l’ennemi sur cette fausse piste, changea soudainement sa marche et se dirigea au nord vers la Phrygia et la satrapie de Pharnabazos. Tissaphernês ne prit pas la peine de secourir le satrape son collègue ; qui, de son côté, avait fait peu de préparatifs de défense. En conséquence, Agésilas, trouvant peu ou point de résistance, s’empara de beaucoup de villes et de villages, et recueillit une quantité de provisions, de, butin et d’esclaves. Profitant de la conduite du rebelle Spithridatês, et marchant aussi peu que possible par les plaines, il poussa des incursions lucratives et sans obstacle jusqu’au voisinage de Daskylion, résidence du satrape lui-même, près de la Propontis. Toutefois, non loin de cette résidence, son petit corps de cavalerie, gravissant une éminence, rencontra soudain un détachement égal de cavalerie persane, sous Rhatinês et Bagæos, qui l’attaqua vigoureusement et le repoussa avec quelques pertes, jusqu’à ce qu’il fût protégé par Agésilas lui-même arrivant avec ses hoplites. L’effet de cet échec (et il y en eut probablement d’autres du même genre, bien que Xénophon ne les spécifie pas), sur le moral de l’armée, fut décourageant. Le lendemain matin, les sacrifices s’étant trouvés défavorables pour aller plus loin, Agésilas donna l’ordre de se retirer vers la mer. Il arriva à Ephesos vers la fin de l’automne, résolu à employer l’hiver à organiser une cavalerie plus puissante, mesure que l’expérience prouvait être indispensable[82]. Bette marche d’automne à travers la Phrygia fut plus lucrative que glorieuse. Cependant elle met .Xénophon à même de présenter différents mérites de son héros Agésilas ; dans son récit, il nous montre l’ancienne manière de faire la guerre et les habitudes asiatiques sous un côté très pénible. Agésilas avait une qualité en commun et avec Kallikratidas et avec Lysandros, bien que non pas avec les commandants spartiates ordinaires ; il était indifférent à l’acquisition de l’argent pour lui-même. Mais il m’était pas moins désireux d’enrichir ses amis, et parfois il connivait à d’inexcusables modes d’acquisition à leur profit. Souvent des déserteurs venaient donner des renseignements sur de riches proies ou sur des prisonniers importants, avantages qu’il aurait pu s’approprier s’il l’avait voulu. Mais il se fit une règle de rejeter et le butin et l’honneur sur le chemin de quelque officier favori ; précisément comme nous avons vu (dans un autre chapitre) que l’armée autorisa Xénophon à prendre Asidatês et à jouir d’une portion considérable de la rançon[83]. De plus, quand l’armée dans le cours de sa marche était à une distance considérable de la mer, et paraissait avancer plus loin dans l’intérieur des terres, les commissaires-priseurs autorisés, dont la charge était de vendre le butin, trouvaient les acheteurs extrêmement gnous. Il était difficile de garder ou d’emporter ce qu’on achetait, et l’occasion favorable pour revendre ne semblait pas rapprochée. Agésilas, tout en recommandant aux commissaires-priseurs de vendre à crédit, sans insister sur de l’argent comptant, — donnait en même temps des avis secrets à quelques amis qu’il était très prochainement sur le point de retourner à la mer. Les amis ainsi avertis, enchérissant sur le butin vendu à crédit et achetant à de bas prix, étaient très promptement en état d’en disposer de nouveau à un port de mer, avec des profits considérables[84]. Nous ne sommes pas surpris d’apprendre que ces grâces lucratives procuraient à Agésilas plus d’un ardent admirateur, bien que les éloges de Xénophon eussent dû être réservés pour un autre côté de sa conduite, qui est à mentionner actuellement. Agésilas, s’il assurait à son armée le pillage du pays sur lequel il promenait ses armes victorieuses, prenait beaucoup de peine pour prévenir les cruautés et la destruction des biens. Quand une ville se rendait à lui à condition, ses exactions n’étaient ni ruineuses ni grandement humiliantes[85]. De même, dans tout le butin réalisé, la partie la plus précieuse se composait des indigènes adultes des deux sexes, forcés et amenés par les troupes légères de l’armée allant à la maraude ; ils devaient être vendus comme esclaves. Agésilas protégeait avec vigilance ces pauvres victimes contre les mauvais traitements ; il inculquait à ses soldats le devoir non de les punir comme des malfaiteurs, mais simplement de les garder comme des hommes[86]. La partie la plus pauvre de la population indigène avait l’habitude de vendre souvent ses enfants petits pour l’exportation à des marchands d’esclaves qui voyageaient, dans l’impossibilité où elle était de les nourrir. Les enfants ainsi achetés, s’ils promettaient d’être beaux, étaient souvent mutilés, et rapportaient de grosses sommes comme eunuques, en servant à fournir aux demandes considérables pour les harems et le culte religieux de maintes villes asiatiques. Mais dans leur hâte de s’écarter de la route d’une armée qui se livrait au pillage, ces marchands d’esclaves étaient souvent forcés de laisser sur les bords du chemin les petits enfants qu’ils avaient achetés, exposés aux loups, aux chiens et à la mort par la faim. C’est dans cette misérable condition qu’Agésilas les trouvait en avançant. Ses dispositions humaines le poussaient à les voir portés en lieu de sûreté, où il les confiait a ceux des indigènes âgés qu’à cause de leur âge et de leur faiblesse on avait laissés derrière comme ne valant pas la peine d’être emmenés. Par cette bonté active, rare à vrai dire dans un général grec à l’égard des vaincus, il conquit la reconnaissance des captifs et les sympathies de tous ceux qui l’entouraient[87]. Cette intéressante anecdote, qui fournit un éclaircissement sur le monde ancien par rapport à des détails que les historiens grecs condescendent rarement à dévoiler, montre la disposition d’Agésilas à la compassion. Nous en trouvons conjointement avec elle une autre, qui explique le côté spartiate de son caractère. Les prisonniers qui avaient été faits pendant l’expédition furent amenés à Ephesos, et vendus pendant l’hiver comme esclaves au profit de l’armée. Agésilas, — qui était alors fort occupé à former ses troupes à l’activité militaire, — jugea utile de leur inspirer du mépris pour la qualité et la force corporelles des indigènes. Il ordonna donc aux hérauts qui dirigeaient l’enchère de mettre les prisonniers en vente dans un état de nudité complète. Avoir le corps ainsi exposé était une chose que ne faisaient jamais les Asiatiques indigènes, et qu’ils regardaient même comme déshonorante ; tandis que, chez les Grecs, l’usage était universel en vue des exercices, — ou du moins était devenu universel pendant les deux ou trois derniers siècles, — car on nous dit que, primitivement, le sentiment asiatique sur ce point avait dominé dans toute la Grèce. C’était une des différences frappantes entre les coutumes grecques et les coutumes asiatiques[88], bien que, dans les premières, les exercices de la palestre, aussi bien que les luttes dans les jeux solennels, demandassent des compétiteurs de tout rang pour combattre nus. Agésilas lui-même se déshabillait ainsi habituellement : Alexandre, prince de Macédoine, l’avait fait quand il courut le stadion à Olympia[89], — de même les combattants de la grande famille des Diagorides de Rhodes, quand ils gagnaient leurs victoires dans le Pankration Olympique, — et tous ces autres nobles pugiles, lutteurs et coureurs, descendus de dieux et de héros, sur lesquels Pindare répand les compliments de ses odes. En cette occasion, à Ephesos, Agésilas donna l’ordre spécial de mettre aux enchères les prisonniers asiatiques nus ; non par manière d’insulte, mais afin de montrer à l’œil du soldat grec qui les contemplait combien il gagnait par ses exercices corporels et par une exposition fréquente, — et combien était inférieur l’état d’hommes dont les corps ne sentaient jamais ni le soleil ni le vent. Ils firent voir une peau blanche, des membres potelés et délicats, des muscles faibles et non développés, comme des hommes accoutumés a être portés dans des voitures, au lieu de marcher et de courir, ce qui nous apprend indirectement que beaucoup d’entre eux étaient des personnes d’une condition opulente. Et le but d’Agésilas fut complètement rempli, puisque ses soldats, en voyant ces preuves d’incapacité corporelle, pensèrent que les ennemis qu’ils avaient à combattre n’étaient pas plus redoutables que des femmes. Une telle manière d’expliquer la différence entre une bonne et une mauvaise éducation physique se serait difficilement présentée à l’esprit de tout autre que d’un Spartiate élevé d’après les règles de Lykurgue[90]. Tandis qu’Agésilas prouvait ainsi aux yeux de ses soldats l’impuissance de corps non exercés, il les astreignit pendant tout l’hiver à un travail et à des exercices durs, aussi bien dans la palestre qu’au champ de manœuvres. Il lui manquait encore de la cavalerie. Afin de s’en procurer, il enrôla tous les plus riches Grec, des diverses villes asiatiques comme conscrits pour servir à cheval ; il donna toutefois à chacun d’eux la facilité de s’exempter en fournissant un remplaçant et un équipement convenables, — homme, cheval et armes[91]. Avant le commencement du printemps, des forces suffisantes de cavalerie furent ainsi réunies à Ephesos, et dressées passablement. Pendant tout l’hiver, cette ville devint une place d’armes, consacrée à la manœuvre et aux exercices gymnastiques. A la parade aussi bien qu’à la palestre, Agésilas lui-même était le premier à donner l’exemple de l’obéissance et d’un dur travail. Des prix étaient accordés aux hommes diligents et faisant des progrès parmi les hoplites, les cavaliers et les troupes légères ; tandis que les armuriers, les dinandiers, les teinturiers, etc., tous les divers artisans dont le commerce consistait en armes défensives de guerre, avaient la plus grande occupation. C’est un spectacle plein d’encouragement (dit Xénophon, qui sans doute était présent et y prenait part) de voir Agésilas et les soldats quitter le gymnase, tous avec des couronnes sur la tête, et se rendre au temple d’Artemis pour consacrer leurs couronnes à la déesse[92]. Avant qu’Agésilas fût en état de commencer ses opérations militaires au printemps, la première année de son commandement s’était écoulée (395 av. J.-C.). Trente conseillers nouveaux vinrent de Sparte à Ephesos pour remplacer les trente premiers présidés par Lysandros, qui retournèrent tous dans leur patrie sur-le-champ. L’armée fut alors non seulement plus nombreuse, mats mieux instruite, et plus systématiquement arrangée que dans la campagne précédente. Agésilas répartit les diverses divisions sous le commandement de différents membres des nouveaux Trente ; la cavalerie étant assignée à Xenoklês, les hoplites neodamodes à Skythês, les soldats de Cyrus à Herippidas, les contingents asiatiques à Migdôn. Il annonça alors qu’il marcherait droit sur Sardes. Néanmoins Tissaphernês, qui était dans cette ville, expliquant cette proclamation comme une feinte, et croyant que la marche réelle serait dirigée contre la Karia, disposa sa cavalerie dans la plaine du Mæandros comme il l’avait fait dans la campagne précédente ; tandis que son infanterie fut envoyée encore plus loin au sud, en deçà de la frontière karienne. Cependant, yen cette occasion, Agésilas marcha, comme il l’avait annoncé, dans la direction de Sardes. Pendant trois jours, il ravagea le pays sans voir un ennemi ; et ce ne fut que le quatrième jour que la cavalerie persane de Tissaphernês put être rappelée pour lui être opposée, l’infanterie étant même encore à distance. Quand elle arriva au bord du fleuve Paktôlos, la cavalerie persane trouva les troupes légères grecques dispersées en vue du pillage ; elle les attaqua par surprise, et les mit en fuite avec des pertes considérables. Toutefois Agésilas vint bientôt en personne, et ordonna à sa cavalerie de charger, désireux de livrer un combat avant que l’infanterie persane pût arriver sur le champ de bataille. En efficacité, à ce qu’il paraît, la cavalerie persane pouvait bien le disputer à la sienne ; et, en nombre, elle était apparemment supérieure. Mais quand il fit avancer son infanterie, et que, par son ordre, ses peltastes et ses jeunes hoplites se joignirent à la cavalerie dans une vigoureuse attaque, — la victoire ne tarda pas à se déclarer de son côté. Les Perses furent mis en fuite, et beaucoup d’entre eux se noyèrent dans le Paktôlos. Leur camp aussi fut pris avec un précieux butin ; il renfermait plusieurs chameaux qu’Agésilas amena plus tard avec lui en Grèce. Ce succès le rendit maître de tout le territoire autour de Sardes. Il porta ses ravages jusqu’aux portes de cette ville, pillant les jardins et les parcs, annonçant la liberté pour les habitants, et défiant Tissaphernês de sortir et de combattre[93]. La carrière de ce lâche et perfide satrape approchait alors de son terme. Les Perses, dans Sardes ou auprès de cette ville, se plaignaient hautement qu’il les laissât sans défense, par couardise et par crainte pour sa propre résidence en Karia ; tandis que la cour de Suse savait bien actuellement qu’on n’avait tiré aucun parti du puissant renfort qui avait été envoyé l’année précédente, destiné à chasser Agésilas de l’Asie. A ces motifs de juste mécontentement s’ajoutait une intrigue de cotir. Tissaphernês en fut victime, ainsi que .de l’influence d’une personne encore plus indigne et plus cruelle que lui-même. La reine mère Parysatis ne lui avait jamais pardonné d’avoir été un des principaux agents dans la défaite et la mort de son fils Cyrus. Son influence étant rétablie à ce moment sur l’esprit d’Artaxerxés, elle profita du discrédit actuel du satrape pour faire envoyer l’ordre de sa déposition et de sa mort. Tithraustês, porteur de cet ordre, se saisit de lui par stratagème à Kolossæ en Phrygia, tandis qu’il était au bain, et lui fit trancher la tête[94]. La mission de Tithraustês en Asie Mineure fut accompagnée d’un redoublement d’efforts de la part de la Perse qui voulait poursuivre la guerre contre Sparte avec vigueur, sur mer ainsi que sur terre, et fomenter aussi le mouvement anti-spartiate qui éclata en hostilités cette année dans la Grèce (395 av. J.-C.). Toutefois d’abord, immédiatement après la mort de Tissaphernês, Tithraustês s’efforça d’ouvrir des négociations avec Agésilas, qui possédait militairement le pays autour de Sardes, tandis que cette ville elle-même parait avoir été occupée par Ariæos, — probablement le même Perse qui avait été jadis général sous Cyrus, et s’était de nouveau révolté contre Artaxerxés[95]. Tithraustês fit honneur à la justice du roi d’avoir puni le dernier satrape, dont la perfidie (affirmait-il) avait été la cause de la guerre. Il invita ensuite Agésilas, au nom du roi, à évacuer l’Asie, en laissant les Grecs asiatiques payer à la Perse leur tribut primitif, mais jouir d’une autonomie complète, soumis à cette seule condition. Si cette proposition eût été acceptée et exécutée, elle aurait assuré ces Grecs contre l’occupation persane, c’est-à-dire contre des gouverneurs persans, sort beaucoup plus doux pour eux que celui auquel les Lacédæmoniens avaient consenti dans leurs conventions avec Tissaphernês seize ans auparavant[96], et analogue à la position dans laquelle les Chalkidiens de Thrace avaient été placés à l’égard d’Athènes, sous la paix de Nikias[97], soumis à, un tribut fixe, cependant autonomes, — sans aucune autre obligation ni intervention. Agésilas répondit qu’il n’était pas autorisé à accueillir une pareille proposition sans l’aveu des autorités de son pays, qu’en conséquence il envoya consulter. Mais dans l’intervalle, il fut décidé par Tithraustês à conclure un armistice pour six mois, et à passer de sa satrapie dans celle de Pharnabazos, recevant une contribution de trente talents pour subvenir à la subsistance temporaire de son armée[98]. Ces satrapes, en général, se conduisaient plutôt comme des princes indépendants ou même hostiles, que comme des collègues agissant de concert, une des nombreuses causes de la faiblesse de l’empire persan. Quand Agésilas eut atteint le voisinage de Kymê, dans sa marche au nord vers la Phrygia hellespontique, il reçut de Sparte une dépêche (395 av. J.-C.), qui plaçait sous son commandement les forces navales spartiates dans les mers d’Asie, aussi bien que l’armée de terre, et l’autorisait à nommer qui il voudrait pour remplir les fonctions d’amiral[99]. Pour la première fois depuis la bataille d’Ægospotami, l’empire maritime de Sparte commençait à être menacé, et un redoublement d’efforts de sa part devenait nécessaire. Pharnabazos, allant en personne à la cour d’Artaxerxés, avait, par de pressantes représentations, obtenu un subside considérable pour équiper à Kypros et en Phénicie une flotte destinée à agir sous l’amiral athénien Konôn contre les Lacédæmoniens[100]. Cet officier, — avec une flotte de quarante trirèmes, avant que l’équipement du reste fût encore complet, — s’était avancé le long de la côte méridionale de l’Asie Mineure jusqu’à Kaunos, à l’extrémité sud-ouest de la péninsule, sur la frontière de la Karia et de la Lykia. Dans ce port, il fut assiégé par la flotte lacédæmonienne de cent vingt trirèmes sous Pharax. Mais un renfort persan porta la flotte de Konôn à quatre-vingts voiles, et mit la ville hors de danger ; de sorte que Pharax, renonçant au siège, se retira à Rhodes. Toutefois, le voisinage de Konôn, qui était à ce moment avec sa flotte de quatre-vingts voiles près de la Chersonèse de Knidos, enhardit les Rhodiens à se révolter contre Sparte,. Ce fut à Rhodes que se manifesta pour la première fois la haine générale contre l’empire lacédæmonien, déshonoré dans tant de cités différentes par les dékarchies locales et par les harmostes spartiates. Et l’ardeur de la population rhodienne fut telle qu’elle se révolta pendant que la flotte ale Pharax était (en partie du moins) actuellement dans le port, et elle l’en chassa[101]. Konôn, dont les secrets encouragements avaient aidé à exciter cette insurrection, cingla vers Rhodes avec sa flotte, et fit de l’île sa principale station. Il en résulta pour lui un avantage inespéré ; car de nombreux navires y arrivèrent peu de temps après, envoyés au secours des Lacédæmoniens par Nephereus, roi indigène d’Égypte (qui était en révolte contre les Perses), et chargés de provisions navales et de grain. Comme ils ignoraient la récente révolte, ces navires entrèrent dans le port de Rhodes comme si elle était encore une île lacédæmonienne, et c’est de cette manière que Konôn et les Rhodiens s’approprièrent leur cargaison[102]. En racontant les diverses révoltes des dépendances d’Athènes qui éclatèrent pendant la guerre du Péloponnèse, j’ai eu occasion de dire plus d’une fois que toutes elles éclatèrent non seulement dans l’absence de forces athéniennes, mais même à l’instigation (dans la plupart des cas) d’une armée ennemie présente, — grâce aux combinaisons d’un parti local, — et a l’insu et sans le consentement préalable de la masse des citoyens. La révolte actuelle de Rhodes, qui offre un contraste remarquable sur tous ces points, occasionna la surprise et l’indignation les plus grandes parmi-les Lacédœmoniens. Ils se virent sur le point d’entamer une nouvelle guerre maritime, sans ce secours qu’ils avaient compté recevoir d’Égypte, et avec une incertitude aggravée par rapport à leurs dépendances et à leur tribut. Ce fut dans cette inquiétude pour l’avenir qu’ils firent la démarche de nommer Agésilas au commandement de la flotte aussi bien que de l’armée, afin d’assurer l’unité des opérations[103], quoiqu’ils renonçassent ainsi à la séparation des fonctions, au maintien de laquelle ils avaient jusqu’alors attaché une grande importance, et que les deux commandements n’eussent jamais été réunis entre les mains d’aucun roi avant Agésilas[104]. On rappela Pharax, le précédent amiral[105]. Mais le violent mécontentement des Lacédæmoniens contre les Rhodiens révoltés fut mieux attesté encore par un autre acte. Parmi les grandes familles de Rhodes, aucune n’était plus distinguée que les Diagoridæ. Ses membres étaient non seulement généraux et hauts fonctionnaires politiques dans leur île natale, mais ils avaient conquis même une célébrité panhellénique par une série sans exemple de victoires remportées aux fêtes Olympiques et aux autres grandes solennités. Dorieus, membre de cette famille, avait gagné la victoire dans le pankration à Olympia dans trois solennités successives. Il avait obtenu sept prix aux jeux Néméens, et huit aux jeux Isthmiques. Il avait remporté le prix à une solennité pythienne sans combat, — personne n’osant rivaliser contre lui dans l’effrayante lutte du pankration. Comme Rhodien, tandis que Rhodes était alliée sujette d’Athènes pendant la guerre du Péloponnèse, il s’était tellement prononcé dans son attachement pour Sparte qu’il avait attiré sur lui une sentence de bannissement ; alors il s’était retiré à Thurii, et avait pris une part active aux hostilités contre Athènes après la catastrophe essuyée à Syracuse. Servant contre elle dans des vaisseaux équipés à ses propres frais, il avait été pris en 407 avant J.-C. par les Athéniens, et amené à Athènes comme prisonnier. En vertu de la coutume de guerre telle qu’elle était admise, sa vie était perdue ; et outre cette coutume, le nom de Dorieus était particulièrement odieux aux Athéniens. Mais quand ils virent devant l’assemblée publique un ennemi captif, d’un lignage héroïque aussi bien que d’une majesté et d’un renom athlétiques incomparables, leur haine antérieure fit place à la sympathie et à l’admiration, au point qu’ils lui rendirent la liberté par un vote public, et le renvoyèrent saris condition[106]. Cette intéressante anecdote, qui a déjà été rapportée dans le quatrième chapitre du onzième volume de cette Histoire, est signalée ici de nouveau en contraste avec le traitement due le même Dorieus subit en ce moment de la part des Lacédæmoniens. Qu’avait-il fait depuis, c’est ce que nous ignorons ; mais à l’époque où Rhodes se révolta contre Sparte, non seulement il était absent de l’île, mais il se trouvait réellement dans le Péloponnèse ou auprès de ce pays. Cependant la colère des Lacédæmoniens contre les Rhodiens en général fut telle, que Dorieus fut saisi par leur ordre, amené à Sparte, et là condamné et exécuté[107]. Il ne semble guère possible qu’il ait pu avoir quelque intérêt personnel dans la révolte. S’il en avait été ainsi, il aurait été dans l’île, ou du moins il aurait eu soin de ne pas être à la portée des Lacédæmoniens quand la révolte éclata. Il se peut toutefois que d’autres membres des Diagoridæ, sa famille, jadis si attachée à Sparte, y aient pris part ; car nous savons, par l’exemple des Trente à Athènes, que les Dékarchies de Lysandros et les Harmostes spartiates se rendirent tout aussi formidables aux hommes d’État oligarchiques qu’aux démocratiques, et il est très concevable que les Diagoridæ aient pu devenir moins favorables aux Lacédœmoniens dans leur politique. Cette extrême différence dans le traitement du même homme par Athènes et par Sparte donne lieu à d’instructives réflexions. Elle montre la différence entre les sentiments des Athéniens et ceux des Spartiates, non moins qu’entre les sentiments d’une multitude et ceux d’un petit nombre. La personnalité grande et sacrée de l’Heronikês Dorieus, offert aux yeux de la multitude athénienne, — la vue d’un homme enchaîné, qui avait été proclamé vainqueur et couronné dans tant d’occasions solennelles devant les assemblées les plus considérables de Grecs qui aient jamais été réunies, produisirent en eux l’émotion la plus profonde ; elles suffirent non seulement pour effacer une forte antipathie préétablie, fondée sur une ancienne hostilité active, mais pour contrebalancer une juste cause de vengeance, comme on s’exprimait à cette époque. Mais la même apparition n’opéra aucun effet sur les éphores et le sénat spartiates ; elle ne suffit pas même pour les empêcher de mettre Dorieus à mort, bien qu’il ne leur eût fourni aucun motif d’antipathie ni de vengeance, simplement comme une sorte de châtiment pour la révolte de l’île. Or cette différence dépendit en partie de celle qui existait entre les sentiments des Athéniens et ceux des Spartiates, mais en partie aussi de celle qui se trouve entre les sentiments d’une multitude et ceux d’un petit nombre. Si Dorieus eût été amené devant un tribunal judiciaire d’élite à Athènes, au lieu de l’être devant l’assemblée publique athénienne, — ou si le cas eût été discuté devant l’assemblée pendant son absence, — il aurait été probablement condamné, conformément à l’usage, dans les circonstances ; mais la vive émotion produite par sa présence sur les nombreux spectateurs de l’assemblée leur rendit intolérable une telle manière d’agir. Les historiens d’Athènes ont eu l’habitude d’insister sur les passions de l’assemblée publique comme si elles étaient susceptibles d’être excitées seulement dans un sens de colère ou de vengeance -, tandis que la vérité est, et l’exemple actuel le prouve, que les esprits étaient ouverts dans une direction aussi bien que dans l’autre, et que l’émotion présente, quelle qu’elle pût être, de clémence ou de sympathie, aussi bien que de ressentiment, était augmentée par le seul fait du nombre. Et ainsi, là où la règle établie de procédure se trouvait être cruelle, il v avait quelque chance de pousser une assemblée athénienne a la mitiger dans un cas particulier, bien que les éphores ou le sénat de Sparte fussent inexorables en l’appliquant, — si, dans le fait, ils ne la dépassaient pas réellement en rigueur, comme cela parait probable dans le cas de Dorieus. Tandis que Konôn et les Rhodiens suscitaient ainsi des hostilités contre Sparte sur mer, Agésilas, en recevant à Kymê la nouvelle de sa nomination au double commandement, dépêcha immédiatement des ordres aux cités maritimes et aux îles dépendantes, demandant la construction et l’équipement de nouvelles trirèmes (395 av. J.-C.). L’influence de Sparte était si grande, et les gouvernements locaux dépendaient tellement de sa durée, que ces réquisitions trouvèrent une obéissance empressée. Bien des personnages principaux se soumirent à une dépense considérable, par désir d’acquérir sa faveur ; de sorte qu’une flotte de 120 nouvelles trirèmes fut prête l’année suivante. Agésilas nomma son beau-frère Peisandros pour agir comme amiral et il l’envoya surveiller les préparatifs ; c’était un jeune homme brave, mais dépourvu d’habileté et d’expérience[108]. Cependant il poursuivit lui-même sa marche (à peu près au commencement de l’automne) vers la satrapie de Pharnabazos, — Phrygia au sud et au sud-est de la Propontis. Sous la conduite active de son nouvel auxiliaire Spithridatês, il pilla le pays, prit quelques villes et en réduisit d’autres à capituler, avec un profit considérable pour ses soldats. Pharnabazos, qui n’avait pas une armée suffisante pour hasarder une bataille et défendre sa satrapie, concentra tolites ses forces près de sa propre résidence, à Daskylion, sans faire obstacle à la marche d’Agésilas. Celui-ci, sur le conseil de Spithridatês, traversa la Phrygia et entra en Paphlagonia, dans l’espoir de conclure une alliance avec le prince paphlagonien Otys. Ce prince, dépendant nominalement de la Perse, pouvait réunir la meilleure cavalerie de l’empire persan. Mais il avait récemment refusé d’obéir à une invitation de la cour de Suse, et à ce moment, non seulement il accueillit bien l’apparition d’Agésilas, mais il conclut avec lui une alliance et le renforça d’un corps auxiliaire de cavalerie et de peltastes. Désireux de reconnaître les services de Spithridatês et fortement attaché à son fils, le jeune et beau Megabatês, — Agésilas persuada Otys d’épouser la fille de Spithridatês. Il la fit même venir par mer dans une trirème lacédæmonienne, probablement d’Abydos à Sinopê[109]. Renforcé des auxiliaires paphlagoniens, Agésilas poursuivit la guerre avec un redoublement de vigueur contre la satrapie de Pharnabazos. Il s’approcha alors du voisinage de Daskylion, résidence du satrape lui-même, héritage de son père Pharnakês, qui avait été satrape avant lui. C’était un pays opulent, rempli de riches villages, embelli de parcs et de jardins destinés à la chasse et au plaisir du satrape le goût de Xénophon pour la chasse et la pêche l’amena aussi à remarquer qu’il y avait une grande quantité d’oiseaux pour l’oiseleur, ainsi que des rivières très poissonneuses[110]. C’est dans cette agréable région qu’Agésilas passa l’hiver. Ses soldats, abondamment approvisionnés, devinrent si négligents et marchaient en se débandant et en montrant un tel mépris pour les ennemis, que Pharnabazos, avec un corps de 400 chevaux et 2 chars armés de faux, trouva une occasion d’en attaquer 700 par surprise et de les mettre en fuite avec des pertes considérables, jusqu’à ce qu’Agésilas, arrivât avec des hoplites pour les protéger. Toutefois ce malheur partiel ne tarda pas à être vengé. Craignant d’être entouré et pris, Pharnabazos s’abstint d’occuper aucune position fixe. Il alla çà et là dans le pays, emportant avec lui ce qu’il avait de précieux et tenant son lieu de campement aussi secret que possible. Néanmoins, le vigilant Spithridatês ayant appris qu’il était campé pour la nuit dans le village de Kanê, à une distance de dix-huit milles (= près de 220 kilomètres) environ, Herippidas (l’un des trente Spartiates) entreprit une marche de nuit avec un détacheraient pour le surprendre. Deux mille, hoplites, le même nombre de peltastes armés à la légère et Spithridatês avec la cavalerie paphlagonienne furent désignés pour l’accompagner. Bien que beaucoup d’entre ces soldats profitassent de l’obscurité pour esquiver ce service, l’entreprise réussit complètement. Le camp de Pharnabazos fut surpris au point du jour, sa garde avancée, composée de Mysiens, fut passée au fil de l’épée, et lui-même avec ses troupes forcé de prendre la fuite après avoir résisté à peine. Tous ses trésors, sa vaisselle, son mobilier, avec une grande quantité de bagages et de prisonniers, tombèrent entre les mains des vainqueurs. Comme les Paphlagoniens, sous Spithridatês, formaient la cavalerie du détachement victorieux, ils firent naturellement plus de butin et de prisonniers que l’infanterie. Ils se mettaient en devoir d’emmener leurs acquisitions, quand Herippidas intervint et leur enleva tout : il mit tout le butin de toute sorte sous la garde d’officiers grecs, pour être vendu aux enchères en forme dans une ville grecque ; après quoi le produit devait être distribué ou appliqué par l’autorité publique. Les ordres d’Herippidas étaient conformes au procédé régulier et systématique des officiers grecs ; mais Spithridatês et les Paphlagoniens étaient probablement justifiés par la coutume asiatique en s’appropriant ce qu’ils avaient pris eux-mêmes. De plus, l’ordre, désagréable en lui-même, leur était imposé avec la dureté de manières habituelle aux Lacédæmoniens[111], sans qu’ils eussent en outre aucune garantie qu’il leur serait accordé, même à la fin, une part équitable du produit. Voyant dans la conduite d’Herippidas une injustice et une insulte, ils désertèrent pendant la nuit et s’enfuirent à Sardes, où Te Perse Ariæos était en révolte ouverte contre la cour de Suse. Ce fut pour Agésilas une perte sérieuse et un chagrin plus sérieux encore non seulement il fut privé d’une excellente cavalerie auxiliaire et d’un Asiatique entreprenant, qui lui fournissait ses renseignements, mais encore il avait à craindre que le bruit ne se répandît qu’il privait ses alliés asiatiques de leur butin légitime, et que d’autres ne fussent ainsi détournés de se joindre à lui. Sa douleur personnelle fut encore aggravée par le départ du jeune Megabazos, qui accompagna son père Spithridatês à Sardes[112]. Ce fut vers la fin de cet hiver que Pharnabazos et Agésilas eurent une conférence personnelle, ménagée par l’intervention d’un Grec de Kyzikos nommé Apollophanês, qui était uni à tous les deux par les liens de l’hospitalité et servait à chacun de garantie pour la bonne foi de l’autre. Xénophon, probablement présent lui-même, nous donne un détail intéressant de cette entrevue. Agésilas, accompagné de ses trente conseillers spartiates, étant arrivé le premier à l’endroit désigné, tous s’assirent sur l’herbe pour attendre. Bientôt vint Pharnabazos, avec ses vêtements et une suite magnifiques. Ses serviteurs se mettaient en devoir d’étendre pour lui de beaux tapis, quand le satrape, remarquant comment les Spartiates étaient assis, se sentit honteux de tant de luxe pour lui-même et s’assit sur l’herbe à côté d’Agésilas. Après avoir échangé des saluts, ils se serrèrent la main après quoi Pharnabazos, qui, comme le plus âgé des deux, avait été le premier à tendre sa main droite, fut aussi le premier à entamer la conversation. Parlait-il assez bien le grec pour se dispenser de la nécessité d’un interprète, c’est ce qu’on ne nous dit pas. Agésilas (dit-il), je fus l’ami et l’allié de vous autres Lacédémoniens, quand vous étiez en guerre avec Athènes : je vous fournis de l’argent pour renforcer votre flotte, et je combattis moi-même à cheval sur le rivage, poussant vos ennemis dans la mer. Vous ne pouvez pas m’accuser de vous- avoir trompés comme Tissaphernês, soit en paroles, soit en action. Cependant, après cette conduite, je suis maintenant réduit par vous à un état tel que je n’ai pas à dîner dans mon propre territoire, à moins que je ne recueille vos restes, comme les animaux de la plaine. Je vois dévaster ou, brûler par vous les belles résidences, les parcs, les chasses que m’a légués mon père et qui faisaient le charme de ma vie. Est-ce la conduite d’hommes reconnaissants de faveurs reçues et disposés à les reconnaître ? Réponds, je te prie, à cette question ; car peut-être ai-je encore à apprendre ce qui est saint et juste. Cet appel expressif couvrit de honte les trente conseillers spartiates. Ils gardèrent tous le silence ; tandis qu’Agésilas, après une longue pause, finit par répondre : Tu sais, Pharnabazos, que dans les cités grecques les individus deviennent amis et hôtes privés les uns des autres. Si les villes auxquelles ces hôtes appartiennent se font la guerre, ils combattent les uns contre les autres, et quelquefois par accident se tuent mutuellement, chacun en faveur de sa cité respective. C’est donc ainsi que nous, qui sommes en guerre avec ton roi, sommes forcés de considérer toutes ses possessions comme un pays ennemi. Mais, quant à toi, nous achèterions ton amitié à tout prix. Je ne te demande pas de nous accepter comme maîtres, à la place de ton maître actuel ; je te demande de devenir notre allié et de jouir de tes biens en homme libre, — sans te courber devant personne, ni reconnaître de maître, Or, la liberté est en soi une possession de la plus grande valeur. Mais ce n’est pas tout. Nous ne t’invitons pas à être un homme libre, pauvre toutefois. Nous t’offrons notre alliance, afin que tu acquières de nouveaux territoires, non pour le roi, mais pour toi-même, en réduisant ceux qui sont actuellement tes compagnons d’esclavage à devenir tes sujets. Or, dis-moi, si tu demeures ainsi libre et que tu deviennes riche, que peut-il te manquer encore pour devenir un homme complètement heureux ? Je te répondrai avec franchise (dit Pharnabazos). Si le roi envoie un autre général et me met sous ses ordres, je deviendrai volontiers ton ami et ton allié. Mais, s’il m’impose le devoir de commander, le point d’honneur est si fort que je continuerai à te faire la guerre du mieux : que je pourrai. N’attends rien de plus[113]. Agésilas, frappé de cette réponse, lui prit la main et dit : Plaise aux dieux qu’avec des sentiments aussi élevés tu puisses devenir notre ami ! En tout cas, laisse-moi t’assurer de ceci : — c’est que je quitterai immédiatement ton territoire, et dans l’avenir, même si la guerre continue, je te respecterai, toi et tous tes biens, aussi longtemps que je pourrai avoir à combattre d’autres Perses. Ici finit la conversation : Pharnabazos monta à cheval et partit. Toutefois, son fils, qu’il avait eu de Parapita, — à cette époque beau jeune homme encore, — resta derrière, courut vers Agésilas et s’écria : — Agésilas, je te fais mon hôte. — J’accepte de tout mon cœur, fut la réponse. — Prends ceci comme souvenir de moi, répliqua le jeune Perse, mettant entre les mains d’Agésilas le beau javelot qu’il portait. Ce dernier aussitôt enleva les ornements des harnais du cheval de son secrétaire Idæos et les lui donna comme présent en retour ; puis le jeune homme partit en lies emportant et rejoignit son père[114]. Il y a un accent et un intérêt touchants dans cette entrevue, telle qu’elle est décrite par Xénophon, qui ici met dans sa pâle Chronique hellénique quelque chose du souffle romanesque de la Cyropædie. Les gages échangés entre Agésilas et le fils de Pharnabazos ne furent oubliés ni par l’un ni par l’autre. Ce dernier, — réduit plus tard à la pauvreté et exilé par son frère, pendant que Pharnabazos était en Égypte, — fut forcé de se réfugier en Grèce, où Agésilas lui assura sa protection et une demeure, et alla même jusqu’à employer son influence en faveur d’un jeune Athénien auquel le fils de Pharnabazos était attaché. Ce jeune Athénien avait dépassé l’âge et la taille des enfants appelés à courir dans le stade olympique ; néanmoins Agésilas, par une active intervention personnelle, triompha de la résistance des juges éleiens et les décida à l’admettre comme compétiteur avec les autres enfants[115]. La manière dont Xénophon insiste sur cette faveur explique le ton du sentiment grec, et nous montre la variété d’objets qu’un ascendant personnel avait coutume d’embrasser. Désintéressé pour lui-même, Agésilas avait peu de scrupule, tant à favoriser les empiétements qu’à défendre les injustices de ses amis[116]. Le privilège injuste qu’il procurait à ce jeune homme ne put guère manquer d’offenser une multitude de spectateurs familiers avec les conditions établies du stade et d’exposer les juges à un blâme sévère. Quittant la satrapie de Pharnabazos, — qui était à peu près épuisée, tandis que l’armistice conclu avec Tithraustês a dû expirer, — Agésilas établit son camp (394 av. J.-C.) près du temple d’Artémis à Astyra, dans la plaine de Thêbê (dans la région connue communément comme Æolis), près du golfe d’Elæonte. Là il s’occupa de réunir un plus grand nombre de troupes, en vue de pénétrer plus loin dans l’intérieur de l’Asie Mineure pendant l’été. Les événements récents avaient beaucoup augmenté l’idée qu’avaient les Asiatiques de sa force supérieure ; de sorte qu’il reçut de divers districts de l’intérieur des propositions demandant sa présence et exprimant le désir de secouer le joug des Perses. Il chercha aussi à apaiser les dissensions et le désordre qu’avaient fait naître les Dékarchies de Lysandros dans les villes gréco-asiatiques, évitant, autant que possible, d’infliger les rigoureux châtiments de la mort ou de l’exil. Combien fit-il dans ce selfs, c’est ce que nous ne pouvons pas dire[117], — et, dans le fait, il n’a pas pu être possible d’accomplir beaucoup sans renvoyer les harmostes spartiates et sans diminuer le pouvoir politique de ses partisans, deux choses qu’il ne fit pas. Il avait alors disposé tous ses plans pour pénétrer plus loin que jamais dans l’intérieur, et pour reconquérir d’une manière permanente, s’il était possible, la partie occidentale de l’Asie persane. On ne peut pas déterminer ce qu’il aurait fait définitivement pour l’exécution de ce projet ; car sa marche agressive fut suspendue par un ordre de revenir à Sparte, ordre dont nous verrons la raison dans le chapitre suivant. Cependant Pharnabazos avait été appelé de sa satrapie pour aller prendre le commandement de la flotte persane en Kilikia, au sud de l’Asie Mineure, conjointement avec Konôn (394 av. J.-C.). Depuis la révolte de Rhodes contre les Lacédæmoniens (dans l’été de l’année précédente, 395 av. J.-C.), cet Athénien actif n’avait rien fait. L’élan d’activité produit par la visite de Pharnabazos à la cour de Perse avait été paralysé par la jalousie des commandants persans, qui répugnaient à servir sous un Grec, — par le péculat d’officiers qui détournaient la paye destinée aux troupes, — par la mutinerie de la flotte, par suite du défaut de paye, — et par les nombreux délais qui survenaient ; tandis que les satrapes, peu disposés à dépenser leurs propres revenus pour faire la guerre, attendaient des ordres et des envois d’argent de la cour[118]. Aussi Konôn avait-il été hors d’état de faire aucun usage efficace de sa flotte, pendant les mois où la flotte lacédæmonienne était portée presque au double de son ancien nombre. Enfin il résolut, — vraisemblablement à l’instigation de ses compatriotes de Sparte[119], aussi bien que d’Evagoras, prince de Salamis, dans l’île de Kypros, et sur les encouragements de Ktêsias, l’un des médecins grecs qui résidaient à la cour de Perse, — d’aller,lui-même s’aboucher personnellement avec Artaxerxés. Débarquant sur la côte kilikienne, il se rendit par terre à Thapsakos, sur l’Euphrate (comme l’avait fait l’armée de Cyrus), d’où il descendit le fleuve dans un bateau jusqu’à Babylone. Il parait qu’il ne vit pas Artaxerxés, par répugnance pour cette cérémonie de prosternement qui était exigée de tous ceux qui approchaient de la personne royale. Mais ses messages, transmis par Ktêsias et autres, — avec son engagement certain de renverser l’empire maritime de Sparte et de déjouer les projets d’Agésilas, si l’on mettait en action d’une manière efficace les forces et l’argent de la Perse, — produisirent un effet puissant sur l’esprit du monarque qui, sans doute, non seulement était alarmé de la position formidable d’Agésilas en Asie Mineure, mais encore haïssait les Lacédæmoniens, comme les agents principaux dans l’entreprise agressive de Cyrus. Artaxerxés approuva ses vues, de plus lui fit un présent considérable d’argent, et transmit à la côte l’ordre péremptoire que ses officiers poursuivissent activement la guerre maritime. Ce qui fut d’une importance plus grande encore, Konôn fut autorisé à nommer tout Perse qu’il voudrait comme amiral, conjointement avec lui. Ce fut par son choix que Pharnabazos fut appelé de sa satrapie, et reçut l’ordre d’agir de concert en qualité de commandant de la flotte. Ce satrape, le plus brave et le plus entreprenant des grands de Perse, et ressentant précisément alors la dévastation de sa satrapie[120] par Agésilas, prêta à Konôn un concours cordial. Une flotte puissante, en partie phénicienne, en partie athénienne ou grecque, fut bientôt équipée, supérieure en nombre même à la flotte lacédæmonienne nouvellement organisée sous Peisandros[121]. Evagoras, prince de Salamis, dans l’île de Kypros[122], non seulement fournit beaucoup de trirèmes, mais servit lui-même en personne à bord. Ce fut vers le mois de juillet, 394 av. J.-C., que Pharnabazos et Konôn amenèrent leur flotte combinée à l’extrémité sud-est de l’Asie Mineure ; probablement d’abord à l’île amie de Rhodes, puis à la hauteur de Loryma[123] et de la montagne appelée Dorion, sur la péninsule de Knidos[124]. Peisandros, avec la flotte de Sparte et ses alliés, partit de Knidos pour aller à leur rencontre, et les deux parties se préparèrent à combattre (394 av. J.-C.). Selon Diodore, les Lacédæmoniens avaient quatre-vingt-cinq trirèmes ; Konôn et Pharnabazos, plus de quatre-vingt-dix. Mais Xénophon, sans spécifier le nombre d’un côté ni de l’autre, semble donner à entendre que la différence était beaucoup plus grande ; il dit que la flotte entière de Peisandros était de beaucoup inférieure même à la division grecque sous Konôn, sans compter les vaisseaux phéniciens sous Pharnabazos[125]. Malgré une telle infériorité, Peisandros ne recula pas devant une rencontre. Bien que jeune, sans talent militaire, il possédait entièrement le courage et l’orgueil spartiates ; de plus, comme l’empire maritime de, Sparte n’était soutenu que par la supériorité supposée de sa flotté, — s’il s’était reconnu trop faible pour combattre, ses ennemis auraient parcouru sans obstacle les îles pour les exciter à la révolte. En conséquence, il partit du port de Knidos. Mais quand les deux flottes furent rangées en face l’une de l’autre, et que la bataille fut sur le point de commencer, — la supériorité des Athéniens et des Perses fut si manifeste et si alarmante, que ses alliés asiatiques de la division de gauche, qui n’étaient nullement dévoués à-la .cause, s’enfuirent presque sans coup férir. Dans ces circonstances décourageantes, il mena néanmoins sa flotte au combat avec la plus grande valeur. Mais sa trirème fut accablée par le nombre, brisée en plusieurs endroits par les éperons des vaisseaux de l’ennemi, et jetée à la côte avec une partie considérable de sa flotte. Beaucoup d’hommes dés équipages sautèrent hors des trirèmes pour gagner la terre, les abandonnant aux, vainqueurs. Peisandros aussi aurait pu s’échapper de la même manière ; mais dédaignant soit de survivre à sa défaite, soit de quitter son vaisseau, il tomba en combattant vaillamment à bord. La victoire de Konôn et de Pharnabazos fut complète. Ils prirent ou détruisirent plus de la moitié des vaisseaux spartiates, bien que le voisinage de la terre permît à une partie considérable des équipages de s’enfuir à Knidos, de sorte qu’on ne fit pas un grand nombre de prisonniers[126]. Parmi les alliés de Sparte, la principale perte tomba sur ceux qui étaient le plus attachés à sa cause ; les mal disposés et les plus tièdes furent ceux qui échappèrent par la fuite au commencement. Tel fut le mémorable triomphe de Konôn à Knidos (1er août 394 av. J.-C.), le pendant en sens opposé de celui de Lysandros à Ægospotami onze ans auparavant. Nous en raconterons les importants effets dans le prochain chapitre. |
[1] Plutarque, Lysandros, c. 17. Cf. Xénophon, Rep. Laced., VII, 6.
Ephore et Théopompe racontaient tous deux cette opposition à l’introduction d’or et d’argent dans Sparte, chacun d’eux mentionnant le nom de l’un des Ephores comme la dirigeant.
Il y avait un fonds considérable de sentiment ancien, et cela encore chez des hommes intelligents et à l’âme élevée, qui regardaient l’or et l’argent comme une cause de mal et de corruption, et dont la stance d’Horace (Odes, III, 3) est un écho.
[2] Aristote, Politique, II, 6, 23.
[3] Thucydide, I, 80.
[4] Aristote, Politique, II, 6, 23.
Comparez ce que Platon dit dans son dialogue d’Alkibiadês, l. c., 39, p. 123 E, au sujet de la grande quantité d’or et d’argent qui se trouvait alors à Sparte. Le dialogue doit être de quelque moment entre 400-311 av. J. C.
[5] V. les discours des députés corinthiens et du roi Archidamos à Sparte (Thucydide, I, 70-84 ; Cf. aussi VIII, 24-96).
[6] V. les critiques sur Sparte, vers 395 av. J.-C. et 372 av. J.-C. (Xénophon, Helléniques, III, 5, 11-15 ; VI, 3, 8-11).
[7] Thucydide, I, 77. Au sujet des ξενηλασίαι des Spartiates — V. le discours de Periklês dans Thucydide, I, 138.
[8] Aristote, Politique, II, 6, 10.
[9] Aristote, Politique, II, 6, 16-18 ; II, 7, 3.
[10] Isocrate, De Pace, s. 118-127.
[11] Xénophon, De Republ. Laced., c. 14.
L’expression prenant des mesures pour empêcher les Lacédœmoniens d’exercer l’empire de nouveau indique que ce traité fut probablement composé à quelque moment entre leur défaite navale à Knidos et leur défaite sur terre à Leuktra. La première mit fin à leur empire maritime, — la dernière leur enleva toute possibilité de le recouvrer ; mais pendant cet intervalle, il n’était nullement impossible qu’ils le recouvrassent.
[12] Voyez ce que dit l’ambassadeur athénien à Melos (Thucydide, V, 105). Polybe prononce un jugement qui est presque exactement le même (VI, 48).
[13] Thucydide, I, 69, 70, 71, 84, et VIII, 24.
[14] Simonide, ap. Plutarch. Agesilaum, c. 1.
[15] V. une expression d’Aristote (Politique, II, 6, 22) au sujet de la fonction d’amiral chez les Lacédæmoniens.
Cette réflexion, — qu’Aristote a empruntée de quelque autre auteur, comme il le donne à entendre, sans toutefois dire de qui, — doit, selon toute probabilité, avoir été fondée sur le cas de Lysandros ; car jamais, après celui-ci, il n’y eut d’amiral lacédæmonien qui ait joui d’un pouvoir qu’on pût appeler exorbitant ou dangereux. Nous savons que, pendant les dernières années de la guerre du Péloponnèse, on blâmait beaucoup la coutume lacédæmonienne de changer annuellement d’amiral (Xénophon, Helléniques, I, 6, 4). Ces critiques semblent avoir fait impression sur les Lacédæmoniens ; car dans l’année 395 avant J.-C. (l’année qui précède la bataille de Knidos), ils conférèrent au roi Agésilas, qui commandait alors l’armée de terre en Asie-Mineure, le commandement de la flotte également, — afin d’assurer l’unité des opérations, ce qui ne s’était jamais fait auparavant (Xénophon, Helléniques, III, 4, 28).
[16] Plutarque, Lysandros, c. 24. Il se peut qu’il ait été simplement membre de la tribu appelée Hylleis, qui probablement s’appelait Hêraklide. Quelques-uns affirmaient que Lysandros désirait faire choisir les rois parmi tous les Spartiates, et non simplement parmi les Hêraklides. Cela est moins probable.
[17] Duris, ap. Athenæum, XV, p. 696.
[18] Plutarque, Lysandros, c 18 ; Plutarque, Agésilas, c. 20.
[19] Plutarque, Lysandros, c. 17.
[20] Aristote (Politique, V, I, 5) représente avec justesse les projets de Lysandros comme allant πρός τό μέρος τε κινήσαι τής πολιτείας · οιον άρχήν τινα καταστήσαι ή άνελεϊν. La royauté spartiate est ici regardée comme άρχήτις — un office de l’État, entre d’autres. Mais Aristote considère Lysandros comme ayant projeté de détruire la royauté ce qui ne paraît pas avoir été le fait. Le plan de Lysandros était de conserver la royauté, mais de la rendre élective, d’héréditaire qu’elle était. Il désirait mettre la royauté spartiate réellement sur le même pied que celui sur lequel était la charge des rois ou suffètes à Carthage, qui n’étaient pas héréditaires ; ni confinés aux membres de la même famille ou Gens, mais choisis dans les principales familles ou Gentes. Aristote, tout en comparant les βασιλεϊς de Sparte avec ceux de Carthage, comme étant analogues en général, se prononce en faveur de l’élection carthaginoise comme étant meilleure que la transmission héréditaire spartiate (Aristote, Politique, II, 8, 2).
[21] Thucydide, V, 63 ; Xénophon, Helléniques, III, 5, 25 ; IV, 2, 1.
[22] Diodore, XIV, 13 ; Cicéron, De Divinat., 1, 43, 96 ; Cornélius Nepos, Lysandros, c. 3.
[23] Plutarque, Lysandros, c. 23, d’après Éphore. Cf. Hérodote, VI, 66 ; Thucydide, V, 12.
[24] Plutarque, Lysandros, c. 26.
[25] Tacite, Histoires, I, 10 : Cui expeditius fuerit tradere imperium quam obtinere.
Le fait général de la conspiration ourdie par Lysandros en vue de s’ouvrir un chemin au trône parait reposer sur un témoignage très suffisant — celui d’Éphore, auquel il se peut que fassent allusion les mots φασί τινες dans Aristote, là où il mentionne cette conspiration comme ayant été racontée (Politique, V, 1, 5). Mais Plutarque, aussi bien que K. O. Müller (Hist. of Dorians, IV, 9, 5) et autres, avancent par erreur que les intrigues avec l’oracle furent formées après que Lysandros revint d’accompagner Agésilas, en Asie ; ce qui est certainement impossible, vu, que Lysandros accompagna Agésilas, au dehors, dans le printemps de 396 av. J.-C. — qu’il ne revint pas en Grèce avant le printemps de 395 av- J.-C. — et qu’il fut employé ensuite, après un intervalle de, temps qui ne dépassa pas quatre ou cinq mois, dans cette expédition contre la Bœôtia dans laquelle il fut tué.
La machination de Lysandros avec l’oracle a dû sans doute se pratiquer avant la mort d’Agis. — à quelque moment entre 103 et 399 av. J.-C. L’humiliation qu’il reçut en 396 av. J.-C. d’Agésilas a pu dans le fait l’amener à songer à renouveler ses premiers plans, mais il n’a pu avoir de temps pour faire quelque chose dans ce dessein. Aristote (Politique, V, 6, 2) fait allusion à l’humiliation infligée à Lysandros par les rois comme un exemple d’incidents tendant à faire naître du trouble dans un gouvernement aristocratique, mais probablement cette humiliation a trait à la manière dont il fut contrecarré en Attique par Pausanias, en 403 av. J.-C., — conduite qui est attribuée par Plutarque aux deux rois, aussi bien qu’à leur jalousie pour Lysandros (V. Plutarque, Lysandros, c. 21) — et non au traitement de Lysandros par Agésilas eu 396 av. J.-C. La mission de Lysandros vers le despote Denys à Syracuse (Plutarque, Lysandros, c. 2) a dû également tomber avant la mort d’Agis en 399 av. J.-C. ; fût-ce avant ou après l’insuccès du stratagème, à Delphes, cela est incertain ; peut-être après.
[26] L’âge de Léotychidês est marques approximativement par la date de la présence d’Alkibiadês à Sparte 414-413 av. J.-C. La simple rumeur, vraie ou fausse, que ce jeune homme était fils d’Alkibiadês, peut être ténue pour suffisante comme témoignage chronologique pour certifier son âge.
[27] Xénophon, Helléniques, III, 3, 2 ; Pausanias, III, 8, 4 ; Plutarque, Agésilas, c. 3.
[28] Hérodote, 5, 66.
[29] J’avoue que je ne comprends pas comment Xénophon peut affirmer, dans son Agésilas, I, 6, Άγησίλαος τοίνυν έτι μέν νέος ών έτυχε τής βασιλείας. Car il dit lui-même (II, 28), et il semble bien établi qu’Agésilas mourut âgé de plus de quatre-vingts ans (Plutarque, Agésilas, c. 40) ; et sa mort a dû arriver vers 360 av. J.-C.
[30] Plutarque, Agésilas, c. 2-5 ; Xénophon, Agésilas, VII, 3 ; Plutarque, Apophth. Laconic., p. 212 D.
[31] Plutarque, Agésilas, c. 2 ; Xénophon, Agésilas, VIII, 1.
Il paraît que la mère d’Agésilas était une femme très petite, et qu’Archidamos avait encouru le blâme des Éphores, sur ce motif spécial, pour l’avoir épousée.
[32] Xénophon, Agésilas, XI, 7 ; Plutarque, Agésilas, c. 2.
[33] Plutarque, Agésilas, c. 2.
[34] Plutarque, Lysandros, c. 2.
[35] Xénophon, Helléniques, III, 3, 1.
[36] Plutarque, Lysandros, c. 22 ; Plutarque, Agésilas, c. 3 ; Xénophon, Helléniques, III, 3, 92 ; Xénophon, Agésilas, I, 5.
[37] Xénophon, Helléniques, III, 3, 2. Cette assertion contredit les paroles imputées à Timæa par Duris (Plutarque, Agésilas, c. 3 ; Plutarque, Alkibiadês, c. 23).
[38] Hérodote, IV, 161.
[39] Plutarque, Lysandros, c. 22 ; Plutarque, Agésilas, c. 3 ; Pausanias, III, 8, 5.
[40] Diodore, XI, 50.
[41] Hérodote, VII, 143.
[42] Xénophon, Helléniques, III, 3, 3.
Vue claudication de naissance était regardée comme une marque de mécontentement divin, et conséquemment comme rendant inhabile à occuper le trône, ainsi qu’on le volt dans le cas de Battes de Kyrênê mentionné plus haut. Mais les mots χωλή βασίλεια étaient assez généraux pour couvrir les deux cas, — claudication accidentelle aussi bien que de naissance. C’est sur cela que Lysandros fonde sa conclusion, — que le dieu ne voulait pas du tout faire allusion à une claudication corporelle.
[43] Pausanias, III, 8, 5 ; Plutarque, Agésilas, c. 3 ; Plutarque, Lysandros, c. 22 ; Justin, VI, 2.
[44] C’est un magnifique chœur des Trachiniæ de Sophokle (822) exprimant leurs sentiments au sujet de la mort effrayante d’Hêraklês, revêtu de la tunique de Nessus, qui vient d’être annoncée comme étant sur le point de s’accomplir.
[45] Plutarque, Agésilas, c. 30 ; Plutarque, Comparaison d’Agésilas et de Pompée, c. 1.
[46] Xénophon, Agésilas, IV, V ; Plutarque, Agésilas, c. 4.
[47] Plutarque, Agésilas, c. 4.
[48] Xénophon, Agésilas, VII, 2.
[49] Isocrate, Orat. V, (Philipp.) s. 100 ; Plutarque, Agésilas, c. 3, 13-28 ; Plutarque, Apophth. Laconic., p. 209 F – 212 D.
V. l’incident auquel Théopompe fait allusion ap. Athenæum, XIII, p. 609.
[50] Isocrate (Orat. V, ut sup.) fait une remarque semblable en substance.
[51] Xénophon, Helléniques, III, 3, 4.
[52] V. tome III, ch. 6 de cette histoire.
[53] Xénophon, Helléniques, III, 3, 5.
Le sens du mot οί όμοιοι varie dans Xénophon ; parfois, comme ici, il est employé pour signifier les Pairs privilégiés — encore De Republ. Laced., XIII, 1 ; et Anabase, IV, 6, 14. Quelquefois aussi il est employé conformément à la théorie, de Lykurgue, d’après laquelle tout citoyen qui s’acquittait rigoureusement de son devoir dans les exercices publics, appartenait à cette classe (De Rep. Lac., X, 7).
Il y avait une différence entre la théorie et la pratique.
[54] Xénophon, Helléniques, III, 3, 9.
[55] Xénophon, Helléniques, III. 3, 11. Telle fut la déclaration de Kinadôn quand il fut arrêté et questionné par les éphores sur ses desseins. En substance, elle coïncide avec Aristote (Politique, V, 6, 2).
[56] Xénophon, Helléniques, III, 3, 5.
[57] Xénophon, Helléniques, III, 3, 6.
L’expression est homérique (Iliade, IV, 35). Les Grecs ne se croyaient pas obligés de retenir l’expression complète du sentiment de vengeance. Le poète Théognis désire pouvoir en venir un jour à boire le sang de ceux qui lui ont fait du mal (V. 349, Gaisf.).
[58] Xénophon, Helléniques, III, 3, 7.
[59] Xénophon, Helléniques, III, 3, 8.
[60] Xénophon, Helléniques, III, 3, 9,10.
Les personnes appelées Hippeis à Sparte n’étaient pas montées ; c’était un corps d’élite de trois cents jeunes citoyens, occupés soit à la police à l’intérieur, soit au service à l’étranger.
V. Hérodote, VIII, 124 ; Strabon, X, p. 481, K. O. Müller, History of the Dorians, B. III, ch. 12, s. 5, 6.
[61] Xénophon, Helléniques, III, 3, 9.
Polyen (II, 14, 1), dans son récit de cette affaire, mentionne expressément que les Hippeis ou gardes qui accompagnaient Kinadôn le mirent à la torture quand ils l’arrêtèrent, afin de lui arracher les noms de ses complices. Mais sans un témoignage exprès, nous aurions bien pu avec confiance le supposer. D’un homme aussi courageux que Kinadôn, chef d’une conspiration, il n’était pas probable qu’ils obtinssent une pareille révélation sans la torture.
J’avais affirmé que dans la description de cette affaire faite par Xénophon, il ne paraît pas que Kinadôn fût capable d’écrire ou non. Mon assertion fut combattue par le colonel Mure (dans sa Réponse à mon Appendice), qui citait les mots φέρων τα όνόματα ών ό Κινάδων άπέγρψε, comme contenant une affirmation de Xénophon que Kinadôn pouvait écrire.
A mon sens, ces mots, pris conjointement avec ce qui précède et avec les probabilités du fait décrit, ne contiennent pas une pareille affirmation.
Les gardes étaient chargés d’arrêter Kinadôn, et après avoir entendu de Kinadôn quels étaient ses complices, d’écrire les noms et de les envoyer aux éphores. Il est à présumer qu’ils exécutèrent ces instructions telles qu’elles avaient été données, d’autant plus que ce qu’ils reçurent l’ordre de faire était le procédé à la fois le plus sûr et le plus naturel. Car Kinadôn était un homme distingué par sa taille et son courage personnels (III, 3, 5), de sorte que ceux qui l’arrêtèrent durent regarder comme une précaution indispensable de lui lier les bras. En admettant même que Kinadôn pût écrire, — cependant s’il dut le faire, il a dû avoir son bras droit libre. Et pourquoi les gardes auraient-ils couru ce risque, quand tout ce que demandaient les éphores était que Kinadôn déclarant les noms pour être écrits par les autres ? Avec un homme doué des qualités de Kinadôn, il était probablement nécessaire d’employer une pression la plus intense pour le forcer à dénoncer ses camarades, même par un mot de sa bouche ; il devait être probablement plus difficile encore de le forcer à les dénoncer par l’acte plus délibéré de l’écriture.
Je crois que ήκεν ίππεύς, φέρων τα όνόματα ών ό Κινάδων άπέγρψε doit être expliqué par rapport à la phrase précédente et annonce l’exécution rapportée alors des instructions telles que les éphores les avaient données. Il vint un garde, portant les noms de ceux que Kinadôn avait dénoncés. Il n’est pas nécessaire de supposer que Kinadôn avait écrit ces noms de sa propre main.
Au commencement du Discours d’Andocide (De Mysteriis), Pythonikos révèle une célébration ironique des mystères, commise par Alkibiadês et autres ; citant comme témoin l’esclave Andromachos, qui en conséquence est produit, et déclare à l’assemblée vivâ voce ce qu’il a vu et quelles personnes étaient présentes (s. 13). On ne veut pas ici affirmer que l’esclave Andromachos écrivit les noms de ces personnes, qu’il avait le moment d’avant publiquement révélés à l’assemblée. C’est par les mots άπέγραψε τούτους, que l’orateur décrit la déclaration orale fine publiquement par Andromachos, déclaration qui fut formellement écrite par un secrétaire, et qui amena aulx conséquences légales contre les personnes dont les noms étaient dénoncés.
De même encore, dans l’ancienne loi citée par Démosthène (adv. Makart., p. 1068). Cf. aussi Lysias, De Bonis Aristophanis, Or. XIX, s. 53 ; on n’a pas la pensée d’affirmer que ό άπογράφων était obligé d’accomplir sa sommation en écrivant, et qu’il fût nécessairement capable d’écrire. Un citoyen qui ne pouvait pas écrire pouvait faire ceci, aussi bien que quelqu’un capable d’écrire. Il dénonçait une certaine personne comme délinquante ; il dénonçait certains articles de propriété comme appartenant au domaine de quelqu’un dont les biens avaient été confisqués au profit de la cité. L’information, aussi bien que le nom de celui qui la donnait, était prise par le personnage public, — que le dénonciateur pût écrire lui-même ou non.
Je crois que Kinadôn, après avoir été interrogé, dit aux gardes qui d’abord l’arrêtèrent les noms de ses complices, — précisément comme il dit ensuite ces noms aux éphores ; et cela qu’il fût ou non capable d’écrire ; point que le passage de Xénophon ne détermine nullement.
[62] Xénophon, Helléniques, III, 3, 11.
[63] Diodore, XIV, 39 ; Xénophon, Helléniques, III, 3, 13.
[64] Lysias, Orat. XIX (De Bonis Aristophanis), s. 38.
[65] V. Ktêsias, Fragm. Persica, c. 63, éd. Baehr ; Plutarque, Artaxerxés, c. 21.
Nous ne pouvons établir ces circonstances d’une manière distincte ; mais le fait général est clairement attesté, et est de plus très probable. Un autre chirurgien grec (outre Ktêsias) est mentionné comme engagé dans l’affaire, — Polykritos de Mendê, ainsi qu’un danseur krêtois nommé Zenôn, — tous deux établis à la cour de Perse.
Il n’y a pas de partie du récit de Ktêsias dont la perte soit aussi regrettable que celle-ci ; il y relatait des affaires auxquelles il avait pris part lui-même, et vraisemblablement il donnait les lettres originales.
[66] Diodore, XIV, 39-79.
[67] Xénophon, Helléniques, III, 4, 1.
[68] Xénophon, Helléniques, III, 4, 2.
[69] Xénophon, Helléniques, III. 5, 1. Cf. IV, 2, 3. Xénophon, Agésilas, I, 35.
[70] Plutarque, Agésilas, c. 5.
[71] Xénophon, Helléniques, III, 5, 5 ; Pausanias, III, 9, 1.
[72] Hérodote, I, 68 ; VII, 159 ; Pausanias, III, 16, 6.
[73] Xénophon, Helléniques, III, 4, 3, 4 ; III, 5, 5 ; Plutarque, Agésilas, c. 6 ; Pausanias, III, 9, 2.
[74] Xénophon, Helléniques, III, 4, 5, 6 ; Xénophon, Agésilas, I, 10.
Le terme de trois mois n’est spécifié que dans le dernier passage. Le premier armistice de Derkyllidas n’était probablement pas expiré quand Agésilas arriva pour la première fois.
[75] Pausanias, VI, 3, 6.
[76] Xénophon, Helléniques, II, 1, 7. Il ne semble pas que cette règle ait été observée dans la suite. Lysandros fut envoyé de nouveau en qualité de commandant en 403 avant J.-C. Il se peut, il est vrai, qu’il ait été envoyé de nouveau comme secrétaire nominal de quelque autre personne chargée du commandement.
[77] Plutarque, Agésilas, c. 7.
[78] Les remarques sarcastiques que Plutarque attribue à Agésilas, appelant Lysandros mon distributeur de viande, ne sont pas justifiées par Xénophon, et ne semblent pas probables dans les circonstances (Plutarque, Lysandros, c. 23 ; Plutarque, Agésilas, c. 8).
[79] Xénophon, Helléniques, III, 4, 7-10 ; Plutarque, Agésilas, c. 7, 8 ; Plutarque, Lysandros, c. 23.
Il est remarquable que dans l’opus cule de Xénophon, panégyrique spécial appelé Agésilas, pas un mot ne soit dit de ces faits, qui caractérisent si fortement les rapports entre Agésilas et Lysandros à Ephesos ; et, à vrai dire, le nom de Lysandros n’est pas mentionné une fois.
[80] Xénophon, Helléniques, III, 4, 10.
[81] Xénophon, Helléniques, III, 4, 11, 12 ; Xénophon, Agésilas, I, 12-14 ; Plutarque, Agésilas, c. 9.
[82] Xénophon, Helléniques, III, 41 13-15 ; Xénophon, Agésilas, I, 23.
Plutarque, Agésilas, c. 9.
Ces opérations militaires d’Agésilas sont indiquées vaguement dans la première partie du c. 79 du quatorzième livre de Diodore.
[83] Xénophon, Agésilas, I, 19 ; Xénophon, Anabase, VII, 8, 20-23 ; Plutarque, Reipub. Gerend. Prœcept., p. 809 B. V. plus haut, chap. 4.
[84] Xénophon, Agésilas, I, 18.
[85] Xénophon, Agésilas, I, 20-22.
[86] Xénophon, Helléniques, III, 4, 19 ; Xénophon, Agésilas, I, 28.
Ainsi le mot ληστής, employé par rapport à la flotte, veut dire le commandant d’un vaisseau adonné au pillage, ou vaisseau pirate (Xénophon, Helléniques, II, 1, 30).
[87] Xénophon, Agésilas, I, 21.
Hérodote affirme que les Thraces vendaient aussi leurs enfants pour l’exportation (Hérodote, V, 6) ; cf. Philostrate, Vit. Apollonius, VIII, 7-12, p. 346, et le chap. 9 du tome IV de cette histoire.
Hérodote mentionne le marchand de Chios Panionios (comme le Mitylenæeus mango dans Martial, — sed Mitylenæi roseus mangonis ephebus, Martial, VII, 79) — comme ayant fait sur une grande échelle le commerce d’enfants à acheter, recherchant ceux qui étaient beaux, afin de répondre aux demandes considérables que l’Orient faisait d’eunuques, que l’on supposait faire des serviteurs meilleurs et plus attachés, Hérodote, VIII, 105. Il fallait des enfants, vu que l’opération se faisait dans l’enfance ou dans la jeunesse (Hérodote, VI, 6-32 ; cf. III, 48). Les Babyloniens, outre leur considérable tribut pécuniaire, avaient à fournir annuellement à la cour de Perse cinq cents παΐδας έκτομίας (Hérodote, III, 92). Pour quelques autres remarques sur la préférence des Perses, faut pour les personnes que pour les services des εύνοΰχοι, voir Dion Chrysostome, Orat. XVI, p. 270 ; Xénophon, Cyropédie, VII, 5, 61-65. Hellanikus (Fr. 169, éd. Didot) affirmait que les Perses avaient tiré des Babyloniens et les personnes employées ainsi et l’habitude de les employer.
Quand M. Hanway voyageait près de la mer Caspienne, chez les Kalmoucks, on lui offrait souvent à acheter des petits enfants de deux ou de trois ans, à deux roubles par tête (Hanway’s Travels, ch. XVI, p. 65, 66).
[88] Hérodote, I, 10. Cf. Thucydide, I, 6 ; Platon, République, V, 3, p. 452 D.
[89] Hérodote, V, 22.
[90] Xénophon, Helléniques, III, 4, 19. Xénophon, Agésilas, I, 28. Polyen, II, 1, 5. Plutarque, Agésilas, c. 9.
Frontin raconte (I, 18) un procédé à peu près semblable de la part de Gelôn, après sa grande victoire sur les Carthaginois à Himera en Sicile.
[91] Xénophon, Helléniques, III, 4, 15 ; Xénophon, Agésilas, I, 23. Cf. ce qui est rapporté au sujet de Scipion l’Africain, Tite-Live, c. XXIX, 1.
[92] Xénophon, Helléniques, III, 4, 17, 18 ; Xénophon, Agésilas, I, 26, 21.
[93] Xénophon, Helléniques, III, 4, 21-24 ; Xénophon, Agésilas, I, 32, 33 ; Plutarque, Agésilas, c. 10.
Diodore (XIV, 80) prétend décrire cette bataille ; mais la description ne peut guère être conciliée avec celle de Xénophon, qui est une meilleure autorité. Entre autres points de différence, Diodore affirme que les Perses avaient cinquante mille hommes d’infanterie, et Pausanias avance aussi (III, 9, 3) que le nombre de l’infanterie persane dans cette bataille fut plus grand qu’il n’en avait jamais été réuni depuis les temps de Darius et de Xerxês. Tandis que Xénophon dit expressément que l’infanterie persane n’était pas arrivée et ne prit point part à la bataille.
[94] Plutarque, Artaxerxés, c. 23 ; Diodore, XIV, 80 ; Xénophon, Helléniques, III, 4, 25.
[95] Xénophon, Helléniques, III, 14, 25 ; IV, 1, 27.
[96] Thucydide, VIII, 18, 37, 58.
[97] Thucydide, V, 18, 5.
[98] Xénophon, Helléniques, III, 4, 26 ; Diodore, XIV, 80.
[99] Xénophon, Helléniques, III, 4, 27.
[100] Diodore, XIV, 39 ; Justin, VI, 1.
[101] Diodore, IIV, 79. Cf. Androtion dans Pausanias, VI, 7, 2.
[102] Diodore, XIV, 79 ; Justin (VI, 2) appelle ce roi égyptien indigène Hercyniôn.
Il parait que c’était un usage uniforme pour les vaisseaux de blé se rendant d’Égypte en Grèce de s’arrêter à Rhodes (Démosthène cont. Dionysodor., p. 1285 : cf. Hérodote, II, 182).
[103] Xénophon, Helléniques, III, 4, 27.
[104] Plutarque, Agésilas, c. 10 ; Aristote, Politique, II, 6, 22.
[105] Le Lacédæmonien nommé Pharax, mentionné par Théopompe (Fragm. 218, éd. Didot : cf. Athénée, XII, p. 536) comme un homme dissolu et extravagant, est plus probablement un officier qui servit sous Denys en Sicile et en Italie, quarante ans environ après la révolte de Rhodes. La différence de temps parait si grande, que nous devons supposer probablement deux personnages différents portant la même nom.
[106] Xénophon, Helléniques, I, 5, 19.
Cf. un exemple semblable de conduite clémente, de la part de rassemblée syracusaine, à l’égard du prince sikel Duketios (Diodore, XI, 92).
[107] Pausanias, VI, 7, 2.
[108] Xénophon, Helléniques, III, 4, 28, 29 ; Plutarque, Agésilas, c. 10.
[109] Xénophon, Helléniques, IV, 1, 1-15.
La négociation de ce mariage par Agésilas est détaillée d’une manière curieuse et intéressante par Xénophon. Il eut son entretien avec Otys en présence des trente conseillers spartiates, et probablement en présence de Xénophon lui-même.
L’attachement d’Agésilas pour le jeune Megabazos ou Megabatês est indiqué dans les Hellenica (IV. 11 6-28), — mais il est plus fortement présenté dans l’Agésilas de Xénophon (V, 6) et dans Plutarque, Agésilas, c. 11.
Dans la retraite des Dis Mille Grecs (cinq ans auparavant) le long de la côte méridionale de l’Euxin, il est fart mention d’un prince paphlagonien nommé Korylas (Xénophon, Anabase, V, 57 22 ; V, 6, 8). Y avait-il plus d’un prince paphlagonien — ou Otys était-il successeur de Korylas, — c’est ce que nous ne pouvons dire.
[110] Xénophon, Helléniques, IV, 1, 16-33.
[111] Plutarque, Agésilas, ch. 2.
[112] Xénophon, Helléniques, IV, 1, 27 ; Plutarque, Agésilas, c. 11.
Puisque la fuite de Spithridatês s’effectua secrètement de nuit, la scène qui, selon Plutarque, se passa entre Agésilas et Megabazos n’a pu survenir au départ de ce dernier, mais doit appartenir à quelque autre occasion, comme en effet Xénophon semble le représenter (Agésilas, V, 4).
[113] Xénophon, Helléniques, IV, 1, 38. Cf. sur φιλοτιμία, Hérodote, III, 53.
[114] Xénophon, Helléniques, IV, 1, 29-41 ; Plutarque, Agésilas, c. 13, 14 ; Xénophon, Agésilas, III, 5.
[115] Xénophon, Helléniques, IV, 1, 40.
[116] Plutarque, Agésilas, c. 5-13.
[117] Xénophon, Helléniques, IV, 1, 41 ; Xénophon, Agésilas, I, 35-38 ; Plutarque, Agésilas, c. 14, 15 ; Isocrate, Or. V (Philipp.), s. 100.
[118] Cf. Diodore, XV, 41, ad fin. ; et Thucydide, VIII, 45.
[119] Isocrate (Or. VIII, De Pace, s. 82) fait allusion à maintes ambassades qui auraient été envoyées par Athènes au roi de Perse pour protester contre la domination lacédæmonienne. Mais cette mission de Konôn est la seule que nous puissions vérifier avant la bataille de Knidos.
Probablement Demos, fils de Pyrilampês, citoyen, éminent et triérarque d’Athènes, a dû être, un des compagnons de Konôn dans cette mission. Il est mentionné dans un discours de Lysias comme ayant reçu, du Grand Roi un présent d’un bol à boire ou φιάλη d’or ; et je ne sais dans quelle autre occasion il a pu le recevoir, si ce n’est dans cette ambassade (Lysias, Or. XII, De Bonis Aristoph., s, 27).
[120] Xénophon, Helléniques, IV, 8, 6.
[121] Les mesures de Konôn et les événements qui précédèrent la bataille de Knidos nous sont très imparfaitement connus, mais nous pouvons les inférer en général de Diodore, XIV, 81 ; de Justin, VI, 3, 4 ; de Cornélius Nepos, Vit. Conon, c. 2, 3 ; Ktesiæ Fragm., c. 62, 63, éd. Baehr.
Isocrate (Orat. IV. (Panegyr.), s. 165 : cf. Orat. IX (Evagoras), s. 77), parle vaguement de la durée du temps que la flotte persane resta bloquée par les Lacédæmoniens avant que Konôn obtînt ses ordres rigoureux et définitifs d’Artaxerxés, à moins que nous ne devions comprendre ses trois années comme se rapportant aux premières nouvelles d’équipement de vaisseaux de guerre en Phénicie, apportées à Sparte par Hêrodas, comme les comprend Schneider, et même alors l’assertion que la flotte persane resta πολιορκούμενον pendant tout ce temps serait fort exagérée. Toutefois, si l’ou fait la part de l’exagération, Isocrate coïncide en général avec les autorités mentionnées plus haut.
Il paraîtrait que Ktêsias le médecin obtint vers cette époque la permission de quitter la cour de Perse, et de retourner en Grèce. Il se peut qu’il ait été amené (comme Demokêdês de Krotôn cent vingt ans auparavant) à favoriser les vues de Konôn afin d’obtenir pour lui-même cette permission.
Dans le maigre abrégé de Ktêsias donné par Photius (c. 63), il est fait mention de quelques députés lacédæmoniens qui se rendaient en ce moment à la cour de Perse, et furent surveillés et retenus en route. Cette mission ne peut guère s’être effectuée avant la bataille de Knidos ; car Agésilas était alors en plein cours de succès, et il méditait les plus vastes plans d’agression contre la Perse. Elle a dû tomber, je présume, après la bataille.
[122] Isocrate, Or. IX (Evagoras), s. 67. Cf. s. 23 du même discours. Cf. Pausanias, I, 3, 1.
[123] Diodore, XIV, 83.
Il n’est guère nécessaire de faire remarquer que le mot Chersonesus ici (et dans XIV, 89) ne signifie pas la péninsule de Thrace connue communément sous ce nom, formant le côté européen de l’Hellespont, — mais la péninsule sur laquelle Knidos est située.
[124] Pausanias, VI, 3, 6.
[125] Xénophon, Helléniques, IV, 3, 12.
[126] Xénophon, Helléniques, IV, 3, 10-14 ; Diodore, XIV, 83 ; Cornélius Nepos, Conon, c. 4 ; Justin, VI, 3.