TREIZIÈME VOLUME
Les trois chapitres précédents ont été consacrés exclusivement au récit de l’Expédition et de la Retraite immortalisées par Xénophon, occupant les deux années intermédiaires entre avril 401 et juin 399 avant J.-C. environ, Cet événement, rempli comme il l’est d’intérêt et gros de conséquences importantes, est à part de la suite générale des affaires grecques, — suite que je reprends actuellement. On se rappellera qu’aussitôt que Xénophon et ses dix mille guerriers grecs descendirent des montagnes raboteuses situées entre l’Arménie et le Pont-Euxin, pour atteindre l’abri hospitalier de Trapézonte, et qu’ils commencèrent à former leurs plans pour retourner dans la Grèce centrale, — ils se trouvèrent dans l’empire lacédæmonien, incapables de faire un pas en avant sans consulter, la volonté lacédæmonienne, et obligés, quand ils parvinrent au Bosphore, d’endurer sans obtenir de réparation le traitement dur et perfide des officiers spartiates Anaxibios et Aristarchos. L’origine première de cet empire a déjà été exposée. Il commença à la victoire décisive d’Ægospotami dans l’Hellespont (septembre ou octobre 405 avant J.-C.), où le Lacédæmonien Lysandros, saris perdre un seul homme, s’empara de la flotte athénienne entière et d’une partie considérable de ses équipages, — à l’exception de huit ou de neuf trirèmes, avec lesquelles l’amiral athénien Konôn parvint à s’enfuir chez Évagoras à Kypros. Toute la puissance d’Athènes fut ainsi anéantie. Il ne resta rien dont les Lacédæmoniens eussent à se rendre maîtres, si ce n’est la cité elle-même et Peiræeus, achèvement qui devait certainement se réaliser, et qui en effet se réalisa en avril 404 avant J.-C., quand Lysandros entra dans Athènes en triomphe, démantela Peiræeus et démolit une partie considérable des Longs Murs. A l’exception d’Athènes elle-même, — dont les citoyens différèrent le moment de la sujétion par une lutte héroïque, bien qu’inutile, contre les horreurs de la famine, — où à l’exception de Samos, — aucune autre cité grecque ne fit de résistance à Lysandros après la bataille d’Ægospotami, qui, de fait, non seulement enleva à Athènes toutes ses forces navales, mais les fit passer toutes entre les mains de ce général, et le mit comme amiral à la tête de la flotte grecque la plus considérable qui eût jamais été vue réunie depuis la bataille de Salamis. J’ai raconté, dans le second chapitre du douzième volume de cette Histoire, les seize mois d’amères souffrances subies par Athènes immédiatement après sa reddition. La perte de sa flotte et de sa puissance fut aggravée par une oppression intérieure poussée à l’extrême. Son parti oligarchique et ses exilés, revenant après avoir servi du côté de l’ennemi contre elle, arrachèrent à l’assemblée publique, sous la dictée de Lysandros, qui y assistait en personne, la nomination d’un conseil tout-puissant de Trente, dans le dessein ostensible de former une nouvelle constitution. Ces trente maîtres, — parmi lesquels Kritias fut le plus violent, et Theramenês (vraisemblablement) le plus modéré ou du moins le plus tôt rassasié, — commirent des cruautés et dés spoliations sur la plus large échelle, protégés qu’ils étaient par un harmoste lacédæmonien et par une garnison établie dans l’Acropolis. Outre la quantité des citoyens mis a mort, tant d’autres furent envoyés en exil avec la perte de leurs propriétés, que Thèbes et les villes voisines finirent par en être remplies. Après environ huit mois d’une tyrannie exercée sans rencontrer d’opposition, les Trente se trouvèrent pour la première fois attaqués par Thrasyboulos, à la tête d’un petit parti de ces exilés venant de Bœôtia. Sa vaillance et sa bonne conduite,-combinées avec les énormités des Trente, qui devinrent continuellement plus atroces, et dont même de nombreux citoyens oligarchiques, aussi bien que Theramenês lui-même, furent successivement les victimes, lui permirent de se fortifier bientôt, de s’emparer de Peiræeus et de faire une guerre civile qui finit par renverser, les tyrans. Ces derniers furent obligés d’invoquer l’aide d’une nouvelle armée lacédæmonienne. Pt si cette armée fût restée encore à la disposition de Lysandros, toute résistance de la part d’Athènes eût été inutile. Mais, heureusement pour les Athéniens, les quelques derniers mois avaient opéré un changement considérable dans les dispositions tant des alliés de Sparte que de beaucoup de ses principaux personnages. Les alliés, surtout Thèbes et Corinthe, non seulement sentirent diminuer leur haine et leur crainte d’Athènes, maintenant qu’elle avait perdu sa puissance, mais même ils compatirent aux maux des exilés et finirent par se dégoûter des empiétements arbitraires de Sparte, tandis que le roi spartiate Pausanias, avec quelques-uns des éphores, était également jaloux de la conduite inique et oppressive de Lysandros. Au lieu de conduire l’armée lacédæmonienne pour soutenir à tout prix l’oligarchie créée par Lysandros, Pausanias parut plutôt comme un médiateur équitable prêt à terminer la guerre civile. Il refusa de concourir à aucune mesure destinée à arrêter la tendance naturelle vers une résurrection de la démocratie. Ce fut ainsi qu’Athènes, délivrée de ce régime sanguinaire et rapace, qui est devenu historique sous le nom des Trente Tyrans, put reparaître comme membre humble et dépendant de l’alliance spartiate, — n’ayant rien que le souvenir de son ancienne puissance, mais avec sa démocratie exerçant de nouveau une action énergique et tutélaire comme gouvernement intérieur. La conduite juste et modérée de ses citoyens démocratiques et l’absence d’antipathies réactionnaires, après des traitements si cruels, — sont au nombre des traits les plus honorables de son histoire. Le lecteur trouvera dans des chapitres précédents ce que je ne puis indiquer que rapidement ici, les détails de ce système d’effusion de sang, de spoliation, de suppression de la parole libre et même de l’enseignement intellectuel, d’efforts pour impliquer des citoyens innocents comme agents dans un assassinat juridique, etc., — système qui souilla l’année d’Anarchie (comme on l’appelait dans les annales athéniennes)[1] qui suivit immédiatement la reddition de la cité. Ces détails reposent sur des preuves parfaitement satisfaisantes ; car ils nous sont fournis surtout par Xénophon, dont les sympathies sont décidément oligarchiques. C’est de lui aussi que nous obtenons un autre fait non moins fécond en instruction ; c’est que les Chevaliers ou Cavaliers, le corps des plus riches propriétaires, à Athènes, fut le principal appui des Trente, du premier moment jusqu’au dernier, nonobstant toutes les énormités de leur carrière. Nous apprenons par ces détails sombres, mais bien attestés, à apprécier les auspices sous lesquels fut inaugurée cette période de l’histoire appelée l’empire lacédæmonien. Ces phénomènes ne furent nullement confinés dans l’intérieur des murs d’Athènes. Au contraire, l’année de l’Anarchie (pour employer ce terme dans le sens que lui donnaient les Athéniens), résultant de la même combinaison de causes et d’agents, fut commune à une partie très considérable des cités, d’une extrémité à l’autre de la Grèce. L’amiral lacédæmonien Lysandros, dans sa première année de commandement naval, avait organisé dans la plupart des villes alliées des combinaisons factieuses de quelques-uns des principaux citoyens, correspondant avec lui-même en personne. Grâce à leurs efforts dans leurs cités respectives, il fut en état de poursuivre la guerre avec vigueur, et il les récompensa en partie en secondant de tout son pouvoir leurs injustices dans leurs villes respectives, en partie en promettant d’augmenter encore leur force aussitôt que la victoire serait assurée[2]. Cette politique, tout en servant comme stimulant contre l’ennemi commun, contribua encore plus directement à agrandir Lysandros lui-même, en créant pour lui un ascendant particulier et en lui imposant des obligations personnelles à l’égard d’adhérents, à part ce qu’exigeaient les intérêts de Sparte. La victoire d’Ægospotami, complète et décisive au delà de tout ce à quoi pouvait s’attendre ami ou ennemi, lui permit de s’acquitter de ces obligations et au delà. Toute la Grèce se soumit aussitôt aux Lacédæmoniens[3], à l’exception d’Athènes et de Samos, — et ces deux États ne tinrent que quelques mois. Alors le premier soin du commandant victorieux fut de rémunérer ses adhérents et de donner une sécurité durable à la domination spartiate aussi bien qu’à la sienne. Dans le plus grand nombre des villes, il établit une oligarchie de Dix citoyens ou dékarchies[4], composée de ses partisans, tandis qu’en même temps il établit dans, chacune d’elles un harmoste ou gouverneur lacédæmonien, avec une garnison, pour soutenir la nouvelle oligarchie. La dékarchie de Dix partisans de Lysandros, avec l’harmoste lacédæmonien pour les appuyer, devint le plan général de gouvernement hellénique d’un bout à l’autre de la mer Ægée, depuis l’Eubœa jusqu’aux villes de la côte de Thrace, et depuis Milêtos jusqu’à Byzantion. Lysandros se rendit en personne avec sa flotte victorieuse à Byzantion et à Chalkêdon, aux cités de Lesbos, à Thasos, et dans d’autres endroits, tandis qu’il envoya en Thrace Eteonikos, qu’il chargea de refondre ainsi partout les gouvernements. Non seulement les villes qui jusqu’alors avaient été du côté des Athéniens, mais encore celles qui avaient agi comme alliées de Sparte, furent soumises à la même révolution intérieure et à la même contrainte étrangère[5]. Partout la nouvelle dékarchie créée par Lysandros se substitua aux gouvernements antérieurs, oligarchiques ou démocratiques. A Thasos, aussi bien que dans d’autres lieux, cette révolution ne s’accomplit pas sans beaucoup de sang versé et sales stratagème perfide, et Lysandros lui-même ne se fit pas scrupule d’imposer, personnellement et par sa présenté, l’exécution et l’expulsion des citoyens suspects[6]. Toutefois, dans bien des endroits, un simple terrorisme suffit probablement. Les nouveaux Dix chefs créés par Lysandros intimidèrent la résistance et parvinrent à faire reconnaître leur usurpation, par la menace d’appeler l’amiral victorieux avec sa flotte —de deux cents voiles et par la simple arrivée de l’harmoste lacédæmonien. Non seulement chaque ville fut obligée de fournir une citadelle fortifiée et l’entretien à ce gouverneur et à sa garnison, mais un projet de tribut, montant à mille talents par an, fut imposé pour l’avenir et assis proportionnellement sur chaque cité par Lysandros[7]. Dans quel esprit ces nouvelles dékarchies gouvernaient-elles, composées comme elles l’étaient des partisans oligarchiques choisis se distinguant par leur audace et leur ambition[8], — qui à tout le désir peu scrupuleux de puissance qui caractérisait Lysandros lui-même ajoutaient une soif de gain personnel, dont il était exempt, et étaient alors disposés à se rembourser des services qu’ils lui avaient déjà rendus, — c’est ce que l’analogie générale. Et l’histoire grecque suffirait à nous apprendre, bien que nous soyons sans détails spéciaux. Mais, quant à ce point, nous n’avons pas seulement l’analogie générale pour nous guider, nous avons de plus le cas parallèle des Trente à Athènes, dont le gouvernement est bien connu dans ses particularités et auquel il a déjà été fait allusion. Ces Trente, à l’exception de la différence du nombre, furent à tous égards une dékarchie semblable à celles de Lysandros, produite par la même force créatrice, placée dans les mêmes circonstances et animée par le même esprit et par les mêmes intérêts. Chaque ville sujette dut avoir son Kritias et son Theramenês, et son corps de citoyens opulents semblables aux Chevaliers ou Cavaliers à Athènes pour soutenir leur action oppressive, sous le patronage lacédæmonien et sons la protection de l’harmoste lacédæmonien. De plus, Kritias, avec tous ses vices, devait être meilleur plutôt que pire, en tant que comparé avec son pendant oligarchique dans toute autre cité moins civilisée. C’était un homme adonné aux lettres et à la philosophie, accoutumé à la conversation de Sokratês et à la discussion de questions morales et sociales. Nous pouvons en dire autant des Chevaliers ou Cavaliers à Athènes. Indubitablement ils avaient été mieux élevés et exposés à des influences plus propres à les améliorer et à les rendre libéraux, que la classe correspondante ailleurs. Si donc ces Chevaliers à Athènes ne rougissaient pas de servir de complices aux Trente dans toutes leurs énormités, nous pouvons présumer sans crainte que les autres villes fournissaient un corps d’hommes opulents encore moins scrupuleux et un chef sanguinaire, rapace et plein d’antipathies au moins autant que Kritias. Il en fut ailleurs comme à Athènes : les dékarques commençaient par mettre à mort les adversaires politiques notoires, sous le nom d’hommes méchants[9] ; ensuite ils continuaient à agir de la même manière à l’égard d’hommes connus par leur probité et leur courage et capables de se mettre à la tête d’une résistance faite à l’oppression[10]. Leur carrière de sang continuait, — en dépit des remontrances de personnes plus modérées de leur propre corps, telles que Theramenês : — jusqu’à ce qu’ils combinassent quelque stratagème pour désarmer les citoyens, ce qui leur permettait de satisfaire à la fois leurs antipathies et leur rapacité, en’ faisant des victimes plus nombreuses encore, — beaucoup de ces victimes étant des hommes riches, choisis en vue de pure spoliation[11]. Ils se défaisaient ensuite par la force de tout conseiller importun de leur propre corps, comme Theramenês, probablement avec beaucoup moins de cérémonie qu’on n’en mit pour accomplir ce crime à Athènes, où nous pouvons reconnaître l’effet de ces formes et de ces habitudes judiciaires auxquelles le public athénien avait été accoutumé, — rejetées, il est vrai, non toutefois encore oubliées. Il ne restait guère plus de nouvelle énormité à commettre, outre les exécutions multipliées, si ce n’est de bannir de la ville tout le monde, excepté leurs partisans immédiats et de récompenser ces derniers avec des domaines de choix confisqués sur les victimes[12]. S’il était appelé à justifier une telle tyrannie, le chef d’une dékarchie avait assez d’imagination pour employer l’argument de Kritias, — à savoir que tous les changements sont inévitablement mortels, et que rien moins que des mesures aussi rigoureuses suffiraient pour maintenir sa cité dans une dépendance convenable de Sparte[13]. Naturellement je n’ai pas la pensée d’affirmer que, dans toute autre cité, on vit précisément les mêmes phénomènes que ceux qui se présentèrent à Athènes. Mais nous sommes néanmoins parfaitement autorisés à regarder l’histoire des Trente Athéniens comme un bon échantillon, d’après lequel nous pouvons nous former une idée de ces dékarchies créées par Lysandros, qui couvrirent alors le monde grec. Sans doute chacune d’elles. avait sa propre marche particulière ; quelques-unes étaient moins tyranniques ; mais peut-être quelques autres l’étaient-elles même plus, eu égard à la, grandeur de la cité. Et en effet Isocrate, qui parle de ces dékarchies avec une horreur pleine d’indignation, tout en dénonçant les traits qu’elles avaient en commun avec la triakontarchie à Athènes, — meurtres extrajudiciaires, spoliations et bannissements, — signale une énormité de plus, que nous ne trouvons pas dans cette dernière, — de violents outrages exercés sur des enfants et des femmes[14]. Rien de cette sorte n’est attribué à Kritias[15] et à ses compagnons, et c’est une preuve considérable de la force restrictive des mœurs athéniennes que des hommes qui faisaient tant de mal pour satisfaire d’autres entraînements violents, se soient arrêtés là tout court. Les décemvirs nommés par Lysandros, comme le décemvir Appius Claudius à Rome, se trouvaient armés du pouvoir de rassasier leurs convoitises aussi bien que leurs antipathies, et n’étaient pas plus dans le cas de mettre des bornes aux premières qu’aux dernières. Lysandros, dans toute l’insolence présomptueuse de la victoire, en récompensant ses partisans les plus dévoués par une élévation qui comprenait toute sorte de licence et de tyrannie, souilla les cités dépendantes de meurtres sans nombre, accomplis sur des motifs privés aussi bien que publics[16]. Aucun Grec individuellement n’avait jamais possédé auparavant un pouvoir aussi prodigieux d’enrichir des amis ou de se défaire d’ennemis, dans cette réorganisation universelle de la Grèce[17], et il n’y eut jamais de pouvoir dont on ait abusé d’une manière plus déplorable. Ce fut ainsi que l’empire lacédæmonien fit peser sur chacune des cités sujettes une double oppression[18], les décemvirs indigènes et l’harmoste étranger se soutenant mutuellement et accablant ensemble les citoyens d’une pression aggravée à laquelle il n’était guère possible de se soustraire. Les Trente à Athènes courtisaient le plus possible l’harmoste Kallibios[19], et ils mirent à mort des Athéniens individuellement qui lui étaient désagréables, afin d’acheter sa coopération dans leurs propres violences. Le peu de détails que nous possédons relativement à ces harmostes — qui continuèrent d’exister dans toutes les villes insulaires et maritimes pendant dix années environ, jusqu’à la bataille de Knidos, ou aussi longtemps que dura l’empire maritime de Sparte, — mais beaucoup plus longtemps dans diverses dépendances continentales, c’est-à-dire jusqu’à la défaite de Leuktra, en 371 av. J.-C. — sont tous en général déshonorants. Nous avons vu dans le dernier chapitre la description que fait même Xénophon, le partisan de Lacédæmone, de la manière dure et perfide dont ils agirent à l’égard des soldats de Cyrus lors de leur retour, combinée avec leur soumission corrompue à l’égard de Pharnabazos. Il nous apprend qu’il dépendait de la volonté d’un harmoste lacédæmonien que ces soldats fussent déclarés ennemis et exclus pour toujours de leurs villes natales, et Kleandros, l’harmoste de Byzantion ; qui commença par les menacer de ce traitement, rie fut amené à retirer sa menace que par la soumission la plus illimitée, combinée avec une conduite très délicate. Nous avons raconté quelques pages plus haut les procédés cruels d’Anaxibios et d’Aristarchos,’qui allèrent jusqu’à vendre quatre cuits de ces soldats comme esclaves. Rien ne peut être plus arbitraire ni plus criminel que leur manière d’agir. S’ils pouvaient se conduire ainsi à l’égard d’un corps de soldats grecs chargés d’une gloire acquise, puissants soit comme amis, soit comme ennemis, et ayant des généraux capables de poursuivre leurs intérêts collectifs et de faire écouter leurs plaintes, — de quelle protection un simple citoyen d’une cité sujette quelconque, de Byzantion ou de Perinthos, pouvait-il s’attendre à jouir contre leur oppression ? L’histoire d’Aristodêmos, l’harmoste d’Oreus, en Eubœa, prouve qu’on ne pouvait obtenir de justice des éphores à Sparte contre aucune de leurs énormités. Cet harmoste, entre beaucoup d’autres actes de violence brutale, saisit dans la palestre un beau jeune homme, fils d’un citoyen libre d’Oreus, — l’enleva, —et après avoir essayé vainement de triompher de sa résistance, le mit à mort. Le père du jeune homme alla à Sparte, fit connaître ces atrocités, et en appela aux éphores à au sénat pour obtenir réparation. Mais on fit la sourde oreille à ses plaintes, et dans le désespoir de son cœur il se tua. Dans le fait, nous savons que ces autorités spartiates n’accordaient pas de réparation, non seulement contre les harmostes, mais même contre de simples citoyens spartiates qui s’étaient rendus coupables d’un grand crime hors de leur pays. Un Bœôtien, près de Leuktra, nommé Skedasos, se plaignit que deux Spartiates, revenant de Delphes, après avoir reçu un accueil hospitalier dans sa maison, avaient d’abord violé et tué ensuite ses deux filles ; mais, même pour un outrage aussi abominable, il ne put obtenir de redressement[20]. Sans doute, quand un puissant allié étranger, comme le satrape persan Pharnabazos[21], se plaignait aux éphores de la conduite d’un harmoste ou d’un amiral lacédæmonien, ses représentations étaient écoutées, et nous apprenons que les éphores furent ainsi amenés, non seulement à rappeler Lysandros de l’Hellespont, mais à mettre à mort un autre officier, Thorax, pour s’être approprié de l’argent d’une manière illégale. Mais, pour un simple citoyen, dans une cité sujette quelconque, l’autorité suprême de Sparte était non seulement éloignée, mais encore sourde et insensible, au point de ne lui donner aucune protection et de le laisser complètement à la merci de l’harmoste. Il paraît aussi que la rigueur de l’éducation spartiate et la singularité d’habitudes rendaient les Lacédæmoniens, individuellement en service à l’étranger, plus obstinés, plus incapables d’entrer dans les coutumes ou dans les sentiments des autres, et plus sujets à dégénérer, quand ils étaient libres de la surveillance rigoureuse de leur patrie, — que les autres Grecs en général[22]. En réunissant toutes ces causes de malheurs, — les dékarchies, les harmostes et l’écrasante dictature de Lysandros, — et en expliquant les autres parties du monde grec par l’analogie d’Athènes sous les Trente, — noms serons autorisé à affirmer que les premières années de l’empire spartiate qui suivirent la victoire d’Ægospotami furent des années d’une tyrannie universelle et de calamités intestines variées, telles que la Grèce n’en avait, jamais enduré de pareilles. Les maux de la guerre, cruels en bien des manières, étaient actuellement terminés ; mais ils étaient remplacés par un état de souffrance non moins difficile à supporter parce qu’il s’appelait la paix. Et ce qui rendait la souffrance encore plus intolérable, c’est que c’était un altier désappointement et une violation flagrante de promesses faites, à plusieurs reprises et explicitement, par les Lacédæmoniens eux-mêmes. Depuis plus de trente années auparavant, — depuis des temps antérieurs au commencement de la guerre du Péloponnèse, — les Spartiates avaient fait profession de n’intervenir que dans le dessein de délivrer la Grèce, et de renverser l’ascendant usurpé d’Athènes. Tous les alliés de Sparte avaient été appelés à une action énergique, — tous ceux d’Athènes avaient été pressés de se révolter, — au cri entraînant de Liberté pour la Grèce. Les premières exhortations adressées par les Corinthiens à l’État de Sparte, en 432 av. J.-C., immédiatement après la dispute korkyræenne, l’invitaient à se mettre en avant pour remplir la fonction reconnue de Libérateur de la Grèce, et le dénonçaient comme coupable de connivence avec Athènes s’il reculait[23]. Athènes était stigmatisée comme la cité despote qui avait déjà absorbé l’indépendance de beaucoup de Grecs, et menaçait celle de tous les autres. La dernière demande formelle faite à Athènes par les députés lacédæmoniens, l’hiver qui précéda immédiatement la guerre, était ainsi conçue : — Si vous désirez la continuation de la paix avec Sparte, rendez alla Grecs leur autonomie[24]. Quand Archidamos, roi de Sparte, s’avança à la tête de son armée pour assiéger Platée, les Platæens réclamèrent l’autonomie comme leur ayant été garantie solennellement par le roi Pausanias après la grande victoire remportée près de leur ville. Archidamos leur répondit : Votre demande est juste : nous sommes prêts à confirmer votre autonomie, — mais nous vous invitons à nous aider à assurer la même chose à ceux des autres Grecs qui ont été asservis par Athènes. C’est là le seul but des grands efforts que nous faisons présentement[25]. Et la bannière d’un affranchissement général, que les Lacédœmoniens levèrent ainsi au début de la guerre, enrôla dans leur cause une sympathie encourageante et des vœux favorables d’une extrémité à l’autre de la Grèce[26]. Plais l’exemple de beaucoup le plus frappant des séduisantes promesses faites par les Lacédœmoniens fut fourni par la conduite de Brasidas en Thrace, quanti il vint pour la première fois dans le voisinage des alliés d’Athènes pendant la huitième année de la guerre (424 av. J.-C.). Dans son mémorable discours adressé à l’assemblée publique à Akanthos, il prend la plus grande peine pour la convaincre qu’il vient seulement dans le dessein de réaliser la promesse d’affranchissement faite par les Lacédœmoniens au commencement de la guerre[27]. Ne s’étant attendu, en agissant dans une telle cause, a rien moins qu’à un accueil cordial, il est étonné de trouver leurs portes fermées devant lui. Je suis venu (dit-il) non pas pour faire tort aux Grecs, mais pour les délivrer ; après avoir lié les autorités spartiates par les serments les plus solennels, en leur faisant jurer que tous ceux que je pourrai entraîner seront traités comme alliés autonomes. Nous ne désirons vous avoir pour alliés ni parla force ni par la fraude, mais agir comme vos alliés à un moment où vous êtes asservis par les Athéniens. Vous ne devez pas suspecter mes desseins, en face de ces assurances solennelles ; encore moins quelqu’un doit-il reculer par appréhension d’inimitiés privées, et par la crainte que je ne remette la cité entre les mains de quelques partisans choisis. Je ne suis pas venu pour m’identifier avec une faction locale : je ne suis pas homme à vous offrir une liberté chimérique en brisant votre constitution établie, dans le dessein d’asservir soit le grand nombre au petit, soit le petit nombre au grand. Ce serait plus intolérable même qu’une domination étrangère ; et clous autres, Lacédæmoniens, nous ne mériterions que des reproches, au lieu de recueillir des remerciements et de l’honneur pour notre peine. Nous attirerions sur nous-mêmes ces mêmes critiques en vertu desquelles nous essayons d’abattre Athènes ; et ces critiques seraient plus sévères pour nous que pour ceux qui n’ont jamais fait d’honorables déclarations ; puisque, pour des hommes d’une position élevée, une tromperie spécieuse est plus honteuse que la violence ouverte[28]. — Si (continuait Brasidas) en dépit de mes assurances, vous me refusez encore votre coopération, je me croirai autorisé à employer la force contre vous. Nous ne serions pas autorisés à imposer la liberté à des personnes malgré elles, si ce n’est en vue de quelque avantage commun. Mais comme nous ne cherchons pas l’empire pour nous-mêmes, — que nous lie faisons d’effort que pour abattre l’empire des autres, — que nous offrons l’autonomie à chacun et à tous, nous serions coupables envers la majorité si nous vous permettions de persister dans votre opposition[29]. Semblables aux souverains alliés de l’Europe en 1813, qui, en demandant aux peuples les efforts les plus énergiques pour lutter contre l’empereur Napoléon, promirent des constitutions libres, et toutefois n’accordèrent rien après que la victoire eut été assurée, — les Lacédæmoniens donnèrent ainsi à plusieurs reprises les assurances-les plus formelles d’une autonomie générale, afin d’enrôler des alliés contre Athènes, désavouant, même avec ostentation, toute prétention à l’empire pour eux-mêmes. Il est vrai qu’après la grande catastrophe devant Syracuse, alors que la ruine d’Athènes paraissait imminente, que l’alliance avec les satrapes persans contre elle était contractée polir la première fois, les Lacédæmoniens commencèrent à songer davantage à l’empire[30], et moins à la liberté grecque qui, dans le fait, en ce qui regardait les Grecs sur le continent de l’Asie, fut livrée à la Perse. Néanmoins l’ancien mot d’ordre durait encore. On croyait encore généralement, bien que ce fût annoncé avec moins d’empressement, que la destruction de l’empire athénien était recherchée comme moyen de délivrer la Grèce[31]. La victoire d’Ægospotami, avec ses conséquences, détrompa cruellement tout le monde. Le langage de Brasidas, sanctionné par les serments solennels des éphores lacédæmoniens, en 424 avant J. C., — et les actes du Lacédæmonien Lysandros en 405-404 avant J.-C., heure à laquelle commende la toute-puissance spartiate, — sont dans une contradiction si littérale et si flagrante, que nous pourrions presque nous imaginer que le premier avait prévu la possibilité d’un tel successeur, et qu’il avait essayé de l’avilir et de le désarmer à l’avance. Les dékarchies de Lysandros réalisèrent précisément cet ascendant d’un petit nombre de partisans choisis que Brasidas répudie comme une abomination pire que la domination étrangère ; tandis que les harmostes et la garnison, installés dans les cités dépendantes avec les décemvirs indigènes, établirent la seconde variété de malheur, aussi bien que la première, chacune d’elles aggravant l’autre. Si Kallikratidas au noble cœur eût gagné une victoire aux Arginusæ et qu’il eût vécu pour terminer la guerre, il aurait probablement essayé, avec plus ou moins de succès, de faire quelque chose qui se rapprochât des promesses de Brasidas. Mais ce fut un double malheur pour la Grèce, d’abord que la victoire définitive fût remportée par un amiral tel que Lysandros, le moins scrupuleux de tous les ambitieux, en partie dans l’intérêt de son pays, et plus encore dans le sien propre, — ensuite que la victoire fût si décisive, si soudaine et si importante, qu’elle ne laissât aucun ennemi debout et en état d’insister sur des conditions. La volonté de Lysandros, agissant au nom de Sparte, devint toute-puissante, non seulement sur les ennemis, mais sur les alliés, et à un certain degré même sur les autorités spartiates. Il n’y avait pas de nécessité présente pour se concilier des alliés, — encore moins pour agir conformément à des engagements antérieurs ; de sorte qu’il ne restait rien qui fit obstacle aux inspirations naturellement ambitieuses des éphores spartiates, qui permirent à l’amiral d’arranger les détails à sa guise. Mais si Sparte était en position de dédaigner les assurances données jadis, les autres ne les oubliaient pas ; et le souvenir n’en rendit que plus amère l’oppression des décemvirs et des harmostes[32]. En outre, entièrement conséquente avec sa manière tyrannique d’agir d’un bout à l’autre de la Grèce orientale, Sparte s’identifia avec la tyrannie énergique de Denys de Syracuse, l’aidant tant è, l’élever qu’à la soutenir, contradiction avec ses anciennes maximes d’action qui aurait étonné l’historien Hérodote[33]. L’empire de Sparte, constitué ainsi à la fin de 405 avant J.-C., se maintint dans toute sa grandeur pendant un peu plus de dix années, jusqu’à la bataille navale de Knidos[34], en 394 avant J.-C. Cette défaite détruisit sa flotte et son ascendant maritime, tout en la laissant avec un empire intact sur terre, qu’elle conserva jusqu’à sa défaite par les Thêbains[35] à Leuktra, en 371 avant J.-C. Pendant tout cet intervalle, son système constant fut d’entretenir des harmostes et des garnisons spartiates dans les cités dépendantes sur le continent aussi bien que dans les îles. Même les habitants de Chios, qui avaient été ses alliés les plus actifs pendant les huit dernières années de la guerre, furent forcés de se soumettre à cette rigueur, outre qu’ils se virent enlever leur flotte par les Lacédæmoniens[36]. Mais les dékarchies indigènes, bien qu’établies d’abord par Lysandros universellement dans toutes les dépendances maritimes, ne durèrent pas comme système aussi longtemps que les harmostes. Composées comme elles l’étaient dans une grande mesure de candidats et d’alliés personnels de Lysandros, elles souffrirent en partie de la jalousie réactionnaire qui, avec le temps, se fit sentir contre son présomptueux ascendant. Après avoir duré pendant quelque temps, elles perdirent l’appui des éphores spartiates qui permirent aux villes (nous ne savons pas quand d’une manière précise) de reprendre leurs anciens gouvernements[37]. Quelques-unes des dékarchies finirent ainsi par se dissoudre ou par être modifiées de diverses manières, mais plusieurs probablement continuèrent encore de subsister, si elles avaient assez de force pour se maintenir ; car il ne parait pas que les éphores les abattissent jamais systématiquement, Gomme Lysandros les avait systématiquement élevées. Jamais le gouvernement des Trente è, Athènes n’eût été renversé, si les Athéniens opprimés avaient été obligés de compter sur une intervention tutélaire des éphores spartiates pour les aider à le renverser. J’ai déjà montré que cette exécrable oligarchie succomba sous les efforts, de Thrasyboulos et des démocrates athéniens eux-mêmes, que personne n’aida. Il est vrai de dire que l’arrogance et l’égoïsme de Sparte et de Lysandros avaient aliéné les Thêbains, les Corinthiens, les Mégariens et d’autres alliés voisins, et les avaient engagés à sympathiser avec les exilés athéniens contre les atrocités des Trente, — mais jamais ces voisins ne leur prêtèrent une aide positive ni sérieuse. L’ambition personnelle et démesurée de Lysandros avait, égaiement offensé le roi Pausanias et les éphores spartiates ; de sorte qu’eux aussi devinrent indifférents aux Trente, qui étaient ses créatures. Mais cela ne faisait que priver les Trente de cet appui étranger que Lysandros, s’il eût conservé encore son ascendant, aurait pleinement étendu jusqu’à eux. Ce ne fut pas la cause positive de leur chute. Cette crise fut opérée complètement par l’énergie de Thrasyboulos et de ses compagnons, qui manifestèrent une force et une détermination telles, qu’un déploiement extraordinaire de la puissance militaire spartiate aurait pu seul les abattre ; déploiement non pas absolument sans danger quand les empathies des principaux alliés étaient pour l’autre côté, — et, en tous cas, contraire aux inclinations de Pausanias. Ce qui se passa pour les Trente à Athènes se passa probablement aussi pour les dékarchies dans les cités dépendantes. Les éphores spartiates ne firent pas de démarches pour les renverser ; mais où la résistance des citoyens fut assez énergique pour les abattre, aucune intervention spartiate ne vint les soutenir, et peut-être l’harmoste reçut-il l’ordre de ne pas considérer son autorité comme liée avec la leur d’une manière indissoluble. Les forces indigènes de chaque cité dépendante étant ainsi laissées libres de trouver leur niveau, les décemvirs, une fois installés, se maintinrent sans doute en grand nombre ; tandis que, dans d’autres cas, ils étaient renversés, — ou peut-être s’arrangeaient-ils pour perpétuer leur domination par un compromis et une alliance avec d’autres sections oligarchiques. Cet état confus et mal assis des dékarchies, — quelques-unes existant encore, d’autres existant à demi, d’autres encore étant éteintes, — dominait en 396 avant J.-C., quand Lysandros accompagna Agésilas en Asie, plein de l’espoir qu’il aurait assez d’influence pour les réorganiser toutes[38]. Nous devons nous rappeler qu’aucune autre cité dépendante ne possédait les mêmes moyens de faire une résistance énergique à ses décemvirs locaux, comme Athènes en fit une aux Trente, et que les villes insulaires grecques étaient non seulement faibles individuellement, mais naturellement sans secours contre les maîtres de la mer[39]. Tel fut donc le résultat d’une extrémité à l’autre de la Grèce, quand cette longue guerre, entreprise au nom de l’autonomie universelle, fut terminée par la bataille d’Ægospotami. A la place d’Athènes souveraine fut substituée non l’autonomie promise, mais Sparte plus souveraine encore. Xénophon, l’ami de Lacédæmone, fait, en 399 avant J.-C., un effrayant tableau de l’ascendant exercé dans toutes les cités grecques, non seulement par les éphores et par les officiers publics, mais même par les simples citoyens de Sparte. Les Lacédœmoniens (dit-il en s’adressant à l’armée de Cyrus) président maintenant aux destinées de la Grèce ; et même tout Lacédæmonien, simple particulier, peut faire ce qu’il lui plait[40]. Toutes les cités (dit-il dans un autre endroit) obéissaient alors à tout ordre quelconque qu’elles pouvaient recevoir d’un citoyen lacédæmonien[41]. » Non seulement l’ascendant général était ainsi omniprésent et irrésistible, mais il était imposé avec une vigueur de détail, et assombri par mille accessoires de tyrannie et d’abus individuel, tels qu’on n’en avait jamais connu de pareils sous l’empire si décrié d’Athènes. Nous avons plus d’un tableau de l’empire athénien ; dans des discours faits par des orateurs hostiles qui avaient tout motif pour enflammer contre Athènes les plus fortes antipathies dans le cœur de leurs auditeurs. Nous avons les harangues des ambassadeurs corinthiens à Sparte quand ils excitaient les alliés spartiates à la guerre du Péloponnèse[42], — celle des députés de Mitylênê adressée à Olympia aux confédérés spartiates, quand leur ville s’était révoltée contre Athènes et était dans un besoin pressant d’appui, — le discours de Brasidas dans l’assemblée publique d’Akanthos, — et plus d’une harangue aussi d’Hermokratês inspirant à ses compatriotes siciliens la haine aussi bien que la crainte d’Athènes[43]. En lisant ces discours, on verra qu’ils insistent presque exclusivement sur le grand mai politique inhérent même au fait de son empire, qui enlève à tant de communautés grecques leur légitime autonomie, outre le tribut imposé. Athènes avait ainsi asservi déjà bien des cités, et elle ne guettait que les occasions d’en asservir beaucoup d’autres : c’est là le sujet sur lequel ils s’étendent. Mais de griefs pratiques, — de cruauté, d’oppression, de spoliation, d’exils multipliés, etc., d’injustice arrogante commise par des Athéniens individuellement, — il n’est pas dit un seul mot. S’il avait existé le plus petit prétexte pour introduire ces arguments incendiaires, combien eût été plus pathétique l’appel de Brasidas aux sympathies des Akanthiens ! Combien eussent été véhémentes les dénonciations des ambassadeurs Mitylénæens, au lieu du langage pâle et presque apologétique que nous lisons maintenant dans Thucydide ! Athènes détruisait l’autonomie de ses alliés sujets, et punissait les révoltes avec rigueur, parfois même avec cruauté. Mais quant aux autres points d’injustice, le silence d’accusateurs tels que ceux que je viens de mentionner compte pour une justification puissante. Le cas change quand nous arrivons à la période qui suit la bataille d’Ægospotami. Ici, il est vrai également, nous trouvons l’empire spartiate l’objet de plaintes (comme l’empire athénien l’avait été auparavant) en contraste avec cet état d’autonomie auquel prétendait chaque ville, et que Sparte promettait non seulement d’assurer, mais qu’elle présentait comme son seul motif de guerre. Cependant ce n’est pas le grief saillant, — d’autres arguments ressortent d’une manière plus expresse. Les décemvirs et les harmostes (quelques-uns de ces derniers étant ilotes), instruments permanents de l’empire spartiate, causent un sentiment plus douloureusement pénible que l’empire lui-même, comme le reconnaît à l’avance le langage tenu à Akanthos par Brasidas. A l’époque où Athènes était une cité sujette sous Sparte, gouvernée par les Trente de Lysandros et par l’harmoste lacédæmonien dans l’acropolis, — le sentiment d’indignité produit par le fait de la sujétion s’absorbait dans la souffrance encore plus terrible que causaient les énormités de ces maîtres individuels que l’État souverain avait établis. Or Athènes n’établissait ni maîtres locaux, — ni Dix ou Trente indigènes, — ni harmostes athéniens ni garnisons athéniennes en résidence. Cet état était par lui-même un privilège inexprimable, si on le compare avec la condition de cités soumises non seulement à l’empire spartiate, mais encore sous cet empire à des décemvirs indigènes tels que Kritias, et à des harmostes spartiates tels qu’Aristarchos ou Aristodêmos. Une ville sujette d’Athènes avait à supporter des charges définies imposées par son propre gouvernement qui était exposé, en cas de faute ou de négligence, à être jugé devant le dikasterion athénien populaire. Mais ce même dikasterion — comme je l’ai montré dans un autre volume, et comme l’avance distinctement Thucydide[44] —, était le port de refuge pour chaque cité sujette, non moins contre des Athéniens individuellement disposés à lui nuire que contre les mauvais traitements,d’autres villes. Ceux qui se plaignaient de la peine que causait à une cité sujette l’obligation de porter des causes devant le dikasterion d’Athènes pour y être jugées, — même si nous prenons le cas comme ils le présentent, et si nous fermons les yeux sur ce qu’il y a d’injuste de leur part à omettre ces nombreux exemples où la ville pouvait ainsi détourner un dommage de ses citoyens ou redresser un tort qu’ils avaient éprouvé, — ceux-là, dis-je, se seraient plaints beaucoup plus haut, et avec bien glus de raison d’un harmoste athénien toujours présent ; surtout s’il eût existé en même temps un gouvernement indigène de Dix oligarques, échangeant avec lui une connivence coupable, telle que l’association des Trente à Athènes avec l’harmoste lacédæmonien Kallibios[45]. En aucun point on ne peut prouver que la substitution de l’empire spartiate à la place de l’empire athénien fût un avantage, soit pour les cités sujettes, soit pour la Grèce en général ; tandis qu’en bien des points, c’était une grande et sérieuse aggravation de souffrance. Et cet abris de pouvoir est d’autant plus profondément à regretter, que Sparte eut, après la bataille d’Ægospotami, une occasion précieuse, telle qu’Athènes n’en avait jamais eu, et telle qu’il ne s’en représenta jamais de pareille, — de réorganiser le monde grec sur de sages principes, et en vue d’une stabilité et d’une harmonie panhelléniques. Son plus grand péché n’est pas d’avoir refusé d’accorder une autonomie universelle. Il est vrai qu’elle l’avait promise ; mais nous pourrions lui pardonner de ne pas avoir rempli formellement sa promesse, si elle eût remplacé ce présent par un autre beaucoup plus grand, qu’il était dans les limites raisonnables de son pouvoir, à la fin de 405 avant J.-C., de conférer. Cette autonomie municipale universelle, à laquelle tendait l’instinct grec, bien qu’incomparablement meilleure qu’une sujétion universelle, était cependant accompagnée de beaucoup de discordes intestines, et du mal encore plus formidable du manque de secours contre un puissant ennemi étranger quelconque. Pour assurer au monde hellénique la sûreté extérieure aussi bien que la concorde intérieure, ce n’était pas un nouvel empire qu’il fallait, mais une nouvelle combinaison politique sur des principes équitables et compréhensifs, enlevant à chaque ville une portion de son autonomie, et créant une autorité commune, responsable à l’égard de toutes pour certains desseins définis de contrôle. Si jamais un système fédératif passable eût été praticable en Grèce, ce fut après la bataille d’1Egospotami. L’empire athénien, — qui, avec tous ses défauts, fut, à mon sens, beaucoup meilleur pour les cités sujettes que ne l’aurait été une autonomie universelle, — avait déjà écarté bien des difficultés, et montré qu’une action combinée et systématique du monde grec maritime n’était pas une impossibilité. L’État de Sparte aurait pu alors se substituer à celui d’Athènes, non comme héritier de son pouvoir souverain, mais comme président et agent exécutif d’une nouvelle Confédération de Dêlos, — faisant revivre les principes égaux, compréhensifs et libéraux sur lesquels cette Confédération avait été primitivement organisée. Il est vrai que, soixante ans auparavant, les membres constitutifs de la première assemblée à Dêlos s’étaient montrés insensibles à son importance. Aussitôt que la crainte pressante causée par les Perses s’était dissipée, quelques-uns des confédérés avaient cessé d’envoyer des députés, d’autres avaient désobéi à des réquisitions, d’autres encore avaient racheté leurs obligations, et perdu leurs droits comme membres autonomes et votants, au moyen d’un marché pécuniaire avec Athènes ; et cet État, obligé par les devoirs de sa présidence d’imposer obéissance à l’assemblée contre tous les membres mal disposés, se fit successivement beaucoup d’ennemis, et se changea par degrés, presque sans le chercher lui-même, de président en empereur, comme seul moyen d’obvier à la dissolution totale de la Confédération. Mais, bien que ces circonstances fâcheuses se fussent présentées auparavant, il ne s’ensuit pas qu’elles se fussent représentées actuellement, en admettant que la même expérience eût été tentée de nouveau par Sparte avec une sincérité manifeste de dessein et une sagesse passable. Le monde grec, surtout sa partie maritime, avait passé par des épreuves, non moins pénibles qu’instructives, pendant cet intervalle important. Et il n’est pas téméraire de supposer que la masse de ses membres attrait pu être en ce moment disposée à accomplir avec constance les devoirs de confédérés, à la voix et sous la présidence de Sparte, si elle avait tenté réellement de réorganiser une confédération libérale, en traitant toute ville comme autonome et égale, si ce n’est qu’en tant que chacune serait obligée d’obéir aux résolutions de l’assemblée générale. Quelque impraticable qu’un tel plan puisse paraître, nous devons nous rappeler que même les utopies ont leurs moments passagers, sinon de succès certain, du moins de commencement, non seulement possible, mais plein de promesses. Et ma conviction est que, si Kallikratidas, avec son ardent sentiment panhellénique et sa force de résolution morale, eût été le vainqueur définitif d’Athènes souveraine, il n’aurait pas laissé passer ce moment d’orgueil et de toute-puissance sans essayer de réaliser quelque noble projet, tel que celui qui est esquissé ci-dessus. I1 faut se rappeler qu’Athènes n’avait jamais eu le pouvoir d’organiser une telle combinaison panhellénique généreuse. Elle avait fini par être dépopularisée dans l’exécution légitime de son devoir, comme présidente de la confédération de Dêlos, contre des rebelles[46]. Elle avait été obligée de choisir entre deux partis, ou de dissoudre la confédération, ou de la maintenir réunie sous la forte compression d’un chef souverain. Mais Sparte n’était pas encore devenue impopulaire. Elle se trouvait actuellement sans compétiteur comme chef du monde grec, et elle aurait pu à ce moment raisonnablement espérer d’en amener les membres avec elle à former une organisation libérale et panhellénique, si elle l’avait tenté avec une ardeur convenable. Par malheur, elle prit la marche opposée, sous l’influence de Lysandros, en fondant un nouvel empire beaucoup plus oppressif et plus odieux que celui d’Athènes, avec peu des avantages et aucune des excuses attachées à ce dernier. Aussitôt qu’elle devint même plus impopulaire qu’Athènes, son moment de haute puissance, pour une bienfaisante combinaison panhellénique, passa également — pour ne jamais revenir. Après avoir rangé ainsi tous les Grecs maritimes sous son empire, avec un tribut de plus de mille talents imposé sui eux, — et continué d’être chef de son alliance sur terre dans la Grèce centrale, qui comprenait maintenant Athènes comme simple unité, — Sparte était la puissance souveraine s’étendant sur toute la Grèce[47]. Son nouvel empire fut organisé par le vainqueur Lysandros ; mais il fit preuve de tant d’arrogance et il montra tant d’ambition personnelle à gouverner toute la Grèce au moyen de lieutenants à lui dévoués, décemvirs et harmostes, qu’il suscita contre lui des rivaux et des ennemis nombreux, aussi bien à Sparte même qu’ailleurs. Nous avons déjà mentionné la jalousie conçue par le roi Pausanias, les sentiments offensés de Thèbes et de Corinthe, et la manière dont ces phénomènes nouveaux déterminèrent (malgré l’opposition de Lysandros) l’admission d’Athènes comme démocratie remise en vigueur dans la confédération lacédæmonienne. Dans les premiers mois de 403 avant J.-.C., Lysandros fut en partie à Sparte, en partie en Attique, s’efforçant de soutenir l’oligarchie athénienne déclinante, confire la force croissante de Thrasyboulos et vies exilés athéniens de Peiræeus. Dans ce dessein, il fut directement contrecarré par les idées contraires du roi Pausanias et de trois éphores sur les cinq[48]. Mais, bien que les éphores arrêtassent ainsi Lysandros par rapport à Athènes, ils adoucirent l’humiliation en lui confiant au dehors un nouveau commandement sur la tâte asiatique et dans l’Hellespont, démarche qui avait en outre l’avantage d’éloigner l’un de l’autre deux rivaux aussi prononcés que lui et Pausanias l’étaient devenus en ce moment. Ce que Lysandros avait essayé en vain de faire à Athènes, il fut sans doute plus en état de le faire en Asie ; où il n’avait avec lui ni Pausanias ni les éphores. Il put prêter une aide efficace aux dékarchies et aux harmostes dans les villes asiatiques, contre toute opposition intérieure qui pouvait les menacer. Amères furent les plaintes qui arrivèrent à Sparte, tant contre lui que contre ses partisans maîtres des affaires. A la fin, les éphores se décidèrent à désavouer les dékarchies et à annoncer qu’ils n’empêcheraient pas les cités de reprendre leurs anciens gouvernements à leur gré[49]. Mais toutes les injustices criantes exposées dans les plaintes des cités maritimes n’auraient pas suffi pour faire rappeler Lysandros de son commandement dans l’Hellespont, si Pharnabazos n’avait pas joint ses remontrances aux autres. Ces dernières représentations donnèrent tant de force aux ennemis de Lysandros à Sparte qu’un ordre péremptoire de rappel fut envoyé. Contraint d’obéir, il revint à Sparte ; mais la disgrâce relative et la perte de ce pouvoir illimité dont il avait joui dans son commandement lui furent si insupportables qu’il obtint la permission d’aller en pèlerinage au temple de Zeus Ammôn, en Libye, sous prétexte qu’il avait à s’acquitter d’un vœu[50]. Il paraît avoir visité aussi les temples de Delphes et de Dôdônê[51], avec des projets ambitieux et secrets qui seront bientôt mentionnés. Cette retraite politique apaisa la jalousie qu’on lui portait, de sorte que nous le verrons, une année ou deus après, rétabli dans une influence et un ascendant considérables. I1 fut envoyé à Syracuse en qualité d’ambassadeur spartiate, nous ignorons à quel moment précis, et là il prêta appui et aide au despotisme récemment établi de Denys[52]. La position des Grecs asiatiques, le long de la côte de l’Iônia, de l’Æolis et de l’Hellespont, devint toute particulière après le triomphe de Sparte à Ægospotami. J’ai déjà raconté comment, après la grande catastrophe athénienne devant Syracuse, le roi de Perse avait renouvelé ses tentatives pour ressaisir ces villes, dont la main vigoureuse d’Athènes l’avait tenu exclu pendant plus de cinquante ans ; comment Sparte, implorant son aide, avait consenti par trois conventions formelles à les lui rendre, tandis due son commissaire Lichas reprochait même aux Milésiens leur aversion pour ce marché ; nomment Athènes aussi, dans les jours de sa faiblesse, aspirant au même avantage, avait exprimé sa disposition à le payer du même prix[53]. Après la bataille d’Ægospotami, cette convention reçut son effet, bien que vraisemblablement non sans disputes entre le satrape Pharnabazos, d’un côté, et Lysandros et Derkyllidas, de l’autre[54]. Ce dernier était harmoste lacédæmonien à Abydos, ville si importante comme station sur l’Hellespont, et que les Lacédæmoniens semblent cependant avoir conservée-. Mais Pharnabazos et ses subordonnés acquirent sur l’Æolis de l’Hellespont et sur la Troade un empire plus complet qu’ils n’en avaient jamais eu auparavant, tant le long de la côte que dans l’intérieur[55]. Toutefois un autre élément ne tarda pas à agir. La condition des cités grecques sur la côte d’Iônia, bien que, suivant les règlements persans, elles appartinssent à la satrapie de Tissaphernês, fut alors essentiellement déterminée, — d’abord par les prétentions rivales de Cyrus, qui désirait les lui enlever et s’efforçait d’obtenir que cette translation flat ordonnée par la cour ; — ensuite par les aspirations de ce jeune prince au trône de Perse. Comme Cyrus fondait son espoir de succès sur la coopération des Grecs, il était extrêmement important pour lui de se rendre populaire parmi eux, surtout de son côté de la mer Ægée. En partie des preuves qu’il donna d’un caractère juste et conciliant, en partie le mauvais renom et la perfidie connue de Tissaphernês engagèrent les cités grecques à se révolter d’un commun accord contre ce dernier. Elles se jetèrent toutes dans les bras de Cyrus, excepté Milêtos, où Tissaphernês intervint à temps, tua les chefs de la révolte projetée et bannit un grand nombre de leurs partisans. Cyrus, recevant les exilés avec une faveur distinguée, leva une armée pour assiéger Milêtos et obtenir leur rétablissement, tandis qu’en même temps il jeta de fortes garnisons grecques dans les autres villes pour les protéger contre une attaque[56]. Toutefois, cette querelle locale ne tarda pas à se fondre dans la dispute plus compréhensive touchant la succession persane. Les deux parties se trouvèrent sur le champ de bataille de Kunaxa : Cyrus avec les soldats grecs et les exilés milésiens, d’un côté, — Tissaphernês, de l’autre. Quelle fut l’issue de cette tentative, sur laquelle reposaient tant de choses dans la future histoire et de l’Asie Mineure et de la Grèce, c’est ce que j’ai déjà raconté. Il est probable que l’impression rapportée par la flotte lacédæmonienne qui laissa Cyrus sur la côte de Syrie, après qu’il avait surmonté le pays le plus difficile sans rencontrer aucune résistance, fut extrêmement favorable à son succès. Aussi le désappointement des Grecs ioniens dut-il être d’autant plus pénible quand la nouvelle de sa mort fut apportée plus tard, et leur alarme d’autant plus grande, quand Tissaphernês, après avoir renoncé à la poursuite des dix mille Grecs au moment où ils entrèrent dans les montagnes des Karduques, arriva en vainqueur à la côte de la mer, plus puissant que jamais, — ayant reçu[57] du Grand Roi, comme récompense pour les services qu’il lui avait rendus contre Cyrus, tout le territoire qui avait été gouverné par ce dernier, aussi bien que le titre de commandant en chef sur tous les satrapes voisins, — et prêt non seulement. à reconquérir, mais à punir les villes maritimes révoltées. Il commença par attaquer Kymê[58], dont il ravagea le territoire avec un grand dommage pour les citoyens, et il exigea d’eux une contribution encore plus considérable, quand l’approche de l’hiver rendit incommode d’assiéger leur cité. Dans cet état d’appréhension, ces villes envoyèrent (400-399 av. J.-C.) prier Sparte, comme le grand pouvoir souverain de la Grèce, de leur accorder sa protection contré l’esclavage aggravé qui les menaçait[59]. Les Lacédæmoniens n’avaient plus rien à attendre du roi de Perse, à l’égard duquel ils avaient déjà rompu la paix, en prêtant aide à Cyrus. De plus, la renommée des dix mille Grecs, qui étalent en train de revenir en longeant par le Pont-Euxin, vers Byzantion, s’était répandue par toute la Grèce : elle inspirait un mépris signalé pour la puissance militaire des Perses et des espérances d’enrichissement par une guerre contre les satrapes asiatiques. En conséquence, les éphores spartiates furent amenés à accéder à la requête de leurs compatriotes d’Asie et à envoyer dans ce pays Thimbrôn à la tête de forces considérables ; elles se composaient de 2,000 Neodamodes (ou Ilotes, qui avaient été affranchis) et de 4.000 Péloponnésiens pesamment armés, accompagnés de 300 cavaliers athéniens, pris parmi ceux qui avaient été les partisans des Trente, quatre ans auparavant, aide accordée par Athènes à la requête spéciale de Thimbrôn. Arrivé en Asie pendant l’hiver de 400-399 avant J.-C., Thimbrôn fut renforcé au printemps de 399 avant J.-C. par l’armée de Cyrus, qui fut transportée da Thrace en Asie, comme je l’ai raconté ailleurs, et prise à la solde des Lacédæmoniens. Avec cette grande armée, il devint supérieur aux satrapes, même dans les plaines, où ils pouvaient employer leur nombreuse cavalerie. Les petits princes grecs de Pergamos et de la Teuthrania, qui tenaient ce territoire d’anciens dons faits par Xerxès à leurs ancêtres, joignirent leurs troupes aux siennes, contribuant beaucoup à enrichir Xénophon au moment où il quitta les soldats de Cyrus. Cependant Thimbrôn ne fit rien qui fût digne d’une aussi grande armée. Non seulement il échoua au siège de Larissa, mais même il ne put maintenir l’ordre parmi ses propres soldats, qui pillaient indistinctement amis et ennemis[60]. On transmit à Sparte des plaintes si fortes de ses désordres et de son incapacité que les éphores lui envoyèrent d’abord un ordre d’aller en Karia, où résidait Tissaphernês ; — ensuite, avant que cet ordre fût exécuté, ils dépêchèrent Derkyllidas pour le remplacer, vraisemblablement dans l’hiver 399-398 avant J.-C. Thimbrôn, en revenant à Sparte, fut condamné à une amende et banni[61]. Il est extrêmement probable que les soldats de Cyrus, bien qu’excellents en campagne, s’étant toutefois vus privés de récompense pour les prodigieuses fatigues qu’ils avaient endurées dans leur longue marche et ayant été rationnés en Thrace, aussi bien que trompés par Seuthês, — étaient avides, peu scrupuleux et difficiles à retenir en fait de pillage, surtout maintenant que Xénophon, leur général le plus influent, les avait quittés. Leur conduite s’améliora beaucoup sous Derkyllidas. Et bien que cette amélioration fût due sans doute en partie à la supériorité de ce dernier sur Thimbrôn, cependant il semble qu’on peut aussi l’attribuer en partie au fait que Xénophon, après quelques mois de résidence à Athènes, l’accompagna en Asie et reprit le commandement de ses anciens camarades[62]. Derkyllidas était un homme de tant de ressources et d’astuce qu’il avait acquis le surnom de Sisyphos[63]. Il avait servi pendant toutes les dernières années de la guerre et avait été harmoste à Abydos durant le commandement naval de Lysandros, qui le condamna, sur la plainte de Pharnabazos, à la honte d’une exposition publique avec son bouclier au bras[64] : c’était (je présume) une honte, parce qu’un officier supérieur avait toujours son bouclier porté pour lui par un serviteur, si ce n’est dans le cas réel d’une bataille. Derkyllidas, qui n’avait jamais pardonné a Pharnabazos de l’avoir déshonoré ainsi, profita alors d’une mésintelligence entre ce satrape et Tissaphernês pour faire une trêve avec ce dernier, et conduire son armée, forte de huit mille hommes, dans le territoire du premier[65]. La région montagneuse de l’Ida, généralement connue comme la Troade, — habitée par une population de Grecs æoliens (qui avaient insensiblement hellénisé les habitants indigènes) et connue par conséquent comme l’Æolis de Pharnabazos, — lui, fut ouverte par un événement récent, important en lui-même aussi bien qu’instructif à lire. L’empire persan entier était divisé en autant de satrapies, chaque satrape étant obligé d’envoyer un montant de tribut annuel et de tenir prête une certaine somme de forces militaires pour la cour à Suse. Pourvu qu’il fût ponctuel à remplir ces obligations, on s’occupait peu de ses autres actes, si ce n’est dans le cas, qui se présentait rarement, où il maltraitait quelque Perse individuel de haut rang. De même, à ce qu’il parait, chaque satrapie était, divisée en sous satrapies ou districts, chacune d’elles tenue par un délégué, qui payait au satrape un tribut fixe et entretenait pour lui de certaines forces militaires, — ayant la liberté de gouverner à d’autres égards comme il lui plaisait. Toutefois, outre le tribut, des présents d’un montant indéterminé étaient faits constamment, tant par le satrape au roi que par le délégué au satrape. Néanmoins, il était assez extorqué au peuple (ce qu’il n’est guère nécessaire d’ajouter) pour laisser un ample profit et à l’un et à l’autre[66]. Cette région appelée Æolis avait été confiée par Pharnabazos à un indigène de Dardanos nommé Zênis, qui, après avoir occupé ce poste pendant quelque temps et après avoir donné pleine satisfaction, mourut de maladie, laissant une veuve, avec un fils et une fille encore mineurs. Le satrape était sur le point de donner le district à une autre personne, quand Mania, la veuve de Zênis, née elle-même à Dardanos, lui demanda l’autorisation de succéder à son mari. Elle alla rendre visite à Pharnabazos les mains pleines d’argent, en assez grande quantité non seulement pour le contenter, mais encore pour gagner ses maîtresses et ses ministres[67], et elle lui dit : — Mon époux t’était fidèle, et il payait son tribut si régulièrement qu’il obtenait tes remerciements. Si je ne te sers pas plus mal que lui, pourquoi nommerais-tu un autre délégué ? Si je manque à te satisfaire, tu pourras toujours m’écarter et donner la place à un autre. Pharnabazos fit droit à sa demande et n’eut pas lieu de s’en repentir. Mania paya régulièrement son tribut, — lui apporta fréquemment des présents, — et le reçut avec plus de magnificence qu’aucun de ses autres délégués, toutes les fois qu’il visitait le district. Sa résidence principale était à Skêpsis, à Gergis et à Kebrên, — villes de l’intérieur, fortes tant par leur position que par leurs fortifications, au milieu de la région montagneuse appartenant jadis aux Teukri Gergithes. C’était là aussi qu’elle gardait ses trésors, qui, en partie laissés par son mari, en partie accumulés par elle-même, avaient atteint graduellement une somme énorme. Mais son district s’étendait aussi jusqu’à la côte, et comprenait, entre autres villes, le nom classique d’Ilion et probablement sa ville natale de Dardanos dans le voisinage. Elle entretenait en outre une armée considérable de mercenaires grecs, avec une paye régulière et dans un état excellent, qu’elle employait tant comme garnison pour chacune de ses villes dépendantes que comme moyen de faire des conquêtes dans le voisinage. Elle avait réduit ainsi les villes maritimes de Larissa, d’Hamaxitos et de Kolonæ, dams la partie méridionale de la Troade, commandant ses troupes en personne, assise dans son char pour voir l’attaque et récompensant tous ceux qui se distinguaient. De plus, quand Pharnabazos entreprit une expédition contre les pillards mysiens et pisidiens, elle l’accompagna, et ses forces militaires formèrent la meilleure partie de son armée, au point qu’il lui fit les plus grands compliments et condescendit parfois à lui demander son avis[68]. Ainsi, quand Xerxès envahit la Grèce, Artemisia, reine d’Halikarnassos, non seulement fournit des vaisseaux, qui étaient au nombre des mieux équipés de sa flotte, et combattit vaillamment à Salamis, mais encore, quand il lui convenait de réunir un conseil, elle fut seule à oser lui- donner de sages avis, contraires à ses inclinations personnelles, avis que, par bonheur pour le monde grec, il put se décider à tolérer et non à suivre[69]. Sous une femme énergique comme Mania, ainsi victorieuse et bien pourvue, l’Æolis était la partie la plus défendable de la satrapie de Pharnabazos et aurait probablement défié Derkyllidas, si un traître dans sa famille n’avait mis fin à sa vie. Son gendre, Meidias, Grec de Skêpsis, avec lequel elle vivait dans les termes d’une confiance intime, — bien qu’elle se méfiât scrupuleusement de toute autre personne, comme il est convenable pour un tyran de le faire[70], — fut enflammé par sa propre ambition et par les suggestions de perfides conseillers, lui disant qu’il était honteux qu’une femme gouvernât, tandis que lui n’était que simple particulier ; et il alla jusqu’à l’étrangler dans sa chambre. Poursuivant son infâme projet, il assassina également son fils, beau jeune homme de dix-sept ans. Il réussit à s’emparer des trois plus fortes places du district, Kebrên, Skêpsis et Gergis, ainsi que du trésor accumulé de Mania. Mais les commandants des autres villes refusèrent d’obéir à ses sommations, jusqu’à ce qu’ils reçussent des ordres de Pharnabazos. Meidias envoya immédiatement à ce satrape des députés, chargés d’amples présents, avec, la demande que le satrape lui accordât le district dont Mania avait joui. Pharnabazos refusa les présents et envoya à Meidias cette réponse indignée : — Garde-les jusqu’à ce que j’aille les prendre, — et toi en même temps. Je ne consentirais pas à vivre, si je ne devais pas venger la mort de Mania[71]. C’est à ce moment critique, avant l’arrivée du satrape, que Derkyllidas se présenta avec son armée et trouva l’Æolis presque sans défense. Les trois récentes conquêtes de Mania. — Larissa, Hamaxitos et Kolonæ, — se rendirent à lui dès qu’il parut, tandis que les garnisons d’Ilion et de quelques autres places, qui avaient pris un service spécial sous Mania, et se trouvaient moins heureuses maintenant qu’elles l’avaient perdue, acceptèrent son invitation de renoncer à l’alliance persane, de se déclarer alliées de Sparte et de tenir leurs cités pour lui. Il devint ainsi maître de la plus grande partie du district, à l’exception de Kebrên, de Skêpsis et de Gergis, dont il désira s’assurer la possession avant la venue de Pharnabazos. Toutefois, quand il arriva devant Kebrên, malgré la nécessité où il était de se hâter, il resta inactif pendant quatre jours[72], parce que Ies sacrifices étaient de mauvais augure, tandis qu’un officier subordonné téméraire, hasardant pendant cet intervalle une attaqué non autorisée, fut repoussé et blessé. Enfin les sacrifices devinrent favorables, et Derkyllidas fut récompensé de sa patience. La garnison, sur laquelle l’exemple de celle d’Ilion et dés autres villes avait fait impression, désobéit à son commandant, qui cherchait à mériter la faveur du satrape en tenant bon et en lui assurant cette place très forte. Les soldats envoyant des hérauts déclarer qu’ils iraient avec-les Grecs et non avec les Perses, ils admirent sur-le-champ les Lacédœmoniens en dedans des portes. Après avoir heureusement pris et dûment assuré cette ville importante, Derkyllidas marcha contre Skêpsis et contre Gergis, dont la première était occupée par Meidias lui-même, qui, craignant l’arrivée de Pharnabazos et se défiant des citoyens de l’intérieur, jugea que le meilleur parti était d’ouvrir des négociations avec Derkyllidas. Il envoya solliciter une conférence, en réclamant des otages pour sa sûreté. Quand il sortit de la ville et demanda au commandant lacédæmonien à quelles conditions une alliance lui serait accordée, ce dernier répondit : A condition que les citoyens resteront libres et autonomes. En même temps, sans attendre acquiescement ou refus, il marcha droit aux portes de la ville. Meidias ; pris à l’improviste, se trouvant au pouvoir des assaillants et sachant que les citoyens lui étaient hostiles, fut obligé d’ordonner d’ouvrir la porte, de sorte que, par cette rapide manœuvre, Derkyllidas se vit en possession de la plus forte place du district sans perte ni délai, à la grande satisfaction des Skêpsiens eux-mêmes[73]. Derkyllidas, après être monté à l’Acropolis de Skêpsis pour offrir un sacrifice de remerciements à Athênê, la grande déesse patronne d’Ilion et de la plupart des villes teukriennes, — fit sortir immédiatement la garnison de la ville, qu’il remit aux habitants eux-mêmes, en les exhortant à conduire leurs affaires politiques comme il convenait à des Grecs et à des citoyens. Cette conduite, qui nous rappelle Brasidas en contraste avec Lysandros, n’était pas moins politique que généreuse, vu que Derkyllidas ne pouvait guère espérer tenir une ville de l’intérieur au milieu de la satrapie Persane, si ce n’est par l’attachement des citoyens eux-mêmes. Il marcha ensuite vers Gergis, conduisant encore avec lui Meidias, qui demandait instamment qu’il lui fût permis de conserver cette ville, la dernière des forteresses qui lui restaient. Sans faire de réponse décidée, Derkyllidas le prit à ses côtés et s’avança avec lui à la tête de son armée, rangée seulement sur deux files, de manière à avoir l’apparence de la paix, jusqu’au pied des tours élevées de Gergis. La garnison sur les murs, voyant Meidias avec lui, lui permit d’approcher sans décharger un seul trait. Maintenant, Meidias (dit-il), ordonne qu’on ouvre les portes, et montre-moi le chemin du temple d’Athênê, afin que je puisse y offrir un sacrifice. Meidias fut encore forcé de donner l’ordre, par crainte d’être aussitôt saisi comme prisonnier, et l’armée lacédæmonienne se trouva maîtresse de la ville. Derkyllidas, distribuant ses troupes autour des murs, afin d’assurer sa conquête, monta à l’Acropolis pour offrir son sacrifice projeté ; après quoi il se mit en devoir de dicter le sort de Meidias, auquel il enleva son caractère de prince et ses forces militaires, — forces qu’il incorpora dans l’armée lacédæmonienne. Il invita ensuite Meidias à spécifier tous ses biens paternels, et lui rendit tout ce qu’il réclamait comme tel bien que les assistants protestassent contre l’assertion avancée comme étant une exagération flagrante. Mais il saisit, comme proie légitime, tous les biens et tous les trésors de Mania, et fit mettre sous scellé sa maison, que Meidias avait prise pour lui-même, — puisque Mania avait appartenu à Pharnabazos[74], avec lequel les Lacédœmoniens étaient en guerre. En sortant de la maison, après avoir examiné et vérifié le contenu, il dit à ses officiers : Maintenant, mes amis, nous avons déjà gagné une paye pour toute l’armée, huit mille hommes, pour près d’un an. Tout ce que nous acquerrons, en outre, vous arrivera également. Il savait bien l’effet favorable que cette nouvelle produirait sur les dispositions, aussi bien que sur la discipline de l’armée, en particulier sur les soldats de Cyrus, qui avaient eu le désagrément d’une paye irrégulière et de la pauvreté. Et où dois-je vivre ? demanda Meidias, qui se voyait mis à la porte de la maison de Mania : Dans ta demeure légitime assurément (répondit Derkyllidas), dans ta ville natale de Skêpsis et dans ta maison paternelle[75]. Que devint l’assassin plus tard, c’est ce qu’on ne nous dit pas. Mais on est heureux de voir qu’il ne recueillit pas la récompense anticipée de son crime, dont les fruits furent un avantage important pour Derkyllidas et pour son armée, — et un bienfait encore plus important pour les villes grecques qui avaient été gouvernées par Mania, — l’affranchissement et l’autonomie. Cet exploit rapide, aisé et habilement conduit, — la prise de neuf villes en huit jours (399 av. J.-C.), — est tout ce que Xénophon mentionne comme ayant été accompli par Derkyllidas pendant l’été. Ayant acquis une solde pour tant de mois, il se peut que les soldats aient été disposés à se retirer jusqu’à ce qu’elle fût dépensée. Mais, comme l’hiver approchait, il devint nécessaire de trouver des quartiers d’hiver sans encourir le reproche qu’avait mérité Thimbrôn, de consommer la nourriture des alliés. Craignant toutefois que, s’il changeait de position, Pharnabazos n’employât la nombreuse cavalerie persane à inquiéter les villes grecques, il lui proposa une trêve, que ce dernier accepta volontiers ; car l’occupation de l’Æolis par le général lacédæmonien était une sorte de poste de surveillance (comme Dekeleia pour Athènes), exposant à une attaque constante toute la Phrygia, près de la Propontis (dans laquelle se trouvait Daskylion, résidence de Pharnabazos)[76]. En conséquence, Derkyllidas ne fit que traverser la Phrygia, pour prendre ses quartiers d’hiver en Bithynia, l’extrémité nord-ouest de l’Asie-Mineure, entre la Propontis et le Pont-Euxin, le même territoire par lequel avaient marché Xénophon et les Dix Mille, quand ils allèrent de Kalpê à Chalkêdon. Il se procura d’abondantes provisions et du butin, tant en esclaves qu’en bétail, en pillant les villages bithyniens, non sans faire des pertes à l’occasion de son côté, par la négligence des personnes qui se livraient à la maraude[77]. Une de ces pertes fut d’une importance considérable. Derkyllidas avait obtenu de Seuthês, en Thrace européenne — le même prince dont Xénophon avait eu tant de raison de se plaindre —, un renfort de 300 chevaux et de 200 peltastes, — Thraces odrysiens. Ces Odrysiens s’établirent dans un camp séparé, à environ deux milles et demi (= 4 kilomètres) de Derkyllidas, position qu’ils entourèrent d’une palissade à peu près à hauteur d’homme. Étant d’infatigables pillards, ils décidèrent Derkyllidas à leur envoyer une garde de 200 hoplites, dans le dessein de garder leur camp séparé, avec le butin qui y était accumulé. Bientôt le camp devint richement pourvu, en particulier de captifs : bithyniens. Toutefois les Bithyniens hostiles, guettant le moment où les Odrysiens étaient sortis pour la maraude, attaquèrent soudainement à l’aurore les deux cents hoplites grecs dans le camp. Ils leur lancèrent par-dessus la palissade des traits et des flèches, et ils en tuèrent et blessèrent quelques-uns, tandis que les Grecs avec leurs lances étaient complètement saris défense et ne purent atteindre leurs ennemis qu’en arrachant la palissade et en sortant pour charger. Mais les assaillants, armés à la légère, esquivant aisément la charge de guerriers portant un bouclier et une lance, les entourèrent quand ils commencèrent à se retirer et en tuèrent plusieurs avant qu’ils pussent revenir. Dans chaque sortie successive, les mêmes phénomènes se représentèrent, jusqu’à ce qu’enfin tous les Grecs fussent accablés et tués, à l’exception de quinze, qui se firent jour à travers les Bithyniens à la première sortie et marchèrent en avant pour rejoindre Derkyllidas, au lieu de retourner à la palissade avec leurs camarades. Derkyllidas, sans perdre un instant, envoya un renfort, qui toutefois arriva trop tard et ne trouva que les corps nus des soldats tués. Les Bithyniens victorieux emmenèrent tous leurs captifs[78]. Au commencement du printemps, le général spartiate retourna à Lampsakos, où il trouva Arakos et deux autres Spartiates, qui venaient d’arriver en qualité de commissaires envoyés par les éphores. Arakos avait pour instructions de prolonger le commandement de Derkyllidas pour une autre année, aussi bien que de faire connaître la satisfaction des éphores au sujet de l’armée de Cyrus, par suite de la grande amélioration qui s’était opérée dans sa conduite, comparée avec l’année de Thimbrôn. En conséquence, il réunit les soldats et leur adressa des paroles où se mêlaient l’éloge et les conseils, exprimant son espérance qu’ils continueraient à se conduire avec autant de ménagement qu’ils avaient commencé à le faire à l’égard de tous les alliés asiatiques. Le commandant des soldats de Cyrus (probablement Xénophon lui-même), dans sa réponse, profita de l’occasion pour taire un compliment à Derkyllidas : Nous sommes (dit-il) aujourd’hui les mêmes hommes que nous étions l’an dernier ; mais nous avons un autre général. Tu n’as pas besoin de chercher d’autre explication[79]. Sans nier la supériorité de Derkyllidas sur son prédécesseur, nous pouvons faire remarquer que les abondantes richesses de Mania, jetées dans ses mains par hasard (bien qu’il montrât beaucoup d’habileté à en tirer profit), étaient une circonstance auxiliaire, non moins inattendue qu’importante pour assurer la bonne conduite des soldats. Entre autres instructions, Arakos était chargé de visiter tous les principaux Grecs asiatiques et de faire connaître leur état à Sparte ; et Derkyllidas fut charmé de les voir commencer cette visite à un moment où ils devaient trouver les villes jouissant d’une paix et d’une tranquillité absolues[80]. Tant que dura la trêve et avec Tissaphernês et avec Pharnabazos, ces villes furent à l’abri de l’agression et ne payèrent pas de tribut ; l’armée de terre de Derkyllidas leur fournissant une protection[81] analogue à celle qui avait été assurée par Athènes et par sa puissante flotte, dans l’intervalle qui s’écoula entre la formation de la Confédération de Dêlos et la catastrophe athénienne à Syracuse. En même temps, pendant la trêve, l’armée n’avait ni occupation ni subsistance. La tenir réunie et sous la main, sans cependant qu’elle vécût aux dépens d’amis, tel était le problème. Ce fut aussi avec une grande satisfaction que Derkyllidas fit attention à un avis qui échappa accidentellement à Arakos. Quelques députés (dit ce dernier) étaient à ce moment à Sparte, venus de la Chersonèse de Thrace (la longue langue de terre confinant à l’Hellespont à l’ouest), sollicitant du secours contre les Thraces pillards leurs voisins. Cette fertile péninsule, hellénisée pour la première fois un siècle et demi auparavant par l’Athénien Miltiadês, avait été un rendez-vous favori pour des citoyens athéniens, dont beaucoup y avaient acquis des biens pendant la puissance navale d’Athènes. La bataille d’Ægospotami déposséda ces propriétaires et les força à rentrer dans leur patrie, en même temps qu’elle privait la péninsule de sa protection contre les Thraces. Elle contenait actuellement onze cités distinctes, dont Sestos était la plus importante ; et ses habitants s’entendirent pour envoyer à Sparte des ambassadeurs chargés de prier les éphores de dépêcher une armée dans le dessein de construire un mur en travers de l’isthme de Kardia à Paktyê ; en récompense de ce service (disaient-ils), il y avait assez de terre fertile ouverte à autant de colons qu’il en voudrait venir, avec une côte et des ports tout voisins pour l’exportation. Miltiadês, quand il se rendit pour la première fois dans la Chersonèse, l’avait mise en sûreté en construisant dans le même endroit un mur transversal, qui avait été négligé depuis pendant la période de la suprématie persane ; Periklês avait envoyé plus tard de nouveaux colons et fait réparer le mur. Mais il semble n’avoir pas été nécessaire tant que l’empire athénien fut dans toute sa vigueur, — vu qu’Athènes s’était en général concilié les princes thraces ou les avait tenus à distance, même sans un boulevard pareil[82]. Informé que la requête des habitants de la Chersonèse avait été favorablement écoutée à Sparte, Derkyllidas résolut d’exécuter leur projet avec sa propre armée. Après avoir prolongé sa trêve avec Pharnabazos, il franchit l’Hellespont, passa en Europe., et occupa son armée pendant tout l’été a construire ce mur transversal, d’une longueur d’environ quatre milles un quart (= 6 kil. 800 mèt.). L’ouvrage fut réparti en portions entre les différentes sections de l’armée, la rivalité étant excitée par des récompenses pour l’exécution la plus rapide et la plus habile, tandis que les habitants de la Chersonèse étaient contents de fournir à l’armée une paye et de la nourriture, pendant une opération qui donnait de la sécurité à toutes les onze cités et ajoutait de la valeur à leurs terres et à leurs ports. Il paraît qu’il y vint, sous les auspices de Lacédæmone, de nombreux colons, — qui furent dérangés à leur tour, totalement ou en partie, quand l’empire maritime lacédæmonien fut détruit peu d’années après[83]. Quand il regagna l’Asie en automne, après avoir achevé ce travail qui avait tenu son armée employée utilement et abondamment fournie pendant six mois, Derkyllidas entreprit (398-397 av. J.-C.) le siège d’Atarneus, forte position (sur la côte continentale à l’est de Mitylênê), occupée par quelques exilés de Chios, qui avaient été chassés de leur Ste natale peu d’années auparavant, grâce à l’aide qu’avait prêtée l’amiral lacédæmonien Kratesippidas, gagné à prix d’argent[84]. Ces hommes, vivant du pillage qu’ils faisaient dans des expéditions dirigées contre Chias et l’Iônia, étaient si bien pourvus de provisions, qu’il fallut à Derkyllidas un blocus de huit mois avant de pouvoir les réduire. Il mit dans Atarneus une forte garnison bien approvisionnée, afin qu’elle pût lui servir de retraite en cas de besoin,-sous un Achæen nommé Drakôn, dont le nom resta longtemps un objet de terreur à cause de ses ravages dans la plaine voisine de la Mysia[85]. Derkyllidas se rendit ensuite à Ephesos, où bientôt lui arriva l’ordre des éphores lui enjoignant de s’avancer en Karia et d’attaquer Tissaphernês (396 av. J.-C.). On renonça alors d’un consentement mutuel à la trêve, qui avait jusque-là tenu provisoirement loin des Grecs asiatiques les collecteurs d’impôt persans. Ces Grecs avaient envoyé à Sparte des députés assurer aux éphores que Tissaphernês serait forcé de renoncer formellement aux droits souverains de la Perse, et de leur accorder une autonomie complète, si l’on attaquait vigoureusement sa résidence en Karia. En conséquence, Derkyllidas se dirigea vers le sud, franchit le Mæandros et arriva en Karia, tandis que la flotte lacédæmonienne sous Pharax coopérait le long du rivage. En même temps, Tissaphernês, de son côté, avait reçu de Suse des renforts, avec le titre de généralissime de toutes les forces persanes en Asie Mineure ; alors Pharnabazos — qui était allé à la cour dans l’intervalle pour concerter des moyens plus vigoureux de poursuivre la guerre, mais qui était revenu actuellement[86] —, le rejoignit en Karia, prêt à commencer des opérations avec vigueur, afin de chasser Derkyllidas et son armée. Après avoir mis des garnisons convenables dans les places fortes, les deux satrapes passèrent le Mæandros à la tête d’une puissante armée grecque et karienne, avec une nombreuse cavalerie persane, pour attaquer les cités ioniennes. Aussitôt qu’il eut appris cette nouvelle, Derkyllidas revint de Karia avec son armée pour couvrir les villes menacées. Il avait repassé le Mæandros, et marchait avec son armée en désordre, sales soupçonner que l’ennemi fût prés, quand soudain il arriva sur leurs éclaireurs, établis sur quelques monuments sépulcraux dans la route. Lui aussi envoya jusqu’aux tours et aux monuments voisins des éclaireurs qui lui apprirent que les deux satrapes, avec leurs forces réunies en bon ordre, y étaient postés pour l’intercepter. Immédiatement il donna à ses hoplites l’ordre de se ranger sur huit de profondeur, avec les peltastes et la poignée de cavaliers sur chaque flanc. Mais l’alarme causée par cette surprise parmi ses troupes fut telle, qu’on ne put compter sur personne, si ce n’est sur les soldats de Cyrus et sur les Péloponnésiens. Des hoplites insulaires et ioniens, de Priênê et d’autres villes, quelques-uns allèrent jusqu’à cacher leurs armes dans le blé épais sur pied, et s’enfuirent ; d’autres, qui prirent leurs places dans la ligne, manifestèrent des dispositions qui laissèrent peu d’espoir qu’ils soutiendraient une charge ; de sorte que les Perses eurent l’occasion de livrer une bataille non seulement avec la supériorité du nombre, mais encore avec l’avantage de la position et des circonstances. Pharnabazos désirait attaquer sans retard. Mais Tissaphernês, qui se rappelait bien la bravoure des troupes de Cyrus, et concluait que tous les autres Grecs leur ressemblaient, le défendit ; et il envoya des hérauts demander une conférence. Comme ils approchaient, Derkyllidas, s’entourant d’une garde du corps composée des soldats les plus beaux et les mieux équipés[87], s’avança au-devant d’eux sur le front de la ligne, et il leur dit que, pour sa part, il était prêt à combattre, mais, puisqu’on demandait une conférence, il me voyait pas de difficulté à l’accorder, pourvu qu’on échangeât des otages. Ce point ayant été consenti, et un lieu désigné pour la conférence le lendemain, les deux armées furent retirées simultanément ; les Perses à Trallês, les Grecs à Leukophrys, célèbre par son temple d’Artemis Leukophryne[88]. Cette timidité de lai part de Tissaphernês, même à un moment où il était encouragé par un satrape son collègue plus brave que lui, fit perdre aux Perses une occasion très favorable, et tira l’armée grecque d’une position fort périlleuse. Elle sert à nous expliquer comment les soldats de Cyrus échappèrent, et la manière dont ils purent traverser des fleuves et franchir les terrains les plus. difficiles sans aucune opposition sérieuse ; tandis qu’en même temps elle contribua à confirmer dans l’esprit des Grecs les impressions quant à la stupidité des Perses que cette évasion avait si fortement produites. La conférence, comme on pouvait s’y attendre, n’aboutit à rien. Derkyllidas réclama en faveur des Grecs asiatiques une autonomie complète, — l’exemption de l’intervention et du tribut persans tandis que les deux satrapes, de leur coté, demandèrent instamment que l’on retirât de l’Asie l’armée lacédæmonienne, et de toutes les cités gréco-asiatiques les harmostes lacédæmoniens. On conclut un armistice, afin de donner le temps d’en référer aux autorités à ; Sparte et à Suse, et l’on remit, ainsi les choses dans, l’état où elles avaient été au commencement de la ; guerre[89]. Peu après la conclusion de cette trêve, Agésilas, roi de Sparte, arriva avec des forces considérables, et : la guerre sous tous les rapports commença à prendre de plus grandes proportions, — il en sera parlé avec détail dans le chapitre suivant. Mais ce n’était pas en Asie seulement que Sparte avait été engagée dans une guerre. Le renversement du pouvoir athénien avait enlevé ce lien commun de haine et d’alarme qui rattachait les alliés à son empire ; tandis que sa conduite subséquente avait fait positivement ombrage, et avait même excité contre elle la même crainte d’une ambition souveraine illimitée qui auparavant s’était élevée si puissamment contre Athènes. Elle s’était appropriée presque tout l’empire maritime athénien, avec un tribut d’un montant à peine inférieur, si même il l’était. Jusqu’à quel point le total de mille talents fut —il effectivement réalisé pendant chaque année successive, c’est ce que nous ne sommes pas en état de dire ; mais telle fut la taxe fixée, et tel le plan établi par Sparte pour ses dépendances maritimes, — imposés encore par des instruments omniprésents d’oppression et de rapacité, décemvirs et harmostes, tels qu’Athènes n’en avait jamais produit de pareils. Si nous ajoutons à ce grand empire maritime le prodigieux ascendant sur terre dont Sparte avait joui auparavant, nous trouverons un total de pouvoir matériel bien supérieur à celui qu’avait possédé Athènes, même à l’époque de sa plus grande élévation, avant la trêve de 445 avant J.-C. Ce n’était pas tout. La pesanteur naturelle de caractère particulière aux citoyens spartiates empêchait que les ressources de l’État fussent jamais complètement déployées. Les lenteurs habituelles de Sparte au moment de l’action sont vivement critiquées par ses propres amis, en opposition avec l’ardeur et la fougue qui animaient ses ennemis. Mais la bataille d’Ægospotami, et, après elle, l’administration entière des affaires étrangères spartiates se trouva entre les mains de Lysandros, homme non seulement exempt de l’inertie habituelle à ses compatriotes, mais doué de l’activité la plus infatigable et de l’ambition la plus avide, aussi bien pour son pays que pour lui-même. Sous sa direction, les immenses avantages que Sparte devait à sa nouvelle position furent à la fois systématisés et mis à. profit de la manière la plus complète. Or il y avait assez dans le nouvel ascendant de Sparte, quelque usage modeste qu’on en fît, pour répandre l’appréhension dans le monde grec. Mais l’appréhension redoubla quand on vit que son ascendant était organisé par son chef le plus agressif, qui vraisemblablement l’appliquerait aux vues d’une ambition insatiable. Heureusement pour le monde grec, il est vrai, la puissance de Sparte rie continua pas longtemps à être ainsi entre les mains de Lysandros, auquel son arrogance et sa présomption créèrent des ennemis a l’intérieur. Cependant les premières impressions reçues par les alliés relativement à l’empire spartiate naquirent de sa conduite et de ses plans de domination, manifestés avec une fastueuse insolence ; et ces impressions durèrent même après que l’influence de Lysandros lui-même eut été affaiblie par la rivalité de Pausanias et d’autres qui la contre-minaient. Tandis que Sparte séparément avait ainsi tant gagné à la fin de la guerre, aucun de ses alliés n’avait reçu la plus petite rémunération ni la plus faible compensation, si ce n’est celle que l’on pouvait considérer comme comprise dans la destruction d’un ennemi formidable. Même le résultat ou reliquat pécuniaire que Lysandros avait rapporté à Sparte (470 talents restant des avances faites par Cyrus), avec le butin acquis à Dekeleia, avait été entièrement gardé par les Lacédæmoniens eux-mêmes. Thèbes et Corinthe, il est vrai, firent des réclamations, auxquelles les autres alliés ne se joignirent pas (ou probablement n’osèrent pas le faire), afin d’être autorisés à avoir part è, cette somme. Mais, bien que tous les efforts et tous les maux de la guerre eussent pesé sur ces alliés autant que sur Sparte, les réclamations furent refusées, et presque ressenties comme des outrages[90]. Cette conduite inspira aux alliés non seulement de la crainte pour la domination avide de Sparte, mais de la haine pour sa rapacité et sa tendance à accaparer. Ce nouveau sentiment se manifesta d’abord, d’une manière à la fois évidente et importante, dans la démarche des Thêbains et des Corinthiens, quand ils refusèrent de rejoindre Pausanias en marche contre Thrasyboulos et les exilés athéniens de Peiræeus[91], — moins d’un an après la reddition d’Athènes, l’ennemie que ces deux villes avaient haïe avec tant d’amertume jusqu’au moment même de la reddition. Même les Arkadiens et les Achæens aussi, obéissant habituellement aux ordres de Lacédæmone, ressentirent vivement la manière différente dont elle les traitait, par comparaison aux années précédentes de la guerre, quand elle avait été forcée d’entretenir leur zèle contre l’ennemi commun[92]. Toutefois les Lacédæmoniens furent assez forts non seulement pour mépriser l’éloignement croissant de leurs alliés, mais même pour se venger de ceux des Péloponnésiens qui avaient encouru leur déplaisir (402 av. J.-C.). Parmi ces derniers, on remarquait les Eleiens, actuellement sous un gouvernement appelé démocratique, dont le principal personnage était Thrasydæos, — homme qui avait prêté une aide considérable, en 404 avant J.-C., à Thrasyboulos et aux exilés athéniens de Peiræeus. Les Éleiens, en l’an 420 avant J.-C., avaient été engagés dans une lutte avec les Spartiates, — ils avaient fait usage de leurs privilèges comme administrateurs de la fête Olympique pour les empêcher d’y assister en cette occasion, — et avaient ensuite pris les armes contre eux avec Argos et Mantineia. A ces motifs de querelle, à ce moment d’une date un peu ancienne, s’étaient ajoutés plus tard un refus de fournir du secours dans la guerre contre Athènes depuis la reprise des hostilités, en 414 avant J.-C., et une exclusion récente du roi Agis, qui était venu en personne pour offrir un sacrifice et consulter l’oracle de Zeus Olympios, cette exclusion étant fondée sur le fait qu’il se disposait à demander la victoire dans la guerre alors pendante contre Athènes, contrairement à l’ancienne règle du temple olympique, qui n’admettait ni sacrifiée ni consultation relativement aux hostilités de Grec contre Grec[93]. Ces actes furent considérés par Sparte comme des affronts, et le moment était alors favorable pour s’en venger, aussi bien que pour châtier et humilier Elis[94]. En conséquence, Sparte envoya une ambassade demandant aux Eleiens ne tenir compte des arrérages non payés de la quote-part imposée sur eux pour les frais de la guerre contre Athènes, et de plus (le renoncer à leur autorité sur leurs municipes ou Periœki dépendants, en laissant ces derniers autonomes[95]. Il y avait plusieurs de ces dépendances dans la région appelée Triphylia, au sud de l’Alpheios et au nord de la Neda, sans qu’aucune fût très considérable individuellement. L’une d’elles était Lepreon, dont les Lacédæmoniens avaient défendu l’autonomie contre Elis, en 420 avant J.-C. bien que, durant la période subséquente, elle fût redevenue sujette. Les Eleiens refusèrent de faire droit à la demande envoyée ainsi, alléguant qu’ils possédaient leurs cités dépendantes par droit de conquête (402 av. J.-C.). Ils renvoyèrent même aux Lacédæmoniens l’accusation d’asservir les Grecs[96] ; alors Agis se mit en marche avec une armée pour envahir leur territoire, où il entra du côté nord, au point où il touchait à l’Achaïa. A peine eut-il franchi le fleuve frontière. Larissos et commencé ses ravages, qu’un tremblement de terre se fit sentir. Un tel événement, habituellement expliqué en Grèce comme un avertissement divin, agit en cette occasion si fortement sur la sensibilité religieuse d’Agis, que non seulement il se retira du territoire éleien, mais qu’il licencia son armée. Sa retraite augmenta tellement le courage des Éleiens qu’ils envoyèrent des députés pour essayer d’établir des alliances avec celles des villes qu’ils savaient mal disposées pour Sparte. Toutefois, ni Thêbes ni Corinthe ne purent même être amenées à les aider, et ils n’obtinrent aucun autre secours, si ce n’est mille hommes d’Ætolia. L’été suivant (401 av. J.-C.), Agis entreprit une seconde expédition, accompagnée en cette occasion par tous les alliés de Sparte, même par les Athéniens inscrits à ce moment sur la liste. Thêbes et Corinthe seules restèrent à l’écart. Est cette occasion il approcha par le côté opposé ou méridional, celui du territoire appelé jadis Messênia, en passant par Aulôn, et en franchissant la Neda. Il traversa la Triphylia jusqu’à l’Alpheios, qu’il traversa, et il se rendit ensuite à Olympia, où il accomplit le sacrifice dont les Éleiens l’avaient exclu auparavant. Dans sa marche, il fut rejoint par les habitants de Lepreon, de Makistos et d’autres villes dépendantes, qui rejetèrent alors le joug de l’Elis. Ainsi renforcé, Agis marcha droit vers la ville d’Élis, à travers une contrée productive par suite d’une culture florissante, enrichie par la foule des visiteurs et par les sacrifices offerts au temple Olympique voisin, et non assaillie pendant une longue période. Après avoir attaqué, non pas très vigoureusement, la ville à demi fortifiée, — et avoir été repoussé par les auxiliaires Ætoliens, — il marcha droit au, port appelé Kyllênê, pillant toujours le territoire. Si abondant était le fonds d’esclaves, de bétail et d’opulence rurale généralement, que ses troupes non seulement s’enrichirent par le pillage, mais qu’elles furent aussi rejointes par une foule de volontaires arkadiens et achæens, qui affluèrent pour avoir leur part dans la riche moisson[97]. L’opposition, ou parti oligarchique opulent en Elis, profita de cette conjoncture pour prendre les armes contre le gouvernement ; elle espérait se rendre maîtresse de la cité et se maintenir au pouvoir avec l’aide de Sparte. Xenias, son chef, homme d’une immense fortune, et plusieurs de ses adhérents, sortirent en armes et attaquèrent le palais du gouvernement, où il parait que Thrasydæos et ses collègues avaient fait un festin. Ils tuèrent plusieurs personnes, et entre autres une, qu’à cause d’une grande ressemblance personnelle ils prirent, par erreur, pour Thrasydæos. Toutefois à ce moment ce dernier était enivré et endormi dans une chambre séparée[98]. Ils s’assemblèrent ensuite sur la place du marché, se croyant maîtres de la ville ; tandis que le peuple, sous la même impression que Thrasydæos était mort, était trop effrayé pour faire de la résistance. Mais bientôt on apprit qu’il vivait encore : le peuple afflua au palais du gouvernement « comme un essaim d’abeilles[99], et se rangea pour le protéger aussi bien que pour se mettre sous sa direction. Il les conduisit immédiatement au combat, défit complètement les insurgés oligarchiques et les força de fuir pour chercher protection dans l’armée lacédæmonienne. Agis évacua bientôt le territoire éleien (400 av. J.-C.), non toutefois sans établir un harmoste lacédæmonien et une garnison lacé1emonienne, avec Xenias et les exilés oligarchiques, à Epitalion, à quelque distance au sud de l’Alpheios. Occupant ce fort (analogue à Dekeleia en Attique), ils portèrent tout alentour le ravage et la ruine pendant tout l’automne et tout l’hiver, à un degré tel, qu’au commencement du printemps Thrasydæos et le gouvernement éleien furent forcés d’envoyer à Sparte solliciter la paix. Ils consentirent à raser les fortifications imparfaites de leur ville, de manière à la laisser tout à fait ouverte. En outre, ils livrèrent leur port de Kyllênê avec leurs vaisseaux de guerre, et renoncèrent à toute autorité sur les municipes triphyliens aussi bien que sur Lasion, qui était réclamé comme ville arkadienne[100]. Bien qu’ils insistassent avec énergie sur leur prétention de conserver la ville d’Epeion (entre la ville arkadienne d’Heræa et la ville triphylienne de Makistos), alléguant qu’ils l’avaient achetée de ses anciens habitants au prix de trente talents une fois payés, — les Lacédæmoniens déclarèrent que c’était un marché obligatoire imposé de force à de plus faibles, et refusèrent de le reconnaître. La ville leur fut enlevée, vraisemblablement sans remboursement de la somme d’achat soit en partie, soit totalement. A ces conditions, les Éleiens furent admis à recevoir la paix, et inscrits de nouveau parmi les membres de la confédération lacédæmonienne[101]. Il semble que le temps de la fête Olympique approchait alors, et les Éleiens étaient probablement d’autant plus désireux d’obtenir la paix de Sparte, qu’ils craignaient d’être privés de leur privilège comme surveillants. Les Pisans, qui habitaient le district immédiatement autour d’Olympia, profitèrent de l’invasion spartiate en Elis pour demander le rétablissement de leur privilège primitif, comme administrateurs du temple de. Zeus à Olympia avec sa grande solennité périodique, — dont on déposséderait les Eleiens comme usurpateurs de ce privilège. Mais cette requête n’eut pas de succès. Il était vrai que ce droit avait appartenu aux Pisans, dans les anciens temps, avant que la fête Olympique eût acquis son importance et sa grandeur panhelléniques actuelles, et que les Eleiens ne se l’étaient approprié qu’après avoir conquis le territoire de Pise. Mais à prendre la fête telle qu’elle était alors, les Pisans, vrais villageois sans aucune cité considérable, étaient incapables de faire ce qu’elle exigeait, et en auraient ravalé la dignité aux yeux de toute la Grèce. En conséquence, les Lacédæmoniens, pour cette raison, repoussèrent leur réclamation et laissèrent la surveillance des jeux Olympiques encore entre les mains des Éleiens[102]. Les Lacédæmoniens, en dictant d’une manière aussi triomphante des conditions à l’Elis, se trouvèrent dans un état d’ascendant dominant dans tout le Péloponnèse, tel qu’ils n’en avaient jamais auparavant occupé de pareil. Pour compléter leur victoire, ils enlevèrent tout ce qui restait de leurs anciens ennemis les Messêniens, dont quelques-uns avaient été établis par les Athéniens à Naupaktos ; d’autres dans l’île de Kephallenia. Tous les membres de cette race persécutée furent alors chassés, à l’heure de la toute-puissance lacédæmonienne, du voisinage du Péloponnèse, et forcés de chercher asile, quelques-uns en Sicile, d’autres à Kyrênê[103]. Nous aurons, dans un chapitre futur, à rappeler le changement de fortune en leur faveur. |
[1] Xénophon, Helléniques, II, 3, 1.
[2] Plutarque, Lysandros, c. 5.
[3] Xénophon, Helléniques, II, 2, 6.
[4] Ces conseils de Dix, organisés par Lysandros, sont appelés parfois Dékarchies, — parfois Dékadarchies. Je me sers du premier mot de préférence, vu que le mot Dékadarchies est aussi employé par Xénophon dans un sens autre et très différent, — comme signifiant un officier qui commande une Dékade.
[5] Plutarque, Lysandros, c. 13. Cf. Xénophon, Helléniques, II, 2, 2-5 ; Diodore, XIII, 3, 10, 13.
[6] Plutarque, Lysandros, c. 13.
Au sujet du massacre à Thasos, voir Cornélius Nepos, Lysandros, c. 2 ; Polyen, I, 45, 4. Cf. Plutarque, Lysandros, c. 19 ; et voir tome XII, ch. 1 de cette Histoire.
[7] Diodore, XIV, 10. Cf. Isocrate, Or. IV (Panegyr.), s. 151 ; Xénophon, Helléniques, IV, 8, 1.
[8] Plutarque, Lysandros, c. 13.
[9] Xénophon, Helléniques, II, 3, 13.
[10] Xénophon, Helléniques, II, 3, 14.
[11] Xénophon, Helléniques, II, 3, 21.
[12] Xénophon, Helléniques, II, 4, 1.
[13] Xénophon, Helléniques, II, 3, 24-32.
[14] Isocrate, Orat. IV (Panegyr.), s. 127-132 (c. 32).
Il a parlé avec quelque longueur, et en termes de dénonciation énergique, contre les énormités de ces Dékarchies. Voir ce qu’il dit en terminant.
V. aussi, du même auteur, Isocrate, Orat. V (Philipp.), s. 110 ; Orat. VIII (De Pace, s. 119-126 ; Orat. XII (Panath.), s. 58, 60, 106.
[15] Nous pouvons conclure que si Xénophon avait appris quelque chose de la sorte relativement à Kritias, il n’aurait guère hésité à, le mentionner ; quand nous lisons ce qu’il dit (Mémorables, I, 2, 29). Cf. un curieux passage au sujet de Kritias dans Dion Chrysostome, Or. XXI, p. 270.
[16] Plutarque, Lysandros, c. 19 et Pausanias, VII, 10, 1 ; IX, 32, 6.
[17] Plutarque, Agésilas, c. 7.
[18] V. le discours des envoyés thêbains à Athènes, environ huit ans avant la reddition d’Athènes (Xénophon, Helléniques, III, 5, 13). Plutarque, Lysandros, c. 191.
[19] Xénophon, Helléniques, II, 3, 13. Plutarque, Lysandros, c. 15.
Les Trente semblent avoir dépassé Lysandros lui-même. Un jeune Athénien de marque, distingué comme vainqueur dans le pankration, Autolykos, — ayant été insulté par Kallibios, s’en vengea, lui donna un croc en jambe, et le jeta par terre. Lysandros, auquel on en appela, justifia Autolykos, et blâma Kallibios, lui disant qu’il ne connaissait pas la manière de gouverner des hommes libres. Toutefois, dans la suite, les Trente mirent Autolykos à mort, comme moyen de faire leur cour à Kallibios (Plutarque, Lysandros, c. 15). Pausanias mentionne Eteonikos (non Kallibios) comme étant la personne qui frappa Autolykos, mais il attribue la même décision à Lysandros (IX, 32, 3).
[20] Plutarque, Amator. Narrat., p. 773 ; Plutarque, Pélopidas, c. 20. Dans Diodore (XV, 51) et dans Pausanias (IX, 13, 2), il est dit que les jeunes filles outragées ainsi se tuèrent. Cf. une autre histoire dans Xénophon, Helléniques, V, 4, 56, 57.
[21] Plutarque, Lysandros, c. 19.
[22] Telle semble avoir été l’impression non seulement des ennemis de Sparte, mais des autorités spartiates. Cf. deux passages remarquables de Thucydide, I, 77, et I, 95.
Après qu’ils eurent rappelé de l’Hellespont le régent Pausanias et Dorkis (en 477 av. J.-C.), les Lacédœmoniens refusent d’envoyer un successeur (I, 95).
Cf. Plutarque, Apophtheg. Laconic., p. 220 F.
[23] Thucydide, I, 69.
Dans le même dessein le second discours des ambassadeurs corinthiens à Sparte, c. 122-124.
[24] Thucydide, I, 139. Cf. Isocrate, Or. IV, Panegyr., c. 34, s. 140 ; Or. V (Philipp.) s. 121. Or. XIV (Plataic.), s. 43.
[25] Thucydide, II, 72.
Lire aussi le discours de l’orateur thêbain, en réponse au Platæen, après la prise de la ville par les Lacédæmoniens (III, 63).
[26] Thucydide, II, 8. V. aussi III, 13, 14, — le discours adressé aux Lacédœmoniens par les députés de Mitylênê révoltée.
On annonce que l’amiral lacédæmonien Alkidas avec sa flotte traverse la mer Ægée pour se rendre en Iônia dans le dessein de délivrer la Grèce ; aussi les exilés samiens lui reprochent-ils de tuer ses prisonniers, comme étant en contradiction avec cet objet (III, 32).
[27] Thucydide, IV, 85.
[28] Thucydide, IV, 80.
[29] Thucydide, IV, 87. Cf. Isocrate, Or. IV (Panegyr.), s. 140, 141.
[30] Sentiments des Lacédæmoniens pendant l’hiver qui suivit immédiatement la grande catastrophe syracusaine (Thucydide, VIII, 2).
[31] Cf. Thucydide, VIII, 43, 3 ; VIII, 46, 3.
[32] Cela est présenté d’une manière expressive dans un fragment de, Théopompe conservé par Theodorus Metochita, et imprimé à la fin de la collection des Fragments de Théopompe l’historien, et par Wichers, et par M. Didot. Toutefois ces deux éditeurs ne l’insèrent que comme Fragmentum Spurium, sur l’autorité de Plutarque (Lysandros, c. 13), qui cite le même sentiment d’après l’auteur comique Théopompe. Mais le passage de Theodorus Metochita présente les mots exprès Θεόπομπος ό ίστορικός. Nous avons donc son affirmation distincte contre celle de Plutarque, et la question est de savoir lequel des deux nous devons croire. En ce qui regarde le sens du fragment, je serais disposé à le rapporter à l’historien Théopompe. Mais l’autorité de Plutarque est plus ancienne et meilleure que celle de Theodorus Metochita ; de plus, les traces apparentes de scenarii comiques ont été reconnues dans le fragment par Meineke (Fragm. Com. Græc., II, p. 819). Le fragment est présenté ainsi par Theodorus Metochita (Fragm. Théopompe, 344, éd. Didot).
Plutarque, en attribuant le renseignement à l’auteur comique Théopompe, affirme qu’il dit une niaiserie quand il avance que l’empire lacédæmonien commença par tare doux et agréable, et qu’ensuite il fut corrompu et tourna en amertume et en oppression, tandis que dans le fait, il fut amertume et oppression dès le commencement même.
Or si nous lisons la citation de Theodorus donnée plus haut, nous verrons que Théopompe n’a pas fait cette assertion que Plutarque contredit comme niaise et fausse.
Ce que disait Théopompe, c’était que d’abord les Lacédæmoniens, pendant la guerre contre Lithines, séduisirent les Grecs par une boisson très délicieuse et par un programme et une proclamation de liberté en les arrachant au joug d’Athènes — et qu’ensuite ils ont versé les mixtures les plus amères et les plus répugnantes de dure oppression et de cruelle tyrannie, etc.
La boisson douce consiste, suivant l’assertion de Théopompe, — non pas, comme le suppose Plutarque, dans le premier goût de l’empire lacédæmonien réel après la guerre, mais dans les séduisantes promesses- de liberté faites par lui aux alliés pendant la guerre. L’accusation de έσικε ληρεϊν portée par Plutarque n’a donc pas de fondement. J’ai écrit δελεάσαντος au lieu de δελεάσοντας, qui est dans le fragment de Didot, parce qu’il m’a semblé que cette correction était nécessaire pour expliquer le passage.
[33] Isocrate, Or. IV (Panegyr.), s. 145 ; Or. VIII (de Pace), s, 122 ; Diodore, XIV, 10-41 ; XV, 23. Cf. Hérodote, V, 92 ; Thucydide, I, 18 ; Isocrate, Or. IV (Panegyr.), s. 144.
[34] Isocrate, Panathen., s. 61.
Je ne me crois pas obligé de prouver l’exactitude de la chronologie d’Isocrate. Mais ici nous pouvons faire remarquer que son à peine dix années est une expression qui, bien qu’elle soit au-dessous de la vérité de quelques mois, si nous pouvons prendre la bataille d’Ægospotami comme le commencement, se rapproche beaucoup de la réalité, si nous prenons comme le commencement la reddition d’Athènes, jusqu’à la bataille de Knidos.
[35] Pausanias, VIII, 52, 2 ; IX, 6, 1.
[36] Diodore, XIV, 84 ; Isocrate, Orat. VIII, (de Pace), s. 121.
[37] Xénophon, Helléniques, III, 4, 2. Lysandros accompagna le roi Agésilas (quand ce dernier se rendait à son commandement asiatique en 396 av. J.-C.). Ce qui prouve la négligence de la composition des Hellenica de Xénophon, ou peut être sa répugnance à présenter les points déshonorants du gouvernement lacédæmonien, c’est que c’est la première fois qu’il mentionne (et cela encore indirectement) les Dékarchies, neuf ans après qu’elles avaient été établies pour la première fois par Lysandros.
[38] Cf. les deux passages des Hellenica de Xénophon, III, 4, 7 ; III, 5, 13.
Mais nous savons par le passage subséquent que quelques-unes de ces dékarchies durèrent encore. Voir ce que les ambassadeurs thêbains dirent à l’assemblée publique à Athènes, relativement aux Spartiates — où les Décemvirs sont mentionnés comme existant encore en 395 av. J.-C. V. aussi Xénophon, Agésilas, 1, 37.
[39] Xénophon, Helléniques, III, 5, 15.
[40] Xénophon, Anabase, VI, 6, 12.
[41] Xénophon, Helléniques, III, 1, 5.
[42] Thucydide, I, 68-120.
[43] Thucydide, III, 9 ; IV, 59-85 ; VI, 76.
[44] V. le remarquable discours de Phrynichos dans Thucydide VIII, 48, 5, auquel je m’en suis référé auparavant.
[45] Xénophon, Helléniques, II, 3, 14. Cf. le cas analogue de Thèbes, après que les Lacédæmoniens se fuient rendus maîtres de la Kadmeia (V, 2, 34-35).
[46] Telle est la justification présentée par l’ambassadeur athénien à Sparte, immédiatement avant la guerre du Péloponnèse (Thucydide, I, 75, 76). Et elle est appuyée en général par le récit de Thucydide lui-même (I, 99).
[47] Xénophon, Helléniques, III, 1, 3.
[48] Xénophon, Helléniques, II, 4, 28-30.
[49] Xénophon, Helléniques, III, 4, 2.
[50] Plutarque, Lysandros, c. 19, 20, 21.
Les faits que Plutarque avance relativement à Lysandros ne peuvent se concilier avec la chronologie qu’il adapte. Il représente le rappel de Lysandros à la prière de Pharnabazos, avec tous les faits qui le précédèrent, comme étant survenu avant le rétablissement de la démocratie athénienne, événement qui, comme nous le savons, arriva dans l’été de 403 avant J. C.
Lysandros prit Samos dans la dernière moitié de 404 avant J.-C., après la reddition d’Athènes. Après la prise de Samos, il revint à Sparte en triomphe, dans l’automne de 404 avant J.-C. (Xénophon, Helléniques, III, 3, 9). Il était dans sa patrie, on servait en Attique, au commencement de 403 av. J.-C. (Xénophon, Helléniques, II, 4, 30).
Or, quand Lysandros revint à Sparte à la fin de 404 avant J.-C, c’était sou retour triomphant, ce n’était pas un rappel provoqué par les plaintes de Pharnabazos. Cependant il n’a pu y avoir d’autre retour avant le rétablissement de la démocratie à Athènes.
Le rappel de Lysandros a dû être le terme non de ce commandement, mais d’un commandement subséquent. De plus, il me semble nécessaire, afin de, faire de la place pour les faits avancés relativement c Lysandros aussi bien qu’aux dékarchies, de supposer qu’il fut envoyé de nouveau (après sa querelle avec Pausanias en Attique), en, 403 avant J.-C., commander en Asie. Ce n’est positivement dit nulle part ; mais je ne trouve rien qui le contredise, et je ne vois pas d’autre moyen de faire de la place pour les faits avancés au sujet de Lysandros.
Il est à remarquer que Diodore fait une erreur manifeste de chronologie quant à la date du rétablissement de la démocratie athénienne Il la place — en 401 avant J.-C. (Diodore, XIV, 33), deux ans plus tard que sa date réelle, qui est 403 avant J.-C., allongeant ainsi de deux ans l’intervalle entre, la reddition d’Athènes et le rétablissement de la démocratie. Plutarque aussi semble avoir conçu cet intervalle comme beaucoup plus long qu’il ne le fut en réalité.
[51] Plutarque, Lysandros, c. 25.
[52] Plutarque, Lysandros, c. 2.
[53] Thucydide, VIII, 5, 18-37, 56-58, 84.
[54] Plutarque, Lysandros, c. 19, 20 ; Xénophon, Helléniques, III, 1, 9.
[55] Xénophon, Helléniques, III, 1, 13.
[56] Xénophon, Anabase, I, 1, 8.
[57] Xénophon, Anabase, II, 3, 19 ; II, 4, 8 ; Xénophon, Helléniques, III, 1, 13 ; III, 3, 13.
[58] Diodore, XIV, 35.
[59] Diodore, XIV, 35.
[60] Xénophon, Helléniques, III, 1, 5-8 ; Xénophon, Anabase, VIII, 8, 8-18.
[61] Xénophon, Helléniques, III, 1, 8 ; Diodore, XIV, 38.
[62] Il n’y a pas de témoignage positif à l’appui de ce fait, cependant telle est ma conviction comme je l’ai avancé à la fin du dernier chapitre. Il est certain que Xénophon était au service d’Agésilas en Asie trois ans après ce temps ; la seule chose qui reste à conjecturer est le moment précis auquel il partit la seconde fois. L’amélioration marquée dans les soldats de Cyrus est une raison à l’appui de l’assertion présentée dans le texte ; une autre raison, c’est la manière détaillée dont les opérations militaires de Derkyllidas sont décrites, et qui semble prouver que le récit est fait par un témoin oculaire.
[63] Xénophon, Helléniques, III, 1, 8 ; Éphore, ap. Athenæ, XI, p. 500.
[64] Xénophon, Helléniques, III, 1, 9.
[65] Xénophon, Helléniques, III, 1,10 ; III, 2, 28.
[66] V. la description de la satrapie de Cyrus (Xénophon, Anabase, I, 9, 19, 21, 22). En général, cette division et cette subdivision de tout l’empire en districts fournissant un revenu, chacun tenu par un délégué responsable du payement de la rente ou du tribut, à l’égard du gouvernement ou de quelque officier plus élevé du gouvernement — est le système dominant dans une partie considérable de l’Asie jusqu’au jour actuel.
[67] Xénophon, Helléniques, III, 1, 10.
[68] Xénophon, Helléniques, III, 1, 15.
[69] Hérodote, VIII, 69.
[70] Voici les paroles expressives de Xénophon, (Helléniques, III, 1, 14) : — Meidias, le mari de sa fille, prêta l'oreille aux excitations de gens qui lui remontraient qu'il était honteux pour lui de laisser le pouvoir aux mains d'une femme et de rester lui-même simple particulier. Elle se gardait soigneusement de tout le monde, comme il convient au pouvoir tyrannique, mais elle avait confiance en lui et l'accueillait aimablement comme une femme accueille son gendre ; il en profita pour s'introduire chez elle et l'étrangla, dit-on.
Comme explication de ce défaut habituel de sécurité dans lequel vivait le despote grec, voir le dialogue de Xénophon appelé Hierôn (I, 12 ; II, 8-10 ; VII, 10). Il insiste particulièrement sur la multitude de crimes de famille qui souillaient les maisons des despotes grecs, meurtres commis par des pères, des fils, des frères, des épouses, etc. (III, 8).
[71] Xénophon, Helléniques, III, 1, 13.
[72] Xénophon, Helléniques, III, 1, 18 ; Diodore, XIV, 38.
Le lecteur remarquera ici comment Xénophon arrange le récit de manière à inculquer à un général le pieux devoir d’obéir aux avertissements fournis par le sacrifice, — soit pour l’action, soit pour l’inaction. J’ai déjà mentionné ailleurs combien il le fait souvent dans l’Anabasis.
On ne trouvera jamais, je pense, une pareille conclusion dans Thucydide.
[73] Xénophon, Helléniques, III, I, 20, 23.
[74] Xénophon, Helléniques, III, 1, 26.
Deux points sont remarquables ici : 1° La manière dont Mania, l’administratrice d’un vaste district, avec un trésor prodigieux et une armée considérable à sa solde est considérée, comme appartenant à Pharnabazos, — comme la servante et l’esclave de Pharnabazos. 2° La distinction faite ici entre un bien public et un bien privé, par rapport aux lois de la guerre et aux droits du vainqueur. Derkyllidas réclame ce qui avait appartenu à Mania (ou à Pharnabazos) ; mais non ce qui avait appartenu à Meidias.
Suivant les règles modernes de la loi internationale, cette distinction est admise et respectée partout, excepté sur mer. Mais dans l’ancien monde, elle ne ressortait nullement, d’une manière aussi claire ni aussi saillante, et il est bon de mentionner qu’elle fut observée dans cette circonstance.
[75] Xénophon, Helléniques, III, 1, 28. Ainsi finit l’intéressant récit au sujet de Mania, de Medias et de Derkyllidas. L’abondance des détails et la façon dramatique dont Xénophon l’a développé me font croire qu’il assista réellement à la scène.
[76] Xénophon, Helléniques, III, 2, 1.
Le mot έπιτειχίζειν est capital et significatif, dans la guerre grecque.
[77] Xénophon, Helléniques, III, 2, 2-5.
[78] Xénophon, Helléniques, III, 2, 4.
[79] Xénophon, Helléniques, III, 2, 6, 7.
Morus suppose (avec beaucoup de probabilité, je crois) que ό τών Κυρείων προεστηκώς veut dire ici Xénophon lui-même.
Il ne pouvait pas avec convenance faire allusion au fait que lui-même n’avait pas été à l’armée pendant l’année du commandement de Thimbrôn.
[80] Xénophon, Helléniques, III, 2, 9.
Ce fut à Lampsakos que se passèrent cette entrevue et cette conversation entre Derkyllidas et les commissaires. Ceux-ci durent être envoyés de Lampsakos à Ephesos en passant par les villes grecques.
L’expression έν είρήνη εδδαιμονικώς διαγούσας a trait aux relations étrangères de ces villes et à cette circonstance qu’elles n’étaient pas molestées par les armes persanes — sans impliquer liberté intérieure ni état heureux.
Il y avait des harmostes lacédæmoniens dans la plupart d’entre elles, et des dékarchies à moitié brisées ou modifiées dans beaucoup. V. les passages subséquents (III, 2, 24 ; III, 4, 7, IV, 8, 1).
[81] Cf. Xénophon, Helléniques, IV, 2, 5.
[82] Hérodote, VI, 36 ; Plutarque, Periklês, c. 19 ; Isocrate, Or. V (Philipp.), s. 7.
[83] Xénophon, Helléniques, III, 2, 10 ; IV, 8, 5. Diodore, XIV, 38.
[84] Diodore, XIII, 65.
[85] Xénophon, Helléniques, III, 2, 11 ; Isocrate, Or. IV (Panegyr.), s. 167.
[86] Diodore, XIV, 39.
[87] Xénophon, Helléniques, III, 2, 18.
Dans l’Anabasis (II, 3, 3), Xénophon mentionne le même soin, de la part de Klearchos, d’avoir autour de lui les soldats les mieux armés et les plus imposants, quand il alla à son entrevue avec Tissaphernês.
Xénophon profite avec plaisir de l’occasion pour faire un compliment indirect à l’armée de Cyrus.
[88] Xénophon, Helléniques, III, 2,19 ; Diodore, XIV, 39.
[89] Xénophon, Helléniques, III, 2, 20.
[90] Xénophon, Helléniques, III, 5, 5 ; Plutarque, Lysandros, c. 27 ; Justin, V, 10.
[91] Xénophon, Helléniques, II, 4, 30.
[92] Xénophon, Helléniques, III, 5, 12.
[93] Xénophon, Helléniques, III, 2, 22.
Cette règle semble assez naturelle, pour un des temples et établissements panhelléniques les plus grands. Cependant elle n’était pas constamment observée à Olympie, (Cf. un autre exemple — Xénophon, Helléniques, IV, 7, 2) ; ni encore à Delphes, qui était non moins panhellénique qu’Olympia (V. Thucydide, I, 118). Nous sommes donc amené à supposer que c’était une règle que les Eleiens invoquaient quand ils étaient poussés par quelque sentiment ou quelque éloignement.
[94] Xénophon, Helléniques, III, 2, 23.
[95] Diodore (XIV, 17) mentionne cette demande des arrérages, qui semble très probable. Elle n’est pas signalée directement par Xénophon, qui cependant mentionne (V. le passage de Xénophon, Helléniques, III, 5, 12) l’imposition générale levée par Sparte sur tous ses alliés péloponnésiens pendant la guerre.
[96] Diodore, XIV, 17.
Diodore introduit dans ces affaires comme auteur le roi Pausanias, et non le roi Agis.
Pausanias dit (III, 8, 2) que les Eleiens, en faisant une réponse négative à la demande de Sparte, ajoutèrent qu’ils affranchiraient leurs Periœki, quand ils verraient Sparte affranchir les siens. Cette réponse, me parait extrêmement improbable dans L’état actuel de Sparte et dans ses rapports avec les autres États grecs. Une allusion aux relations entre Sparte et ses Periœki était une nouveauté, même en 371 av. J.-C. au congrès qui précéda la bataille de Leuktra.
[97] Xénophon, Helléniques, III, 2, 25, 26 ; Diodore, XIV, 17.
[98] Xénophon, Helléniques, III, 2,27 ; Pausanias, III, 8, 2 ; V, 4, 5.
Les mots de Xénophon ne sont pas très clairs. Les mots et le récit sont également obscurs. Il semblerait qu’une phrase a disparu, quand nous arrivons soudainement à la mention de l’état d’ivresse de Thrasydæos, sans qu’il ait été parlé auparavant d’aucune circonstance ou amenant ou impliquant cet état.
[99] Xénophon, Helléniques, III, 2, 28.
[100] Xénophon, Helléniques, III, 2, 30. Il y a quelque chose d’embarrassant dans la description que fait Xénophon des municipes triphyliens que les Éleiens livrèrent. D’abord, il ne nomme ni Lepreon ni Makistos, qui tous deux cependant s’étaient joints à Agis dans son invasion, et étaient les places les plus importantes de la Triphylia (III, 2, 25). Ensuite, il nomme Letrini, Amphidoli et Marganeis, comme Triphyliens, et cependant ils étaient au nord de l’Alpheios, et sont ailleurs distingués des municipes triphyliens. J’incline à croire que les mots de son texte, καί τάς Τριφυλίδας πόλεις άφεϊναι doivent être pris comme signifiant Lepreon et Makistos, peut-être avec quelques autres endroits que nous ne connaissons pas ; mais qu’un καί après άφεϊναι a disparu du texte, et que les cités dont les noms suivent doivent être regardées comme non triphyliennes. Phrixa et Epitalion étaient toutes deux au sud, nais seulement juste au sud, de l’Alpheios ; elles étaient sur les frontières de la Triphylia — et il semble douteux qu’elles fussent à proprement parler triphyliennes.
[101] Xénophon, Helléniques, III, 2, 30 ; Diodore, XIV, 34 ; Pausanias, III, 8, 2.
Cette guerre entre Sparte et Élis s’étend sur trois années différentes : elle commença dans la première, occupa toute la seconde et se termina flans la troisième. Quelles furent ces trois années (sur les sept qui séparent 403 de 396 av. J.-C.), c’est là un point sur lequel les critiques n’ont pas été unanimes.
En suivant la chronologie de Diodore, qui place le commencement de l’année en 402 av. J.-C., je diffère de M. Clinton, qui le place en 401 av. J.-C. (Fasti Hellenica, ad ann.), et de Sievers (Geschichte von Griechenland bis zur Schlatht von Mantinea, p. 382), qui le place en 398 av. J.-C.
Selon lidée de M. Clinton, la principale année de la guerre aurait été 400 av. J.-C., l’année de la fête olympique. Mais assurément, s’il en avait été ainsi, la coïncidence de la guerre dans le pays avec la fête olympique a dû faire naître tant de complications, et agir si puissamment sur les sentiments de tout le monde, qu’il en aurait fait une mention spéciale. A mon avis, la guerre fut terminée dans la première parte de 400 av. J.-C., avant l’arrivée de l’époque de la fête olympique. Probablement les Eleiens désiraient, pour cette raison même, la terminer avant que la fête arrivât.
Sievers, en discutant le point, admet que la date assignée par Diodore à la guerre éleienne cadre tant avec la date que donne Diodore pour la mort d’Agis, qu’avec celle que Plutarque avance au sujet de la durée du règne d’Agésilas — mieux que la chronologie, que lui-même (Sievers) préfère. II fonde sa conclusion sur Xénophon, Helléniques, III, 2, 21.
Ce passage est certainement de quelque poids ; cependant je pense que dans le cas actuel il ne doit pas être pressé avec une exactitude rigoureuse quant à la date. Tout le troisième livre, jusqu’à ces mots mêmes, a été occupé entièrement par le cours des affaires asiatiques. Pas un seul acte accompli par les Lacédæmoniens dans le Péloponnèse, depuis l’amnistie à Athènes, n’a encore été mentionné. Le commandement de Derkyllidas ne comprenait que la dernière partie des exploits asiatiques, et Xénophon s’y est référé vaguement comme s’il renfermait le tout. En outre, Sievers resserre toute la guerre éleienne en une année et une fraction, intervalle plais court, à mon sens, que celui qu’impliquent les assertions de Xénophon.
[102] Xénophon, Helléniques, III, 2, 31.
[103] Diodore, XIV, 34 ; Pausanias, IV, 26, 2.