ONZIÈME VOLUME
L’arrivée de Cyrus, connu communément sous le nom de Cyrus le Jeune, en Asie Mineure, fut un événement de la plus grande importance, qui ouvrit ce qu’on peut appeler la dernière phase de la guerre du Péloponnèse. C’était le plus jeune des deux fils du roi de Perse Darius Nothus et de la cruelle reine Parysatis, et il était à ce moment envoyé par son père, comme satrape de Lydia, de la grande Phrygia et de la Kappadokia ; aussi bien que comme général de toute cette division militaire dont le centre était Kastôlos. Son commandement ne comprenait pas à cette époque les villes grecques sur la côte, qu’on laissa encore à Tissaphernês et à Pharnabazos[1]. Mais néanmoins il apporta avec lui un vif intérêt à la guerre des Grecs, et un sentiment anti-athénien intense, avec le plein pouvoir que lui avait conféré son père de le traduire en acte. Tout ce que voulait ce jeune homme, il le voulait fortement : son activité physique, s’élevant au-dessus de ces tentations de plaisir sensuel qui énervait souvent les grands parmi les Perses, provoquait l’admiration même des Spartiates[2], et son caractère énergique était combiné avec une certaine mesure de talent. Bien qu’il n’eût pas conçu encore le dessein réfléchi de monter sur le trône de Perse, dessein qui absorba plus tard tout son esprit, et qui fut si près de réussir grâce à l’appui des Dix Mille Grecs, — cependant il me semble avoir eu dés le commencement les sentiments et l’ambition d’un roi en perspective, et non ceux d’un satrape. Il venait sachant bien que les Athéniens étaient les puissants ennemis qui avaient humilié l’orgueil des rois persans, tenu les Grecs insulaires loin de la vue d’un vaisseau persan, et même affranchi en pratique les Grecs continentaux sur la côte, — pendant les soixante dernières années. Aussi était-il animé de l’ardent désir d’abattre la puissance athénienne, très différent du perfide jeu de bascule de Tissaphernês, et beaucoup plus formidable même que l’inimitié directe et ardente de. Pharnabazos qui avait moins d’argent, moins de faveur à la cour, et moins de feu juvénile. De plus, Pharnabazos, après avoir sincèrement épousé la cause des Péloponnésiens pendant les trois dernières années, était à ce moment devenu las des alliés qu’il avait eus si longtemps à sa solde. Au lieu de chasser avec peu de peine l’influence athénienne de ses côtes, comme il s’y était attendu, — il voyait son gouvernement ravagé, ses revenus diminués ou absorbés, et une flotte athénienne toute-puissante dans la Propontis et l’Hellespont ; tandis que la flotte péloponnésienne, qu’il avait eu tant de peine à faire venir, était détruite. Décidément las de la cause péloponnésienne, il penchait même pour Athènes ; et il se peut que les ambassadeurs qu’il escortait vers Suse eussent jeté les bases d’un changement de politique persane en Asie Mineure, quand le voyage de Cyrus vers la côte renversa tous ces calculs. Le jeune prince apportait avec lui une antipathie contre Athènes fraîche, vive et jeune, — un pouvoir inférieur seulement à celui du Grand Roi lui-même, — et une détermination énergique d’en user sans réserve pour assurer la victoire aux Péloponnésiens. A partir du moment où Pharnabazos et les députés athéniens rencontrèrent Cyrus, leur marche ultérieure vers Suse, devint impossible. Bœotios et les autres ambassadeurs lacédæmoniens qui- voyageaient avec le jeune prince, se vantèrent avec extravagance d’avoir obtenu tout ce qu’ils demandaient à Suse ; tandis que Cyrus lui-même déclara que ses pouvoirs avaient une étendue illimitée sur toute la côte, tous en vue de poursuivre vigoureusement la guerre de concert avec les Lacédæmoniens. Pharnabazos, en apprenant cette nouvelle, et en voyant le sceau du Grand Roi sur les mots : — J’envoie Cyrus, comme seigneur de tous ceux qui se réunissent à Kastôlos, — non seulement refusa de laisser les députés athéniens s’avancer plus loin, mais même il fut obligé d’obéir aux ordres du jeune prince, qui demanda avec insistance ou qu’ils lui fussent livrés, ou du moins qu’ils fussent retenus pendant quelque temps dans l’intérieur, afin qu’aucune in formation ne fût portée à Athènes. Le satrape repoussa la première de ces requêtes, ayant engagé sa parole pour leur sûreté ; mais il accéda à la seconde, — et il les retint en Kappadokia pendant un espace de temps qui ne dura pas moins de trois ans, jusqu’à ce qu’Athènes fût abattue et sur le point de se rendre ; alors il obtint de Cyrus la permission de les renvoyer à la côte[3]. Cette arrivée de Cyrus (407 av. J.-C.), qui l’emportait sur la perfidie de Tissaphernês aussi bien que sur la lassitude de Pharnabazos, et qui fournissait aux ennemis d’Athènes un double flot d’or persan à un moment où le courant aurait autrement été desséché, — fut un article d’une grande valeur dans cette somme de causes qui concoururent à déterminer le résultat de la guerre[4]. Mais, tout important que fût cet événement en lui-même, il le fut rendu plus encore par le caractère de l’amiral lacédæmonien Lysandros, avec lequel le jeune prince fut pour la première fois en rapport quand il arriva à Sardes. Lysandros était venu pour remplacer Kratesippidas vers décembre 408 avant J.-C., ou janvier 407 avant J.-C.[5] Il fut le dernier (après Brasidas et Gylippos) de ce trio d’éminents Spartiates qui firent a Athènes toutes ses blessures capitales, dans le cours de cette longue guerre. Il était né de parents pauvres, et on dit même qu’il appartenait à cette classe appelée Mothakes, que l’aide, seule des riches mettait à même de fournir sa contribution aux repas publics, et de garder sa place dans la discipline et l’éducation constantes. Non seulement c’était un excellent officier[6], entièrement compétent pour les devoirs du commandement militaire, mais il possédait aussi de grands talents, pour l’intrigue, et pour organiser un parti politique aussi bien que pour entretenir de la discipline dans ses mouvements. Bien qu’indifférent aux tentations d’argent ou de plaisir[7] ; et acceptant volontiers la pauvreté pour laquelle il était né, il était absolument sans scrupule dans la poursuite d’objets ambitieux, soit pour son pays, soit pour lui-même. Sa famille, quoique pauvre, jouissait d’une position élevée à Sparte, elle appartenait à la gens des Hêraklides, sans être rattachée aux rois par aucune parenté ; de plus, sa réputation personnelle comme Spartiate était excellente, vu que son observation des règles de la discipline avait été rigoureuse et exemplaire. Les habitudes de contrainte volontaire acquises ainsi lui furent d’un grand secours quand il devint nécessaire à son ambition rie rechercher la faveur des grands. Son insouciance a l’égard du mensonge et du parjure est expliquée par différents mots courants qu’on lui attribue, — tels que : On doit tromper les enfants avec des dés, et les hommes avec des serments[8]. Lune ambition égoïste, tendant à agrandir la puissance de son pays d’une manière qui non seulement fût en rapport avec son propre pouvoir, mais encore qui le servit, — le guida depuis le commencement jusqu’à la fin de sa carrière. C’est par cette qualité principale qu’il s’accordait avec Alkibiadês : en immoralité indifférente quant aux moyens, il le dépassa même. Il semble avoir été cruel ; attribut qui n’entrait pas dans le caractère habituel d’Alkibiadês. D’autre part, l’amour de jouissance personnelle, de luxe et de faste, qui comptait tant chez Alkibiadês, était entièrement inconnu de Lysandros. La base de son caractère était spartiate, elle tendait à absorber tout, les désirs, l’ostentation et l’expansion d’esprit, dans l’amour du commandement et de l’influence, — et non athénienne, qui tendait au développement de maintes impulsions diversifiées, au nombre desquelles se trouvait l’ambition, sans toutefois être l’unique. Kratesippidas, le prédécesseur de Lysandros, semble avoir joui du commandement maritime pendant un temps plus long que la période annuelle ordinaire ; car il avait remplacé Pasippidas dans le milieu de l’année de ce dernier. Mais la puissance maritime de Sparte était alors si faible (elle ne s’était pas encore relevée de la défaite ruineuse essuyée à Kyzikos), qu’il ne fit que peu de chose ou rien. Nous apprenons à son sujet seulement qu’il appuya, à son profit, une révolution politique à Chios. Gagné par un parti d’exilés de cette île, il prit possession de l’acropolis, les réinstalla dans l’île, et les aida à déposer et à chasser le parti alors en charge, au nombre de six cents. Il est évident que ce n’était pas une question entre la démocratie et l’oligarchie ; mais entre deux partis oligarchiques, dont l’un réussit à acheter le concours factieux de l’amiral spartiate. Les exilés qu’il chassa se rendirent maîtres d’Atarneus, place forte appartenant aux gens de Chios sur le continent en face de Lesbos. De là, ils firent la guerre comme ils le purent, à leurs rivaux maîtres de l’île en ce moment, et aussi à d’autres parties de l’Iônia, non sans quelque succès et quelque profit, comme on le verra par leur condition environ dix ans plus tard[9]. L’usage de rétablir les gouvernements des villes asiatiques, inaugurée ainsi par Kratesippidas, fut étendu et réduit en — système par Lysandros ; non pas à la vérité dans un intérêt privé, qu’il méprisa toujours, mais dans des vues d’ambition. Etant parti du Péloponnèse avec une escadron, il la renforça à Rhodes, et fit ensuite voile plus loin vers Kôs (île athénienne, de sorte qu’il n’a pu qu’y toucher) et vers Milêtos. Il prit sa station définitive à Ephesos, le point le plus rapproché de Sardes, ois l’on, attendait l’arrivée de Cyrus ; et pendant ce temps, il porta sa flotte au nombre de soixante-dix trirèmes. Aussitôt que Cyrus fut arrivé à Sardes (vers avril ou mai 407 av. J.-C.), Lysandros alla lui faire sa cour avec quelques ambassadeurs lacédæmoniens et se vit bien accueilli et honoré de toutes marques de faveur. Se plaignant amèrement du double jeu de Tissaphernês, — qu’ils accusèrent d’avoir rendus inutiles les ordres du roi et sacrifié les intérêts de l’empire, par suite des séductions d’Alkibiadês, — ils supplièrent Cyrus d’adopter une nouvelle politique, et d’exécuter les stipulations du traité en prêtant l’aide la plus vigoureuse pour abattre l’ennemi commun. Cyrus, répondit que tels étaient les ordres formels qu’il avait reçus de son père, et qu’il était prêt à les remplir de tout son pouvoir. Il avait apporté avec lui (disait-il) cinq cents talents, qui seraient aussitôt consacrés à la cause : s’ils ne suffisaient pas, il aurait recours à des fonds particuliers que son père lui avait donnés ; et s’il en fallait plus encore, il ferait monnaie du trône d’or et d’argent sur lequel il était assis[10]. Lysandros et les ambassadeurs répondirent par les remerciements les plus chaleureux à ces magnifiques promesses, qui ne devaient pas être de vaines paroles dans la bouche d’un bouillant jeune homme tel que Cyrus. Les espérances qui ils conçurent de son caractère et de ses sentiments déclarés furent si vives, qu’ils se hasardèrent à lui demander de rétablir le taux de la paye à une drachme attique entière par tête pour les marins : ce qui avait été le taux promis par Tissaphernês au moyen de ses envoyés à Sparte, quand il engagea pour la première fois les Lacédæmoniens à traverser la mer Egée, et quand il était douteux qu’ils vinssent — mais ce qui n’avait été réellement payé que pendant le premier mois, et avait ensuite été réduit à une demi-drachme fournie en pratique avec une irrégularité misérable. Comme motif à l’appui de cette demande d’augmentation de paye, on assurait Cyrus qu’il déciderait les marins athéniens à déserter en si grand nombre, que la guerre se terminerait bientôt, et naturellement la dépense aussi. Mais Cyrus refusa d’accéder à cette requête, en disant que le taux de la paye avait été fixé tant par les ordres exprès du roi que par les termes du traité, et qu’il ne pouvait s’en écarter[11]. Lysandros fut forcé d’acquiescer à cette réponse. Les Ambassadeurs furent traités avec distinction et revus à un banquet ; puis Cyrus, buvant à la santé de Lysandros, le pria de déclarer quelle faveur il pourrait lui accorder qui lui plairait le plus. — C’est de donner une obole de plus par tête pour la paye de chaque marin, répliqua Lysandros. Cyrus, y consentit immédiatement, s’étant engagé personnellement par sa manière de poser la question. Mais, la réponse le frappa d’étonnement et d’admiration ; car il s’était attendu qu’il demanderait une faveur ou un présent pour lui-même, — il le jugeait non seulement suivant l’analogie de la plupart des Perses, mais encore d’Astyochos, et des officiers de l’armement péloponnésiens à Milêtos, dont on lui avait probablement fait connaître les services intéressés rendus à Tissaphernês. Comparée avec une telle corruption, et avec la méprisable insouciance de Theramenês (le Spartiate) relativement à la condition des marins[12], la conduite de Lysandros formait un contraste marqué et honorable. L’incident décrit ici non seulement procura aux marins de la flotte péloponnésienne la paye journalière de quatre oboles (au lieu de trois) par homme, mais encore assura à. Lysandros lui-même auprès de Cyrus un degré de confiance et d’estime dont il sut bien profiter. J’ai déjà fait remarquer[13], par rapport à Periklês et à Nikias, qu’une réputation d’incorruptibilité personnelle, bien établie, rare comme, l’était cette qualité chez les principaux politiques grecs, comptait parmi les articles les plus précieux dans le capital d’un ambitieux — même a ne la considérer que par rapport à la conservation de sa propre influence. Si la preuve d’un pareil désintéressement avait tant de prix aux yeux du peuple athénien, elle agit plus puissamment encore sur l’esprit de Cyrus. Pour ses idées de Perse et de prince qui lui conseillaient de gagner des partisans par la munificence[14], un homme qui méprisait les présents était un phénomène commandant le plus haut sentiment d’étonnement et de respect. Désormais, non seulement il eut dans Lysandros une confiance aveugle quant à l’argent, mais il le consulta quant à la manière de poursuivre la guerre, et même il condescendit à seconder son ambition personnelle au détriment de cet objet[15]. A son retour de Sardes à Ephesos, après ce succès sans pareil dans son entrevue avec Cyrus, Lysandros fut en état non seulement de tenir compte à sa flotte de tous les arrérages actuellement dus, mais encore de lui payer un mois d’avance, au taux plus élevé de quatre oboles par homme, et -de promettre cette haute paye pour l’avenir. L’esprit de la satisfaction et de la confiance les plus grandes se répandit dans tout l’armement. Mais les vaisseaux étaient dans un état médiocre, ayant été armés à la hâte et avec parcimonie depuis la dernière défaite à Kyzikos. En conséquence, Lysandros employa sols influence actuelle à les mettre en meilleur ordre, à leur procurer un attirail plus complet, et à appeler des équipages d’élite[16]. Il fit une autre démarche grosse de résultats importants. Il appela à Ephesos quelques-uns des principaux personnages les plus actifs de chacune des villes asiatiques, et il les organisa en sociétés ou factions disciplinées, correspondant avec lui-même. Il poussa ces associations à poursuivre la guerre contre Athènes avec le plus de vigueur possible, et il leur promit qu’aussitôt après la fin de la guerre, elles seraient revêtues du gouvernement de leurs villes respectives et maintenues dans ce pouvoir par l’influence spartiate[17]. Son crédit nouvellement établi auprès de Cyrus et les ressources abondantes dont il était maître actuellement, ajoutèrent une double force à une invitation qui n’était que trop- séduisante en elle-même. Et ainsi, tout en inspirant une nouvelle ardeur qui provoquait les efforts guerriers et communs dans ces villes, il se procurait en même temps pour lui-même une correspondance sur tous les points, telle qu’aucun successeur ne pouvait l’entretenir ; il rendait par là la continuation de son commandement presque essentielle au succès. On verra les fruits de ses manœuvres factieuses dans les subséquentes dékarchies ou oligarchies de Dix, après la complète réduction d’Athènes. Tandis que Lysandros et Cyrus étaient ainsi en train d’assurer de nouveau une efficacité redoutable a leurs efforts dans la lutte (pendant l’été de 407 av. J.-C.), l’exilé victorieux Alkibiadês avait rempli l’importante et délicate démarche de rentrer dans sa ville natale pour la première — fois. D’après l’arrangement conclu avec 1’harnabazos après la réduction de Chalkêdon, il était interdit à la flotte athénienne d’attaquer la province de ce satrape, et elle fût forcée ainsi de chercher ailleurs sa subsistance. Byzantion et Selymbria, au moyen de contributions levées en Thrace, la nourrirent pendant l’hiver ; au printemps (407 av. J.-C.), Alkibiadês la ramena à Samos, d’où il entreprit une expédition contre la côte de Karia, levant des contributions jusqu’à la somme de cent talents. Thrasyboulos, avec trente trirèmes, alla attaquer la Thrace, où il réduisit Thasos, Abdêra et toutes ces villes qui s’étaient révoltées- contre Athènes ; Thasos étant alors dans une détresse spéciale par suite de la famine aussi bien que d’anciennes séditions. Ce succès lui procura sans doute entre autres avantages une contribution important ; destinée à nourrir sa flotte. En même temps Thrasyllos conduisit une autre division de l’armée à Athènes ; Alkibiadês l’envoyait comme précurseur de son retour[18]. Avant l’arrivée de Thrasyllos, le peuple avait déjà manifesté ses dispositions favorables à l’égard d’Alkibiadês en le choisissant (407 av. J.-C.) de nouveau général de l’armement, avec Thrasyboulos et Konôn. A ce moment Alkibiadês se dirigeait de Samos vers Athènes avec vingt trirèmes, et il apportait avec lui toutes les contributions récemment levées. Il s’arrêta d’abord à Paros ; il visita ensuite la côte de la Laconie, et enfin jeta un regard dans le port lacédæmonien de Gytheion, où, comme il l’avait appris, on était en train de préparer trente trirèmes. La nouvelle qu’il reçut de sa réélection comme général, fortifiée par les invitations et les exhortations pressantes de ses amis, aussi bien que par le rappel de ses parents bannis, — le détermine enfin à faire voile vers Athènes. Il parvint au Peiræeus à un jour marqué, — la fête des Plyntêria le 25 du mois Thargêlion (vers la fin de mai 407 av. J.-C.). C’était un jour d’une triste solennité, considéré comme peu propice pour un acte d’importance quelconque. La statue de la déesse Athênê était dépouillée de tous ses ornements, dissimulée, aux regards de tous, et lavée ou nettoyée avec des cérémonies mystérieuses, par la gent sacrée appelée Praxiergidæ[19]. La déesse semblait ainsi détourner sa face, et refuser de regarder l’exilé de retour. Telle fut du moins l’explication de ses ennemis ; et comme la tournure subséquente des événements tendit à les justifier, elle a été conservée ; tandis qu’on a oublié la contre interprétation plus favorable, suggérée sans doute par ses amis. Quelques auteurs de l’antiquité, — en particulier Douris de Samos, auteur postérieur de deux générations environ, — ont représenté de la manière la plus extravagante la pompe et la splendeur du retour d’Alkibiadês. On a dit qu’il apportait avec lui deux cents ornements qui avaient appartenu aux proues des vaisseaux pris sur l’ennemi, ou (selon quelques-uns) les deux cents vaisseaux eux-mêmes ; que sa trirème était ornée de boucliers dorés et argentés, et garnie de voiles de pourpre ; que Kallipidês, un des acteurs lés plus distingués du moment, remplit les fonctions de keleustês, et fit entendre le chant ou le mot de commandement pour les rameurs ; que Chrysogonas, un joueur de flûte qui avait gagné le premier prix aux jeux Pythiens, était également a bord, jouant l’air du retour[20]. Tous ces détails, inventés avec une déplorable facilité pour expliquer un idéal de faste et d’insolence, sont réfutés par le récit plus simple et plus croyable de Xénophon. La rentrée d’Alkibiadês non seulement fut sans faste, mais elle se fit même au milieu de la défiance et de l’appréhension. Il n’avait avec-lui que vingt trirèmes ; et bien qu’encouragé, non seulement parles assurances de ses amis, mais encore par la nouvelle qu’il venait d’être réélu général, il éprouvait néanmoins quelque crainte de débarquer, même -à l’instant où il amarra son vaisseau au quai dans le Peiræeus. Une multitude immense s’y était assemblée de la ville et du port, animée par la curiosité, par l’intérêt et par d’autres émotions de toute sorte, pour le voir arriver. Mais il se fiait si peu à ses sentiments, qu’il hésita d’abord a mettre le pied sur le rivage, et qu’il resta sur le pont cherchant des yeux ses amis et ses parents. Bientôt il vit Euryptolemos son cousin et autres, qui l’accueillirent cordialement, et au milieu desquels il débarqua. Mais eux aussi redoutaient tellement ses nombreux ennemis, qu’ils se formèrent en une sorte de garde du corps pour l’entourer et le protéger contre une attaque possible, pendant sa marche du Peiræeus a Athènes[21]. Cependant il n’y eut pas besoin de protection. Non seulement ses ennemis ne tentèrent contre lui aucune violence, ruais ils ne lui firent aucune opposition quand il prononça sa défense devant le sénat et devant l’assemblée publique. Protestant devant l’une aussi bien que devant l’autre de son innocence quant à l’acte impie dont on l’avait accusé, il dénonça amèrement l’injustice de ses ennemis, et déplora doucement, mais d’une manière pathétique, le mauvais vouloir du peuple. Tous ses amis parlèrent avec chaleur dans le même sens. Le sentiment en sa faveur, tant du sénat que de l’assemblée publique, fut si vif et si prononcé, que personne n’osa leur parler en sens contraire[22]. On annula la sentence de condamnation rendue contre lui ; les Eumolpidæ reçurent l’ordre de révoquer la malédiction qu’ils avaient prononcée sur sa tête ; le registre de la sentence fut détruit, et la planche de plomb, sur laquelle était gravée la malédiction, jetée à la mer ; on lui rendit ses biens confisqués ; enfin on le proclama général avec de pleins pouvoirs, et on l’autorisa à préparer une expédition de 100 trirèmes, de 1.500 hoplites pris sur le rôle régulier et de 150 cavaliers. Tout cela fut voté sans opposition, au milieu du silence de ses ennemis et des acclamations de ses amis, — au milieu de, promesses illimitées d’exploits futurs faites par lui-même et d’assurances pleines de confiance, que ses amis répétaient à des auditeurs bien disposés, en leur disant qu’Alkibiadês était le seul homme capable de rétablir l’empire et la grandeur d’Athènes. L’attente générale, que lui et ses amis s’appliquèrent à exciter par tons les moyens possibles, était que sa carrière victorieuse des trois dernières années était une préparation à des triomphes encore plus grands pendant les suivantes. Nous pouvons être convaincus, si nous songeons aux appréhensions d’Alkibiadês à son entrée dans le Peiræeus et à la garde du corps organisée par ses amis, que ce triomphe écrasant et incontesté surpassa de beaucoup les espérances de l’un et des autres. Il l’enivra et l’amena à dédaigner des ennemis qu’il avait tant redoutés il n’y avait qu’un instant. Cette erreur, joint&à l’insouciance et à l’insolence produites par ce qui semblait être un ascendant illimité, fut la cause de sa future ruine. Mais la vérité est que ces ennemis, quelque silencieux qu’ils restassent, n’avaient point cessé d’être formidables. A ce moment, il y avait huit ans qu’avait duré l’exil d’Alkibiadês, depuis août 415 avant J.-C. environ jusqu’à mai 407. Or, l’absence était à bien des égards une bonne chose pour sa réputation, vu que son arrogante conduite privée avait été loin des regards et ses impiétés oubliées en partie. Il y avait même dans la majorité une disposition à accepter sa dénégation explicite du fait qu’on lui imputait, et à s’arrêter surtout sur les manœuvres indignés employées par ses ennemis pour s’opposer à sa demande d’un jugement instantané immédiatement après que l’accusation avait été portée, et cela afin de pouvoir le calomnier pendant son absence. On le caractérisait comme un patriote animé par les plus nobles motifs, qui avait mis des talents de premier ordre et d’immenses richesses privées au service de la république, mais qui avait été ruiné par une conspiration de par leurs corrompus et méprisables, inférieurs à lui à tous égards ; hommes dont la seule chance de succès auprès du peuple consistait à chasser ceux qui valaient mieux qu’eux, tandis que lui (Alkibiadês), loin d’avoir un intérêt contraire à la démocratie, était le favori naturel et digne d’un peuple démocratique[23]. Ainsi, en ce qui touchait aux anciennes causes d’impopularité, le temps et l’absence avaient beaucoup contribué à en affaiblir l’effet et à aider ses amis à les contrebalancer en signalant les perfides manœuvres politiques employées contre lui. Mais si les anciennes causes d’impopularité avaient, relativement parlant, disparu ainsi, il s’en était élevé depuis d’autres d’un caractère plus grave et plus ineffaçable. Son hostilité vindicative à l’égard de son pays avait été non seulement déclarée avec ostentation, mais activement manifestée par des coups mortels qui n’avaient été que trop effectivement dirigés contre les forces vitales d’Athènes. L’envoi de Gylippos à Syracuse, — la fortification de Dekeleia, — les révoltes de Chios et de Milêtos, les premiers commencements de la conspiration des Quatre Cents, — avaient tous été expressément les mesures à Alkibiadês. Même quant à elles, l’enthousiasme du moment chercha à les excuser en partie : on affirma qu’il n’avait jamais cessé d’aimer son pays, malgré ses torts à son égard, et qu’il avait été forcé par les nécessités de l’exil de servir des hommes qu’il détestait, au risque journalier de sa vie[24]. Toutefois ces prétextes ne pouvaient réellement en imposer à personne. La trahison d’Alkibiadês pendant la période de son exil ne pouvait être Ili justifiée ni niée, et aurait été plus que suffisante comme sujet d’accusation pour ses ennemis, si leurs langues eussent été libres. Mais sa position était tout à fait singulière : après avoir causé à sa patrie un dommage immense, il lui avait rendu depuis d’importants services, et promettait d’en rendre plus encore. Il est vrai que les services subséquents n’égalaient nullement les torts antérieurs, et ils n’avaient pas dans le fait été rendus exclusivement par lui, puisque les victoires d’Abydos et de Kyzikos appartiennent autant à Theramenês et à Thrasyboulos qu’à Alkibiadês[25] ; de plus, le présent ou capital particulier qu’il avait promis d’apporter avec lui, — l’alliance et la paye des Perses pour Athènes, avait été une illusion complète. Cependant les armes athéniennes avaient été remarquablement heureuses depuis qu’il s’était réuni à ses compatriotes, et nous pouvons voir que non seulement les rapports ordinaires, mais même des juges aussi bons que Thucydide, attribuaient ce résultat è ; son énergie et à sa direction supérieures. Si l’on ne touche ces particularités, il est impossible de comprendre entièrement la position toute particulière de cet exilé devant le peuple athénien lors de son retour dans l’été de 407 avant J.-C. Le passé plus éloigné le montrait comme l’un des pires criminels, — le passé récent comme un précieux serviteur et un bon patriote, — l’avenir promettait qu’il persisterait dans ce dernier caractère, autant qu’on en pouvait juger par des indications positives. Or, c’était un cas dans lequel il n’était pas possible que la discussion et les récriminations servissent à aucun dessein utile. Il y avait toute raison pour renommer Alkibiadês a son commandement ; mais cela ne pouvait se faire- qu’à la condition d’interdire la critique de ses crimes passés, et d’accepter provisoirement ses bonnes actions subséquentes comme justifiant l’espoir d’actions encore meilleures à venir. L’instinct populaire sentit parfaitement cette situation, et imposa un silence absolu a ses ennemis[26]. Nous ne devons pas en conclure que le peuple eût oublié les actes anciens d’Alkibiadês, ou qu’il n’eut a son égard qu’une confiance et une admiration sans réserve. Dans son sentiment actuel et très justifiable d’heureux espoir, il décida qu’il aurait pleine liberté de poursuivre sa nouvelle et meilleure carrière, s’il le voulait, et qu’il serait défendu à ses ennemis de raviver le souvenir d’un passé irréparable, de manière à fermer la porte contre lui. Mais ce qui était interdit aux lèvres, des hommes comme hors de saison ne fut pas effacé de leur mémoire ; et ses ennemis, bien que réduits au silence pour le moment, n’en furent pas rendus moins puissants pour l’avenir. Toute cette traînée de matière combustible resta à l’état de repos, prête à être enflammée par une mauvaise conduite ou une négligence, peut-être même par un mauvais succès irrépréhensible de la part d’Alkibiadês. Dans des conjonctures où sa future conduite devait avoir tant d’importance, il montra (comme nous le verrons bientôt) qu’il se trompait complètement sur les dispositions du peuple. Enivré par le triomphe inattendu de sa réception, — par suite de cette sensibilité fatale si commune chez les Grecs distingués, — il oublia son histoire d’autrefois, et s’imagina que le peuple aussi l’avait oubliée et pardonnée, en prenant son silence étudié et prudent polir une preuve d’oubli. Il se crut en possession assurée de la confiance publique, et regarda ses nombreux ennemis comme s’ils n’existaient plus, parée qu’il ne leur était pas permis de parler à l’heure la moins opportune. Sans doute ses amis partagèrent sa joie, et ce sentiment de fausse sécurité causa sa ruine future. Deux collègues, recommandés par Alkibiadês lui-même, — Adeimantos et Aristokratês, — furent nommés par le peuple comme généraux des hoplites pour partir avec lui, en cas d’opérations sur le rivage[27]. En moins de trois mois, son armement fut prêt ; mais il différa à dessein son départ jusqu’au jour du mois Boedromion (vers le commencement de septembre), où se célébraient les mystères d’Eleusis et où la procession solennelle de la foule des initiés avait coutume de se faire, le long de la Voie Sacrée d’Athènes à Eleusis. Pendant sept années de suite, toujours depuis l’établissement d’Agis à Dekeleia, cette marche avait été forcément discontinuée, et la procession transportée par mer, et maints détails de cérémonie négligés. Alkibiadês en cette occasion fit recommencer la marche par terre, dans toute sa pompe et sa solennité ; il réunit toutes ses troupes en armes pour la protéger, dans le cas où une attaque serait faite de Dekeleia. Il n’en fut tenté aucune ; de sorte qu’il eut la satisfaction de faire revivre cette illustre scène dans toute sa régularité, et d’escorter les nombreux fidèles pour aller et revenir, sans la plus légère interruption ; — exploit flatteur pour les sentiments religieux du peuple, et qui faisait sentir agréablement que le pouvoir athénien n’était pas diminué ; tandis que pour sa propre réputation, il était spécialement politique, en ce qu’il servait à faire sa paix avec les Eumolpidæ, et les Deux Déesses, à cause desquelles il avait été condamné[28]. Immédiatement après les mystères, il partit avec son armement. Il paraît qu’Agis à Dekeleia, bien qu’il n’eût pas voulu sortir pour attaquer Alkibiadês quand’ il s’était posté pour protéger la procession d’Eleusis, s’était néanmoins senti humilié par le défi qui lui avait été fait. Bientôt après, il profita du départ de cette grande armée pour appeler des renforts du Péloponnèse et de la Bœôtia, et pour tenter de surprendre les murs d’Athènes pendant une nuit sombre. S’il s’attendait à quelque connivence à l’intérieur, le complot échoua ; l’alarme fut donnée à temps, de sorte que les hoplites les plus âgés et les plus jeunes se trouvèrent à leurs postes pour défendre les murs. Les assaillants, — qui montaient, dit-on, à 28.000 hommes, dont la moitié se composait d’hoplites, avec 1.200 cavaliers, dont 900 Bœôtiens, — on les vit le lendemain tout près des murs de la ville, qui furent abondamment garnis avec tout ce qui restait de forces à Athènes. Dans un combat acharné de cavalerie qui suivit, les Athéniens remportèrent l’avantage même sur les Bœôtiens. Agis campa la nuit suivante dans le jardin d’Akadêmos ; de nouveau le matin il rangea ses troupes et offrit le combat aux Athéniens, qui, assure-t-on, s’avancèrent en ordre de bataille, mais restèrent sous la protection des traits des murs, de sorte qu’Agis n’osa pas les attaquer[29]. Nous pouvons bien douter que les Athéniens soient sortis, puisque pendant des années ils avaient été accoutumés à se regarder comme inférieurs aux Péloponnésiens en bataille rangée. Agis se retira alors, satisfait apparemment d’avoir offert la bataille, de manière à effacer l’affront qu’il avait reçu de la marche des initiés d’Eleusis au mépris de son voisinage. Le premier exploit d’Alkibiadês fut d’aller à Andros, qui à ce moment était soumise à un harmoste et à une garnison de Lacédæmoniens (407 av. J.-C. sept. et oct.). Débarquant dans l’île, il dévasta les champs, défit les troupes indigènes et les Lacédæmoniens, et les força à s’enfermer dans la ville : il l’assiégea inutilement pendant quelques jours, et ensuite s’avança plus loin vers Samos, laissant Konôn dans un poste fortifié, avec vingt vaisseaux, afin de poursuivre le siège[30]. C’est à Samos qu’il connut pour la première fois l’état de la flotte péloponnésienne à Ephesos, — l’influence acquise par Lysandros sur Cyrus, — les fortes dispositions anti-athéniennes du jeune prince, — et le taux élevé de la paye, soldée même en avance, que les marins péloponnésiens recevaient alors réellement. C’est à ce moment qu’il fut convaincu pour la première fois de la ruine des espérances qu’il avait conçues, non sans de bonnes raisons, l’année précédente, et dont il s’était sans doute vanté à Athènes, à savoir que l’alliance de la Perse serait neutralisée du moins, si non gagnée, par les envoyés que Pharnabazos escortait vers Suse. Ce fut inutilement qu’il détermina Tissaphernês à intervenir auprès de Cyrus, à lui présenter quelques ambassadeurs athéniens, et à lui inculquer ses propres idées quant aux véritables intérêts de la Perse ; c’est-à-dire que la guerre fût entretenue et prolongée de manière à épuiser les deux parties belligérantes grecques, chacune d’elles au moyen de l’autre. Une pareille politique, qui ne convenait en aucun temps au caractère fougueux de Cyrus, lui était devenue plus répugnante encore depuis ses rapports avec Lysandros. Il ne voulut pas même consentir a voir les ambassadeurs, et il ne fut probablement pas non plus fâché de traiter avec dédain un satrape voisin et rival. Profond fut le découragement parmi les Athéniens à Samos, quand ils frirent convaincus avec peine qu’ils devaient abandonner pour eux-mêmes tout espoir du côté de la Perse ; et de plus, que la paye persane était à la fois plus ample et plus assurée pour leurs ennemis qu’elle ne l’avait, jamais été auparavant[31]. Lysandros avait à Ephesos une flotte de quatre-vingt-dix trirèmes, qu’il s’occupait à réparer et à augmenter, étant encore inférieur en nombre aux Athéniens. C’est en vain qu’Alkibiadês essaya de le provoquer à’une action générale. M’était tout à fait l’intérêt des Athéniens, à part leur supériorité de nombre, puisqu’ils étaient mal fournis d’argent, et obligés de lever des contributions partout où -ils pouvaient ; mais Lysandros était décidé à ne pas combattre, à moins qu’il ne pût le faire avec avantage, et Cyrus, ne craignant pas de soutenir la dépense prolongée de la guerre, lui avait même enjoint cette politique prudente, avec l’espérance en outre d’une flotte phénicienne qui viendrait à son aide, — ce qui dans sa bouche n’était pas une vaine promesse, comme ce l’avait été dans celle de Tissaphernês[32]. Ne pouvant livrer une bataille générale, et n’ayant pas d’opération immédiate ou capitale qui fixât son attention, Alkibiadês devint négligent, et s’abandonna en, partie à l’amour du plaisir, en partie à des entreprises de pillage où il ne tenait compte de rien, dans le dessein d’obtenir de l’argent pour payer son armée. Thrasyboulos était venu de son poste sur l’Hellespont et était occupé en ce moment à fortifier Phokæa, probablement dans la pensée d’établir un poste qui permit de piller l’intérieur. Il y fait rejoint par Alkibiadês, qui y vint avec une escadre, laissant à Samos le gros de sa flotte. Il le laissa sous le commandement de son pilote favori Antiochos, mais avec l’ordre de ne combattre pour aucun motif avant son retour. Tandis qu’il était occupé à sa visite à Phokæa et à Klazomenæ, Alkibiadês, peut-être très à court d’argent, conçut l’inexplicable projet d’enrichir ses hommes par le pillage du territoire voisin de Kymê, dépendance alliée d’Athènes. Débarquant à l’improviste sur ce territoire, après avoir fabriqué quelques calomnies frivoles contre les Kymæens, il s’empara d’abord de beaucoup de richesses et fit un nombre considérable de prisonniers. Mais les habitants se réunirent en armes, défendirent bravement leurs possessions, et repoussèrent ses hommes jusqu’à leurs vaisseaux ; ils recouvrèrent leurs biens pillés, et les mirent en sûreté dans l’intérieur de leurs murs. Piqué de cet insuccès, Alkibiadês fit venir de Mitylênê un renfort d’hoplites, et s’avança jusqu’aux murs de Kymê, où il défia en vain les citoyens de s’avancer pour combattre. Il ravagea ensuite le territoire sans rencontrer d’obstacles ; tandis que les Kymæens n’eurent pas d’autre ressource que d’envoyer des ambassadeurs à Athènes se plaindre d’un outrage aussi énorme fait par un général athénien à une dépendance athénienne inoffensive[33]. C’était une accusation grave, et ce n’était pas la seule à laquelle Alkibiadês eût à faire face à Athènes. Pendant qu’il était à Phokæa et à Kymê, Antiochos le pilote, qu’il avait laissé en qualité de commandant, désobéissant à d’ordre exprès qui lui avait été donné de ne pas livrer bataille, alla d’abord de Samos à Notion, port de Kolophôn, — et de là à l’entrée du port d’Ephesos, où se trouvait la flatte péloponnésienne. Entrant dans le port avec son propre vaisseau et un autre, il passa devant les proues dés trirèmes péloponnésiennes, les insulta avec mépris et les défia au combat. Lysandros détacha quelques vaisseaux pour le poursuivre, et il s’ensuivit graduellement un engagement général, ce qui. était exactement ce que désirait Antiochos, Mais les vaisseaux athéniens étaient tous en désordre, et chacun d’eux venait au combat séparément, comme il pouvait ; tandis que la flotte péloponnésienne était bien rangée et tenue ensemble, de sorte que le combat fut tout à l’avantage de cette dernière. Les Athéniens, forcés de prendre la fuite ; furent poursuivis jusqu’à Notion et perdirent quinze trirèmes, dont plusieurs avec tout leur équipage. Antiochos lui-même fut tué. Avant de se retirer à Ephesos, Lysandros eut la satisfaction de dresser son trophée sur le rivage de Notion ; tandis que la flotte athénienne fut ramenée à sa station de Samos[34]. Ce fut en vain qu’Alkibiadês, revenant en hâte à Samos, réunit toute la flotte athénienne, fit voile jusqu’à l’entrée du port d’Ephesos, et y rangea ses vaisseaux en ordre de bataille, défiant l’ennemi d’avancer. Lysandros ne voulut pas lui fournir l’occasion d’effacer le récent déshonneur. Et comme nouvelle mortification pour Athènes, les Lacédæmoniens s’emparèrent bientôt après de Teos et de Delphinion ; ce dernier était un poste fortifié que les Athéniens avaient occupé pendant les trois dernières années dans l’île de Chios[35]. Même avant la bataille de Notion, il paraît que des plaintes et du mécontentement étaient nés dans l’armement contre Alkibiadês. Il était parti avec une armée magnifique, non inférieure, par le nombre de trirèmes et d’hoplites, à celle. qu’il avait menée contre la Sicile, et avec de vastes promesses, faites tant par lui-même que par ses amis, d’exploits à venir. Toutefois, dans un espace de temps qui ne peut guère avoir été moins de trois mois, il n’avait pas obtenu un seul succès ; tandis que, d’autre part, on devait compter le désappointement par rapport à la Perse, — qui avait eu un grand effet sur les dispositions de l’armement, et qui, bien que n’étant pas sa faute, était contraire aux espérances qu’il avait fait concevoir, — puis le honteux pillage de Kymê, — et la défaite essuyée à Notion. Il était vrai qu’Alkibiadês avait donné à Antiochos l’ordre péremptoire de ne pas combattre, et la bataille avait été hasardée par suite d’une désobéissance flagrante à ses injonctions. Mais cette circonstance ne faisait que fournir un nouveau motif de mécontentement, d’un caractère plus grave. Si Antiochos avait désobéi, si outre sa désobéissance, il avait montré une vanité puérile et une négligence extrême de toutes les précautions militaires, qui l’avait choisi pour lieutenant, et cela encore contre tout précédent athénien, en mettant le pilote, officier payé du vaisseau, au-dessus des triérarques qui payaient leurs pilotes, et servaient à leurs frais ? Ce fut Alkibiadês qui plaça dans cette situation grave et responsable Antiochos, favori personnel, excellent compagnon de table, mais dépourvu de toutes les qualités qui conviennent à un commandant. Et cela tourna l’attention sur un autre point du caractère d’Alkibiadês, — ses habitudes d’excessive indulgence pour lui-même et de dissipation. Le camp, avec de bruyants murmures, l’accusait de négliger lés intérêts du service pour faire des parties avec de joyeux compagnons et des femmes ioniennes, et d’admettre dans sa confiance ceux qui contribuaient le plus à l’amusement de ces heures de plaisir[36]. Ce fut dans le camp de Samos que cette indignation générale contre Alkibiadês naquit d’abord, et fut de là formellement transmise à Athènes, par la bouche de Thrasyboulos, fils de Thrasôn[37], — et non de l’éminent Thrasyboulos (fils de Lykos), qui a déjà été souvent mentionné dans celte histoire, et qui le sera encore. Il vint en même temps à Athènes des plaintes de Kymê, contre l’agression, et le pillage de cette ville par Alkibiadês sans que rien les eût provoqués ; et vraisemblablement des plaintes d’autres endroits encore[38]. On alla même jusqu’à l’accuser d’être en collusion coupable pour livrer la flotte à Pharnabazos et aux Lacédæmoniens, et de s’être déjà pourvu de trois châteaux forts dans la Chersonèse pour s’y retirer, aussitôt que le plan serait mûr pour l’exécution. Ces accusations graves et se propageant au loin, jointes au désastre subi à Notion et au désappointement complet de toutes les promesses de succès, — étaient plus que suffisantes pour changer les sentiments du peuple d’Athènes à l’égard d’Alkibiadês. Il n’avait rien dans sa vie antérieure qui pût lui servir de défense ; ou plutôt, il avait une réputation pire qu’une obscurité complète, capable de rendre les imputations les plus criminelles de trahison non improbables en elles-mêmes. Les commentaires de ses ennemis, qui avaient été exclus de force de la discussion publique pendant sa visite d’été à Athènes, purent alors s’exercer de nouveau en liberté ; et tous les souvenirs fâcheux de sa vie passée furent sans doute ravivés. Le peuple avait refusé de les écouter, afin qu’il eût toute latitude pour se réhabiliter, et qu’il pût justifier le droit réclamé pour lui par ses amis, d’être jugé seulement sur ses exploits subséquents, accomplis depuis l’année 411 avant J.-C. Il avait eu alors toute latitude pour agir ; on l’avait trouvé en défaut ; et la confiance populaire, qui lui avait été accordée provisoirement, lui était en conséquence retirée. Il n’est pas juste de représenter le peuple athénien (bien que Plutarque et Cornélius Nepos nous placent sous les yeux ce tableau) comme ayant mis dans Alkibiadês, au mois de juillet, une confiance extravagante et sans limites, lui demandant plus qu’il ne pouvait accomplir, — et comme passant ensuite au mois de décembre, avec une précipitation puérile, de la confiance à un mécontentement plein de colère, parce que ses espérances impossibles n’étaient pas encore réalisées. Que le peuple conçut de vastes espérances, d’un armement si considérable, c’est ce dont on ne peut douter ; mais les plus vastes de toutes probablement (comme dans l’exemple de l’expédition de Sicile) était celles que nourrissait Alkibiadês lui-même et que divulguaient ses amis. Mais nous ne sommes pas appelé à déterminer ce que le peuple aurait fait, si Alkibiadês, après avoir rempli tous les devoirs d’un commandant fidèle, habile et entreprenant, n’eût pas néanmoins réussi, à cause d’obstacles en dehors de sa volonté, à réaliser leurs espérances et ses promesses. Tel ne fut pas le cas : ce qui arriva fut essentiellement différent. Outre l’absence de grands succès, il avait encore été négligent ou insouciant dans l’accomplissement de ses principaux devoirs, — il avait exposé les armes athéniennes à une défaite, par le choix honteux qu’il avait fait d’un indigne lieutenant[39], — il avait violé le territoire et les biens d’une dépendance alliée, à un moment où Athènes avait un intérêt capital à cultiver par tous les moyens l’attachement des alliés qui lui restaient. La vérité est, comme je l’ai fait remarquer auparavant, qu’il avait été gâté réellement par la réception enivrante que la ville lui avait faite d’une manière si inattendue. Ce public rempli d’espoir, déterminé même, au prix d’un silence forcé quant au passé, à liai donner tout le bénéfice d’un avenir méritoire, mais exigeant comme condition que cet avenir fût réellement méritoire ; — il l’avait pris pour un public d’admirateurs assurés, dont il avait déjà gagné la faveur et qu’il pouvait considérer comme lui appartenant. Il devint un tout autre homme après cette visite, comme Miltiadês après la bataille de Marathôn ; ou plutôt les mouvements d’un caractère essentiellement dissolu et insolent s’affranchirent de la contrainte qui les avait retenus en partie auparavant. A l’époque de la bataille de Kyzikos, — quand Alkibiadês travaillait à regagner la faveur de ses compatriotes offensés et était encore incertain s’il réussirait, — il n’aurait pas commis la faute de quitter sa flotte et de la laisser sous les ordres d’un lieutenant tel qu’Antiochos. Si donc le sentiment athénien à l’égard d’Alkibiadês éprouva un changement complet pendant l’automne de 407 avant J.-C., ce fut la conséquence d’un changement dans son caractère et dans sa conduite ; changement en pire, précisément au moment critique où tout reposait sur sa bonne conduite, et sur le succès qu’il devait mériter du moins, s’il ne pouvait le commander. Dans le fait, nous pouvons faire observer que les fautes de Nikias devant Syracuse et par rapport à l’arrivée de Gylippos, furent beaucoup plus graves et plus funestes que celles d’Alkibiadês pendant ce moment décisif de sa carrière, — et le désappointement d’espérances antérieures au moins égal. Cependant si ces fautes et ce désappointement amenèrent le renvoi et la disgrâce d’Alkibiadês, ils ne décidèrent pas le peuple athénien à congédier Nikias, bien qu’il le désirât lui-même, et ils ne l’empêchèrent même pas d’envoyer un second armement qui devait être ruiné comme le premier. Le contraste est très instructif, en ce qu’il démontre sur quels points reposait une estime durable à Athènes ; combien de temps la plus triste incapacité publique pouvait rester inaperçue, quand elle était couverte par la piété, le décorum, de bonnes intentions et une haute position[40] ; combien était éphémère l’ascendant d’un homme bien supérieur en talent et en énergie, outre une !position égale, — quand ses qualités morales et sa vie antérieure étaient de nature à provoquer la crainte et la haine de beaucoup, et l’estime de personne. Cependant en général, Nikias, à le considérer comme serviteur de l’État, fut beaucoup plus funeste à son pays qu’Alkibiadês. Le tort fait à Athènes par ce dernier consista surtout dans les services avoués qu’il rendit à ses ennemis. En apprenant la nouvelle de la défaite de Notion et les plaintes accumulées contre Alkibiadês, lés Athéniens votèrent que son commandement lui serait enlevé, et ils nommèrent des généraux pour le remplacer. On ne le cita pas en justice, et nous ne savons pas si l’on proposa une semblable démarche. Cependant sa conduite à Kymê, si elle fut telle que nous la lisons, méritait largement une peine judiciaire ; et le peuple, s’il avait agi ainsi à sois égard, ne l’aurait fait qu’en vertu des estimables fonctions que lui attribue l’oligarque Phrynichos et qui consistaient à« servir. de refuge à ses alliés dépendants, et à châtier les actes arrogants et oppressifs exercés contre eux par les grands[41]. Toutefois, dans la position périlleuse d’Athènes, par rapport à la guerre étrangère, un pareil procès politique aurait produit beaucoup de dissensions et de malheurs. Et Alkibiadês évitait la question en ne venant pas à Athènes. Aussitôt qu’il y eut appris sa destitution, il quitta immédiatement l’armée pour se rendre à ses postes fortifiés dans la Chersonèse. Les dix nouveaux généraux nommés furent Konôn, Diomedôn, Leôn, Periklês, Erasinidês, Aristokratês, Archestratos, Protomachos, Thrasyllos, Aristogenês. Konôn reçut l’ordre de venir immédiatement d’Andros, avec les vingt vaisseaux qu’il y avait, pour recevoir la flotte d’Alkibiadês ; tandis que Phanosthenês se rendit à Andros avec quatre trirèmes pour remplacer Konôn[42]. En route, Phanosthenês rencontra Dorieus le Rhodien et deux trirèmes thuriennes, qu’il prit avec tous lés hommes à bord. Les captifs furent envoyés à Athènes, où tous furent mis en prison (en cas d’échange futur), à l’exception de Dorieus lui-même. Ce dernier avait été condamné à mort et banni de sa ville natale de Rhodes, avec ses parents ; probablement pour cause de désaffection politique, à l’époque où Rhodes était membre de l’alliance athénienne. Étant depuis lors devenu citoyen de Thurii, il avait servi avec distinction dans la flotte de Mindaros, tant à Milêtos que dans l’Hellespont. Les Athéniens eurent alors tellement pitié de lui qu’ils le relâchèrent aussitôt et sans condition, sans même demander de, rançon ni d’équivalent. Ruelle circonstance particulière détermina leur compassion, que l’on voit avec plaisir faire contraste avec les tristes habitudes usitées dans la guerre grecque et chez les deux parties belligérantes, c’est ce que ne nous aurait jamais appris le maigre récit de Xénophon. Mais nous savons par d’autres sources que Dorieus (fils de Diagoras de Rhodes) s’illustra plus que tous les autres Grecs par ses victoires au pankration dans les fêtes Olympiques, Isthmiques et Néméennes, — qu’il avait remporté le premier prix à trois jeux Olympiques de suite (dont l’Olympiade 88, ou 428 av. J.-C., était la seconde), distinction tout à fait sans précédent, outre huit prix Isthmiques et sept Néméens, — que son père Diagoras, ses frères et ses cousins étaient tous célèbres comme athlètes heureux, — enfin, que la famille était illustre d’ancienne date dans son île natale de Rhodes, et descendait même du héros messênien Aristomenês. Quand les Athéniens virent devant eux comme prisonnier un homme, sans doute, d’une taille et d’un air magnifiques (comme nous pouvons le conclure d’après ses succès d’athlète), et entouré d’une auréole de gloire qui faisait la plus grande impression sur l’imagination grecque, — ils oublièrent aussitôt les sentiments et les usages de la guerre. Bien que Dorieus eût été un de leurs ennemis les plus acharnés, ils ne purent se décider à toucher à, sa personne, ni même a exiger de lui aucune condition. Relâché par eux en cette occasion, il vécut pour être mis à mort, environ trente ans plus tard, par les Lacédæmoniens[43]. Lorsque Konôn arriva à Samos pour prendre le commandement, il trouva la flotte dans un état de grand découragement, par suite, non seulement de la honteuse affaire de Notion, mais encore des espérances désappointées se rattachant à Alkibiadês, et des difficultés à obtenir une paye régulière. Le dernier inconvénient se faisait sentir si péniblement, que la première mesure de Konôn fut de réduire le nombre de l’armement d’un chiffre au-dessus de cent trirèmes à soixante-dix ; et de réserver pour la flotte diminuée tous les meilleurs marins de la plus grande. Avec cette flotte, lui et ses collègues croisèrent le long des côtes des ennemis afin de recueillir du butin et de l’argent pour la paye[44]. Apparemment, vers la même époque où Konôn remplaça Alkibiadês (c’est-à-dire, vers décembre 407a v. J.-C. ou janvier 406 av. J.-C), l’année du commandement de Lysandros expira, et Kallikratidas arriva de Sparte pour le remplacer. Son arrivée fut accueillie avec un mécontentement non déguisé par les principaux Lacédæmoniens de l’armement, par les chefs des villes asiatiques et par Cyrus. C’est alors que se fit sentir toute l’influence de ces correspondances et de ces intrigues factieuses que Lysandros avait établies avec eux tous, afin de travailler indirectement à la perpétuité de son commandement. Tandis qu’on se plaignait à haute voix de la conduite impolitique de Sparte qui changeait tous les ans son amiral, — Cyrus et les autres concoururent avec Lysandros à semer de difficultés la boute du nouveau successeur. Kallikratidas, que par malheur les Destins ne firent que montrer[45], et auquel ils ne permirent pas de rester au milieu du monde grec, était un des plus nobles caractères de son époque. Outre un courage, une énergie et une incorruptibilité achevés, il se distinguait par deux qualités, toutes cieux très rares parmi les Grecs éminents : une manière d’agir absolument droite — et un patriotisme panhellénique à la fois compréhensif, exalté et indulgent. Lysandros ne lui remit qu’une bourse vide, ayant rendu à Cyrus tout l’argent qui restait en sa possession, sous prétexte qu’il lui avait été confié personnellement[46]. De plus, en remettant la flotte à Kallikratidas à Ephesos, il se vanta de lui remettre en même temps l’empire de la mer, grâce à la victoire remportée récemment à Notion. Conduis la flotte à partir d’Ephesos le long de la côte de Samos, en passant par la station athénienne (répondit Kallikratidas), et livre-la moi à Milêtos ; je croirai alors à ton empire de la mer. Lysandros n’eut rien à ajouter, si ce n’est qu’il ne se donnerait plus de peine, maintenant que son commandement avait été transféré à un autre. Kallikratidas remarqua bientôt que les principaux Lacédæmoniens de la flotte, gagnés aux intérêts de son prédécesseur, murmuraient ouvertement à son arrivée et entravaient secrètement toutes ses mesures ; alors il les convoqua tous et leur dit : Pour moi, je suis tout à fait content de rester dans mes foyers ; si Lysandros ou tout autre prétend être meilleur général que moi, je n’ai riels à dire contre cela. Mais, envoyé ici par les autorités de Sparte pour commander la flotte, je n’ai pas d’autre choix que d’exécuter leurs ordres de mon mieux. Vous savez actuellement jusqu’où s’étend mon ambition[47] ; vous connaissez aussi les murmures qui se répandent contre notre cité commune (à cause de son changement fréquent d’amiraux). Songez-y et donnez-moi votre opinion. — Resterai-je où je suis ? — ou retournerai-je à Sparte pour communiquer ce qui est arrivé ici ? Cette remontrance, à la fois piquante et digne, produisit tout son effet. Tous répondirent que soli devoir était de rester et de garder le commandement. Dès cet instant, les murmures et les cabales cessèrent. Ses embarras suivants naquirent de la, manœuvre de Lysandros, qui avait rendu à Cyrus toits les fonds destinés à la continuité de la paye. Naturellement cette démarche était admirablement calculée pour faire regretter à tout le monde le changement de commandant. Kallikratidas, qu’on avait envoyé sans fonds, parce qu’on avait compté pleinement sur l’argent inépuisable fourni par Sardes, se trouva alors obligé de s’y rendre en personne pour solliciter un renouvellement des libéralités. Mais Cyrus, désireux de manifester de toute manière sa partialité pour le dernier amiral, différa de le recevoir, — d’abord pendant deux jours, puis pour un nouvel intervalle, jusqu’à ce que la patience de Kallikratidas se fatiguât, au point qu’il quitta Sardes de dégoût sans avoir eu d’entrevue. L’humiliation de mendier ainsi aux portes du palais était une chose si insupportable pour ses sentiments, qu’il déplora amèrement ces misérables dissensions entre les Grecs, qui contraignaient les deux parties de s’abaisser devant l’étranger pour avoirs de l’argent, jurant que sil survivait à la campagne de l’année ; il ferait tout son possible pour amener un accommodement entre Athènes et Sparte[48]. Dans l’intervalle, il déploya toute son énergie à obtenir de l’argent par quelque autre voie, et il mit ainsi la flotte à la mer, sachant bien que le moyen de triompher de la résistance de Cyrus était de montrer qu’il pouvait se passer de lui. Faisant voile d’abord d’Ephesos à Milêtos, il dépêcha de là une petite escadre à Sparte, pour révéler sa pauvreté inattendue et demander de prompts secours d’argent. Dans l’intervalle il convoqua une assemblée de Milésiens, leur communiqua la mission qu’il venait d’envoyer à Sparte et leur demanda une avance momentanée jusqu’à ce que cet argent arrivât. Il leur rappela que la nécessité de cette demande résultait entièrement de la manœuvre de Lysandros, qui avait rendu les fonds qu’il avait entre les mains ; — qu’il s’était déjà adressé en vain à Cyrus pour avoir de l’argent de nouveau, mais qu’il n’avait trouvé qu’un dédain insultant qui ne pouvait plus être enduré ; qu’eux (les Milésiens), qui habitaient au milieu des Perses et avaient déjà éprouvé le maximum de mauvais traitement de leur part, devaient actuellement être les premiers à faire la guerre et à donner un exemple de zèle aux autres alliés[49], afin de se délivrer le plus tôt possible de la dépendance d’oppresseurs si impérieux. Il promit que quand arriveraient la remise de Sparte et l’heure du succès, il les récompenserait richement de leur empressement. Montrons, avec l’aide des Dieux, à ces étrangers (dit-il en terminant) que nous pouvons punir nos ennemis sans les adorer. Le spectacle de ce généreux patriote luttant contre une dépendance dégradante à l’égard de l’étranger, qui devenait alors malheureusement familière aux principaux Grecs des deux côtés, — excite notre sympathie et notre admiration les plus vives. Nous pouvons ajouter que son langage aux Milésiens, leur rappelant lès maux qu’ils avaient endurés de la part des Perses comme motif propre à les encourager à la guerre, — est plein d’instruction quant à la nouvelle situation faite aux Grecs asiatiques depuis la ruine de l’empire athénien. Ils n’avaient pas souffert de pareils maux pendant qu’Athènes était capable de les protéger, et qu’ils étaient disposés à être protégés par elle, — pendant l’intervalle de plus de cinquante années entre l’organisation complète de la confédération de Dêlos et le désastre de Nikias devant Syracuse. L’énergie simple et franche de Kallikratidas imposa u tous ceux qui l’entendirent, et même inspira tant d’alarme à ceux des principaux Milésiens qui jouaient sous main le jeu de Lysandros, qu’ils furent les premiers à proposer un don considérable d’argent pour la guerre et à offrir des sommes énormes de leurs propres bourses ; exemple qui fut probablement suivi bientôt par d’autres villes alliées (406 av. J.-C.). Quelques-uns des amis de Lysandros essayèrent de joindre leurs offres u des conditions ; ils demandèrent une garantie pour la destruction de leurs ennemis politiques, espérant compromettre ainsi le nouvel amiral. Mais il refusa énergiquement toutes ces complaisances coupables[50]. Bientôt il put réunir à Milêtos cinquante nouvelles trirèmes, outre celles qu’avait laissées Lysandros, le tout faisant une flotte de cent quarante voiles. Les habitants de Chios lui ayant fourni une somme de cinq drachmes pour chaque marin (égale à la paye de dix jours au taux ordinaire), il fit voile avec toute la flotte au nord vers Lesbos. Cette nombreuse flotte, la plus grande qui eût encore été réunie pendant toute la guerre, ne comptait que dix trirèmes lacédæmoniennes[51], tandis qu’une proportion considérable, — et des mieux équipées, se composait de trirèmes eubœennes et bœôtiennes[52]. Dans son voyage vers Lesbos, Kallikratidas semble s’être emparé de Phokæa et de Kymê[53], peut-être avec une facilité plus grande par suite du mauvais traitement récemment infligé aux Kymæens par Alkibiadês. Il alla ensuite attaquer Methymna, sur la côte septentrionale de Lesbos, ville non=seulement attachée fortement à Athènes, mais encore défendue par une garnison athénienne. Bien que repoussé d’abord, il renouvela ses attaqués jusqu’à ce qu’enfin il prit la ville d’assaut. Toutes les richesses qui s’y trouvaient furent pillées par les soldats, et les esclaves réunis et vendus à leur profit. Les alliés demandèrent en outre, y comptant suivant l’usage ordinaire, que les prisonniers méthymnæens et athéniens fussent vendus également. Mais Kallikratidas refusa péremptoirement d’accéder à cette requête, et il les mit tous en liberté le lendemain, déclarant que, tant qu’il aurait le commandement, il n’y aurait pas un seul Grec réduit à l’esclavage s’il pouvait l’empêcher[54]. Celui qui ne s’est pas familiarisé arec les détails de la guerre grecque ne peut sentir toute la grandeur et toute la sublimité de cette conduite, — qui est, que je sache, sans exemple dans l’histoire grecque. Ce n’est pas seulement parce que les prisonniers furent épargnés et mis en liberté ; quant à ce point, on peut trouver des cas analogues, bien qu’assez rares. C’est parce que cet acte particulier de générosité fut accompli au nom de la fraternité et de l’indépendance panhelléniques à l’égard de l’étranger et pour les recommander : principe compréhensif, proclamé par Kallikratidas dans des occasions antérieures aussi bien que dans celle-ci, mais mis actuellement en pratique clans des circonstances frappantes et joint à une déclaration explicite de sa résolution d’y rester fidèle dans tous les cas à venir. C’est enfin parce que cette démarche fut faite en opposition à une demande formelle de la part de ses alliés, qu’il avait des moyens très imparfaits soit de payer, soit de contrôler, et que par conséquent il était d’autant plus dangereux pour lui d’offenser. On ne peut douter que ces alliés ne se sentissent personnellement blessés et ne fussent indignés de la perte, aussi bien que confondus par la proposition d’une règle de devoir si nouvelle en ce qui concernait les relations des belligérants en Grèce, proposition contre laquelle aussi (devons-nous ajouter) leurs murmures n’étaient pas sans quelque fondement. — Si nous venions à être prisonniers de Konôn, il ne nous traiterait pas de cette manière. La réciprocité de procédé est absolument essentielle à une constante observance morales soit privée, soit publique ; et salis doute Kallikratidas eut la confiance bien fondée que deux ou trois exemples remarquables modifieraient sensiblement la pratique future des deux côtés. Mais il faut que quelqu’un commence à donner de pareils exemples, et l’homme qui commente, — s’il a une position qui présente des chances raisonnables pour que d’autres l’imitent, — est le héros. Un amiral comme Lysandros devait non seulement compatir sincèrement aux plaintes des alliés, mais encore condamner cette conduite comme un abandon de devoir à l’égard de Sparte ; même des hommes meilleurs que Lysandros devaient d’abord la considérer comme une sorte de donquichotisme, doutant que l’on dot suivre cet exemple ; tandis que les Éphores spartiates, bien qu’ils le tolérassent probablement parce qu’ils se mêlaient très peu de leurs amiraux à bord de leurs vaisseaux, devaient certainement avoir peu de sympathie pour les sentiments qui en étaient la source. On doit admirer d’autant plus Kallikratidas, en ce qu’il montre non seulement un patriotisme panhellénique[55], rare soit à Athènes, soit à Sparte, mais aussi une force de caractère et de conscience individuels encore plus rare, — qui lui permettait de braver l’impopularité et de rompre avec la routine, dans sa tentative pour rendre ce patriotisme profitable et efficace en pratique. Dans sa carrière ; terminée d’une manière si triste et si prématurée, il y eut du moins cette circonstance à envier, à savoir que la prise de Mêthymna lui fournit l’occasion, qu’il saisit avec empressement comme s’il eût su qu’elle serait la dernière, de mettre en évidence et de traduire en acte les aspirations complètes de son cœur magnanime. Kallikratidas envoya dire à Konôn par les prisonniers qu’il avait relâchés, qu’il allait le forcer à mettre fin à ses relations adultères avec la mer[56], qu’il considérait à ce moment comme son épouse, lui appartenant légitimement, vu qu’il avait 140 trirèmes contre les 70 trirèmes de Konôn. Cet amiral, malgré l’infériorité du nombre de ses vaisseaux, s’était avancé près de Methymna pour essayer de la secourir ; mais, trouvant la ville déjà prise, il s’était retiré aux îles appelées Hekatonnêsoi, à la hauteur du continent dans la direction nord-est de Lesbos. Il y fut suivi par Kallikratidas, qui, laissant Methymna de nuit, le trouva quittant ses amarres à l’aurore, et immédiatement il fit force de voiles pour essayer de couper sa marche méridionale vers Samos. Mais Konôn, qui avait diminué le nombre de ses trirèmes de 100 à 70, avait pu conserver tous ses meilleurs rameurs, de sorte qu’il surpassa Kallikratidas en rapidité et entra le premier dans le port de Mitylênê. Toutefois ceux qui le poursuivaient étaient bien près derrière lui, et même ils pénétrèrent avec lui dans le port, avant qu’il pût être fermé et mis en état de défense. Contraint de livrer bataille à l’entrée de ce port, il fut complètement défait ; trente de ses vaisseaux furent pris, bien que les équipages parvinssent à s’échapper à terre, et il ne sauva les quarante autres qu’en les tirant sur le rivage au pied du mur[57]. La ville de Mitylênê, fondée dans l’origine sur un petit îlot à la hauteur de Lesbos, s’était étendue plus tard à travers un détroit resserré jusqu’à Lesbos elle-même. Ce détroit (un pont y existait-il ou non ? c’est ce qu’on ne nous dit pas) séparait en deux parties la ville ; qui avait deux ports, l’un s’ouvrant au nord vers l’Hellespont, l’antre au sud vers le promontoire de Kanê sur le continent[58]. Ces deux ports étaient sans défense, et tous deux tombèrent alors au pouvoir de la flotte péloponnésienne ; du moins toute la portion extérieure de chacun d’eux, près de l’issue du port, sur laquelle Kallikratidas exerça une surveillance rigoureuse. En même temps il fit venir toutes les forces de Methymna et des hoplites de Chios, de manière à bloquer Mitylênê par mer aussi bien que par terre. Aussitôt que son succès fut,annoncé, Cyrus lui envoya immédiatement de l’argent pour la flotte (avec des présents séparés pour lui-même, qu’il refusa d’accepter)[59], ce qui facilita ses opérations futures. Il n’avait pas été fait de préparatifs à Mitylênê pour un siège : on n’avait pas accumulé de fonds de provisions, et la’ foule dans les murs était si considérable, que Konôn ne prévit que trop évidemment le prompt épuisement de ses ressources. Il ne pouvait pas non plus attendre de secours d’Athènes, à moins qu’il n’y fît connaître son état, que les Athéniens ignoraient complètement, vu qu’il n’avait pu les en prévenir. Il lui fallut toute son habileté pour faire sortir une trirème saine et sauve du port en face de la garde de l’ennemi. Mettant à flot deux trirèmes, les meilleures voilières de sa flotte, et choisissant pour elles les meilleurs rameurs parmi tous les autres, il fit monter ces rameurs à bord des trirèmes avant le jour, il cacha les epibatæ ou soldats de marine dans l’intérieur du vaisseau (au lieu du pont, qui était leur place habituelle), avec un fonds modique de provisions, et il tint le vaisseau encore couvert de peaux et de voiles, comme c’était l’usage pour les navires tirés sur le rivage, afin de les protéger contre le soleil[60]. Ces deux trirèmes furent préparées ainsi pour partir en un instant, sans donner à l’ennemi aucune indication qui l’avertît qu’elles fussent dans cet état. On les garnissait d’hommes entièrement avant le jour, les équipages restaient dans leur position toute la journée, et à la nuit en sortaient pour prendre du repos. Cela dura pendant quatre jours de suite, aucune occasion favorable ne s’étant présentée pour donner le signal de tenter un départ. Enfin, le cinquième jour, vers midi, au moment où une grande partie des équipages péloponnésiens étaient à terre pour leur repas du matin, et où d’autres se reposaient, le moment sembla favorable ; on donna le signal, et les deux trirèmes partirent en même temps avec toute la célérité dont elles étaient capables ; l’une devait sortir par l’entrée méridionale du côté de la mer entre Lesbos et Chios, — l’autre, partir par l’entrée septentrionale vers l’Hellespont. Aussitôt l’alarme fut donnée dans la flotte péloponnésienne : on coupa les câbles, les hommes s’embarquèrent en toute hâte, et un grand nombre, de trirèmes furent mises en mouvement pour atteindre les deux fugitives. Celle qui partit au sud, malgré les plus grands efforts, fut prise vers le soir et ramenée avec tout son équipage prisonnier ; celle qui se dirigeait vers l’Hellespont échappa, fit le tour de la côte septentrionale de Lesbos et, parvint en sûreté avec la nouvelle à Athènes, et vraisemblablement en route elle fit prévenir l’amiral athénien Diomedôn à Samos. Ce dernier s’empressa immédiatement de courir en secours de Konôn avec la petite armée qu’il avait avec lui et qui ne dépassait pas douze trirèmes. Les deux ports étant gardés par des forces supérieures, il essaya de pénétrer dans Mitylênê par l’Euripos, détroit qui s’ouvre sur la côte méridionale de l’île, gagne un lac intérieur ou baie, et s’approche près de la ville. Mais il fut attaqué soudainement par Kallikratidas, et son escadre prise entière à l’exception de deux trirèmes, la sienne et une autre : il eut lui-même beaucoup de peine à s’échapper[61]. Athènes fut tout entière dans la consternation à la nouvelle de la défaite de Konôn et du blocus de Mitylênê. La ville déploya toute sa force et toute son énergie pour le secourir, par un effort plus grand que tous ceux qui avaient été faits flans tout le cours de la guerre. Nous lisons avec surprise que, dans le court espace de trente,jours, une flotte qui ne comptait pas moins de cent dix trirèmes fut préparée et envoyée du Peiræeus. Tout homme en âge de servir et en ayant, la force, sans distinction, fut pris pour former un bon équipage, non seulement les citoyens, mais les esclaves, auxquels on promit l’affranchissement comme récompense ; beaucoup d’entre les chevaliers ou écuyers[62], et d’entre les citoyens du plus haut rang s’embarquèrent également comme epibatæ, suspendant leurs brides comme Kimôn avant la bataille de Salamis. La levée, en effet, fut aussi démocratique et aussi propre à égaliser les rangs qu’elle l’avait été dans cette occasion mémorable. La flotte se rendit droit vers Samos, où sans doute ordre avait été donné de réunir toutes les trirèmes que les alliés pourraient fournir comme renforts, aussi bien que les trirèmes athéniennes dispersées. Par ce moyen, on rassembla quarante trirèmes de plus (dont dix samiennes), et la flotte entière, forte de cent cinquante voiles, alla de Samos aux petites îles appelées Arginusæ, près du continent, en face de Malea, le cap qui se trouve au sud-est de Lesbos. Kallikratidas, informé de l’approche de la nouvelle flotte pendant qu’elle était encore à Samos, retira de Mitylênê la plus grande partie de ses forces, laissant cinquante trirèmes sous Eteonikos pour continuer le blocus. Probablement un moins grand nombre n’aurait pas été suffisant, vu qu’il fallait surveiller deux ports ; mais par là il fut réduit à rencontrer la flotte athénienne avec un nombre inférieur, — 120 trirèmes contre 150 (juillet 4061 av. J.-C.). Sa flotte était à la hauteur du cap Malea, où les équipages soupèrent, le même soir que les Athéniens soupaient aux îles opposées des Arginusæ. Son projet était de traverser le canal intermédiaire pendant la nuit, et de les attaquer le matin avant qu’ils fussent prêts ; mais une pluie et un vent -violents le forcèrent à différer tout mouvement jusqu’à l’aube du jour. Le lendemain matin les deux parties se préparèrent pour la plus grande action navale qui se fût livrée pendant toute la guerre. Kallikratidas reçut de son pilote, le Mégarien Hermôn, le conseil de se retirer pour le moment sans combattre, vu que la flotte athénienne était plus nombreuse que la sienne de trente trirèmes. Il répondit que la fuite était une honte, et que Sparte ne serait pas dans une position plus fâcheuse quand même il périrait[63]. La réponse était conforme à sa nature chevaleresque, et nous pouvons bien comprendre qu’après avoir été pendant les deux ou trois derniers mois maître et seigneur de la mer, il se rappelât le hautain message qu’il avait envoyé à Konôn, et jugeât déshonorant d’encourir ou de mériter, en se retirant, la même flétrissure pour lui-même. Nous pouvons faire remarquer aussi que la différence de nombre, bien que sérieuse, n’était en aucune sorte assez grande pour rendre la lutte désespérée, ou pour servir de motif légitime de retraite à un homme qui s’enorgueillissait de posséder complètement le courage spartiate. La flotte athénienne fut rangée de telle sorte que sa grande force était placée aux deux ailes, dans chacune desquelles se trouvaient soixante vaisseaux athéniens, répartis dans quatre divisions égales, chaque division commandée par un général. Des quatre escadres de quinze vaisseaux chacune, deux furent placées par devant, deux pour les appuyer par derrière. Aristokratês et Diomedôn commandaient les deux escadres de devant de la division de gauche, Periklês et Erasinidês les deux escadres à l’arrière, à la division de droite, Protomachos et Thrasyllos commandaient les deux de devant, Lysias et Aristogenês les deux à l’arrière. Le centre, où se trouvaient les Samiens et d’autres alliés, resta faible et tout en une seule ligne ; il paraît avoir été exactement en face d’une des îles Arginusæ, tandis que les deux autres divisions étaient à droite et à gauche de cette île. Nous lisons avec quelque surprise que toute la flotte lacédæmonienne était arrangée par vaisseaux isolés, parce qu’elle naviguait et manœuvrait mieux que les Athéniens, qui formèrent leurs divisions de droite et de gauche en ordre profond, dans le dessein exprès d’empêcher l’ennemi d’accomplir les manœuvres nautiques du diekplous et du periplous[64]. On supposait, paraîtrait-il, que le centre athénien, qui avait la terre immédiatement derrière lui, était mieux protégé contre un ennemi traversant la ligne jusqu’à l’arrière et naviguant tout à l’entour, que, les autres divisions, qui étaient dans des eaux ouvertes, raison pour laquelle on le laissa faible, avec les vaisseaux en une seule ligne. Mais ce qui nous frappe le plus c’est que, si nous retournons au commencement de la guerre, nous trouverons que le diekplous et le periplous étaient les manœuvres spéciales de la marine athénienne et continuèrent à l’être même jusqu’au siège de Syracuse ; les Lacédæmoniens étant d’abord absolument incapables de les exécuter, et continuant pendant longtemps à les exécuter bien moins habilement que les Athéniens. Actuellement la valeur comparative des deux parties est renversée : la supériorité de l’habileté nautique a passé aux Péloponnésiens et à leurs alliés : les précautions, à l’aide desquelles on neutralise ou l’on esquive cette supériorité, sont imposées aux Athéniens comme une nécessité. Quel eût été l’étonnement de l’amiral athénien Phormiôn, s’il avait pu voir les flottes et l’ordre de bataille aux Arginusæ ! Kallikratidas lui-même, avec les dix vaisseaux lacédæmoniens, était à la droite de sa flotte : à la gauche étaient les Bœôtiens et les Eubœens, sous l’amiral bœôtien Thrasondas. La lutte fut longue et soutenue avec acharnement, d’abord par les deux flottes dans leur ordre primitif ; ensuite, quand tout ordre fut rompu, par les vaisseaux dispersés se mêlant les uns aux autres et luttant en combat individuel. Enfin, le brave Kallikratidas périt. Son vaisseau était en train de donner contre le vaisseau d’un ennemi, et probablement lui-même (comme Brasidas[65] à Pylos) s’était placé sur le gaillard d’avant, pour être le premier à aborder l’ennemi ou à l’empêcher de l’aborder lui-même, — quand le coup, produit par le choc, lui fit perdre pied, de sorte qu’il tomba par-dessus le bord et se noya[66]. Malgré le découragement que causa sa mort, les dix trirèmes lacédæmoniennes déployèrent un courage digne du sien, et neuf d’entre elles furent de traites ou désemparées. A la fin, les Athéniens furent victorieux de toute part ; la flotte lacédæmonienne battit en retraite, et sa fuite devint générale, en partie à Chios, en partie à Phokæa. Plus de soixante de ses vaisseaux furent détruits, outre les neuf lacédæmoniens, soixante-dix-sept en tout ; faisant une perte totale de plus de la moitié de la flotte entière. La perte des Athéniens fut également sérieuse ; elle monta à vingt-cinq trirèmes. Ils retournèrent aux Arginusæ après la bataille[67]. La victoire des Arginusæ fournit la preuve la plus frappante de ce que pouvait faire encore l’énergie démocratique d’Athènes, malgré tant d’années d’une guerre épuisante. Mais il aurait beaucoup mieux valu que son énergie, en cette occasion eut été moins efficace et moins heureuse. La défaite de la flotte péloponnésienne, et la mort de son admirable chef, — nous devons regarder l’une comme inséparable de l’autre, puisque Kallikratidas n’était pas homme à survivre à une défaite, — furent des malheurs signalés pour tout le monde grec, et en particulier ; des malheurs. pour Athènes elle-même. Si Kallikratidas avait remporté la victoire et lui avait survécu, il aurait été certainement homme il mettre fin a la guerre du Péloponnèse, car Mitylênê aurait dû immédiatement se rendre, et Konôn avec toute la flotte athénienne qui y était bloquée serait nécessairement devenu son prisonnier ; circonstance qui, venant après une défaite, aurait disposé Athènes à acquiescer à des conditions passables de paix. Or, avoir les conditions dictées à un moment où sa puissance n’était pas complètement abattue, par un homme tel que Kallikratidas, exempt d’ambition personnelle corrompue et rempli d’un généreux patriotisme panhellénique, t’eût été le meilleur sort qui pouvait lui échoir à ce moment ; tandis que pour le monde grec en général,, t’eût été un avantage inexprimable, que, dans la réorganisation qui devait certainement suivre la fin de la guerre, le personnage dominant la situation actuelle fût pénétré au dévouement aux grandes idées de fraternité hellénique à l’intérieur, et d’indépendance hellénique à l’égard de l’étranger. La perspective prochaine d’un tel avantage s’ouvrait grâce à cette chance rare qui donnait le commandement à Kallikratidas, lui permettait non seulement de publier sa noble profession de foi, mais de montrer qu’il était prêt à agir en conséquence, et pendant un temps le porta vers un succès complet. Et les dieux envieux ne le furent jamais plus que quand ils firent échouer, par le désastre des Arginusæ, l’achèvement qu’ils avaient semblé ainsi promettre. On comprendra mieux la justesse de ces remarques dans-le chapitre suivant, quand j’en viendrai à raconter le dénouement réel de la guerre du Péloponnèse sous les auspices de l’indigne, mais habile Lysandros. Ce fut entre ses mains que le commandement fût remis de nouveau, repassant presque du meilleur au pire des Grecs. Nous verrons alors combien les souffrances des Grecs et en particulier d’Athènes furent aggravées par ses dispositions et ses tendances individuelles, et nous comprendrons alors par le contraste combien il eût été avantageux que le commandant armé du pouvoir si grand de dicter des conditions eût été un patriote panhellénique. Si le sentiment de ce patriotisme à un moment de dissolution et de réorganisation clans toute la Grèce, eût été imposé par le chef victorieux du jour, avec une honnêteté et une résolution sincères, l’eût été pour tous les autres sentiments meilleurs de l’esprit grec un stimulant tel que n’en aurait pu fournir aucune autre combinaison de circonstances. La défaite et la mort de Kallikratidas furent ainsi plus déplorables même comme perte pour Athènes et pour la Grèce, que pour Sparte elle-même. C’est en vain que nous cherchons un pendant à son caractère et à son patriotisme élevés, même dans une si courte carrière. La nouvelle de la défaite fut promptement portée à Eteonikos à Mitylênê par l’aviso de l’amiral. Aussitôt qu’il en fut informé, il pria l’équipage de l’aviso de ne rien dire à personne, mais de sortir de nouveau du port, et de revenir ensuite avec des couronnes et des acclamations de triomphe, — en criant que Kallikratidas avait remporté la victoire et détruit ou pris tous les vaisseaux athéniens. Par ce moyen, Konôn et les assiégés ne purent avoir aucun soupçon de la réalité ; tandis qu’Eteonikos lui-même, affectant de croire la nouvelle, offrit le sacrifice d’actions de grâces ; mais il donna à toutes les trirèmes l’ordre de prendre leur repas et de partir ensuite saris perdre un moment ; et il recommanda aux patrons des bâtiments marchands d’embarquer silencieusement ce qui leur appartenait, et de s’éloigner en même temps. Et c’est ainsi que, avec peu ou point de retard ; et sans le moindre empêchement de la part de Konôn, tous ces vaisseaux, trirèmes et navires de commerce, sortirent du port, et furent menés en sûreté à Chios ; le vent était favorable. Eteonikos en même temps retira ses forces de terre à Methymna, et brûla son camp. Konôn se trouvant ainsi libre sans s’y attendre, prit la mer avec ses vaisseaux quand le vent fut devenu plus calme, et rejoignit le gros de la flotte athénienne, qu’il trouva déjà en route des Arginusæ à Mitylênê. La flotte arriva bientôt à cette dernière ville, et de là poussa jusqu’à Chios pour l’attaquer ; cette attaque ayant échoué, elle continua, sa route jusqu’à sa station ordinaire de Samos[68]. La nouvelle de la victoire remportée aux Arginusæ remplit Athènes de joie et de triomphe. Tous les esclaves qui avaient servi dans l’armement furent affranchis et élevés, suivant la promesse, au droit des Platæens à Athènes, espèce restreinte de droit de cité. Cependant la joie fut empoisonnée par un autre incident qui fut connu en même temps, qui produisit des sentiments d’un caractère totalement opposé, et qui aboutit à l’un des actes les plus tristes et les plus déshonorants de toute l’histoire athénienne. Non seulement on n’avait pas recueilli pour les ensevelir les corps des guerriers morts flottant sur l’eau, mais on n’avait pas visité les carcasses des vaisseaux pour sauver ceux qui vivaient encore. Le premier de ces deux points, même seul, aurait suffi pour exciter à Athènes un sentiment pénible de piété offensée. Mais le second point, ici partie essentielle du même oubli, aggrava ce sentiment et le transforma en honte, en douleur et en indignation du caractère le plus violent. |
[1] L’Anabase de Xénophon (I, 1, 6-8 ; I, 9, 7-9) est une meilleure autorité, et a un langage plus exact que les Helléniques, I, 4, 3.
[2] V. l’anecdote de Cyrus et de Lysandros dans Xénophon, Œconom., IV, 21, 23.
[3] Xénophon, Helléniques, I, 4, 3-8. Les mots employés ici relativement aux députés, quand ils revinrent après leur détention de trois années, me paraissent être une inadvertance. Les députés ont dû revenir dans le, printemps de 401 avant J.-C., à une époque où Athènes n’avait pas de camp. La ville se rendit en avril 404 avant J.-C. Xénophon parle par mégarde comme si l’état de choses qui existait au moment du départ des ambassadeurs continuait encore à leur retour.
[4] Les mots de Thucydide (II, 65) impliquent ceci comme étant son opinion.
[5] Le commencement de la navarchia on année de commandement maritime de Lysandros me paraît établi pour cet hiver. Il avait eu en réalité le commandement pendant quelque temps avant l’arrivée de Cyrus à Cardes, Xénophon, Helléniques, I, 5, 1.
M. Fynes Clinton (Fast. Helléniques, ad ann. 407 av. J.-C.) a, je présume, été trompé par les premiers mots de ce passage, — πρότερον τούτων ού πολλώχρόνω, — quand il dit : — Pendant le séjour d’Alkibiadês à Athènes, Lysander est envoyé comme νάύαρχος, — Xénophon, Helléniques, I, 5, 1. Vinrent ensuite la défaite d’Antiochos, la déposition d’Alkibiadês, et la substitution de άλλους δέκα, entre septembre 407 et septembre 406, où Callicratidas succéda à Lysander.
Or, Alkibiadês vint à Athènes dans le mois de Thargelion, ou vers la fin de mai 407, et il y resta jusqu’au commencement de septembre 407. Cyrus arriva à Cardes avant qu’Alkibiadês parvînt à Athènes, et Lysandros avait été pendant quelque temps à son poste avant l’arrivée de Cyrus ; de sorte que Lysandros ne fut pas envoyé pendant le séjour d’Alkibiadês à Athènes, mais quelques mois avant. Encore moins est-il exact de dire que Kallikratidas succéda à Lysandros en septembre 406. La bataille des Arginusæ, dans laquelle Kallikratidas périt, fut livrée vers août 406, après qu’il avait été amiral pendant plusieurs mois. Les mots πρότερον τούτων, quand on les explique avec le contexte qui suit, doivent évidemment être compris dans un sens plus large, — ces événements, — et signifier la série générale d’événements qui commence, I, 4, 81 — les actes d’Alkibiadês depuis le commencement du printemps de 407.
[6] Élien, V. H., XII, 43 ; Athénée, VI, p. 271. L’assertion que Lysandros appartenait à la classe des Mothakes, est donnée par Athénée comme venant de Phylarchos, et je ne vois pas de raison pour la révoquer en doute. Élien dit la même chose relativement à Gylippos, et à Kallikratidas également ; je ne sais sur quelle autorité.
[7] Théopompe, Fragm. 21, éd. Didot ; Plutarque, Lysandre, c. 30.
[8] Plutarque, Lysandre, c. 8.
[9] Diodore, XIII, 65 ; Xénophon, Helléniques, III, 21 11. Je présume que cette conduite de Kratesippidas est le fait que critique Isocrate, De Pace, sect. 128, p. 240, éd. Bekk.
[10] Xénophon, Helléniques, I, 5, 3-1. Diodore, XIII, 70 ; Plutarque, Lysandre, c. 4. Ce semble avoir été une métaphore favorite, soit employée par les grands de Perse, soit du moins qu’on leur attribue ; nous l’avons déjà entendue un peu plus haut de la bouche de Tissaphernês.
[11] Xénophon, Helléniques, I, 5, 5.
Cela n’est pas rigoureusement exact. Le taux de la paye n’est spécifié ni dans l’une ni dans l’autre des trois conventions, telles que les donne Thucydide, VIII, 18, 37, 58. Ce semble avoir été, dès le commencement, une chose d’accord et de promesse en paroles ; d’abord les envoyés de Tissaphernês à Sparte promirent une drachme par jour, — ensuite, le satrape lui-même à Milêtos rabattit la drachme à une demi-drachme, et promit ce taux diminué pour l’avenir (VIII, 29).
M. Mitford dit : — Lysander proposa qu’une drachme attique, qui était de huit oboles, près de dix pence anglais, fût accordée comme paye journalière à chaque marin.
Dans une phrase précédente, M. Mitford avait présenté trois oboles comme n’étant pas tout à fait égales à quatre pence anglais. Naturellement donc il est évident qu’il ne regardait pas trois oboles comme la moitié d’une drachme (Hist. Gr., ch. 20, sect. 1, vol. IV, p. 317, 8e éd. 1814).
Il est tellement connu qu’une drachme équivalait à six oboles (c’est-à-dire, une drachme æginéenne à six oboles æginéennes, et une drachme attique à six oboles attiques), que j’aurais cru presque que le mot huit (dans la première phrase citée ici), était une faute d’impression pour six, — si la phrase citée ensuite n’avait pas démenti clairement que M. Mitford croyait réellement qu’une drachme était égale à huit oboles. C’est une erreur qu’assurément il est surprenant de trouver.
[12] Thucydide, VIII, 129.
[13] V. tome IX, chapitre 1.
[14] V. le remarquable caractère de Cyrus le Jeune, donné dans l’Anabase de Xénophon, I, 9, 22-28.
[15] Xénophon, Helléniques, II, 1, 13 ; Plutarque, Lysandre, c. 4-9.
[16] Xénophon, Helléniques, I, 5, 10.
[17] Diodore, XIII, 70 ; Plutarque, Lysandre, c. 5.
[18] Xénophon, Helléniques, I, 4, 5-10, Diodore, VIII, 72. La chronologie de Xénophon, bien qu’elle ne soit pas aussi claire que nous pourrions le désirer, mérite incontestablement la préférence sur celle de Diodore.
[19] V. la description d’une solennité semblable accomplie par des prêtresses désignées et par d’autres femmes à Argos (le lavage annuel de la statue d’Athênê dans le fleuve Inachos) et décrite par le poète Kallimaque — Hymnus in Lavacrum Palladis — avec les abondantes notes explicatives d’Ezekiel Spanheim. Ici encore nous trouvons des analogies dans le sentiment existant de la religion des Hindous. Le colonel Sleeman rapporte : — L’eau du Gange, qui a servi à laver l’image du dieu Vishnou, est considérée comme une boisson très sainte, bonne pour les princes. Celle avec laquelle l’image du dieu Siva est lavée ne doit pas être bue (Rambles and Recollections of an lndian Official, c. 23, p. 182).
[20] Diodore, XIII, 68 ; Plutarque, Alkibiadês, c. 31 ; Athénée, III, p. 535.
[21] Xénophon, Helléniques, I, 4, 18-19.
[22] Xénophon, Helléniques, I ; 4, 20 ; Plutarque, Alkibiadês, c. 33 ; Diodore, XIII, 69.
[23] Xénophon, Helléniques, I, 4, 14-16.
[24] Xénophon, Helléniques, I, 4, 15.
[25] Ce point est touché avec justesse, plus d’une fois, par Cornélius Nepos — Vit. Alcibiade, c. 6 — Quanquam Theramenes et Thrasybulus eisdem rebus præfuerant. Et encore dans la vie de Thrasybulus (c. 1), Primum Peloponnesiaco bello multa hic (Thrasybulus) sine Alcibiade gessit ; ille nullam rem sine hoc.
[26] Xénophon, Helléniques, I, 4, 20.
[27] Xénophon, Helléniques, I, 4, 21. Diodore (XIII, 69) et Cornélius Nepos (Vit. Alcibiade, c. 7) donnent tous deux Thrasyboulos et Adeimantos comme ses collègues ; tous deux disent aussi que ses collègues furent choisis sur sa recommandation. Je suis Xénophon pour les noms, et, aussi pour le fait qu’ils furent nommés comme κατά γήν στρατηγοί.
[28] Xénophon, Helléniques, I, 4, 20 ; Plutarque, Alkibiadês, c. 34. Ni Diodore, ni Cornélius Nepos ne mentionnent ce remarquable incident au sujet de l’escorte de la procession d’Eleusis.
[29] Diodore, XIII, 72, 73.
[30] Xénophon, Helléniques, I, 4, 22-1, 5-18 ; Plutarque, Alkibiadês, c. 35 ; Diodore, XIII, 69. Ce dernier dit que Thrasyboulos fut laissé à Andros, — ce qui ne peut être vrai.
[31] Xénophon, Helléniques, I, 5, 9 ; Plutarque, Lysandre, c. 4. Ce dernier nous dit que les vaisseaux athéniens furent bientôt dégarnis par la désertion des marins ; exagération d’une grande négligence.
[32] Plutarque, Lysandre, c. 9. Je me permets d’antidater les assertions qu’il y avance, quant aux encouragements donnés par Cyrus à Lysandros.
[33] Diodore, XIII, 73. Je suis Diodore pour cette histoire au sujet de Kymê, qu’il copia probablement sur l’historien kymæen Éphore. Cornélius Nepos (Alcibiade, c. 7) y fait une courte allusion.
Xénophon (Helléniques, I, 5, 11), aussi bien que Plutarque (Lysandre, c. 5), mentionne la visite d’Alkibiadês à Thrasyboulos, à Phokæa. Toutefois ils ne nomment point Kymê : suivant eux, la visite à Phokæa n’a ni but ni conséquences assignables. Mais le pillage de Kymê est une circonstance à la fois suffisamment probable en elle-même, et appropriée à l’occasion.
[34] Xénophon, Helléniques, I, 5, 12-15 ; Diodore, XIII, 71 ; Plutarque, Alkibiadês, c. 35 ; Plutarque, Lysandre, c. 5.
[35] Xénophon, Helléniques, I, 5, 15 ; Diodore, XIII, 76.
Je copie Diodore, en mettant Teos, suivant une note de Weiske, au lieu d’Eiôn, qui se trouve dans Xénophon. Cependant je copie ce dernier, en attribuant ces prises à l’année de Lysandros, au lieu de celle de Kallikratidas.
[36] Plutarque, Alkibiadês, c. 36. Il raconte, dans le dixième chapitre de la même biographie, une anecdote décrivant la manière dont Antiochos gagna pour la première fois la faveur d’Alkibiadês, alors jeune homme — il attrapa une caille apprivoisée, qui s’était échappée de son sein.
[37] Une personne nommée Thrasôn est mentionnée dans I’Inscription Choiseul (n° 147, p. 221, 222 du Corp. Inscr. de Bœckh) comme l’un des Hellenotamiæ de l’année 410 avant J.-C. Il est désigné par son dême comme Butades : il est assez probablement le père de Thrasyboulos.
[38] Xénophon, Helléniques, I, 5, 16-17. Diodore, XIII, 73. Plutarque, Alkibiadês, c. 36.
Un des discours qui restent de Lysias (Orat. XXI) est prononcé pat le hiérarque de cette flotte, sur le vaisseau du duquel Alkibiadês lui-même voulut monter. Ce triérarque se plaint d’Alkibiadês comme ayant été un compagnon très incommode et très gênant (sect. 7). Son témoignage sur ce point est précieux ; car il ne semble pas qu’il y ait là de disposition à établir quelque chose contre Alkibiadês. Le triérarque mentionne le fait qu’Alkibiadês préféra sa trirème, simplement comme preuve qu’elle était la mieux équipée ou une des mieux équipées de toute la flotte. Archestratos et Erasinidês la préférèrent plus tard, pour la même raison.
[39] Xénophon, Helléniques, I, 5, 16.
L’expression qu’emploie Thucydide par rapport à Alkibiadês, demande quelques mots de commentaire (VI, 15).
La poursuite zélée et effective des affaires de la guerre attribuée ici à Alkibiadês est vraie de toute la période entre son exil et sa dernière visite à Athènes (de septembre 415 à septembre 407 av. J.-C. environ). Pendant les quatre premières années de cette période, il agit d’une manière très efficace contre Athènes pendant les quatre dernières années, d’une manière très efficace à son service.
Mais l’assertion n’est certainement pas vraie de son dernier commandement, qui finit avec la bataille de Notion ; et elle n’est vraie qu’en partie (du moins, c’est une exagération de la vérité) pour la période qui précède son exil.
[40] Pour bien juger le cas de Nikias, il serait nécessaire de prendre l’inverse du jugement de Thucydide relativement à Alkibiadês, cité dans ma dernière note.
Le lecteur comprendra naturellement que ces derniers mots grecs ne sont pas une citation réelle, mais une transformation des mots réels de Thucydide, dans le dessein de jeter du jour sur le contraste entre Alkibiadês et Nikias.
[41] Thucydide, VIII, 48.
[42] Xénophon, Helléniques, I, 5, 18 ; Diodore, XIII, 74.
[43] Xénophon, Helléniques, I, 5,19 ; Pausanias, VI, 7, 2.
[44] Xénophon, Helléniques, I, 5, 20. Cf. I, 6, 16 ; Diodore, XIII, 77.
[45] Virgile, Énéide, VI, 870.
[46] Nous pouvons voir par la conduite de Lysandros à la fin de la guerre comment ce remboursement ne, fut qu’une manœuvre destinée à paralyser son successeur, — et non un acte d’obligation vraie et consciencieuse à l’égard de Cyrus, comme le représente M. Mitford. Il emporta alors à Sparte tout le reste des tributs de Cyrus qu’il avait en sa possession, au lieu de les rendre à Cyrus (Xénophon, Helléniques, II, 3, 8). L’obligation de les rendre a Cyrus était plus grande à la fin de la guerre qu’elle ne l’était au moment où parut Kallikratidas, et où la guerre durait encore ; car la guerre était une affaire commune que les Perses et les Spartiates avaient juré de poursuivre en combinant leurs efforts.
[47] Xénophon, Helléniques, I, 6, 6.
[48] Xénophon, Helléniques, I, 6, 7 ; Plutarque, Lysandre, c. 6.
[49] Xénophon, Helléniques, I, 6, 9.
[50] Plutarque, Apophthegm. Lacon., p.222 C ; Xénophon, Helléniques, I, 6, 12.
[51] Xénophon, Helléniques, I, 6, 34.
[52] Diodore, VIII, 99.
[53] Je l’induis de ce fait qu’à l’époque de la bataille des Arginusæ, ces deux villes paraissent comme attachées aux Péloponnésiens ; tandis que, pendant le commandement d’Alkibiadês, elles avaient été toutes les deux athéniennes (Xénophon, Helléniques, I, 5, 11 ; I, 6, 33 ; Diodore, XIII, 73, 99).
[54] Xénophon, Helléniques, I, 6, 14.
Cf. une déclaration plus récente d’Agésilas, réellement dans le même but, faite toutefois dans des circonstances bien moins frappantes. — Dans Xénophon, Agésilas, VII, 6.
[55] Le sentiment de Kallikratidas méritait la désignation de Έλληνικώτατον πολέτευμα, — beaucoup plus que celui de Nikias, auquel Plutarque applique ces mots (Compar. de Nikias et de Crassus, c. 2).
[56] Xénophon, Helléniques, I, 6, 15. Il pouvait difficilement dire cela à Konôn, autrement que par les prisonniers athéniens.
[57] Xénophon, Helléniques, I, 6, 17 ; Diodore, XIII, 78, 79.
Ici, comme dans tant d’autres occasions, il est impossible de fondre ensemble ces deux récits. Diodore conçoit les faits d’une manière entièrement différente de Xénophon, et beaucoup moins probable. Il nous dit que Konôn employa dans sa fuite un stratagème (le même dans Polyen, I, 482), qui lui permit de combattre les premiers vaisseaux péloponnésiens et de les défaire avant l’arrivée des autres ; et qu’il entra dans le port à temps pour le mettre en état de défense avant l’arrivée de Kallikratidas. Diodore fait ensuite une description prolixe de la bataille par laquelle Kallikratidas se fit jour de force.
Le récit de Xénophon, que j’ai suivi, implique clairement que Konôn ne pouvait avoir eu le temps de faire des préparatifs pour défendre le port.
[58] Thucydide, III, 6. Strabon, XIII, p. 617. Xénophon ne parle que du port, comme s’il était unique ; et il se peut que, dans un langage très négligé, il fût décrit comme un seul port avec deux entrées. Toutefois, il me semble que Xénophon n’avait pas une idée claire de la localité.
Strabon parle du port septentrional comme défendu par une jetée, — du port méridional comme défendu par des trirèmes liées ensemble avec des chaînes. Cos défenses n’existaient pas dans l’année 406 avant J.-C. Probablement après la révolte de Mitylênê, en 427 avant les. Athéniens avaient enlevé les défenses qui pouvaient avoir été disposées auparavant pour le port.
[59] Plutarque, Apophthég. Laconie., p. 222 E.
[60] Xénophon, Helléniques, I, 6, 19.
Le sens de παραρρύματα est très incertain. Les commentateurs nous apprennent peu de chose, et nous ne pouvons pas être sûrs que ce soit la même chose que ce qui est exprimé par παραβληματα (Infra, II, 1, 22). Nous pouvons être certains que les matières signifiées par παραρρύματα étaient quelque chose qui, si le spectateur du dehors pouvait l’apercevoir, ne devait du moins indiquer en rien que la trirème fût destinée à partir promptement ; autrement toute la combinaison de Konôn, qui cherchait le secret, eût été dérangée. Il était essentiel que cette trirème, bien qu’à flot, fût disposée de manière à ressembler autant que possible aux autres trirèmes qui restaient encore tirées sur le rivage, afin que les Péloponnésiens ne pussent soupçonner aucun projet de départ. J’ai taché dans le texte de donner un sens qui répond à cet objet, sans abandonner les explications proposées par les commentateurs. V. Bœckh, Ueber das Attische Seewesen, ch. 10, p. 159.
[61] Xénophon, Helléniques, I, 6, 22.
Le lecteur devra regarder une carte de Lesbos, pour voir ce que veut dire l’Euripos de Mitylênê — et l’autre Euripos de la ville voisine de Pyrrha.
Diodore (XIII, 79) confond l’Euripos de Mitylênê avec le port de cette ville, dont il est tout à fait séparé. Schneider et Plehn semblent faire la même confusion (V. Plehn, Lesbiaca, p. 15).
[62] Xénophon, Helléniques, I, 6, 24-25 ; Diodore, XIII, 97.
[63] Xénophon, Helléniques, I, 6, 32 ; Diodore, XIII, 97, 98. — Ce dernier rapporte de terribles présages à l’avance pour les généraux.
La réponse a été une parole mémorable, à laquelle il a été fuit allusion plus d’une fois. — Plutarque, Laconie. Apophthegm., p. 832 ; Cicéron, de Officiis, I, 24.
[64] Xénophon, Helléniques, I, 6, 31.
Mettre en opposition ce passage avec Thucydide, II, 84-89 (le discours de Phormiôn) ; IV, 12 ; VII, 36.
[65] V. Thucydide, IV, 11.
[66] Xénophon, Helléniques, I, 6, 33.
Les détails donnés par Diodore au sujet de cette bataille et des exploits de Kallikratidas sont prolixes et indignes de confiance. — V. une excellente note du docteur Arnold sur Thucydide, IV, 12, — relativement à la description faite par Diodore de la conduite de Brasidas à Pylos.
[67] Xénophon, Helléniques, 7, 6, 34 ; Diodore, XIII, 99, 100.
[68] Xénophon, Helléniques, I, 67 38 ; Diodore, XIII, 100.