DIXIÈME VOLUME
Actuellement la guerre syracusaine n’est plus à part, comme un événement isolé, mais elle est absorbée clans la guerre générale qui se rallume dans toute la Grèce. Jamais il n’y eut d’hiver employé en préparatifs militaires d’une manière aussi active et aussi vaste que l’hiver de 414-413 avant J.-C., mois précédant immédiatement ce que Thucydide appelle le dix-neuvième printemps de la guerre du Péloponnèse, mais que d’autres historiens appellent le commencement de la guerre Dékéleienne[1]. Pendant qu’Eurymedôn allait avec ses dix trirèmes à Syracuse même au milieu de l’hiver, Demosthenês s’occupa tout l’hiver à rassembler le second armement pour les premiers jours du printemps. Vingt autres trirèmes athéniennes durent faire le tour du Péloponnèse pour se rendre à la station de Naupaktos, — afin d’empêcher tout renfort corinthien de sortir du golfe de Corinthe. Pour s’opposer à ces dernières, les Corinthiens, de leur côté, préparèrent vingt-cinq nouvelles trirèmes, destinées à servir de convoi pour les transports qui emmenaient leurs hoplites[2]. A Corinthe, à Sikyôn, en Bœôtia, aussi bien qu’à Lacédæmone, des levées d’hoplites se faisaient pour l’armement destiné à Syracuse, — en même temps que tout se disposait pour l’occupation de Dekeleia. En dernier lieu, Gylippos s’occupait avec non moins d’activité à pousser la Sicile à prendre une part plus décisive dans la lutte de l’année suivante. Au cap Tænaros en Laconie, aux premiers jours du printemps (413 av. J.-C.), il s’embarqua une armée de six cents hoplites lacédæmoniens (Ilotes et Neodamodes) sous les ordres du Spartiate Ekkritos, — et trois cents hoplites Bœôtiens, sous les Thêbains Xenôn et Nikôn, avec le Thespien Hegesandros. Ils avaient ordre de traverser la mer jusqu’à Kyrênê en Libye, et de là de se rendre en Sicile en longeant la côte d’Afrique. En même temps, un corps de sept cents hoplites, sous Alexarchos, — en partie Corinthiens, en partie Arkadiens mercenaires, en partie Sikyoniens, sous la pression de leurs puissants voisins[3], — partit pour se rendre en Sicile du nord-ouest du Péloponnèse et de l’entrée du golfe Corinthien, — surveillé par les trirèmes corinthiennes jusqu’à ce qu’il fût au delà de l’escadre athénienne postée à Naupaktos. C’étaient des actes importants ; mais le plus important de tous fut la nouvelle invasion de l’Attique dans le même temps par la grande armée de l’alliance péloponnésienne, sous le roi spartiate Agis, fils d’Archidamos. Douze ans s’étaient écoulés depuis que l’Attique avait senti pour la dernière fois la main du destructeur, un peu avant le siége de Sphakteria. La plaine, dans le voisinage d’Athènes, fut alors dévastée pour la première fois ; puis les envahisseurs s’occupèrent de leur projet spécial d’élever un poste fortifié pour l’occupation de Dekeleia. Le travail, réparti entre les alliés présents, qui étaient venus tout prêts avec les moyens de l’exécuter, tut achevé pendant le présent été, et on y établit une garnison composée de contingents qui se relevaient tour à tour à intervalles, sous le commandement du roi Agis lui-même. Dekeleia était située sur une éminence avancée appartenant à la chaîne appelée Parnês, à environ quatorze milles (= 22 kilom. 1/2) au nord d’Athènes, — près de l’extrémité de la plaine d’Athènes, et commandant une vue étendue de cette dernière aussi bien que de celle d’Eleusis. La colline sur laquelle elle se trouvait, sinon le fort lui-même, était visible, même du haut des murs d’Athènes. Elle était admirablement située, tant comme point central pour des excursion~ dans l’Attique, que pour la communication avec la Bœôtia ; tandis que la route d’Athènes à Orôpos, principale communication avec l’Eubœa, passait parla gorge immédiatement au-dessous d’elle[4]. Nous lisons avec étonnement, et le monde contemporain vit avec un étonnement plus grand encore, que pendant que ce travail important était réellement en voie d’exécution, et que toute la confédération péloponnésienne renouvelait son attaque contre Athènes avec un redoublement de force, — à ce moment même[5] les Athéniens envoyèrent non seulement une flotte de trente trirèmes sous Chariklês pour molester les côtes du Péloponnèse, hais encore le grand armement qu’ils avaient voté sous Demosthenês, afin de pousser les opérations offensives contre Syracuse. Les forces, sous les ordres de ce dernier général, consistaient en soixante trirèmes d’Athènes et cinq de Chios, en douze cents hoplites athéniens de la meilleure classe, choisis dans le rôle des citoyens, avec un nombre considérable d’hoplites en plus, pris parmi les alliés sujets et ailleurs. On avait aussi engagé pour un salaire quinze cents peltastes de Thrace, de la tribu appelée Dii ; mais ces hommes n’arrivèrent pas à temps, de sorte que Demosthenês partit sans eux[6]. Chariklês étant allé en avant pour prendre à bord de ses vaisseaux un corps d’alliés d’Argos, les deux flottes se réunirent à 1Egina, commirent quelques dévastations sur les côtes de Laconie, et établirent un fort poste dans l’île de Kythêra pour encourager la désertion parmi les Ilotes. De là Chariklês revint avec les Argiens, tandis que Demosthenês conduisit son armement à Korkyra en faisant le tour du Péloponnèse[7]. Sur la côte éleienne, il détruisit un transport emmenant des hoplites à Syracuse, bien que les hommes s’échappassent sur la, côte ; ensuite il s’avança vers Zakynthos et Kephallenia, où il engagea quelques hoplites de plus, — et vers Anaktorion, afin d’avoir des akontistæ et des frondeurs d’Akarnania. Ce fut là qu’il fut rencontré par Eurymedôn avec ses dix trirèmes, qui était allé en avant à Syracuse pendant l’hiver avec la remise pécuniaire instamment demandée, et qui revenait actuellement pour agir comme collègue de Demosthenês dans le commandement[8]. Les nouvelles apportées de Sicile par Eurymedôn étaient à tous égards décourageantes. Cependant les deus amiraux furent dans la nécessité de détacher dit trirèmes de leur flotte pour renforcer Donen à Naupaktos, qui n’était pas assez fort pour lutter seul contre la flotte corinthienne qui le surveillait de la côte opposée. Pour compenser cette diminution, Eurymedôn se rendit à Korkyra dans l’intention d’obtenir des Korkyræens quinze nouvelles trirèmes et un contingent d’hoplites, — tandis que Demosthenês était occupé à réunir les akontistæ et les frondeurs akarnaniens[9]. Eurymedôn, non seulement rapportait la nouvelle de l’état malheureux des athéniens dans le port de Syracuse, mais il rivait encore appris, pendant qu’il revenait, la nouvelle perte si grave qu’ils avaient faite par suite de la prise du fort de Plemmyrion. Gylippos revint à Syracuse au commencement du printemps, à peu prés à l’époque où Agis envahissait l’Attique et olé Demosthenês quittait le Peiræeus. Il revenait avec de nouveaux renforts de l’intérieur et avec un redoublement d’ardeur pour des opérations décisives contre Nikias avant que des secours pussent arriver d’Athènes. Son premier soin, conjointement avec Hermokratês, fut d’inspirer aux Syracusains le courage de combattre les Athéniens à bord de leurs vaisseaux. La supériorité navale, reconnue, de ces derniers était telle que ce fut une tâche de quelque difficulté, pour laquelle il fallut toute l’éloquence et tout l’ascendant ries deux chefs : « Les Athéniens (dit Hermokratês à ses compatriotes) n’ont pas toujours été supérieurs sur mer comme ils le sont maintenant ; ils étaient jadis ries hommes de terre comme vous, et plus que vous ; — ils n’ont été forcés de monter sur des vaisseaux que par l’invasion des Perses. Le seul moyen d’agir avec des hommes hardis comme eux, c’est de leur montrer un front plus hardi encore. Ils ont souvent, par leur audace, intimidé des ennemis d’une force réelle plus grande que la leur, et ils doivent actuellement savoir que d’autres peuvent jouer le même jeu avec eux. Allez droit sur eux avant qu’ils s’y attendent, — et vous gagnerez plus en les surprenant et en les intimidant ainsi que vous ne souffrirez par leur science supérieure. » De telles leçons, adressées à des hommes déjà en veine de succès, ne tardèrent pas à être efficaces, et une attaque navale fut résolue[10]. La ville de Syracuse avait deux ports, un de chaque côté de l’île d’Ortygia. Le plus petit (comme il fut appelé plus tard Portus Lakkius) était au nord d’Ortygia, entre cette île et le terrain bas ou Nekropolis, près de la ville extérieure ; l’autre était du côté opposé de l’isthme d’Ortygia, dans l’intérieur du Grand Port. Tous deux (à ce qu’il paraît) étaient protégés contre une attaque du dehors par des pieux et des pilots plantés dans le fond, en face d’eux. Mais le plus petit port était le plus sûr des deux, et les principaux bassins des Syracusains étaient situés dans ses limites, la flotte syracusaine, forte de quatre-vingts trirèmes, étant répartie entre eux. La flotte athénienne entière était stationnée au pied du fort de Plemmyrion, immédiatement en face du point méridional d’Ortygia. Gylippos combina son plan avec beaucoup d’habileté, de manière à prendre les Athéniens entièrement par surprise. Après avoir exercé et préparé les forces navales aussi complètement qu’il le put, il fit marcher ses forces de terre en secret et de nuit sur Epipolæ et autour par la rive droite de l’Anapos, jusqu’au voisinage du fort de Plemmyrion. A la première lueur du matin, la flotte syracusaine, à un seul et même signal, sortit des deus ports : quarante-cinq trirèmes du plus petit port, trente-cinq de l’autre. Les deus escadres essayèrent de doubler le point méridional d’Ortygia, de manière à se réunir et à attaquer de concert l’ennemi à Plemmyrion. Les Athéniens, bien que surpris et troublés, se hâtèrent de garnir de monde soixante vaisseaux ; avec vingt-cinq de ces vaisseaux, ils rencontrèrent les trente-cinq syracusains cinglant hors du Grand Port ; — tandis qu’avec les trente-cinq autres ils attaquèrent les quarante-cinq venant du plus petit, immédiatement en dehors de l’entrée du grand. Dans le premier de ces deux engagements, les Syracusains furent d’abord victorieux ; dans le second, également, les Syracusains du dehors s’introduisirent dans l’entrée du Grand fort, et rejoignirent leurs camarades. Mais peu accoutumés à la manière de combattre sur mer, ils tombèrent bientôt dans une confusion complète, en partie par vite de leur succès inattendu ; de sorte que les Athéniens, se remettant du premier coup, les attaquèrent de nouveau et les défirent complètement ; ils coulèrent ou désemparèrent onze vaisseaux, les équipages de trois d’entre eus furent faits prisonniers, et les autres tués pour la plupart[11]. Il y eut aussi trois trirèmes athéniennes détruites. Hais cette victoire, déjà par elle-même assez difficilement gagnée, fut plus que contrebalancée par l’irréparable perte de Plemmyrion. Pendant la première émotion causée à la station navale athénienne, lorsque, les vaisseaux étaient en train d’être garnis de monde pour résister à l’attaque imprévue partant des deux ports à la fois, la garnison de Plemmyrion descendit au bord de la mer pourvoir et encourager ses compatriotes, laissant ses propres murs faiblement gardés, et ne soupçonnant guère la présence de son ennemi du côté de la terre. C’était précisément ce que Gylippos avait prévu. Il attaqua les forts au lever du jour, après avoir surpris complètement la garnison, et s’en empara après une faible résistance ; il prit d’abord le fort le plus grand et le plus important, ensuite les deux plus petits. La garnison se sauva comme elle put, à bord des transports et des bâtiments de charge à la station, et traversa le Grand Port à force de rames jusqu’au camp que Nikias avait sur terre dé l’autre côté. Ceux qui s’enfuirent du plus grand fort, qui fut pris le premier, coururent quelque danger de la part des trirèmes syracusaines, qui à ce moment étaient victorieuses sur mer. Mais pendant le temps que les deux plus petits forts furent pris, la flotte athénienne avait reconquis sa supériorité, de sorte qu’il n’y avait pas le danger d’une poursuite semblable pour ceux qui traversaient le Grand Port. Cette surprise bien concertée ne fut pas moins avantageuse à ses auteurs que fatale comme coup porté aux Athéniens. Non seulement il y eut beaucoup d’hommes tués, et beaucoup d’autres faits prisonniers, dans l’assaut, — mais on trouva clans l’intérieur du port de vastes provisions de toute sorte et même un fonds considérable d’argent ; en partie appartenant à la caisse militaire ; en partie la propriété des triérarques et de marchands particuliers, qui l’y avaient déposé comme dans l’endroit le plus sûr. On y trouva aussi les voiles de pas moins de quarante trirèmes, et trois trirèmes, qui avaient été tirées sur le rivage. Gylippos fit abattre un des trois forts et établit avec soin des garnisons dans les deux autres[12]. Quelque grande que fût la perte positive essuyée ici par les Athéniens à un moment où leur situation pouvait difficilement, la supporter, — le dommage et le péril indirects qui résultaient de la prise de Plemmyrion furent encore plus sérieux, outre l’alarme et-le découragement qu’elle répandit dans l’armée. Les Syracusains étaient alors maîtres de l’entrée du port des deux côtés, de sorte qu’il ne pouvait y pénétrer un seul navire de provisions sans être escorté et sans livrer bataille. Et ce qui n’était pas moins désavantageux, — la flotte athénienne était actuellement forcée de stationner sous les lignes fortifiées de son armée de terre, et était ainsi resserrée dans un petit espace, au fond du Grand Port, entre le mur de la ville et le fleuve Anapos ; les Syracusains étant maîtres partout ailleurs, avec pleine communication entre leurs postes tout à l’entour, enveloppant la position athénienne tant par mer que par terre. (huant aux Syracusains, au contraire, le résultat de la récente bataille fut encourageant pour eux de toute manière ; non seulement à cause de la précieuse acquisition de Plemmyrion, mais même à cause du combat naval lui-même, qui, à la vérité, s’était terminé par une défaite, mais promettait d’abord d’être une victoire, s’ils n’avaient perdu cette chance par leur propre désordre. Il dissipait toute crainte superstitieuse au sujet de la supériorité nautique des Athéniens ; tandis qu’ils avaient tellement amélioré leur position en devenant maîtres de l’entrée du port, qu’ils commencèrent même à prendre l’offensive sur mer. Ils détachèrent une escadre de douze trirèmes qu’ils envoyèrent sur la côte d’Italie, clans le dessein d’intercepter quelques bâtiments marchands venant avec un renfort d’argent destiné aux Athéniens. On craignait si peu un ennemi sur mer dans ces parages, que ces navires semblent être venus sans convoi, et qu’ils furent pour la plupart détruits par les Syracusains, avec une quantité de bois propre à la construction de vaisseaux que les Athéniens avaient réunie près de Kaulonia. En touchant à Lokri à leur retour, les Syracusains prirent à bord une compagnie d’hoplites thespiens qui y était arrivée dans un transport. Ils furent assez heureux pour échapper à l’escadre de vingt trirèmes que Nikias détacha pour les, attendre près de Megara, — toutefois en perdant un vaisseau, y compris son équipage[13]. Un vaisseau de cette escadre syracusaine était allé d’Italie avec des députés vers le Péloponnèse, pour y communiquer la favorable nouvelle de la prise de Plemmyrion, et pour accélérer autant que possible les opérations contre l’Attique, afin qu’il n’en partît pas de renforts. En même temps, d’autres députés non seulement syracusains, mais encore corinthiens et lacédæmoniens, — allèrent de Syracuse visiter les villes de l’intérieur de la Sicile. Ils firent connaître partout la prodigieuse amélioration que l’acquisition de Plemmyrion avait amenée dans les affaires syracusaines, aussi bien que le caractère insignifiant de la récente défaite navale. Ils les sollicitèrent avec ardeur de donner sans délai de nouveaux secours à Syracuse ; puisqu’il y avait actuellement tout lien d’espérer qu’on serait en état d’écraser complètement les Athéniens dans le port, avant que les renforts près d’être envoyés pussent leur arriver[14]. Pendant que ces députés étaient absents pour leur mission, le Grand Port fut le théâtre de beaucoup de conflits sans suite, sans qu’il fût livré un seul combat général. Depuis la perte de Plemmyrion, la station navale des Athéniens était dans le coin intérieur nord-ouest de ce port, confinant aux lignes fortifiées que leur armée de terre occupait. Elle était enfermée et protégée par une rangée de poteaux ou pieux enfoncés dans le fond et sortant de l’eau[15]. Les Syracusains, de leur côté, avaient aussi établi une palissade en face du port intérieur d’Ortygia, pour défendre leurs vaisseaux, leurs arsenaux et leurs bassins à l’intérieur. Comme il n’y avait pas un grand intervalle entre les deux stations, chaque partie guettait les moments favorables pour s’attaquer ou se molester à l’occasion l’urge l’autre au moyen d’armes de trait ; et il se livrait chaque jour des escarmouches de cette sorte, dans lesquelles en général les Athéniens semblent avoir eu l’avantage. Ils conçurent même le plan de pénétrer de vive force dans les ouvrages intérieurs de l’arsenal syracusain et de brûler les vaisseaux à, l’intérieur. Ils amenèrent un navire de la plus grande dimension, avec des tours de bois et des parapets, contre la ligne de pieux faisant face à l’arsenal, et essayèrent de forcer l’entrée, soit au moyen de plongeurs qui sciaient les pieux au fond de l’eau, soit par des marins dans des barques qui les entouraient de cordes et ainsi les détachaient ou les arrachaient. Tout cela se faisait à l’abri du grand navire avec ses tours garnies d’hommes armés à la légère, qui échangeaient des grêles de traits avec les archers syracusains postés~sur le toit de leurs hangars à vaisseaux, et empêchaient ces derniers de venir assez prés pour interrompre l’opération. Les Athéniens parvinrent ainsi à enlever la plupart des pieux fichés dans la mer, — et même les plus dangereux d’entre eux, ceux qui n’arrivaient pas à la surface de l’eau, et que par conséquent lui vaisseau qui approchait ne pouvait pas voir. Mais ils y gagnèrent peu, puisque les Syracusains purent en ficher d’autres à la place. En général, il ne fut fait aucun dommage sérieux ni à l’arsenal, ni aux vaisseaux à l’intérieur. Et l’état de choses dans le Grand Port resta pour ainsi dire le même, pendant tout le temps que les envoyés furent absents pour leur tournée en Sicile, — probablement trois semaines ou un mois[16]. Ces députés avaient trouvé presque partout un bon accueil. L’avenir de Syracuse était alors si brillant, et celui de Nikias, avec ses forces actuelles, si complètement désespéré, que ceux qui hésitaient crurent le moment venu de se déclarer ; et toutes les gilles grecques de Sicile, excepté Agrigente, qui resta encore neutre (et naturellement excepté Naxos et Katane), résolurent de prêter leur aide à la cause qui l’emportait. Il vint de Kamarina 500 hoplites, 400 akontistæ et 300 archers ; de Gela, 5 trirèmes, 400 akontistæ et 200 cavaliers. En outre, des troupes additionnelles des autres villes se réunirent, pour se rendre à Syracuse en corps à travers l’intérieur de l’île, sous la conduite des députés eux-mêmes. Mais cette partie du plan fut déjouée par Nikias, que l’état désespéré actuel de ses affaires rendait plus vigilant qu’il ne l’avait été par rapport à la marche de Gylippos à travers la Sicile. A sa prière, les tribus sikels des Kentoripes et des Halikyæi, alliées d’Athènes, se décidèrent à attaquer les ennemis qui approchaient. Ils combinèrent une habile embuscade, les assaillirent à l’improviste et les dispersèrent en leur faisant subir une perte de 800 hommes. Tous les députés furent tués aussi, excepté les Corinthiens qui conduisirent le reste des troupes (au nombre de 1.500 environ) à Syracuse[17]. Ce revers, — qui semble être survenu vers le temps où Demosthenês avec son armement était à Korkyra, en route pour Syracuse, — intimida et mortifia tellement les Syracusains, que Gylippos jugea prudent de différer pendant quelque temps l’attaque qu’il avait eu l’intention de faire immédiatement après l’arrivée du renfort[18]. Le délai de ces quelques jours ne fut rien moins que le salut de l’armée athénienne. Ce ne fut pas avant que Demosthenês approchât de Rhegium, à deux ou trois jours de navigation de Syracuse, que l’attaque fut décidée sans nouveau délai. Longtemps à l’avance on avait fait des préparatifs de tout genre dans ce but, en particulier pour l’emploi le plus efficace des forces navales. Les capitaines et les patrons de vaisseaux de Syracuse et de Corinthe avaient fini par bien connaître la supériorité de la manœuvre nautique athénienne, et les causes d’où dépendait cette supériorité. La trirème athénienne était d’une construction comparativement légère, bonne pour un mouvement rapide dans l’eau, et pour un changement facile de direction : sa proue était étroite, armée d’une pointe aiguë s’avançant à l’extrémité, mais creuse et faible, et non pas faite pour se frayer passage au milieu d’une très forte résistance. Elle n’était jamais destinée à rencontrer, dans un choc et une collision directs, la proue d’un ennemi : une telle manœuvre passait aux yeux des habiles marins d’Athènes, pour une grande maladresse. En avançant contre le vaisseau d’un ennemi, ils évitaient le choc direct, gouvernaient de manière à passer à côté, — puis, grâce à l’excellence et à la précision du mouvement de leurs rames, ils faisaient une conversion rapide, changeaient de direction, et revenaient avant que l’ennemi pût changer la sienne : ou peut-être ramaient-ils rapidement autour de lui, — ou reculaient-ils leur poupe tout d’abord, — jusqu’à ce qu’ils trouvassent l’occasion de pousser l’éperon de leur vaisseau contre quelque partie faible du sien, — contre le milieu du vaisseau, sa hanche, sa poupe, ou le plat des rames au dehors. Dans ces manœuvres les Athéniens étaient sans rivaux : mais aucune d’elles ne pouvait être accomplie, s’il n’y avait un vaste espace de mer, — ce qui rendait leur station navale actuelle la plus désavantageuse qui se pût imaginer. Ils étaient enfermés dans la partie la plus reculée d’un port de petites dimensions, près de la station de leurs ennemis, et avec tout le rivage, excepté leurs propres lignes, au pouvoir de ces ennemis ; de sorte qu’ils ne pouvaient ramer à l’entour faute d’espace, ni nager à culer parce qu’ils n’osaient pas approcher du rivage. Dans cet espace resserré, le seul mode possible de combattre était par collision directe, proue contre proue, procédé qui non seulement excluait toutes leurs manœuvres supérieures, mais ne convenait pas à la construction de leurs trirèmes. D’autre part, les Syracusains, d’après le conseil de leur habile timonier corinthien, Aristôn, changèrent la construction de leurs trirèmes pour se conformer aux exigences spéciales du cas, écartant toute idée de ce qui avait été généralement regardé comme une bonne manœuvre nautique[19]. Au lieu de la pointe en avant, longue, faible, creuse et effilée, frappant l’ennemi considérablement au-dessus de la ligne de flottaison, et, conséquemment, causant moins de dommage, — ils raccourcirent la proue, mais la firent excessivement lourde et massive, — et abaissèrent la hauteur de la pointe en avant, de manière à ce qu’elle servit moins à percer qu’à pénétrer et à écraser de vive force toutes les parties opposées du vaisseau de l’ennemi, peu au-dessus de l’eau. Ce qu’on appelait les épôtides, oreillons ou bouts se projetant à la droite et à la gauche de l’éperon, on les fit particulièrement épaisses et on les soutint au moyen d’arcs-boutants de bois placés dans la coque du vaisseau. Dans la construction attique, l’éperon était très proéminent, et les épôtides de chaque coté étaient maintenues en arrière, servant au même objet que ce qu’on appelle bossoirs dans les vaisseaux modernes, auxquels les ancres sont suspendues : mais dans la construction corinthienne, l’éperon avançait moins, et les épôtides davantage, — de sorte qu’elles servaient à frapper l’ennemi : au lieu d’avoir un seul éperon, on pourrait dire que le vaisseau corinthien avait trois bouts[20]. Les Syracusains comptaient sur l’étroitesse de l’espace, pour empêcher les évolutions athéniennes et ramener la lutte à rien de plus qu’une collision directe dans laquelle le vaisseau plus faible aurait sa proue brisée et défoncée, et dans cet état ne pourrait plus être gouverné. Après que ces arrangements eurent été achevés, leur armée de terre fut mise en marche sous Gylippos pour menacer un des côtés des lignes athéniennes, tandis que la cavalerie et la garnison de l’Olympieion s’avançaient de’ l’autre côté. Les Athéniens se mettaient en position de se défendre contre ce qui semblait être une attaque par terre, quand ils virent la flotte syracusaine, forte de quatre-vingts trirèmes, sortir de son bassin toute prête à agir : alors eux aussi, bien que troublés d’abord par cette apparition inattendue, embarquèrent leurs équipages, et sortirent de leur station palissadée, avec soixante-quinze trirèmes, pour aller au-devant de l’ennemi. Cependant tout le jour se passa en escarmouches sans suite et indécises ; avec un léger avantage pour les Syracusains, qui désemparèrent un ou deux vaisseaux athéniens, et toutefois essayèrent seulement d’amener les Athéniens à attaquer, sans vouloir eux-mêmes engager une action générale et corps à corps[21]. Il était sage aux Athéniens d’éviter absolument un engagement naval en restant dans leur station (du moins jusqu’à ce que la nécessité les y forçât pour escorter de nouvelles provisions arrivant dans le port) ; et comme Demosthenês était alors à peu de distance, la prudence conseillait cette réserve. On dit que Nikias lui-même aussi repoussa un combat immédiat, mais que son vote fut vaincu par ceux de ses collègues récemment nommés, Menandros et Euthydemos, qui, jaloux de montrer ce qu’ils pouvaient faire sans Demosthenês, s’appuyèrent sur l’honneur maritime athénien, qui leur défendait péremptoirement de reculer devant la bataille quand elle leur était offerte[22]. Bien que le lendemain les Syracusains ne fissent aucun mouvement, cependant Nikias prévoyant qu’ils ne tarderaient pas à recommencer, et n’étant nullement encouragé par les manifestations indécises du jour précédent, ordonna à chaque triérarque de réparer les avaries que son vaisseau avait éprouvées ; et même il prit la précaution d’assurer davantage sa station navale en amassent des bâtiments marchands précisément le long des ouvertures de la palissade, à environ deux cents pieds les uns des autres. Les proues de ces bâtiments étaient pourvues de dauphins, — ou poutres élevées en l’air et armées à l’extrémité de têtes massives de fer, qu’on pouvait ainsi laisser tomber de manière à écraser tout vaisseau qui entrait[23] : toute trirème athénienne qui serait pressée de près pourrait ainsi pénétrer par cette ouverture où aucun ennemi ne pourrait la suivre, et choisirait son moment pour sortir de nouveau. Avant la nuit, ces arrangements furent achevés. Aux premières lueurs du jour suivant, les Syracusains reparurent, et firent les mêmes démonstrations de forces de terre et de mer qu’auparavant. La flotte athénienne s’étant avancée à leur rencontre, plusieurs heures se passèrent dans les mêmes escarmouches indécises et partielles, jusqu’à ce qu’enfin la flotte syracusaine retournât vers la ville, — encore sans engager de combat général et corps à corps. Les Athéniens, expliquant cette retraite de l’ennemi comme une preuve de lenteur et de peu de disposition à combattre[24], et supposant que leur devoir du jour était terminé, se retirèrent de leur côté dans leur station, débarquèrent, et se séparèrent pour préparer leur dîner à loisir, — car ils n’avaient pris aucune nourriture ce jour-là. Mais ils n’étaient pas depuis longtemps sur le rivage, qu’ils furent étonnés de voir la flotte syracusaine revenir pour renouveler l’attaque, en ordre parfait de bataille. C’était une manœuvre suggérée par le Corinthien Aristôn, le plus habile timonier de la flotte ; à sa prière, les amiraux syracusains avaient envoyé aux autorités de la ville la requête pressante de faire apporter sur le rivage de la mer, pour ce jour-là, une grande quantité de provisions, et d’en rendre la vente obligatoire ; ainsi, la flotte à son retour ne perdrait pas de temps, en prenant un repas à la hâte sans que les équipages eussent à se disperser. En conséquence la flotte, après un intervalle court, mais suffisant, accordé pour prendre un rafraîchissement tout prêt ainsi, fut ramenée inopinément à la station de l’ennemi. Confondus à cette vue, les équipages athéniens montèrent forcément de nouveau à bord, la plupart d’entre eux n’ayant pas pris de nourriture, et au milieu des murmures et du désordre[25]. A la sortie de leur station les escarmouches indécises recommencèrent, et continuèrent pendant quelque temps, -jusqu’à ce qu’enfin les capitaines athéniens devinssent si impatients d’une fatigue prolongée qui épuisait leurs hommes, qu’ils résolurent d’engager la lutte les premiers, et d’en venir à une action corps à corps aussi bien que générale. En conséquence, on donna le signal, et ils ramèrent en avant pour commencer l’attaque, qui fut reçue gaiement par les Syracusains. En étant attaqués au lieu de le faire eux-mêmes, ces derniers étaient plus en état d’assurer une collision directe de proue contre proue, excluant tout circuit, tout mouvement en arrière, ou toute évolution de la part de l’ennemi : à tout prix, leurs timoniers s’arrangèrent pour réaliser ce plan, et pour écraser, enfoncer ou endommager l’avant d’un grand nombre des trirèmes athéniennes, simplement par le poids supérieur des matériaux et par leur solidité de leur propre côté. En outre, aussitôt que le combat s’engagea corps à corps ; les akontistæ syracusains, en grand nombre sur le pont des vaisseaux, faisaient beaucoup de mal ; tandis que leurs petits bateaux ramaient immédiatement sous les flancs des trirèmes athéniennes, brisaient les plats de leurs rames, et lançaient des traits dans l’intérieur par les trous des avirons, contre les rameurs sur leurs bancs. Enfin, les Athéniens, après avoir vaillamment soutenu le combat pendant quelque temps, eurent un tel désavantage, qu’ils furent forcés de céder et de chercher un abri dans leur station. Les bâtiments marchands armés, que Nikias avait établis devant les ouvertures de la palissade se trouvèrent alors avoir une grande utilité en arrêtant la poursuite des Syracusains ; deux de leurs trirèmes, dans l’excitation de la victoire, poussèrent en avant trop prés de ces bâtiments et furent désemparées par les engins pesants qu’ils avaient à bord, — l’une d’elles fut prise avec tout son équipage. Toutefois, la victoire générale des Syracusains fut complète : sept trirèmes athéniennes furent coulées bas ou désemparées ; beaucoup d’autres sérieusement endommagées, et un grand nombre de marins tués on faits prisonniers[26]. Enivrés de joie par le résultat de cette bataille, dont le plan semble avoir été non moins habilement conçu que bravement exécuté, les Syracusains eurent alors pleine confiance dans leur supériorité sur mer aussi bien que sur terre, et ne songèrent à rien moins qu’à la destruction complète de leurs ennemis dans le port. Les généraux s’occupaient déjà de concerter des mesures pour renouveler l’attaque tant par mer que par terre, et une semaine ou deux de plus aurait probablement vu la ruine de cet armement de siège jadis triomphant, où au moment actuel ne régnait que le découragement. Dans le fait, la seule interruption clés provisions, vu que les Syracusains étaient maîtres de l’entrée du port, devait nécessairement le réduire à la famine en peu de temps, s’ils conservaient leur supériorité sur mer. Cependant tous leurs calculs furent suspendus, et les espérances des Athéniens ranimées pour le moment, par l’entrée de Demosthenês et d’Eurymedôn avec le second armement dans le Grand Port, entrée qui semble s’être effectuée le jour même, ou le lendemain, après la récente bataille[27]. Tellement furent importantes les conséquences qui résultèrent de cet ajournement de l’attaque des Syracusains, occasionné par la récente défaite de leur armée de renfort venant de l’intérieur ! Tellement l’une ou l’autre partie pensa peu, à ce moment-là, que c’eût été un adoucissement au malheur d’Athènes, si Demosthenês ne fût pas arrivé à temps, si la ruine du premier armement eût été consommée réellement alors avant l’arrivée du second ! Demosthenês, après avoir obtenu les renforts demandés à Korkyra, avait traversé la mer Ionienne pour se rendre aux îles appelées Chœrades, sur la côte d’Iapygia, où il prit à son bord une troupe de 150 akontistæ messapiens, grâce à l’aide amicale du prince indigène Artas, avec lequel il renouvela une ancienne alliance. Poussant jusqu’à Métaponte, déjà alliée d’Athènes, il y fut renforcé de deux trirèmes et de 300 akontistæ : ayant ses forces ainsi augmentées, il fit voile vers Thurii. Là il se vit cordialement accueilli, car le parti favorable à Athènes était en plein ascendant ; il avait eu récemment le dessus dans une dissension violente, et avait rendu une sentence de bannissement contre ses adversaires[28]. Non seulement ils prirent la résolution formelle ne reconnaître les mêmes amis et les mêmes ennemis que les Athéniens, mais ils équipèrent un régiment de 700 hoplites et de 300 akontistæ destinés à accompagner Demosthenês, qui y resta assez longtemps pour passer ses troupes en revue et vérifier si chaque division était complète. Après avoir fait cette revue sur les bords du fleuve Sybaris, il fit marcher ses troupes par terre à travers le territoire thurien jusqu’aux rives du fleuve Hylias qui le séparait de Krotôn. Là il rencontra des députés krotoniates, qui lui interdirent l’accès de leur territoire ; alors il suivit le fleuve jusqu’au rivage de la mer, s’embarqua et poursuivit son voyage au sud le long de la côte d’Italie, — touchant aux diverses villes, à toutes excepté à l’hostile Lokri[29]. Son entrée dans le port de Syracuse[30], — accomplie dans l’ordre le plus fastueux, avec des ornements et des accompagnements de musique, — fut non moins imposante à cause de la grandeur de ses forces, que critique par rapport à l’opportunité. A prendre ensemble Athéniens, alliés et forces mercenaires, — il conduisait 73 trirèmes, 5000 hoplites, et un nombre considérable de troupes légères de toute sorte, archers, frondeurs, akontistæ, etc., avec d’autres choses nécessaires pour agir d’une manière efficace. A la vue de cet armement non inférieur au premier qui était arrivé sous Nikias, les Syracusains perdirent pour un moment la confiance de leur récent triomphe, et furent frappés de terreur aussi bien que d’étonnement[31]. Qu’Athènes pût être assez téméraire pour se passer d’un tel armement, à un instant où l’explosion complète de l’hostilité péloponnésienne recommençait contre elle, et où Dekeleia était en train d’être fortifiée, — c’était un fait en dehors de toute probabilité raisonnable, et qu’on ne pouvait croire, à moins qu’on né le vît réellement. Et bien que les Syracusains sussent que Demosthenês était en route, probablement ils n’avaient aucune idée à l’avance de la grandeur de son armement. D’autre part, les cœurs des Athéniens défaits et assiégés furent ranimés quand ils saluèrent leurs nouveaux camarades. Ils se virent maîtres de nouveau sur terre aussi bien que sur mer ; et ils montrèrent leur supériorité nouvelle en sortant sur-le-champ de leurs lignes et en ravageant les terres voisines de l’Anapos, les Syracusains n’osant pas engager une action générale, et se bornant à surveiller le mouvement avec quelque cavalerie de l’Olympieion. Mais cette manifestation illusoire de puissance n’en imposa pas à Demosthenês, aussitôt qu’il se fut rendu maître de l’état complet des affaires, et qu’il eut comparé ses propres moyens avec ceux de l’ennemi. Il trouva l’armée de Nikias non seulement harassée par des fatigues continuées longtemps, et découragée par la défaite précédente, mais encore affaiblie à un terrible degré par la fièvre de marais générale vers la fin de l’été, dans le terrain bas où elle était campée[32]. Il vit que ce qui faisait la force des Syracusains, c’étaient des alliés multipliés, des fortifications étendues, un chef d’un grand talent et la croyance universelle que leur cause l’emporterait. De plus, il sentit profondément la position d’Athènes chez elle et le besoin qu’elle avait de tous ses citoyens contre des ennemis, en face de ses propres murailles. Mais surtout, il en vint à être convaincu des déplorables effets qui étaient résultés de l’erreur qu’avait commise Nikias, en perdant d’une manière irréparable tant de temps précieux et en effaçant peu à peu la première et effrayante impression causée par son magnifique armement. Toutes ces considérations déterminèrent Demosthenês à agir sans tarder un moment, tandis que l’impression produite par son arrivée était encore entière, — et à frapper un coup grand et décisif tel que, s’il réussissait, il pût rendre la conquête de Syracuse de nouveau probable. S’il échouait, il résolut d’abandonner toute l’entreprise, et de retourner sur-le-champ à Athènes avec son armement[33]. Au moyen des lignes athéniennes, il possédait la partie la plus méridionale de la pente d’Epipolæ. Mais tout le long de cette pente de l’est à l’ouest, immédiatement en face ou au bord de sa position, s’étendait le contre-mur bâti par les Syracusains, commençant au mur de la ville sur le terrain le plus bas, et s’élevant d’abord dans une direction nord-ouest ; ensuite dans une direction occidentale, jusqu’à, ce qu’il rejoignît le fort sur le terrain le plus élevé près de la falaise, où massait la route d’Euryalos à Syracuse. Les Syracusains, Comme défenseurs, étaient sur le côté nord de ce contre-mur, lui et les Athéniens sur le côté sud. C’était une barrière qui arrêtait complètement sa marche, et il ne pouvait faire un pas s’il ne s’en rendait maître. Pour y parvenir, il n’y avait que deus moyens possibles, — ou l’attaquer de front, ou le tourner par son extrémité occidentale en remontant jusqu’à l’Euryalos. Il commença par essayer la première méthode ; mais le mur était abondamment garni d’hommes et vigoureusement défendu. Les machines de siège furent toutes bridées ou mises hors d’état de servir, et toutes les tentatives qu’il fit furent complètement repoussées[34]. Il ne restait plus que la seconde méthode, — de tourner le mur en montant par des routes détournées jusqu’aux hauteurs d’Euryalos, derrière cet ouvrage, et ensuite en attaquant le fort par lequel il se terminait. Mais la marche nécessaire pour accomplir ce dessein d’abord, en remontant la vallée de l’Anapos, visible des postes syracusains au-dessus ; ensuite en montant jusqu’à l’Euryalos par une route étroite et sinueuse, — était si difficile que même Demosthenês, naturellement plein d’ardeur, désespéra de pouvoir se frayer une route dans le jour, en face d’un ennemi qui verrait l’attaque. Il fut donc forcé de tenter une surprise de nuit, et dans ce dessein, du consentement de Nikias et de ses autres collègues, il fit en conséquence des préparatifs sur l’échelle la plus grande et parles moyens les plus efficaces. Il prit le commandement lui-même avec Menandros et Eurymedôn (Nikias[35] restant pour commander dans l’intérieur des lignes), — il emmena des hoplites et des troupes légères, avec des maçons et des charpentiers, et tout ce qui était nécessaire pour établir un poste fortifié ; — enfin il donna l’ordre que chaque homme emportât avec lui des provisions pour cinq jours. La fortune le favorisa au point qu’il accomplit non seulement les arrangements préliminaires, mais la marche elle-même, sans éveiller les soupçons dé l’ennemi. Au commencement d’une nuit éclairée par la lune, il quitta, les lignes, et marcha le long du terrain bas sur la rive gauche de l’Anapos et parallèlement à ce fleuve pendant une distance considérable ; suivant après cela diverses routes à droite, il arriva à l’Euryalos ou point le plus élevé d’Epipolæ, où il se trouva sur la même route par laquelle avaient passé les Athéniens en revenant de Katane dix-huit mois auparavant, — et Gylippos en venant de l’intérieur de l’île dix mois avant environ, — afin de gagner la pente d’Epipolæ, au-dessus de, Syracuse. Il atteignit, sans être découvert, le fort extrême des Syracusains sur la hauteur, — l’attaqua tout à fait à l’improviste, — et le prit après une faible résistance. Quelques hommes de la garnison qu’il renfermait furent tués ; mais la plus grande partie s’échappa et courut donner l’alarme aux trois camps fortifiés de Syracusains et d’alliés, qui étaient placés l’un au-dessous de l’autre, derrière le long mur continu[36], sur la pente d’Epipolæ, — aussi bien qu’à un régiment d’élite de six cents hoplites syracusains sous Hermokratês[37], qui formait un poste de nuit ou bivouac. Ce régiment se hâta de venir au secours ; mais Demosthenês et l’avant-garde athénienne, chargeant avec impétuosité, le refoulèrent en désordre sur les positions fortifiées qui se trouvaient derrière. Même Gylippos et les troupes syracusaines qui sortirent de ces positions furent d’abord ramenés en arrière par le même mouvement de retraite. Jusque-là l’entreprise de Demosthenês avait réussi au delà de toute espérance raisonnable. Il était maître, non seulement du fort extérieur de la position syracusaine, mais encore de l’extrémité de leur contre-mur qui s’appuyait sur ce fort : le contre-mur n’était plus défendable, maintenant qu’il se trouvait sur le côté nord ou syracusain de ce mur ; — de sorte que les hommes sur le parapet, là où il rejoignait le fort,-ne firent aucune résistance et s’enfuirent. Quelques Athéniens se mirent même à arracher les parapets et à démolir cette partie du contre-mur, opération d’une extrême importance en ce qu’elle aurait ouvert à Demosthenês une communication avec le côté méridional du contre-mur, menant directement aux lignes athéniennes sur Epipolæ. En tout cas, sors plan, qui consistait à tourner le contre-mur, était déjà exécuté, — s’il avait pu seulement se maintenir dans sa position actuelle, même sans avancer plus loin, — et s’il avait pu démolir deux ou trois cents mètres de l’extrémité supérieure du mur alors en son pouvoir. Qu’il lui ait été possible de se maintenir sans avancer plus loin jusqu’au lever du jour, et éviter ainsi les périls inconnus d’une bataille de nuit, c’est ce que nous ne pouvons dire. Mais lui et ses hommes, trop exaltés par le succès pour songer à s’arrêter, marchèrent rapidement en avant pour compléter leur victoire et pour empêcher les Syracusains débandés de reprendre un ordre ferme de bataille. Toutefois, malheureusement, leur ardeur de poursuite (comme cela arrivait constamment aux hoplites grecs) troubla la régularité de leurs propres rangs, de sorte qu’ils ne furent pas en état de soutenir le choc des hoplites bœôtiens, qui venaient de sortir de leur position, et qui s’avançaient dans un ordre ferme et excellent vers le théâtre de l’action. Les Bœôtiens les chargèrent, et, après une courte résistance, les défirent complètement et les forcèrent à prendre la fuite. Les fugitifs de l’avant-garde furent refoulés ainsi sur leurs propres camarades qui s’avançaient derrière eux, — encore sous l’impression du succès, — ignorant ce qui s’était passé par devant, — et eux-mêmes poussés par les nouvelles troupes qui les suivaient immédiatement. De cette manière, toute l’armée ne présenta bientôt plus qu’une scène de confusion et de cris, où il n’y avait ni commandement ni obéissance, et où personne ne pouvait discerner ce qui se passait. La lumière de la lune rendait les objets et les personnes visibles en général, sans être suffisante pour qu’on distinguât un ami d’un ennemi. Les Athéniens défaits, refoulés sur leurs camarades, furent dans plus d’un cas pris par erreur pour des ennemis et tués. Les Syracusains et les Bœôtiens, poussant de grands cris et poursuivant leur avantage, se trouvèrent mêlés aux premiers Athéniens, et, les deux armées se groupèrent ainsi en troupes qui ne se reconnaissaient les unes les autres qu’en se demandant mutuellement le mot d’ordre. Cette preuve aussi ne tarda pas à faire défaut, puisque chacune des deux parties finit par connaître le mot d’ordre de l’autre, — en particulier celui des Athéniens, chez lesquels la confusion était la plus grande, fut bien connu des Syracusains qui restaient réunis en troupes plus considérables. Surtout l’effet du pæan ou cri de guerre des deux côtés fut remarquable. Les Dôriens de l’armée athénienne (d’Argos, de Korkyra et d’autres endroits) faisaient entendre un pæan que l’on ne pouvait distinguer de celui des Syracusains. Conséquemment leur cri jetait la terreur parmi les Athéniens eux-mêmes qui s’imaginaient avoir des ennemis derrière eux et au milieu d’eux. Ce désordre et cette panique aboutirent bientôt à une faite générale. Les Athéniens, en fuyant, se précipitèrent par les mêmes routes qu’ils avaient suivies en montant ; mais ces routes se trouvèrent trop étroites pour des fugitifs frappés de terreur, et beaucoup d’entre eux rejetèrent leurs armes afin de gravir les falaises ou de sauter en bas, tentative dans laquelle ils périrent pour la plupart. Même parmi eux qui effectuèrent sans accident leur descente dans la plaine, en bas, beaucoup (particulièrement les nouveaux venus appartenant à l’armement de Demosthenês) s’égarèrent par ignorance et furent interceptés le lendemain par la cavalerie syracusaine. Après des pertes terribles, et l’esprit abattu, les Athéniens trouvèrent enfin un abri dans leurs propres lignes. Leur perte en armes fut même plus grande que leur perte en hommes, à cause des boucliers que jetèrent les soldats qui s’élancèrent du haut de la falaise[38]. Les Syracusains, ivres de joie, érigèrent deux trophées, l’un sur la route d’Epipolæ, l’autre à l’endroit exact et fatal où les Bœôtiens avaient résisté à l’ennemi et l’avaient repoussé pour la première fois. Une victoire, si inattendue et si accablante, fit remonter leurs sentiments au même point de confiance qui les avait animés avant l’arrivée de Demosthenês. Redevenus maîtres du terrain, ils conçurent de nouveau l’espoir de forcer les lignes athéniennes et de détruire l’armement ; toutefois, pour y parvenir, on jugea nécessaire d’obtenir de nouveaux renforts, et Gylippos alla en personne, chargé de cette mission, vers les différentes villes de Sicile ; — tandis qu’on dépêcha Sikanos avec quinze trirèmes à Agrigente, qui, comme on le croyait, hésitait à ce moment et était dans une crise politique[39]. Pendant l’absence de Gylippos, les généraux athéniens purent à loisir déplorer leur revers récent, et discuter les exigences de leur fâcheuse position. Tout l’armement était alors plein de découragement et de lassitude ; impatient de fuir un théâtre où la fièvre le diminuait chaque jour en nombre, et où il semblait destiné uniquement au déshonneur. Ces pénibles preuves de désorganisation croissante ne donnèrent à Demosthenês que plus d’ardeur à insister sur la résolution qu’il avait prise avant l’attaque sur Epipolæ. Il avait fait de son mieux pour frapper un coup décisif : les chances de la guerre avaient tourné contre lui, et lui avaient fait subir une défaite humiliante ; aussi insistait-il maintenant sur la nécessité d’abandonner toute l’entreprise et de retourner sur-le-champ à Athènes. La saison était encore favorable pour le voyage (on était, à ce qu’il semble, au commencement d’août) tandis que les trirèmes, amenées récemment, et dont on ne s’était pas encore servi, les rendaient maîtres de la mer pour le moment. Il était inutile (ajoutait-il) de perdre plus de temps et d’argent à continuer de faire la guerre à Syracuse, qu’on ne pouvait pas actuellement espérer réduire ; surtout a un moment ors Athènes avait tant besoin de toutes ses forces chez elle, pour les opposer à la garnison de Dekeleia[40]. Cette proposition, bien qu’épousée et appuyée par Eurymedôn, fut péremptoirement combattue par Nikias, qui prétendit, d’abord, que, bien qu’il admît la réalité tout entière de leur présente détresse et des chances ingrates pour l’avenir, on ne devait pas néanmoins les proclamer publiquement. L’ennemi finirait inévitablement par connaître une résolution formelle de se retirer, adoptée en présence de tant de personnes, et par conséquent on ne pourrait jamais l’exécuter en silence et en secret[41], — comme demandait à l’être une telle résolution. Mais bien plus, il (Nikias) fit une objection décidée à la résolution elle-même. Il ne consentirait jamais à ramener l’armement, sans ordre spécial d’Athènes pour le faire ; il était sûr que le peuple athénien ne supporterait jamais une telle conduite. Quand les actes des généraux seraient soumis à l’assemblée publique à Athènes, ils seraient jugés, non par des personnes qui avaient été à Syracuse et qui connaissaient les faits réels, mais par des auditeurs qui ne devraient leurs connaissances qu’aux discours artificieux d’orateurs habitués à incriminer. Même les citoyens qui servaient actuellement, — bien que poussant maintenant des cris de souffrance, et impatients de retourner dans leurs foyers, — changeraient de ton quand ils seraient en sûreté dans l’assemblée publique, et feraient volte-face pour dénoncer leurs généraux comme ayant été déterminés par des présents à emmener l’armée. En exprimant ses propres sentiments personnels, il connaissait trop bien les dispositions de ses concitoyens pour s’exposer au danger de périr ainsi sous une accusation à la fois imméritée et honteuse. Il aimerait mieux courir Ies chances les plus extrêmes de danger de la part de l’ennemi[42]. On devait se rappeler aussi (ajoutait-il) que si leurs affaires étaient actuellement mauvaises, celles de Syracuse étaient aussi mauvaises, et même dans un état pire. Pendant plus d’une année, la guerre avait imposé aux Syracusains des frais ruineux, pour nourrir des alliés étrangers aussi bien que pour maintenir des postes avancés, — de sorte qu’ils avaient déjà dépensé deux mille talents, outre de larges dettes contractées et non payées. Ils ne pouvaient continuer cette marche plus longtemps ; cependant la suspension de leurs payements leur aliénerait alors l’esprit de leurs alliés, et les laisserait sans ressources. Athènes pouvait bien mieux supporter les frais de la guerre (auxquels Demosthenês avait fait allusion comme à une raison pour retourner dans leur patrie) ; tandis qu’un poids plus lourd accablerait entièrement les Syracusains. Il (Nikias) conseillait donc de rester où ils étaient et de continuer le siège[43] ; d’autant plus que la flotte était devenue incontestablement la plus forte des deux. Demosthenês et Eurymedôn protestèrent dans les ternies les plus forts contre la proposition de Nikias. En particulier ils traitèrent le projet de rester dans le Grand. Port comme une source certaine de ruine, et conseillèrent avec insistance, tout au moins, de quitter cette position sans un moment de retard. Même en admettant (comme argument) les scrupules de Nikias a l’idée d’abandonner la guerre syracusaine sans une autorisation formelle d’Athènes, ils insistaient encore sur une translation immédiate de leur camp du Grand Port a Thapsos ou à Katane. A l’une ou a l’autre, de ces stations ils pourraient poursuivre les opérations contre Syracuse avec tout l’avantage d’un cercle plus vaste de pays pour avoir des provisions, d’un endroit plus sain, et surtout d’une mer ouverte, qui était absolument indispensable a la tactique navale des Athéniens, en échappant à cet étroit bassin qui les condamnait a l’infériorité même sur leur propre élément. En tout cas se retirer, et cela immédiatement, du Grand Port, — telle fut la demande pressante de Demosthenês et d’Eurymedôn[44]. Mais même quant a la motion modifiée de transférer la position actuelle à Thapsos ou à Katane, Nikias refusa d’y consentir. Il insista sur le conseil de rester comme on était ; et il parait que Menandros et Euthydemos[45] (collègues nommés par l’assemblée a Athènes avant le départ du second armement) ont dû voter sous l’influence de son autorité ; ce qui fit que la majorité fut de son côté. Probablement, il n’a dit falloir rien moins que d’être en minorité pour engager Demosthenês et Eurymedôn à se soumettre, — sur un point d’une importance si considérable. Ce fut ainsi que l’armement athénien resta sans quitter le Port, toutefois apparemment tout à fait inactif, pendant une période qui a dû au moins durer trois semaines ou un mois, jusqu’à ce que Gylippos revînt à Syracuse avec de nouveaux renforts. Dans toute l’armée, l’espoir du succès paraît s’être évanoui, tandis que le désir du retour était devenu général Les opinions de Demosthenês et d’Eurymedôn étaient sans doute bien connues, et on attendait des ordres pour la retraite, qui ne vinrent pas. Nikias refusa obstinément de les donner, pendant tout ce fatal intervalle ; ce qui plongea l’armée dans l’abîme de la ruine, au lieu d’un simple échec dans leur entreprise agressive. Cette obstination parut si inexplicable, que bien des personnes crurent, à la décharge de Nikias, qu’il savait plus qu’il ne voulait révéler. Thucydide même pense qu’il fut trompé par ce parti dans Syracuse, avec lequel il avait toujours entretenu une correspondance secrète (vraisemblablement à part de ses collègues), et qui le pressait, par des messages spéciaux, de ne pas s’en aller, l’assurant qu’il serait impossible à Syracuse de tenir plus longtemps. Sans se fier entièrement à ces avis, il ne pouvait se décider à agir dans le sens opposé. Il reculait donc de jour en jour, refusant de prononcer le mot décisif[46]. Rien dans toute la carrière de Nikias n’est aussi inexplicable que sa coupable infatuation, — car nous ne pouvons lui donner un nom moins sévère, en voyant qu’elle enveloppait tous les hommes braves qui l’entouraient dans la même ruine que lui, — à ce moment critique. Comment pouvons-nous supposer qu’il ait réellement cru que les Syracusains, alors en pleine veine de succès, et lorsque Gylippos était allé se procurer de nouvelles forces, faibliraient et seraient hors d’état de continuer la guerre ? Quelque puérile que semble une pareille crédulité, nous sommes néanmoins obligé de l’admettre comme réelle, à tel point qu’elle contrebalança tous les motifs pressants qui engageaient à partir ; motifs appuyés par des collègues judicieux : aussi bien que par les plaintes de l’armée, et signalés à sa propre observation par l’expérience de sa dernière défaite navale. En tout cas, elle servit d’excuse à la fatale faiblesse de son caractère qui le rendit incapable de prendre des résolutions fondées sur des calculs à longue portée, et l’enchaîna à sa position actuelle jusqu’à ce qu’il fût forcé d’agir par une imminente nécessité. Mais nous discernons dans la présente occasion un autre motif qui contribue beaucoup à lui dicter son hésitation. Les autres généraux conçoivent avec plaisir l’idée de retourner dans leur pays et de sauver les forces qui restent encore, même dans des circonstances de désappointement et d’échec. Il n’en est pas de même de Nikias ; il connaît trop bien la réception qu’il a méritée et qui pouvait bien être en réserve four lui. De son aveu, il est vrai, il prévoit un reproche que les Athéniens adresseront aux généraux, mais seulement un reproche immérité, sur la raison spéciale qu’ils ramènent l’armée sans ordres venus d’Athènes, — ajoutant quelques dures critiques sur l’injustice des jugements populaires et la perfidie de ses propres soldats. Fiais en premier lieu, nous pouvons faire remarquer que Demosthenês et Eurymedôn, bien qu’aussi responsables que lui de cette décision, n’eurent pas la même crainte de l’injustice populaire, ou, s’ils l’eurent, ils virent clairement que l’obligation de la ; braver était impérieuse en cette circonstance. Et en second lieu, jamais personne n’eut si peu lieu de se plaindre du jugement populaire que Nikias. Les erreurs du peuple à son égard ont toujours eu pour cause un excès d’indulgence, d’estime et de constance. Mais Nikias, prévoyait trop bien qu’il aurait à répondre à Athènes pour plus que pour le simple fait de sanctionner la retraite dans les circonstances présentes. Il ne pouvait s’empêcher de se rappeler l’orgueil et les ardentes espérances au milieu desquels il avait dans l’origine emmené l’armement du Peiræeus, comparés avec la suite misérable et la fin ignominieuse de l’expédition, — même si le compte avait été arrêté à ce moment, sans rien de pire en plus. Il ne pouvait s’empêcher de sentir, plus ou moins, combien ce malheur était dû en grande partie à ses propres erreurs de jugement ; et sous de telles impressions, l’idée d’affronter les critiques et l’examen libres de ses concitoyens (même en écartant la chance d’un procès judiciaire) a dû lui causer une insupportable humiliation. Pour Nikias, — homme parfaitement brave, et souffrant en même temps d’une maladie incurable, — la vie à Athènes n’avait plus ni charme ni honneur. Ce motif, autant que tout autre, l’engagea à retenir l’ordre de départ ; de plus, il se cramponnait à l’espoir que quelque faveur imprévue de la fortune pourrait encore se présenter, — et il s’abandonnait aux plus vaines illusions entretenues par les correspondants qu’il avait dans l’intérieur de Syracuse[47]. Près d’un mois après la bataille de nuit livrée sur Epipolæ[48], Gylippos et Sikanos retournèrent tous les deux à Syracuse. Ce dernier n’avait pas été heureux à Agrigente, où le parti favorable aux Syracusains avait été banni avant son arrivée ; mais Gylippos amena avec lui une armée considérable de Grecs siciliens, avec les hoplites péloponnésiens qui étaient partis du cap Tænaros au commencement du printemps, et qui étaient venus de Kyrênê à Sélinonte, d’abord en longeant la côte d’Afrique, et ensuite en traversant la mer. Cet accroissement de forces détermina immédiatement les Syracusains à reprendre l’offensive, tant sur terre que sur mer. Du côté des Athéniens, quand ils virent les nouveaux alliés descendre d’Epipolæ pour entrer dans Syracuse, il produisit un découragement plus profond, combiné avec un amer regret de n’avoir pas adopté la proposition de partir immédiatement après la bataille d’Epipolæ, quand Demosthenês la présenta pour la première fois. Le dernier intervalle d’inaction prolongée et sans espoir avec une continuation de maladies, avait encore diminué leur force, et Demosthenês insista alors de nouveau sur la résolution d’un départ immédiat. Toutes les illusions que Nikias avait pu nourrir au sujet des embarras syracusains, l’arrivée de Gylippos les dissipa, et il n’osa pas persister dans sa première opposition péremptoire, — bien que môme alors il semble avoir acquiescé contre sa propre conviction[49]. Toutefois, il demanda instamment avec toute raison qu’aucun vote formel ou public lie fût rendu en cette occasion, — mais que l’ordre d’être prêt pour le départ à un signal donné fût mis en circulation dans le camp aussi secrètement que possible. On fit savoir à Katane que l’armement était sur le point de se retirer, — avec ordre de ne plus envoyer de provisions[50]. Ce plan marchait heureusement : les vaisseaux étaient prêts, — une grande partie des bagages de l’armée avait été rembarquée sans éveiller les soupçons de l’ennemi, — le signal devait être hissé le lendemain matin, — et dans peu d’heures, cet armement, marqué par le destin, se serait trouvé dégagé du port, avec des pertes relativement faibles[51], — quand les dieux eux-mêmes (je parle le langage et j’exprime les sentiments du camp athénien) s’interposèrent pour empêcher ce départ. La nuit même qui le précéda (le 27 août, 413 av. J.-C.), — où c’était pleine lune, il y eut éclipse. Un tel présage, qui en tout temps frappait les esprits des Athéniens, les frappa doublement dans leur découragement actuel, et beaucoup d’entre eux l’expliquèrent comme une défense de partir, faite par les dieux, jusqu’à ce qu’un certain temps fût écoulé, avec des cérémonies expiatoires pour en détourner l’effet. Ils firent connaître à Nikias et à ses collègues leur désir d’un ajournement ; mais leur intervention était superflue, car Nikias lui-même était plus profondément affecté que personne. Il consulta les prophètes, qui déclarèrent que l’armée ne devait pas décamper avant que trois fois neuf jours, cercle complet de la lune, se fussent écoulés[52]. Et Nikias prit sur lui d’annoncer que, jusqu’après l’intervalle indiqué par eux, il ne permettrait pas même une discussion ou une proposition sur ce sujet. La décision des prophètes, qui devint ainsi celle de Nikias, fut une sentence de mort pour l’armée athénienne ; cependant elle s’accorda avec le sentiment général, et fut obéie sans hésitation. Demosthenês lui-même se trouva forcé de s’y conformer, — bien que s’il eût commandé seul il eût peut-être essayé de la rejeter. Cependant, selon Philochore (lui-même devin de profession, habile à expliquer le sens religieux des événements), c’était une décision incontestablement mauvaise ; c’est-à-dire, mauvaise suivant les principes canoniques de la divination. Pour des hommes méditant une fuite ou toute autre opération qui exige du silence et du mystère, une éclipse de lune, en ce qu’elle masque la lumière et produit l’obscurité, était (affirmait-il) un signe encourageant, et aurait dû rendre les Athéniens plus désireux et plus impatients de quitter le port. On nous dit aussi que Nikias avait perdu, par suite de la mort de Stilbidês, le plus habile des prophètes à son service, et qu’il fut forcé ainsi d’avoir recours à des prophètes de talent inférieur[53]. Sa piété ne négligea aucun moyen d’apaiser les dieux : prières, sacrifices, cérémonies expiatoires, continués jusqu’à ce que la nécessité d’un conflit réel arrivât[54]. L’obstacle qui arrêtait ainsi d’une manière définitive et irréparable le départ des Athéniens fut la conséquence directe, bien qu’involontaire, du retard causé antérieurement par Nikias. Toutefois, nous ne pouvons douter que, dès que l’éclipse arriva, il ne l’ait regardée comme. un signe à l’appui de l’opinion qu’il avait lui-même émise auparavant, et qu’il lie se soit félicité d’avoir résisté si longtemps à la proposition de partir. Ajoutons que tous ceux, des Athéniens qui étaient prédisposés à considérer les éclipses comme des si fines célestes annonçant un malheur prochain, se trouvaient fortifiés dans cette croyance par les maux sans pareils qui même alors menaçaient cette malheureuse armée. Quelle interprétation les Syracusains, confiants et victorieux, donnèrent-ils à l’éclipse ? c’est ce qu’on ne nous dit pas. Mais ils surent bien comment interpréter le fait, qui ne tarda pas à venir à leur connaissance, que les Athéniens s’étaient complètement décidés à s’échapper furtivement, et qu’ils n’en avaient été empêchés que par l’éclipse. Une telle résolution, qui équivalait à un aveu non équivoque d’impuissance, enhardit encore plus les Syracusains à les écraser pendant qu’ils étaient encore dans le port, et à ne jamais leur permettre d’occuper même un autre poste en Sicile. En conséquence, Gylippos ordonna que les trirèmes fussent garnies d’hommes et exercées pendant plusieurs jours ; il fit avancer ensuite son armée de terre, et opéra une démonstration peu significative contre les lignes athéniennes. Le matin, il fit sortir toutes ses forces, tant de terre que de mer : avec les premières, il assiégea les lignes athéniennes ; tandis due la flotte, au nombre de soixante-seize trirèmes, reçut ordre de cingler jusqu’à la station navale athénienne. La flotte des Athéniens, forte de quatre-vingt-six trirèmes, sortit à sa rencontre, et il s’engagea une action corps à corps générale et désespérée. La fortune d’Athènes avait fui. Les Syracusains défirent d’abord là division du centre des Athéniens ; ensuite la division de droite, sous Eurymedôn, qui, en essayant une évolution pour déborder la gauche de l’ennemi, oublia ces limites étroites du port, qui furent à tout moment la ruine du marin athénien, — s’approcha trop de la terre, — et fut cloué contre elle, dans l’enfoncement de Daskôn, par l’attaque vigoureuse des Syracusains. Il y fut tué et sa division détruite ; successivement la flotte athénienne entière fut battue et jetée à la côte. Il n’y eut que peu des vaisseaux défaits qui purent rentrer dans leur propre station. La plupart d’entre eux furent poussés sur le rivage ou firent côte sur des points en dehors de ces limites ; alors Gylippos fit avancer ses forces de terre jusqu’au bord de l’eau, afin d’empêcher la retraite des équipages aussi bien que pour aider les marins syracusains à tirer les vaisseaux comme prises. Toutefois sa marche fut si précipitée et si désordonnée, que les troupes tyrrhéniennes, de garde sur le flanc de la station athénienne, opérèrent une sortie contre les ennemis qui approchaient, défirent les premiers d’entre eux, et les refoulèrent du rivage dans le marais appelé Lysimeleia. Il vint à leur aide plus de troupes syracusaines ; mais les Athéniens aussi, désireux avant tout de protéger leurs vaisseaux, s’avancèrent en plus grand nombre, et il s’ensuivit une bataille générale, dans laquelle ces derniers furent victorieux. Bien qu’ils ne fissent éprouver que peu de pertes à l’ennemi, cependant ils sauvèrent la plupart, de leurs trirèmes qui avaient été poussées à la côte avec les équipages, et ils les menèrent dans la station navale. Sans ce succès sur terre, la flotte athénienne aurait été entièrement détruite ; malgré cela, la défaite fut encore complète, et dix-huit trirèmes furent perdues, tous leurs équipages étant tués. Ce fut probablement la division d’Eurymedôn, qui, ayant été poussée au rivage dans l’enfoncement de Daskôn, était trop loin de la station athénienne pour recevoir de l’assistance par terre. Pendant que les athéniens étaient occupés à tirer sur le sable leurs vaisseaux désemparés, les Syracusains tirent un dernier effort pour les détruire au moyen d’un brûlot, pour lequel le vent se trouva être favorable. Mais les athéniens trouvèrent moyen de prévenir son approche et d’éteindre les flammes[55]. Ce fut une victoire complète gagnée sur Athènes, — et cela sur cette mer, son propre élément, — gagnée avec des forces inférieures en nombre, — gagnée même sur la nouvelle et encore formidable flotte récemment amenée par Demosthenês. Elle ne disait que trop clairement de quel côté se trouvait actuellement la supériorité, — comme les Syracusains avaient bien organisé leurs forces navales pour les particularités de leur port, — combien la folie de Nikias avait été ruineuse en retenant ses excellents marins emprisonnés dans ire lac petit et malsain, où la terre et l’eau faisaient la besogne de leurs ennemis. Non seulement elle découragea les athéniens, mais elle démentit toute leur expérience passée et les confondit entièrement. Le dégoût de toute l’entreprise et le repentir de s’y être engagés s’élevèrent alors au plus haut point dans leurs âmes : cependant il est à remarquer que nous n’entendons pas parler de plaintes proférées contre Nikias séparément[56]. Mais le repentir vint trop tard. Les Syracusains, sentant complètement l’importance de leur victoire, firent en triomphe le tour du port qui était redevenu leur bien[57], et regardèrent déjà comme leurs prisonniers les ennemis qui s’y trouvaient. Ils se déterminèrent à en fermer l’entrée et à la garder, de Plemmyrion à Ortygia, de manière à ne pas laisser désormais la liberté d’en sortir. Ils ne furent pas non plus sans comprendre quelles vastes dimensions prenait maintenant la carrière de la lutte, et combien était augmentée la valeur de l’enjeu qu’ils avaient devant eux. Ce n’était pas seulement pour délivrer leur propre ville du siège, ni même pour repousser et pour détruire l’armée des assiégeants, qu’ils luttaient actuellement. C’était pour anéantir la puissance entière d’Athènes, et arracher à la dépendance la moitié de la Grèce ; car on ne pourrait jamais s’attendre à ce qu’Athènes survécût à une perte aussi terrible que celle du double armement entier devant Syracuse[58]. Les Syracusains étaient fiers de la pensée que ce grand exploit serait dû à eux ; que leur ville était le champ, et leur marine le principal instrument, de la victoire, source perpétuelle de gloire pour eux, non seulement aux yeux des contemporains, mais encore à ceux de la postérité. Ils étaient enflés d’orgueil en réfléchissant à l’importance panhellénique que le siège de Syracuse avait acquise actuellement, et en comptant le nombre et la variété de guerriers grecs qui à ce moment combattaient, d’un côté ou de l’autre, entre Euryalos et Plemmyrion. A l’exception de la grande lutte entre Athènes et la confédération péloponnésienne, jamais on n’avait vu des combattants en aussi grand nombre et aussi mélangés, engagés sous les mêmes bannières. Grecs continentaux et insulaires, — Ioniens, Dôriens et Æoliens, — autonomes et dépendants, — volontaires et mercenaires, — de Milêtos et de Chios à l’est jusqu’à Sélinonte à l’ouest, — on pouvait les y voir tous ; et non seulement des Grecs, mais encore des Sikels, des Égestæens, des Tyrrhéniens et des Iapygiens barbares. Si les Lacédæmoniens, les Corinthiens et les Bœôtiens combattaient du côté de Syracuse, — les Argiens et les Mantineiens, pour ne pas mentionner les grandes villes insulaires, étaient en armes contre elle. Le mélange confus de parenté parmi les combattants des deus côtés, aussi bien que l’action contraire de différentes antipathies locales ; est mis par Thucydide dans un contraste animé[59]. Mais au milieu d’une si vaste réunion d’hommes dont ils étaient les chefs, les payeurs, et auxquels ils seraient de centre pour toutes les combinaisons, — les Syracusains pouvaient bien éprouver un sentiment d’agrandissement personnel, et avoir la conscience du grand coup qu’ils étaient sur le point de frapper, assez pour les élever momentanément au-dessus du niveau même de leurs grands chefs dôriens du Péloponnèse. Leur première opération, qui occupa trois jours, fut de Germer l’entrée du Grand Port, qui avait presque un mille (= 1600 mètres) de large, avec des vaisseaux de toute sorte, — trirèmes, bâtiments de commerce, bateaux, etc., — ancrés dans une direction oblique, et liés les uns aux autres par ales chaînes[60]. En même temps ils préparèrent leurs forces navales avec un redoublement de zèle pour la lutte désespérée qu’ils savaient être prochaine. Ensuite ils attendirent les efforts des Athéniens, qui surveillaient leurs opérations avec tristesse et inquiétude. Nikias et ses collègues réunirent les principaux officiers pour délibérer sur ce qu’il y avait à faire. Comme il leur restait peu de provisions, et qu’ils avaient contremandé les envois ultérieurs, un effort instantané et désespéré était indispensable ; et le seul point du débat fut de savoir s’ils brûleraient leur flotte et se retireraient par terre, ou feraient un nouvel effort maritime pour s’échapper du port. L’impression laissée par le récent combat naval était telle, que beaucoup de personnes dans le camp penchaient pour le premier parti[61]. Mais les généraux résolurent d’essayer d’abord le second, et épuisèrent toutes leurs combinaisons pour lui donner le plus grand effet possible. Ils évacuèrent alors la partie supérieure de leurs lignes, tant sur le terrain plus élevé d’Epipolæ, que sur le terrain bas, la partie qui était la plus rapprochée de la falaise méridionale ; se confinant à un espace fortifié limité tout près du rivage, suffisant tout juste pour leurs malades, leurs blessés et leurs provisions, afin de s’épargner la nécessité d’avoir une garnison considérable pour les défendre, et de laisser ainsi presque toutes leurs forces disponibles pour le service sur mer. Ensuite ils firent préparer toute trirème de la station, que l’on put mettre en état de tenir la mer, quelque imparfaitement que ce fût, en contraignant chaque homme propre au service à monter à bord, sans distinction d’âge, de rang, ni de pays. On garnit les trirèmes d’équipages doubles de soldats, — hoplites aussi bien qu’archers et akontistæ, — ces derniers, Akarnaniens pour la plupart ; tandis que les hoplites, postés à la proue avec ordre d’aborder l’ennemi aussi vite que possible, furent armés de grappins de fer destinés à retenir le vaisseau des adversaires immédiatement après le moment du choc, afin que l’on ne pût le retirer ni répéter le choc, avec tous ses effets nuisibles produits par la force et la solidité des épôtides syracusaines. Ce fut avec les timoniers que se tint la consultation la plus sérieuse quant à l’arrangement et aux manœuvres de chaque trirème, et on n’omit aucune des précautions que permettaient les chétives ressources qu’on avait à sa disposition. Dans l’impossibilité bien connue de se procurer de nouvelles provisions, chaque homme était désireux d’accélérer la lutte[62]. Mais quand ils furent réunis sur le rivage avant de s’embarquer, Nikias ne vit que trop clairement qu’ils étaient seulement poussés par la force du désespoir ; que le ressort, l’élasticité, la confiance disciplinée, l’orgueil maritime, habituels aux Athéniens à bord des vaisseaux, — n’existaient plus, ou n’existaient que faiblement ou d’une manière presque imperceptible. |
[1] Diodore, XIII, 8.
[2] Thucydide, VII, 17.
[3] Thucydide, VII, 19-58.
[4] Thucydide, VII, 19-28 ; avec une note du docteur Arnold.
[5] Thucydide, VII, 20. Cf. Isocrate, Orat. VIII, De Pace, I, 102, p. 236, Bekk.
[6] Thucydide, VII, 20-27.
[7] Thucydide, VII, 26.
[8] Thucydide, VII, 31.
Le sens de ce passage ne parait être nullement douteux, à savoir qu’Eurymedôn avait été envoyé en Sicile pour y porter à Nikias la somme de 120 talents, et qu’il était alors eu train de revenir (V. Thucydide, VII, 11). Néanmoins nous lisons dans M. Mitford : — A Anaktorion, Demosthenês trouva Eurymedôn rassemblant des provisions pour la Sicile, etc. M. Mitford dit en outre dans une note (en citant le Scholiaste : — Ήτοι τά πρός τροφήν χρήσιμα, καί τα λοιπά συνπίνοντα αύτοϊς Schol.) — Ce n’est pas la seule occasion dans laquelle Thucydide emploie le terme χρήματα pour choses nécessaires en général. Smith a traduit en conséquence ; mais le latin pecuniam, qui n’exprime pas le sens voulu ici (ch. 18, sect. 6, vol. IV, p. 118).
Il ne peut y avoir le moindre doute sur la justesse du latin dans ce cas. L’article défini rend le point tout à fait certain, même s’il était vrai (ce dont je doute) que Thucydide se serve parfois du mot χρήματα pour signifier : choses nécessaires en général. Je doute encore plus qu’il se serve jamais de άγων dans le sens de rassemblement.
[9] Thucydide, VII, 31.
[10] Thucydide, VII, 21. Parmi les motifs d’encouragement sur lesquels insista Hermokratês, il est remarquable qu’il ne fait pas mention de celui que la suite prouve être le plus important de tous, — l’espace limité du port, qui rendit inutile les vaisseaux et la tactique des Athéniens.
[11] Thucydide, VII, 23 ; Diodore, XIII, 9 ; Plutarque, Nikias, c. 20.
[12] Thucydide, VII, 23, 24.
[13] Thucydide, VII, 25.
[14] Thucydide, VII, 25.
[15] Thucydide, VII, 38.
[16] Thucydide, VII, 25.
[17] Thucydide, VII, 32, 33.
[18] Thucydide, VII, 33.
[19] Thucydide, VII, 36. Diodore, XIII, I6.
[20] Cf. Thucydide, VII, 34-36 ; Diodore, XIII, 10 ; Euripide, Iph. Taur., 1335. V. aussi les notes d’Arnold, de Poppo et de Didot sur les passages de Thucydide.
Je croirais que les άντηρίδες ou poutres destinées à soutenir, étaient quelque chose de nouveau, imaginées alors pour la première fois afin de fortifier l’épôtide et de la rendre propre à heurter l’ennemi. Les mots qu’emploie Thucydide pour décrire la position de ces άντηρίδες ne sont pas pour moi tout fait intelligibles, et je ne pense pas qu’aucun des commentateurs les explique d’une manière satisfaisante.
C’est Diodore qui spécifie que les Corinthiens abaissèrent le niveau de leurs proues, de manière à frapper plus près de l’eau, — ce que Thucydide ne mentionne pas.
Un vaisseau captif, quand on le remorquait comme prise, était désarmé en étant privé de son éperon (Athénée, XII, p. 535). Lysandros réserva les éperons des trirèmes athéniennes prises à Ægospotami pour orner son retour triomphal (Xénophon, Helléniques, II, 3, 8).
[21] Thucydide, VII, 37, 38.
[22] Plutarque, Nikias, c. 10 ; Diodore (XIII, 10) représente la bataille comme ayant été amenée contre la volonté et contre l’intention des Athéniens en général, et il ne fait pas allusion à quelque différence d’opinion entre les commandants.
[23] Thucydide, VII ; 41. Cf. Pollux, I, 85, et Fragm. 6 de la comédie du poète Pherekratês, intitulée Άγριοι, — Meineke, Fragm. comic. Græc., vol. II, p. 258, et le Scholiaste ad Aristophane, Equit., 759.
[24] Thucydide, VII, 40.
[25] Thucydide, VII, 40.
[26] Thucydide, VII, 41.
[27] Thucydide, VII, 42.
[28] Thucydide, VII, 33-57.
[29] Thucydide, VII, 35.
[30] Plutarque, Nikias, c. 21.
[31] Thucydide, VII, 42.
[32] Thucydide, VII, 47-50.
[33] Thucydide, VII, 12.
[34] Thucydide, VII, 43.
[35] Thucydide, VII, 43. Diodore nous dit que Demosthenês prit avec lui 10.000 hoplites et 10.000 hommes de troupes légères, — chiffres auxquels on ne doit pas du tout se fier (XIII, 11).
Plutarque (Nikias, c. 21) dit que Nikias était extrêmement contraire à l’attaque d’Epipolæ ; Thucydide ne dit rien de pareil, et l’assertion semble improbable.
La direction prise par Demosthenês dans sa marche de nuit se verra marquée sur le plan II, annexé à ce volume.
[36] Thucydide, VII, 42, 43.
Le docteur Arnold et Goeller expliquent tous deux cette description de Thucydide (V. leurs notes sur ce chapitre, et un appendice du docteur Arnold, p. 275) comme si Nikias, dès que le contre-mur syracusain eut traversé sa ligne de blocus, avait évacué son Cercle et ses ouvrages sur la pente d’Epipolæ, et s’était retiré exclusivement dans le terrain plus bas au dessous. Le docteur Thirlwall a aussi la même opinion (Hist. Gr., vol. III, ch. 26, p. 432-434).
Cela me semble une erreur. Quel motif concevable peut-on donner qui aurait engagé Nikias à céder à l’ennemi un avantage si important ? S’il avait abandonné une fois la pente d’Epipolæ pour occuper exclusivement le marais au-dessous de la falaise méridionale, — Gylippos et les Syracusains auraient eu bien soin qu’il ne remontât jamais cette falaise ; et il n’aurait jamais pu aller près du παρατείχισμα. Le moment on les Athéniens finirent par abandonner leurs fortifications sur le sommet d’Epipolæ est marqué spécialement après par Thucydide — VII, 60 : ne fut au dernier moment de désespoir, quand le service de tous était nécessaire pour le combat maritime final dans le Grand Port. Le docteur Arnold, (p. 275) interprète mal ce passage, à mon avis, en esquivant son sens direct.
Les mots de Thucydide, VII, 42, sont plus exactement compris par M. Firmin Didot dans la note de sa traduction, que par Arnold et Goeller. Le στρατόπεδον mentionné ici ne signifie pas le Cercle athénien, et leur ligne de circonvallation achevée en partie sur la pente d’Epipolæ. Il veut dire le terrain plus élevé que celui-ci, qu’ils avaient occupé d’abord eu partie pendant qu’ils construisaient le fort de Labdalon, et dont ils avaient été réellement malles jusqu’à l’arrivée de Gylippos, qui l’avait alors converti en un camp ou στρατόπεδον de Syracusains.
[37] Diodore, XIII, 11.
[38] Thucydide, VII, 44, 45.
Plutarque (Nikias, c. 21) dit que le nombre des morts fut de 2.000. Diodore porte le chiffre à 2.500 (XIII, 11). Thucydide ne dit rien de cela.
Ces deux auteurs copiaient probablement quelque autorité commune, et non Thucydide, peut-être Philiste.
[39] Thucydide, VII, 46.
[40] Thucydide, VII, 47.
[41] Thucydide, VII. 48.
Il semble probable que quelques-uns des taxiarques et des triérarques furent présents à cette délibération, comme nous le voyons ensuite dans un autre cas, c. 60, Il se peut que Demosthenês ait même demandé qu’ils y assistassent, comme témoins relativement au sentiment de l’armée, et aussi comme appuis, si la chose venait plus tard à être débattue dans l’assemblée publique à Athènes. C’est à ce fait que les mots έμφανώς μετά πολλών semblent faire allusion.
[42] Thucydide, VII, 48.
La position du dernier mot ϊδία dans cette phrase est embarrassante, en ce qu’il ne peut guère être expliqué qu’avec άπολέσθαι ou avec αύτός γε ; car Nikias ne pouvait courir aucun danger de périr séparément par les mains de l’ennemi, — à moins que nous ne devions lui attribuer une rodomontade absurde tout à fait étrangère à son caractère. Cf. Plutarque, Nikias, c. 22.
[43] Thucydide, VII, 48.
[44] Thucydide, VII, 49.
[45] Thucydide, VII, 69 ; Diodore, XIII, 12.
[46] Thucydide, VII, 48.
On peut raisonnablement inférer de Thucydide l’insignifiance du parti dans Syracuse avec lequel correspondait Nikias, VII, 55. II se composait en partie de ces Léontins qui avaient été incorporés dans le nombre des citoyens syracusains (Diodore XIII, 18).
Polyen (I, 43, 1) rapporte un récit relatif à une révolte des esclaves ou vilains (οίκέται) à Syracuse pendant le siège athénien, sous un chef nommé Sosikratês, — révolte étouffée par le stratagème d’Hermokratês, qu’il y ait eu diverses tentatives de cette sorte à Syracuse pendant ces deux années d’épreuve, cela n’est nullement improbable. Dans le fait, il est difficile de comprendre comment les nombreux esclaves attachés à la glèbe furent maintenus en ordre pendant le moment de grande crise et de grand danger, avant l’arrivée de Gylippos.
[47] Thucydide, VII, 49.
Le langage de Justin relativement à cette conduite est juste et caractéristique : — Nicias, seu pudore male actæ rei, seu metu destitutæ spei civium, seu impellente fato, manere contendit. (Justin, IV, 5.)
[48] On peut inférer cet intervalle (V. Dodwell, Ann. Thucydide, VII, 50) de l’état de la lune au moment de la bataille d’Epipolæ, comparé à l’éclipse subséquente.
[49] Thucydide, VII, 50. Diodore, XIII, 12.
[50] Thucydide, VII, 60.
[51] Diodore, XIII, 12. Plutarque, Nikias, c. 23.
[52] Il y eut éclipse totale de lune cette nuit, 27 août, 413 avant J.-C., de neuf heures vingt-sept minutes à dis heures trente-quatre du soir (Wurm, De Ponderib. Græc., sect. 94, p. 184), — en parlant eu égard à un observateur en Sicile.
Thucydide dit que Nikias adopta l’injonction des prophètes de différer pendant trois fois neuf jours (VII, 50). Diodore dit trois jours. Plutarque donne à entendre que Nikias dépassa l’injonction des prophètes, qui insistèrent seulement sur trois jours, tandis qu’il résolut de rester pendant toute une période lunaire (Plutarque, Nikias, c. 23).
Je suis l’assertion de Thucydide : il n’y a pas lieu de croire que Nikias ait prolongé le temps au delà de ce que prescrivaient les prophètes.
L’assertion erronée relativement à ce mémorable événement, dans un auteur aussi respectable que Polybe, n’est pas peu surprenante (Polybe, IX, 19).
[53] Plutarque, Nikias, c. 22 ; Diodore, XIII, 12 ; Thucydide, VII, 54. Stilbidês était éminent dans sa profession comme prophète : voir Aristophane, Pac., 1029, avec les citations d’Eupolis et de Philochore dans les Scholies.
Cf. la description de l’effet produit par l’éclipse de soleil à Thêbes, immédiatement avant la dernière expédition de Pélopidas en Thessalia (Plutarque, Pélopidas, c. 31).
[54] Plutarque, Nikias, c. 24.
[55] Thucydide, VII, 52, 53 ; Diodore, XIII, 13.
[56] Thucydide, VII, 55.
[57] Thucydide, VII, 56.
[58] Thucydide, VII, 56.
[59] Thucydide, VII, 57, 56.
[60] Thucydide, VII, 59 ; Diodore, XIII, 14.
[61] Plutarque, Nikias, c. 24.
[62] Thucydide, VII, 60.