HISTOIRE DE LA GRÈCE

DIXIÈME VOLUME

CHAPITRE I — DEPUIS LA FÊTE DE LA QUATRE-VINGT-DIXIÈME OLYMPIADE JUSQU’À LA BATAILLE DE MANTINEIA (suite).

 

 

Telle fut l’importante bataille de Mantinea livrée dans le mois de juin 418 avant J.-C. Son effet dans toute la Grèce fut prodigieux. Les troupes engagées des deux côtés furent très considérables pour une armée grecque de cette époque, bien qu’elles ne le fussent vraisemblablement pas autant qu’à la bataille de Dêlion cinq ans auparavant ; le nombre et l’importance des États dont les troupes furent engagées étaient cependant plus grands qu’à Dêlion. Mais ce qui donna à la bataille une faveur particulière, ce fut qu’elle effaça tout d’un coup la tache qui existait auparavant sur l’honneur de Sparte. Le désastre de Sphakteria, trompant toute attente antérieure, lui avait attiré une imputation de quasi-lâcheté ; et il y eut d’autres actes qui, à beaucoup plus forte raison, la firent stigmatiser comme lente et stupide. Mais la victoire de Mantineia fit taire toute cette critique méprisante, et remit Sparte dans son ancienne position de prééminence militaire aux yeux de la Grèce. Son effet fut d’autant plus puissant qu’elle était entièrement le fruit du courage lacédæmonien, peu aidé, par cette habileté et cette tactique particulières que l’on voyait l’accompagner en général, mais qui dans le cas présent avaient relativement fait défaut. La manoeuvre d’Agis, assez bien imaginée en elle-même dans le dessein d’étendre son aile gauche, avait échoué à cause de la désobéissance de deux polémarques récalcitrants ; mais, dans ce cas, la honte de l’échec retombe plus ou moins sur toutes les parties intéressées ; et ni le général ni les soldats ne pouvaient être considérés comme ayant déployé à Mantineia quelque chose de cette aptitude de profession qui faisait appeler les Lacédæmoniens des artistes dans les choses de la guerre. C’est ce qui fait ressortir d’une manière d’autant plus remarquable le courage lacédæmonien. Après que l’aile gauche eut été rompue, et que les Mille Argiens eurent pénétré dans l’espace vide entre la gauche et le centre, de sorte qu’ils auraient pu prendre le centre en flanc, et auraient dû le faire s’ils avaient été bien avisés, — les troupes du centre, au lieu d’être effrayées comme l’auraient été la plupart des soldats grecs, avaient marché en avant contre les ennemis devant eux, et remporté une victoire complète. Les conséquences de la bataille furent donc immenses en rétablissant la réputation des Lacédæmoniens, et en les élevant de nouveau leur ancienne dignité de chefs du Péloponnèse[1].

Nous ne sommes pas surpris d’apprendre que les deux polémarques, Aristoklês et Hipponoïdas, dont la désobéissance avait presque causé la ruine de l’armée, furent jugés et condamnés à l’exil comme lâches à leur retour à Sparte[2].

En considérant la bataille du point de vue de l’autre côté, nous pouvons faire remarquer que la défaite fut en grande partie occasionnée par le caprice égoïste des Eleiens qui retirèrent leurs trois mille hommes immédiatement avant la bataille, parce que les antres alliés, au lieu de marcher contre Lepreon, préférèrent faire une tentative sur la ville bien plus importante de Tegea : explication de plus de la remarque faite par Periklês au commencement de la guerre, que des alliés nombreux et égaux ne pourraient jamais être maintenus en une coopération harmonieuse[3]. Peu après la défaite, les trois mille Eleiens revinrent au secours de Mantineia, — regrettant probablement leur premier départ fâcheux, — avec un renfort de mille Athéniens. De plus, le mois karneien commençait, — époque que les Lacédœmoniens observaient rigoureusement comme sage ; ils dépêchèrent même des messagers pour contremander leurs, alliés, extra-péloponésiens, qu’ils avaient convoqués avant la dernière bataille[4], — et ils restèrent eux-mêmes dans leur propre territoire, laissant ainsi pour le moment le champ libre pour les opérations d’un ennemi défait. En conséquence, les Épidauriens, bien qu’ils eussent fait une incursion dans le territoire d’Argos pendant l’absence des principales forces argiennes au moment de la dernière bataille, et qu’ils eussent remporté un succès partiel, — les Épidauriens, disons-nous, virent alors leur territoire ravagé par les Eleiens, les Mantineiens et les Athéniens réunis, qui furent assez hardis même pour commencer un mur de circonvallation autour de la ville d’Epidauros elle-même. Ils se répartirent entre eux tout l’ouvrage pour l’exécuter ; mais l’activité et la persévérance supérieures des Athéniens se déployèrent ici d’une manière remarquable. Car, tandis que la portion du travail qui leur était confiée (la fortification du cap sur lequel était situé l’Hêræon ou temple de Hêrê) était poursuivie sans relâche et achevée promptement, — leurs alliés, tant Eleiens que Mantineiens, abandonnèrent la tâche qui leur était respectivement échue par le sort, dans leur impatience et leur dégoût. L’idée de circonvallation étant abandonnée pour ce motif, on laissa une garnison commune dans le nouveau fort au cap Hêræon, puis les alliés évacuèrent le territoire épidaurien[5].

Jusque-là les Lacédæmoniens parurent avoir retiré peu d’avantages décisifs de leur dernière victoire ; mais ses fruits se manifestèrent bientôt dans le centre même de la force de leur ennemie, — à Argos. Un changement considérable s’était opéré depuis la bataille dans les tendances politiques de cette ville. I1 y avait toujours dans Argos un parti d’opposition, — philo-laconien et anti-démocratique : et la défaite de Mantineia avait eu pour effet de fortifier ce parti autant qu’elle abaissait ses adversaires. Les chefs démocratiques qui,-de concert avec Athènes et Alkibiadês, avaient aspiré à maintenir dans le Péloponnèse un ascendant hostile et égal, sinon supérieur, à Sparte, — voyaient maintenant leurs calculs renversés et échangés pour la nécessité décourageante d’une défense personnelle contre un ennemi victorieux. Et tandis que ces chefs perdaient ainsi leur influence en général par bine défaite si complète de leur politique étrangère, les simples soldats démocratiques d’Argos ne rapportaient avec eux du champ de bataille de Mantineia que de la honte et la terreur des armes lacédæmoniennes. Mais le régiment des Mille Argiens d’élite revint avec des sentiments très différents. Victorieux de l’aile gauche de leurs ennemis, ils n’avaient pas été sérieusement arrêtés dans leur retraite même par le centre lacédæmonien. Ils avaient ainsi moissonné une gloire positive[6], et sans doute ressenti du mépris pour leurs concitoyens vaincus. Or nous avons déjà mentionné que ces Mille hommes appartenaient à des familles riches, et qu’ils étaient dans le meilleur âge militaire, séparés du reste des citoyens par la démocratie argienne pour recevoir une éducation permanente aux, frais de l’État, précisément à l’époque où les vues ambitieuses d’Argos commencèrent pour la première fois à poindre, après la pais de Nikias. Tant qu’Argos fut dans le cas de devenir l’État souverain du Péloponnèse ou de continuer à l’être, ces Mille hommes riches trouvaient probablement leur dignité suffisamment ménagée en la soutenant comme telle, et acquiesçaient ainsi au gouvernement démocratique. Mais quand la défaite de Mantineia réduisit Argos à ses propres limites et la jeta sur la défensive, il n’y eut rien pour contrebalancer leurs sentiments oligarchiques naturels, de sorte qu’ils devinrent des adversaires prononcés du gouvernement démocratique dans sa détresse. Le parti oligarchique d’Argos, ainsi encouragé et renforcé, forma une conspiration avec les Lacédæmoniens, pour amener la ville à faire une alliance avec Sparte aussi bien que pour renverser la démocratie[7].

Comme premier pas vers l’exécution de ce projet, les Lacédæmoniens, vers la fin de septembre, firent avancer toutes leurs forces jusqu’à Tegea, menaçant ainsi d’une invasion, et inspirant l’effroi à Argos. De Tegea ils envoyèrent en avant comme ambassadeur Lichas, proxenos des Argiens à Sparte, avec deux propositions alternatives z l’une pour la paix, qu’il était chargé d’offrir en déterminant les Argiens à l’accepter, s’il le pouvait ; une autre, en cas de refus de leur part, d’un caractère menaçant. Le plan de la faction oligarchique était d’abord d’amener la ville à faire alliance avec Lacédæmone et de rompre ses relations avec Athènes, avant de tenter l’innovation dans le gouvernement. L’arrivée ale Lichas fut un signal qui leur permit de se découvrir en conseillant énergiquement l’acceptation de sa proposition pacifique. Mais ils eurent à combattre une vigoureuse résistance, vu qu’Alkibiadês, encore à Argos, employa toute son énergie pour faire échouer leurs projets. Il n’y eut que la présence de l’armée lacédæmonienne à Tegea, et le découragement général du peuple, qui les mirent à même de réaliser enfin leurs desseins, et d’obtenir que le traité proposé fût accepté. Ce traité, déjà adopté par l’Ekklêsia à Sparte, fut envoyé tout prêt à Argos, — et là, sanctionné sans changement.

Les conditions étaient en substance ainsi qu’il suit :

Les Argiens rendront les enfants qu’ils ont reçus comme otages d’Orchomenos, et les hommes reçus comme otages des Mænalii. Ils rendront aux Lacédæmoniens les hommes actuellement à Mantineia, que les Mantineiens avaient placés comme otages à Orchomenos pour y être gardés en sûreté et que les Argiens et les Mantineiens ont emmenés de cette ville. Ils évacueront Epidauros, et raseront le fort récemment élevé à côté d’elle. Les Athéniens, s’ils n’évacuent pas aussi sur-le-champ Epidauros, seront déclarés ennemis de Lacédæmone aussi bien que d’Argos, et des alliés de toutes deux. Les Lacédæmoniens rendront tous les otages qu’ils ont maintenant en garde, à quelque ville qu’ils les aient pris. Relativement au sacrifice que l’on prétend être dû à Apollon par les Epidauriens, les Argiens consentiront à leur déférer un serment, et s’ils le jurent, ils se libéreront[8]. Toute ville du Péloponnèse, petite ou grande, sera autonome et libre de conserver son ancienne constitution. Si une ville quelconque extra-péloponnésienne s’avance contre le Péloponnèse avec des projets méchants, Lacédæmone et Argos prendront contre elle une décision commune, de la manière la plus équitable pour l’intérêt des Péloponnésiens en général. Les alliés extra-péloponésiens de Sparte seront dans la même position, par rapport à ce traité, que les alliés de Lacédæmone et d’Argos dans le Péloponnèse, — et ils conserveront ce qu’ils possèdent de la même manière. Les Argiens montreront ce traité à leurs alliés, qui seront admis à le souscrire s’ils le jugent à propos. Mais si les alliés désirent quelque changement, les Argiens les enverront chez eux s’occuper de leurs affaires[9].

Tel fut l’accord envoyé tout prêt par les Lacédœmoniens tt Argos, où il fut accepté littéralement. Il présentait une réciprocité qui n’était guère plus que nominale, n’imposant à Sparte aucune obligation importante, bien qu’il répondit aux vues de cette dernière en substance, — l’alliance d’Argos avec ses trois confédérés.

Mais le parti oligarchique d’Argos ne considérait ce traité que comme une préface à une série de mesures ultérieures. Aussitôt qu’il fut conclu, l’armée menaçante de Sparte fut retirée de Tegea, et fut remplacée par un commerce libre et pacifique entre les Lacédæmoniens et les Argiens. Probablement Alkibiadês se retira en même temps, tandis que le renouvellement de visites de Lacédæmoniens à Argos et de nouveaux liens d’hospitalité fortifièrent l’intérêt de leur parti plus que jamais. Ils furent bientôt assez puissants pour persuader, à l’assemblée argienne de renoncer formellement à l’alliance avec Athènes, Elis et Mantineia, — et à conclure une alliance spéciale avec Sparte, aux conditions suivantes :

Il y aura paix et alliance pendant cinquante années entre les Lacédæmoniens et les Argiens, — sur le pied d’égalité, chacune d’elles donnant satisfaction à l’amiable, suivant sa constitution établie, à toutes les plaintes portées par l’autre. A la même condition, aussi, les autres villes péloponnésiennes participeront à cette paix et à cette alliance,en conservant leur propre territoire, leurs lois et leur constitution séparée. Tous les alliés de Sparte en dehors du Péloponnèse seront mis sur le même pied que les Lacédæmoniens eux-mêmes. Les alliés d’Argos seront également mis sur le même pied qu’Argos elle-même, en conservant leur propre territoire intact. S’il se présente une occasion d’opérations militaires communes sur quelque point, les Lacédæmoniens et les Argiens délibéreront ensemble, et prendront la détermination la plus équitable qu’ils pourront dans l’intérêt de leurs alliés. Si une des villes de l’alliance, soit dans le Péloponnèse, soit au dehors, a des disputes soit à propos de frontières ou pour d’autres sujets, elle sera considérée comme obligée d’entrer en arrangement à l’amiable[10]. Si une ville alliée a querelle avec une autre ville alliée ; la question sera soumise à une ville tierce qui leur conviendra à l’une et à l’autre. Chaque ville rendra la justice à ses propres citoyens selon son ancienne constitution.

On remarquera que dans ce traité d’alliance, la question disputée de commandement est arrangée ou esquivée. Lacédæmone et Argos sont toutes deux mises sur un pied d’égalité, quant à la question de délibérer en commun pour le corps général des alliés ; elles sont toutes deux seules à décider, sans consulter les autres alliés, bien qu’elles s’engagent à tenir compte des intérêts des derniers. La politique de Lacédæmone domine aussi dans le traité, — à savoir, d’assurer l’autonomie : à tous les États inférieurs du Péloponnèse, et à détruire ainsi l’empire d’Elis, de Mantineia, ou de tout autre État plus considérable qui aurait des dépendances[11]. Et conséquemment les Mantineiens, se voyant abandonnés par Argos, furent obligés de faire leur soumission à Sparte, s’inscrivant de nouveau comme ses alliés, renonçant à tout commandement sur leurs sujets arkadiens, et rendant les otages de ces derniers, suivant la stipulation du traité conclu entre Lacédæmone et Argos[12]. Les Lacédæmoniens ne semblent pas s’être occupés davantage d’Élis. Déjà en possession de Lepreon (par les colons de Brasidas établis dans ce lieu), ils ne voulaient peut-être pas provoquer de nouveau les Eleiens, par crainte d’être exclus une seconde fois de la fête Olympique.

Cependant la conclusion de l’alliance avec Lacédæmone (vers novembre ou décembre 418 av. J.-C.) avait abaissé plus encore les chefs populaires à Argos. La faction oligarchique et le régiment d’élite des Mille, tous hommes de fortune et de naissance, aussi bien que liés ensemble par leur éducation militaire commune, virent alors qu’ils pourraient sans obstacle détruire la démocratie par la force, et accomplir une révolution. Poussés par ces vues ambitieuses, et flattés de l’idée d’une hégémonie reconnue conjointement avec Sparte, ils épousèrent la nouvelle politique de la ville avec une véhémence extrême, et commencèrent immédiatement à multiplier les occasions de collision avec Athènes. On dépêcha une ambassade combinée de Lacédæmoniens et d’Argiens en Thrace et en Macédoine. On renouvela l’ancienne alliance avec les Chalkidiens de Thrace, sujets révoltés d’Athènes, et l’on conclut même de nouveaux engagements ; tandis qu’on pressa Perdikkas de Macédoine de renoncer à ses engagements avec Athènes et de se joindre à la nouvelle confédération. De ce côté l’influence d’Argos était considérable ; car les princes macédoniens attachaient un très grand pris à leur antique descendance d’Argos ; qui les constituait frères de la famille Hellénique. En conséquence, Perdikkas consentit à la demande et conclut le nouveau traité, insistant toutefois, avec sa duplicité habituelle, sur sols désir que la démarche fût pour le moment cachée à Athènes[13]. Par suite encore de ces nouvelles dispositions hostiles à l’égard de cette ville, on y envoya aussi une ambassade combinée, pour demander que les Athéniens quittassent le Péloponnèse, et en particulier qu’ils évacuassent le fort récemment élevé près d’Epidauros. Il semble qu’il avait été occupé conjointement par des Argiens, des Mantineiens, des Eleiens et des Athéniens ; et comme ces derniers ne formaient entre tous qu’une minorité, les Athéniens de la ville jugèrent prudent d’envoyer Demosthenês pour les ramener. Ce général non seulement effectua la retraite, mais encore imagina un stratagème qui lui donna l’air en quelque sorte d’un avantage. Dès qu’il fut arrivé au fort, il annonça une lutte gymnastique en dehors des murs pour l’amusement de toute la garnison en s’arrangeant pour retenir les Athéniens dans l’intérieur jusqu’à ce que les autres fussent sortis du fort. Alors il ferma les portes en toute hâte, et resta maître de la place[14]. Toutefois, comme il n’avait pas l’intention de la garder, il la céda bientôt aux Épidauriens eux-mêmes, avec lesquels il renouvela la trêve à laquelle ils avaient été parties conjointement avec les Lacédæmoniens cinq ans auparavant, deux ans avant la paix de Nikias[15].

La manière de procéder à laquelle Athènes eut ici recours, par rapport à la reddition du fort, semble avoir été dictée par un désir de manifester son mécontentement contre les Argiens (417 av. J.-C.). C’était précisément ce que les chefs argiens et le parti oligarchique, de leur côté, désiraient le plus ; la rupture avec Athènes était devenue irréparable, et leurs plans étaient mûrs alors pour renverser violemment leur propre démocratie. Ils concertèrent avec Sparte une expédition militaire combinée, composée de mille hoplites fournis par chaque ville (première expédition faite en commun en vertu de la nouvelle alliance) contre Sikyôn, dans le dessein d’introduire une oligarchie plus compacte dans le gouvernement déjà oligarchique de cette ville. Il est possible qu’il y ait eu quelque opposition démocratique acquérant graduellement de la force à Sikyôn ; cependant cette ville semble avoir été, autant que nous le savons, toujours oligarchique dans sa politique, et passivement fidèle à Sparte. Aussi est-il probable que l’entreprise commune contre Sikyôn ne fût rien de plus qu’un prétexte pour couvrir l’introduction de mille hoplites lacédæmoniens dans Argos, où retourna le détachement commun, immédiatement après que l’affaire eut été faite à Sikyôn. Ainsi renforcés, les chefs oligarchiques et les Mille hommes d’élite à Argos renversèrent de force la constitution démocratique de cette ville, tuèrent les chefs démocratiques, et se mirent en possession complète du gouvernement[16].

Cette révolution (accomplie vers février 417 av. J.-C.), — résultat de la victoire de Mantineia et achèvement d’un mouvement politique donné par Sparte, — porta son influence dans le Péloponnèse à un point plus élevé et plus incontesté que jamais. Les villes d’Achaïa n’étaient pas encore suffisamment oligarchiques pour son dessein, — peut-être depuis la marche d’Alkibiadês dans ce pays deux ans auparavant ; — en conséquence, elle refondit leurs gouvernements, qu’elle mit en conformité avec ses propres vues. Les nouveaux maîtres d’Argos lui furent subordonnés, non seulement par sympathie oligarchique, mais par besoin de son aide pour réprimer des soulèvements intérieurs dirigés contre eux ; de sorte qu’il n’y eut pas d’ennemi, ni même de neutre, pour agir contre elle ou pour favoriser Athènes dans toute la péninsule.

Mais l’ascendant spartiate à Argos n’était pas destiné à durer. Bien qu’il y eût en Grèce beaucoup de villes dans lesquelles les oligarchies se maintinrent longtemps inébranlables, par attachement à une routine traditionnelle, et parce qu’elles étaient habituellement dans les mains d’hommes accoutumés à gouverner, — cependant une oligarchie élevée par la force sur les ruines d’une démocratie avait rarement une longue durée. Le mécontentement et la colère du peuple, abattus par une intimidation temporaire, revivaient ordinairement et menaçaient la sécurité des chefs assez pour les rendre soupçonneux et probablement cruels. En outre, cette cruauté n’était pas leur seule faute ; ils trouvaient leur affranchissement des restrictions démocratiques trop attrayant pour pouvoir contrôler, soit leur convoitise, soit leur rapacité. Dans la population d’Argos, — relativement grossière et brutale dans tous les rangs, et plus semblable à Korkyra qu’à Athènes, — il était bien, sûr que de tels abus seraient prompts aussi bien que flagrants. En particulier, le régiment d’élite des Mille, — hommes dans la vigueur de l’âge, et fiers de leur bravoure militaire aussi bien que de leur position fortunée, — comprirent le nouveau gouvernement qu’ils avaient contribué à élever comme une période où leur licence individuelle pourrait se, donner carrière. La conduite et le sort de son chef, Bryas, explique la manière d’agir de la troupe en général. Après beaucoup d’autres outrages contre des personnes de condition pauvre, il rencontra un jour dans les rues un cortège nuptial, dans lequel la personne de la fiancée captiva son imagination. Il la fit arracher violemment à ceux qui l’accompagnaient, la transporta dans sa maison, et s’en rendit maître de force. Mais, dans le milieu de la nuit, cette femme pleine de coeur se vengea de l’outrage en crevant les yeux du ravisseur pendant qu’il était profondément endormi[17], vengeance terrible que les épingles à agrafe effilées du costume féminin mettaient parfois des femmes[18] en état d’exercer sur ceux qui les outrageaient. Après Atre parvenue à s’échapper, elle trouva asile auprès de ses amis, aussi bien que protection auprès du peuple en général, contre les efforts que firent les Mille irrités pour venger leur chef.

Par suite d’incidents tels que celui-ci, et de la multitude de petites insultes dont un outrage si infâme implique l’existence simultanée, nous ne sommes pas surpris d’apprendre que le Dêmos d’Argos recouvra bientôt son courage perdu, et résolut de faire un effort pour renverser ses oppresseurs oligarchiques. Il attendit le moment où la fête appelée les Gymnopædiæ était en train d’être célébrée à Sparte, — fête dans laquelle les exercices choriques des hommes et des garçons étaient tellement mêlés à la religion spartiate aussi bien qu’à l’éducation corporelle, que les Lacédæmoniens ne faisaient aucun mouvement militaire avant qu’ils fussent terminés. A ce moment critique, le Dêmos argien se mit en insurrection ; et après une lutte acharnée, remporta une victoire sur les membres de l’oligarchie, dont quelques-uns furent tués, tandis que d’autres n’échappèrent que par là fuite. Même au premier moment de danger, on avait envoyé à Sparte de pressants messages pour demander du secours. Mais les Lacédæmoniens commencèrent par refuser péremptoirement de se mettre en mouvement pendant le temps de leur fête, et ce ne fut qu’après qu’on leur eut expédié messager sur messager pour leur exposer la nécessité pressante de leurs amis, qu’ils renoncèrent contre leur gré à la fête pour marcher vers Argos. Il était trop tard ; le moment opportun était déjà passé. Ils reçurent à Tegea l’avis que leurs amis étaient renversés, et Argos au pouvoir du peuple victorieux. Néanmoins, divers exilés qui s’étaient échappés leur promirent le succès, en les priant instamment de poursuivre leur marche ; mais les Lacédæmoniens refusèrent d’accéder à leur demande, retournèrent à Sparte et reprirent leur fête interrompue[19].

C’est ainsi que l’oligarchie d’Argos fut renversée, — après une durée d’environ quatre mois[20], de février à juin de l’an 417 avant J.-C., — et le régiment d’élite des Mille fut ou dissous ou détruit. Ce mouvement excita une grande sympathie dans plusieurs villes péloponnésiennes[21] qui devenaient jalouses de la prépondérance exorbitante de Sparte. Néanmoins, le Dêmos argien, bien que victorieux dans la ville, douta tellement de pouvoir se maintenir, qu’il envoya des ambassadeurs à Sparte pour plaider sa cause et demander avec prière un traitement favorable, acte qui prouve que l’insurrection avait été spontanée et non fomentée par Athènes. Mais les envoyés des oligarques expulsés étaient pour leur tenir tête, et les Lacédæmoniens, après une discussion prolongée, déclarant que le Démos s’était rendu coupable d’une faute, annoncèrent leur résolution d’envoyer des forces pour le réduire. Cependant la lenteur ordinaire des habitudes spartiates empêcha tout mouvement immédiat ou séparé. Il fallait convoquer leurs alliés, dont aucun n’apportait beaucoup de zèle dans la cause, — et moins encore à ce moment ou l’époque de la moisson approchait : aussi trois mois environ se passèrent-ils avant que des forces réelles fussent réunies.

Cet intervalle important fut mis à profit par le Démos argien qui, bien averti qu’il ne devait voir dans Sparte qu’une ennemie, renouvela immédiatement son alliance avec Athènes. La considérant comme son principal refuge, il commença la construction de Longs Murs pour rattacher sa ville à la mer, afin que la route fût toujours ouverte pour des provisions et un renfort venant d’Athènes dans le cas où il serait enfermé dans ses murs par des forces spartiates supérieures. Toute la population argienne, —hommes et femmes, personnes libres et esclaves, — se mit à l’ouvrage avec la plu : grande ardeur ; tandis qu’Alkibiadês amenait des secours d’Athènes[22], — surtout des maçons et des charpentiers habile, dont ils avaient un grand besoin. Ce fut probablement lui qui avait suggéré cette démarche ; car c’était la même que, deux ans auparavant, il avait conseillée aux habitants de Patrie. Mais la construction de murs, suffisants pour la défense, lé long de la ligne de quatre milles et demi (7 kilom. environ) entre Argos et la mer[23], demandait beaucoup de temps. De plus, le parti oligarchique dans la ville, aussi bien que les exilés au dehors, — parti défait, mais non détruit, — pressait énergiquement les Lacédæmoniens de renverser l’ouvrage, et leur promettait même un mouvement contre-révolutionnaire dans la ville aussitôt qu’ils s’approcheraient pour prêter assistance, — intrigue analogue à celle qu’avait formée le parti oligarchique à Athènes, quarante ans auparavant, quand on était en train d’élever les murs qui devaient rejoindre Peiræeus[24]. En conséquence, vers la fin de septembre (417 av. le roi Agis conduisit une armée de Lacédæmoniens et d’alliés contre Argos, refoula la population dans l’intérieur de la ville et détruisit tout ce qui avait été déjà fait des Longs Murs. Mais le, parti oligarchique de l’intérieur ne put réaliser sa promesse de se lever en armes ; de sorte qu’il fut obligé de se retirer après avoir seulement ravagé le territoire et pris la ville d’Hysiæ, où il mit à mort tous les citoyens qui tombèrent entre ses mains. Après son départ, les Argiens se vengèrent de ces ravages sur le territoire voisin de Phlionte, où résidaient surtout les exilés d’Argos[25].

Le voisinage rapproché de ces exilés, — en même temps que la faveur prononcée de Sparte, et les projets continus du parti oligarchique dans l’intérieur des murs, tint la démocratie argienne dans une inquiétude et une alarme perpétuelles pendant tout l’hiver, malgré sa récente victoire et la suppression du dangereux régiment des Mille. Pour les tirer en partie d’embarras, on y envoya Alkibiadês de bonne heure au printemps avec un armement athénien et vingt trirèmes. Ses amis et ses hôtes paraissent avoir eu l’ascendant en ce moment, comme chefs du gouvernement démocratique, et, de concert avec eux, il choisit trois cents personnes oligarchiques marquantes qu’il emmena et déposa dans diverses villes athéniennes, comme otages assurant la tranquillité du parti (416 av. J.-C.). Les Argiens entreprirent aussi une autre course de dévastation dans le territoire de Phlionte, où cependant ils n’essuyèrent que des pertes. Et de nouveau, vers la fin de septembre, les Lacédœmoniens donnèrent l’ordre pour une seconde expédition contre Argos. Mais, s’étant avancés jusqu’aux frontières, ils trouvèrent les sacrifices (toujours offerts avant qu’ils quittassent leur territoire) si défavorables qu’ils retournèrent sur leurs pas et licencièrent leurs troupes. Le parti oligarchique argien, bien qu’on lui eût pris récemment des otages, avait guetté cette armée lacédæmonienne, et avait projeté un soulèvement, ou du moins il fut soupçonné de le faire, — au point que quelques-uns de ses membres furent saisis et emprisonnés par le gouvernement, tandis que d’autres s’échappèrent[26]. Toutefois, plus tard, pendant le même hiver, les Lacédæmoniens devinrent plus heureux dans leurs sacrifices offerts sur la frontière, — ils entrèrent dans le territoire argien conjointement avec leurs alliés (excepté les Corinthiens qui refusèrent de prendre part à l’expédition), — et établirent les exilés oligarchiques Argiens à Orneæ, ville d’où ces derniers ne tardèrent pas à être chassés, après le départ de l’armée lacédæmonienne, par la démocratie argienne avec l’aide d’un renfort athénien[27].

Maintenir le gouvernement démocratique d’Argos renouvelé contre des ennemis tant intérieurs qu’extérieurs, était une, politique qui importait à Athènes, en ce qu’elle donnait la base d’un parti antilaconien dans le Péloponnèse, base qui plus tard pouvait être agrandie. Mais au moment actuel l’alliance argienne était une cause d’affaiblissement et d’épuisement plutôt qu’une source de force pour Athènes ; il y a bien loin de là aux brillantes espérances qu’elle avait présentées avant la bataille de Mantineia, -espérances de supplanter Sparte dans son ascendant à l’intérieur de l’Isthme. Il est remarquable que malgré l’aliénation complète de sentiment entre Athènes et Sparte, — et malgré des hostilités réciproques continuées d’une manière indirecte, tant que chacune d’elles agissait comme alliée de quelque tiers parti, — néanmoins ni l’une ni l’autre ne voulait renoncer formellement à l’alliance jurée ni effacer la mention inscrite sur sa colonne de pierre. Les deux parties reculaient devant l’idée de proclamer la vérité réelle, bien qu’en fait chaque demi-année les en rapprochât d’un pas. Ainsi, dans le courant de l’été actuel (416 av. J.-C.), la garnison athénienne et messênienne à Pylos devint plus active que jamais dans ses incursions en Laconie et rapporta un butin considérable ; alors les Lacédæmoniens, sans renoncer encore à l’alliance, déclarèrent publiquement qu’ils étaient disposés à accorder ce que nous pouvons appeler des lettres de marque, à qui que ce soit, pour faire la course contre le commerce athénien. Les Corinthiens également, sur des motifs particuliers de querelle, commencèrent des hostilités contre les Athéniens[28]. Cependant Sparte et ses alliés restaient dans un état de paix formelle avec Athènes ; les Athéniens résistaient à toutes les sollicitations répétées des Argiens qui les engageaient à opérer un débarquement sur une partie quelconque de la Laconie et à commettre des ravages[29]. Et la liberté d’un commerce libre pour les individus n’était pas encore suspendue. Nous ne pouvons douter que les Athéniens n’aient été invités à la fête Olympique de 416 avant J.-C. (91e Olympiade), et qu’ils n’y aient envoyé leur ambassade solennelle avec celles de Sparte et des autres Grecs dôriens.

Maintenant qu’ils étaient redevenus alliés d’Argos, tes Athéniens découvrirent, sans doute plus complètement qu’ils ne l’avaient su auparavant, l’intrigue menée par l’ancien gouvernement argien avec le Macédonien Perdikkas. Toutefois les effets de ces intrigues s’étaient fait sentir même plus tôt dans la conduite de ce prince, qui, s’étant engagé comme allié d’Athènes à coopérer à une expédition athénienne projetée sous Nikias pour le printemps ou l’été de 417 avant J.-C., contre les Chalkidiens de Thrace et Amphipolis, — refusait actuellement son concours, se retirait de l’alliance d’Athènes et faisait échouer tout le plan de l’expédition. En conséquence, les Athéniens fermèrent les ports de Macédoine par un blocus naval, déclarant Perdikkas ennemi[30].

Près de cinq années s’étaient écoulées depuis la défaite de Kleôn, sans nouvelle tentative pour recouvrer Amphipolis ; le projet auquel il vient d’être fait allusion parait avoir été le premier. La conduite des Athéniens par rapport à cette ville importante prouve abondamment ce manque de sagesse de la part de leurs principaux personnages, Nikias et Alkibiadês, et les tendances erronées de la part du corps des citoyens, tendances que nous verrons insensiblement conduire leur empire à sa ruine. Parmi toutes leurs possessions en dehors de l’Attique, il n’y en avait aucune aussi précieuse qu’Amphipolis : centre d’une grande région de mines et de commerce, — située sur un large fleuve et sur un lac que la flotte athénienne pouvait facilement dominer, — et réclamée par eux avec raison et justice, puisque c’était leur colonie dans l’origine, établie par le plus sage de leurs hommes d’État, Periklês. Elle n’avait été perdue que par une négligence impardonnable de la part de leurs généraux ; et une fois perdue, nous nous serions attendu à voir Athènes déployer sa plus grande énergie pour la recouvrer, d’autant plus que, si elle était une fois recouvrée, on pouvait la rendre sûre et la conserver comme possession dans l’avenir. Kleôn est le seul homme influent qui déclare immédiatement à ses compatriotes cette importante vérité, à savoir qu’elle ne peut jamais être recouvrée que par la force. Il les presse ardemment de faire les efforts militaires nécessaires, et il les y détermine en partie ; mais la tentative échoue honteusement, — en partie par sa propre incapacité comme commandant, soit que se charger de ce devoir fût pour lui une question de choix ou d’obligation,- en partie par la forte opposition et par l’antipathie qu’il rencontra dans une portion si considérable de ses concitoyens, et qui enlevèrent toute ardeur aux soldats engagés dans l’entreprise. Ensuite, Nikias, Lachês et Alkibiadês concourent tous à faire une paix et une alliance avec les Lacédæmoniens, sous la promesse expresse et dans le dessein spécial d’obtenir la restitution d’Amphipolis. Mais après une série d’actes diplomatiques qui montrent autant de crédulité niaise dans Nikias que de perfidie égoïste dans Alkibiadês, le résultat sur lequel Kleôn avait insisté devient évident, à savoir que la paix ne leur rendra pas Amphipolis, et qu’ils ne peuvent la ravoir que par la force. Le défaut fatal de Nikias parait alors d’une manière saillante : caractère inerte et incapable d’un effort décidé ou énergique. Quand il découvrit qu’il avait été battu par la diplomatie lacédæmonienne et qu’il avait fatalement égaré ses compatriotes en les engageant à faire des cessions importantes sur la foi d’équivalents a venir, nous nous serions attendu à le voir aiguillonné par un repentir plein d’indignation pour cette erreur, et appliquant ses efforts les plus énergiques aussi bien que ceux de son pais à recouvrer ces parties de son empire que la paix avait promises sales les rendre. Au lieu de cela, il ne déploie aucune activité efficace, tandis qu’Alkibiadês commence à montrer les défauts de son caractère politique, plus dangereux encore que ceux de Nikias, — la passion pour des nouveautés brillantes, précaires, infinies et même périlleuses. C’est seulement dans l’année 417 avant J.-C. après que la défaite de Mantineia avait mis fin aux spéculations politiques d’Alkibiadês dans l’intérieur du Péloponnèse, que Nikias projette une expédition contre Amphipolis ; et même alors elle n’est projetée qu’à la condition qu’on aurait l’aide de Perdikkas, prince d’une perfidie notoire. Ce n’était pas par ces demi-efforts d’énergie que l’on pouvait ravoir la place, comme l’avait assez prouvé la défaite de Kleôn. Ces actes nous donnent une juste mesure de la politique étrangère d’Athènes à cette époque, pendant ce ii u’on appelle la paix de Nikias, et ils nous préparent à la déplorable catastrophe qui sera développée dans le volume suivant, — où elle est amenée à deux doigts de sa perte par les défauts combinés de Nikias et d’Alkibiadês ; car, par un singulier malheur, elle ne recueille le bénéfice des bonnes qualités ni clé l’un ni de l’autre.

Ce fut dans l’une des trois années entre 420-416 av. J.-C., bien que nous ignorions dans laquelle, que fut rendu le vote d’ostracisme, résultat de la lutte entre Nikias et Alkibiadês[31]. L’antipathie politique qui les séparait étant arrivée à une grande violence, on proposa de rendre un vote d’ostracisme, et cette proposition — faite probablement par les partisans de Nikias, puisque Alkibiadês était la personne la plus dans le cas d’être regardée comme dangereuse — fut adoptée par le peuple. Hyperbolos, le lampiste, fils de Chremês, orateur jouissant d’une influence considérable dans l’assemblée publique, l’appuya avec ardeur, car il haïssait Nikias autant qu’Alkibiadês. Aristophane nomme Hyperbolos comme ayant succédé à Kleôn dans la supériorité à la tribune de la Pnyx[32] ; si cela était vrai, sa prétendue prééminence démagogique commencerait vers septembre 422 avant J.-C., époque de la mort de Kleôn. Toutefois longtemps avant ce moment il avait été l’un des principaux plastrons des auteurs comiques, qui lui attribuent la bassesse, la malhonnêteté, l’impudence et la malignité à accuser, qu’ils mettent sur le dos de Kleôn, bien que dans un langage qui semble impliquer une idée inférieure de son pouvoir. Et l’on peut douter qu’Hyperbolos ait jamais succédé à l’influence dont avait joui Kleôn, quand nous voyons que Thucydide ne le nomme dans aucun des importants débats qui s’engagèrent lors de la paix de Nikias et après cette paix. Thucydide le mentionne seulement une fois, en 411 avant J.-C., tandis qu’il était en exil sous le coup d’une sentence d’ostracisme et qu’il résidait à Samos. Il l’appelle un certain Hyperbolos, personnage de mauvais caractère, qui avait été frappé d’ostracisme, non par crainte d’un excès dangereux de dignité et de pouvoir, mais à cause de sa méchanceté et de la honte qu’il jetait sur la république[33]. Cette phrase de Thucydide est réellement la seule preuve contre Hyperbolos ; car il n’est pas moins injuste dans son cas que dans celui de Kleôn de citer les railleries et les libelles de la comédie, comme si c’étaient autant de faits authentiques et de critiques dignes de confiance. Ce fut à Santos qu’Hyperbolos fut tué par les conspirateurs oligarchiques qui tendaient à renverser la démocratie à Athènes. Nous n’avons pas de faits particuliers à son sujet qui nous permettent de vérifier le caractère général présenté par Thucydide.

A l’époque où l’on adopta à Athènes la résolution de rendre un vote d’ostracisme, — suggérée par le dissentiment politique entre 1Nikias-et Alkibiadês, vingt-quatre ans environ s’étaient écoulés depuis qu’on avait eu recours à un vote semblable, le dernier exemple ayant été celui de Périclès et de Thukydidês[34], fils de Melésias, dont le dernier fut frappé d’ostracisme vers 422 avant J.-C. La constitution démocratique était devenue assez forte pour diminuer considérablement la nécessité de l’ostracisme comme sauvegarde contre des usurpateurs individuels ; de plus, on avait alors toute confiance dans les nombreux dikasteria, que l’on regardait comme compétents pour s’occuper des plus grands parmi de pareils criminels : — par là était affaiblie la nécessité telle qu’on se l’imaginait, non moins que la nécessité réelle d’une telle précaution à prendre. Dans cet état (le choses, changement dans la réalité aussi bien, que dans le sentiment, nous ne sommes pas surpris de voir que le vote d’ostracisme actuellement invoqué, bien que nous ignorions les circonstances qui le précédèrent immédiatement, aboutit à un abus, ou plutôt à une sorte clé parodie de l’ancien préservatif. A un moment d’une extrême chaleur dans les disputes de parti, les amis d’Alkibiadês acceptèrent probablement le défi de Nikias et concoururent à appuyer un vote d’ostracisme, chacun d’eux espérant se débarrasser de son adversaire. En conséquence, on décida le vote ; mais avant qu’il fût réellement rendu, les partisans des deux rivaux changèrent d’idée et préférèrent laisser marcher le dissentiment politique plutôt que d’y mettre un terme en séparant les combattants. Mais on ne pouvait empêcher le vote d’ostracisme, qui avait été formellement résolu, d’être prononcé ; toutefois il était toujours parfaitement général dans sa forme, en comportant qu’un citoyen quelconque fût choisi pour un exil temporaire. En conséquence, les deux parties contraires, comprenant sans doute chacune divers clubs ou hétæries, et suivant quelques récits, les amis de Phæax également, se réunirent pour tourner le vote contre quelque autre. Ils jetèrent les yeux sur un homme qui était pour eux tous un objet commun d’aversion, — Hyperboles[35]. Par ce concours, ils obtinrent contre lui un nombre de votes suffisant pour rendre la sentence qui l’envoya en exil temporaire. Mais ce résultat n’était dans la pensée de personne quand on décida qu’on prononcerait le vote ; et Plutarque représente même le peuple comme l’accueillant avec des battements de mains comme une bonne plaisanterie. Bientôt tout le monde, vraisemblablement même les ennemis d’Hyperbolos, le reconnurent comme un grand abus de l’ostracisme. Et le langage de Thucydide l’implique clairement ; car si même nous admettons qu’Hyperbolos méritât la censure que cet historien lance contre lui, personne ne pouvait considérer sa présence comme dangereuse pour la république, et l’ostracisme n’était pas destiné à combattre une basse malhonnêteté ou la méchanceté. Il était, même auparavant, sur le point de sortir de la morale politique d’Athènes ; et cette sentence fut son coup de grâce, de sorte que nous n’entendons plus dire qu’il ait été employé dans la suite. Il avait été d’une extrême importance à une époque plus ancienne, comme sécurité pour la démocratie croissante contre une usurpation, individuelle du pouvoir, et contre une exagération dangereuse de rivalité entre des chefs individuels ; mais actuellement la démocratie était assez forte pour dispenser de cette protection exceptionnelle. Cependant, si Alkibiadês était revenu de Syracuse en vainqueur, il est extrêmement probable que les Athéniens n’auraient pas eu d’autre moyen que l’ostracisme, cet antidote de précaution, pour l’éviter comme despote.

Ce fut au commencement de l’été 416 avant J.-C. que les athéniens entreprirent le siége et la conquête de l’île dôrienne de Mêlos, — une des Cyclades, et la seule, excepté Thêra, qui ne fût pas déjà comprise dans leur empire. Mêlos et Thêra étaient deux anciennes colonies de Lacédæmone, pour laquelle elles avaient une forte sympathie de lignage. Elles ne s’étaient jamais réunies à la confédération de Dêlos, et n’avaient jamais été en aucune sorte rattachées à Athènes ; mais, en même temps, elles n’avaient jamais pris part dans la récente guerre contre elle, et elles ne lui avaient jamais donné de motif de plainte[36] avant qu’elle y débarquât et les attaquât dans la sixième année de la dernière guerre. Elle renouvela alors sa tentative, en envoyant contre l’île des forces considérables sous Kleomêdês et Tisias : trente trirèmes athéniennes, avec six de Chios et deux de Lesbos, — douze cents hoplites athéniens, et quinze cents hoplites des alliés, — avec trois cents archers, et vingt archers à cheval. Ces officiers, après avoir débarqué leurs forces et pris position, envoyèrent des députés dans la ville pour sommer le gouvernement de se rendre, et de devenir un sujet allié d’Athènes.

C’était un usage fréquent, sillon universel en Grèce, — même dans des gouvernements qui n’étaient pas ouvertement démocratiques, — de discuter les propositions de paix ou de guerre devant l’assemblée du peuple. Mais dans la présente occasion, les chefs méliens s’écartèrent de cet usage, et admirent les envoyés seulement à un entretien particulier avec leur conseil exécutif. Quant à la conversation qui ‘fut tenue, Thucydide déclare nous en donner un récit détaillé et élaboré, — d’une longueur surprenante, à considérer sa brièveté en général. Il expose treize observations distinctes, avec autant de réponses, échangées entre les députés athéniens et les Méliens ; aucune d’elles n’étant longue séparément, et quelques-unes étant très courtes, — mais le dialogue dans son ensemble est dramatique et d’un grand effet. Il y a effectivement tout lieu de conclure que ce que nous lisons ici dans Thucydide lui appartient dans une proportion bien plus grande, et est une relation authentique dans une proportion plus petite qu’aucun des autres discours qu’il déclare rapporter. Car ce rie fut pas une harangue publique pour laquelle il aurait eu l’occasion de consulter le souvenir de maintes personnes différentes ; ce fut une conversation particulière à laquelle trois ou quatre Athéniens, et peut-être dix ou douze Méliens peuvent avoir pris part. Or comme tous les prisonniers méliens d’âge à servir, et certainement tous les principaux citoyens alors dans la ville qui avaient mené cette entrevue, furent tués immédiatement après la prise de la ville, il ne resta que les .députés athéniens dont le rapport ait pu instruire Thucydide de ce qui se passa réellement. Qu’il ait appris d’eux ou par leur intermédiaire le caractère général de ce qui se passa, je n’en fais aucun doute ; mais il n’y a pas lieu de croire qu’il apprît d’eux quelque chose qui ressemblât au cours consécutif du débat que nous devons rapporter à son génie et à son arrangement dramatiques, en même temps qu’une partie du raisonnement explicatif.

L’Athénien commence par restreindre le sujet de la discussion aux intérêts mutuels des deux parties dans les circonstances particulières où elles se trouvent actuellement, malgré la disposition des Méliens à élargir le cercle des sujets, en introduisant des considérations de justice et en faisant appel au sentiment d’une critique impartiale. Il ne fera pas de longs discours pour démontrer la juste origine de l’empire athénien, élevé sur l’expulsion ries Perses, — ni pour alléguer une injure reçue, comme prétexte de l’expédition actuelle. Il n’écoutera non plus aucun argument de la part des Méliens, s’ils disent que, bien que colons de Sparte, ils n’ont jamais combattu avec elle ni fait de mal à Athènes. Il les presse de viser à ce que l’on peut atteindre dans les circonstances présentes, puisqu’ils savent aussi bien que lui que dans les raisonnements des hommes la justice est établie suivant une nécessité égale des deux côtés ; le fort faisant ce que son pouvoir lui permet de faire, et le faible s’y soumettant[37]. A cela les Méliens répondent que (négligeant tout appel à la justice et ne parlant que de ce qui était utile) ils regardaient comme utile même pour Athènes de ne pas violer la sanction morale commune de l’humanité, mais de permettre que l’équité et la justice restassent encore comme refuge pour des hommes dans le malheur, avec quelque indulgence même à l’égard de ceux qui peuvent être hors d’état d’établir un cas de droit absolu et rigoureux. C’était avant tout l’intérêt d’Athènes elle-même, en ce que sa ruine, si elle survenait jamais, serait terrible, tant comme châtiment pour elle-même que comme leçon pour les autres. Nous ne craignons pas cela (répliqua l’Athénien), même si notre empire était renversé. Ce ne sont pas des cités souveraines comme Sparte qui traitent durement les vaincus. De plus, notre lutte actuelle n’est pas entreprise contre Sparte,c’est une lutte pour déterminer si des sujets, en attaquant eux-mêmes, l’emporteront sur leurs maîtres. C’est un danger que nous avons à apprécier : en attendant, laissez-nous vous rappeler que nous venons ici dans l’intérêt de notre empire, et que nous parlons maintenant en vue de votre sûreté,désirant vous avoir sous notre domination sans peine pour nous-mêmes, et vous conserver pour notre avantage comme pour le vôtre. — Ne pouvez-vous pas nous laisser tranquilles et nous permettre d’être vos amis au lieu d’être vos ennemis, mais alliés ni de vous ni de Sparte ? — dirent les Méliens. Non (est-il répondu), — votre amitié nous est plus nuisible que votre inimitié : votre amitié est une preuve de notre faiblesse aux yeux de nos alliés sujets,votre inimitié sera une preuve de notre pouvoir. — Mais est-ce donc réellement une règle d’équité pour vos sujets que de nous mettre, nous qui n’avons aucune sorte de rapports avec vous, sur le même pied qu’eux-mêmes, dont la plupart sont vos colons, tandis que beaucoup d’entre eux se sont même révoltés contre vous et ont été reconquis ?Oui, car ils pensent que les uns et les autres ont de lionnes raisons pour vouloir être libres, et que si nous vous laissons indépendants, c’est à cause de votre puissance et par la crainte que nous avons de vous attaquer. De sorte que votre soumission, non seulement agrandira notre empire, mais fortifiera notre sécurité dans l’ensemble de nos possessions, surtout en ce que vous êtes insulaires, et encore insulaires faibles, tandis que nous sommes les maîtres de la mer. — Mais certainement cette circonstance même est à d’autres égards une protection pour vous, en ce qu’elle prouve votre modération ; car si vous nous attaquez, vous alarmerez immédiatement tous les neutres, et vous vous ferez d’eux des ennemis. — Nous craignons peu les villes continentales qui sont hors de notre portée et non en état de prendre parti contre nous ;nous craignons seulement les insulaires, soit non encore incorporés dans notre empire comme vous,soit déjà dans notre empire et mécontents de la contrainte qu’il impose. Ce sont de tels insulaires qui, par leur obstination mal entendue, sont capables, de gaieté de coeur, de nous jeter avec eux-mêmes dans les dangers. — Nous savons bien (dirent les Méliens, après que quelques autres observations eurent été échangées) combien il est terrible de lutter contre votre puissance supérieure et contre votre heureuse fortune ; néanmoins nous avons la confiance qu’en fait de fortune nous recevrons des dieux un traitement équitable, vu que nous résistons à l’injustice avec de justes motifs ; et quant à l’infériorité de notre pouvoir, nous comptons que notre alliée Sparte suppléera à son insuffisance, Sparte que la communauté de race forcera, par respect même, à nous venir en aide. — Nous aussi (répliquèrent les Athéniens), nous pensons que nous ne serons pas moins heureux que d’autres sous le rapport de la faveur divine. Car nous n’avançons aucune prétention, ni ne faisons aucune action qui dépasse ce que les hommes croient au sujet des dieux et ce qu’ils désirent pour eux-mêmes. Ce que nous croyons des dieux est la même chose que ce que nous voyons mis en pratique parmi les hommes : l’impulsion naturelle fait qu’ils dominent nécessairement sur ce qui leur est inférieur en force. Tel est le principe en vertu duquel nous marchons maintenant,n’ayant été les premiers ni à l’établir ni à le suivre, mais le trouvant établi et devant vraisemblablement durer toujours,et sachant bien que vous ou d’autres dans notre position vous en feriez autant. Quant à vos espérances du côté des Lacédæmoniens, fondées sur la honte qu’il y aurait pour eux à rester sourds à votre appel, nous vous félicitons de votre innocente simplicité, mais en même temps nous conjurons une telle folie ; car les Lacédæmoniens sont en effet très désireux de la perfection pour ce qui les concerne eux et leurs coutumes nationales. Mais à considérer leur conduite à l’égard des autres, nous affirmons sans hésiter, et nous pouvons le prouver par maints exemples de leur histoire, qu’ils sont de tous les hommes les plus habiles à prendre l’agréable pour l’honnête et l’utile pour le juste. Or ce n’est pas l’état d’esprit que vous demandez pour cadrer avec vos calculs désespérés de salut.

Après un échange de diverses autres observations d’une teneur semblable, les députés athéniens, pressant avec ardeur les Méliens d’examiner de nouveau la question entre eux avec plus de circonspection, se retirèrent, et après un certain intervalle furent rappelés par le conseil mélien pour entendre les mots suivants : — Nous persistons dans la même opinion qu’auparavant, hommes d’Athènes. Nous ne livrerons pas l’indépendance d’une ville qui a déjà vécu sept cents ans ; nous ferons encore un effort pour nous sauver,-comptant sur cette fortune favorable que les dieux nous ont accordée jusqu’ici, aussi bien que sur l’aide des hommes, et en particulier des Lacédæmoniens. Nous désirons pouvoir être considérés comme vos amis, mais non comme hostiles à aucune des deux parties, et nous vous demandons de quitter l’île après avoir conclu une trêve qui soit mutuellement acceptable. — Bien (dirent les députés athéniens), vous seuls semblez considérer les éventualités futures comme plus claires que les faits qui sont devant vos yeux, et regarder à une distance incertaine à travers vos propres désirs, comme si c’était une réalité présente. Vous avez joué votre tout comptant sur les Lacédæmoniens, sur la fortune et sur de folies espérances ; et avec votre tout, vous courez à votre ruine.

La siége commença immédiatement. Un mur de circonvallation distribué par parties entre les différents alliés d’Athènes, fut construit autour de la ville, qui fut laissée complètement bloquée tant par mer que par terre, tandis que le reste de l’armement se retira dans ses foyers. La ville resta bloquée pendant plusieurs mois. Dans cet intervalle, les assiégés firent deux sorties heureuses, qui leur procurèrent quelque soulagement temporaire, et forcèrent les Athéniens d’envoyer un détachement de plus sous les ordres -de Philokratês. A la fin, les provisions dans l’intérieur s’épuisèrent : des complots, en vue de livrer la ville, commencèrent parmi les Méliens eux-mêmes-, de sorte qu’ils lurent contraints de se rendre à discrétion. Lés Athéniens résolurent de mettre à mort tous les hommes en âge de servir, et de vendre comme esclaves les femmes et les enfants. Qui proposa cette résolution barbare ? Thucydide ne le dit pas ; mais Plutarque et autres nous apprennent qu’Alkibiadês l’appuya avec ardeur[38]. On y envoya subséquemment cinq cents colons athéniens pour former une nouvelle communauté, apparemment non comme Klêruchi ou citoyens résidant hors d’Athènes, — mais comme nouveaux Méliens[39].

A prendre les actes des Athéniens à l’égard de Mêlos d’un bout à l’autre, ils sont un des exemples les plus grands et les plus inexcusables de la cruauté combinée avec l’injustice que nous offre l’histoire grecque. En appréciant ce que de telles exécutions en masse ont de cruel, nous devons nous rappeler que les lois de la guerre mettaient complètement le prisonnier à la disposition de son vainqueur, et qu’une garnison athénienne, si elle avait été prise par les Corinthiens dans Naupaktos, Nisæa, ou ailleurs, aurait assurément subi le même sort, à moins toutefois qu’elle n’eût été conservée pour un échange. Mais le traitement des Méliens dépasse toute rigueur des lois de la guerre ; car ils n’avaient jamais été en guerre avec Athènes, et ils n’avaient jamais rien fait pour encourir son inimitié. De plus, l’acquisition de l’île était de médiocre importance pour cette cité ; elle ne suffisait pas à payer les frais de l’armement employé à la prendre. Et tandis que l’avantage était ainsi exigu en tout serfs, l’impression faite sur le sentiment grec par sa conduite dans son ensemble paraît avoir occasionné un tort sérieux à Athènes. Loin de contribuer à fortifier tout son empire, en balayant cette petite population insulaire qui avait jusqu’alors été neutre et inoffensive, elle ne fit que jeter de l’odieux sur sa conduite dont, plus tard, on conserva précieusement le souvenir comme celui d’un de ses principaux méfaits.

Satisfaire son orgueil d’empire par une nouvelle conquête, — facile à effectuer, bien que de peu de valeur, — fut sans doute son principal motif ; probablement aussi, fortifié par une pique contre Sparte, dont un sentiment profondément hostile et mutuel la séparait, — et par un désir d’humilier cet État dans les Méliens. On verra dans le prochain volume cette passion d’acquisitions nouvelles, qui leur fait abandonner les espérances les plus raisonnables de recouvrer les parties perdues de leur empire, éclater d’une façon encore plus forte et plus fatale.

Ces deux points, on le remarquera, sont manifestement marqués dans le dialogue exposé par Thucydide. J’ai déjà dit que ce dialogue ne peut guère représenter ce qui se passa réellement, si ce n’est quant à quelques points généraux que l’historien a suivis et étendus par des déductions et par des explications[40], revêtant ainsi la situation donnée d’une forme dramatique, d’une manière caractéristique et puissante. Le langage prêté aux députés athéniens est celui de pirates et de voleurs, comme Denys d’Halicarnasse[41] l’a fait remarquer il y a longtemps, laissant soupçonner que Thucydide avait présenté la chose ainsi dans le dessein de discréditer le pays qui l’avait envoyé en exil. Quoi qu’on puisse penser de ce soupçon, nous pouvons du moins affirmer que les arguments qu’il attribue ici à Athènes ne sont pas en harmonie même avec les défauts du caractère athénien. Les orateurs athéniens sont plus exposés à être accusés de tenir un langage équivoque, de multiplier les faux prétextes, d’adoucir les parties mauvaises de leur affaire, de donner un nom aimable à des actes vicieux et d’employer ce qu’on appelle proprement sophismes, quand cela est nécessaire à leur dessein[42]. Or le langage du député à Mêlos, qui a été cité quelquefois comme jetant du jour sur l’immoralité de la classe ou profession (appelée à tort école) du nom de sophistes à Athènes, est surtout remarquable par une sorte de franchise audacieuse, — par un dédain non seulement de sophismes dans le sens moderne du mot, mais même de telle excuse plausible qui eût pu être offerte. On a soutenu d’une manière étrange que le bon vieux système, à savoir que ceux-là prennent qui en ont le pouvoir, et que ceux-là gardent qui le peuvent, — avait été découvert pour la première fois et promulgué ouvertement par les sophistes athéniens ; tandis que le dessein réel et la véritable utilité des sophistes, même dans le sens moderne et le plus mauvais du mot (en écartant la fausse application de ce sens aux personnes appelées sophistes à Athènes), sont de fournir des raisons plausibles pour une justification trompeuse, — de telle sorte que l’homme puissant soit en état d’agir d’après ce bon vieux système à son gré, mais sans en faire l’aveu, et tout en déclarant tenir une conduite équitable ou tirer une juste vengeance pour quelque tort imaginaire. Le loup d’Ésope (dans la fable le Loup et l’Agneau) parle comme un sophiste ; le député athénien à Mêlos tient un langage tout à fait différent de celui d’un sophiste, soit dans le sens athénien, soit dans le sens moderne du mot ; nous pouvons ajouter de celui d’un Athénien, comme l’a fait remarquer Denys.

En fait et en pratique, il est vrai que les États plus forts, en Grèce et dans le monde contemporain, tendirent habituellement, comme ils l’ont fait dans tout le cours de l’histoire jusqu’au jour actuel, à agrandir leur puissance aux dépens des plus faibles. Il n’y avait pas de territoire en Grèce, excepté l’Attique et l’Arkadia, qui n’eût été saisi par des conquérants qui dépossédaient et asservissaient les anciens habitants. Nous voyons Brasidas rappeler à ses soldats la bonne épée de leurs ancêtres, qui avaient établi leur domination sur des hommes beaucoup plus nombreux qu’eux-mêmes, comme un objet de gloire et d’orgueil[43] ; et quand nous arriverons à l’époque de Philippe et d’Alexandre dr. Macédoine, nous verrons la passion des conquêtes s’élever à un point auquel n’étaient jamais parvenus les Grecs libres. Il y avait à citer de nombreux exemples de droit fondé ainsi sur une simple supériorité de force, comme pendants de la conquête athénienne de Mêlos ; mais ce qui est sans pareil, c’est le mode adopté par le député athénien pour la justifier, ou plutôt pour mettre de côté toute justification, à considérer l’état actuel de la civilisation en Grèce. Un envahisseur barbare jette son épée dans la balance au lieu d’argument ; un vainqueur civilisé est obligé, par une morale internationale admise, de fournir quelque justification, — un bon argument, s’il le peut, — un argument faux ou un prétendu armement s’il n’en a pas de meilleur, mais le député athénien ne copie ni le méprisant silence du barbare ni le mensonge adouci de l’envahisseur civilisé. Bien qu’il vienne de la ville la plus cultivée de la Grèce, où les vices dominants étaient ceux du raffinement et non de la barbarie, il dédaigne les artifices conventionnels de la diplomatie civilisée plus que ne l’aurait fait un député même d’Argos ou de Korkyra. Il dédaigne même de mentionner, — ce qui aurait pu être dit en toute -vérité comme fait réel, quoi qu’on puisse penser de la valeur de l’argument comme justification, — que les Méliens avaient joui pendant les cinquante dernières années de la sécurité sur les eaux de la mer Ægée aux frais d’Athènes et de ses alliés, sans y contribuer en rien de leur côté.

C’est du moins le rôle qui est attribué à ce personnage dans le fragment dramatique de Thucydide, — Μηλον Αλωσις (la Prise de Mêlos), s’il nous est permis de parodier le titre de la tragédie perdue de Phrynichos, — la prise de Milêtos. Et je crois qu’un examen compréhensif de l’histoire de Thucydide nous suggérera l’explication de ce drame, avec son effet tragique et puissant. La prise de Mêlos vient immédiatement avant la grande expédition athénienne contre Syracuse, qui fut résolue trois ou quatre mois après et envoyée dans le courant de l’été suivant. Cette expédition fut l’effort gigantesque d’Athènes, qui aboutit à la catastrophe la plus ruineuse connue dans l’histoire ancienne. Il fut impossible à Athènes de se remettre d’un tel coup. Dans le fait, bien que mise hors de combat, elle lutta contre ses effets avec une énergie surprenante ; mais sa fortune alla en général en déclinant, — cependant avec des moments de rétablissement apparent par occasion, — jusqu’à ce qu’elle fût complètement abattue et subjuguée par Lysandros. Or Thucydide, précisément avant d’arriver à la pente de cette marche descendante, fait une halte pour expliquer la puissance athénienne dans sa manifestation la plus exagérée, la plus insolente et la plus cruelle, par son dramatique fragment des députés à Mêlos. On se rappelle qu’Hérodote, quand il se dispose à décrire la marche en avant de Xerxès vers la Grèce, destinée à aboutir à une si fatale humiliation, — donne à ses lecteurs une idée achevée de l’insolence et de l’orgueil surhumain du monarque par diverses conversations entre lui et les courtisans qui l’entouraient, aussi bien que par d’autres anecdotes, combinées avec les détails accablants de la revue à Doryskos. Ces oppositions et ces comparaisons morales, et en particulier celles d’un revers ruineux suivant une bonne fortune outrecuidante, présentaient un haut intérêt à l’esprit grec. Et Thucydide, — ayant sous les yeux un acte de grande injustice et de grande cruauté de la part d’Athènes, commis précisément à cette époque, — s’est servi de la forme du dialogue, exemple unique dans son histoire, pour exposer dans un contraste dramatique les sentiments d’un vainqueur confiant et dédaigneux. Toutefois ce sont ses propres sentiments, conçus comme convenables à la situation, et non ceux du député athénien, — encore moins ceux du public d’Athènes, — et bien moins encore ceux de cette classe d’hommes si calomniée, les sophistes athéniens.

 

 

 



[1] Thucydide, V, 75.

[2] Thucydide, V, 72.

[3] Thucydide, I, 141.

[4] Thucydide, V, 75.

[5] Thucydide, V, 75.

[6] Aristote (Politique, V, 4, 9) signale expressément le crédit gagné par le parti oligarchique d’Argos dans la bataille de Mantineia, comme une des principales causes de la révolution subséquente — encore que les Argiens fussent battus en général.

Un exemple de mépris ressenti par des troupes victorieuses à l’égard de concitoyens vaincus, est mentionné par Xénophon dans l’armée athénienne sous les ordres d’Alkibiadês et de Thrasyllos, dans l’une des dernières années de la guerre du Péloponnèse. V. Xénophon, Helléniques, I, 2, 15-17.

[7] Thucydide, V, 76 ; Diodore, XII, 80.

[8] Thucydide, V, 77. Le texte de Thucydide est corrompu d’une manière irrémédiable, par rapport à plusieurs mots de cette clause ; bien que le sens général paraisse suffisamment certain, à savoir que les Épidauriens sont autorisés à se libérer au sujet de cette demande par un serment. Quant à ce serment, destiné à purifier, il semble qu’il était essentiel que le serment fût déféré par une des parties litigantes et prononcé par l’autre : peut-être aussi σέμεν ou θέμεν λήν (conjecture de Valkenaer) serait-il préférable à εϊμεν λήν.

A Hérodote, VI, 86, et à Aristote, Rhetor., I, 16, 6, que le Dr Arnold et d’autres commentateurs signalent pour expliquer cet usage, nous pouvons ajouter l’exposé instructif de l’usage analogue dans la manière de procéder de la loi romaine, telle qu’elle est présentée par von Savigny dans son System der hentigen Roemischen Rechts, sect. 309-313, vol. VII, p. 53-83. C’était un serment déféré par une des parties litigantes à la partie adverse, dans l’espérance que celle-ci refuserait de le prononcer. S’il l’était, il avait force de jugement en faveur de celui lui le prononçait. Mais les légistes romains posaient maintes limites et maintes formalités, par rapport à ce jusjurandum delatum, et von Savigny les expose avec sa clarté habituelle.

[9] Thucydide, V, 77. V. une note du Dr Arnold, et le Dr Thirlwall, Hist. Gr., ch. 24, vol. III, p. 342.

On ne peut être certain du sens de ces deux derniers mots — mais j’incline à croire qu’ils expriment un sentiment péremptoire et presque hostile, tel que je l’ai donné dans le texte. Les alliés auxquels il est fait allusion ici sont Athènes, Elis et Mantineia, tous hostiles en sentiment à Sparte. Les Lacédæmoniens ne pouvaient pas bien refuser d’admettre ces villes à prendre part à ce traité tel qu’il était ; mais ils croyaient probablement convenable de les repousser même avec dureté, si elles désiraient quelque changement.

J’imagine plutôt, aussi, que cette dernière clause a trait exclusivement aux Argiens, et non aussi aux Lacédæmoniens. La forme du traité est celle d’une résolution déjà prise à Sparte, et envoyée à Argos pour être approuvée.

[10] Thucydide, V, 79.

Je présume que cette clause a pour objet de pourvoir à ce que les forces combinées de Lacédæmone et d’Argos ne soient pas tenues d’intervenir pour toute dispute séparée de chaque allié isolément avec un État étranger, non compris dans l’alliance. Ainsi, il y avait à cette époque des disputes constantes entre la Bœôtia et Athènes — et entre Megara et Athènes : probablement les Argiens ne voulaient pas s’engager à intervenir pour le maintien des prétendus droits de la Bœôtia et de Megara dans ces disputes. Ils se mettent en garde dans cette clause contre cette nécessité.

M. H. Meier, dans sa récente Dissertation (Die Privat. Schiedsrichter und die œffentlichen Diœteten Athens (Halle, 1846), sect. 19, p. 41), a donné une analyse et une explication de ce traité, qui sur bien des points me semblent peu satisfaisantes.

[11] Tous les petits États du Péloponnèse sont déclarés par ce traité (si nous reproduisons le langage employé par rapport aux Delphiens en particulier dans la paix de Nikias) Thucydide, V, 19. La dernière clause de ce traité garantit à tous αύτοδικίαν — bien que dans des termes un peu différents. L’expression αύτοπόλιες dans ce traité est en substance équivalente à αύτοτελεϊς dans le premier.

Il est remarquable que nous ne trouvions jamais dans Thucydide le mot très commode d’Hérodote δωσίδικοι (Hérodote, VI, 42), bien qu’il y ait des occasions dans ce quatrième livre et dans ce cinquième dans lesquelles il serait utile pour rendre ce qu’il veut dire.

[12] Thucydide, V, 81 ; Diodore, XII, 81.

[13] Cf. Thucydide, V, 80, et V, 83.

[14] Il paraît que les exemples ne furent pas rares où des villes grecques changèrent de maîtres, les citoyens sortant ainsi des portes tous ensemble, ou la plupart d’entre eux : pour quelque fête religieuse. V. le cas de Smyrne (Hérodote, I, 150), et les conseils de précaution de l’écrivain militaire Æncas, dans son traité appelé Poliorketicos, c. 17.

[15] Thucydide. V, 80. On nous dit ici que les Athéniens renouvelèrent leur trêve avec les Épidauriens ; mais je ne connais pas de trêve antérieure entre eus, si ce n’est la trêve générale d’une année, que les Épidauriens jurèrent, conjointement avec Sparte (IV, 119), au commencement de 423 avant J.-C.

[16] Thucydide, V, 81. Cf. Diodore, XII, 80.

[17] Pausanias, II, 20, 1.

[18] V. Hérodote, V, 87 ; Euripide, Hécube, 1152, et la note de Musgrave sur le vers 1135 de ce drame.

[19] Thucydide, V, 82 ; Diodore, XII, 80.

[20] Diodore (XII, 80) dit qu’elle dura huit mois ; mais cette durée, si elle est exacte, doit être regardée comme commençant à l’alliance entre Sparte et Argos, et non au premier établissement de l’oligarchie. Le récit de Thucydide n’accorde que quatre mois à l’existence de cette dernière.

[21] Thucydide, V, 82.

[22] Thucydide, V, 82.

[23] Pausanias, II, 36, 3.

[24] Thucydide, I, 107.

[25] Thucydide, V, 83. Diodore avance inexactement que les Argiens avaient déjà construit leurs Longs Murs jusqu’à la mer (XII, 81). Thucydide emploie le participe présent.

[26] Thucydide, V, 116.

Je présume que μέλλησιν n’est pas employé ici dans son sens ordinaire de retard, délai, mais qu’il doit être expliqué par le verbe précédent μελλήσαντες, et conformément à l’analogie de IV, 126 — perspective d’une action immédiatement imminente. Cf. Diodore, XII, 81.

[27] Thucydide, VI, 7.

[28] Thucydide, V, 115.

[29] Thucydide, VI, 105, Andocide affirme que la guerre fut reprise par Athènes contre Sparte sur les conseils des Argiens (Orat. de Pac., c. 1, 6, 3, 31, p. 93-105). Cette assertion est en effet partiellement vraie ; l’alliance avec Argos fut une des causes de la reprise de la guerre, mais seulement une entre autres, dont quelques-unes furent plus puissantes. Thucydide nous dit que les conseils d’Argos, pour engager Athènes à renoncer à son alliance arec Sparte, furent répétées et inutiles.

[30] Thucydide, V, 83.

[31] Le Dr Thirlwall (Hist. of Greece, vol. III, ch. 24, p. 360), place ce vote d’ostracisme au milieu de l’hiver ou au commencement du printemps de 415 avant J.-C., immédiatement avant l’expédition de Sicile.

Il tire ses raisons, à l’appui de cette opinion, du Discours appelé Andocide contre Alkibiadês, dont il parait accepter l’authenticité (V. son Appendice II sur ce sujet, vol, III, p. 494 sq.).

Plus je lis ce discours, plus je me persuade que c’est une composition apocryphe d’une ou de deux générations après le temps auquel il déclare se rapporter. J’ai déjà donné dans des notes antérieures les raisons qui me font penser ainsi. Je ne puis croire que l’Appendice du Dr Thirlwall réussisse à écarter les objections élevées contre l’authenticité de ce discours.

[32] Aristophane, Pac., 680.

[33] Thucydide, VIII, 73. Suivant Androtion (Fragm. 48, éd. Didot).

Cf. sur Hyperbolos, Plutarque, Nikias, c. 11 ; Plutarque, Alkibiadês, c. 13 ; Elien, V. II. XII, 43 ; Théopompe, Fragm. 102, 103, éd. Didot.

[34] Je devrais dire proprement, le dernier exemple à bon droit comparable à cette lutte entre Nikias et Alkibiadês, avec lesquels, comme rivaux politiques et hommes de grande position, Periklês et Thukydidês avaient une véritable analogie. Il y avait eu une sentence d’ostracisme rendue plus récemment ; celle contre Damôn, le maître de musique, le sophiste et le compagnon de Periklês. Les ennemis politiques de Periklês obtinrent que Damôn fut frappé d’ostracisme, un peu avant la guerre du Péloponnèse (Plutarque, Periklês, c. 4). Ce fut un abus et une perversion même dans son priud1pe. Nous ne savons pas comment on y arriva, et je ne puis absolument pas me défendre d’un soupçon, c’est que Damôn fut condamné à l’exil, soit par un jugement, soit par défaut dans une accusation — et non par l’ostracisme.

[35] Plutarque, Alkibiadês, c. 13 ; Plutarque, Nikias, c. 11. Théophraste dit que la violente opposition d’abord, et la coalition ensuite, ne furent pas entre Nikias et Alkibiadês, mais entre Phæax et Alkibiadês.

La coalition des votes et des partis peut bien les avoir compris tous trois.

[36] Thucydide, III, 91.

[37] Au sujet de cette argumentation du député athénien, j’appelle l’attention sur l’attaque et le bombardement de Copenhague par le gouvernement anglais, en même temps que sur les paroles adressées à ce sujet par l’agent anglais au prince régent de Danemark. Nous lisons ce qui suit dans l’Histoire du Consulat et de l’Empire, de M. Thiers :

L’agent choisi était digne de la mission. C’était M. Jackson, qui avait été autrefois chargé d’affaires en France, avant l’arrivée de lord Whitworth à Paris, mais qu’on n’avait pas pu y laisser, à cause du mauvais esprit qu’il manifestait en toute occasion. Introduit auprès du régent, il allégua de prétendues stipulations secrètes, en vertu desquelles le Danemark devait (disait-on), de gré ou de force, faire partie d’une coalition contre l’Angleterre ; il donna comme raison d’agir la nécessité où se trouvait le cabinet britannique de prendre des précautions pour que les forces navales du Danemark et le passage du Sund ne tombassent pas au pouvoir des Français : et en conséquence il demanda au nom de son gouvernement qu’on livrât à l’armée anglaise la forteresse de Kronenberg, qui commande le Sund, le port de Copenhague et enfin la flotte elle-même,promettant de garder le tout en dépôt, pour le compte du Danemark, qui serait remis en possession de ce qu’on allait lui enlever dès que le danger serait passé. M. Jackson assura que le Danemark ne perdrait rien, que l’on se conduirait chez lui en auxiliaires et en amis,que les troupes britanniques payeraient tout ce qu’elles consommeraient.Et avec quoi, répondit le prince indigné, payeriez-vous notre honneur perdu, si nous adhérions à cette infime proposition ? Le prince continuant, et opposant à cette perfide intention la conduite loyale du Danemark, qui n’avait pris encline précaution contre les Anglais, qui les avait toutes prises contre les Français, ce dont on abusait pour le surprendreH. Jackson répondit à cette juste indignation par une insolente familiarité, disant que la guerre était la guerre, qu’il fallait se résigner à ces nécessités et céder au plus fort quand on était le plus faible.Le prince congédia l’agent anglais avec des paroles fort dures, et lui déclara qu’il allait se transporter à Copenhague pour y remplir ses devoirs de prince et de citoyen danois (Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, tome VIII, liv. XXVIII, p. 199).

[38] Plutarque, Alkibiadês, c.16. C’est sans doute un des détails que l’auteur du discours d’Andocide contre Alkibiadês, trouva en circulation par rapport à la conduite de ce dernier (sect. 123). Et il n’y a aucune raison pour en mettre la vérité en question.

[39] Thucydide, V, 106. Lysandre rétablit quelques Méliens dans l’île après la bataille d’Ægospotami (Xénophon, Helléniques, II, 2, 9). Quelques-uns donc doivent s’être échappés ou avoir été épargnés, ou quelques-uns des jeunes gens et des femmes, vendus comme esclaves à l’époque de la prise, doivent avoir été rachetés ou délivrés de la servitude.

[40] Telle est aussi l’opinion du docteur Thirlwall, Hist. Gr., vol. III, ch. 24, p. 313.

[41] Denys d’Halicarnasse, Judic. de Thucyd., c. 37-42, p. 906-920, Reiske. Cf. les remarques de son Epistol. ad Cn. Pompeium, de Præcipuis Historicis, p. 774, Reiske.

[42] Plutarque, Alkibiadês, 16. — Pour le même objet, Plutarque, Solôn, c. 15.

[43] Cf. aussi ce que dit Brasidas dans son discours aux Akanthiens, V, 86.