HISTOIRE DE LA GRÈCE

SEPTIÈME VOLUME

CHAPITRE IV — ÉVÉNEMENTS EN SICILE JUSQU’À L’EXPULSION DE LA DYNASTIE GÉLONIENNE ET À L’ÉTABLISSEMENT DE GOUVERNEMENTS POPULAIRES.

 

 

J’ai déjà mentionné, dans le quatrième chapitre du cinquième volume de cette Histoire, la fondation des colonies grecques en Italie et en Sicile, avec ce fait général que clans le sixième siècle avant l’ère chrétienne, elles étaient au nombre des cités les plus puissantes et les plus florissantes du nom hellénique. Au delà de ce fait général, nous trouvons peu de renseignements sur leur histoire.

Bien que Syracuse, après être tombée dans les mains de Gelôn, vers 485 avant J.-C., fût devenue la ville la plus puissante de la Sicile, dans le siècle précédent Gela et Agrigente, sur le côté méridional de l’île, lui avaient été cependant supérieures. La dernière, peu d’années après sa fondation, tomba sous la domination de l’un de ses propres citoyens nommé Phalaris, despote énergique, belliqueux et cruel. Exilé d’Astypalæa, près de Rhodes, mais riche, et l’un des premiers colons d’Agrigente, il prit ses dispositions pour se faire despote vers l’an 570 avant J.-C. Il avait été nommé à l’un des principaux postes de la ville ; et comme il avait entrepris d’élever à ses frais un temple à Zeus Polieus dans l’acropolis (comme les Alkmæonides athéniens reconstruisirent le temple incendié de Delphes), il obtint l’autorisation sous ce prétexte d’y réunir un nombre d’hommes considérable ; il les arma, et il profita de l’opportunité d’une fête de Dêmêtêr pour les tourner contre le peuple. On dit qu’il fit beaucoup de conquêtes sur les petites communautés sikanes du voisinage ; mais on mentionne ses exactions et ses cruautés à l’égard de ses propres sujets comme le trait le plus saillant qui le caractérise, et son taureau d’airain est devenu l’objet d’un souvenir impérissable. Cette machine était creuse et suffisamment grande pour contenir à l’intérieur une ou plusieurs victimes, destinées à périr dans les tortures quand le métal était chauffé ; les gémissements des patients enfermés dans les flancs de l’animal passaient pour être ses beuglements. L’artiste se nommait Perillos, et ce fut lui, dit-on, qui y fut brûlé le premier par ordre du despote. Malgré la haine qu’il encourut ainsi, Phalaris sut conserver son pouvoir despotique pendant seize ans ; à la fin de cette période, un soulèvement général du peuple, dirigé par un des principaux personnages nommé Telemachos, mit fin et à son règne et à sa vie[1]. Telemachos devint-il despote ou non, c’est un point sur lequel nous n’avons aucun renseignement ; soixante ans plus tard, nous trouvons son descendant Thêron établi en cette qualité.

Ce fut vers l’époque de la mort de Phalaris que les Syracusains conquirent leur colonie révoltée de Kamarina (au sud-est de l’île entre Syracuse et Gela), chassèrent ou dépossédèrent les habitants et reprirent le territoire[2]. A l’exception de cette circonstance accidentelle, nous sommes sans renseignements au sujet des cités siciliennes jusqu’à une époque un peu antérieure à 500 ans avant J.-C., précisément au moment où la guerre entre Krotôn et Sybaris avait détruit la puissance de cette dernière ville, et où le despotisme des Pisistratides à Athènes avait fait place à la constitution démocratique de Kleisthenês.

Les premières formes de gouvernement chez les Grecs siciliens, comme au sein des cités de la Grèce propre dans le premier âge historique, paraissent avoir été toutes oligarchiques. Nous ne savons pas avec quelles modifications particulières elles furent maintenues ; mais probablement elles ressemblaient plus ou moins à celle de Syracuse, où les Gamori (ou riches propriétaires descendant des premiers chefs fondateurs de la colonie), possédant de vastes propriétés foncières labourées par une nombreuse population de Sikels, serfs appelés Kyllyrii, formaient les citoyens ayant droit à ce titre, — qui choisissaient parmi eux les magistrats et les généraux ; tandis que le Dêmos, ou hommes libres non privilégiés, comprenait d’abord les petits cultivateurs propriétaires qui vivaient, grâce au travail manuel et sans esclaves, de leurs propres terres ou jardins, puis les artisans et les marchands. Dans le cours de deux ou de trois générations, bien des individus de la classe privilégiée étaient tombés dans la pauvreté, et se trouvaient plutôt presque au niveau des non privilégiés ; tandis que tels membres de ces derniers qui pouvaient s’élever à l’opulence n’étaient pas pour cette raison admis dans le corps privilégié. Ici se trouvait ample matière à mécontentement. Des chefs ambitieux, souvent membres eux-mêmes de ce dernier corps, se mirent à la tête de l’opposition populaire, renversèrent l’oligarchie, et se firent despotes : la démocratie, à cette époque, n’étant guère connue quelque part en Grèce. Le fait général de ce changement, précédé par des dissensions violentes survenues par occasion dans là classe privilégiée elle-même[3], est tout ce qu’il nous est permis de savoir, sans les circonstances propres à le modifier qui ont dû l’accompagner dans chaque cité séparée. Vers l’an 500 avant J.-C., ou près de cette époque, nous trouvons Anaxilaos despote à Rhegium, Skythês à Zanklê, Têrillos à Minera, Peithagoras à Sélinonte, Kleandros à Gela, et Panætios à Leontini[4]. Ce fut vers l’an 509 avant J.-C. que le prince spartiate Dorieus conduisit un corps d’émigrants aux territoires d’Eryx et d’Egesta, près de l’extrémité nord-ouest de l’île, dans l’espérance de chasser les habitants non helléniques et de fonder une nouvelle colonie grecque. Mais les Carthaginois, dont les possessions siciliennes étaient très voisines et qui avaient déjà aidé à chasser Dorieus d’un établissement antérieur à Kinyps, en Libye, prêtèrent alors une assistance si vigoureuse aux habitants d’Egesta, que le prince spartiate, après une courte période de prospérité, fut défait et tué avec la plupart de ses compagnons. Ceux d’entre eux qui échappèrent, sous les ordres d’Euryleôn, prirent possession de Minoa, qui porta dorénavant le nom d’Hêrakleia[5], — colonie et dépendance de la ville voisine, Sélinonte, olé Peithagoras était alors despote. Euryleôn se joignit aux mécontents à Sélinonte, renversa Peithagoras et s’établit comme despote, jusqu’à ce que, après avoir possédé le pouvoir pendant peu de temps, il fut tué dans une émeute populaire[6].

Ici on nous présente le premier exemple connu de cette série de luttes entre les Phéniciens et les Grecs en Sicile, qui, semblables à celles que virent exister entre les Sarrasins et les Normands le onzième et le douzième siècle de l’ère chrétienne, étaient destinées à décider si file serait une partie de l’Afrique ou une partie de l’Europe, — et qui ne furent terminées après l’espace de trois siècles que par l’absorption des deux nations rivales dans le vaste sein de Rome. Il parait que les Carthaginois et les Egestæens non seulement accablèrent Dorieus, mais encore conquirent quelques-unes des possessions grecques voisines que recouvra dans la suite Gelôn de Syracuse[7].

Peu de temps après la mort de Dorieus, Kleandros, despote de Gela, commença à donner à sa ville l’ascendant sur les autres Grecs siciliens, qui avaient été jusque-là sinon tous égaux, du moins tous indépendants. Sa puissante armée de mercenaires, levée en partie parmi les tribus des Sikels[8], ne le préserva pas de l’épée d’un citoyen de Gela, nommé Sabyllos, qui le tua après un règne de sept ans ; mais elle mit son frère et successeur Hippokratês en état d’étendre sa domination sur presque la moitié de file. Dans cette armée mercenaire, deux officiers se distinguèrent particulièrement, Gelôn et Ænesidêmos, le dernier, citoyen d’Agrigente, de la famille remarquable des Emmenidæ, et descendant de Telemachos, qui avait déposé Phalaris. Gelôn descendait d’un indigène de Têlos, près du cap Triopien, l’un des colons primitifs qui accompagnaient le Rhodien Antiphêmos quand il vint en Sicile. Son ancêtre immédiat, nommé Têlinês, avait le premier élevé la famille à un rang distingué en prêtant une aide importante à un parti politique défait qui avait été vaincu dans une lutte et forcé de chercher un asile dans la ville voisine de Maktorion. Têlinês possédait certains rites sacrés particuliers — ou symboles sacrés visibles et portatifs, avec une connaissance privilégiée des actes et des formalités cérémoniels du service divin avec lesquels on les devait présenter — propres à rendre propices les divinités souterraines, Dêmêtêr et Persephonê : De qui les reçut-il, ou comment se les procura-t-il (dit Hérodote) ? c’est ce que je ne puis dire ; mais l’imposant effet de sa présence et de sa manière de les montrer était telle, qu’il osa s’avancer dans Gela à la tête des exilés de Maktorion, et put les rétablir dans le pouvoir- en détournant le peuple de la résistance de la même manière que les Athéniens avaient été intimidés par le spectacle de Phyê-Athênê dans le char à côté de Pisistrate. La hardiesse extraordinaire de cet acte excite l’admiration d’Hérodote, surtout parce qu’on lui avait dit que Têlinês était d’un caractère peu guerrier. Les exilés rétablis le récompensèrent en lui accordant, ainsi qu’à ses descendants après lui, la dignité héréditaire d’hiérophante des deux déesses[9], fonction certainement honorable et probablement lucrative, liée à l’administration des biens sacrés et à l’emploi d’une grande partie de leurs produits. Gelôn appartenait ainsi à une ancienne famille distinguée d’hiérophantes à Gela ; il était l’aîné de quatre frères fils de Deinomenês, — Gelôn, Hierôn, Polyzêlos et Thrasyboulos ; et de plus il s’illustra par de tels exploits personnels dans l’armée du despote Hippokratês, qu’il fut élevé au commandement suprême de la cavalerie. Ce fut en grande partie à l’activité de Gelôn que le despote dut une succession de victoires et de conquêtes, dans laquelle les cités ioniennes et chalkidiques de Kallipolis, de Naxos, de Leontini et de Zanklê furent successivement réduites sous son obéissance[10].

Le sort de Zanklê -tenue vraisemblablement par son despote Skythês dans un état d’alliance dépendante d’Hippokratês, et dans une querelle permanente avec Anaxilaos de Rhegium, sur le côté opposé -du détroit de Messine, — fût remarquable. A l’époque où la révolte ionienne en Asie frit réprimée, et Milêtos reconquise par les Perses (494, 493 av. J.-C.), les Grecs ioniens de Sicile manifestèrent une sympathie naturelle à l’égard des Grecs. de la même race malheureux. à l’est de la mer Ægée. On projeta d’aider les réfugiés asiatiques à trouver une nouvelle demeure, et les Zanklæens particulièrement les invitèrent à former une nouvelle colonie panionienne sur le territoire des Sikels, appelé Kalê Aktê, sur la côte septentrionale de la Sicile : cette côte présentait des sites fertiles et attrayants, et le long de toute sa ligne, il n’y avait qu’une seule colonie grecque Himera. Cette invitation fut acceptée par les réfugiés de Samos et de Milêtos, qui, en conséquence, s’embarquèrent pour Zanklê ; ils gouvernèrent, selon l’usage, le long de la côte d’Akarnania jusqu’à Korkyra, de là traversèrent à Tarente, et longèrent la côte d’Italie jusqu’au détroit de Messine. Il arriva que quand ils atteignirent la ville de Lokri Epizéphyrienne, Skythês, le despote de Zanklê, était absent de sa cité, avec la plus grande partie de ses forces militaires, pour une expédition contre les Sikels, — entreprise peut-être pour faciliter la colonie projetée de Kalê Aktê. Son ennemi, le prince rhégien Anaxilaos, profitant de ce hasard, proposa aux réfugiés à Lokri de s’emparer pour eux-mêmes de la ville de Zanklê sans défense et de la garder. Ils suivirent ce conseil, et- se rendirent maîtres de la cité, en même temps que des familles et des biens des Zanklæens absents : ceux-ci se hâtèrent de revenir pour recouvrer ce qu’ils avaient perdu, tandis que leur prince Skythês invoqua en outre l’aide puissante de son allié et supérieur, Hippokratês. Cependant ce dernier, irrité de la perte d’une de ses villes dépendantes, saisit Skythês, qu’il considérait comme en étant la cause[11], et l’emprisonna à Inykos, dans l’intérieur de file. Mais il trouva en même temps avantageux d’accepter une proposition que lui firent les Samiens, qui s’étaient emparés de la ville, et de trahir les Zanklæens, à l’aide desquels il était venu. Par une convention ratifiée avec serment, il fut convenu qu’Hippokratês recevrait pour lui tous les biens en dehors des murs, et la moitié des biens dans l’intérieur des murs, ainsi que les esclaves appartenant aux Zanklæens, et qu’il laisserait l’autre moitié aux Samiens. Parmi les biens en dehors des murs, la partie qui n’était pas la moins importante se composait des personnes de ces Zanklæens qu’Hippokratês était venu aider, mais qu’alors il emmena comme esclaves, en exceptant toutefois de ce lot trois cents des principaux citoyens, qu’il livra aux Samiens pour être égorgés, — probablement dans la crainte qu’ils ne trouvassent des amis pour se procurer leur rançon, et que plus tard ils ne vinssent inquiéter les Samiens dans la possession de la ville. Leurs vies furent cependant respectées par les Samiens, bien qu’on ne nous dise pas ce qu’ils devinrent. Cette transaction, également perfide de la part des Samiens et de celle d’Hippokratês, assura aux premiers une cité florissante et au second un abondant butin. Nous sommes heureux d’apprendre que Skythês le prisonnier trouva moyen de s’échapper et de s’enfuir chez Darius, roi de Perse, de qui il reçut une généreuse protection : compensation imparfaite pour l’iniquité de ses frères grecs[12]. Cependant les Samiens ne conservèrent pas longtemps leur conquête ; mais ils en furent chassés par- la même personne qui les avait poussés à s’en emparer, — Anaxilaos de Rhegium. Il y établit de nouveaux habitants,-de race dôrienne et messénienne, en la colonisant de nouveau sous le nom de Messênê, nom qu’elle porta dans la suite[13] ; et elle parait avoir été gouvernée soit par lui-même, soit par son fils Kleophrôn, jusqu’à sa mort, vers 476 avant J.-C.

Outre les conquêtes mentionnées plus haut, Hippokratês de Gela fut sur le point de faire l’acquisition bien plus importante de Syracuse, et il ne, fut empêché d’y parvenir, après avoir vaincu les Syracusains près du fleuve Helôros, et fait beaucoup de prisonniers, que par la médiation des Corinthiens et des Korkyræens, qui le décidèrent à se contenter de la cession de Kamarina et de son territoire comme rançon. Après avoir repeuplé ce territoire, qui devint ainsi annexé à Gela, il était en train de poursuivre plus loin ses conquêtes chez les Sikels, quand il mourut ou fut tué à Hybla. Sa mort causa un soulèvement parmi les habitants de Gela, qui refusèrent de reconnaître ses fils et s’efforcèrent de recouvrer leur liberté ; mais Gelôn, le général de la cavalerie de l’armée, épousant avec énergie la cause des fils, triompha par la force de la résistance du peuple. Aussitôt après, il jeta le masque, déposa les fils d’Hippokratês, et saisit le sceptre lui-même[14].

Maître ainsi de Gela, et succédant probablement à l’ascendant dont jouissait son prédécesseur sur les cités ioniennes, Gelôn devint l’homme le plus puissant de l’île ; mais un incident qui survint peu d’années après (485 av. J.-C.), tout en l’agrandissant plus encore, transporta le siège de son pouvoir de Gela à Syracuse. Les Gamori syracusains, ou ordre oligarchique de familles propriétaires, humiliés probablement par leur ruineuse défaite à l’Helôros, furent dépossédés du gouvernement par une coalition formée entre leurs cultivateurs serfs, appelés les Kyllyrii, et les hommes libres de condition inférieure, appelés le Dêmos : ils furent forcés de se retirer à Kasmenæ, olé ils invoquèrent l’aide de Gelôn pour les rétablir. Ce prince ambitieux se chargea de cette tâche, et l’accomplit facilement ; car le peuple syracusain, probablement hors d’état de résister à ses adversaires politiques, soutenus par un secours étranger si puissant, se livra à lui sans coup férir[15]. Mais au lieu de rendre la ville à l’ancienne oligarchie, Gelôn se l’appropria, en laissant Gela sous le gouvernement de son frère Hierôn. Il agrandit beaucoup la ville de Syracuse et augmenta la force de ses fortifications : probablement ce fut lui qui le premier porta la ville au delà de l’îlot d’Ortygia, de manière à comprendre un espace plus considérable du continent adjacent (ou plutôt de l’île de Sicile), qui portait le nom d’Achradina. Pour peupler cet espace ainsi agrandi, il amena tous les habitants de Kamarina, ville qu’il démantela, et plus de la moitié de ceux de Gela, qui perdit ainsi en importance, tandis que Syracuse devint la première ville de Sicile, et même reçut une nouvelle augmentation de population des villes voisines de Megara et d’Eubœa.

Ces deux villes, Megara et Eubœa, comme Syracuse, étaient gouvernées par des oligarchies, avec des cultivateurs serfs sous leur dépendance, et un Dêmos ou corps d’hommes libres de condition inférieure, exclu des privilèges politiques : toutes deux furent engagées dans une guerre avec Gelôn, probablement pour résister à ses empiétements ; toutes deux furent assiégées et prises. Les oligarques qui gouvernaient ces villes, et qui étaient les auteurs aussi bien que les chefs de la guerre, n’attendaient que la ruine des mains du vainqueur ; tandis que le Dêmos, qui n’avait pas été consulté et n’avait pas pris part à la lutte (que nous devons supposer avoir été poursuivie par l’oligarchie et ses serfs seuls), se croyait assuré qu’il ne lui serait fait aucun mal. L’attente des uns et de l’autre fut trompée par sa conduite. Après les avoir transportés tous deux à Syracuse, il établit les oligarques dans cette ville comme citoyens, et vendit les gens du Dêmos comme esclaves, à condition qu’ils seraient exportés de Sicile. — Sa conduite, dit Hérodote[16], était dictée par la conviction qu’un Dêmos était un compagnon très difficile à vivre. Il parait que l’état de société qu’il désirait établir était celui de Patriciens et de clients, sans Plebs du tout, quelque chose ressemblant à celui de la Thessalie, où il y avait des oligarques propriétaires vivant dans les villes, avec des Penestæ ou des cultivateurs dépendants occupant et labourant la terre pour leur compte ; mais pas de petits propriétaires travaillant par eux-mêmes ni de marchands en nombre suffisant pour former une classe reconnue. Et comme Gelôn écartait la population libre de ces cités conquises, et ne laissait personne dans les villes ni aux alentours, si ce n’est les cultivateurs serfs, nous pouvons présumer que les propriétaires oligarchiques, quand ils en étaient éloignés, continuaient, même comme habitants de Syracuse, à recevoir le produit que d’autres avaient récolté pour eux : mais les petits propriétaires travaillant par eux-mêmes, si on les éloignait de la même manière, étaient privés de subsistance, parce que leur terre était à une trop grande distance pour qu’ils la labourassent en personne, et d’ailleurs ils n’avaient pas d’esclaves. Si donc nous croyons entièrement, avec Hérodote, que Gelôn considérait les petits propriétaires libres comme des compagnons gênants, — sentiment parfaitement naturel à un despote grec, à moins qu’il ne trouvât en eux un secours utile à son ambition contre une oligarchie hostile, — nous devons ajouter qu’ils devenaient particulièrement gênants dans son dessein de concentrer la population libre de Syracuse, en voyant qu’il aurait eu à leur donner des terres dans le voisinage ou à pourvoir de quelque autre manière à leur subsistance.

Un accroissement si considérable de grandeur, de murs et de population, rendit Syracuse la première ville grecque de la Sicile. Et l’empire de Gelôn, embrassant comme il le faisait non seulement Syracuse, mais encore une si vaste partie du reste de l’île, comprenant des Grecs aussi bien que des Sikels, était la puissance hellénique la plus grande qui existât alors. Il paraît avoir compris les cités grecques sur la côte est et sud-est de l’île, depuis les frontières d’Agrigente jusqu’à celles de Zanklê ou Messênê, avec une assez grande partie des tribus des Sikels. Messênê était sous le gouvernement d’Anaxilaos de Rhegium, Agrigente sous celui de Thêron, fils d’Ænesidêmos, Himera sous celui de Terillos ; tandis que Sélinonte, tout près des frontières d’Egesta et des possessions carthaginoises, avait son propre gouvernement libre ou despotique, mais paraît avoir été alliée avec Carthage ou dépendante d’elle[17]. Une domination aussi étendue ‘fournissait sans doute des tributs abondants, outre lesquels Gelôn, qui avait conquis et dépossédé maints propriétaires fonciers et avait colonisé de nouveau Syracuse, pouvait facilement donner et des terres et le droit de cité pour récompenser ses partisans. C’est ce qui lui permit d’agrandir considérablement les forces militaires que lui avaient transmises Hippokratês, et de former en outre une armée navale. Phormis[18] le Mænalien, qui prit du service sous lui et devint citoyen de Syracuse, avec assez de fortune pour envoyer des offrandes à Olympia, et Agêsias le prophète Iamide de Stymphalos[19], ne sont pas sans doute les seuls exemples d’émigrants venus d’Arkadia pour se joindre à lui. Car la population arkadienne était pauvre, brave et prête à servir comme mercenaires ; tandis que le service d’un despote grec en Sicile doit avoir été plus attrayant pour eux que celui de Xerxès[20]. De plus, pendant les dix années qui s’écoulèrent entre la bataille de Marathôn et celle de Salamis, alors que non seulement une partie si considérable des cités grecques étaient devenues sujettes de la Perse, mais que la perspective d’une invasion persane était suspendue comme un nuage au-dessus de la Grèce propre, — le sentiment croissant du défaut de sécurité d’une extrémité à l’autre de cette dernière rendait l’émigration en Sicile plus attrayante que jamais.

Ces circonstances expliquent en partie l’immense pouvoir et la position supérieure dont, selon Hérodote, jouissait Gelôn, vers l’automne de 481 avant J.-C., lorsque les Grecs de l’isthme de Corinthe, confédérés pour résister à Xerxès, envoyèrent solliciter son aide. Il était alors le chef souverain de la Sicile : il pouvait offrir aux Grecs (ainsi nous le dit l’historien), 20.000 hoplites, 200 trirèmes, 2.000 cavaliers, 2.000 archers, 2.000 frondeurs, 2.000 hommes à cheval armés à la légère, outre des objets d’équipement pour toute l’armée grecque aussi longtemps que durerait la campagne[21]. Si l’on pouvait ajouter complètement foi à cet exposé numérique (ce que je ne crois pas), Hérodote était tout à fait vrai en disant qu’il n’y avait pas d’autre pouvoir hellénique qui pût supporter la moindre comparaison avec celui de Gelôn[22], et nous pouvons bien admettre cette supériorité générale comme vraie en substance, bien que les nombres mentionnés ci-dessus soient une vaine vanterie plutôt qu’une réalité.

Grâce au grand pouvoir de Gelôn, nous reconnaissons maintenant pour la première fois une tendance qui commente en Sicile vers des opérations combinées et centrales. Il parait que Gelôn avait formé le plan de réunir en Sicile les forces grecques dans le dessein de chasser les Carthaginois et les Egestæens, soit totalement, soit en partie, de leurs possessions maritimes de l’extrémité orientale de file, et de venger la mort du prince spartiate Dorieus, — qu’il avait même essayé, quoique en vain, d’amener les Spartiates et d’autres Grecs du centre à concourir à son plan, — et que sur leur refus, il l’avait exécuté en partie avec les forces siciliennes seules[23]. Nous n’avons qu’une courte et vague allusion à cet exploit, où Gelôn parait comme le chef et le champion des intérêts helléniques contre les intérêts barbares en Sicile, — le précurseur de Denys, de Timolêon et d’Agathoklês. Mais il avait déjà commencé à se croire, et avait déjà été reconnu par d’autres, dans cette position dominante, quand les ambassadeurs de Sparte, d’Athènes, de Corinthe, etc., vinrent vers lui de l’isthme de Corinthe, en 481 avant J.-C., pour le prier de les aider à repousser l’immense armée d’envahisseurs près de franchir l’Hellespont. Gelôn, après leur avoir rappelé qu’ils avaient refusé une demande semblable de secours qu’il avait faite, dit que, loin de leur témoigner à son tour, à l’heure du besoin, des dispositions aussi peu généreuses, il leur amènerait un renfort écrasant (les nombres d’Hérodote que nous avons déjà cités), mais à une condition seulement, — c’est qu’on le reconnaîtrait comme généralissime de toute l’armée grecque contre les Perses. Son offre fut rejetée avec un mépris plein d’indignation par l’ambassadeur spartiate ; et Gelôn alors réduisit tellement sa demande, qu’il se contenta du commandement soit de l’armée de terre, soit des forces navales, selon ce qui serait jugé préférable. Mais alors, l’ambassadeur athénien intervint et protesta : Nous sommes envoyés ici (dit-il) pour demander une armée et non un général ; et toi tu nous donnes l’aimée, seulement afin de te faire général. Sache que même si les Spartiates t’accordaient le commandement sur mer, nous, nous ne le voudrions pas. Le commandement naval nous appartient, s’ils le déclinent ; à nous, Athéniens, la plus ancienne nation de la Grèce,les seuls Grecs qui n’ont jamais quitté leurs foyers,dont le chef devant Troie est proclamé par Homère comme le plus habile de tous les Grecs à ranger une armée et à y maintenir l’ordre ;nous, qui de plus fournissons le contingent naval le plus considérable de la flotte, ne consentirons jamais à être commandés par un Syracusain.

Étranger athénien (répliqua Gelôn), vous autres, vous semblez être pourvus de commandants, mais il n’est pas vraisemblable que vous ayez des soldats à commander. Tu peux partir dès qu’il te plaira, et dire aux Grecs que leur année est privée de son printemps[24].

Ces ambassadeurs étaient envoyés du Péloponnèse pour solliciter l’assistance de Gelôn contre Xerxès ; et qu’ils l’aient sollicitée en vain,-c’est un incident incontestable ; mais on peut soupçonner que la raison attribuée au refus — un conflit de prétentions au sujet du commandement suprême provient moins d’une transmission historique que des conceptions de l’historien, ou de ceux de qui il tirait ses renseignements, relativement aux relations entre les deux parties. De son temps, Sparte, Athènes et Syracuse étaient les trois grandes cités souveraines de la Grèce ; et ses témoins siciliens, fiers de la grande puissance de Gelôn dans le passé, pouvaient bien lui attribuer cette rivalité de prééminence et de commandement qu’Hérodote a revêtue de couleurs dramatiques. Le total immense de forces que l’on fait promettre à Gelôn devient d’autant plus incroyable, si nous réfléchissons qu’il avait une, autre raison, et une raison meilleure, pour refuser absolument son secours. Il était attaqué chez lui, et était entièrement occupé à se défendre.

Le même printemps qui amena Xerxès en Grèce par l’Hellespont fut aussi témoin d’une formidable invasion carthaginoise en Sicile. Gelôn avait déjà été engagé dans une guerre contre eux (comme nous l’avons dit plus haut) et avait obtenu des succès, et ils cherchaient naturellement la première occasion de réparer leurs défaites. La vaste invasion persane en Grèce, organisée pendant trois années à l’avance, et tirant des contingents non seulement de tout le monde oriental, mais particulièrement de leurs propres frères de leurs métropoles, Tyr et Sidon, était bien faite pour les encourager et il semble qu’il y a de bonnes. raisons pour croire que l’attaque simultanée dirigée contre les Grecs, tant dans le Péloponnèse qu’en Sicile, était, concertée entre les Carthaginois et Xerxès[25], — probablement par les Phéniciens en faveur de Xerxès. Néanmoins cette alliance n’exclut pas un concours d’autres circonstances dans l’intérieur de l’île, qui fut pour les Carthaginois un appel et un secours. Agrigente, bien qu’elle ne fût pas sous la domination de Gelôn, était gouvernée par Thêron, son ami et son parent ; tandis que Rhegium et Messênê, sous le gouvernement d’Anaxilaos, — Himera sous celui de son beau-père Terillos, — et Sélinonte, — semblent, avoir formé une minorité imposante parmi les Grecs siciliens, en désaccord avec Gelôn et Thêron, mais en amitié et en correspondance avec Carthage[26]. Ce fut vraisemblablement vers l’année 481 avant J.-C. que Thêron, invité peut-être par un parti himéræen, chassa d’Himera le despote Terillos, et devint maître de la ville. Terillos demanda le secours de Carthage, soutenu par son gendre Anaxilaos, qui épousa la querelle si chaudement, qu’il alla jusqu’à offrir ses propres enfants comme otages à Hamilkar le Suffète, ou général carthaginois, l’ami personnel ou hôte de Terillos. La demande fut favorablement accueillie. Arrivant à Panormos dans l’année 480 avant J.-C., si remplie d’événements, avec une flotte de 3.000 vaisseaux de guerre et un nombre plus grand de transports de vivres, Hamilkar débarqua une armée de terre de 300.000 hommes qui aurait été même plus considérable si les navires qui transportaient la, cavalerie et les chars n’eussent été dispersés par des tempêtes[27]. Ces chiffres, nous pouvons seulement les répéter tels que nous les trouvons, sans y croire plus que comme à une preuve que cet armement, était sur la plus grande échelle. Mais on peut ajouter foi aux différentes nations dont, selon Hérodote, se composait l’armée de terre et dont il, est curieux de voir les noms : elle comprenait des Phéniciens, des Libyens, des Ibériens, des Ligyes, des Helisyki, des Sardes et des Corses[28]. C’est le premier exemple que nous connaissions de ces nombreuses armées mercenaires que Carthage, dans l’intérêt de sa politique, composait de nations différentes de race et de langage[29], afin de prévenir les conspirations et la mutinerie contre le général..

Après avoir débarqué à Panormos, Hamilkar marcha sur Himera, tira ses vaisseaux sur le rivage à l’abri d’un rempart, et mit ensuite le siège devant la ville ; tandis que les Himériens, renforcés par Thêron et l’armée d’Agrigente, se décidèrent à faire une défense obstinée, et même murèrent les portes. On envoya de pressants messages pour demander du secours à Gelôn, qui réunit toute son armée, dont le chiffre fut, dit-on, de 50.000 fantassins et de 5.000 chevaux, et se rendit à Himera. Son arrivée rendit le courage aux habitants, et après quelques combats partiels, qui tournèrent à l’avantage des Grecs, il fut livré une bataille générale. Elle fut acharnée et sanglante, et dura depuis le lever du soleil jusqu’à, une heure avancée de l’après-midi, et son succès fut surtout déterminé par une lettre interceptée qui tomba entre les mains de Gelôn, — communication des habitants de Sélinonte à Hamilkar, promettant d’envoyer à son aide un corps de cavalerie, et lui donnant à entendre le moment où ce corps arriverait. Une partie de la cavalerie de Gelôn reçut pour instruction de représenter ce renfort de Sélinonte elle fut reçue dans le camp d’Hamilkar, où elle répandit la consternation et le désordre, et tua même, dit-on, le général et incendia les vaisseaux ; tandis que l’armée grecque, mise en action à ce moment opportun, réussit enfin à, triompher et de forces supérieures et d’une résistance déterminée. Si nous devons en croire Diodore, cent cinquante mille hommes furent tués du côté des Carthaginois ; les autres prirent la fuite, — en partie vers les montagnes Sikaniennes où ils devinrent prisonniers des Agrigentins, en partie vers un terrain montueux, où, faute d’eau, ils furent obligés de se rendre à discrétion. Vingt vaisseaux seulement s’échappèrent avec un petit nombre de fugitifs, et ces vingt vaisseaux furent détruits par une tempête pendant la traversée, de sorte qu’il n’arriva à. Carthage qu’un seul petit bateau avec la désastreuse nouvelle[30]. En écartant ces exagérations déraisonnables, nous pouvons seulement nous permettre d’affirmer que la bataille fut vivement disputée, la victoire complète et les hommes tués aussi bien que les prisonniers nombreux. Le corps d’Hamilkar ne fut jamais découvert, malgré une recherche soigneuse ordonnée par Gelôn : les Carthaginois affirmaient que, dès que la défaite de son armée était devenue irréparable, il s’était jeté dans le grand feu du sacrifice où il avait offert des victimes entières (le sacrifice ordinaire consistant seulement en une petite partie de l’animal)[31] pour se rendre les dieux propices, et qu’il y avait été consumé. Les Carthaginois lui élevèrent des monuments funéraires, honorés de sacrifices périodiques, tant à Carthage que dans leurs principales colonies[32] : sur le champ de bataille même également, les Grecs lui érigèrent un monument. C’est sur ce monument que, soixante-dix ans après, son petit-fils victorieux, qui venait de piller cette même ville d’Himera, offrit le sacrifice sanglant de trois mille prisonniers grecs[33].

Nous pouvons présumer qu’Anaxilaos, avec les forces de Rhegium, partagea la défaite de l’envahisseur étranger qu’il avait appelé, et probablement d’autres Grecs encore. Tous alors ils furent obligés de demander la paix à Gelôn, et de solliciter le privilège d’être inscrits comme ses alliés dépendants, ce qui leur fut accordé sans aucune imposition plus lourde que le tribut attaché probablement à cette condition[34]. Même les Carthaginois furent si intimidés par la défaite qu’ils envoyèrent à Syracuse dés ambassadeurs demander la paix, qu’ils durent surtout, dit-on, à la sollicitation de Damaretè, épouse de Gelôn, à condition de payer deux mille talents pour les frais de la guerre, et d’élever deux temples dans lesquels les termes du traité devaient être enregistrés d’une manière permanente[35]. Si nous pouvions ajouter foi à l’assertion de Théophraste, Gelôn exigea des Carthaginois une stipulation portant qu’ils s’abstiendraient pour l’avenir de sacrifices humains dans leur culte religieux[36]. Mais une telle intervention dans des rites religieux étrangers serait sans exemple à cette époque, et nous savons, en outre, que l’usage ne fut pas discontinué d’une manière permanente à Carthage[37]. Dans le fait, nous pouvons raisonnablement soupçonner que Diodore, copiant des écrivains tels qu’Éphore et Timée longtemps après les événements, a exagéré considérablement la défaite, l’humiliation et l’amende des Carthaginois. Car les mots du poète Pindare, très peu d’années après la bataille d’Himera, représentent une nouvelle invasion carthaginoise comme un objet d’inquiétude et d’alarme actuelles[38] ; et l’on voit la flotte carthaginoise engagée dans une guerre agressive sur la côte d’Italie, et que le frère et successeur de Gelôn est obligé de réprimer.

La victoire d’Himera délivra les cités siciliennes de la guerre étrangère, et leur procura en même temps un riche butin. De magnifiques offrandes de reconnaissance envers les dieux furent dédiées dans les temples d’Himera, de Syracuse et de Delphes ; tandis que l’épigramme de Simonide[39], composée pour le trépied offert dans ce dernier temple, représentait Gelôn avec ses trois frères Hierôn, Polyzêlos et Thrasyboulos, comme ayant conjointement délivré la Grèce du barbare, avec les vainqueurs de Salamis et de Platée. Et les Siciliens alléguaient qu’il était sur le point d’envoyer réellement des renforts aux Grecs contre Xerxès, malgré la nécessité de se soumettre au commandement spartiate, quand la nouvelle de la défaite et de la retraite de ce prince lui arriva. Mais nous trouvons un autre renseignement incontestablement ‘plus probable, — c’est qu’il expédia un envoyé secret nommé Kadmos à Delphes, avec ordre de surveiller la tournure que prendrait l’invasion de Xerxès, et dans le cas oui elle réussirait (comme cela lui paraissait probable), d’offrir des présents et la soumission à l’envahisseur victorieux au nom de Syracuse[40]. Si nous considérons que, jusqu’au matin même de la bataille de Salamis, la cause de l’indépendance grecque a dû paraître à un spectateur impartial presque désespérée, nous ne pouvons nous étonner que Gelôn prit des précautions pour empêcher la marche ultérieure des Perses vers la Sicile, qui était déjà assez mise en péril par ses formidables ennemis d’Afrique. La défaite des Perses à Salamis et celle des Carthaginois à Himera chassèrent d’une manière soudaine et inattendue le nuage effrayant loin de la Grèce aussi bien que de la Sicile, et laissèrent un ciel comparativement pur avec d’heureuses espérances.

Il y eut pour l’armée victorieuse de Gelôn un butin abondant, accordé comme récompense aussi bien que comme partage. Parmi la partie la plus importante de ce butin se trouvaient les nombreux prisonniers de guerre qui furent répartis entre les villes à proportion du nombre des troupes que chacune d’elles avait fournies. Naturellement, les parts les plus considérables ont dû échoir à Syracuse et à Agrigente ; tandis que la quantité que cette dernière acquit s’augmenta encore beaucoup, grâce à la prise séparée de ceux des prisonniers qui s’étaient dispersés dans les montagnes du territoire agrigentin et à côté de ce territoire. ‘Toutes les cités siciliennes alliées de Gelôn ou dépendantes de lui, mais particulièrement les deux mentionnées en dernier lieu, -furent ainsi mises en possession d’un certain nombre d’esclaves comme propriété publique, auxquels on laissait leurs chaînes pour travailler[41], et qui étaient ou employés dans des entreprises publiques pour la défense, l’ornement et les solennités religieuses, — ou loués à des maîtres particuliers, de manière à produire un revenu à l’État. Le total de ces esclaves publics à Agrigente était si considérable que, bien qu’il y en eût beaucoup d’occupés dans les travaux de l’État, auxquels la cité dut une grandeur signalée pendant la période florissante de soixante-dix ans qui s’écoula entre la récente bataille et sa prise subséquente par les Carthaginois, — il en restait néanmoins un grand nombre à louer à des particuliers individuellement, dont quelques-uns n’avaient pas moins de cinq cents esclaves respectivement à leur service[42].

La paix qui suivit alors laissa Gelôn maître de Syracuse et de Gela, avec les villes grecques chalkidiques à l’est de l’île, tandis que Thêron gouvernait Agrigente, et son fils Thrasydæos Himera. Par la puissance comme par la réputation, Gelôn était incontestablement le principal personnage de l’île ; en outre, il était uni par mariage et vivait dans les termes d’une amitié constante avec Thêron. Sa conduite, tant à Syracuse qu’à l’égard des villes sous sa dépendance, était cloute et conciliante. Mais sa carrière subséquente fut très courte : il mourut d’hydropisie non pas beaucoup plus d’un an après la bataille d’Himera, tandis que les gloires de cette journée étaient encore fraîches dans la mémoire de tous. Comme la loi syracusaine interdisait rigoureusement des funérailles somptueuses, Gelôn avait commandé que ses propres obsèques fussent faites conformément à la loi ; néanmoins, le zèle de son successeur aussi bien que l’attachement du peuple désobéit à ses ordres. La grande masse des citoyens suivirent son cortége funèbre depuis la ville jusqu’au domaine de son épouse, à une distance de quinze milles (= 24 kilom.) ; on éleva neuf tours massives pour distinguer l’endroit, et on lui rendit les honneurs solennels du culte héroïque. Le souvenir respectueux du vainqueur d’Himera ne périt jamais dans la suite parmi le peuple syracusain, bien que son tombeau fût détérioré d’abord par les Carthaginois, et plus tard par le despote Agathoklês[43]. Et en nous rappelant les, effets destructifs causés par les invasions carthaginoises subséquentes, nous sentirons combien grande était la dette de reconnaissance due à Gelôn par ses contemporains.

Ce ne fut pas seulement comme vainqueur d’Himera, mais encore comme second fondateur en quelque sorte de Syracuse[44], que Gelôn fut ainsi solennellement adoré. L’étendue, la force et la population de la ville reçurent sous lui un grand accroissement. Outre le nombre de nouveaux habitants qu’il amena de Gela, de l’hyblæenne Megara et de la sicilienne Eubœa, on nous apprend qu’il inscrivit aussi sur le rôle des citoyens pas moins de dix mille soldats mercenaires. On verra de plus que ces citoyens de nouvelle création étaient en possession de l’îlot d’Ortygia[45], — forteresse intérieure de Syracuse. Nous avons déjà dit qu’Ortygia était l’établissement primitif, et que la cité ne dépassa pas les limites de l’îlot avant les agrandissements de Gelôn. Nous ne savons par quelles dispositions Gelôn fournit de nouvelles terres à un nombre si considérable de nouveaux venus ; mais quand nous en viendrons à signaler l’antipathie avec laquelle ces derniers étaient regardés par les autres citoyens, nous serons disposé à croire que les anciens citoyens avaient été dépossédés et dégradés.

Gelôn laissa un fils dans un âge tendre, mais son pouvoir passa (478 av. J.-C.), d’après son ordre, à deux de ses frères, Polyzêlos et Hierôn, dont le premier épousa la veuve du prince décédé et fut nommé, selon ses volontés testamentaires, commandant des forces militaires, — tandis que Hierôn fut destiné à jouir du gouvernement de la ville. Toutefois, quels qu’aient été les désirs de Gelôn, le pouvoir réel échut à Hierôn, homme d’énergie et de détermination, et libéral en qualité de protecteur des poètes contemporains Pindare, Simonide, Bacchylide, Épicharme, Æschyle et autres ; mais victime d’une cruelle maladie intérieure, — jaloux de caractère, cruel et rapace dans son gouvernement[46] — et signalé comme organisateur de cet espionnage systématique qui détruisit toute liberté de parler entre ses sujets. Jaloux surtout de son frère Polyzêlos, qui était très populaire dans la ville, il l’envoya dans une expédition militaire contre les Krotoniates, en vue de se défaire de lui indirectement. Mais Polyzêlos, connaissant le piège, s’enfuit à Agrigente et chercha protection auprès de son beau-frère, le despote Thêron ; Hierôn le lui réclama, et, sur son refus, il se prépara à imposer sa demande par les armes. Il s’était déjà avancé dans sa marche jusqu’à la rivière Gela ; mais il ne paraît pas qu’il se ‘soit livré de bataille. Il est intéressant d’apprendre que le poète Simonide, estimé et récompensé par ces deux princes, fut le médiateur de la paix entre eux[47].

La rupture temporaire et la réconciliation soudaine de ces deux puissants despotes furent une cause de deuil et de ruine pour Himera. Cette ville, sous la domination de l’Agrigentin Thêron, était administrée par son fils Thrasydæos, — jeune homme dont la conduite oppressive ne tarda pas à exciter la plus forte antipathie. Les Himéræens, sachant qu’ils avaient peu de secours à attendre de Thêron contre son fils, profitèrent de la querelle qui s’éleva entre lui et Hierôn pour faire des propositions à ce dernier et pour le supplier de les aider à chasser Thrasydæos, en s’offrant comme sujets de Syracuse. Il paraît que Kapys et Hippokratês, cousins de Thêron, niais en désaccord avec lui, et aspirant aussi à la protection de Hierôn, prirent part à ce projet de détacher Rimera de la domination de Thêron. Mais aussitôt que la paix eut été conclue, Hierôn livra à Thêron et les plans et les mécontents d’Himera. Nous croyons reconnaître que Kapys et Hippokratês réunirent quelques forces pour résister à Thêron, mais qu’ils furent défaits par lui à la rivière Himera[48] ; après sa victoire, un nombre considérable de citoyens furent saisis et mis à mort. Le nombre de ceux qui furent tués, ajouté à la perte d’autres qui s’enfuirent par crainte de l’être, fut si grand, que la population de la ville fut diminuée d’une manière sensible et funeste. Thêron appela et inscrivit une quantité considérable de nouveaux citoyens, surtout de sang dôrien[49].

Le pouvoir de Hierôn, réconcilié alors tant avec Thêron qu’avec son frère Polyzêlos, est signalé par plusieurs circonstances comme n’étant nullement inférieur à celui de Gelôn, et probablement comme le plus grand, non seulement de Sicile, mais de tout le monde grec. Les citoyens de la lointaine ville de Cumæ, sur la côte d’Italie, harcelés par les flottes des Carthaginois et des Tyrrhéniens, sollicitèrent son aide, et reçurent de lui une escadre qui défit et chassa leurs ennemis[50] ; il établit même une colonie syracusaine dans l’île voisine de Pithekusa. Anaxilaos, despote de Rhegium et de Messênê, avait attaqué, et probablement aurait accablé ses voisins les Lokriens Épizéphyriens ; mais les menaces de Hierôn, invoqué par les Lokriens, menaces qu’apporta l’ambassadeur Chromios, l’obligèrent à renoncer à son entreprise[51]. Ces honneurs héroïques, qui en Grèce appartenaient à l’Œkiste d’une nouvelle ville, lui manquaient encore. Il se les procura par la fondation de la nouvelle cité d’Ætna[52], sur l’emplacement et au lieu de Katane, dont il chassa les habitants, aussi bien que ceux de Naxos. Tandis qu’il était ordonné à ces Naxiens et à ces Katanæens de fixer leurs demeures à Leontini avec les habitants qui s’y trouvaient déjà, Hierôn établit dix mille nouveaux habitants dans Ætna, sa ville d’adoption ; cinq mille d’entre eux tirés de Syracuse et de Gela, — avec un nombre égal du Péloponnèse. Ils servaient comme troupes auxiliaires, prêtes à être appelées dans le cas de mécontentements à Syracuse, comme nous le verrons par l’histoire de son successeur ; il leur donna non seulement le territoire qui avait appartenu auparavant à Katane, mais encore il l’augmenta en outre considérablement, surtout aux dépens des tribus voisines des Sikels. Son fils Deinomenês, et son ami et confident Chronios, inscrit comme Ætæen, devinrent conjointement administrateurs de la ville, dont les coutumes religieuses et sociales furent assimilées au modèle dôrien[53]. Pindare rêve de relations futures entre le despote et les citoyens d’Ætna, analogues à celles qui existaient entre le roi et les citoyens à Sparte. Hierôn et Chromios furent tous deux proclamés comme Ætnæens aux jeux pythiens et néméens, lorsque leurs chars remportèrent la victoire, occasion dans laquelle la foule rassemblée entendit parler pour la première fois de la nouvelle cité hellénique d’Ætna. Nous voyons, par les compliments de Pindare[54], que Hierôn était fier de son nouveau titre de fondateur. Mais nous devons remarquer qu’il se le procura, non, comme dans la plupart des cas, en établissant des Grecs dans un lieu antérieurement barbare, mais en dépossédant et en appauvrissant d’autres citoyens grecs, qui ne semblent avoir donné aucun motif de plainte. Dans Gelôn et dans Hierôn nous voyons paraître pour la première fois cette propension à une transplantation violente et en masse d’habitants d’un séjour dans un autre, mesure qui n’était pas rare chez les despotes assyriens et perses, et qui fut prise sur une plus grande échelle encore par les successeurs d’Alexandre le Grand dans les nombreuses cités qu’ils fondèrent.

Anaxilaos de Rhegium mourut peu de temps après ce message de Hierôn qui l’avait obligé à épargner les Lokriens. Si grande fut l’estime qu’on nourrit pour sa mémoire, et si efficace le gouvernement de Mikythos, esclave affranchi qu’il constitua régent, que l’on conserva Rhegium et Messênê pour ses enfants, encore mineurs[55]. Mais un changement plus important encore fut amené en Sicile par la mort de l’Agrigentin Thêron, qui arriva vraisemblablement vers 472 avant J.-C. Ce prince, associé de Gelôn dans la grande victoire remportée sur les Carthaginois, laissa parmi les Agrigentins une réputation de bon gouvernement aussi bien que de talent, que nous trouvons perpétuée dans les chants couronnés de Pindare ; et sa mémoire devint sans doute beaucoup plus chère encore par la comparaison avec son fils, qui lui succéda. Thrasydæos, maître alors et d’Himera et d’Agrigente, déploya sur une plus grande échelle les mêmes dispositions oppressives et sanguinaires qui avaient auparavant provoqué la révolte de la première de ces villes. Se sentant détesté par ses sujets, il augmenta les forces militaires que son père avait laissées, et il engagea tant de nouveaux mercenaires, qu’il devint maître d’une armée de 20.000 hommes, cavalerie et infanterie. Et peut-être dans son territoire aurait-il suivi longtemps avec impunité les traces de Phalaris, s’il n’avait imprudemment provoqué Hierôn, son voisin plus puissant. Dans une bataille acharnée et meurtrière entre les deux princes, 2.000 hommes furent tués du côté des Syracusains et 4.000 de celui des Agrigentins ; carnage immense, si l’on considère qu’il tombait surtout sur les Grecs des deux armées, et non sur les mercenaires non helléniques[56]. Mais la défaite de Thrasydæos fut si complète, qu’il fut forcé de fuir non seulement d’Agrigente, mais même de la Sicile ; il se retira à Megara, dans la Grèce propre, où il fut condamné, à mort et périt[57]. Les Agrigentins, délivrés heureusement ainsi de leurs oppresseurs, sollicitèrent et obtinrent la paix de Hierôn. On dit qu’ils établirent un gouverneraient démocratique ; mais nous apprenons que Hierôn bannit un grand nombre de citoyens d’Agrigente et d’Himera, aussi bien que de Gela[58], et nous ne pouvons pas douter que ces villes ne fussent toutes les trois au nombre de ses cités sujettes. Le moment de la liberté ne commença pour elles que quand la dynastie gélonienne partagea te sort de la dynastie théronienne.

La victoire remportée sur Thrasidæos rendit Hierôn plus complètement maître de la Sicile que son frère Gelôn ne l’avait été avant lui. Le dernier acte que nous apprenons de lui ; c’est son intervention en faveur de ses beaux-frères[59], fils d’Anaxilaos de Rhegium, qui étaient alors en âge de gouverner. Il les encouragea à faire valoir leur droit contre Mikythos, qui avait administré Rhegium depuis la mort d’Anaxilaos, pour les biens aussi bien que pour le sceptre, et probablement il se montra prêt à les, soutenir par la force. Mikythos s’empressa de souscrire à leur demande, et il rendit un compte si exact et si fidèle, que les fils d’Anaxilaos eux-mêmes le prièrent de rester et de gouverner, — ou plus probablement de prêter son aide à leur gouvernement. Il fut assez sage pour refuser cette requête ; il enleva ses propres biens et se retira à Tegea en Arkadia. Hierôn mourut peu après, de la maladie dont il avait si longtemps souffert, après un règne de dix ans[60].

A la mort de Hierôn, la succession fut disputée entre son frère Thrasyboulos, et son neveu le jeune fils de Hierôn, de sorte que les partisans, de la famille se trouvèrent ainsi divisés. Thrasyboulos, entourant son neveu. de tentations aux plaisirs voluptueux, prit ses mesures afin de l’écarter indirectement, et de saisir ainsi le gouvernement pour lui-même[61]. Cette division de famille, — malédiction qui pesait souvent sur les proches parents des despotes grecs, et les amenait aux plus grandes atrocités[62], — ajoutée à la conduite de Thrasyboulos, causa la chute de la puissante dynastie gélonienne. On vit alors dans Thrasyboulos les mauvaises qualités de Hierôn grandement exagérées, mais sans l’énergie qui les accompagnait. Il mit à mort maints citoyens, et en bannit encore davantage, dans le dessein de s’emparer de leurs biens ; mais il finit par provoquer parmi les Syracusains une haine intense et universelle, partagée même par beaucoup d’anciens partisans géloniens. Bien qu’il essayât de se fortifier en augmentant ses forces mercenaires, il ne put empêcher une révolte générale d’éclater dans la population syracusaine. En convoquant les habitants de ces cités que Hierôn avait établies dans sa nouvelle ville d’Ætna, aussi bien que diverses troupes des alliés sous sa dépendance, il se trouva à la tête de 15.000 hommes, et maître de la cité intérieure ; c’est-à-dire, de l’îlot d’Ortygia, qui était le premier lieu d’établissement de Syracuse, et était non seulement distinct et défendable en lui-même, mais encore contenait les bassins, les vaisseaux, et était la clef du port. Le peuple révolté de son côté était maître de la ville extérieure, mieux connue sous son nom plus récent d’Achradina, qui était située sur le continent adjacent de la Sicile, et était séparée d’Ortygia par un espace intermédiaire de terrain bas destiné aux sépultures[63]. Bien que supérieur en nombre, ne pouvant cependant rivaliser en habileté militaire avec les forces de Thrasyboulos, il fut obligé de solliciter l’aide des autres cités de Sicile, aussi bien que des tribus des Sikels, en proclamant la dynastie gélonienne comme l’ennemie commune de la liberté de file, et en offrant en perspective l’indépendance universelle comme récompense de la victoire. Il fut heureux pour eux qu’il n’y eût pas d’autre despote comme le puissant Thêron, pour épouser la cause de Thrasyboulos. Gela, Agrigente, Sélinonte, Himera, et même les tribus des Sikels, répondirent toutes à l’appel avec empressement, de sorte que des forces considérables, tant militaires que navales, vinrent renforcer les Syracusains ; et Thrasyboulos, étant totalement défait, d’abord dans une action navale, ensuite sur terre, fut obligé de s’enfermer dans Ortygia, où il vit bientôt que sa situation était désespérée. En conséquence, il ouvrit avec ses adversaires une négociation, qui aboutit à son abdication et à sa retraite à Lokri, tandis que les troupes mercenaires qu’il avait réunies furent aussi autorisées à se retirer sans être inquiétées[64]. Thrasyboulos ainsi chassé vécut dans la suite et mourut comme un simple particulier, à Lokri — sort bien différent de celui qui était échu à Thrasydæos (fils de Thêron) à Megara, bien que tous deux semblent l’avoir également provoqué.

Ainsi tomba la puissante dynastie gélonienne à Syracuse, après une durée de dix-huit ans[65]. Sa chute ne fut rien moins qu’une révolution étendue d’une extrémité à l’autre de la Sicile. Dans les diverses cités de l’île, il s’était élevé un grand nombre de petits despotes, chacun avec ses forces mercenaires séparées ; agissant comme les instruments et comptant sur la protection du grand despote de Syracuse. Ils furent tous chassés alors, et des gouvernements plus ou moins démocratiques furent établis partout[66]. Les fils d’Anaxilaos se maintinrent un peu plus longtemps à Rhegium et à Messênê ; mais les citoyens de ces deux villes finirent par suivre l’exemple général, les forcèrent à se retirer[67], et commencèrent leur ère de liberté.

Mais bien que les despotes siciliens eussent été chassés ainsi, les gouvernements libres établis à leur place furent exposés d’abord à beaucoup de difficultés et de collisions. Nous avons déjà mentionné que Gelôn, Hierôn, Thêron, Thrasydæos, Thrasyboulos, etc., avaient tous condamné bon nombre de citoyens à l’exil avec confiscation de leurs biens, et qu’ils avaient établi sur le sol de nouveaux citoyens et des mercenaires, en nombre non moins considérable. A quelle race appartenaient ces mercenaires, c’est ce qu’on ne nous dit pas ; il est probable qu’ils n’étaient Grecs qu’en partie. Les changements violents, tant de personnes que de propriétés, ne purent se faire sans soulever des luttes acharnées, d’intérêt aussi bien que de sentiment, entre les anciens citoyens, les nouveaux et les propriétaires dépossédés, aussitôt que fut écartée la main de fer qui comprimait tout. Cette source de terribles dissensions fut commune à toutes les cités siciliennes, mais elle ne coula dans aucune plus abondamment qu’à Syracuse. Dans cette ville, les nouveaux mercenaires introduits en dernier lieu par Thrasyboulos s’étaient retirés en même temps que lui, et beaucoup d’entre eux à la ville hiéronienne d’Ætna, d’où ils avaient été amenés. Mais il restait encore le corps le plus nombreux introduit par Gelôn ; en partie aussi par Hierôn ; le premier, seul, en avait enrôlé 10.000, dont plus de 7.000 restaient encore. Ruelle part ces citoyens géloniens avaient-ils prise dans la dernière révolution, c’est ce que nous ne trouvons pas exposé distinctement : ils semblent rie s’être pas réunis en corps pour soutenir Thrasyboulos, et probablement beaucoup d’entre eux prirent parti contre lui.

Après que la révolution eut été accomplie, une assemblée publique de Syracusains fut convoquée ; et la première résolution fut de pourvoir à la commémoration, religieuse de l’événement, en élevant une statue colossale de Zeus Eleutherios, et en célébrant une fête annuelle qui devait s’appeler Eleutheria, avec luttes et sacrifices solennels. Ils s’occupèrent ensuite de déterminer la constitution politique, et si forte fut la réaction prédominante de haine et de crainte contre la dynastie expulsée, réaction aggravée sans doute par les exilés de retour — que tout le corps des nouveaux citoyens, qui avaient été domiciliés sous Hierôn et Gelôn, fut déclaré non éligible aux magistratures et aux honneurs. Cette mesure rigoureuse et radicale qui, d’un coup, frappait d’incapacité une minorité nombreuse, provoqua, naturellement une nouvelle irritation et la guerre civile. Les citoyens géloniens, les individus les plus belliqueux de l’État, et occupant, comme partisans et favoris de l’ancienne dynastie, la section intérieure de Syracuse[68], Ortygia, se mirent en révolte ouverte ; tandis que la niasse générale des citoyens, maîtres de la ville extérieure, ne furent pas assez forts pour attaquer avec succès cette position défendable[69]. Mais ils s’arrangèrent pour la bloquer presque complètement et pour intercepter ses provisions, et ses communications avec le pays, au moyen d’une nouvelle fortification menée de la ville extérieure vers le grand port et s’étendant entre Ortygia et Epipolæ. La garnison h l’intérieur ne pouvait ainsi obtenir de provisions qu’au prix de conflits perpétuels. Cette guerre intestine et désastreuse dura pendant quelques mois, avec maints engagements partiels tant sur terre que sur mer : par là le corps général des citoyens s’accoutuma aux armes, tandis qu’un régiment choisi de 600 volontaires exercés acquit une capacité spéciale. Hors d’état de se maintenir plus longtemps, les Géloniens furent forcés de hasarder une bataille générale qui, après une lutte obstinée, se termina par leur défaite complète. Les 600 hommes d’élite, qui avaient éminemment contribué à cette victoire, reçurent de leurs concitoyens une couronne d’honneur et fine mine par tête pour récompense[70].

Les maigres annales où ces intéressants événements sont indiqués plutôt que décrits, nous disent à peine quelque chose des arrangements politiques qui résultèrent d’une victoire si importante. Probablement un grand nombre des Géloniens furent chassés : mais nous pouvons admettre comme certain qu’ils furent privés du dangereux privilège d’une résidence séparée dans la forteresse intérieure ou îlot d’Ortygia[71].

Cependant le reste de la Sicile avait éprouvé des désordres d’un caractère analogue à ceux de Syracuse. A Gela, à Agrigente, à Himera, la réaction contre la dynastie gélonienne avait ramené en foule les exilés dépossédés qui, réclamant la restitution de leurs biens et de leur influence, trouvèrent leurs demandes soutenues parla population en général. Les Katanæens, que Hierôn avait chassés de leur propre ville pour les envoyer à Leontini, afin de faire de Katane sa colonie d’Ætna, se rassemblèrent en armes et s’allièrent avec le prince sikel Duketios, pour reconquérir leur première patrie et rendre aux Sikels ce que Hierôn leur avait pris pour agrandir le territoire Ætnæen. Ils furent aidés par les Syracusains, pour lesquels le voisinage de ces partisans hiéroniens était dangereux : mais ils ne parvinrent à leur but qu’après une longue lutte et plusieurs batailles avec les Ætnæens. Une convention fut à la fin conclue, en vertu de laquelle ces derniers évacuèrent Katane et furent autorisés à occuper la ville et le territoire (vraisemblablement sikels) d’Ennesia ou Inessa, auxquels ils donnèrent le nom d’Ætna[72], et où ils élevèrent des monuments rappelant Hiéron comme fondateur, — tandis que le tombeau de ce dernier à Katane fut démoli par les habitants après leur rétablissement.

Ces conflits, qui troublaient la paix de toute la Sicile, en vinrent à être si intolérables, que les diverses cités tinrent un congrès général pour les arranger. La résolution commune fut de réadmettre les exilés et d’expulser les colons géloniens partout : mais on fournit un établissement à ces derniers dans le territoire de Messênê. Il paraît que les exilés recouvrèrent leurs biens, ou du moins que d’autres terres leur furent assignées en compensation. Les habitants de Gela furent en état de pourvoir leurs exilés en rétablissant la ville de Kamarina[73], qui avait été conquise sur Syracuse par Hippokratês, despote de Gela, mais que Gelôn, en transportant son siège à Syracuse, avait incorporée au territoire syracusain, et dont il avait amené les habitants dans cette même ville. Les Syracusains renoncèrent alors à sa possession, — abandon à expliquer probablement par ce fait, que parmi les nouveaux venus transférés par Gelôn à Syracuse, étaient compris non seulement les anciens Kamarinæens, mais encore un grand nombre d’hommes qui avaient été auparavant citoyens de Gela[74]. Il était commode de fournir à ces hommes, obligés alors de quitter Syracuse, une demeure à Kamarina, aussi bien qu’aux autres exilés de Gela rétablis ; et nous pouvons présumer en outre que cette nouvelle cité servit de réceptacle pour les autres, citoyens sans foyers de toutes les parties de l’île. Elle fut consacrée par les habitants de Gela, comme ville indépendante, avec des, rites et des usages dôriens : ses terres furent distribuées de nouveau, et au nombre de ses habitants il y eut des hommes assez riches pour envoyer des chars disputer les pris dans le Péloponnèse, aussi bien que pour payer des odes de Pindare. Les victoires olympiques du Kamarinæen Psaumis assurèrent à sa nouvelle cité une célébrité hellénique, à un moment où elle n’était guère sortie encore des difficultés d’un établissement qui commence[75].

Tel fut le grand mouvement réactionnaire en Sicile, contre les violences impérieuses des anciens despotes. Nous pouvons seulement le suivre en général, mais nous voyons que toutes leurs transplantations et expulsions d’habitants furent changées en sens inverse, et tous leurs arrangements bouleversés. Pour corriger d’anciennes injustices, nous ne pouvons douter qu’il n’en ait été commis de nouvelles dans bien des cas, et nous ne sommes pas surpris d’apprendre qu’à Syracuse beaucoup d’enregistrements nouveaux de citoyens se firent sans droits légitimes[76], accompagnés probablement de dons de terres. Le sentiment régnant à Syracuse était alors tout à fait opposé à celui du temps de Gelôn, où le Dêmos ou agrégat de petits propriétaires travaillant par eux-mêmes était considéré comme un compagnon désagréable, bon seulement à être vendu comme esclave et exporté. Il est extrêmement probable que la nouvelle table de citoyens préparée alors comprenait cette classe d’hommes en nombre plus grand que jamais, sur des principes analogues aux inscriptions libérales de Kleisthenês à Athènes. Toutefois, malgré toute la confusion par laquelle s’ouvre cette période de gouvernement populaire, et qui dure pendant plus de cinquante ans jusqu’au despotisme de Denys l’Ancien, nous trouverons que c’est de beaucoup la partie la meilleure et la plus prospère de l’histoire sicilienne. Nous y arriverons dans un chapitre subséquent.

Relativement aux cités grecques le long de la côte d’Italie, pendant la période de la dynastie gélonienne, quelques mots suffiront pour dire tout ce que nous en savons. La cité de Rhegium, avec ses despotes Anaxilaos et Mikythos, figure surtout comme ville sicilienne et a été mentionnée comme telle dans le courant de la politique sicilienne. Mais elle a aussi été enveloppée dans le seul événement qui nous ait été conservé relativement à cette partie de l’histoire des Grecs italiens. Ce fut vers l’an 743 avant J.-C. que les Tarentins entreprirent une expédition contre leurs voisins non helléniques les Iapygiens, dans l’espoir de conquérir Hyria et les autres villes qui leur appartenaient Mikythos, despote de Rhegium, contre la volonté de ses sujets, envoya de force aux Tarentins trois mille d’entre eux comme auxiliaires. Mais l’expédition fut désastreuse pour les deux alliés d’une manière signalée. Les Iapygiens, au nombre de vingt mille hommes, rencontrèrent les forces grecques combinées en rase campagne, et les défirent complètement. La bataille s’étant livrée dans un pays ennemi, il semble que la plus grande partie tant des Rhégiens que des Tarentins, périrent, au point qu’Hérodote déclare que ce fut le plus grand carnage hellénique qu’il connût[77]. Les Tarentins qui avaient été tués étaient clans une grande proportion des citoyens opulents et riches, dont la perte affecta sensiblement le gouvernement de la ville, en fortifiant le Dêmos et en rendant la constitution plus démocratique. Quels furent les détails de ce changement, c’est ce que nous ignorons : l’expression d’Aristote donne lieu de supposer que même avant cet événement, la constitution avait été populaire[78].

 

 

 



[1] Tout ce qui a jamais été dit sur Phalaris est mentionné et discuté dans la savante et ingénieuse dissertation de Bentley sur les lettres de Phalaris : cf. aussi Seyffert, Akragas und sein Gebiet, p. 57-61, qui cependant traite les prétendues lettres de Phalaris avec plus de considération que les lecteurs du docteur Bentley ne seront en général disposés à leur en accorder.

L’histoire du taureau d’airain de Phalaris semble fondée sur des preuves suffisantes ; il est mentionné expressément par Pindare ; et le taureau lui-même, après avoir été emporté à Carthage, quand les Carthaginois prirent Agrigente, fut rendu aux Agrigentins par Scipion, lorsqu’il prit Carthage. V. Aristote, Politique, V, 8, 4 ; Pindare, Pythiques, I, 185 ; Polybe, XII, 85 ; Diodore, VIII, 90 ; Cicéron, in Verr., IV, 33.

Il ne parait pas que Timée mit réellement en question la réalité historique du taureau de Phalaris, bien qu’on ait supposé par erreur qu’il en doutait. Timée affirmait que le taureau qu’on montrait de son temps à Agrigente n’était pas la même machine, ce qui était exact ; car il doit avoir été alors à Carthage, d’où il ne revint à Agrigente qu’après 146 avant J.-C. V. une note de Bœckh sur les Scholies de Pindare, Pythiques, I, 185.

[2] Thucydide, VI, 5 ; Schol. ad Pindare, Olympiques, V, 19 : cf. Wesseling, ad Diodore, XI, 76.

[3] A Gela, Hérodote, VII, 153 ; à Syracuse, Aristote, Politique, V, 3, 1.

[4] Aristote, Politique, V, 8, 4 ; V. 10, 4.

[5] Diodore attribue la fondation d’Hêrakleia à Dorieus ; ceci ne semble pas s’accorder avec le rapport d’Hérodote, à moins que nous ne devions admettre que la ville d’Hêrakleia fondée par Dorieus fut détruite par les Carthaginois, et que le nom d’Hêrakleia fut donné dans la suite par Euryleôn ou ses successeurs à celle qui s’appelait auparavant Minoa (Diodore, IV, 23).

Pausanias vit à Sparte un monument funéraire en honneur d’Athenæos, un des colons qui périrent avec Doricus (Pausanias, III, 16, 4).

[6] Hérodote, V, 43, 46.

[7] Hérodote, VII, 158. L’extrême brièveté de son allusion est embarrassante, vu que nous n’avons pas de renseignements indirects pour l’expliquer.

[8] Polyen, V, 6.

[9] V. au sujet de Têlinês et de ce sacerdoce héréditaire, Hérodote, VII, 153. Cf. un passage antérieur de cette Histoire, tome I, ch. 1, p. 43 sqq.

II parait, d’après Pindare, que Hierôn exerçait ce sacerdoce héréditaire (Olympiques, VI, 160 (95), avec les Scholies ad loc. et Scholies ad Pindare, Pythiques, II, 27).

Au sujet de l’histoire de Phyê personnifiant Athênê à Athènes, v. tom. V, ch. 12 de cette Histoire.

L’ancien culte religieux s’adressait plutôt aux yeux qu’aux oreilles ; les mots prononcés avaient moins d’importance que les choses qu’on présentait, que les personnes qui accomplissaient les cérémonies, et que les actes qui se faisaient. Le sens vague du neutre grec et latin, ίερά ou sacra, comprend la cérémonie entière, et il est difficile de le traduire dans une langue moderne ; mais les mots qui s’y rattachent, ont trait à l’exposition et à l’action. C’était surtout le cas pour les mystères (ou solennités non ouvertes au public en général, mais accessibles seulement à ceux qui se soumettaient à certaines formes préliminaires, sous certaines restrictions) en l’honneur de Dêmêtêr et de Persephonê, aussi bien que d’autres divinités dans différentes parties de la Grèce. Les λεγόμενα ou choses dites dans ces occasions avaient moins d’importance que les δεικνύμενα et les δρώμενα, ou objets montrés et choses faites (v. Pausanias, II, 37, 3). Hérodote dit au sujet du lac de Saïs en Égypte : Έν δέ τή λίμνη ταύτη τά δείκηλα τών καθέων αύτοΰ (d’Osiris) νυκτός ποιεύσι, τά καλέουσι μυστήρια Αίγύπτιοι ; il dit ensuite que la fête des Thesmophoria célébrée en honneur de Dêmêtêr en Grèce était de la même nature, et il ajoute qu’il croit qu’elle fut importée d’Égypte en Grèce. Homère (Hymne Cerer., 476) : cf. Pausanias, II, 14, 2. Cf. Euripide, Hippolyt. 25 ; Pindare, Fragm. 96 ; Sophocle, Fragm. 58, éd. Brunck ; Plutarque, De Profect. In Virtute, c. 10, p. 81 ; De Isid. et Osir., p. 353, c. 3, et Isocrate, Panégyrique, c. 6, au sujet d’Éleusis. Ces mystères consistaient ainsi surtout en spectacles et en actions s’adressant aux yeux des initiés, et Clément d’Alexandrie les appelle un drame mystique. Le mot 6pyca n’est pas autre chose dans l’origine qu’une expression consacrée pour έργαίερά έργα (v. Pausanias, I, 4, 5), bien qu’il en vienne plus tard à désigner toute la cérémonie, objets montrés aussi bien que choses faites : cf. Plutarque, Alkibiadês, 22-34.

Les objets sacrés qu’on montrait formaient une partie essentielle de la cérémonie, avec le coffre dans lequel on apportait ceux qui étaient mobiles (Nonnus, IX, 127). (Eschine, aidant aux lustrations religieuses accomplies par sa mère, portait le coffre (Démosthène, De Coronâ, c. 79, p. 313). Clément d’Alexandrie (Cohort., ad Gent. p. 14) décrit les objets que contenaient ces coffres mystiques des mystères d’Éleusis, — des gâteaux de forme particulière, des grenades, du sel, des férules, du lierre, etc. Il était permis à l’initié, comme partie de la cérémonie, de les tirer du coffre, de les mettre dans une corbeille, puis de les replacer dans le coffre. — Jejunavi et obibi cyceonem : ex cystâ sumpsi et in calathum misi ; accepi rursus, et in cistulam transtuli (Arnobe, ad Gent., V, p. 175, éd. Elmenhorst), tandis que les non initiés ne pouvaient voir ce spectacle, et il leur était interdit de le regarder même du toit. (Kallimaque, Hymn. in Cererem, 5.)

Lobeek, dans son docte et excellent traité, Aglaophamus (I, p. 51), dit : Sacrorum nomine tara Græci quam Romani, præcipuè signa et imagines deorum, omnemque sacram suppellectilem dignari solent. Quæ res animum illuc potius inclinat, ut putem Hierophantas ejusmodi ίερά in conspectum hominum protulisse, site deorum simulacra, sive vasa sacra et instrumenta aliave priscæ religionis monumenta ; qualia in sacrario Eleusinio asservata fuisse, etsi nullo testimonio affirmare possumus, tamen probabilitatis speciem habet testimonio similem. Namque non solum in templis fere omnibus cimelia venerandæ antiquitatis condita erant, sed in mysteriis ipsis talium rerum mentio occurrit, quas initiati summa cum veneratione aspicerent, non initiatis ne aspicere quidem liceret.... Ex his testimoniis efficitur (p. 61) sacra quæ Hierophanta ostendit, illa ipsa fuisse δεϊξαι φάσματα sive simulacre deorum, eorumque aspectum qui præbeant δεϊξαι τά ίερά vel παρέχειν vel φαίνειν dici, et ab hoc quasi primario Hierophantæ actu tum Eleusiniorum sacerdotum principem nomen accepisse, tum totum negotium esse nuncupatum.

Cf. aussi K. F. Hermann, Gottesdienstliche Alterthümer der Griechen, partie II, ch. II, lect. 32.

Un passage de Cicéron, De Haruspicum Responsis (c. 11), qui est transcrit presque entièrement par Arnobe, adv. Gentes, IV, p. 148, prouve la précision minutieuse exigée à Rome dans l’accomplissement de la fête des Megalesia : on supposait que la plus petite omission ou le plus petit changement rendait la fête désagréable aux dieux.

La mémorable histoire de la Sainte Tunique à Trèves en 1845, montre quel effet immense et répandu au loin peut être produit, même dans le dix-neuvième siècle, par ίερά δεικνύμενα.

[10] Hérodote, VII, 154.

[11] Hérodote, VI, 22, 33.

Les mots ̔ώς άποβαλόντα semblent impliquer la relation qui existait auparavant entre Hippokratês et Skythês, comme supérieur et sujet, et la punition infligée au second par le premier pour avoir perdu un poste important.

[12] Hérodote, VI, 23, 24. Aristote, (Politique, V, 2, 11) représente les Samiens comme ayant été d’abord réellement reçus dans Zanklê, et comme en chassant ensuite les premiers habitants. Sa brève mention ne doit pas être opposée au récit clair d’Hérodote.

[13] Thucydide, VI, 4 ; Schol. ad Pindare, Pythiques, II, 84 ; Diodore, XI, 48.

[14] Hérodote, VII, 155 ; Thucydide, VI, 5. La neuvième ode néméenne de Pindare (V, 40) adressée à Chromios, l’ami de Hierôn de Syracuse, rappelle, entre autres exploits, sa conduite à la bataille de l’Helôros.

[15] Hérodote, VII, 155.

Aristote (Politique, V, 2, 6) fait allusion à la démocratie syracusaine antérieure au despotisme de Gelôn comme à un cas de démocratie ruinée par son anarchie et son désordre. Plais il n’a pu guère en être ainsi, s’il faut s’en rapporter au récit d’Hérodote. L’expulsion des Gamori ne fut pas l’acte d’une démocratie anarchique, mais du soulèvement de sujets libres et d’esclaves contre une oligarchie dominante. Après que les Gamori eurent été chassés, la démocratie n’eut pas le temps de s’établir, ni de montrer à quel degré elle possédait le talent de gouverner, puisque le récit d’Hérodote indique que le rétablissement par Gelôn suivit immédiatement l’expulsion. Et les forces supérieures que Gelôn amena au secours des Gamori expulsés, sont tout à fait suffisantes pour expliquer la soumission du peuple syracusain, quelque bon qu’ait été leur gouvernement. Il se peut qu’Aristote ait eu sous les yeux des rapports différents de ceux d’Hérodote ; à moins dans le fait que nous ne nous permettions de soupçonner que le nom de Gelôn paraît dans Aristote par une erreur de mémoire à la place de celui de Denys (Dionysios). Il est extrêmement probable que le désordre partiel dans lequel la démocratie syracusaine était tombée immédiatement avant le despotisme de Denys, fut une des principales circonstances qui lui permirent d’acquérir le pouvoir suprême. Mais une semblable assertion ne peut guère être rendue applicable aux anciens temps qui précèdent Gelôn, dans lesquels en effet la démocratie ne faisait précisément que commencer en Grèce.

La confusion que font souvent des historiens peu soigneux entre les noms de Gelôn et de Denys, est sévèrement critiquée par Denys d’Halicarnasse (Antiq. Rom., VII, 1, p. 1314) ; ce dernier toutefois, dans ce qu’il dit relativement à Gelôn, n’est pas tout à fait exempt d’erreur, puisqu’il représente Hippokratês comme frère de Gelôn. Nous devons admettre la supposition de Larcher, que Pausanias (VI, 9, 2), tout en déclarant donner la date de l’occupation de Syracuse par Gelôn, a en réalité donné la date de l’occupation de Gela par Gelôn. (V. M. Fynes Clinton, Fast. Hellen., ad. ann. 491 avant J.-C.)

[16] Hérodote, VII, 156.

[17] Diodore, XI, 21.

[18] Pausanias, V, 27, 1, 2. Nous voyons Denys l’Ancien, environ un siècle plus tard, transporter tonte la population libre de villes conquises (Kaulonia et Hipponium en Italie, etc.) à Syracuse (Diodore, XIV, 106, 107).

[19] V. la sixième Olympique de Pindare, adressée au syracusain Agêsias. Le scholiaste du v. 5 de cette ode, qui dit que ce ne fut pas Agêsias lui-même, mais quelques-uns de ses ancêtres qui émigrèrent de Stymphalos à Syracuse, est contredit non seulement par le scholiaste du v. 167, où Agêsias est justement nommé à la fois Άρκάς et Συρακόσιος ; mais encore par la preuve meilleure des propres expressions de Pindare à propos de Stymphalos et de Syracuse (v. 6, 99, 101 = 166-174).

Ergotelês, exilé de Knossos en Krête, doit avoir émigré à peu près vers ce temps à Himera en Sicile. V. la douzième Olympique de Pindare.

[20] Hérodote, VIII, 26.

[21] Hérodote, VII, 157, et même encore plus fort, c. 163.

Le mot άρχων correspond à άρχή, tel que celui des Athéniens, et il est moins fort que τύραννος. L’exposé numérique est contenu dans le discours composé par Hérodote pour Gelôn (VII, 158).

[22] Hérodote, VII, 145.

[23] Hérodote, VII, 158. Gelôn dit aux envoyés du Péloponnèse : — Grecs, vous avez la hardiesse et l’insolence de m’inviter à joindre mes forces aux vôtres contre les Perses ; et lorsque je vous priai de me secourir contre les Carthaginois, avec qui j’étais en guerre ; lorsque j’implorai votre assistance pour venger sur les habitants d’Égeste la mort de Doriée, fils d’Anaxandridês, et que j’offris de contribuer à remettre en liberté les ports et villes de commerce, qui vous procuraient beaucoup d’avantages et de grands profits, non seulement vous refusâtes de venir à mon secours, mais encore vous ne voulûtes pas venger avec moi l’assassinat de Doriée. Il n’a donc pas tenu à vous que ce pays ne soit entièrement devenu la proie des Barbares. Mais les choses ont pris une tournure plus favorable. Maintenant donc que la guerre est à votre porte et même chez vous, vous vous souvenez enfin de Gélon. Quoique vous en ayez agi avec moi d’une manière méprisante, je ne vous ressemblerai point, et je suis prêt à envoyer à votre secours deux cents trirèmes, vingt mille hoplites, deux mille hommes de cavalerie, deux mille archers, deux mille frondeurs et deux mille hommes de cavalerie légère. Je m’engage aussi à fournir du blé pour toute l’armée jusqu’à la fin de la guerre ; mais c’est à condition que j’en aurai le commandement. Autrement je n’irai point en personne à cette expédition, et je n’y enverrai aucun de mes sujets.

Il est très regrettable que nous n’ayons pas d’autres renseignements relatifs aux événements auxquels ces mots font allusion. Ils semblent indiquer que les Carthaginois et les Egestæens avaient fait quelques empiétements et menaçaient d’en faire davantage ; que Gelôn les avait repoussés par une guerre véritable et heureuse. Je trouve étrange cependant qu’on lui fasse dire : Vous, (les Péloponnésiens) avez tiré de grands et signalés avantages de ces ports de mer. Le profit qu’en avaient tiré les Péloponnésiens ne peut jamais avoir été assez grand pour être indiqué de cette manière spéciale. J’aurais plutôt attendu — άπ̕ ών ήμϊν (et non άπ̕ ών ύμϊν), — ce qui eût été vrai en fait, et que l’on verra s’accorder logiquement avec tout le sens du discours de Gelôn.

[24] Hérodote, VII, 161, 162. Polybe (XII, 26) ne semble pas avoir lu cette ambassade telle qu’elle est rapportée par Hérodote, — ou du moins il doit avoir préféré quelque autre récit à ce sujet. Il rend compte différemment de la réponse qu’ils firent à Gelôn : réponse (non insolente, mais) adroite et évasive : — πραγματικώτατον άπόκριμα, etc. V. Timée, Fragm. 87, éd. Didot.

[25] Éphore, Fragm. 3, éd. Didot ; Diodore, XI, 1, 20. Mitford et Dahlmann (Forschungen, Herodotus, etc., sect. 85, p. 186) révoquent en doute cette alliance ou intelligence entre Xerxès et les Carthaginois, mais non d’après des motifs suffisants, à mon avis.

[26] Hérodote, VII, 165 ; Diodore, XI, 23 : cf. aussi XIII, 55, 59. C’est de la même manière que Rhegium et Messênê s’opposaient comme rivales à Syracuse, sous Denys l’Ancien (Diodore, XIV, 44).

[27] Hérodote (VII, 165) et Diodore (XI, 20) donnent tous deux le chiffre de l’armée de terre ; le dernier seul donne celui de la flotte.

[28] Hérodote, VII, 165. Les Ligyes venaient du point méridional de jonction de l’Italie et de la France, les golfes du Lion et de Gênes. On ne peut vérifier les Helisyki d’une manière satisfaisante ; Niebuhr croit que c’étaient les Volsques, conjecture ingénieuse.

[29] Polybe, I, 67. La description qu’il fait de la mutinerie des mercenaires carthaginois, après la fin de la première guerre punique, est extrêmement instructive.

[30] Diodore, YI, 21-24.

[31] Hérodote, VII, 167. Ce passage d’Hérodote est expliqué par le savant commentaire de Movers sur l’inscription phénicienne récemment découverte à Marseille. C’était la coutume habituelle des Juifs, et dans les anciens temps les Phéniciens (Porphyre, De Abstin., IV, 15) avaient eu l’usage de brûler la victime entière ; les Phéniciens abandonnèrent cette coutume ; mais il ne parait pas que l’abandon ait été regardé comme parfaitement régulier, et à des époques de grand malheur ou de grande inquiétude, on revenait à l’ancien usage (Movers, das Opferwesen der Karthager, Breslau, 1847, p. 71-118).

[32] Hérodote, VII, 166-167. Hamilcar avait pour mère une Syracusaine : preuve curieuse de connubium entre Carthage et Syracuse. Au moment où Denys l’Ancien déclara la guerre à Carthage, en 398 avant J.-C., il y avait beaucoup de marchands carthaginois séjournant tant à Syracuse que dans d’autres villes gréco-siciliennes, avec des vaisseaux et d’autres biens. Denys permit, aussitôt qu’il se fut décidé à déclarer la guerre, de piller tous ces biens (Diodore, XIV, 46). Cette rapide multiplication de Carthaginois vendant leurs marchandises dans les cités grecques sitôt après la fin d’une guerre sanglante, est une forte preuve des tendances commerciales spontanées.

[33] Diodore, XIII, 62. Suivant Hérodote, la bataille d’Himera fut livrée le même jour que celle de Salamis ; suivant Diodore, le même jour que celle des Thermopylæ. Si nous sommes forcés de choisir entre les deux témoins, nous ne pouvons hésiter à préférer le premier ; mais il semble plus probable qu’ils ne sont exacts ni l’un ni l’autre. Autant que nous en pouvons juger d’après les brèves allusions d’Hérodote, il doit avoir conçu la bataille d’Himera d’une manière totalement différente de Diodore. Dans ces circonstances, je n’ose me fier aux détails fournis par ce dernier.

[34] Je présume qu’il doit être fait allusion à ce traitement d’Anaxilaos dans Diodore, XI, 66 ; du moins il est difficile de comprendre quel autre grand avantage Gelôn avait accordé à Anaxilaos.

[35] Diodore, X, 26.

[36] Schol. ad. Pindare, Pythiques, II, 3 ; Plutarque, De Serâ numinis Vindictâ, p. 552, c. 6.

[37] Diodore, XX, 14.

[38] Pindare, Nemea, IX, 67 (= 28 B.), avec les Scholies.

[39] Simonide, Épigrammes, 141, éd. Bergk.

[40] Hérodote, VII, 163-165. cf. Diodore, XI, 26 ; Éphore, Fragm. III, éd. Didot.

[41] Diodore, XI, 25.

Pour des exemples analogues de prisonniers de guerre employés par leurs vainqueurs à des travaux publics et travaillant avec leurs chaînes, v. les cas de Tegea et de Samos dans Hérodote, I, 66 ; III, 39.

[42] Diodore, XI, 25. Relativement à. des esclaves appartenant au public, et loués à gages à des entrepreneurs individuels, comparez le vaste projet financier conçu par Xénophon, De Vectigalibus, c. 3 et 4.

[43] Diodore, XI, 38, 67 ; Plutarque, Timoleôn, c. 29 ; Aristote, Γελώων Πολίτεια, Fragm., p. 106, éd. Neumann.

[44] Diodore, XI, 49.

[45] Diodore, XI, 72, 73.

[46] Diodore, XI, 67 ; Aristote, Politique, V, 9, 3. Malgré les compliments faits directement à Hierôn par Pindare (Pythiques, III, 71 =125), ses avertissements et ses avis indirects attestent suffisamment le caractère réel (V. Dissen, ad Pindare, Pythiques I et II, p.161-182).

[47] Diodore, XI, 48 ; Schol. Pindare, Olympiques, II, 29.

[48] Schol, ad Pindare, Olympiques, II, 173. Pour le petit nombre de faits que l’on peut établir relativement à la famille et à la généalogie de Thêron, v. Goeller, De Situ et Origine Syracusarum, ch. VII, p. 19-22. Les Scholiastes de Pindare sont utiles par occasion en expliquant les courtes allusions historiques du poète ; mais ils semblent avoir eu à leur disposition pour le faire très peu de matériaux dignes de foi.

[49] Diodore, XI, 48, 49.

[50] Le casque d’airain, découvert près de l’emplacement d’Olympia portant inscrits le nom d’Hierôn et la victoire de Cumæ, reste encore comme une relique intéressante pour rappeler cet événement ; il faisait partie des offrandes faites par Hierôn au Zeus Olympique : v. Bœckh, Corp. inscript. græc., n° 16, part. 1, p. 34.

[51] Diodore, XI, 51 ; Pindare, I, 74 (=140) ; Il, 17 (=35), avec les scholies ; Épicharme, Fragm., p. 19, éd. Krusemann ; Schol. Pindare, Pythiques, I, 98 ; Strabon, V. p. 247.

[52] Schol. ad Pindare, Nemea, I, 1.

Comparez le cas subséquent de la fondation de Thurii, dont les habitants se disputèrent violemment pour décider qui serait reconnu comme Œkiste de la ville. On consulta l’oracle, et Apollon ordonna de le célébrer lui-même comme œkiste (Diodore, III, 35).

[53] Schol. Pindare, Nemea, IX, I. Sur les institutions dôriennes d’Ætna, etc., Pindare, Pythiques, I, 60-71.

Deinomenês survécut à son père, et rappela les victoires olympiques de ce dernier par de riches offrandes à Olympia (Pausanias, VI, 12, 1).

[54] Pindare, Pythiques, I, 60 (=117) ; III, 69 (=121). Pindare, ap. Strabon, VI, p. 269. Cf. Nemea, IX, 1-30, adressée à Chromios. Hierôn est proclamé dans quelques odes comme Syracusain ; mais Syracuse et la ville d’Ætna nouvellement fondées sont intimement unies ensemble. V. Nemea, I, init.

[55] Justin, IV, 2.

[56] C’est ainsi, je crois, que doivent être compris les mots de Diodore, XI, 53.

[57] Diodore, XI, 53. C’est un remarquable spécimen du sentiment d’une cité étrangère à l’égard d’un τύραννος oppressif. Les Mégariens de la Grèce propre étaient rattachés étroitement à la Sicile par l’hyblæenne Megara, aussi bien que par Sélinonte.

[58] Diodore, XI, 76.

[59] Hierôn avait épousé la fille d’Anaxilaos, mais il semble avoir eu deux autres femmes : — la sœur ou la cousine de Thêron, et la fille d’un Syracusain nommé Nikoklês ; cette dernière fut mère de son fils Deinomenês (Schol. Pindare, Pyth., I, 112).

On nous parle de Kleophrôn, fils d’Anaxilaos, gouvernant Messênê pendant la vie de son père ; probablement ce jeune homme a dû mourir, autrement Mikythos n’aurait pas succédé (Schol. Pindare, Pyth., II, 34).

[60] Diodore, XI, 66.

[61] Aristote, Politique, V, 8, 19. Diodore ne mentionne pas le fils de Gelôn.

M. Fynes Clinton (Fasti Hellenici, App. ch. 10, p. 264, sqq.) a discuté tous les points principaux qui se rattachent à la chronologie syracusaine et à la sicilienne.

[62] Xénophon, Hierôn, III, 8. Cf. Isocrate, De Pace, Orat. VIII, p. 182, ~ 138.

De même aussi Tacite (Hist., V, 9), relativement aux rois indigènes de Judée, après l’expulsion de la dynastie syrienne. — Sibi ipsi reges imposuere qui, mobilitate vulgi expulsi, resumptâ per arma dominatione, fugas civium, urbium eversiones — fratrum, conjugum, parentum, neces, — aliaque solita regibus ausi, etc.

[63] Relativement à la topographie de Syracuse à l’époque de ces troubles, précédant et suivant immédiatement la chute de la dynastie gélonienne, — on trouvera ce que j’avance dans l’édition présente quelque peu modifié si on le compare avec la première. En décrivant le siège de cette ville par l’armée athénienne sous Nikias, j’ai jugé nécessaire d’étudier les détails locaux de Thucydide avec une grande et minutieuse attention, tout en consultant des autorités modernes plus complètes. On trouvera les conclusions que j’avais établies, — en partie dans la première portion du troisième chapitre du dixième volume — mais surtout dans une dissertation séparée annexée comme appendice à ce chapitre, et expliquée par deux plans. C’est à cette dernière dissertation avec ses plans que je prends la liberté de renvoyer le lecteur.

Diodore dit ici (XI, 67, 68) que Thrasyboulos était maître et de l’Ile (Ortygia) et d’Achradina, tandis que les Syracusains révoltés occupaient le reste de la ville, dont Itykê ou Tychê faisait partie. Il conçoit évidemment Syracuse comme ayant compris, en 463 avant J.-C., réellement le mémo grand espace et le même nombre de quatre quartiers ou parties, qu’elle finit plus tard par contenir depuis le temps du despote Denys jusqu’à l’empire romain, et tel qu’on les voit présentés dans la description de Cicéron (Orat. in Verr., IV, 53, 118-120), qui énumère les quatre quartiers Ortygia, Achradina, Tychê et Neapolis. Je crois que c’est une erreur. Je prends la conception générale de la topographie donnée par Thucydide en 415 avant J.-C. comme représentant en général ce qu’elle avait été cinquante ans auparavant. Thucydide (VI, 3) mentionne seulement la cité intérieure, qui était dans l’îlot d’Ortygia, et la cité extérieure. Cette dernière fut connue plus tard sous le nom d’Achradina, bien que de nom ne se rencontre pas dans Thucydide. Diodore mentionne formellement qu’Ortygia et Achradina avaient chacune des fortifications séparées (XI, 73).

Dans ces disputes qui se rattachent à la chute de la dynastie gélonienne, je crois que Thrasyboulos était maître d’Ortygia, qui fut de tout temps la forteresse intérieure et la partie la plus importante de Syracuse ; au point que, sous la domination romaine, Marcellus défendit à tout syracusain indigène d’y habiter (Cicéron, cont. Verr., V, 32-84, 38, 98). Les ennemis de Thrasyboulos, au contraire, occupaient, je crois, Achradina.

Il n’y a pas à douter que cette bissection de Syracuse en deux fortifications séparées n’ait dû donner une grande facilité de plus pour des disputes civiles, s’il y avait des causes extérieures contribuant à’ les fomenter ; conformément à une remarque d’Aristote (Politique, V, 2, 12), que le philosophe explique par une allusion à Kolophôn et à Notion, aussi bien qu’à la partie insulaire et à la partie continentale de Klazomenæ.

[64] Diodore, IX, 67, 68.

[65] Aristote, Politique, V, 8, 23.

[66] Diodore, XI, 68.

[67] Diodore, XI, 76.

[68] Aristote (Politique, V, 2, 11), mentionne, entre autres exemples du danger de recevoir de nouveaux citoyens, que les Syracusains, après la dynastie gélonienne, admirent les mercenaires étrangers an droit de cité, et donnèrent lieu ainsi à une sédition et à une lutte armée. Mais on ne peut pas bien citer l’incident pour expliquer ce principe à l’appui duquel il le présente. Les mercenaires, tant que dura la dynastie, avaient été les premiers citoyens de la communauté ; après sa chute, ils devinrent les inférieurs, et furent déclarés inadmissibles aux honneurs. Il n’y a guère lieu de s’étonner qu’un si grand changement de position les portât à se révolter ; mais ce n’est pas un cas que l’on puisse convenablement produire pour prouver combien grande est la difficulté d’arranger les affaires avec des citoyens nouveaux venus.

Après qu’Agathoklês eut été chassé de Syracuse, près de deux siècles après ces événements, la même querelle et la même sédition se renouvelèrent, par suite de l’exclusion de ses mercenaires des magistratures et des postes d’honneur (Diodore, XXI, Fragm., p. 282).

[69] Diodore, XI, 73.

Diodore répète ici la même idée erronée que j’ai mentionnée dans mie note précédente. II suppose que les Géloniens étaient en possession et d’Ortygia et d’Achradina, tandis qu’ils n’occupaient réellement qu’Ortygia, comme Thrasyboulos dans la première lutte.

Le parti contraire était en possession de la cité extérieure ou Achradina, et il lui était facile, eu menant mie fortification entre Epipolæ et le grand port, d’intercepter la communication d’Ortygia avec le pays environnant, comme on peut le voir en consultant les plans de Syracuse, annexés au ch. 3 du dixième volume de cette Histoire.

[70] Diodore, XI, 72, 73, 76.

[71] Diodore, XIV, 7.

[72] Diodore, XI, 76 ; Strabon, VI, 268. Comparez, comme événement analogue, la description des édifices élevés dans le marché d’Amphipolis, en l’honneur de l’Athénien Agnon l’Œkiste, après que cette ville se fut révoltée contre Athènes (Thucydide, V, 11).

[73] Diodore, XI, 76.

V. la note de Wesseling sur ce passage. Il n’y a guère lieu de douter que dans Thucydide (VI, 5) la correction de κατωκίσθη ύπό Γελώων (à la place ύπό Γέλωνος) ne soit exacte.

[74] Hérodote, VII, 155.

[75] V. la quatrième et la cinquième ode olympique de Pindare, rapportées à la 82e Olympiade ou 452 avant J.-C., environ neuf ans après que les habitants de Gela avaient rétabli Kamarina (Olympiques, V, 9, et V, 14).

[76] Diodore, XI, 86.

[77] Hérodote, VII, 170 ; Diodore, XI, 52. Ce dernier assure que les vainqueurs iapygiens divisèrent leurs forces, dont une partie poursuivit les Rhégiens fugitifs, le reste, les Tarentins. Ceux qui poursuivirent les premiers furent si rapides dans leurs mouvements, qu’ils entrèrent (dit-il) avec les fugitifs dans la ville de Rhegium, et même en devinrent maîtres.

Pour ne rien dire du fait que la ville de Rhegium continue dans la suite, comme auparavant, d’être gouvernée par Mikythos, nous pouvons faire remarquer que Diodore a d3 se faire une idée étrange de la géographie de l’Italie méridionale, pour parler de poursuite et de fuite d’Iapygia à Rhegium.

[78] Aristote, Politique, V, 2, 8. Aristote a un autre passage (VI, 3, 6) dans lequel il commente le gouvernement de Tarente, et O. Müller se sert de ce second passage pour expliquer des changements constitutionnels particuliers qui furent faits après le désastre iapygien. Je regarde cette juxtaposition des deux passages comme non autorisée ; il n’y a rien du tout qui les rattache l’un à l’autre. V. History of the Dorians, III, 9, 14.