SEPTIÈME VOLUME
Malgré ce que Mardonios, dit-on, avait décidé, il passa
tout le jour sans faire d’attaque générale. Mais sa cavalerie, probablement exaltée
par la démonstration récente des Lacédæmoniens, fut en ce jour plus
entreprenante et plus infatigable que jamais, et elle fit subir aux Grecs
beaucoup de pertes aussi bien que de pénibles souffrances[1] ; au point que le
centre de l’armée grecque (Corinthiens, Mégariens, etc., entre les Lacédæmoniens et les Tégéens
à droite, et les Athéniens à gauche), quand l’heure arriva de se
retirer dans l’Île, commença sa marche, il est vrai, mais il oublia ou
négligea le plan concerté à l’avance et les ordres de Pausanias, dans son
impatience d’avoir un abri complet contre les attaques de Au milieu de l’obscurité de la nuit, et dans cette scène d’indécision
et de dispute, un messager athénien à cheval arriva jusqu’à Pausanias, chargé
de s’assurer de ce qui se passait et de demander les derniers ordres. Car,
malgré la résolution prise après un débat en forme, les généraux athéniens se
défiaient encore des Lacédæmoniens, et doutaient qu’après tout ils agissent
comme ils l’avaient promis. Le mouvement de la division centrale étant arrivé
à leur connaissance, ils envoyèrent au dernier moment, avant de commencer
leur propre marche, s’assurer que les Spartiates étaient sur le point de se
mettre aussi en mouvement. Une méfiance profonde et même exagérée, mais trop
bien justifiée par la conduite antérieure des Spartiates à l’agora d’Athènes,
est visible dans cet acte[6] ; cependant il
fut heureux dans ses résultats : — car si les Athéniens, se contentant d’exécuter
leur part dans le plan concerté à l’avance, avaient marché aussitôt vers l’Ile,
l’armée grecque aurait été séparée sans possibilité de se réunir, et l’issue
de la bataille aurait été complétement différente. Le héraut athénien trouva
les Lacédæmoniens encore stationnaires dans leur position, et les généraux
dans une chaude dispute avec Amompharetos, qui méprisait la menace d’être
laissé seul pour tenir tête aux Perses, et, quand on lui rappela que la
résolution avait été prise en vertu du vote général des officiers, il prit
des deux mains un énorme rocher bon pour celles d’Ajax et d’Hectôr ; et le
lança aux pieds de Pausanias en disant : Voici
mon caillou, à moi ; c’est avec cela que je donne mon vote de ne pas fuir
devant les étrangers. Pausanias le déclara fou, — et il demanda au
héraut de rapporter la scène d’embarras dont il venait d’être témoin, et de
prier les généraux athéniens de ne pas commencer leur retraite avant que les
Lacédœmoniens fussent aussi en marche. Ln même temps la dispute continuait,
et elle fut même prolongée par la méchanceté d’Amompharetos jusqu’à ce que le
jour commençât à paraître ; alors Pausanias, craignant de rester plus
longtemps, donna le signal de la retraite ; il comptait que le capitaine
rebelle, en voyant son lochos réellement laissé seul, se déciderait
probablement à suivre. Après avoir marché environ deux kilomètres a travers
le terrain montueux qui le séparait de l’Ile, il commanda une halte ; soit
afin d’attendre Amompharetos s’il voulait suivre, soit afin d’être assez près
pour lui prêter aide et le sauver, s’il était assez téméraire pour défendre
seul son terrain. Heureusement ce dernier, voyant que son général était
réellement parti, fit taire ses scrupules et le suivit : il atteignit et
rejoignit le corps principal dans sa première halte près de Quand parut le jour ; la cavalerie persane fut étonnée de trouver la position grecque abandonnée. Elle se mit immédiatement à la poursuite des Spartiates, dont la marche longeait le terrain plus élevé et plus en vue, et dont en outre’ le progrès avait été retardé par le long délai d’Amompharetos ; les Athéniens, au contraire, qui marchaient sans s’arrêter, et qui déjà étaient derrière les collines, ne pouvaient être aperçus. Quant à Mardonios, cette retraite de son ennemi lui inspira une confiance extravagante et pleine de mépris, a laquelle il donna un libre cours auprès des Aleuadæ thessaliens. Voilà vos Spartiates si vantés, qui à l’instant changeaient de place dans la ligne plutôt que de combattre les Perses, et qui montrent ici par une fuite ouverte ce qu’ils valent réellement ! Après ces paroles, il ordonna immédiatement à toute son armée de poursuivre et d’attaquer avec la plus grande célérité. Les Perses franchirent l’Asôpos et coururent après les Grecs de toute leur vitesse, pêle-mêle, sans aucune pensée d’ordre ni de préparatifs en cas de résistance ; déjà l’armée retentissait de cris de victoire, pleinement assurée d’enlever violemment les fugitifs aussitôt qu’elle les aurait atteints. Les alliés asiatiques suivirent tous l’exemple de cet élan désordonné[8] ; mais les Thêbains et les autres alliés grecs à l’aile droite de Mardonios paraissent avoir conservé un ordre quelque peu meilleur. Pausanias n’avait pas pu se retirer plus loin que le voisinage du Demetrion ou temple de Dêmêtêr Eleusinienne, où il avait fait halte pour recueillir Amompharetos. Atteint d’abord par la cavalerie persane et ensuite par Mardonios avec le gros de l’armée, il envoya sur-le-champ un cavalier l’apprendre aux Athéniens, et demander leur secours avec instance. Les Athéniens se hâtèrent de se rendre à sa requête ; mais ils se trouvèrent bientôt engagés eux-mêmes dans une lutte avec les alliés thêbains de l’ennemi, et conséquemment dans l’impossibilité d’arriver jusqu’à lui[9]. Conséquemment les Lacédæmoniens et les Tégéates eurent à rencontrer les Perses seuls sans aucun secours de la part des autres Grecs. Les Perses, en arrivant à portée de trait de leurs ennemis, fichèrent en terre les extrémités pointues de leurs gerrhas (ou longs boucliers d’osier), formant un parapet continu, et de derrière ils lancèrent sur les Grecs une grêle de flèches[10] ; leurs arcs étaient de la, plus grande dimension et tirés avec non moins de force que d’adresse. Malgré les blessures et le mal qu’ils faisaient ainsi, Pausanias persista dans le devoir indispensable d’offrir le sacrifice du combat, et les victimes furent pendant quelque temps défavorables, de sorte qu’il n’osa pas donner l’ordre d’avancer et de combattre corps à corps. Un gland nombre d’hommes furent alors blessés ou tués dans les rangs[11], entre autres le brave Kallikratês, le guerrier le plus beau et le plus fort de l’armée ; à ce moment Pausanias, fatigué de ce délai forcé et pénible, leva enfin les yeux vers l’Heræon des Platæens, qui était en vue, et implora l’intervention miséricordieuse de Hêrê pour écarter cet obstacle qui le retenait dans ce lieu. A peine avait-il parlé, que les victimes changèrent et devinrent favorables[12]. Mais les Tégéens, pendant qu’il était encore en train de prononcer sa prière, en prévinrent l’effet et se hâtèrent de s’avancer contre l’ennemi, suivi par les Lacédæmoniens aussitôt que Pausanias donna l’ordre. Le parapet d’osier qui couvrait les Perses fut bientôt renversé par la charge des Grecs ; néanmoins les Perses, bien que privés ainsi de leur abri tutélaire et n’ayant pas d’armure défensive, continuèrent à combattre avec un courage individuel d’autant plus remarquable, qu’il n’était nullement aidé par la discipline ou par un mouvement collectif exercé contre la manière de combattre habile, le pas régulier, les personnes bien protégées et les longues lances des Grecs[13]. Ils se jetèrent sur les Lacédæmoniens, saisirent leurs lances et les brisèrent ; beaucoup d’entre eux se dévouèrent en petites troupes de dix pour ouvrir par leurs corps une voie dans les lignes et pour arriver à un combat corps à corps individuel avec la lance courte et le poignard[14]. Mardonios lui-même, remarquable sur un cheval blanc, était au nombre des guerriers les plus avancés, et les mille hommes d’élite qui formaient sa garde du corps se distinguaient plus que tous les autres. Enfin il fut tué de la main d’un Spartiate distingué nommé Aeimnêstos ; ses mille gardes périrent pour la plupart autour de lui, et le courage des autres Perses, déjà lassé par les troupes supérieures contre lesquelles ils avaient lutté longtemps, fut à la fin complètement abattu par la mort de leur général. Ils tournèrent le dos, s’enfuirent et ne s’arrêtèrent que quand ils furent arrivés dans le camp de bois fortifié construit par Mardonios derrière l’Asôpos. Les alliés asiatiques aussi, dès qu’ils virent les Perses défaits, prirent la fuite sans coup férir[15]. Cependant les Athéniens à la gauche avaient été engagés dans une lutte sérieuse avec les Bœôtiens, particulièrement avec les chefs thêbains et les hoplites qu’ils avaient immédiatement autour d’eux ; ils combattirent avec une grande bravoure, mais ils furent repoussés à la fin, après avoir perdu trois cents de leurs meilleurs soldats. Toutefois la cavalerie thébaine conserva une bonne ligne de bataille ; elle protégea la retraite de l’infanterie et arrêta la poursuite athénienne ; de sorte que les fuyards purent gagner en sûreté Thèbes, meilleur refuge que le camp fortifié des Perses[16]. A l’exception des Thêbains et des Bœôtiens, aucun des autres Grecs médisant ne rendit de service réel. Au lieu de soutenir ou de renforcer les Thêbains, ils n’avancèrent jamais une fois à la charge, mais ils suivirent seulement le premier mouvement de fuite. De sorte que, dans le fait, les seules troupes de cette nombreuse armée perso-grecque qui combattirent réellement furent les Perses indigènes et les Sakæ à gauche, et les Bœôtiens à droite ; les premiers contre les Lacédœmoniens, les derniers contre les Athéniens[17]. Tous les Perses indigènes ne prirent même pas part au combat. Un corps de quarante mille hommes sous Artabâzos, dont quelques-uns doivent sans doute avoir été des Perses indigènes, quittèrent le champ de bataille sans combattre ni essuyer de perte. Ce général, vraisemblablement l’homme le plus capable de l’armée persane, avait été dès le commencement dégoûté par la nomination de Mardonios comme général en chef, et avait de plus encouru son mécontentement en repoussant toute action générale. Informé que Mardonios marchait en toute hâte en avant pour attaquer les Grecs dans leur retraite, il rangea sa division et la mena vers le théâtre de l’action, bien qu’il désespérât du succès et que peut-être il ne fût pas très désireux, que ses prophéties se trouvassent fausses. Et telle avait été l’impétuosité inconsidérée de Mardonios dans son premier mouvement en avant, — il avait compté si complètement écraser les Grecs quand il s’aperçut de leur retraite, — qu’il ne prit pas la peine de s’assurer de l’action concertée de toute son armée. Aussi, avant qu’Artabazos arrivât sur le théâtre de l’action, il vit les troupes persanes, qui avaient été engagées sous le général en chef, déjà défaites et en fuite. Sans faire la moindre tentative soit pour les sauver, soit pour rétablir le combat, il donna immédiatement à sa division l’ordre de la retraite ; toutefois, il ne se rendit ni au camp fortifié ni à Thèbes, mais il abandonna aussitôt toute la campagne et prit la route directe par la Phokis vers la Thessalia, la Macedonia et l’Hellespont[18]. De même que les Perses indigènes, les Sakæ et les Bœôtiens
furent les seuls combattants réels d’un côté, de même aussi les
Lacédæmoniens, les Tégéens et les Athéniens le furent de l’autre. Nous avons
déjà dit que les troupes centrales de l’armée grecque, désobéissant à l’ordre
général de marche, s’étaient rendues pendant la nuit à la ville de Platée, au
lieu de gagner l’île. Elles étaient ainsi complètement séparées de Pausanias,
et la première chose qu’elles apprirent au sujet de la bataille fut que les
Lacédæmoniens étaient en train de remporter Continuant leur poursuite, les Lacédæmoniens se mirent en devoir d’attaquer la redoute de bois où s’étaient réfugiés les Perses. Mais, bien qu’ils fussent aidés ici par toutes les divisions grecques du centre ou par la plupart d’entre elles, qui n’avaient pas pris part au combat, ils étaient encore si ignorants dans la manière d’attaquer dès murs qu’ils ne firent aucun progrès et furent complètement tenus en échec, jusqu’au moment on les Athéniens arrivèrent à leur secours. La redoute fut alors emportée d’assaut, non sans une résistance courageuse et prolongée de la part de ses défenseurs. Les Tégéens, étant les premiers à pénétrer dans l’intérieur, pillèrent la riche tente de Mardonios ; la mangeoire pour ses chevaux, faite d’airain, resta longtemps dans la suite exposée dans leur temple d’Athênê Alea, — tandis que son trône à pieds d’argent et son cimeterre[20] furent conservés dans l’acropolis d’Athènes, avec la cuirasse de Masistios. Une fois dans l’intérieur du mur, toute résistance sérieuse cessa, et les Grecs massacrèrent saris faire quartier aussi bien que sans s’arrêter ; de sorte que si nous devons en croire Hérodote, il ne survécut que 3.000 hommes des 300.000 qui avaient composé l’armée de Mardonios, — à l’exception des 40.000 Hommes qui accompagnèrent Artabazos dans sa retraite[21]. Relativement à ces nombres, l’historien avait probablement
peu de chose à donner, si ce n’est quelques rapports vagues, sans aucun
dessein de calcul ; au sujet des pertes grecques, son assertion mérite plus d’attention,
quand il nous dit qu’il périt 91 Spartiates, 16 Tégéens et 52 Athéniens. Dans
ces chiffres toutefois n’est pas comprise la perte des Mégariens quand ils
furent attaqués par la cavalerie thébaine, et le nombre des Lacédæmoniens non
Spartiates tués n’est pas non plus spécifié ; tandis que même les autres
Nombres présentés réellement sont incontestablement au-dessous de la vérité
probable, si l’on considère la multitude des flèches persanes et le côté
droit de l’hoplite grec que ne protégeait pas son bouclier. En général, l’affirmation
de Plutarque, qu’il n’y eut pas moins de 1.370 Grecs tués dans l’action,
paraît probable ; tous hoplites sans doute, — car on tenait peu compte alors
des hommes armés à la légère, et dans le fait on ne nous dit pas s’ils
prirent une part active au combat[22]. Quelle qu’ait
été la perte numérique des Perses, cette défaite causa, la ruine totale de
leur armée ; mais nous pouvons bien présumer qu’un grand nombre d’entre eux
furent épargnés et vendus comme esclaves[23], tandis qu’une
foule de fuyards trouvèrent probablement le moyen de rejoindre la division d’Artabazos
qui se retirait. Ce général marcha rapidement à travers la Thessalia et la
Macedonia, gardant strictement le silence sur la récente bataille, et
prétendant être envoyé pour une entreprise spéciale par Mardonios, qui,
disait-il, approchait en personne. Si Hérodote est exact — bien qu’on puisse
douter que le changement de sentiment en Thessalia et dans les autres États
grecs médisant ait été aussi rapide qu’il le donne à entendre —, Artabazos
réussit à traverser ces pays avant que la nouvelle de la bataille devînt
généralement connue, et ensuite il se retira par la route la plus directe et
la plus courte à travers l’intérieur de la Thrace jusqu’à Byzantion, d’où il
passa en Asie. Les tribus intérieures, non soumises et adonnées au pillage,
harcelèrent considérablement sa retraite ; mais nous trouverons longtemps
après des garnisons persanes en possession de maints endroits importants sur
la côte de Thrace[24]. On verra que
dans Les Grecs employèrent dix jours, après leur victoire, d’abord à ensevelir les morts, ensuite à réunir et à répartir le butin. Les Lacédæmoniens, les Athéniens, les Tégéens, les Mégariens et les Phliasiens enterrèrent chacun leurs morts à part, et élevèrent en commémoration un tombeau séparé. Les Lacédæmoniens, dans le fait, distribuèrent leurs morts en trois fractions dans trois sépultures diverses : l’une pour les champions qui jouissaient d’une renommée individuelle à Sparte, et au nombre desquels se trouvaient les hommes les plus distingués tués dans la récente bataille, tels que Poseidonios, Amompharetos, le capitaine rebelle, Philokyon et Kallikratês ; — une seconde pour les autres Spartiates et pour les Lacédæmoniens[25], et une troisième pour les ilotes. Outre ces monuments funéraires, érigés dans le voisinage de Platée par les villes dont les citoyens avaient péri, on pouvait voir du temps d’Hérodote plusieurs monuments semblables, élevés par d’autres cités qui prétendaient faussement au même honneur, de connivence avec les Platæens et aidés par eux[26]. Le corps de Mardonios fut découvert parmi les morts, et traité avec respect par Pausanias, qui même, dit-on, repoussa avec indignation l’avis que lui donnait un Æginète, de venger sur lui par représaille le traitement ignominieux infligé par Xerxès au cadavre de Léonidas[27]. Le lendemain, le cadavre fut enlevé à la dérobée et enseveli ; on n’a jamais su d’une manière certaine par qui, car il y eut beaucoup de personnes différentes qui, s’en prétendant les auteurs, obtinrent par ce moyen une récompense d’Artyntês, fils de Mardonios. On pouvait encore voir le monument funéraire à l’époque de Pausanias[28]. Le butin fut riche et très varié, — de l’or et de l’argent en dariques, aussi bien qu’en ustensiles et en ornements, des tapis, des armes et des vêtements magnifiques, des chevaux, des chameaux, etc. ; même la magnifique tente de Xerxès, laissée avec Mardonios lors de la retraite du monarque, y était comprise[29]. Par ordre du général Pausanias, les ilotes réunirent tous les articles précieux en un seul endroit pour le partage, non sans dérober un grand nombre des ornements d’or que, dans l’ignorance de la valeur, ils vendirent pour de l’airain, sur le conseil des Æginètes. Après qu’on eut réservé un dixième pour Apollon Delphien, avec d’amples offrandes pour Zeus Olympique et Poseidôn l’Isthmique, aussi bien que pour Pausanias comme général, — le reste du butin fut distribué entre les différents contingents de l’armée en proportion de leur nombre respectif[30]. Les concubines des chefs persans furent au nombre des prix distribués ; toutefois il y en avait probablement parmi elles plus d’une, de naissance grecque, qui fut rendue à sa famille, et l’une, en particulier, atteinte dans son chariot au milieu des Perses en fuite, avec des riches joyaux et une suite nombreuse, se jeta aux pieds de Pausanias lui-même, implorant sa protection. On reconnut qu’elle était la fille de son ami personnel Hegetoridês de Kos et qu’elle avait été enlevée par le Perse Pharantàdês ; et le général eut la satisfaction de la rendre à son père[31]. Quelque considérable que fût le butin qui fut réuni, il resta encore enseveli dans le sol de précieux trésors, que les habitants de Platée découvrirent plus tard et s’approprièrent. Les vainqueurs réels à la bataille de Platée furent les Lacédæmoniens, les Athéniens, les Tégéens. Les Corinthiens et autres, formant une partie de l’armée opposée à Mardonios, n’arrivèrent sur le champ de bataille que quand le combat était terminé, bien que, sans doute, ils concourussent tant à l’attaque du camp fortifié qu’aux opérations subséquentes contre Thèbes, et fussent reconnus universellement, dans les inscriptions et lés panégyriques, parmi les champions qui avaient contribué à la délivrance de la Grèce[32]. Ce fut seulement après la prise du camp persan que les contingents d’Elis et de Mantineia, qui ont pu faire partie des convois que la cavalerie persane empêchait de descendre des défilés du Kithærôn, arrivèrent pour la première fois sur le théâtre de l’action. Mortifiés d’avoir perdu leur part dans le glorieux exploit, les nouveaux venus furent d’abord impatients de se mettre à la poursuite d’Artabazos ; mais le commandant lacédæmonien le leur défendit, et ils retournèrent chez eux sans autre consolation que celle de bannir leurs généraux pour ne pas les avoir conduits plus promptement[33]. Il restait encore l’allié le plus puissant de Mardonios, — la cité de Thèbes : Pausanias la somma onze jours après la bataille, demandant que les chefs mêdisant lui fussent livrés, surtout Timêgenidas et Attaginos. Voyant sa demande repoussée, il commença à battre les murs en brèche, et à adopter la mesure encore plus efficace de dévaster leur territoire, en faisant savoir aux Thêbains que l’oeuvre de destruction continuerait jusqu’à ce que ces chefs fussent livrés. Après vingt jours de peines et de résistance, les chefs finirent par faire la proposition suivante : dans le cas où Pausanias réclamerait péremptoirement leurs personnes et ne voudrait pas accepter une somme d’argent en échange, ils se livreraient volontairement comme le prix de la délivrance de leur pays. En conséquence, on entama une négociation avec Pausanias, et les personnes demandées lui furent remises, à l’exception d’Attaginos, qui trouva moyen de s’échapper au dernier moment. Ses fils, qu’il laissa derrière lui, furent livrés à sa place ; mais Pausanias refusa d’y toucher, avec la juste remarque, qui dans ces temps était même généreuse[34], qu’ils n’étaient impliqués nullement dans le mêdisme de leur père. Timêgenidas et les autres prisonniers furent amenés à Corinthe et immédiatement mis à mort, sans la moindre discussion ni forme de procès : Pausanias craignait que si l’on accordait quelque délai ou quelque délibération, leurs richesses et celles de leurs amis ne parvinssent à acheter des voix pour leur acquittement ; — dans le fait, les prisonniers eux-mêmes avaient été amenés à se livrer en partie dans cette perspective[35]. Il est à remarquer que Pausanias lui-même, quelques années après seulement, quand il fut condamné pour trahison, revint et se livra à Sparte avec lé même espoir de pouvoir se racheter à prix d’argent[36]. En réalité, son espérance se trouva déçue, comme l’avait été auparavant celle de Timêgenidas ; mais le fait n’en mérite pas moins d’être signalé, comme indiquant l’impression générale, que les hommes principaux d’une cité grecque étaient ordinairement accessibles aux présents dans les affaires judiciaires, et que les individus supérieurs à cette tentation étaient de rares exceptions. J’aurai l’occasion d’insister sur ce peu de confiance reconnue que méritaient les principaux Grecs, quand j’en viendrai à expliquer le caractère extrêmement populaire de la justice athénienne. Y eut-il un vote positif rendu parmi les Grecs relativement au prix de la valeur à la bataille de Platée ? On peut bien en douter, et le silence d’Hérodote va jusqu’à démentir un renseignement important de Plutarque, que les Athéniens et les Lacédæmoniens furent sur le point d’en venir à une rupture ouverte, chacun d’eux se croyant des droits au prix, — qu’Aristeidês apaisa les Athéniens et les détermina à se soumettre à la décision générale des alliés, — et que les chefs mégariens et corinthiens s’arrangèrent pour éviter l’écueil dangereux en accordant le prix aux Platæens, proposition à laquelle accédèrent Aristeidês et Pausanias[37]. Mais il paraît que l’opinion générale reconnaissait les Lacédæmoniens et Pausanias comme les plus braves parmi les braves, en voyant qu’ils avaient vaincu les meilleures troupes de l’ennemi et tué le général. En ensevelissant leurs guerriers morts, les Lacédæmoniens signalèrent pour une distinction particulière Philokyon, Poseidonios et Amompharetos le lochagos, dont la conduite dans le combat rachetait sa désobéissance aux ordres. Toutefois, il y avait un Spartiate qui les avait surpassés tous, — Aristodêmos, le seul survivant de la troupe -de Léonidas aux Thermopylæ. N’ayant toujours depuis reçu que du mépris et des insultes de la part de ses concitoyens, cet homme infortuné avait pris la vie en dégoût, et à Platée il s’avança seul de sa place dans les rangs, accomplissant des actes de la valeur la plus héroïque et déterminé à regagner par sa mort l’estime de ses compatriotes. Mais les Spartiates refusèrent de lui accorder les mêmes honneurs funéraires que ceux que l’on rendait aux autres guerriers distingués qui avaient manifesté une hardiesse et une habileté exemplaires, toutefois sans témérité désespérée et sans tache antérieure telle qu’elle eût rendu la vie un fardeau pour eux. Une va-leur subséquente pouvait être acceptée comme effaçant cette tache, mais elle ne pouvait suffire pour élever Aristodêmos au niveau des citoyens les plus honorés[38]. Bien que nous ne puissions croire l’assertion de
Plutarque, que les Platæens reçurent en vertu d’un vote général le prix de la
valeur, il est certain qu’ils furent largement honorés et récompensés, comme
étant les propriétaires de ce terrain sur lequel s’était accomplie la
délivrance de Mais l’engagement des alliés paraît avoir eu encore d’autres objets plus considérables que celui de protéger Platée ou d’établir des cérémonies commémoratives. La ligne défensive contre les Perses fut de nouveau jurée par eux tous, et rendue permanente. Une armée collective de 10.000 hoplites ; de 1.000 hommes de cavalerie et de 100 trirèmes, en vue de faire la guerre, fut convenue et promise, le contingent de chaque allié étant spécifié. De plus, on désigna la ville de Platée comme lieu annuel d’assemblée où devaient se réunir chaque année des députés de tous les alliés[41]. Cette résolution fut adoptée, dit-on, sur la proposition d’Aristeidês,
dont il n’est pas difficile de reconnaître les motifs. Bien que l’armée
persane eût essuyé une défaite signalée, personne ne savait à quelle époque elle
pourrait de nouveau être rassemblée ou renforcée. En effet, même plus tard,
après que la défaite de Mykale eût été connue, une nouvelle invasion des
Perses était encore regardée comme non improbable[42] ; et personne ne
prévoyait alors cette fortune et cette activité extraordinaires à l’aide
desquelles les Athéniens organisèrent plus tard urge alliance capable de
réduire les Perses à Le même jour que Pausanias et l’armée de terre des Grecs triomphaient à Platée, l’armement naval, sous Léotychidês et Xanthippos, était engagé dans des opérations à peine moins importantes à Mykale, sur la côte asiatique. Les commandants grecs de la flotte (où l’on comptait cent dix trirèmes), s’étant avancés aussi loin que Dêlos, craignirent de pousser plus à l’est, ou d’entreprendre des opérations offensives contre les Perses à Samos, pour délivrer l’Iônia, — bien que des envoyés ioniens, particulièrement de Chios et de Samos, eussent sollicité avec instance du secours tant à Sparte qu’à Dêlos. Trois Samiens, dont l’un se nommait Hegesistratos, vinrent assurer Léotychidês que leurs compatriotes étaient prêts à se révolter contre le despote Theomêstor, que les Perses y avaient installé, aussitôt que la flotte grecque paraîtrait à la hauteur de l’île. Malgré d’expressifs appels à la communauté de religion et de race, Léotychidês fut longtemps sourd à la prière ; mais sa résistance céda graduellement devant les pressantes instances de l’orateur. Il n’était pas encore complètement déterminé, quand il demanda par hasard au Samien quel était son nom. A cette question, ce dernier répondit : Hegesistratos, i. e., chef d’armée. J’accepte Hegesistratos comme présage (répliqua Léotychidês, frappé du sens du mot), engage nous ta foi de nous accompagner, — que tes compagnons préparent les Samiens à nous recevoir, et nous irons sur-le-champ. On échangea aussitôt des engagements, et tandis que les deux autres députés furent envoyés en avant pour disposer les affaires dans l’île, Hegesistratos resta pour conduire la flotte, qui fut, en outre, encouragée par des’ sacrifices favorables et par les assurances du prophète Deïphonos, pris à gages dans la colonie corinthienne d’Apollonia[44]. Quand ils atteignirent le Heræon, prés de Kalami, dans Samos[45], et qu’ils se furent préparés à un engagement naval, ils découvrirent que la flotte ennemie s’était déjà retirée de l’île pour se rendre au continent voisin. Car les commandants perses avaient été si découragés par la défaite de Salamis qu’ils n’étaient pas disposés à combattre de nouveau sur mer : nous ne connaissons pas le nombre de leurs vaisseaux, mais il se peut qu’une partie considérable de cette flotte consistât en Grecs ioniens, dont la fidélité était alors très douteuse. Ayant abandonné l’idée d’un combat naval, ils permirent à leur escadre phénicienne de partir, et firent voile avec le reste de leur flotte vers le promontoire de Mykale, près de Milêtos[46]. Là ils étaient sous la protection d’une armée de terre de soixante mille hommes, commandée par Tigranês, — la principale espérance de Xerxès pour la défense de l’Iônia. On tira les vaisseaux sur le rivage, et on éleva pour les protéger un rempart de pierres et de pieux, tandis que l’armée de défense borda la côte et parut bien suffisante pour repousser une attaque du côté de la mer[47]. Il ne se passa pas longtemps avant que la flotte grecque arrivât. Désappointés dans leur intention de combattre par la fuite de l’ennemi qui avait abandonné Samos, les chefs avaient d’abord proposé soit de retourner chez eux, soit de se détourner pour se rendre à l’Hellespont ; mais enfin ils furent persuadés par les envoyés ioniens de poursuivre la flotte ennemie et d’offrir de nouveau bataille à Mykale. En atteignant ce point, ils s’aperçurent que les Perses avaient abandonné la mer, dans l’intention de combattre seulement sur terre. Les Grecs étaient devenus alors si hardis, qu’ils osèrent débarquer et attaquer l’armée de terre et l’armée navale combinées qu’ils avaient devant eux. Mais comme une grande partie de leurs chances de succès dépendait de la désertion des Ioniens, la première démarche de Léotychidês fut de copier la manœuvre employée antérieurement par Themistoklês, lors de la retraite d’Artémision, aux aiguades de l’Eubœa. Faisant voile tout prés de la côte, il adressa, au moyen d’un héraut à la voix retentissante, des appels véhéments aux Ioniens au milieu de l’ennemi pour les engager à la révolte ; il comptait que, même s’ils ne l’écoutaient pas, il les rendrait du moins suspects aux Perses. Ensuite il débarqua ses troupes et les rangea, dans le dessein d’attaquer par terre le camp des Perses ; tandis que les généraux persans, surpris par cette manifestation hardie, et soupçonnant, soit par cette manoeuvre, soit par des preuves antérieures, que les Ioniens étaient en collusion secrète avec le général ennemi, firent désarmer le contingent samien, et ordonnèrent que les Milésiens se retirassent à l’arrière de l’armée, afin d’occuper les diverses routes dans la montagne menant au sommet de Mykale, — avec lesquelles ces derniers étaient familiers, vu qu’elles faisaient partie de leur propre territoire[48]. Servant, comme le faisaient ces Grecs de la flotte, loin de leurs foyers, et ayant laissé une puissante armée de Perses et de Grecs sous Mardonios en Bœôtia, ils avaient naturellement la plus grande crainte que ses armes ne fussent victorieuses et ne détruisissent la liberté de leur pays. Ce fut dans ces sentiments de sollicitude pour leurs frères absents qu’ils débarquèrent et se préparèrent à l’attaque de l’après-midi. Mais c’était l’après-midi d’un jour à jamais mémorable, le quatrième du mois boëdromion (à peu près notre septembre), 479 avant J.-C. Par une remarquable coïncidence, la victoire de Platée, en Bœôtia, avait été gagnée par Pausanias ce matin même. Au moment où les Grecs avançaient pour charger, une Phêmê, ou messagère divine, vola dans le camp. Pendant qu’on voyait flotter un caducée de héraut, poussé au rivage par la vague occidentale, symbole de la transmission électrique à travers la mer Ægée, — la révélation soudaine, simultanée, irrésistible, frappa immédiatement les esprits de tous, comme si la multitude n’avait qu’une seule âme et un seul sentiment communs ; elle leur apprit que, le matin même, leurs compatriotes, en Bœôtia, avaient remporté sur Mardonios une victoire complète. Aussitôt l’anxiété antérieure fut dissipée, et toute l’armée, pleine de joie et de confiance, chargea avec un redoublement d’énergie. Tel est le récit fait par Hérodote[49], et sans doute universellement admis de son temps, quand les combattants de Mykale vivaient pour conter leur propre histoire. De plus, il mentionne une autre de ces coïncidences que l’esprit grec saisissait toujours avec tant d’avidité : il y avait une chapelle de Dêmêtêr éleusienne, tout près du champ de bataille à Mykale, aussi bien qu’à Platée. Diodore et d’autres auteurs plus récents[50], qui écriraient alors que les impressions du moment s’étaient effacées, et qu’on admettait moins facilement et moins littéralement les interventions divines, considèrent toute la chose comme si c’était une nouvelle mise à dessein en circulation par les généraux en vue d’encourager leur armée. Les Lacédæmoniens, à l’aile droite, et la partie de l’armée qui était à leur côté avaient devant eux un sentier difficile, traversant un terrain montueux et un ravin : tandis que les Athéniens, les Corinthiens, les Sikyoniens et les Trœzéniens, et la gauche de l’armée, marchant, seulement le long de la plage, entrèrent beaucoup plus tôt en lutte avec l’ennemi. Les Perses, comme à Platée, employèrent leurs gerrha ou boucliers d’osier, plantés dans le sol au moyen de piques, comme parapet, et de derrière ils déchargeaient leurs flèches ; ils firent une vigoureuse résistance pour empêcher que ce rempart ne fût renversé. Finalement, les Grecs réussirent à le démolir ; ils refoulèrent l’ennemi dans l’intérieur de la fortification, où il s’efforça en vain de se maintenir contre l’ardeur de ceux qui le poursuivaient et qui s’ouvrirent un chemin presque avec les défenseurs. Même quand ce dernier boulevard fut emporté, et que les alliés persans eurent fui, les Perses indigènes continuèrent la lutte avec une bravoure encore entière. Sans expérience de la ligne et de la manoeuvre et n’agissant qu’en petites troupes[51], avec les désavantages de l’armure tels qu’on les avait cruellement sentis à Platée, ils soutinrent une lutte inégale avec les hoplites grecs, et ce ne fut que quand les Lacédæmoniens avec l’autre moitié de l’armée arrivèrent pour se réunir à l’attaque, qu’ils renoncèrent à la défense comme désespérée. La révolte des Ioniens dans le camp donna le dernier coup à cette défaite ruineuse. D’abord les Samiens désarmés, ensuite d’autres Ioniens et Æoliens, enfin les Milésiens, qui avaient été postés pour garder les défilés sur les derrières, — non seulement désertèrent, mais encore prirent une part active à l’attaque. Les Milésiens particulièrement, auxquels les Perses avaient confié le soin de les conduire sur les hauteurs de Mykale, les menèrent par de fausses routes, les jetèrent dans les mains de ceux qui les poursuivaient, et finirent par les assaillir eux-mêmes. Un nombre considérable de Persans indigènes, avec les deux généraux de l’armée de terre, Tigranês et Mardontês, périrent dans cette désastreuse bataille : les deux amiraux persans, Artayntês et Itamithrês, échappèrent, mais l’armée fut dispersée sans retour, tandis que tous les vaisseaux qui avaient été tirés sur le rivage tombèrent entre les mains des assaillants, et furent brûlés. Matis la victoire des Grecs ne fut pas remportée sans une grande effusion de sang. A l’aile gauche, sur laquelle était tombé le fort de l’action, un nombre considérable d’hommes furent tués, particulièrement des Sikyoniens, avec leur commandant Perilaos[52]. Les honneurs de la bataille furent décernés, d’abord aux Athéniens, ensuite aux Corinthiens, aux Sikyoniens et aux Trœzéniens, les Lacédæmoniens ayant fait relativement peu de chose. Hermolykos l’Athénien, célèbre pancratiaste, fut le guerrier le plus distingué pour des faits d’armes individuels[53]. L’armée persane dispersée, la partie du moins qui avait d’abord trouvé abri sur les hauteurs de Mykale, fut emmenée de la côte sur-le-champ et dirigée sur Sardes, sous le commandement d’Artayntês, auquel Masystês, le frère de Xerxès, fit d’amers reproches pour cause de lâcheté dans la récente défaite. Le général fut enfin rendu si furieux par une répétition de ces insultes, qu’il tira son cimeterre et aurait tué Masystês, s’il n’en avait été empêché par un Grec d’Halikarnassos nommé Xenagoras[54], que Xerxès récompensa en lui donnant le gouvernement de Kilikia. Xerxès était encore à Sardes, olé il était toujours resté depuis son retour, et où il s’éprit de l’épouse de son frère Masystês. Les conséquences de sa passion léguèrent à cette femme infortunée des souffrances trop tragiques pour être décrites, infligées par ordre de sa propre reine, la jalouse et sauvage Amêstris[55]. Mais il n’avait pas d’autre armée prête à être envoyée à la côte, de sorte que les cités grecques, même sur le continent, furent pour le moment délivrées de fait de la suprématie des Perses, tandis que les Grecs insulaires étaient dans un état de sécurité plus grande encore. Les commandants de la flotte grecque victorieuse, ayant pleine confiance dans leur pouvoir de défendre les îles, admirent volontiers les Samiens, les Lesbiens, les habitants de Chio et les autres insulaires, jusque-là sujets de la Perse, à la protection et aux engagements réciproques de leur alliance. Nous pouvons présumer que les despotes Strattis et Theomêstor furent chassés de Chios et de Samos[56]. Mais les commandants péloponnésiens hésitèrent à garantir la même autonomie assurée aux cités continentales, que l’on ne pouvait soutenir contre la grande puissance de l’intérieur sans des efforts incessants aussi bien que ruineux. Néanmoins, ne supportant pas l’idée d’abandonner ces Ioniens continentaux à la merci de Xerxès, ils firent l’offre de les transporter dans la Grèce européenne et de leur faire place en chassant les Grecs médisant de leurs ports maritimes. Mais cette proposition fut aussitôt rejetée par les Athéniens, qui rie permettaient pas que des colonies établies dans l’origine par eux-mêmes fussent abandonnées, ce qui porterait atteinte à la dignité d’Athènes comme métropole[57]. Les Lacédæmoniens s’empressèrent de se rendre à cette objection et furent contents, selon toute probabilité, de trouver des raisons honorables pour renoncer à un projet de dépossession en masse éminemment difficile à exécuter[58], — d’être toutefois en même temps délivrés d’obligations onéreuses à l’égard des Ioniens, et de charger Athènes soit de les défendre, soit de la honte de les abandonner. Ainsi fut prise la première mesure, que nous verrons bientôt suivie d’autres, qui devait donner à Athènes un ascendant séparé et des devoirs séparés à l’égard des Grecs asiatiques, et introduire d’abord la confédération de Dêlos, — puis l’empire maritime athénien. De la côte de l’Iônia, la flotte grecque fit voile vers le
nord de l’Hellespont, surtout à la prière des Athéniens, et dans le dessein de
détruire le pont de Xerxès. Car les renseignements des Grecs étaient si
imparfaits qu’ils croyaient ce pont encore solide et en état passable (en septembre 479 avant
J.-C.) bien qu’il eût été détruit et rendu inutile à l’époque où
Xerxès franchit le détroit dans sa retraite, dix mois auparavant (vers novembre 480 av.
J.-C.)[59].
Informés, à leur arrivée à Abydos, de la destruction de ce pont, Léotychidês
et les Péloponnésiens retournèrent chez eux sur-le-champ ; mais Xanthippos,
avec l’escadre athénienne, résolut de rester et de chasser les Perses de la
Chersonèse de Thrace. Cette péninsule avait été en grande partie une
possession athénienne pendant l’espace de plus de quarante ans, depuis l’établissement
primitif du premier Miltiadês[60] jusqu’à la
répression de la, révolte ionienne, bien que pendant une partie de ce temps
elle eût été tributaire de Les habitants grecs de la Chersonèse se joignirent avec empressement aux Athéniens pour chasser les Perses qui, pris complètement à l’improviste, avaient été forcés de se jeter dans Sestos sans fonds de provisions ni moyens de se défendre longtemps. Mais de tous les habitants de la Chersonèse, les plus ardents et les plus exaspérés furent ceux d’Elæos, — la ville la plus méridionale de la péninsule, célèbre par son tombeau, son temple et son bois sacré du héros Protesilaos, qui figurait dans la légende troyenne comme le guerrier de l’armée d’Agamemnôn le plus empressé de s’élancer sur le rivage, et comme la première victime de la lance d’Hectôr. Le temple de Protesilaos, placé en vue sur le rivage de la mer[64], était un théâtre de culte et un but de pèlerinage non seulement pour les habitants d’Æleos, mais encore pour les Grecs voisins en général, au point qu’il avait été enrichi d’abondantes offrandes votives et probablement de dépôts placés comme en un lieu sûr, — argent, coupes d’argent et d’or, objets d’airain, robes et divers autres présents. Le bruit courait que, quand Xerxès franchissait l’Hellespont pour se rendre en Grèce, Artayktês, avide de toutes ces richesses et sachant que le monarque ne permettrait pas sciemment que le sanctuaire fût dépouillé, lui présenta une requête artificieuse : Maître, il y a ici la maison d’un Grec qui, en envahissant ton territoire, a trouvé sa juste récompense et a péri : donne-moi, je te prie, sa maison, afin que l’on apprenne dans l’avenir à ne pas envahir ta terre, — tout le sol de l’Asie étant regardé par les monarques persans comme leur possession légitime, et Protesilaos ayant été dans ce sens leur agresseur. Xerxès interpréta la requête littéralement, et, sans songer à demander qui était l’envahisseur, il consentit ; alors Artayktês, pendant que l’armée était engagée dans sa marche vers la Grèce, dépouilla le bois sacré de Protesilaos et emporta tous les trésors à Sestos. Il ne fut pas content qu’il n’eut outragé encore plus le sentiment grec : il fit entrer du bétail dans le bois, le laboura et l’ensemença, et profana même, dit-on, le sanctuaire en, le visitant avec ses concubines[65]. De tels actes étaient plus que suffisants pour soulever la plus forte antipathie contre lui parmi les Grecs de la Chersonèse, qui arrivèrent alors en foule pour renforcer les Athéniens et le bloquèrent dans Sestos. Après un siège d’une certaine longueur, le fonds de provisions de la ville vint à manquer, et la famine commença à se faire sentir parmi la garnison qui néanmoins tint encore, au prix d’expédients et de souffrances pénibles, jusqu’à une époque avancée de l’automne, où la patience même des assiégeants athéniens était tout près d’être épuisée. Ce fut avec difficulté que les chefs réprimèrent le désir de retourner à Athènes qui se manifesta dans leur camp avec des cris. L’impatience ayant été apaisée, et les marins retenus ensemble, le siège fut poussé sans relâche, et les privations de la garnison ne tardèrent pas à devenir intolérables ; de sorte qu’Artayktês et Œobazos furent à la fin réduits à la nécessité de se faire descendre avec un petit nombre de compagnons d’un point du mur qui était imparfaitement bloqué. Œobazos arriva jusqu’en Thrace, où cependant il fut pris par les indigènes Absinthiens et offert en sacrifice à leur dieu Pleistôros. Artayktês s’enfuit vers le nord, le long des rivages de l’Hellespont ; mais il fut poursuivi par les Grecs, et fait prisonnier près d’Ægospotami, après une vigoureuse résistance. Il fut amené chargé de chaînes avec son fils à Sestos qui, immédiatement après son départ, avait été livrée avec empressement par ses habitants aux Athéniens. Ce fut en vain qu’il offrit une somme de cent talents comme compensation au trésor de Protesilaos, et une autre somme de deux cents talents aux Athéniens comme rançon personnelle pour lui-même et son fils. Si profonde, était la colère inspirée par ses insultes faites au terrain sacré que le commandant athénien Xanthippos et les citoyens d’Elæos dédaignèrent tout ce qui n’était pas une expiation personnelle, sévère et même cruelle pour l’outrage fait à Protesilaos. Artayktês, après avoir vu d’abord son fils lapidé sous ses yeux, fut suspendu à une planche élevée, dressée dans ce dessein, et laissé jusqu’à ce que mort s’ensuivît à l’endroit où avait été établi le pont de Xerxès[66]. Il y a dans cette conduite quelque chose d’un caractère plutôt oriental que grec : il n’est pas dans la nature grecque d’aggraver la mort par des préliminaires artificiels et prolongés. Après la prise de Sestos, la flotte athénienne retourna chez elle avec son butin, vers le commencement de l’hiver, sans omettre d’emporter les vastes câbles du pont de Xerxès, qu’on avait pris dans la ville, comme trophée pour orner l’acropolis d’Athènes[67]. |
[1] Hérodote, IX, 52.
[2] Hérodote, IX, 56.
Avec ceci nous devons combiner un autre passage, c. 59, donnant à entendre que la route des Athéniens les amenait à tourner les collines et à aller derrière elles, ce qui empêchait Mardonios de les voir, bien qu’ils marchassent le long de la plaine.
[3] Il y a sur ce point une différence entre Thucydide et Hérodote : le premier affirme qu’il n’y eut jamais de lochos spartiate appelé ainsi (Thucydide, I, 21).
Nous n’avons aucun moyen de concilier la différence, et nous ne pouvons pas non plus être certain que Thucydide ait raison dans sa négative comprenant tout le temps passé.
[4] Hérodote, IX, 53, 54.
[5] Hérodote, IX, 52, 53.
[6] Hérodote, IX, 54.
[7] Hérodote, IX, 56, 57.
[8] Hérodote, IX, 59.
Hérodote insiste particulièrement sur la manière insouciante et désordonnée dont les Perses avançaient : Plutarque, au contraire, dit de Mardonios — έχων συντεταγμένην τήν δύναμιν έπεφέρετο τοϊς Λακεδαιμοίνοις, etc. (Plutarque, Aristeidês, c. 17.)
Plutarque aussi dit que Pausanias ήγε τήν άλλην δύναμιν πρός Πλαταιάς, etc., ce qui est tout à fait contraire au récit réel d’Hérodote. Pausanias avait l’intention de se rendre à l’Ile, et non à Platée : il ne parvint ni à l’une ni à l’autre.
[9] Hérodote, IX, 60, 61.
[10] Sur l’arc persan, V. Xénophon, Anabase, III, 4, 17.
[11] Hérodote, IX, 72.
[12] Hérodote, IX, 62. Plutarque exagère la longanimité de Pausanias (Aristot., c. 17, ad finem).
Le site élevé et remarquable de l’Heræon, visible à Pausanias à la distance où il était, est clairement marqué dans Hérodote (IX, 61).
Pour des incidents qui expliquent les maux endurés par une armée grecque par suite de sa répugnance à se mettre en mouvement sans sacrifices favorables, V. Xénophon, Anabase, VI, 4, 10-25 ; Helléniques, III, 2, 17.
[13] Hérodote, IX, 62, 63. Ce qu’il dit du courage des Perses est remarquable. Comparez la conversation frappante entre Xerxês et Demaratos (Hérodote, VII, 104).
La description que fait Hérodote de l’élan courageux de ces Perses mal armés qui se précipitèrent sur la ligne de lances que leur présentaient les rangs lacédæmoniens, peut être comparée à Tite-Live (XXXII,17), — description des Romains attaquant la phalange macédonienne, — et avec la bataille de Sempach (juin 1386), dans laquelle mille quatre cents Suisses mal armés vainquirent un corps considérable d’Autrichiens armés complétement, avec un front impénétrable de lances en arrêt, dans :lequel pendant quelque temps ils ne purent faire brèche, jusqu’à ce qu’enfin un de leurs guerriers, Arnold von Winkelried, saisît une brassée de lances, et se précipitant sur elles, fit un passage à ses compatriotes sur son cadavre. V. Vogelin, Geschichte der Schweizerischen Eidgenossenschaft, ch. 6, 240, ou à vrai dire toute histoire de Suisse, pour une description de ce mémorable incident.
[14] Pour les armes des Perses, voir Hérodote, VII, 61.
Hérodote dit dans un autre endroit que les troupes persanes adoptèrent les cuirasses égyptiennes. Cela a pu se faire probablement après la bataille de Platée. Même à cette bataille, les chefs Persans à cheval avaient une forte armure défensive, comme nous pouvons le voir par le cas de Masistios, raconté précédemment : à l’époque de la bataille de Kunaxa, l’usage s’était répandu plus largement (Xénophon, Anabase, I, 8, 6 ; Brisson, De Regno Persarum, lib. Ill, p. 361), pour la cavalerie du moins.
[15] Hérodote, IX, 64, 65.
[16] Hérodote, IX, 67, 68.
[17] Hérodote, IX, 67, 68.
[18] Hérodote, Il, 66.
[19] Hérodote, IX, 69.
[20] Hérodote, IX, 70 ; Démosthène, cont. Timokratês, p. 741, c, 33. Pausanias (I, 27, 2) doute que ce fût réellement le cimeterre de Mardonios, prétendant que les Lacédæmoniens n’auraient jamais permis aux Athéniens de le prendre.
[21] Hérodote, IX, 70. Comparez Æschyle, Persæ, 805-824. Il signale la lance dôrienne comme la grande arme de destruction pour les Perses à Platée, avec beaucoup de raison. Le Dr Blomfield est surpris de ce compliment ; mais il faut se rappeler que toute la première partie de la tragédie a été employée à faire ressortir la gloire d’Athènes à Salamis, et qu’il pouvait bien rendre aux Péloponnésiens l’honneur qu’ils méritaient à Platée. Pindare le répartit entre Sparte et Athènes également (Pyth., I, 76).
[22] Plutarque, Aristeidês, ch. 19. Kleidemos, cité par Plutarque, disait que les cinquante-deux Athéniens qui périrent appartenaient tous à la tribu Æantis, qui se distingua dans les rangs athéniens. Mais il semble impossible de croire qu’aucun citoyen appartenant aux neuf autres tribus n’ait été tué.
[23] Diodore, il est vrai, dit que Pausanias craignait tant le nombre des Perses qu’il défendit a ses soldats d’accorder grâce ou de faire des prisonniers (XI, 32) ; mais c’est difficile à croire, malgré son assertion. On peut admettre moins encore ce qu’il avance, quand il dit que les Grecs perdirent dix mille hommes.
[24] Hérodote, IX, 89. Les allusions que fait Démosthène à Perdikkas, roi de Macédoine, qui, dit-on, attaqua les Perses quand ils s’enfuirent de Platée, et rendit leur ruine complète, sont trop vagues pour mériter attention, d’autant plus que Perdikkas n’était pas alors roi de Macédoine (Démosthène, cont. Aristokratês, p. 687, c. 51 ; et Περί Συντάξεως, p. 173, c. 9).
[25] Hérodote, IX, 84. Hérodote, dans le fait, assigne la seconde sépulture seulement aux autres Spartiates, séparément des hommes d’élite. Il ne mentionne les Lacédæmoniens non spartiates, ni dans la bataille, ni par rapport aux obsèques, bien qu’il nous eût appris que cinq mille d’entre eux étaient compris dans l’armée. Quelques-uns doivent avoir été tués, et nous pouvons bien présumer qu’ils furent ensevelis avec les citoyens spartiates en général. Quant au mot ίρέας, ou εϊρενας, ou ίππέας (les deux derniers étant tous les deux des leçons conjecturales), il semble impossible d’arriver à aucune certitude. Nous ne savons pas de quel nom on appelait ces guerriers d’élite.
[26] Hérodote, IX, 85.
C’est un curieux renseignement que sans doute Hérodote dut à des recherches personnelles faites à Platée.
[27] Hérodote, IX, 78, 78. Cette suggestion, si contraire au sentiment grec, est mise par l’historien dans la bouche de l’Æginète Lampôn. Dans ma, note précédente, j’ai cité un autre renseignement fourni par Hérodote, assez peu honorable pour les Æginètes : il y en a en outre un troisième (IX, 80), dans lequel il les représente comme ayant trompé les ilotes dans leurs achats du butin. Nous pouvons présumer qu’il avait appris toutes ces anecdotes à Platée : à l’époque où probablement il visita cet endroit, peu avant la guerre du Péloponnèse, les habitants étaient unis à Athènes de la manière la plus intime, et sans doute partageaient la haine d’Athènes contre Ægina. Il ne s’ensuit pas que les récits soient tous faux. Je ne crois pas, en effet, l’avis donné, dit-on, par Lampôn, de crucifier le corps de Mardonios, — avis qui a plutôt l’air d’un calcul poétique pour produire un sentiment honorable, que d’un incident réel. Mais il ne semble pas qu’il y ait lieu de douter de la vérité des deux autres histoires. Hérodote ne spécifie que trop rarement ceux de qui il tire ses renseignements : il est intéressant de suivre la piste dans laquelle ses recherches ont été faites.
Après la bataille de Kunaxa et la mort de Cyrus le jeune, son cadavre eut la tête et les mains coupées, par ordre d’Artaxerxés, et clouées à une croix (Xénophon, Anabase, I, 10, 1 ; III, 1, 17).
[28] Hérodote, IX, 84 ; Pausanias, IX, 2, 2.
[29] Hérodote, IX, 80, 81 ; Cf. VII, 41-83.
[30] Diodore (XI, 33) mentionne cette distribution proportionnelle. Hérodote dit seulement — έλαβον έκαστοι τών άξιοι ήσαν (IX, 81).
[31] Hérodote, IX, 76, 80, 81, 82. Le sort de ces femmes, compagnes des grands de Perse, lors de la prise du camp par un ennemi, présente un triste tableau ici aussi bien qu’à Issus, et même à Kunaxa. V. Diodore, XVII, 35 ; Quinte-Curce, III, 11, 21 ; Xénophon, Anabase, I, 10, 2.
[32] Plutarque (De Malign. Herodot., p. 873 ; cf. Aristeidês, c. 19) blâme sévèrement Hérodote pour dire qu’aucun des Grecs n’avait pris aucune part à la bataille de Platée, excepté les Lacédœmoniens, les Tégéens et les Athéniens. L’orateur Lysias répète la même chose (Orat. Funeb., c. 9). Si cela était vrai (demande Plutarque), d’où vient que les inscriptions et les poésies du temps reconnaissent l’exploit comme accompli par toute l’armée grecque, Corinthiens et autres compris ? Mais ces inscriptions ne contredisent pas réellement ce qui est affirmé par Hérodote. La bataille réelle ne fut livrée que par une partie de l’armée grecque collective ; mais ce fut dans une grande mesure l’effet d’un hasard. Les autres étaient à un peu plus d’un mille de distance, et n’avaient que pendant un petit nombre d’heures occupé une partie de la même ligne continue de position. De plus, si la bataille avait duré un peu plus longtemps, ils seraient venus à temps pour prêter un secours réel. Aussi étaient-ils naturellement considérés comme ayant droit à partager la gloire du résultat entier.
Toutefois, quand dans la suite un étranger visitait Platée et voyait les tombeaux lacédæmoniens, tégéens et athéniens, mais pas une tombe de Corinthiens, ni d’Æginètes, etc., il demandait naturellement comment il se faisait qu’aucun de ces derniers ne fût tombé dans la bataille, et il apprenait alors qu’ils n’y assistaient pas en réalité. De là le motif pour ces cités d’ériger des cénotaphes à l’endroit, comme Hérodote nous apprend que plus tard elles le firent ou le firent faire par des Platæens individuellement.
[33] Hérodote, IX, 77.
[34] Voir, un peu plus haut dans ce chapitre, le traitement de l’épouse et des enfants du sénateur athénien Lykidas (Hérodote, IX, 5). Cf. aussi Hérodote, III, 116 ; IX, 120.
[35] Hérodote, IX, 87, 88.
[36] Thucydide, I, 131. Cf. VIII, 45, où il dit que les triérarques et les généraux de la flotte lacédæmonienne et de la flotte alliée (tous excepté Hermokratês de Syracuse) reçurent des présents de Tissaphernês, pour trahir les intérêts et de leurs marins et de leur pays ; et c. 49 du même livre, au sujet du général lacédæmonien Astyochos. Les présents reçus par les rois spartiates Léotychidês et Pleistoanax sont consignés (Hérodote, VI, 72 ; Thucydide, II, 21).
[37] Plutarque, Aristeidês, c. 20 ; De Herodot. Malign., p. 873.
[38] Hérodote, IX, 71, 72.
[39] Thucydide, II, 71, 72. C’est ainsi que l’empereur romain Vitellius, en visitant le champ de bataille de Bebriacum, où ses troupes avaient été récemment victorieuses, instaurabat sacrum Diis loci (Tacite, Hist., II, 70).
[40] Thucydide, II, 71 ; Plutarque, Aristeidês, c. 19-21 ; Strabon, IX, p. 412 ; Pausanias, II, 2, 4.
La fête des Eleutheria était célébrée le quatrième jour du mois attique Boëdromion, jour dans lequel la bataille elle-même avait été livrée ; tandis que la décoration annuelle des tombeaux, et les cérémonies en l’honneur des morts s’accomplissaient le 16 du mois attique Mæmaktêrion. K. F. Hermann (Gottesdienstliche Alterthümer der Griechen, ch. 63, note 9) a considéré ces deux célébrations comme si elles n’en faisaient qu’une.
[41] Plutarque, Aristeidês, c. 21.
[42] Thucydide, I, 90.
[43] C’est à cette assemblée générale et solennelle, tenue à Platée après la victoire, que nous pourrions probablement rapporter un autre vœu que mentionnent les historiens et les orateurs du siècle suivant, si ce vœu n’était pas d’une authenticité suspecte. Les Grecs, en promettant un attachement fidèle, et une conduite pacifique continue entre eux, et s’engageant en même temps à frapper d’une dîme les biens de ceux qui avaient mêdisé, firent vœu, dit-on, de ne réparer ni de rebâtir les temples que l’envahisseur persan avait incendiés ; mais de les laisser dans leur état à demi ruiné, comme monument de son sacrilège. Le voyageur Pausanias (IX, 35, 2) vit même à son époque quelques-uns des temples outragés et à demi brûlés près d’Athènes. Periklês, quarante, ans après la bataille, essaya de convoquer une assemblée panhellénique à Athènes, dans le dessein de délibérer sur ce qu’on ferait de ces temples (Plutarque, Periklês, c. 17). Cependant Théopompe déclara que ce prétendu serment était une invention, bien que l’orateur Lykurgue et Diodore prétendent le rapporter mot à mot. Nous pouvons assurer sans crainte que le serment, tel qu’ils le donnent, n’est pas authentique ; mais il se peut que le vœu de dîmer ceux qui s’étaient joints volontairement à Xerxès, vœu qu’Hérodote rapporte à une époque antérieure, lorsque le succès était douteux, ait été alors renouvelé au moment de la victoire : V. Diodore, IX, 29 ; Lykurgue, Cont. Leokrat., c. 19, p. 193 ; Polybe, IX, 33 ; Isocrate, Or. IV ; Panégyrique, c. 41, p. 74 ; Théopompe, Fragm. 167, éd. Didot ; Suidas, v. Δεκατεύειν ; Cicéron, De Rep., III, 9, et le commencement du premier chapitre de ce volume.
[44] Hérodote, IX, 91, 92, 95 ; VIII, 132, 133. Le prophète de Mardonios à Platée se nommait Hegesistratos ; et il n’en était probablement que plus estimé (Hérodote, IX, 37).
Diodore dit que la flotte comprenait deux cent cinquante trirèmes (XI, 34).
On trouvera curieuses et intéressantes les anecdotes relatives à l’apolloniate Euenios, père de Deiphonos (Hérodote, IX, 93, 94). Euenios, comme récompense du traitement injuste que lui avaient infligé ses concitoyens en lui ôtant la vue, avait reçu des dieux le don de prophétie transmissible à ses descendants. Ainsi était créée une nouvelle famille prophétique, à côté des Lamides, des Telliades, des Klytiades, etc.
[45] Hérodote, IX, 96.
Il n’est nullement certain que le Heræon désigné ici soit le temple célèbre qui était près de la ville de Samos (III, 80) : les mots d’Hérodote semblent plutôt indiquer qu’il s’agit d’un autre temple de Hêrê, dans quelque autre partie de l’île.
[46] Hérodote décrit la position des Perses par des indications topographiques connues de ses lecteurs, mais qu’il ne nous est pas facile de déterminer : — Gæson, Skolopoeis, la chapelle de Dêmêtêr, bâtie par Philistos, un des premiers colons de Milêtos, etc. (IX, 96). D’après le langage d’Hérodote, nous pouvons supposer que Gæson était le nom d’une ville aussi bien que d’une rivière. (Éphore, ap. Athenæ. VI, p. 311).
Le promontoire oriental (cap Poseidion) de Samos était séparé de Mykale seulement par sept stades (Strabon, XIV, p. 637), près de l’endroit où se trouvait Glaukê (Thucydide, VIII, 79). — Selon des observateurs modernes, la distance est un peu plus d’un mille (1 kil. 600 mèt.) (Poppo, Proleg. ad Thucydide, vol. II, p. 465).
[47] Hérodote, IX, 96, 97.
[48] Hérodote, II, 98, 99, 104.
[49] Hérodote, IX, 100, 101. Cf. Plutarque, Paul Æmilius, c. 24, 25, sur la bataille de Pydna. — La φήμη qui circula dans l’armée assemblée de Mardonios en Bœôtia, relativement à son intention de tuer les Phokiens, se trouva inexacte (Hérodote, IX, 17).
Deux passages d’Æschine (Cont. Timarch., c. 27, p. 57, et De Fals. Legat., c. 45, p. 290) sont particulièrement importants,
comme servant à expliquer l’ancienne idée de Φήμη
— voix divine ou déesse de la voix, considérée généralement comme instruisant
une multitude de personnes à la fois, ou les mettant toutes en mouvement par un
seul et même sentiment unanime, —
Les descriptions de Fama par Virgile, Énéide, IV, 176 sqq., et d’Ovide, Métamorphoses, XII, 10 sqq., sont plus diffuses et surchargées, s’éloignant de la simplicité de la conception grecque.
Nous pouvons mentionner, comme explications partielles de ce dont il s’agit ici, ces impressions soudaines, inexplicables, de terreur panique, qui par occasion couraient dans les anciennes armées ou multitudes réunies, et que l’on supposait produites par Pan ou par les Nymphes, — dans le fait impressions soudaines, violentes et contagieuses de toute sorte, non simplement de peur. Tite-Live, X, 28 : Victorem equitatum velut lymphaticus terror dissipat. IX, 27 : Milites, incertum ob quam causam, lymphatis similes ad arma discurrunt, en grec νυμφόληπτοι ; cf. Polyen, IV, 3, 26, et une note instructive de Mützel, ad Quintum Curt., IV, 46, I (IV, 12, 14).
Mais je ne puis mieux expliquer cette idée que les Grecs déifiaient sous le nom Φήμη de qu’en transcrivant un passage frappant de l’Histoire de la Révolution française, de M. Michelet. L’explication est d’autant plus instructive que le point de vue religieux, qui dans Hérodote est prédominant, — et qui, pour l’esprit croyant, fournit un commentaire extrêmement satisfaisant, — a disparu dans l’historien du dix-neuvième siècle, et fait place à une description pittoresque du phénomène réel, d’une haute importance dans les affaires humaines à la sensibilité commune, l’inspiration commune et l’impulsion spontanée commune, dans une multitude, effaçant pour le moment l’individualité distincte de chaque homme.
M. Michelet se dispose à décrire cet événement à jamais
mémorable, — la prise de la Bastille, le
Versailles, avec un gouvernement organisé, un roi, des
ministres, un général, une armée, n’était qu’hésitation, doute, incertitude,
dans la plus complète anarchie morale.
Paris, bouleversé, délaissé de toute autorité légale, dans
un désordre apparent, atteignit, le 14 juillet, ce qui moralement est l’ordre
le plus profond, l’unanimité des esprits.
Le 13 juillet, Paris ne songeait qu’à se défendre. Le 14, il
attaqua.
Le 13 au soir, il y avait encore des doutes, il n’y en eut plus le matin. Le soir était plein de troubles, de fureur désordonnée. Le matin fut lumineux et d’une sérénité terrible.
Une idée se leva sur Paris avec le jour, et tous virent la
même lumière. Une lumière dans les esprits et dans chaque coeur une voix : Va,
et tu prendras la Bastille !
Cela était impossible, insensé, étrange à dire... Et tous le crurent néanmoins. Et cela se fit.
La Bastille, pour être une vieille forteresse ; n’en était pas moins imprenable, à moins d’y mettre plusieurs jours et beaucoup d’artillerie. Le peuple n’avait en cette crise ni le temps ni les moyens de faire un siège régulier. L’eût-il fait, la Bastille n’avait pas à craindre, ayant assez de vivres pour attendre un secours si proche, et d’immenses munitions de guerre. Ses murs de dix pieds d’épaisseur au sommet des tours, de trente et quarante à la base, pouvaient rire longtemps des boulets ; et ses batteries, à elle, dont le feu plongeait sur Paris, auraient pu en attendant démolir tout le Marais, tout le faubourg Saint-Antoine.
L’attaque de la Bastille ne fut un acte nullement raisonnable. Ce fut un acte de foi.
Personne ne proposa. Mais tous crurent et tous agirent. Le
long des rues, des quais, des ponts, des boulevards, la foule criait à la foule
: — A la Bastille ! à
Personne, je le répète, ne donna l’impulsion. Les parleurs du Palais-Royal passèrent le temps à dresser une liste de proscription, à juger à mort la reine, la Polignac, Artois, le prévôt Flesselles, d’autres encore. Les noms des vainqueurs de la Bastille n’offrent pas un seul des faiseurs de motions. Le Palais-Royal ne fut pas le point de départ, et ce n’est pas non plus au Palais-Royal que les vainqueurs ramenèrent les dépouilles et les prisonniers.
Encore moins les électeurs qui siégeaient à l’Hôtel de Ville eurent-ils l’idée, de l’attaque. Loin de là, pour l’empêcher, pour prévenir le carnage que la Bastille pouvait faire si aisément, ils allèrent jusqu’à promettre au gouverneur que, s’il retirait ses canons, on ne l’attaquerait pas. Les électeurs ne trahissaient pas, comme ils en furent accusés ; mais ils n’avaient pas la foi.
Qui l’eut ? Celui qui eut aussi le dévouement, la force, pour accomplir sa foi. Qui ? Le peuple, tout le monde.
[50] Diodore, XI, 35 ; Polyen, I, 33. Justin (II, 14) est étonné en rapportant tantam famæ velocitatem.
[51] Hérodote, IX, 102, 103.
[52] Hérodote, IX, 104, 105. Diodore (XI, 36) semble suivre d’autres autorités qu’Hérodote ; son exposé varie dans bien des détails, mais il est moins probable.
Hérodote ne spécifie les pertes d’aucun côté, ni Diodore celles des Grecs ; mais ce dernier dit que quarante mille Perses alliés furent tués.
[53] Hérodote, IX, 105.
[54] Hérodote, IX, 107. Je ne sais si nous pouvons supposer qu’Hérodote ait appris ce fait de son concitoyen Xenagoras.
[55] Hérodote, IX, 108-113. Il rapporte l’histoire dans tous ses détails : elle fait connaître d’une manière frappante et pénible l’intérieur d’un palais royal en Perse.
[56] Hérodote, VIII, 132.
[57] Hérodote, IX, 106 ; Diodore, XI, 37. Ce dernier représente les Ioniens et les Æoliens comme ayant réellement consenti à passer dans la Grèce européenne ; et dans le fait, les Athéniens eux-mêmes comme ayant d’abord consenti, bien que ceux-ci s’en repentissent dans la suite et s’opposassent au projet.
[58] Ces transplantations de populations en masse d’un continent à un autre ont toujours été plus ou moins dans les habitudes des despotes orientaux, des Perses dans l’antiquité, et des Turcs dans des temps plus modernes. Pour une réunion d’États libres comme les Grecs, elles doivent avoir été impraticables.
Voir von Hammer, Geschichte des Osmannischen Reichs, V. I, liv. VI, p. 251, pour les migrations forcées de populations d’Asie en Europe ordonnées par le sultan turc Bajazet (1390-1400 de l’ère chrétienne).
[59] Hérodote, VIII, 115, 117 ; IX, 106,114.
[60] V. tome V, ch. 12 ; tome VI, ch. 3 et 4 de cette Histoire.
[61] Xénophon, Helléniques, I, 5, 17.
[62] Hérodote, VII, 147. Schol. ad Aristophane, Equites, 262.
Pour expliquer l’importance qu’Athènes attachait à commander l’Hellespont, V. Démosthène, De Fals. Legat., c. 59.
[63] Hérodote, IX, 114, 115. — Thucydide, VIII, 62 : cf. Xénophon, Helléniques, II, 1, 25.
[64] Thucydide, VIII, 102.
[65] Hérodote, IX, 116 ; cf. I, 4 et II, 64.
[66] Hérodote, IX, 118, 119, 120.
[67] Hérodote, IX, 121. Ce doit être soit à l’armement grec combiné de cette année, soit à celui de l’année précédente, que Plutarque doit vouloir appliquer sa célèbre histoire relative à la proposition avancée par Themistoklês et condamnée par Aristeidês (Plutarque, Themistoklês, c. 20 ; Aristeidês, c. 22). Il nous dit que la flotte grecque était rassemblée entière pour passer l’hiver dans le port thessalien de Pagasæ, quand Themistoklês forma le projet de brûler tous les autres vaisseaux grecs, excepté ceux des Athéniens, afin qu’aucune ville, si ce n’est Athènes, n’eut d’armée navale. Themistoklês (nous dit-il) donna à entendre au peuple qu’il avait à communiquer une proposition très avantageuse à l’État, mais qu’elle ne pouvait être annoncée ni discutée publiquement ; qu’alors le peuple le pria de la faire connaître en particulier à Aristeidês. Themistoklês le fit ; et Aristeidês dit aux Athéniens que le profit était à la fois éminemment avantageux, et non moins éminemment injuste. A ces mots, le peuple y renonça sur-le-champ, sans demander ce que c’était.
En considérant la grande célébrité qu’a obtenue cette histoire, il était nécessaire d’y faire quelque allusion, bien qu’elle ait cessé d’être admise comme fait historique. Elle est tout à fait incompatible avec le récit d’Hérodote, aussi bien qu’avec toutes les conditions du temps. Pagasæ était Thessalienne, et comme telle, hostile à la flotte grecque plutôt que favorable. La flotte parait n’y avoir jamais été ; de plus, nous pouvons ajouter qu’à prendre les choses telles qu’elles étaient alors, quand la crainte inspirée par la Perse durait encore, les Athéniens auraient perdu plus qu’ils n’auraient gagné à brûler les vaisseaux des autres Grecs, de sorte qu’il n’était pas très vraisemblable que Themistoklês conçût le projet, ni qu’Aristeidês le présentât dans les termes qu’on lui prêté.
L’histoire est probablement l’invention de quelque Grec de l’école platonique qui désirait opposer la justice à l’esprit de ruse, et Aristeidês à Themistoklês, — aussi bien qu’accorder en même temps un éloge à Athènes dans les jours de sa gloire.