HISTOIRE DE LA GRÈCE

SEPTIÈME VOLUME

CHAPITRE II — BATAILLE DE SALAMIS. - RETRAITE DE XERXÊS.

 

 

Le sentiment, à la fois durable et unanime, avec lequel les Grecs des temps postérieurs considérèrent le combat des Thermopylæ, et qu’ils ont communiqué à tous les lecteurs subséquents, c’était celui d’une juste admiration pour le courage et le patriotisme de Léonidas et de sa troupe. Mais, parmi les Grecs contemporains, ce sentiment, bien qu’éprouvé sincèrement sans doute, ne fut nullement prédominant. Il fut surpassé par les émotions plus pressantes de désappointement et de terreur. Les Spartiates et les Péloponnésiens croyaient avec tant de confiance à la possibilité de défendre les Thermopylæ et Artémision, que quand-la nouvelle du désastre leur arriva, pas un soldat n’avait encore été mis en mouvement ; la saison des jeux était passée, niais on n’avait pris aucune mesure active[1]. Cependant l’armée d’invasion de terre et de mer était en marche vers l’Attique et le Péloponnèse qui se trouvaient être sans le moindre préparatif, — et, ce qui était pire encore, sans aucun plan combiné et concerté, — pour défendre le coeur de la Grèce. Les pertes éprouvées par Xerxês aux. Thermopylæ, insignifiantes en proportion de son immense effectif, étaient plus que compensées par les nouveaux auxiliaires grecs qu’il acquérait maintenant. Non seulement les Maliens, les Lokriens et les Dôriens, mais encore la grande masse des Bœôtiens, avec Thèbes, leur capitale, tous, excepté Thespiæ et Platée, se joignirent alors à lui[2]. Demaratos, son compagnon spartiate, se rendit à Thèbes pour renouer un ancien lien d’hospitalité avec le chef oligarchique thébain Attaginos, tandis qu’Alexandre de Macédoine envoya de petites garnisons dans la plupart des villes bœôtiennes[3], aussi bien pour les sauver du pillage que pour s’assurer de leur fidélité. D’autre part, les Thespiens abandonnèrent leur ville et s’enfuirent dans le Péloponnèse, tandis que les Platæens, qui avaient servi à bord des vaisseaux athéniens à Artémision[4], furent débarqués à Chalkis quand la flotte se retirait ; ils devaient se rendre par terre dans leur ville et emmener leurs familles. Ce n’était pas seulement l’armée de terre de Xerxès qui avait été ainsi fortifiée. Sa flotte avait aussi reçu quelques renforts de Karystos en Eubœa, et de plusieurs des Cyclades, — de sorte que les pertes causées par la tempête à Sépias et les combats à Artémision, si elles n’étaient pas comblées complètement, étaient du moins réparées en partie, tandis que la flotte restait encore prodigieusement supérieure en nombre à celle des Grecs[5].

Au commencement de la guerre du Péloponnèse, près de cinquante ans après ces événements, les envoyés corinthiens rappelèrent à Sparte qu’elle avait donné à Xerxès le temps d’arriver de l’extrémité de la terre au seuil du Péloponnèse avant de prendre aucune précaution suffisante contre lui, reproche vrai presque à la lettre[6]. Ce fut seulement quand la nouvelle de la mort de Léonidas les réveilla et les terrifia que les Lacédæmoniens et les autres Péloponnésiens commencèrent à déployer leur force entière. Mais alors il était trop tard pour accomplir la promesse faite à Athènes de prendre position en Bœôtia, de manière à protéger l’Attique. Défendre l’isthme de Corinthe était tout ce à quoi ils songeaient alors, et vraisemblablement tout ce qui alors leur était possible. Ils y coururent avec toute leur population propre à combattre sous la conduite de Kleombrotos, roi de Sparte (frère de Léonidas), et se mirent à faire des fortifications en travers de l’isthme, aussi bien qu’à détruire la route skironienne de Megara à Corinthe, avec tous les signes d’une énergie inquiète. Les Lacédœmoniens, les Arkadiens, les Eleiens, les Corinthiens, les Sikyoniens, les Épidauriens, les Phliasiens, les Trœzéniens et les Hermioniens y furent tous présents en nombre complet ; de nombreuses myriades d’hommes (corps de 10.000 hommes chacun) travaillant et portant des matériaux nuit et jour[7]. Comme défense personnelle contre une attaque par terre, c’était une excellente position : ils la considéraient comme leur dernière chance[8], et abandonnaient tout espoir de résistance heureuse sur mer. Mais ils oubliaient qu’un isthme fortifié n’était pas une protection même pour eux contre la flotte de Xerxès[9], tandis qu’il était évident que non seulement l’Attique, mais encore Megara et Ægina restaient ainsi en dehors. Et ainsi de la perte des Thermopylæ naquit un nouveau péril pour la Grèce : on ne put trouver une autre position qui, comme ce mémorable défilé, comprit et protégeât à la fois toutes les cités séparées. La désunion ainsi produite les mit à deux doigts de leur perte.

Si les causes d’alarme furent grandes pour les Péloponnésiens, la position des Athéniens parut encore plus désespérée. S’attendant,, d’après une convention, à ce qu’il y aurait une armée péloponnésienne en Bœôtia prête à soutenir Léonidas, ou en tout cas à concourir à la défense de l’Attique, ils n’avaient pas pris de mesures pour éloigner leurs familles ou leurs biens. Mais ils virent avec un désappointement plein d’indignation aussi bien qu’avec effroi, en se retirant d’Artémision, que le vainqueur, venant des Thermopylæ, était en pleine marche, que la route de l’Attique lui était ouverte et que les Péloponnésiens étaient exclusivement absorbés dans la défense de leur isthme et de leur existence séparée[10]. La flotte d’Artémision avait reçu l’ordre de se rassembler au port de Trœzen, pour y attendre tous les renforts qui pourraient être réunis ; mais les Athéniens supplièrent Eurybiadês de faire halte à Salamis, de manière à leur donner quelques moments pour se consulter dans l’état critique de leurs affaires et à les aider à transporter leurs familles. Tandis qu’Eurybiadês était ainsi arrêté à Salamis, plusieurs autres vaisseaux qui avaient atteint Trœzen vinrent le rejoindre, et par là Salamis devint pendant un certain temps la station navale des Grecs, sans aucune intention calculée à l’avance[11].

Pendant ce temps, Themistoklês et les marins athéniens débarquèrent à Phalêron et firent leur triste entrée dans Athènes. Sombre comme le paraissait la perspective, il n’y avait guère lieu de différer d’opinion[12] et encore moins de tarder. Les autorités et l’assemblée du peuple publièrent aussitôt une proclamation enjoignant à tout Athénien d’emmener sa famille hors du pays de la meilleure manière qu’il pourrait. Nous pouvons concevoir l’état de tumulte et de terreur qui suivit cette proclamation inattendue, quand nous réfléchissons qu’elle devait être mise en circulation et ses ordres exécutés d’un bout à l’autre de l’Attique, de Sunion à Orôpe, dans le court espace de moins de six jours ; car il ne s’écoula pas un plus long intervalle avant que Xerxès arrivât réellement à Athènes, où, dans le fait, il aurait pu arriver même plus tôt[13]. Toute la flotte grecque fut sans doute employée à transporter les exilés sans espoir ; pour la plupart à Trœzen, où les attendaient une réception bienveillante et un appui généreux (la population trœzénienne étant vraisemblablement à demi ionienne et ayant d’anciennes relations de religion aussi bien que de commerce avec Athènes), — mais en partie aussi à Ægina : il y en eut cependant beaucoup qui ne purent ou ne voulurent pas aller plus loin que Salamis. Themistoklês persuada à ces infortunés qu’ils ne feraient qu’obéir à l’oracle, qui leur avait ordonné d’abandonner la cité et de chercher un refuge derrière les murs de bois ; et sa politique, ou l’abattement des esprits à cette époque, mit en circulation d’autres histoires donnant à entendre que même les habitants divins de l’acropolis la quittaient pour un certain temps. Dans l’ancien temple d’Athênê Polias, sur ce rocher, habitait, ou du moins on le croyait, comme gardien du sanctuaire et serviteur familier de la déesse, un serpent sacré, pour la nourriture duquel on plaçait un gâteau de miel une fois par mois. Jusque-là le gâteau avait été régulièrement consommé ; mais, à ce moment fatal, la prêtresse annonça qu’il restait intact : le gardien sacré avait ainsi donné l’exemple dé quitter l’acropolis, et il appartenait aux citoyens de suivre cet exemple, en se fiant à la déesse elle-même pour le retour et le rétablissement .futurs.’

Le départ de tant de vieillards, de femmes et d’enfants fut une scène de larmes et de misère qui ne le cédait qu’a celle qu’aurait amenée la prise réelle de la ville[14]. Un petit nombre d’individus, trop pauvres pour espérer de trouver des moyens de subsistance, ou trop vieux pour se soucier de la vie, ailleurs, — confiants, en outre, dans leur propre interprétation[15] du mur de bois que la Pythie avait déclaré être inexpugnable, — s’enfermèrent dans l’acropolis avec les administrateurs du temple, barrant l’entrée ou façade occidentale avec des portes ou des palissades de bois[16]. Quand nous lisons quelles grandes souffrances endura la population de l’Attique environ un demi-siècle plus tard, resserrée dans les spacieuses fortifications d’Athènes qui lui servaient de refuge, lorsque la guerre du Péloponnèse éclata pour la première fois[17], nous pouvons nous former une faible idée de la misère incomparablement plus grande qui accablait une population émigrante, courant, sans savoir où, pour échapper au long bras de Xerxès. Il semble qu’elle eût peu de chance de revoir jamais ses foyers, si ce n’est comme esclave du monarque étranger.

Au milieu de circonstances aussi calamiteuses et aussi menaçantes, ni les guerriers ni les chefs d’Athènes ne perdirent leur énergie : ils s’étaient montrés au physique et au moral au point le plus élevé de la résolution humaine. Les dissensions politiques furent suspendues ; Themistoklês proposa au peuple un décret qui obtint sa sanction et qui rappelait tous ceux qui étaient sous le coup d’une sentence de bannissement temporaire ; de plus, non seulement il y comprit, mais même il désigna spécialement parmi eux son grand adversaire Aristeidês, alors dans sa troisième année d’ostracisme. Xanthippos, l’accusateur de Miltiadês, et Kimôn, fils de ce dernier, furent associés dans la même émigration. On vit celui-ci, que son degré de fortune mettait au nombre des cavaliers de l’État, et ses compagnons, traverser gaiement le Kerameikos pour dédier leurs brides dans l’acropolis et pour emporter quelques-unes des armes sacrées qui y étaient suspendues, donnant ainsi l’exemple et montrant qu’ils étaient prêts à servir à bord des vaisseaux, au lieu de servir à cheval[18]. Il était absolument nécessaire d’obtenir des secours d’argent, en partie pour aider les exilés plus pauvres, mais plus encore pour équiper la flotte ; cependant il n’y avait pas de fonds dans le trésor public. Mais le sénat de l’Aréopage, composé alors en partie d’hommes des classes lès plus riches, mit en avant toute son autorité publique aussi bien que ses contributions particulières, et, en donnant l’exemple aux autres[19], réussit par là à lever la somme de huit drachmes pour chaque soldat qui servait.

Dans le fait, ce fut à l’inépuisable esprit de ressource de Themistoklês que fut dû en partie ce secours opportun ; celui-ci, dans la précipitation de l’embarquement, découvrit ou prétendit que la tête de Gorgone de la statue d’Athênê était perdue, et ordonnant sur-le-champ que l’on fît des recherches dans le bagage de chaque homme, il appliqua au service public tous les trésors que de simples citoyens pouvaient emporter avec eux[20]. Grâce aux efforts les plus énergiques, ce petit nombre de jours importants purent suffire à éloigner toute la population de l’Attique ; — ceux qui étaient propres au service militaire gagnèrent la flotte à Salamis, — les autres, quelque lieu de refuge, — avec la quantité de bien que le cas leur permettait d’emporter. Le pays fut si complètement abandonné, que l’armée de Xerxês, quand elle en devint maîtresse, ne put saisir ni emmener plus de cinq cents prisonniers[21]. De plus, la flotte elle-même, qui avait été ramenée d’Artémision en Attique mise .en partie hors de combat ; fut promptement réparée, de sorte qu’au moment où arriva la flotte des Perses, elle se trouva à peu près en état de combattre.

La flotte combinée qui se trouvait alors rassemblée à Salamis consistait en 366 vaisseaux, — forces beaucoup plus grandes qu’à Artémision. Dans ce nombre, il n’y avait pas moins de 200 athéniens, dont 20 cependant étaient prêtés aux Chalkidiens et montés par eux. 40 vaisseaux corinthiens, 30 æginétains, 20 mégariens, 16 lacédæmoniens, 15 sikyoniens, 10 épidauriens, 7 d’Ambrakia et autant d’Eretria, 5 de Trœzen, 3 d’Hermionê et le même nombre de Leukas, 2 de Keos, 2 de Styra et 1 de Kythnos, 4 de Naxos, envoyés comme contingent à la flotte persane, mais amenés à Salamis par la volonté de leurs capitaines et de leurs matelots ; — toutes ces trirèmes, avec une petite escadre de navires inférieurs appelés pentekontêrs, formaient le total. Des grandes cités grecques en Italie il ne vint qu’une seule trirème, volontaire, équipée et commandée par un éminent citoyen nommé. Phayllos, trois fois vainqueur aux jeux Pythiens[22]. La flotte entière était ainsi un peu plus considérable que les forces combinées (358 vaisseaux) réunies à Ladê par les Grecs asiatiques, quinze années auparavant, pendant la révolte ionienne. Nous pouvons douter cependant que ce total, emprunté d’Hérodote, ne soit pas plus grand que celui qui combattit réellement peu de temps après à la bataille de Salamis, et qui, selon l’assertion nettement prononcée d’Æschyle, consistait en 300 voiles, outre 10 principaux vaisseaux d’élite. Ce grand poète, lui-même un des combattants, et parlant dans un drame représenté seulement sept ans après la bataille, est une meilleure autorité sur ce point qu’Hérodote lui-même[23].

A peine la flotte était-elle rassemblée à Salamis et la population athénienne éloignée, que Xerxès et son armée dévastèrent le pays abandonné, sa flotte occupant la rade de Phalêron avec la rade adjacente. Son armée de terre s’était mise en mouvement sous la conduite des Thessaliens, deux ou trois jours après le combat des Thermopylæ ; et quelques Arkadiens qui vinrent demander du service l’assurèrent que les Péloponnésiens étaient, à ce moment même, occupés à célébrer les jeux Olympiques. Quel prix reçoit le vainqueur ? demanda-t-il. Quand il eut été répondu que le prix n’était rien de plus qu’un rameau d’olivier sauvage, Tritantæchmês, fils d’Artabanos, l’oncle du monarque, s’écria, dit-on, nonobstant le mécontentement et du monarque lui-même et des assistants : Ciel, Mardonios, quelle sorte de gens sont ces hommes contre lesquels tu nous as conduits pour combattre ! Des hommes qui luttent non pas pour l’argent, mais pour l’honneur ![24] Que ce mot soit une remarque faite réellement ou une explication dramatique imaginée par quelque contemporain d’Hérodote, il n’est pas moins intéressant comme offrant un trait caractéristique de la vie hellénique, qui contraste non seulement avec les moeurs des Orientaux contemporains, mais même avec celles des Grecs primitifs pendant les temps homériques.

Parmi tous les divers Grecs qui habitaient entre les Thermopylæ et les frontières de l’Attique, il n’y en eut aucun qui fût disposé à refuser la soumission, à l’exception des Phokiens ; et ceux-ci ne la refusèrent que parce que l’influence prédominante des Thessaliens, leurs ennemis acharnés, leur fit perdre l’espoir d’obtenir des conditions favorables[25]. Ils ne voulurent pas même entendre une proposition des Thessaliens, qui, se vantant de pouvoir guider à leur gré les terreurs de l’armée persane, offrirent d’assurer un traitement doux au territoire de la Phokis, pourvu qu’on leur payât une somme de cinquante talents[26]. La proposition étant refusée avec indignation, ils conduisirent Xerxês par le petit territoire de la Dôris, qui mêdisait et échappa au pillage dans la vallée supérieure du Kephisos, au milieu des villes des inflexibles Phokiens. Toutes se trouvèrent abandonnées ; les habitants avaient fui auparavant et s’étaient retirés soit sur le large sommet du Parnassos, appelé Tithorea, soit même encore plus loin, en franchissant cette montagne, dans le territoire des Lokriens Ozoles. Dix ou douze petites villes phokiennes, dont les plus considérables étaient Elateia et Hyampolis, furent saccagées et détruites par les envahisseurs. Même la ville d’Abæ, avec son temple et son oracle d’Apollon, ne fut pas mieux traitée que les autres ; on pilla tous les trésors sacrés et on la brûla ensuite. De Panopeus, Xerxês détacha un corps d’hommes, pour piller Delphes ; quant à lui, avec le gros de l’armée, il traversa la Bœôtia, dont il trouva toutes les villes disposées à se soumettre, excepté Thespiæ et Platée, qui toutes deux avaient été désertées par leurs citoyens et furent alors brûlées. De là il conduisit son armée dans le territoire abandonné de l’Attique, et il arriva sans résistance jusqu’au pied de l’acropolis d’Athènes[27].

Très différent fut le sort de la division qu’il avait envoyée de Panopeus contre Delphes. Ici Apollon défendit son temple avec plus de vigueur qu’à Abm. La cupidité du roi persan était stimulée par les récits des richesses immenses accumulées à Delphes, et en particulier par ce que l’on disait des dons faits par Crésus avec profusion. Les Delphiens, dans leur alarme extrême, cherchèrent leur propre salut en se réfugiant sur les hauteurs du Parnassos et celui de leurs familles en les faisant passer en Achaïa, de l’autre côté du golfe ; en même temps ils demandèrent à l’oracle s’ils devaient emporter ou enterrer les trésors sacrés. Apollon leur ordonna de laisser les trésors sans y toucher, et dit qu’il était eu état lui-même de veiller sur son propre bien. Soixante Delphiens osèrent seuls rester, avec Akêratos, le supérieur religieux ; mais les preuves d’une aide surhumaine parurent bientôt pour les encourager. On vit couchées devant la porte du temple les armes sacrées suspendues dans la cellule intérieure, et auxquelles il n’était jamais permis à une main mortelle de toucher ; et quand les Perses, qui suivaient la route appelée Schistê, en remontant un sentier raboteux situé au pied des rochers escarpés du Parnassos et qui conduit à Delphes, eurent atteint le temple d’Athênê Pronæa, — un tonnerre soudain et terrible se fit entendre, — deux vastes rocs de la montagne se détachèrent et se précipitèrent sur eux avec un bruit étourdissant, écrasant et faisant périr un bon nombre d’hommes ; — en même temps on entendit le cri de guerre qui partait de l’intérieur du temple d’Athênê. Saisis d’une panique, les envahisseurs tournèrent le dos et s’enfuirent, poursuivis non seulement par les Delphiens, mais encore (comme ils l’affirmaient eux-mêmes) par deux guerriers armés, ayant une taille surhumaine et un bras destructeur. Les Delphiens triomphants confirmèrent ce rapport, en ajoutant que les deux auxiliaires étaient les héros Phylakos et Autonoos, dont les enceintes sacrées étaient toutes voisines ; et Hérodote lui-même, quand il visita Delphes, vit dans le terrain sacré d’Athênê les mêmes masses de rochers qui avaient écrasé les Perses[28]. C’est ainsi que le dieu repoussa ces envahisseurs de son temple de Delphes et de ses trésors, qui restèrent intacts pendant cent trente années, après lesquelles ils furent pillés par les mains sacrilèges du Phokien Philomélos. Dans cette occasion, comme on le verra bientôt, les protecteurs réels des trésors furent les vainqueurs de Salamis et de Platée.

Quatre mois s’étaient écoulés depuis le départ de l’Asie, quand Xerxès atteignit Athènes, le dernier terme de sa marche. Il amenait avec lui les membres de la famille Pisistratide, qui sans doute regardaient leur rétablissement comme déjà certain, — ainsi qu’un petit nombre d’exilés athéniens attachés à leur fortune. Bien que le pays fût complètement abandonné, la poignée d’hommes réunie dans l’acropolis se hasarda à le braver ; et tous les conseils persuasifs des Pisistratides, désireux de préserver le saint lieu du pillage, ne purent les engager à se rendre[29]. L’acropolis athénienne, — rocher escarpé qui s’élève brusquement à une hauteur de près de 45 mètres avec un sommet plat, long d’environ 300 mètres de l’est à l’ouest, et large de 150 du nord au sud, — n’avait d’accès praticable que du côté de l’ouest[30] ; de plus, de tous les côtés où il semblait qu’il fat possible de grimper, elle était défendue par l’ancienne fortification appelée le mur pélasgique. Obligée de prendre la place de force, l’armée persane fut postée autour, du côté septentrional et du côté occidental, et commença ses opérations en prenant pour point de départ l’éminence immédiatement adjacente au nord-ouest, appelée Areiopagos[31] ; de là les Perses bombardèrent (si nous pouvons nous permettre cette expression) avec des projectiles brûlants l’ouvrage de bois qui barrait les portes ; c’est-à-dire qu’ils lancèrent dessus une grande quantité de flèches garnies d’étoupe enflammée. Les palissades de bois et les planches prirent bientôt feu et furent consumées ; mais quand les ennemis essayèrent de monter à l’assaut par la route occidentale menant à la porte, l’intrépide petite garnison les mit encore aux abois, ayant entassé des pierres énormes, qu’elle fit rouler sur eux pendant qu’ils montaient. Durant un certain temps, il parut vraisemblable que le Grand Roi serait réduit à la longue opération d’un blocus ; mais enfin quelques hommes aventureux parmi les assiégeants essayèrent d’escalader le rocher escarpé qu’ils avaient devant eux du côté du nord, tout près du temple ou de la chapelle d’Aglauros, qui se trouvait presque en face de la position des Perses, mais derrière les portes et la rampe occidentale. Ici le rocher était rendu si inaccessible par la nature, qu’il était complètement dépourvu de garde, et vraisemblablement même de fortifications[32] ; en outre, l’attention de la petite garnison était toute concentrée sur l’armée qui faisait face aux portes. C’est ce qui permit aux soldats séparés qui escaladaient le rocher d’accomplir leur tentative sans être remarqués, et d’atteindre le sommet sur les derrières de la garnison, dont les hommes, privés de leur dernière espérance, ou se précipitèrent du haut des murs, ou cherchèrent leur salut dans l’intérieur du temple. Ceux qui avaient escaladé avec tant de succès ouvrirent les portes à toute l’armée persane, et toute l’acropolis fut bientôt en leur pouvoir. Ses défenseurs furent tués, ses temples pillés, et toutes ses demeures et tous ses bâtiments, sacrés aussi bien que profanes, furent livrés aux flammes[33]. La citadelle d’Athènes tomba entre les mains de Xerxès par une surprise tout à fait semblable à celle qui avait mis Sardes dans celles de Cyrus[34].

Ainsi fut accomplie la prophétie divine : l’Attique passa entièrement dans les mains des Perses, et l’incendie de Sardes fut vengé sur les foyers et la citadelle de ceux qui l’avaient prise, comme il le fut aussi sur leur temple sacré d’Eleusis. Xerxês envoya immédiatement à Suse la nouvelle de cet événement, qui, dit-on, excita des démonstrations immodérées de joie, en paraissant confondre les sombres prédictions de son oncle Artabanos[35]. Le surlendemain, les exilés athéniens de sa suite reçurent de lui l’ordre, ou peut-être ils obtinrent la permission, d’aller offrir un sacrifice au milieu des ruines de l’acropolis, et d’expier, s’il était possible, la souillure imprimée au lieu. Ils découvrirent que l’olivier sacré près de la chapelle d’Erechtheus, don spécial de la déesse Athênê, bien que brûlé jusqu’au sol par les flammes récentes, avait déjà poussé un nouveau rejeton d’une coudée de long ; du moins la piété d’Athènes rétablie ajouta foi clans la suite à cet encourageant présage[36], aussi bien qu’à ce qu’avait vu, disait-on, Dikæos (compagnon athénien des Pisistratides) dans la plaine thriasienne. C’était alors le jour réservé pour la célébration des mystères Eleusiniens ; et bien que dans cette année de deuil il n’y eût ni célébration, ni aucun Athénien dans le territoire, Dikæos s’imagina encore voir la poussière et entendre le chant retentissant de la multitude, qui avait coutume d’accompagner dans les temps ordinaires la procession d’Athènes à Eleusis. Il aurait même révélé le fait à Xerxès, si Demaratos ne l’en eût détourné ; il l’expliquait comme une preuve que les déesses elles-mêmes passaient en venant d’Eleusis pour porter secours aux Athéniens à Salamis. Cependant, quoi qu’on ait pu admettre dans les temps postérieurs, certainement à ce moment personne ne pouvait croire qu’Athènes conquise redeviendrait promptement une cité libre ; même eût-on vu le présage de l’olivier brûlé repoussant soudain avec une vigueur surnaturelle ; tant l’état des Athéniens paraissait alors désespéré, non moins à leurs alliés réunis à Salamis qu’aux Perses victorieux.

Vers le temps de la prise de l’acropolis, la flotte persane arriva aussi saine et sauve dans la baie de Phalêron, renforcée des vaisseaux de Karystos aussi bien que de ceux des diverses Cyclades, de sorte qu’Hérodote calcule qu’elle était aussi forte qu’avant la terrible tempête d’Aktê Sépias, estimation certainement inadmissible[37].

Bientôt après son arrivée, Xerxês en personne descendit sur le rivage pour l’inspecter, aussi bien que pour tenir conseil avec les divers chefs sur l’opportunité d’attaquer la flotte ennemie, maintenant si voisine de lui dans le détroit resserré entre Salamis et les côtes de l’Attique. Il les invita tous à siéger dans une assemblée où le roi de Sidon occupait la première place et le roi de Tyr la seconde. La question fut posée à chacun d’eux séparément par Mardonios ; et en apprenant que tous se prononcèrent en faveur d’un engagement immédiat, nous pouvons être persuadés que l’opinion décidée de Xerxês a dû être bien connue d’eux auparavant. Il ne se trouva qu’une seule exception à cette unanimité, — Artemisia, reine d’Halikarnassos en Karia, à laquelle Hérodote prête un discours (le quelque longueur, où elle repousse toute idée de combattre dans le détroit resserré de Salamis ; où elle prédit que, si l’armée de terre était portée en avant pour attaquer le Péloponnèse, les Péloponnésiens qui se trouvaient dans la flotte de Salamis retourneraient pour protéger leurs propres foyers, et qu’ainsi la flotte se disperserait, d’autant plus qu’il n’y avait que peu ou point de nourriture dans l’île, — et où elle laisse percer en outre un grand mépris pour l’efficacité de la flotte et des marins persans en tant que comparés aux Grecs, aussi bien que pour les contingents sujets de Xerxês en général. Que la reine Artemisia ait donné ce prudent conseil, il n’y a pas lieu d’en douter ; et il se peut que l’historien d’Halikarnassos ait eu le moyen d’apprendre les motifs sur lesquels se fondait son opinion. Mais j’ai de la peine à croire qu’elle puisse avoir exprimé publiquement une telle appréciation des sujets maritimes de la Perse, appréciation non seulement blessante pour tous ceux qui l’entendaient ; mais à ce moment injuste, — bien qu’elle eût fini par se rapprocher de la vérité à l’époque où écrivait Hérodote[38], et que la reine Artemisia elle-même ait pu vivre pour en avoir la conviction dans la suite. Quelles qu’aient pu être ses raisons, l’historien nous dit qu’amis aussi bien que rivaux furent étonnés de la hardiesse avec laquelle elle dissuadait le monarque d’une bataille navale, et s’attendirent à ce qu’elle fût mise à mort. Mais Xerxês entendit l’avis de très bonne humeur, et même n’en estima que beaucoup plus la reine karienne, bien qu’il décidât qu’on se conformerait à l’opinion de la majorité, c’est-à-dire à la sienne propre. En conséquence, l’ordre fut donné à la flotte d’attaquer le lendemain[39], et à l’armée de terre de s’avancer vers le Péloponnèse.

Tandis que sur le rivage de Phalêron une volonté toute-puissante arrachait une unanimité apparente et empêchait toute délibération réelle, grand dans le fait était le contraste que présentait l’armement grec voisin à Salamis, parmi les membres duquel avaient régné des dissensions sans bornes. Nous avons déjà ait que la flotte grecque s’était réunie primitivement auprès de cette île, non pas dans la pensée d’en faire une station navale, mais simplement pour couvrir et aider l’émigration des Athéniens. Ce but étant atteint, et Xerxès étant déjà en Attique, Eurybiadês convoqua les chefs pour examiner quelle position était la plus convenable pour un engagement naval. La plupart d’entre eux, et particulièrement ceux du Péloponnèse, furent opposés à l’idée de rester à Salamis, et proposèrent que la flotte fût transportée à l’isthme de Corinthe, où elle serait en communication immédiate avec l’armée de terre du Péloponnèse, de sorte qu’en cas de défaite sur mer les vaisseaux trouveraient protection sur le rivage, et les hommes se réuniraient au service de terre ; tandis que, si l’on était vaincu dans une action navale près de Salamis, ils seraient enfermés dans une île d’où il n’y avait pas espoir de s’échapper[40]. Au mi-lieu du débat, arriva un messager avec la nouvelle de la prise et de l’incendie d’Athènes et de son acropolis par les Perses. La terreur qu’elle causa fut telle, que quelques-uns des chefs, sans même attendre la fin du débat et le vote final, quittèrent aussitôt le conseil et se mirent à hisser les voiles ou à préparer leurs rameurs pour partir. La majorité vota formellement le départ pour l’isthme ; mais comme la nuit approchait, le mouvement réel fut différé jusqu’au lendemain matin[41].

Alors on sentit le besoin d’une position telle que .celle des Thermopylæ, qui avait servi de protection à tous les Grecs à la fois, de manière à empêcher que les craintes et les intérêts séparés ne prissent de trop grandes proportions. Nous ne pouvons guère nous étonner que les chefs péloponnésiens, — les Corinthiens en particulier, qui fournissaient un contingent naval si considérable, et sur le territoire desquels la bataille sur terre à l’isthme semblait sur le point d’être livrée, — que ces chefs, disons-nous, manifestassent une répugnance si obstinée à combattre à Salamis, et insistassent pour gagner une position où, dans le cas d’une défaite sur mer, ils pourraient aider leurs propres soldats sur terre, et être aidés par eux. D’autre part, Salamis, à cause de son détroit resserré, était non seulement la position la plus favorable pour le nombre inférieur des Grecs, mais elle ne pouvait être abandonnée sans que l’unité de la flotte alliée fût rompue ; puisque Megara et Ægina resteraient ainsi à découvert, et que les contingents de chacune d’elles se retireraient immédiatement pour aller défendre leurs propres foyers ; — tandis que les .Athéniens, dont une grande partie avaient leurs familles expatriées dans Salamis et Ægina, seraient également distraits des efforts maritimes combinés à l’isthme. Si la flotte était transportée à ce dernier endroit, les Péloponnésiens eux-mêmes ne seraient probablement pas restés réunis en un seul corps ; car les escadres d’Epidauros, de Trœzen, d’Hermionê, craignant chacune que la flotte persane ne fit une descente sur l’un ou sur l’autre de ces ports séparés, retourneraient dans leur patrie pour repousser une telle éventualité, malgré les efforts d’Eurybiadês pour les conserver réunies. C’est pourquoi l’ordre de quitter Salamis et de se retirer à l’isthme n’était rien moins qu’une sentence de ruine pour toute défense maritime combinée ; et il devint ainsi doublement odieux à tous ceux qui, comme les Athéniens, les Æginètes et les Mégariens, étaient également amenés par leur propre sûreté séparée à s’attacher à la défense de Salamis. Toutefois, malgré toute cette opposition et la protestation de Themistoklês, la détermination obstinée des chefs péloponnésiens emporta le vote de retraite, et chacun d’eux se rendit à son vaisseau afin de le préparer pour partir le lendemain matin.

Quand Themistoklês retourna à son vaisseau, l’âme pleine du découragement causé par cette triste décision, réduit à la nécessité de pourvoir à l’éloignement des familles athéniennes expatriées et réfugiées ‘dans l’île aussi bien qu’à celui de l’escadre, il trouva un ami athénien, nommé Mnêsiphilos, qui lui demanda ce qu’avait décidé le conseil des chefs. Relativement à ce Mnêsiphilos, que l’on signale en général comme un philosophe pratique plein de sagacité, nous n’avons malheureusement aucun détail ; mais il n’a pas dû être un homme ordinaire celui que la renommée choisit, à tort ou à raison, comme le génie inspirateur de Themistoklês. En apprenant la décision prise, Mnêsiphilos éclata en remontrances sur la ruine totale que léguerait son exécution ; il n’y aurait bientôt plus ni flotte combinée pour combattre, ni cause, ni patrie collective à défendre[42]. Il pressa vivement Themistoklês de rouvrir la discussion, et d’insister fortement par tous les moyens en son pouvoir sur un rappel du vote en faveur de la retraite, aussi bien que sur une résolution positive de rester à Salamis et d’y combattre. Themistoklês avait déjà essayé en vain d’imposer la même idée ; mais, bien que découragé par le mauvais succès, les remontrances d’un ami respecté le frappèrent d’une manière assez forte pour l’engager à renouveler ses efforts. Il se rendit à l’instant au vaisseau d’Eurybiadês, demanda la permission de lui parler, et, étant admis à son bord, il rouvrit avec  lui seul tout le sujet de la discussion précédente, insistant sur ses propres vues avec autant d’énergie qu’il le put. Dans cette. entrevue particulière, on pouvait présenter les arguments à l’appui du cas avec beaucoup moins de ménagement qu’il n’avait été possible de le faire dans une assemblée des chefs, qui se seraient regardés comme insultés si on leur eût dit ouvertement qu’il était vraisemblable qu’ils abandonneraient la flotte, une fois partis de Salamis. Parlant ainsi librement et confidentiellement, et parlant à Eurybiadês seul, Themistoklês put le convaincre en partie, et même il obtint de lui qu’il convoquerait une nouvelle assemblée. Aussitôt qu’elle fut réunie, avant même qu’Eurybiadês en eût expliqué l’objet et qu’il eût ouvert la discussion dans les formes, Themistoklês s’adressa à chacun des chefs séparément, épanchant librement ses craintes et son inquiétude au sujet de l’abandon de Salamis. ; si bien que le Corinthien Adeimantos le blâma en disant : Themistoklês, ceux qui dans les luttes publiques des fêtes se lèvent avant le signal voulu sont fouettés. — C’est vrai, répliqua l’Athénien ; mais ceux qui tardent après le signal donné ne remportent pas de couronnes[43].

Eurybiadês expliqua alors au conseil que des doutes s’étaient élevés dans son esprit, et qu’il le réunissait pour examiner de nouveau leur résolution antérieure ; après ces mots, Themistoklês ouvrit la discussion. Il insista vivement sur la nécessité de combattre dans la mer resserrée de Salamis et non dans les eaux ouvertes de l’isthme, — aussi bien que de préserver Megara et Ægina ; soutenant qu’une victoire navale à Salamis ne serait pas moins efficace pour la défense du Péloponnèse que si elle était gagnée à l’isthme ; tandis que, si la flotte était dirigée vers ce dernier point, elle ne ferait qu’attirer les Perses après elle. De plus, il n’oublia pas d’ajouter que les Athéniens avaient une prophétie qui leur assurait la victoire dans cette île, leur propriété. Mais son discours fit peu d’impression sur les chefs péloponnésiens, qui furent même exaspérés d’être convoqués une seconde fois pour rouvrir un débat déjà fermé, — et fermé d’une manière qu’ils jugeaient essentielle à leur sûreté. Dans le coeur du Corinthien Adeimantos en particulier, ce sentiment de colère dépassa toutes les bornes. Il dénonça avec aigreur la présomption de Themistoklês, et lui ordonna de se taire comme un homme qui n’avait pas alors de cité libre grecque à représenter, — Athènes étant au pouvoir de l’ennemi. Qui plus est, il alla jusqu’à soutenir qu’Eurybiadês n’avait pas le droit de compter le vote de Themistoklês jusqu’à ce que celui-ci eût produit une cité libre qui l’accréditât auprès du conseil. Une telle attaque, à la fois peu généreuse et insensée, dirigée contre le chef de plus de la moitié de toute la flotte, démontre l’extravagante impatience qu’avaient les Corinthiens d’emmener leur flotte à leur isthme. Elle provoqua une amère réponse que leur adressa Themistoklês, qui leur rappela qu’ayant autour de lui deux cents vaisseaux bien montés en hommes, il pourrait se procurer partout et une cité et un territoire aussi bons ou meilleurs que Corinthe. Mais il vit alors clairement qu’il fallait désespérer de songer à imposer sa politique par le raisonnement, et que rien ne réussirait, si ce n’est le langage direct de l’intimidation. Se tournant vers Eurybiadês, et s’adressant à lui personnellement, il dit : Si tu veux rester ici, et combattre bravement, tout tournera bien ; mais si tu ne veux pas rester, tu ruineras la Hellas[44]. Car, pour nous, tous nos moyens de guerre sont contenus dans nos vaisseaux. Laisse-toi encore persuader par moi ; sinon, nous, Athéniens, nous émigrerons avec nos familles à bord, tels que nous sommes, à Siris en Italie, qui est à nous depuis longtemps, et que, suivant les prophéties ; nous devons coloniser un jour. Alors vous autres chefs, quand vous serez privés d’alliés comme nous, vous vous rappellerez bientôt ce que je vous dis maintenant.

Eurybiadês avait été presque convaincu auparavant par le plaidoyer éloquent de Themistoklês. Mais cette dernière menace directe fixa sa détermination, et probablement réduisit au silence même les opposants corinthiens et péloponnésiens : car il n’était que trop évident que, sans les Athéniens, la flotte était impuissante. Toutefois, il ne remit pas la question aux voix, mais il prit sur lui d’annuler la première résolution et de donner l’ordre de rester à Salamis pour combattre. Tous acquiescèrent à cet ordre, bon gré mal gré[45]. L’aurore suivante les vit se préparer au combat et non à la retraite, et invoquer la protection et la compagnie des héros Æakides de Salamis, — Telamôn et Ajax ; ils envoyèrent même une trirème à Ægina pour implorer Æakos lui-même et les autres Æakides. Il paraît que ce fut aussi dans ce même jour que la résolution de combattre à Salamis fut prise par Xerxês, dont on vit la flotte en mouvement vers la fin du jour, préparant l’attaque pour le lendemain matin.

Mais les Péloponnésiens, bien que n’osant pas désobéir à l’ordre de l’amiral spartiate, conservaient encore entières leurs premières craintes et leur ancienne répugnance, qui, après un court intervalle, recommencèrent à l’emporter sur la formidable menace de Themistoklês, et furent encore augmentées par les avis vernis de l’isthme. Les messagers, de ce côté, dépeignaient la terreur et l’effroi qu’éprouvaient leurs frères absents, tout en construisant à ce point leur mur transversal pour résister à l’invasion imminente par terre. Pourquoi, eux aussi, n’y étaient-ils pas pour unir leurs bras et aider à la défense, du moins sur terre, — même s’ils étaient vaincus sur mer, — au lieu de consumer leurs efforts pour défendre l’Attique, déjà au pouvoir de l’ennemi ? Telles étaient les plaintes qui passaient de bouche en bouche, avec maintes exclamations amères contre la folie d’Eurybiadês ; enfin le sentiment commun éclata en une manifestation publique et mutine, et un nouveau conseil de chefs fut demandé et convoqué[46]. Ici on vit se renouveler le même débat plein de colère et la même différence d’opinion inconciliable ; les chefs péloponnésiens demandant à grands cris un départ immédiat, tandis que les Athéniens, les Æginètes[47] et les Mégariens demandaient avec autant d’instances qu’on restât pour combattre. Il était évident pour Themistoklês que la majorité des votes parmi les chefs serait contre lui, malgré l’ordre d’Eurybiadês ; et la crise désastreuse destinée à priver la Grèce de toute défense maritime combinée paraissait imminente, — quand il eut recours à un dernier stratagème pour faire face à la circonstance désespérée en rendant la faite impossible. Imaginant un prétexte pour s’en aller du conseil, il fit passer le détroit à un messager de confiance chargé d’une communication secrète pour les généraux persans. Sikinnos, son esclave, — vraisemblablement un Grec asiatique[48] qui comprenait le persan et avait peut-être été vendu .pendant la dernière révolte ionienne, mais dont les qualités supérieures sont prouvées par ce fait, qu’il avait eu à soigner et à instruire les enfants de son maître, — Sikinnos, dis-je, reçut comme instruction de les informer secrètement au nom de Themistoklês, qui était représenté comme ayant à coeur le succès des Perses, que la flotte grecque était non seulement dans la dernière alarme et méditait une fuite immédiate, mais que ses diverses parties étaient dans une dissension si violente, qu’elles étaient plutôt disposées à combattre les unes contre les autres que contre un ennemi commun.. Une magnifique occasion (était-il ajouté) se présentait ainsi aux Perses, s’ils voulaient en profiter sans retard, d’abord de les cerner et d’empêcher leur fuite, et ensuite d’attaquer un corps désuni, dont un grand nombre, au commencement du combat, épouserait ouvertement la cause des Perses[49].

Telle fut l’importante communication envoyée par Themistoklês à travers le détroit resserré — seulement un quart de mille (= 400 mètres) en largeur à la partie la plus étroite — qui sépare Salamis du continent voisin, sur lequel était posté l’ennemi. Cet ordre fut exécuté avec assez d’adresse pour produire l’impression exacte que le chef athénien voulait faire, et, à cause du glorieux succès qu’elle amena, elle passa pour un magnifique stratagème. ; si on eût essuyé une défaite, son nom aurait été couvert d’infamie. Ce qui nous étonne le plus, c’est qu’après en avoir recueilli un honneur signalé aux yeux des Grecs en le donnant pour un stratagème, Themistoklês s’en fit honneur plus tard, pendant l’exil de ses derniers jours[50], comme d’un service capital rendu au monarque persan. Il n’est pas improbable, si nous réfléchissons à l’état désespéré des affaires grecques à ce moment, que cette facilité d’une double interprétation l’ait engagé en partie à envoyer le message.

Il parait qu’il fut communiqué à Xerxês peu après qu’il avait donné ses ordres pour combattre le lendemain matin ; et il entra si avidement dans l’idée, qu’il ordonna à ses généraux de fermer le détroit de Salamis des deux côtés pendant la nuit, au nord aussi bien qu’au sud de la ville de Salamis, au péril de leurs têtes, s’ils laissaient une ouverture par laquelle les Grecs pussent s’échapper[51]. La station de la nombreuse flotte persane était le long de la côte de l’Attique ; — son quartier général était dans la baie de Phalêron, mais sans doute des parties de cette flotte occupaient ces trois ports naturels, non encore améliorés par l’art ; qui appartenaient au dème de Peiræeus, et s’étendaient peut-être en outre jusqu’à d’autres portions de la côte occidentale au sud de Phalêron ; tandis que la flotte grecque était dans le port de la ville appelée Salamis, dans la partie de l’île faisant face au mont Ægaleos, en Attique. Pendant la nuit[52], une portion de la flotte persane, partant de Peiræeus vers le nord, le long de la côte occidentale de l’Attique, s’approcha autant que possible du nord de la ville et du port de Salamis, de manière à fermer l’issue septentrionale du détroit du côté d’Eleusis, tandis qu’une autre portion barra l’autre issue entre Peir2eeus et l’extrémité sud-est de l’île, débarquant un détachement de troupes dans l’île déserte de Psyttaleia, près de cette extrémité[53]. Ces mesures furent toutes prises pendant la nuit, pour empêcher la fuite anticipée des Grecs, et ensuite pour les attaquer le lendemain matin dans le détroit resserré tout près de leur port.

Cependant cette violente controverse entre les chefs grecs, au milieu de laquelle Themistoklês avait expédié son messager secret, continuait sans affaiblissement et sans décision. Il était de l’intérêt du général athénien de prolonger le débat et d’empêcher tout vote définitif, jusqu’à ce que l’effet de son stratagème eût rendu la retraite impossible. Une telle prolongation n’était nullement difficile dans un cas si critique, où la majorité des chefs était d’un côté et celle de l’armée navale de l’autre, — surtout en ce qu’Eurybiadês lui-même était favorable à l’idée de Themistoklês. En conséquence, le débat n’était pas encore terminé à la chute du jour, et ou bien il continua toute la nuit, ou il fut ajourné à une heure avant l’aurore du lendemain matin, — quand un incident, intéressant aussi bien qu’important, vint lui donner un nouveau tour. Aristeidês, l’exilé par ostracisme, arriva d’Ægina à Salamis. Depuis la révocation de sa sentence, — révocation proposée par Themistoklês lui-même, — il n’avait pas eu occasion de retourner à Athènes, et il rejoignait alors pour la première fois ses compatriotes dans leur exil à Salamis ; il n’était pas sans être informé des dissensions furieuses qui les divisaient et de l’impatience que montraient les Péloponnésiens de se retirer à l’isthme. Il fut le premier à apporter la nouvelle que cette retraite était devenue impraticable par suite de la position de la flotte persane, que son propre vaisseau en venant d’Ægina n’avait évitée qu’à la faveur de la nuit. Il fit prier Themistoklês de sortir du conseil assemblé des chefs ; et après un généreux exorde où il lui exprima son espérance que leur rivalité ne serait dans l’avenir qu’une lutte de services dans l’intérêt de leur commune patrie, il lui apprit que le nouveau mouvement des Perses enlevait tout espoir de parvenir maintenant à l’isthme, et rendait inutile tout débat ultérieur. Themistoklês exprima sa joie à cette nouvelle, et il lui fit connaître son message secret, par lequel il avait lui-même fait opérer ce mouvement, afin que les chefs péloponnésiens fussent forcés de combattre à Salamis même contre leur gré. De plus, il demanda à Aristeidês de se rendre lui-même dans le conseil et de lui communiquer la nouvelle, car, si elle sortait de la bouche de Themistoklês, les Péloponnésiens la traiteraient d’invention. En effet, leur incrédulité était si opiniâtre qu’ils ne voulaient pas l’admettre comme vraie, même sur l’assertion d’Aristeidês ; ce ne fut qu’à l’arrivée d’un vaisseau Ténien, qui désertait de la flotte persane, qu’ils finirent par ajouter foi eux-mêmes à la situation réelle des affaires et à l’absolue impossibilité de se retirer. Une fois convaincus de ce fait, ils se préparèrent à l’aurore pour la bataille maintenant imminente[54].

Après avoir fait ranger son armée de terre le long du rivage opposé à, Salamis, Xerxès avait dressé pour lui-même un siége élevé, ou trône, sur une des pentes avancées du mont Ægaleos, — près de l’Hêrakleion et surplombant la mer[55], — d’où il pourrait voir distinctement toutes les phases du combat et la conduite de ses troupes sujettes. Il était persuadé qu’elles n’avaient pas fait de leur mieux à Artémision, par suite de son absence, et que sa présence leur inspirerait une nouvelle ardeur ; de plus, ses secrétaires royaux étaient à ses côtés, prêts à enregistrer les ‘noms et des braves et des lâches parmi les combattants. A l’aile droite de sa flotte, qui se rapprochait de Salamis du côté d’Eleusis, et était opposée aux Athéniens sur l’aile gauche des Grecs, — se trouvaient placés les Phéniciens et les Égyptiens ; à son aile gauche les Ioniens[56], — se rapprochant du côté de Peiræeus et opposés aux Lacédæmoniens, aux Æginètes et aux Mégariens. Toutefois les marins de la flotte persane avaient été à bord toute la nuit, occupés à faire ce mouvement qui les avait placés dans leur position actuelle, tandis que les marins grecs commençaient maintenant sans fatigue antérieure, encore, sous l’impression des harangues animées de Themistoklês et des autres chefs. Au moment même où ils montaient sur leurs navires, ils furent rejoints par la trirème qu’on avait envoyée à Ægina pour apporter à leur aide Æakos avec les autres héros Æakides. Honorée de ce précieux secours, qui contribuait tant à animer le courage des Grecs, la trirème æginétaine arrivait alors juste à temps pour prendre son poste dans la ligne, après avoir évité la poursuite de l’ennemi, qui lui barrait le passage[57].

Les Grecs s’avancèrent du rivage à force de rames pour attaquer ; avec le pæan habituel, ou cri de guerre, auquel les Perses répondirent avec confiance. Dans le, fait, ces derniers étaient les plus avancés des deux pour commencer le combat. Les marins grecs, à mesure qu’ils approchaient de l’ennemi, furent d’abord disposés à hésiter, — et même reculèrent pendant un certain temps ; de sorte que quelques-uns d’entre eux touchèrent terre sur leur propre rivage, jusqu’à ce que ce mouvement rétrograde fat arrêté par une figure surnaturelle de femme planant au-dessus d’eux, qui s’écria d’une voix que toute la flotte entendit : Ô braves ! jusqu’où allez-vous encore en ramant à reculons ? Le fait seul que cette fable ait circulé atteste le courage incertain des Grecs au commencement de la bataille[58]. Les braves capitaines athéniens Ameinias et Lykomêdês (le premier, frère du poète Æschyle) furent les premiers à obéir soit à cette voix de femme, soit aux inspirations de leur propre ardeur ; bien que, suivant la version qui avait cours à Ægina, ce fût le vaisseau æginétain, chargé des héros Æakides, qui donna le premier cet honorable exemple[59]. Le Naxien Demokritos fut célébré par Simonidês comme étant le troisième vaisseau qui entra en action. Ameinias, s’élançant hors de la ligne, chargea avec l’éperon de son vaisseau en plein contre un phénicien, et les deux navires devinrent tellement enchevêtrés qu’il ne put se dégager ; d’autres vaisseaux vinrent au secours des deux côtés, et l’action devint ainsi générale.

Hérodote, avec sa sincérité ordinaire, nous dit qu’il ne put se procurer que peu de détails sur l’action, si ce n’est sur ce qui concernait Artemisia, la reine de sa propre ville, de sorte que nous ne savons guère quelque chose de plus que les faits généraux. Mais il paraît que, à l’exception des Grecs ioniens, dont beaucoup (apparemment un nombre plus grand qu’Hérodote n’aime à le reconnaître) furent tièdes et quelques-uns même contraires[60], — les sujets de Xerxès se conduisirent en général avec une grande bravoure : Phéniciens, Kypriens, Kilikiens, Égyptiens rivalisèrent avec les Perses et les Mèdes servant comme soldats à bord, en essayant de Satisfaire le monarque exigeant qui, assis sur le rivage, observait leur conduite. Leur défaite signalée ne fut pas due à un défaut de courage, — mais, d’abord, à l’espace étroit ; qui faisait que leur nombre supérieur était un obstacle plutôt qu’un avantage ; ensuite à leur manque de ligne et de discipline régulières en tant que comparées à celles des Grecs ; en troisième lieu, à ce fait que, dès que la fortune sembla tourner contre eux, ils n’eurent ni fidélité ni attachement réciproque, et que chaque allié voulut en sacrifier d’autres ou même en couler bas, afin de s’échapper lui-même. Leur nombre et l’absence de concert les jetèrent dans la confusion et firent qu’ils s’abordèrent les uns les autres. Ceux de devant ne pouvaient reculer, ni ceux de derrière avancer[61] : les pales des rames furent brisées par le choc, — les timoniers ne purent plus diriger leurs vaisseaux .ni disposer la marche du navire de manière à frapper avec l’éperon ce coup direct qui était essentiel dans l’ancienne manière de faire la guerre. Après quelque temps de combat, toute la flotte persane fut repoussée et devint complètement intraitable, de sorte que l’issue ne fut plus douteuse, et il ne resta rien que les efforts de la bravoure individuelle pour prolonger la lutte. Tandis que l’escadre athénienne à gauche, qui avait à surmonter la plus grande résistance, rompit et poussa devant elle l’aile droite des Perses, les Æginètes, à droite, interceptèrent la fuite des ennemis qui se sauvaient vers Phalêron[62]. Demokritos, le capitaine naxien, prit, dit-on, cinq vaisseaux des Perses avec sa seule trirème. Le grand amiral Ariabignês, frère de Xerxês, attaqué par deux trirèmes athéniennes à la fois, succomba vaillamment en essayant d’aborder l’une d’elles, et le nombre de Persans et de Mèdes ‘distingués qui partagèrent son sort fut très considérable[63] ; d’autant plus que peu d’entre eux savaient nager, tandis que, parmi les marins grecs qui tombaient à la mer, la plupart étaient nageurs et avaient à leur portée le rivage ami de Salamis.

Il parait que les marins phéniciens de la flotte jetèrent le blâme de la défaite sur les Grecs ioniens ; et quelques-uns d’entre eux, poussés à la côte pendant la chaleur de la bataille immédiatement aux pieds du trône de Xerxês, s’excusèrent en dénonçant les autres comme traîtres. Les têtes des chefs ioniens auraient été en danger, si le monarque n’avait vu de ses propres yeux un acte de bravoure étonnante accompli par l’un d’eux. Une trirème ionienne de Samothrace chargea et désempara une trirème attique, mais fut elle-même presque immédiatement coulée bas par un vaisseau æginétain. L’équipage de la trirème de Samothrace, comme son navire restait désemparé sur l’eau, fit un si bon usage de ses armes de trait qu’il nettoya le pont du vaisseau æginétain, s’élança à bord et s’en rendit maître. Cet exploit, se passant sous les yeux de Xerxès lui-même, le poussa à traiter les Phéniciens de lâches calomniateurs et à leur faire couper la tête. Sa colère et son irritation (nous dit Hérodote) ne connurent pas de bornes, et il sut à peine sur qui faire retomber ces sentiments[64].

Dans cette désastreuse bataille elle-même, comme dans le débat qui l’avait précédée, la conduite d’Artemisia d’Halikarnassos fut telle qu’elle le satisfit pleinement. Il paraît que cette reine prit sa bonne part dans le combat jusqu’à ce que le désordre fût devenu irrémédiable. Alors elle chercha à s’échapper, et fut poursuivie par le triérarque athénien Ameinias ; mais elle trouva sa marche obstruée par le nombre des camarades fugitifs ou embarrassés qu’elle rencontra devant elle. Dans cette alternative, elle se préserva de la poursuite en attaquant un de ses propres camarades ; elle chargea la trirème du prince karien Damasithymos de Kalyndos et la coula, de sorte que ce prince périt avec tout son équipage. Si Ameinias avait su que le vaisseau qu’il poursuivait était celui d’Artemisia, rien n’aurait pu le déterminer à renoncer à la poursuite, — car tous les capitaines athéniens étaient indignés à l’idée d’une femme venant envahir et attaquer leur ville[65]. Mais il ne connaissait son vaisseau que comme faisant partie de la flotte ennemie, et la voyant ainsi charger et détruire un autre navire de l’ennemi, il en conclut que c’était un déserteur, tourna sa poursuite ailleurs et’ la laissa échapper. En même temps il se trouva que la destruction du navire de Damasithymos s’effectua sous les yeux de Xerxês et des personnes qui l’entouraient sur le rivage, qui reconnurent le vaisseau d’Artemisia, mais supposèrent que le navire détruit était un vaisseau grec. Aussi lui dirent-elles : Maître, ne vois-tu pas comme Artemisia combat bien et comme elle vient de couler bas un navire ennemi ? Assuré que tel était l’exploit qu’elle venait d’accomplir, Xerxès, dit-on, répondit : Mes hommes sont devenus des femmes, et mes femmes des hommes. C’est ainsi qu’Artemisia fut non seulement sauvée, mais encore élevée à une plus haute place dans l’estime de Xerxès, par la destruction de l’un de ses propres vaisseaux, de l’équipage duquel il ne resta pas un seul homme pour dire l’histoire véritable[66].

Quand aux pertes totales éprouvées par l’une et par l’autre flotte, Hérodote ne nous donne pas d’estimation ; mais Diodore porte à quarante le nombre des vaisseaux détruits du côté des Grecs, et à deux cents du côté des Perses, indépendamment de ceux qui furent faits prisonniers avec tous leurs équipages. Aux pertes des Perses il faut ajouter la destruction de toutes les troupes qui avaient été débarquées avant la bataille dans l’île de Psyttaleia. Aussitôt que la flotte persane fut mise en fuite, Aristeidês transporta quelques hoplites grecs dans cette île, accabla les ennemis et les tua jusqu’au dernier. Il parait que cette perte fut fort déplorée, en ce que c’étaient des troupes choisies, en grande partie des gardes persans indigènes[67].

Quelque grande et capitale que fût la victoire, il restait encore après elle une portion suffisante de la flotte persane pour continuer avec vigueur même une guerre maritime, sans mentionner la puissante armée de terre qui n’avait pas encore été affaiblie. Et les Grecs eux-mêmes, — immédiatement après avoir recueilli dans leur île, aussi bien qu’ils le purent, les fragments des navires et des cadavres, — s’apprêtaient pour un second engagement[68]. Mais ils furent délivrés de cette nécessité par la pusillanimité[69] du monarque envahisseur, que la défaite avait fait passer soudainement d’une confiance présomptueuse non seulement à la rage et au désappointement, mais à une alarme extrême au sujet de sa sûreté personnelle. Il était plein d’un sentiment mêlé de colère et de défiance contre son armée navale, composée entièrement de nations sujettes, — Phéniciens, Egyptiens, Kilikiens, Kypriens, Pamphiliens, Grecs ioniens, etc., avec un petit nombre de Perses et de Mèdes servant à bord, dans une qualité probablement peu faite pour eux. Aucun de ces sujets n’avait d’intérêt dans le succès de l’invasion, ni d’autre motif de servir, si ce n’est la crainte ; tandis que les sympathies des Grecs ioniens y étaient même décidément opposées. Xerxès en vint alors à suspecter la fidélité ou à déprécier le courage de tous ces sujets maritimes[70]. Il s’imagina qu’ils ne pouvaient pas résister à la flotte grecque, et craignit que cette dernière ne fit voile pour l’Hellespont, afin de rompre le pont et d’intercepter sa retraite personnelle : car c’était au maintien de ce pont qu’il attachait son propre salut, non moins que son père Darius, lors de la retraite de Scythie, avait attaché le sien à la conservation du pont sur le Danube[71]. C’est contre les Phéniciens, de qui il avait attendu le plus, que sa rage éclata en menaces si violentes, qu’ils abandonnèrent la flotte pendant la nuit et partirent pour leur pays[72]. Une désertion si capitale rendit une lutte navale ultérieure encore plus désespérée, et Xerxès, bien qu’il respirât d’abord la vengeance, et parlât de faire jeter un môle ou un pont immense en travers du détroit de Salamis, finit bientôt par donner l’ordre à toute la flotte de quitter Phalêron pendant la nuit, — non toutefois sans débarquer les meilleurs soldats qui servaient à bord[73]. On leur commanda de se rendre incontinent à l’Hellespont et d’y garder le pont en attendant son arrivée[74].

Cette résolution fut suggérée par Mardonios, qui vit la terreur réelle à laquelle son maître était en proie, et y lut une preuve suffisante de danger pour lui-même. Quand Xerxês expédia à Suse la nouvelle de sa désastreuse défaite, le sentiment qu’on y éprouva ne fut pas seulement celui d’une peine violente de ce malheur, mais encore de crainte pour la sûreté personnelle du monarque ; de plus, il fut aigri par la colère contre Mardonios, l’instigateur dé cette ruineuse entreprise. Ce général savait très bien qu’il n’y avait pas de sécurité pour lui[75] s’il retournait en Perse sous le poids de la honte d’un échec. Il valait mieux pour lui se charger de la chance de soumettre la Grèce, ce qu’il avait bon espoir de pouvoir encore faire, — et conseiller à Xerxès de retourner dans une résidence sûre et commode d’Asie. Ce conseil était éminemment du goût du monarque, alarmé comme il l’était alors ; tandis qu’il ouvrait à Mardonios lui-même une nouvelle chance, non seulement de sûreté, mais encore d’une augmentation de puissance et de gloire. En conséquence, il commença à rassurer son maître en lui représentant que le coup récent n’était pas sérieux, après tout ; — qu’il n’était tombé que sur la partie inférieure de son armée et sur des esclaves étrangers sans valeur, tels que Phéniciens, Égyptiens, etc. ; tandis que les troupes persanes indigènes restaient encore invaincues et invincibles, pleinement suffisantes pour accomplir la vengeance du monarque sur la Grèce ; — que Xerxês pouvait maintenant très bien se retirer avec le gros de son armée s’il y était disposé, et que lui (Mardonios) s’engageait à achever la conquête, à la tête de trois cent mille hommes d’élite. Cette proposition procurait en même temps une consolation à la vanité blessée du monarque et la sûreté à sa personne. Ses confidents persans et Artemisia elle-même étant consultés, approuvèrent la mesure. Cette dernière avait gagné sa confiance par l’avis qu’elle lui avait donné pour le détourner du récent et déplorable engagement, et elle avait maintenant toute raison pour encourager une proposition qui indiquait de la sollicitude pour sa personne, et qui la délivrait elle-même de l’obligation de servir plus longtemps. Si Mardonios désire rester (dit-elle d’une manière méprisante)[76], n’hésite pas à lui laisser les troupes s’il réussit, c’est toi qui seras le vainqueur ; si même il périt, la perte de quelques-uns de tes esclaves est peu de chose, tant que tu restes sain et sauf et que ta maison garde la puissance. Tu as déjà, atteint le but de ton expédition en incendiant Athènes. Xerxês adopta ce conseil et ordonna le retour de sa flotte ; en même temps il témoigna sa satisfaction à la reine halikarnassienne en lui confiant quelques-uns de ses enfants, avec recommandation de les transporter à Ephesos[77].

Les Grecs à Salamis apprirent avec surprise et joie que la flotte ennemie était partie de la baie de Phalêron, et ils se mirent immédiatement à sa poursuite ; ils la suivirent jusqu’à l’île d’Andros, sans succès. On dit même que Themistoklês et les Athéniens désiraient pousser aussitôt sur l’Hellespont et y rompre le pont de- bateaux, afin d’empêcher Xerxês de s’échapper, — s’ils n’avaient été retenus par les avertissements d’Eurybiadês et des Péloponnésiens, qui leur représentèrent qu’il était dangereux de retenir le monarque persan dans le coeur de la Grèce. Themistoklês se laissa facilement persuader et contribua beaucoup à détourner ses compatriotes de cette idée ; tandis que lui-même envoya en même temps le fidèle Sikinnos une seconde fois à Xerxès pour lui donner à entendre que lui (Themistoklês) avait arrêté les Grecs impatients de s’avancer sans délai et de brûler le pont de l’Hellespont, — et que, par amitié personnelle pour le monarque, il lui avait assuré une retraite tranquille[78]. Bien que ceci soit rapporté par Hérodote, il nous est difficile de croire qu’avec la considérable armée de terre des Perses au coeur de l’Attique, on ait songé sérieusement à une opération aussi éloignée que celle d’attaquer le pont de l’Hellespont. Il semble plus probable que l’intention fut une invention de Themistoklês, en vue d’effrayer complètement Xerxès, aussi bien que de se créer un droit personnel à sa reconnaissance en réserve pour des éventualités futures.

Ces manoeuvres astucieuses et ces calculs à longue portée d’événements possibles semblent extraordinaires ; mais les faits sont suffisamment attestés, — puisque Themistoklês vécut assez pour réclamer aussi bien que pour recevoir la récompense du service rendu. Bien qu’ils soient extraordinaires, ils ne paraîtront pas inexplicables, si nous songeons d’abord que la partie des Perses, même alors après la défaite de Salamis, non seulement n’était pas désespérée, mais aurait parfaitement bien pu être gagnée si elle eût été jouée avec une prudence raisonnable ; ensuite, qu’il y avait dans l’esprit de cet homme éminent une combinaison presque sans exemple d’éclatant patriotisme, de finesse à longue portée et de rapacité égoïste. Themistoklês savait mieux que personne que la cause de la Grèce avait paru entièrement désespérée, seulement quelques heures avant le dernier combat : un homme habile ainsi entaché de fautes constantes pouvait compter naturellement être un jour découvert et puni, même si les Grecs réussissaient.

Il occupa alors la flotte dans les îles des Cyclades, en vue de lever sur elles des amendes pour les punir d’avoir pris parti pour les Perses. Il mit’ d’abord le siége devant Andros et dit aux habitants qu’il venait leur demander leur argent, en apportant avec lui deux grandes divinités, — Persuasion et Nécessité. A ces paroles, les Andriens répondirent qu’Athènes était une ville grande et favorisée par d’excellents dieux ; mais que, pour eux, ils étaient misérablement pauvres, et qu’il y avait deux divinités malveillantes qui restaient toujours avec eux et ne voulaient jamais quitter l’île, — Pauvreté et Impuissance[79]. C’était dans ces dieux que les Andriens mettaient leur confiance en refusant de donner l’argent demandé ; car la puissance d’Athènes ne pourrait jamais triompher de leur défaut de moyens. Tandis que la flotte était engagée dans une lutte contre les Andriens et leurs tristes divinités protectrices, Themistoklês envoya vers diverses autres cités, leur demandant des sommes d’argent particulières avec la promesse de les garantir d’une attaque. Il extorqua ainsi de Karystos, de Paros et d’autres endroits des présents pour lui-même, séparément des autres généraux[80] ; mais il paraît qu’Andros se trouva improductive, et, après une absence assez courte, la flotte fut ramenée à Salamis[81].

L’avis secret envoyé par Themistoklês eut peut-être pour effet de hâter le départ de Xerxès, qui ne resta en Attique qu’un petit nombre de jours après la bataille de Salamis, et ensuite fit retirer son armée par la Bœôtia en Thessalia, où Mardonios choisit les troupes qu’il devait garder pour ses futures opérations. Il retint avec lui tous les Perses, les Mèdes, les Sakæ, les Baktriens et les Indiens, cavalerie aussi bien qu’infanterie, avec des détachements d’élite pris dans les autres contingents, faisant en tout, suivant Hérodote, trois cent mille hommes. Mais comme on était alors au commencement de septembre, et que soixante mille hommes de son armée, sous Artabazos, étaient destinés à escorter Xerxês lui-même jusqu’à l’Hellespont, Mardonios proposa d’hiverner en Thessalia et de remettre au printemps suivant les opérations militaires ultérieures[82].

Après avoir ainsi laissé la plupart de ses troupes sous les ordres de Mardonios en Thessalia, Xerxês partit avec le reste pour l’Hellespont, par la même route qu’il avait prise dans sa marche peu de mois auparavant. Il circulait, relativement à sa retraite, une grande quantité d’histoires incompatibles entre elles, imaginaires et même incroyables[83]. L’imagination grecque, chez le poète contemporain Æschyle, aussi bien que chez les moraliseurs latins, Sénèque ou Juvénal[84], se plut à traiter cette invasion avec le maximum de lumière et d’ombre ; elle grossit la misère et l’humiliation destructives de la retraite, de manière à faire un puissant contraste avec l’orgueil surhumain de la première marche, et elle expliqua cette antithèse avec une licence illimitée de détail. Les souffrances causées par le manque de provisions furent sans doute cruelles, et elles sont décrites comme effroyables et meurtrières. Les magasins accumulés, remplis pour la marche en avant, avaient été épuisés ; de sorte que l’armée, dans sa retraite, fut alors forcée de s’emparer du blé du pays par lequel elle passait, — subsistance insuffisante suppléée par des feuilles, de l’herbe, l’écorce des arbres et autres misérables objets servant à remplacer la nourriture. La peste et la dysenterie aggravèrent sa misère, et firent qu’un grand nombre des soldats furent laissés derrière dans les villes dont on traversait le territoire en se retirant : Xerxês donnant des ordres sévères pour que ces villes eussent à les nourrir et à les soigner. Après une marche de quarante-cinq jours à partir de l’Attique, il se trouva enfin à l’Hellespont, où sa flotte, venant de Salamis, était arrivée longtemps avant lui[85]. Mais le pont éphémère avait déjà été mis en pièces par une tempête ; de sorte que l’armée fut transportée sur des navires en Asie, où elle trouva pour la première fois bien-être et abondance, et où le passage de la privation à l’excès engendra de nouvelles maladies. Du temps d’Hérodote, les citoyens d’Abdêra montraient encore le cimeterre et la tiare dorés dont Xerxès leur avait fait présent pendant qu’il s’était arrêté chez eux dans sa retraite, comme gage d’hospitalité et de satisfaction. Ils allaient même jusqu’à affirmer que jamais, depuis son départ de l’Attique, il n’avait dénoué sa ceinture avant d’avoir atteint leur cité, tant était fertile l’imagination grecque à grossir la terreur de l’envahisseur repoussé ! Celui-ci rentra dans Sardes, avec une armée abattue et un courage humilié, huit mois seulement après qu’il l’avait quittée comme vainqueur présumé du monde occidental[86].

Cependant les Athéniens et les Péloponnésiens, délivrés de la présence immédiate de l’ennemi soit sur terre, soit sur mer, et passant d’une extrême terreur à une tranquillité et à une sécurité soudaines, s’abandonnèrent au bonheur complet de cette victoire inespérée, en s’en félicitant eux-mêmes. La veille de la bataille, la Grèce avait semblé perdue sans remède : elle était maintenant sauvée contre tout espoir raisonnable, et le nuage terrible qui la menaçait était dissipé[87]. Lors du partage du butin, on décida que les Æginètes s’étaient distingués le plus dans l’action, et qu’ils avaient droit au lot de choix, tandis que divers autres tributs de reconnaissance furent aussi mis à part pour les dieux. De ce nombre furent trois trirèmes phéniciennes, que l’on consacra à Ajax à Salamis, à Athênê à Sunion, et à Poseidôn à l’isthme de Corinthe. On envoya d’autres présents à Apollon à Delphes ; et le dieu, quand on lui demanda s’il était satisfait, répondit que tous avaient fait leur devoir à son égard, excepté les Æginètes ; il exigea d’eux une munificence additionnelle en raison chi prix qui leur avait été accordé, et ils furent obligés de consacrer dans le temple quatre étoiles d’or sur un bâton d’airain, qu’Hérodote lui-même y vit. Après les Æginètes, la seconde place d’honneur fut accordée aux Athéniens ; l’Æginète Polykritos et les Athéniens Eumenês et Ameinias ; étant placés au premier rang parmi les combattants individuels[88]. Relativement à la conduite d’Adeimantos et des Corinthiens dans le combat, les Athéniens du temps d’Hérodote en traçaient le tableau le plus défavorable ; ils disaient qu’ils avaient fui au commencement et qu’ils n’avaient été ramenés que par la nouvelle que les Grecs étaient en train de remporter la victoire. Si l’on considère le caractère des débats qui avaient précédé, et l’empressement impatient manifesté par les Corinthiens à. combattre à l’isthme plutôt qu’à Salamis, une pareille lenteur de leur part, quand ils furent forcés d’entrer en lutte à ce dernier endroit, ne serait pas en elle-même improbable. Toutefois, dans le cas actuel, il semble que non seulement les Corinthiens eux-mêmes, mais encore la voix générale de la Grèce, contredisaient la version athénienne et soutenaient qu’ils avaient montré dans leur conduite de la bravoure et de l’ardeur. Nous devons nous rappeler qu’à l’époque où Hérodote recueillit son renseignement, un sentiment amer de haine régnait entre Athènes et Corinthe, et Aristeus, fils d’Adeimantos, était au nombre des plus grands ennemis de la première[89].

Outre le premier et le second prix de valeur, les chefs à l’isthme entreprirent d’adjuger entre eux-mêmes le premier et le second prix d’habileté et de sagesse. Chacun d’eux déposa deux noms sur l’autel de Poseidôn ; et quand on en vint à examiner les votes, on trouva que chaque homme avait voté pour lui-même comme méritant le premier prié, mais que Themistoklês avait une majorité considérable dé votes pour le second[90]. Le résultât de ce vote ne donnait à personne le droit de prétendre au premier prix, et les chefs ne pouvaient pas non plus donner le second prix sans le premier ; de sorte que Themistoklês se vit frustré de la récompense, bien que son renom en général s’en accrût d’autant, peut-être à cause de ce mécompte même. Il se rendit bientôt à Sparte, où il reçut des Lacédæmoniens des honneurs tels qu’il n’en fut jamais accordé de pareils, ni avant ni après, à aucun étranger. Une couronne d’olivier fut, en effet, donnée à Eurybiadês comme premier prix, mais une même couronne fut en même temps décernée à Themistoklês comme récompense spéciale pour sa sagacité sans égale, avec un char, le plus beau que la ville pût donner. De plus, à son départ, les trois cents jeunes gens d’élite appelés Hippeis, qui formaient la garde et la police actives du pays, l’accompagnèrent tous en corps comme escorte d’honneur jusqu’aux frontières de Tegea[91]. Ces démonstrations furent si étonnantes de la part des Spartiates hautains et insensibles, que quelques auteurs les attribuèrent à leur crainte que Themistoklês ne fût offensé s’il était privé du prix commun ; et on dit même qu’elles excitèrent tellement la jalousie des Athéniens, qu’on lui ôta sa charge de général, à laquelle Xanthippos fut nommé[92]. Il n’est pas vraisemblable que ni l’un ni l’autre de ces rapports soient vrais, et ils ne sont pas confirmés par Hérodote. Le fait que Xanthippos devint général de la flotte l’année suivante est dans le cours régulier du changement des officiers chez les Athéniens, et n’implique pas de jalousie particulière à l’égard de Themistoklês.

 

 

 



[1] Hérodote, VIII, 40, 71, 73.

[2] Hérodote, VIII, 66. Diodore appelle le combat des Thermopylæ une victoire Kadmeienne pour Xerxès, ce qui n’est vrai qu’à la lettre, et non dans l’esprit. Sans douté il perdit dans le défilé un plus grand nombre d’hommes que les Grecs ; mais l’avantage qu’il gagna fut prodigieux (Diodore, XI, 12) ; et Diodore lui-même expose la terreur des Grecs après l’événement (XI, 13-15).

[3] Plutarque, De Herod. Malignit., p. 864 ; Hérodote, VIII, 34.

[4] Hérodote, VIII, 44, 50.

[5] Hérodote, VIII, 66.

[6] Thucydide, I, 69.

[7] Hérodote, VIII, 71.

[8] Hérodote, VIII, 74.

[9] Hérodote, VII, 139.

[10] Plutarque, Themistoklês, c. 9. Hérodote, VIII, 40. Thucydide I, 74.

Lysias (Oratio. Funeb., c. 8) et Isocrate tirent vanité de ce fait, que les Athéniens, bien que trahis ainsi, ne songèrent jamais à traiter séparément avec Xerxès (Panégyrique, Or. IV, p. 60). Mais il n’y a pas lieu de croire que Xerxès leur aurait accordé des conditions séparées : c’était contre eux qu’était dirigée sa vengeance particulière. Isocrate a confondu dans son esprit la conduite des Athéniens quand ils refusèrent les offres de Mardonios, l’année qui suivit la bataille de Salamis, avec leur conduite avant la bataille de Salamis contre Xerxès.

[11] Hérodote, VIII, 40-42.

[12] Platon, Leg., III, p. 699.

[13] Hérodote, VIII, 66, 67. Il n’y eut donc que peu de temps pour enlever et emporter les meubles, ce à quoi Thucydide fait allusion, I, 18.

[14] Hérodote, VIII, 41 ; Plutarque, Themistoklês, c. 10.

Dans les années 1821 et 1822, pendant la lutte qui précéda la délivrance de la Grèce, les Athéniens furent forcés de quitter le pays et de chercher un refuge à Salamis, à trois reprises différentes. Ces incidents sont esquissés d’une manière à la fois intéressante et instructive par le Dr Waddington, dans sa tournée en Grèce (London, 1825, Letters VI, VII, X). Il dit, p. 92 : Trois fois les Athéniens ont émigré en corps, et cherché un refuge contre le sabre dans les rochers sans abri de Salamis. Dans ces occasions, m’assure-t-on, beaucoup d’entre eux ont habité des cavernes, et beaucoup de misérables buttes, construites sur le flanc de la montagne de leurs débiles mains. Plus d’un a péri aussi pour être exposé aux intempéries du climat ; beaucoup sont morts de maladies causées par le dégoût de leurs habitations ; beaucoup de faim et de misère. Lors de la retraite des Turcs, les survivants retournèrent dans leur patrie. Mais quelle patrie allaient-ils retrouver ? Une terré de désolation et de famine ; et dans le fait, lorsque Athènes fut occupée de nouveau pour la première fois, après le départ d’Omer-Brioni, on sait que plusieurs personnes subsistèrent d’herbes pendant quelque temps, jusqu’à l’arrivée au Pirée d’une provision de blé venant de Syra et d’Hydra.

Il y a un siècle et demi, également, dans la guerre entre les Turcs et les Vénitiens, la population de l’Attique fut forcée d’émigrer à Salamis, à Ægina et à Corinthe. M. Buchon fait observer : Les troupes albanaises, envoyées en 1688 par les Turcs (dans la guerre contre les Vénitiens) se jetèrent sur l’Attique, mettant tout à feu et à sang. En 1688, les chroniques d’Athènes racontent que ses malheureux habitants furent obligés de se réfugier à Salamine, à Égine et à Corinthe, et que ce ne fut qu’après trois ans qu’ils purent rentrer en partie dans leur ville et dans leurs champs. Beaucoup de villages de l’Attique sont encore habités par les descendants de ces derniers envahisseurs, et avant la dernière révolution on n’y parlait que la langue albanaise ; mais leur physionomie diffère autant que leur langue de la physionomie de la race grecque (Buchon, la Grèce continentale et la Morée, Paris, 1843, ch. 2, p. 82).

[15] Pausanias semble regarder ces pauvres gens comme quelque peu présomptueux pour prétendre comprendre l’oracle mieux que Themistoklês (I, 18, 2).

[16] Hérodote, VIII, 50.

[17] Thucydide, II, 16, 17.

[18] Plutarque, Themistoklês, c. 10, 11, et Kimôn, c. 5.

[19] Est-ce là l’incident auquel songeait Aristote (Politique, V, 3, 5) ? c’est ce que nous ne pouvons déterminer.

[20] Plutarque, Themistoklês, c. 10.

[21] Hérodote, IX, 99.

[22] Hérodote, VIII, 43-48.

[23] Æschyle, Persæ, 347 ; Hérodote, VIII, 48 ; VI, 9 ; Pausanias, I, 14, 4. Le total qu’annonce Hérodote est trois cent soixante dix-huit ; mais les articles qu’il donne, étant additionnés, ne montent qu’à trois cent soixante-six. Il semble qu’il n’y ait pas moyen de concilier cette différence, si ce n’est au moyen d’un changement violent que nous ne sommes pas autorisés à faire.

Ktêsias dit que le nombre des vaisseaux de guerre persans à Salamis dépassait mille, celui des vaisseaux grecs sept cents (Persica, c. 26).

Selon l’orateur athénien dans Thucydide (I, 74), le total de la flotte grecque à Salamis était d’environ quatre cents vaisseaux, et le contingent athénien un peu moins que deux parties de ce total.

Le Scholiaste, avec Poppo et la plupart des commentateurs de ce passage, regardent τών δύο μοιρών comme signifiant incontestablement les deux tiers ; et si c’était là le sens, je serais d’accord avec le Dr Arnold pour considérer l’assertion comme une simple exagération de l’orateur, n’impliquant pas du tout l’autorité de Thucydide lui-même. Mais je ne puis croire que nous soyons réduits ici à une telle nécessité : car l’explication de Didot et de Goeller (bien que le Dr Arnold la déclare une erreur nullement douteuse), me paraît parfaitement admissible. Ils soutiennent que αί δύο μοιραί ne signifie pas nécessairement deux parties de trois ; dans Thucydide, I, 10, nous trouvons καίτοι Πελοποννήσου τών πέντε τάς δύο μοιράς νέμονται, où les mots veulent dire deux parties de cinq. Or, dans le passage qui nous occupe, nous avons ναΰς μέν γε ές τάς τετρακοσίας όλίγω έλάσσους τών δύο μοιρών : et Didot, et Goeller, prétendent que dans le mot τετρακοσίας est impliquée une division quaternaire de tout le nombre, quatre cents ou quatre centièmes parties ; de sorte que l’ensemble du sens serait : — A l’agrégat de quatre cents vaisseaux nous’ contribuâmes pour un peu moins de deux. Le mot τετρακοσίας, équivalant à τέσσαρας έκατοντάδας, renferme naturellement l’idée générale de τέσσαρας μοιράς : et ceci mettrait le passage dans une analogie exacte avec celui qui est cité plus haut, — τών πέντε τάς δύο μοιράς. Tout en respectant beaucoup le jugement du Dr Arnold sur un auteur qu’il a étudié si longtemps, je ne puis admettre les raisons sur lesquelles il a déclaré que cette interprétation de Didot et de Goeller était une erreur indubitable. Elle a l’avantage de mettre l’assertion de l’orateur dans Thucydide en harmonie avec Hérodote, qui dit que les Athéniens fournirent cent quatre-vingts vaisseaux à Salamis.

Toutes les fois qu’un tel accord peut être assuré par une explication admissible des mots existants, c’est un incontestable avantage, et qui devrait servir de raison dans le cas, s’il y avait un doute entre deux explications différentes. Mais, d’autre part, je proteste contré l’altération de renseignements numériques dans un auteur, simplement pour le faire accorder avec un antre, et sans quelque raison réelle dans le texte lui-même. Ainsi, par exemple, dans ce même passage de Thucydide, Bloomfield et Poppo proposent de changer τετρακοσίας en τριακοσίας, afin que Thucydide puisse être d’accord avec Æschyle et avec d’autres auteurs, si non avec Hérodote ; tandis que Didot et Goeller voudraient changer τριακοσίων en τετρακοσίων dans Démosthène (De Coronâ, c. 70), pour que Démosthène puisse être d’accord avec Thucydide. De telles corrections me paraissent inadmissibles en principe : nous ne devons pas mettre divers témoins forcément d’accord en retouchant leurs renseignements.

[24] Hérodote, VIII, 26.

[25] Hérodote, VIII, 30.

[26] Hérodote, VIII, 28, 29.

[27] Hérodote, VIII, 32-34.

[28] Hérodote, VIII, 38, 39 ; Diodore, XI, 14 ; Pausanias, X, 8, 4.

Cf. le récit donné dans Pausanias (X, 23) de l’échec essuyé plus tard par Brennus et par les Gaulois dans leur attaque dirigée contre Delphes : dans son récit, l’échec n’est pas aussi exclusivement l’ouvrage des dieux que dans celui d’Hérodote ; il y a une troupe plus nombreuse de combattants humains qui défendent le temple, bien que largement assistés par l’intervention divine ; il y a aussi des pertes des deux côtés. On mentionne également des rochers descendant du sommet.

Voir pour la description de la route que suivirent les Perses, et le terme extrême de leur marche, Ulrichs, Reisen und Forschungen in Griechenland, ch. 4, p. 46 ; ch. 10, p. 146.

On peut voir encore près de l’endroit plus d’un grand bloc de pierre et de roc qui a roulé du sommet, et qui rappelle ces passages au voyageur.

L’attaque que l’on rapporte ici avoir été dirigée par ordre de Xerxès contre le temple de Delphes, ne semble pas facile à concilier avec les mots de Mardonios, Hérodote, IX, 42 ; encore moins peut-elle l’être avec l’assertion de Plutarque (Numa, c. 9), qui dit que le temple delphien fut brûlé par les Mèdes.

[29] Hérodote, VIII, 52.

[30] Pausanias, I, 22, 4. Kruse, Hellas, vol. II, ch. 6, p. 76. Ernst Curtius (Die Akropolis von Athens, p. 5. Berlin, 1846), dit que le plateau de l’acropolis ne s’élève pas tout à fait de quatre cents pieds au-dessus de la ville ; Fiedler, qu’il est à mille soixante-huit pieds au-dessus du niveau de la mer (Reise durch das Koenigreich Griechenland, I, p. 2) ; il donne la longueur et la largeur avec les mîmes chiffres que Kruse, dont j’ai copié l’exposé dans le texte. Dans l’excellente Topography of Athens du colonel Leake, je ne trouve aucune indication distincte relativement à la hauteur de l’acropolis. Nous devons comprendre que celle de Kruse (si lui et Curtius sont tous deux exacts) se rapporte seulement à la partie escarpée et impraticable de tout le rocher.

[31] Une légende athénienne représentait les Amazones comme s’étant postées sur l’Areiopagos et l’ayant fortifié comme moyen d’attaquer l’acropolis (Æschyle, Euménides, 638).

[32] Hérodote, VIII, 52, 53.

Il parait établi clairement que 1Aglaurion était sur le côté nord de l’acropolis. V. Leake, Topography of Athens, ch. 5, p. 261 ; Kruse, Hellas, vol. II, ch. 6, p. 119 ; Forchhammer, Topographie Athens, p. 365, 366 ; dans Kieler Philologische Studien, 1841. Siebelis (dans le plan d’Athènes mis en tête de son édition de Pausanias, et dans sa note sur Pausanias, I, 18, 2) place par erreur l’Aglaurion sur le côté oriental de l’acropolis.

Les expressions έμπροσθε πρό τής άκροπόλιος paraissent se rapporter à la position de l’armée persane, qui occupait naturellement la face septentrionale et la face occidentale de l’acropolis ; puisqu’elle était arrivée à Athènes par le nord et que le côté occidental présentait le seul accès régulier. La colline appelée Areiopagos était ainsi presque au centre de leur position. Forchhammer explique ces expressions d’une manière peu satisfaisante.

[33] Hérodote, VIII, 52, 53.

[34] Hérodote, I, 84.

[35] Hérodote, V, 102 ; VIII, 53-99 ; IX, 65.

[36] Hérodote, VIII, 55-65.

[37] Hérodote, VIII, 66. Le colonel Leake fait observer, au sujet de ce renseignement (Athens and the Demi of Attica, App. vol. II, p. 250) : Environ mille vaisseaux, c’est la plus grande exactitude à laquelle nous puissions prétendre, en exposant la force de la flotte persane à Salamis ; et il en faut déduire, en estimant le nombre des vaisseaux engagés dans la bataille, ceux qui furent envoyés pour occuper le détroit Mégarique de Salamis, au nombre de deux cents.

L’estimation du colonel Leake parait un peu au-dessous de la réalité probable. Je ne crois pas non plus l’assertion de Diodore, gui dit que des vaisseaux furent détachés pour occuper le détroit Mégarique. Voir une note qui viendra peu après.

[38] Le tableau tracé dans la Cyropædie de Xénophon représente les sujets de la Perse comme dénués de courage et non exercés à la guerre, et même maintenus dans cet état à dessein, formant un contraste avec les Perses indigènes (Xénophon, Cyropædie, VIII, 1, 45).

[39] Hérodote, VIII, 68, 69, 70.

[40] Hérodote, VIII, 70.

[41] Hérodote, VIII, 49, 50, 56.

[42] Hérodote, VIII, 57.

[43] Hérodote, VIII, 58, 59. Le récit que fait Hérodote de ces mémorables débats qui précédèrent la bataille de Salamis est en général clair, instructif et logique. Il est plus probable que celui de Diodore (XI, 15, 16), qui dit que Themistoklês réussit à convaincre entièrement Eurybiadês et les chefs péloponnésiens de la convenance de combattre à Salamis, mais que, malgré tous leurs efforts, l’armement ne leur obéit pas, et insista pour aller à l’isthme. Et il mérite encore plus notre estime, si nous le comparons aux récits vagues et négligés de Plutarque et de Cornélius Nepos. Comme Plutarque (Themistoklês, c. 11) décrit la scène, Eurybiadês était la personne qui désirait arrêter l’empressement et l’éloquence de Themistoklês, et qui, dans cette intention, lui fit d’abord l’observation que je donne dans mon texte en l’empruntant d’Hérodote, et à laquelle, Themistoklês fit la même réponse, — qui ensuite leva son bâton pour frapper Themistoklês, ce qui provoqua de la part de ce dernier l’observation si connue : Frappe, mais écoute. Larcher exprime sa surprise qu’Hérodote ait supprimé une anecdote si frappante que cette dernière. Mais nous pouvons voir distinctement par la teneur de son récit qu’il ne peut l’avoir entendu raconter. Dans le récit d’Hérodote, Themistoklês ne fait pas d’offense à Eurybiadês, et celui-ci n’est nullement mécontent de lui. Qui plus est, Eurybiadês est même entraîné par les paroles persuasives de Themistoklês, et disposé à tomber dans son sens. Les personnes qu’Hérodote représente comme irritées contre Themistoklês sont les chefs péloponnésiens, particulièrement Adeimantos le Corinthien. Ils sont irrités aussi (il faut ajouter), non sans une raison plausible : un vote en forme vient d’être rendu par la majorité, après une discussion approfondie, et voici le chef de la minorité qui persuade à Eurybiadês de rouvrir tout le débat : cause assez raisonnable de mécontentement. De plus, c’est Adeimantos, non Eurybiadês, qui adresse à Themistoklês la remarque que les personnes qui se lèvent avant le signal voulu sont fouettées. Et il fait la remarque parce que Themistoklês continue de parler aux divers chefs, et tâche de les persuader, avant que la délibération de l’assemblée ait été ouverte dans les formes. Themistoklês s’attire le blâme en péchant contre les formes de la délibération, et en parlant avant le temps voulu. Mais Plutarque met la remarque dans la bouche d’Eurybiadês, sans aucune circonstance antérieure pour la justifier, et sans aucune convenance. Son récit représente Eurybiadês comme étant la personne qui désire et transférer les vaisseaux à l’isthme, et empêcher Themistoklês de faire de l’opposition à cette mesure ; bien que cette tentative faite pour arrêter une opposition en forure d’argument de la part du commandant de l’escadre athénienne ne soit nullement croyable.

Le Dr Blomfield (ad Æschyl. Pers., 728) imagine que l’histoire relative à Eurybiadês menaçant Themistoklês de son bâton naquit de l’histoire telle qu’elle est rapportée dans Hérodote, bien qu’Hérodote lui-même ne la connût pas. Je ne puis croire que ceci soit exact, puisque l’histoire ne s’adapte pas au récit de cet historien ; elle ne s’accorde pas avec sa conception des relations existant entre Eurybiadês et Themistoklês.

[44] Hérodote, VIII, 61, 62.

[45] Hérodote, VIII, 64.

[46] Hérodote, VIII, 74. Cf. Plutarque, Themistoklês, c. 12.

[47] Lykurgue (cont. Leokrat., c. 17, p. 185) compte les Æginètes parmi ceux qui désiraient s’échapper de Salamis pendant la nuit, et qui n’en furent empêchés que par le stratagème de Themistoklês. C’est une grande erreur, comme dans le fait ces orateurs jugent perpétuellement mal les faits de leur ancienne histoire. Les Æginètes avaient un intérêt non moins fort que les Athéniens à garder la flotte réunie et à combattre à Salamis.

[48] Plutarque (Themistoklês, c. 12) appelle Sikinnos un Perse de naissance, ce qui ne peut être vrai.

[49] Hérodote, VIII, 75.

[50] Thucydide, 1, 137. Il est curieux de comparer ceci avec Æschyle, Persæ, 351, sqq. V. aussi Hérodote, VIII, 109, 110 :

Isocrate pouvait bien faire remarquer, au sujet des dernières récompenses données par les Perses à Themistoklês : Θεμιστοκλεά δ̕, ός ϋπέρ τής Έλλάδος αύτούς κατεναυμάχησε, τών μεγίστων δωρέων ήξίσαν (Panégyrique, Or. IV, p. 74), — quoique cet orateur parle comme s’il ne savait rien du stratagème par lequel Themistoklês força les Grecs à combattre à Salamis contre leur volonté. V. le même Discours, c. 27, p. 61.

[51] Æschyle, Persæ, 370.

Hérodote ne parle pas de cette menace faite aux généraux, et il ne mentionne même pas l’intervention personnelle de Xerxês en aucune manière, pour tout ce qui regarde le mouvement scie nuit de la flotte persane. Il regarde la communication de Sikinnos comme ayant été faite aux généraux Persans, et le mouvement de nuit comme entrepris par eux. L’assertion du poète contemporain semble la plus probable des deux ; mais il omet, comme on pouvait s’y attendre, toute mention des dissensions périlleuses qui agitaient le camp grec.

[52] Diodore (XI, 17) dit que l’escadre égyptienne de la flotte de Xerxês fut détachée pour fermer l’issue entre Salamis et la Mégaris, c’est-à-dire pour doubler l’extrémité sud-ouest de l’île jusqu’au détroit situé au nord-ouest, où l’extrémité nord-ouest de l’île est séparée de Megara par un détroit resserré, près de l’endroit où fut placé plus tard le fort de Budoron, pendant la guerre du Péloponnèse.

Hérodote ne dit rien de ce mouvement, et son récit implique évidemment que la flotte grecque était enfermée au nord de la ville de Salamis, l’aile droite persane s’étant postée entre cette ville et Eleusis. Le mouvement annoncé par Diodore me paraît inutile et improbable. Si l’escadre égyptienne avait été placée là, elle eût été dans le Tait très éloignée du théâtre de l’action, tandis qu’Hérodote croyait, comme nous pouvons le voir, qu’elle avait pris une part réelle à la bataille avec le reste (VIII, 100).

[53] Hérodote, VIII, 76.

Il avait indiqué antérieurement Phalêron comme la principale station de la flotte persane ; sans vouloir dire nécessairement qu’elle y fût tout entière. Le passage que je viens de transcrire donne à entendre ce que firent les Perses pour accomplir leur projet d’entourer les Grecs dans le port de Salamis : et la première partie de ce passage, où il parle de l’aile occidentale (plus proprement nord-ouest), ne présente pas de difficulté extraordinaire, bien que nous ne sachions pas jusqu’où s’étendait l’aile occidentale avant le commencement du mouvement. Probablement elle s’étendait jusqu’au port de Peiræeus, et elle commença de là son mouvement de nuit le long de la côte de l’Attique pour aller au delà de la ville de Salamis. Mais il n’est pas facile de comprendre la seconde partie du passage où il dit que ceux qui étaient stationnés autour de Keos et de Kynosura se mirent aussi en mouvement, et occupèrent avec leurs vaisseaux tout le détroit jusqu’à Munychia. Quels endroits étaient Keos et Kynosura, et où étaient-ils situés ? Les seuls endroits connus portant ces noms sont Pile de Keos, non loin du sud du cap Sunion, en Attique, — et le promontoire Kynosura, sur la côte nord-est de l’Attique, immédiatement au nord de la baie de Marathôn. II ne semble guère possible de supposer qu’Hérodote voulût parler de ce dernier promontoire, trop éloigné pour rendre le mouvement qu’il décrit aucunement praticable ; même l’île de Keos est exposée, bien qu’à un moins haut degré, à la même objection, à savoir, qu’elle est trop éloignée. Aussi Barthélemy, Kruse, Baehr et le Dr Thirlwall appliquent-ils les noms de Keos et de Kynosura à deux promontoires (le plus méridional et le plus au sud-est) de l’île de Salamis ; et Kiepert se appliqué leur idée dans ses cartes nouvellement publiées. Mais en premier lieu, on ne produit aucune autorité en donnant ces noms à deux promontoires de l’île, et les critiques ne le font que parce qu’ils disent qu’il est nécessaire d’assurer un sens raisonnable à ce passage d’Hérodote. En second lieu, si nous admettons leur supposition, nous devons supposer qu’avant que ce mouvement de nuit fût commencé, la flotte persane était déjà stationnée en partie à la hauteur de l’île de Salamis ; ce qui me ‘paraît extrêmement improbable. Quelque station que la flotte occupât avant le mouvement de nuit, nous pouvons être très sûrs que ce n’était pas dans l’île possédée alors par l’ennemi ; c’était quelque part sur la côte de l’Attique, et les noms de Keos et de Kynosura doivent appartenir à quelques points inconnus de l’Attique, non de Salamis. Je ne peux donc pas adopter la supposition de ces critiques, bien que, d’an autre côté, Larcher soit peu satisfaisant dans la tentative qu’il fait pour écarter les objections qui s’appliquent à la supposition de Keos et de Kynosura, telles qu’on les comprend ordinairement. Il est difficile dans ce cas de concilier l’assertion d’Hérodote avec les considérations géographiques, et je présume plutôt que dans cette occasion il a été égaré lui-même par un trop grand désir de trouver l’oracle de Bakis réellement accompli. C’est sur Bakis qu’il copie le nom de Kynosura (VIII, 77).

[54] Hérodote, VIII, 79, 80.

Hérodote dit, sans doute exactement, qu’Aristeidês, immédiatement après qu’il eut fait la communication au conseil, se retira, sans prétendre prendre part au débat. Plutarque le représente comme présent et comme y prenant part (Aristeidês, c. 9). Selon Plutarque, Themistoklês prie Aristeidês de l’aider à persuader Eurybiadês ; selon Hérodote, Eurybiadês était déjà persuadé : c’étaient les chefs péloponnésiens qui résistaient.

On trouvera partout les détails d’Hérodote à la fois plus croyables et plus logiques que ceux de Plutarque et des écrivains plus récents.

[55] Æschyle, Persæ, 473 ; Hérodote, VIII, 90. Le trône à pieds d’argent, sur lequel Xerxês s’était assis, fut conservé longtemps dans l’acropolis d’Athènes ; — il avait été abandonné lors de sa retraite. Harpocration, Άργυρόπους δίφρος.

Un écrivain auquel s’en réfère Plutarque, — Akestodôros, — affirmait que le siége de Xerxês était dressé, non au pied du mont Ægaleos, mais beaucoup plus loin au nord-ouest, sur les frontières de l’Attique et de la Mégaris, an pied des montagnes appelées Kerata (Plutarque, Themistoklês, 13). Si cet écrivain connaissait la topographie de l’Attique, nous devons supposer qu’il attribuait b Xerxês une vue étonnamment longue. Mais nous pouvons probablement voir dans cette assertion un exemple de cette négligence en géographie qui se remarque dans tant d’auteurs anciens. Ktêsias reconnaît l’Hêrakleion (Persica, c. 26).

[56] Hérodote, VIII, 85 ; Diodore, XI, 16.

[57] Hérodote, VIII, 83 ; Plutarque (Themistoklês, c. 13 ; Aristeidês, c. 9 ; Pelopidas, c. 21). Plutarque raconte une histoire d’après Phanias, relativement à un incident survenu au moment qui précéda l’action ; et on aime b trouver une raison suffisante pour le rejeter. Themistoklês, avec le prophète Euphrantidês, était en train d’offrir un sacrifice à côté de la galerie de l’amiral, quand on amena comme prisonniers trois beaux jeunes gens, neveux de Xerxês. Comme le feu jeta précisément alors une lueur brillante, et qu’on entendit un éternuement du côté droit, le prophète enjoignit à Themistoklês d’offrir ces trois prisonniers en sacrifice propitiatoire à Dionysos Omêstês ; ce que les cris des assistants le forcèrent de faire contre sa volonté. C’est ce que Plutarque avance dans sa vie de Themistoklês ; dans sa vie d’Aristeidês, il affirme que ces jeunes gens furent amenés prisonniers de Psyttaleia, quand Aristeidês l’attaqua au commencement de l’action. Or Aristeidês n’attaqua Psyttaleia que quand le combat naval fut presque terminé, de sorte que des prisonniers n’ont pu être amenés de là ah commencement de l’action. Il n’a donc pu y avoir de prisonniers persans au sacrifice, et on peut écarter l’histoire comme une fiction.

[58] Hérodote, VIII, 84.

Æschyle (Persæ, 396-415) décrit bien le cri de guerre des Grecs et la réponse des Perses. Pour de très bonnes raisons, il ne mentionne pas la lâcheté que les Grecs montrèrent en Commençant et qu’Hérodote nous expose.

Le cri de guerre décrit ici par Æschyle, guerrier réellement engagé dans l’affaire, nous montre la différence entre un combat naval à cette époque et la tactique perfectionnée des Athéniens, cinquante ans plus tard, au commencement de la guerre du Péloponnèse. Phormion surtout enjoint à ses hommes la nécessité du silence (Thucydide, II, 89).

[59] Simonide, Epigram. 138, Bergk ; Plutarque, De Herodot. Malignit., c. 36.

Suivant Plutarque (Themistoklês, 12) et Diodore (XI, 17), ce fut le vaisseau de l’amiral persan qui fut le premier attaqué et pris. S’il en avait été ainsi, Æschyle l’aurait probablement spécifié.

[60] Hérodote, VIII, 85 ; Diodore, XI, 16. Æschyle, dans les Persæ, bien qu’il donne une longue liste des noms de ceux qui combattirent contre Athènes, ne fait aucune allusion aux Grecs ioniens ni à d’autres comme ayant fait partie du catalogue. V. Blomfield, ad. Æschyl. Pers., 42. Ce silence s’explique facilement.

[61] Hérodote, VIII, 86 ; Diodore, XI, 17. Le témoignage du premier, tant au sujet du courage manifesté par la flotte persane, que de son manque complet d’ordre et de système, est décisif, aussi bien qu’au sujet de l’effet de la surveillance personnelle de Xerxês.

[62] Simonide, Epigr. 138, Bergk.

[63] Les nombreux noms de chefs persans qu’Æschyle rapporte comme ayant été tués, sont pour la plupart probablement des inventions personnelles, pour plaire à son auditoire. V. Blomfield, Præfat. ad Æschyl. Pers., p. XII.

[64] Hérodote, VIII, 90.

[65] Comparez le langage indigné de Démosthène un siècle et quart après, relativement à la seconde Artemisia, reine de Karia, comme ennemie d’Athènes (Démosthène, De Rhodior. Libert., c. X, p. 197).

[66] Hérodote, VIII, 87, 88, 93. L’histoire donnée ici par Hérodote, relativement au stratagème à l’aide duquel échappa Artemisia, semble assez probable ; et il peut l’avoir entendue de la bouche de concitoyens à lui qui étaient à bord de son vaisseau. Bien que Plutarque l’accuse de disposition extravagante à complimenter cette reine, il est évident qu’il n’aime pas lui-même l’histoire, et qu’il ne la considère pas comme un compliment, car lui-même il insinue un doute. Je ne sais si elle coula le navire kalyndien avec intention, ou si elle se heurta contre lui accidentellement. Puisque le choc fut si destructif que le navire kalyndien fut complètement enfoncé et coulé, que tous les hommes de son équipage périrent, nous pouvons bien être sûrs qu’il était intentionnel ; et l’historien suggère simplement une hypothèse possible pour pallier un acte de grande déloyauté. Toutefois, bien que l’histoire du vaisseau kalyndien coulé ait un air de vérité, nous ne pouvons pas en dire autant de l’observation de Xerxês, et de l’attention qu’il prêta, dit-on, à cet acte. Tout ceci a bien l’apparence d’un roman.

Nous avons à regretter (comme le fait observer Plutarque, De Malign. Herodot., p. 873) qu’Hérodote, qui nous parle beaucoup d’Artemisia, nous dise si peu de chose au sujet des autres ; mais sans doute il entendait parler d’elle plus que du reste, et peut-être ses propres parents faisaient-ils partie de son contingent.

[67] Hérodote, VIII, 95 ; Plutarque, Aristeidês, c. 9 ; Æschyle, Persæ, 454-470 ; Diodore, XI, 19.

[68] Hérodote, VIII, 96.

[69] Les victoires des Grecs sur les Perses furent considérablement favorisées par la timidité personnelle de Xerxès et de Darius Codoman à Issus et à Arbèles (Arrien, II, 11, 6 ; III, 14, 3).

[70] Voir ce sentiment surtout dans le langage de Mardonios à Xerxês (Hérodote, VIII, 100), aussi bien que dans celui que l’historien prête à Artemisia (VIII, 68), qui indique la conception générale de l’historien lui-même, née des divers renseignements qui lui parvenaient.

[71] Hérodote, VII, 10.

[72] Ce fait important n’est pas avancé par Hérodote, mais il est distinctement donné dans Diodore, XI, 19. Il semble assez probable.

Si la tragédie de Phrynichos, intitulée Phœnissæ, avait été conservée, nous en saurions davantage sur la position et la conduite du contingent phénicien dans cette invasion. Elle fut représentée à Athènes seulement trois ans après la bataille de Salamis, en 477 oui 476 avant J.-C., avec Themistoklês comme chorège, quatre ans avant le drame des Persæ d’Æschyle, qui, suivant l’affirmation de Glaucus, fut imité d’elle (παραπεποιήσθαι) avec quelques changements. Le chœur dans les Phœnissæ consistait en femmes phéniciennes, peut-être les veuves de ces Phéniciens que Xerxès avait fait décapiter après le combat (Hérodote, VIII, 90, comme le suppose Blomfield, Præf. ad Æsch. Pers., p. IX), ou seulement de Phéniciens absents pour l’expédition. Les fragments restant de cette tragédie, qui gagna le prix, sont trop peu abondants pour appuyer aucune conjecture quant à son plan et -à ses détails (V. Welcker, Griechische Tragoed., vol. I, p. 26 ; et Droysen, Phrynichos, Æschylos, und die Trilogie, p. 4-6).

[73] Hérodote, IX, 32.

[74] Hérodote, VIII, 97-107. La terreur de ces marins faisant retraite fut telle qu’ils prirent, dit-on, pour des vaisseaux les falaises avancées du cap Zôstêr (à peu près à mi-chemin entre Peiræeus et Sunion), et qu’ils redoublèrent leur fuite précipitée comme si un ennemi était à leurs trousses, — histoire que nous pouvons regarder comme n’étant rien de plus qu’une sotte exagération des Athéniens de qui Hérodote recevait ses renseignements.

Ktêsias, Persic, c. 16 ; Strabon, IX, p. 395. Ces deux derniers parlent de l’intention de jeter un môle en travers du détroit de l’Attique à Salamis, comme si elle eût été conçue avant la bataille.

[75] Cf. Hérodote, VII, 10.

[76] Hérodote, VIII, 101, 102.

[77] Hérodote, VIII, 101, 102.

[78] Hérodote, VIII, 109, 110 ; Thucydide, 1, 137. Les mots ήν ψευδώς προσεποιήσατο peuvent être compris probablement dans un sens un peu plus étendu que celui qu’ils ont naturellement dans Thucydide. En réalité, — non seulement il était faux que Themistoklês fût la personne qui dissuada les Grecs d’aller à l’Hellespont, — mais il était faux aussi que les Grecs eussent jamais eu une intention sérieuse d’y aller. Cf. Cornelius Nepos, Themistoklês, c. 5.

[79] Hérodote, VIII, 111.

Cf. Alcée, Fragm. 90, éd. Bergk, et Hérodote, VII, 172.

[80] Hérodote, VIII, 112 ; Plutarque, Themistoklês, c. 21, — qui cite quelques vers amers du poète contemporain Timokreôn.

[81] Hérodote, VIII, 112-121.

[82] Hérodote, VIII, 114-126.

[83] Le récit donné par Æschyle de cette marche de retraite me paraît exagéré, et dans plusieurs points incroyable (Persæ, 462-513). Il est sans doute vrai que les Perses souffrirent considérablement du manque de provisions, et que beaucoup d’entre eux moururent de faim. Mais nous devons considérer en déduction : — 1° Que cette marche s’effectua dans les mois d’octobre et de novembre, conséquemment non pas très longtemps après la moisson ; 2° Que Mardonios nourrit une grande armée en Thessalia pendant tout l’hiver et la mit en état de combattre au printemps ; 3° Qu’Artabazos aussi, avec une autre division considérable, fut en opération militaire en Thrace tout l’hiver, après avoir escorté Xerxês et l’avoir mis en sûreté.

Si nous considérons ces faits, nous verrons que les assertions d’Æschyle, même quant aux souffrances par la famine, ne doivent être admises qu’avec de grandes réserves. Mais ce qu’il dit au sujet du passage du Strymôn me parait incroyable, et je regrette de me trouver sur ce point en désaccord avec le Dr Thirlwall, qui regarde ce renseignement comme un fait indubitable (Hist. of Greece, c. 15, p. 351, 2s éd.). Le fleuve avait été gelé pendant la nuit assez fortement pour porter ceux qui arrivèrent les premiers. Mais la glace céda soudainement sous l’influence du soleil du matin, et beaucoup périrent dans les eaux. — Voilà ce que dit le Dr Thirlwall, d’après Æschyle, et il ajoute dans une note : Il est un peu surprenant qu’Hérodote, en décrivant les misères de la retraite, ne signale pas ce désastre, qui est si saillant dans le récit du messager persan d’Æschyle. Il ne peut cependant y avoir de doute quant au fait : et il se peut qu’il fournisse un avertissement utile de ne pas trop insister sur le silence d’Hérodote, comme étant un motif pour rejeter des faits même importants et intéressants qui sont mentionnés seulement par des écrivains plus récents, etc.

Qu’un fleuve aussi considérable qu’est le Strymôn près de son embouchure (large de 164 mètres, et à environ 40° 50’ latitude N.), à une époque qui n’a pu être plus avancée que le commencement de novembre, ait été gelé en une nuit assez fortement pour permettre à une partie de l’armée de marcher sur la glace à l’aurore, — avant que le soleil devint chaud, — c’est là une assertion qui a sûrement besoin d’un témoin plus responsable qu’Æschyle pour l’affirmer. Dans le fait, il décrit le phénomène comme une gelée hors de saison, produite par une intervention spéciale des dieux. A le croire, aucun des fugitifs ne fut sauvé, à l’exception de ceux qui furent assez heureux pour traverser le Strymôn sur la glace, pendant l’intervalle qui s’écoula entre l’aurore et la chaleur du soleil. On s’imaginerait qu’il y avait un ennemi à leur poursuite sur leurs traces, ne leur laissant que peu de temps pour s’échapper ; tandis qu’en fait il n’y avait pas d’ennemi à combattre, — rien que la difficulté de trouver à subsister. Pendant la première marche de Xerxês, un pont de bateaux avait été jeté sur le Strymôn : et l’on ne peut donner aucune raison qui prouve que ce pont n’existât pas encore ; Artabazos doit l’avoir repassé après avoir accompagné le monarque jusqu’à l’Hellespont. J’ajouterai que la ville et la forteresse d’Eiôn, qui commandait l’embouchure du Strymôn, resta comme une place forte importante des Perses quelques années après cet événement, et qu’elle fut prise seulement, après une résistance désespérée, par les Athéniens et leurs alliés sous Kimôn.

Les auditeurs athéniens des Perses ne critiquaient pas sévèrement la crédibilité historique de ce que leur disait Eschyle au sujet des souffrances de leur ennemi pendant sa retraite, ni sa crédibilité géographique quand il plaçait le mont Pangseos sur le côté en deçà du Strymôn, pour des personnes venant de Grèce (Persæ, 494). Mais je dois avouer qu’à mes yeux tout le récit de la retraite est marqué au cachet du poète et de l’homme religieux, et non du témoin historique. Et ma confiance dans Hérodote s’accroît quand je le compare sur ce point avec Æschyle, — aussi bien pour ce qu’il dit que pour ce qu’il ne dit pas.

[84] Juvénal, Satires, X, 178.

Ille tamen qualis redut, Salamine relicta,

In Caurum atque Eurum solitus sævire flagellis, etc.

[85] Hérodote, VIII, 130.

[86] Voir le récit de la retraite de Xerxês dans Hérodote, VIII, 115-120, avec maintes histoires qu’il mentionne seulement pour les rejeter. La description donnée dans les Persæ d’Æschyle (v. 486, 515, 570) est conçue dans le même esprit. Le ton atteint son plus haut point dans Justin (II, 13), qui nous dit que Xerxês fut obligé de traverser le détroit dans un bateau pêcheur. Ipse cum paucis Abydon contendit. Ubi cum solutum pontem hibernis tempestatibus offendisset, piscatoriâ scaphâ trepidus trajecit. Erat res spectaculo digna, et, æstimatione sortis humanæ, rerum varietate miranda, — in exiguo latentem videre navigio, quem paulo ante vix æquor omne capiebat ; carentem etiam omni servorum ministerio, cujus exercitus propter multitudinem terris graves erant.

[87] Hérodote, VIII, 109.

[88] Hérodote, VIII, 93-122 ; Diodore, XI, 27.

[89] Hérodote, VIII, 94 ; Thucydide, I, 42, 103. Τό σφοδρόν μϊσος de Corinthe à l’égard d’Athènes. Sur Aristeus, Thucydide, II, 67.

Plutarque (De Herodoti Malignit., p. 870) emploie plus d’une expression de colère pour réfuter cette calomnie athénienne, que l’historien lui-même ne soutient pas comme vraie. Dion Chrysostome (Or. XXXVII, p. 456) avance qu’Hérodote demanda une récompense aux Corinthiens, et que, sur leur refus, il inséra ce récit dans son histoire, afin de se venger d’eux ; mais cette allégation ne mérite aucune attention, si elle n’est pas appuyée de quelque preuve raisonnable : l’assertion de Diyllos, qui nous dit qu’il reçut dix talents des Athéniens comme récompense pour son histoire, serait beaucoup moins improbable, quant au fait d’une récompense pécuniaire, séparément de la grandeur de la somme ; mais ceci a aussi besoin de preuves. Dion Chrysostome ne se contente pas de rejeter ce récit des Athéniens, mais il va jusqu’à affirmer que les Corinthiens remportèrent la palme de la bravoure et furent la cause de la victoire. Les épigrammes de Simonidês, qu’il cite, ne prouvent rien de la sorte (p. 459). Marcellin (Vit. Thucydide, p. 16) insinue une accusation contre Hérodote, quelque peu semblable à celles de Plutarque et de Dion.

[90] Hérodote, VIII, 123. Plutarque (Themistoklês, c. 17) : (Cf. De Herodot. Malignit., p. 871) dit que chaque chef individuellement donna son second vote à Themistoklês. Plus nous éprouvons Hérodote en le comparant à d’autres, plus nous le trouvons exempt de l’esprit d’exagération.

[91] Hérodote, VIII, 124 ; Plutarque, Themistoklês, c. 17.

[92] Diodore, XI, 27. Cf. Hérodote, VIII, 125, et Thucydide, I, 74.