HISTOIRE DE LA GRÈCE

CINQUIÈME VOLUME

CHAPITRE XIII — AFFAIRES GRECQUES APRÈS L’EXPULSION DES PISISTRATIDES. - RÉVOLUTION DE KLEISTHENÊS ET ÉTABLISSEMENT DE LA DÉMOCRATIE À ATHÈNES.

 

 

Avec Hippias disparut la garnison mercenaire thrace, sur laquelle lui, et son père avant lui, s’étaient appuyés pour défendre aussi bien que pour imposer leur autorité. Kleomenês, avec ses forces lacédæmoniennes ; se retira aussi, après n’être resté que le temps nécessaire pour établir une amitié personnelle, féconde dans la suite en conséquences importantes, entre le roi spartiate et l’Athénien Isagoras. Les Athéniens furent ainsi laissés à eux-mêmes, sans aucune intervention étrangère qui les gênât dans leurs arrangements politiqués.

Nous avons mentionné dans le chapitre précédent que les Pisistratides avaient, pour la plus grande partie, respecté les formes de la constitution solonienne. Les neuf archontes et le sénat probouleutique (c’est-à-dire délibérant d’avance) des Quatre Cents (renouvelés annuellement) continuèrent encore de subsister avec des assemblées du peuple réunies à l’occasion, ou plutôt de la portion du peuple qui était comprise dans les gentes, les phratries et les quatre tribus ioniennes. La classification timocratique de Solôn (ou quadruple échelle de revenu et mesure des privilèges politiques d’après ce revenu) continua également de subsister ; mais tous ces éléments étaient retenus dans le cercle que leur traçait la famille régnante dont ils servaient les desseins, qui garda toujours un de ses membres comme maître réel parmi les principaux administrateurs, et conserva sans cesse en sa possession l’acropolis aussi bien qu’une troupe mercenaire.

Cette oppression imposante étant maintenant écartée par l’expulsion d’Hippias, les formes enchaînées revinrent aussitôt à la liberté et à la réalité. Il. reparut, ce que l’Attique n’avait pas connu pendant trente années, des partis politiques déclarés et une opposition prononcée entre deux hommes comme chefs : d’un côté Isagoras, fils de Tisandros, personnage d’illustre origine ; de l’autre, Kleisthenês l’Alkmæônide, non moins célèbre, et ayant à ce moment droit à la reconnaissance de ses concitoyens pour s’être montré le plus persévérant aussi bien que le plus puissant ennemi des despotes détrônés. De quelle manière se fit cette opposition ? C’est ce qu’on ne nous dit pas. Il semblerait qu’elle ne fut pas entièrement pacifique ; mais, en tout cas, Kleisthenês eut le dessous, et par suite de cette défaite (dit l’historien), il s’associa le peuple, qui avait été auparavant exclu de tout[1]. Son association avec le peuple donna naissance à la démocratie athénienne : ce fut une réelle et importante révolution

Les privilèges politiques, c’est-à-dire le caractère d’un citoyen athénien, tant avant que depuis Solôn, avaient été bornés à ces quatre tribus ioniennes primitives, dont chacune était formée d’un agrégat égal de corporations fermées ou quasi-familles : les gentes et les phratries. En conséquence, aucun des habitants de l’Attique, à l’exception de ceux qui étaient compris dans quelque gens ou quelque phratrie, n’avait de part aux privilèges politiques. Ces habitants, non privilégiés, furent probablement nombreux de tout temps, et ils le devinrent de plus en plus au moyen de nouveaux colons. De plus, ils tendaient surtout à se multiplier dans Athènes et au Peiræeus (Pirée), où des émigrants venaient communément s’établir. Kleisthenês, renversant le rempart de privilèges existant, accorda les droits politiques à la masse exclue. Mais cela ne pouvait se faire en les enrôlant dans de nouvelles gentes ou de nouvelles phratries, créées en plus des anciennes ; car le lien des gentes était fondé sur une foi et un sentiment anciens, qui, dans l’état actuel de l’esprit grec, ne pouvaient être soudainement évoqués comme moyen de les unir à des hommes relativement étrangers. Cela ne pouvait se faire qu’en enlevant complètement les droits aux tribus ioniennes aussi bien qu’aux gentes qui les composaient, et en répartissant de nouveau la population dans des tribus nouvelles ayant un caractère et un but exclusivement politiques. En conséquence, Kleisthenês abolit les quatre tribus ioniennes, et créa à leur place dix nouvelles tribus, fondées sur un principe différent, indépendantes des gentes et des phratries. Chacune de ces nouvelles tribus comprenait un certain nombre de dêmes ou cantons avec les propriétaires et habitants inscrits dans chacun d’eux. Les dèmes, pris tous à la fois, enfermaient la superficie entière de l’Attique : de sorte que la constitution kleisthénéenne admettait aux droits politiques tous les Athéniens indigènes libres, et non seulement ceux-ci, mais encore un grand nombre de metœki, et même quelques-uns de l’ordre supérieur des esclaves[2]. En écartant le corps général des esclaves et en ne regardant que les habitants libres, c’était en réalité un plan qui approchait du suffrage universel, à la fois politique et judiciaire.

La façon légère et rapide dont Hérodote annonce cette mémorable révolution, tend à nous en faire négliger l’importance réelle. Il insiste principalement sur le changement dans le nombre et les noms des tribus : Kleisthenês, dit-il, méprisa tellement les Ioniens qu’il ne voulut pas tolérer en Attique la continuation des quatre tribus qui dominaient dans les cités ioniennes[3], faisant dériver leurs noms de quatre fils d’Iôn ; précisément comme son grand-père le Sikyonien, Kleisthenês, dans sa haine contre les Dôriens, avait dégradé les trois tribus dôriennes à Sikyôn et leur avait donné des sobriquets. Voilà ce que nous dit Hérodote, qui semble lui-même avoir nourri quelque mépris pour les Ioniens[4], et conséquemment avoir soupçonné un sentiment semblable là où il n’existait pas en réalité. -

Mais le but de Kleisthenês était quelque chose de beaucoup plus étendu. Il abolit les quatre tribus anciennes, non parce qu’elles étaient ioniennes, mais parce qu’elles étaient devenues disproportionnées à la condition actuelle du peuple attique, et parce qu’une telle abolition procurait tant à lui-même qu’à son plan politique des alliés nouveaux aussi bien que dévoués. Et, en effet, si nous étudions les circonstances du cas, nous verrons des raisons très évidentes qui purent lui suggérer cette manière d’agir. Pendant plus de trente ans, — une génération entière, — l’ancienne constitution n’avait été qu’une vaine formalité, n’opérant que comme instrument au service de la dynastie régnante, et dépouillée de tout pouvoir réel de contrôle. Nous pouvons donc être bien sûrs que, et le sénat des Quatre Cents et l’assemblée populaire, privés de cette liberté de parole qui leur donnait non seulement toute leur valeur, mais encore tout leur charme, en étaient venus à n’avoir que peu d’estime publique, et ne comptaient probablement qu’un petit nombre de partisans. Dans ces circonstances, la différence qui existait entre des citoyens ayant droit à ce titre et ceux qui n’y avaient pas droit, — entre les membres des quatre anciennes tribus et ceux qui n’en faisaient point partie, — s’effaça en pratique pendant cette période. Ce fut en- effet le seul genre de bien qu’un despotisme grec semble avoir jamais fait. Il confondait les privilégiés et les non privilégiés sous une autorité coercitive commune à tous deux ; de sorte qu’il n’était pas aisé de faire revivre la distinction qui existait entre eux lorsque le despotisme eut passé. Aussitôt après l’expulsion d’Hippias, le Sénat et l’assemblée publique reconquirent leur puissance ; mais s’ils étaient restés sur l’ancien pied, ne renfermant que des membres des quatre tribus, ces tribus auraient été investies de nouveau d’un privilège qui, en réalité, avait été perdu pendant si longtemps que sa remise en vigueur eût semblé une nouveauté odieuse, et que le reste de la population ne s’y serait pas probablement soumis. Si de plus nous considérons l’excitation politique du moment, — le rétablissement d’un corps d’hommes venant de l’exil et le départ d’un autre corps pour l’exil, — l’effusion d’une haine longtemps étouffée, en partie contre ces mêmes formes dont la corruption avait favorisé le règne du despote, — nous verrons que la prudence, aussi bien que le patriotisme, dictait l’adoption d’un plan agrandi de gouvernement. Kleisthenês avait acquis quelque sagesse pendant son long exil ; et comme probablement il continua pendant quelque temps après l’introduction de la nouvelle constitution d’être le principal conseiller de ses compatriotes, nous pouvons considérer leur succès extraordinaire comme une preuve de son habileté et de sa prudence, non moins que de leur courage et de leur unanimité.

Il semble encore assez juste de lui faire honneur d’un mouvement plus libéral et plus généreux que celui qu’implique le récit littéral d’Hérodote. Au lieu d’être forcé contre sa volonté d’acheter l’appui populaire en proposant cette nouvelle constitution, il se peut que Kleisthenês l’ait proposée auparavant, pendant les discussions qui suivirent immédiatement la retraite d’Hippias ; de sorte que son rejet fut la cause de la querelle (et il n’en mentionne pas d’autre) qui s’éleva entre lui et Isagoras. Ce dernier sans doute trouva un appui suffisant, dans le sénat existant et dans l’assemblée publique, pour l’empêcher d’être adoptée sales un appel réel au peuple. En outre, l’opposition qu’il y fit n’est point difficile à comprendre ; en effet, quelque nécessaire que frit devenu lé changement, ce n’en était pas moins un coup porté aux anciennes idées attiques. Il altérait radicalement l’idée même d’une tribu, qui devenait alors une agrégation de dêmes et non de gentes, — de compagnons de dême, et non de compagnons de gens. Il détruisait ainsi ces associations, religieuses, sociales et politiques ; entre le tout et les parties de l’ancien système, associations qui agissaient puissamment sur l’esprit de tout Athénien de vieille roche. Les patriciens à Rome qui composaient les gentes et les curiæ, — et la plebs, qui n’avait point de place dans ces corporations, — formèrent pendant longtemps deux fractions séparées et hostiles dans la même cité, chacune avec sa propre organisation distincte. Ce ne fut qu’insensiblement que la plebs gagna du terrain, tandis que l’importance politique de la gens patricienne se maintint longtemps à côté et à part de la tribu plébéienne. De même, dans les cités italiennes et allemandes du moyen âge, les familles patriciennes refusèrent d’abandonner leur propre identité politique séparée quand les corporations grandirent à côté d’elles même bien que forcées de renoncer à une portion de leur pouvoir, elles continuèrent d’être une confrérie séparée, et ne voulurent pas se soumettre à être enrégimentées de nouveau, sous une catégorie et une dénomination changées ; avec les marchands qui avaient grandi en richesse et en importance[5]., Mais la réforme de Kleisthenês opéra ce changement tout d’un coup, tant pour le nom que pour la chose. Dans quelques cas, il est vrai, ce qui avait été le nom d’une gens fut conservé comme le nom d’un dème, mais même alors les anciens gentiles furent rangés indistinctement parmi les autres dêmotes. Le peuple athénien, considéré politiquement, devint ainsi un seul tout homogène, distribué pour la commodité en parties, numériques, locales et politiquement égales. Il faut toutefois se rappeler que, pendant qu’on abolissait les quatre tribus ioniennes, les gentes et les phratries qui les composaient furent laissées intactes, continuant d’exister comme associations de familles et associations religieuses, bien que n’entraînant avec elles aucun privilège politique.

Les dix tribus nouvellement créées, arrangées dans un ordre déterminé de préséance, furent appelées — Erechthêis, Ægêis, Pandionis, Leontis, Akamantis, Œnêis, Kekropis, Hippothoontis, Æantis, Antiochis ; noms empruntés principalement des héros respectés de la légende attique. Ce nombre resta le même jusqu’à l’an 305 avant J.-C, où il fut porté à douze par l’addition de deux nouvelles tribus, Antigonias et Demetrias, désignées de nouveau dans la suite par les noms de Ptolemais et Attalis : les noms seuls de ces deux dernières, empruntés de rois vivants, et non de héros légendaires, trahissent le changement de la liberté transformée en dépendance à Athènes. Chaque tribu comprenait un certain nombre de dèmes, — cantons, communes ou municipes ; — en Attique. Mais le nombre total de ces dèmes n’est pas prouvé d’une manière distincte ; car, bien que nous sachions que du temps de Polemô (troisième siècle av. J.-C.) il était de cent soixante-quatorze, nous ne pouvons pas être sûrs qu’il soit toujours resté le même, et plusieurs critiques expliquent les mots d’Hérodote comme impliquant que Kleisthenês reconnut d’abord exactement cent dèmes, distribués en proportions égales entre ses dix tribus[6]. Toutefois cette explication des mots est plus que douteuse, tandis que le fait lui-même est improbable ; en partie parce que si le changement de nombre avait été aussi considérable que la différence entre cent et cent soixante-quatorze, on en trouverait probablement quelque preuve positive, — en partie parce que Kleisthenês avait en effet un motif pour rendre le chiffre de la population des citoyens presque égal, mais il n’en avait bas pour rendre le nombre des dèmes, égal, dans chacune des dix tribus. On sait combien la force des habitudes locales est grande, et combien sont invariables les limites des communes ou des cantons. En conséquence, dans l’absence de preuve du contraire, nous pouvons raisonnablement, supposer que le nombre et la circonscription des dèmes, tels que Kleisthenês les trouva ou les modifia, existèrent dans la suite avec peu de changement, du moins jusqu’à l’augmentation dans le nombre des tribus.

Cependant il y a un autre point qui est à la fois plus certain et plus important à signaler. Les dêmes que Kleisthenês assigna à chaque tribu ne furent en aucun cas tous adjacents les uns aux autres ; et en conséquence la tribu, comme ensemble, ne correspondit à aucune portion continue du territoire, et elle ne put avoir aucun intérêt local particulier, séparément de la communauté entière. Ce soin systématique pris pour éviter les factions produites par le voisinage nous paraîtra avoir été plus particulièrement nécessaire, si nous nous rappelons que les querelles des Parali, des Diakrii et des Pediaki, dans le siècle précédent, avaient eu toutes pour origine des querelles locales, bien que sans doute elles fussent fomentées avec art par l’ambition individuelle. De plus, ce fut seulement par cette même précaution qu’on obvia à la prédominance locale de la cité et à la formation d’un intérêt municipal distinct de celui du pays, qui n’aurait guère manqué de naître si la cité seule avait constitué un dème ou une tribu. Kleisthenês divisa la cité (ou il la trouva déjà divisée) en plusieurs dèmes, et ces dèmes il les distribua entre plusieurs tribus ; tandis que Peiræeus et Phalêron, formant chacun un dème séparé, furent aussi assignés à des tribus différentes ; de sorte qu’il n’y eut pas d’avantages locaux qui donnassent une prépondérance, ou qui créassent une lutte pour la prépondérance d’une seule tribu sur les autres[7]. Chaque dème avait ses propres intérêts locaux à surveiller ; mais la tribu n’était qu’un agrégat des dèmes pour des buts politiques, militaires et religieux, sans espérances ni craintes séparées à part de l’État. Chaque tribu avait une chapelle, des fêtes et des rites sacrés, et des fonds communs pour ces réunions, en l’honneur de son héros éponyme, administrés par des membres de son propre choix[8] ; et les statues de tous les dix héros éponymes, patrons fraternels de la démocratie, étaient dressées dans la partie la plus visible de l’agora à Athènes. Dans le jeu futur du gouvernement athénien, nous ne trouverons aucun symptôme de factions locales inquiétantes, — amendement capital, si on le compare avec les disputes du siècle précédent, et que l’on peut rapporter en partie à l’absence de relations de limites entre les dêmes de la même tribu.

Le dême devint alors le premier élément constitutif de la république, tant pour les personnes que pour les biens. Il eut son propre démarque, son registre de citoyens inscrits, ses propriétés collectives, ses assemblées publiques et ses cérémonies religieuses, ses taxes levées et administrées par lui-même. Le registre des citoyens ayant droit à ce titre[9] était gardé par le démarque, et l’inscription de nouveaux citoyens se faisait à l’assemblée des dêmotes, dont les fils légitimes étaient inscrits en atteignant l’âge de dix-huit ans, et leurs fils adoptifs l’étaient en tout temps quand ils étaient présentés et déclarés sous la foi du serment par le citoyen qui les adoptait. Le droit ‘de cité ne pouvait être accordé que par un vote public du peuple ; mais des hommes riches non citoyens~pouvaient parfois éluder cette loi et acheter une admission sur le registre de quelque dême pauvre, probablement au moyen d’une adoption fictive. Aux assemblées des dêmotes, le registre était collationné, et il arrivait parfois que quelques noms étaient effacés, cas dans lequel il restait aux personnes ainsi privées de leurs privilèges un appel à la justice populaire[10]. Toutefois, le pouvoir administratif local de ces dèmes était si grand qu’ils sont représentés comme remplaçant[11], dans le système kleisthénéen, les naukraries du système solonien et anté-solonien. Les trittyes et les naukraries, bien que conservées de nom, et les dernières portées de quarante-huit à cinquante, paraissent dorénavant n’avoir que peu d’importance publique.

Kleisthenês conserva, mais en même temps modifia et développa tous les principaux traits de la constitution politique de Solôn ; l’assemblée publique ou ekklêsia, — le sénat probouleutique composé de membres de toutes les tribus, — et l’habitude d’une élection annuelle de magistrats soumis à une reddition annuelle de comptes à l’ekklêsia qui les élisait. On dut alors sentir combien il était important de posséder ces institutions préexistantes sur lesquelles on pût édifier, à un moment de perplexités et de dissensions. Mais l’ekklêsia kleisthénéenne acquit une nouvelle force, et presque un nouveau caractère, du grand accroissement du nombre des citoyens ayant droit à ce titre qui y assistaient ; taudis que le sénat, changé, annuellement, au lieu d’être composé de quatre cents membres pris en proportions égalés dans chacune des quatre anciennes tribus, fut porté au nombre de cinq cents, pris également dans chacune des dix tribus nouvelles. Il se présente maintenant à nous sous le nom de sénat des Cinq-Cents, comme un corps actif et indispensable, pendant tout le cours de la démocratie athénienne ; en outre l’usage semble avoir commencé (bien que l’époque du commencement ne puisse être prouvée d’une manière décisive) de déterminer les noms des sénateurs au moyen dit sort. Le sénat, ainsi constitué, et l’assemblée publique furent tous deux bien plus populaires et plus forts qu’ils ne l’avaient été dans la disposition originelle de Solôn.

Si la nouvelle, constitution des tribus conduisit à un changement dans le sénat annuel, elle ne transforma pas moins directement les arrangements militaires de l’État, tant pour les soldats que pour les officiers. Les citoyens appelés à servir en armés furent alors rangés suivant les tribus, — chaque tribu ayant ses propres taxiarques comme officiers pour les hoplites, et son propre phylarque à la tête des cavaliers. De plus, on créa alors, pour, la première fois, dix stratêgi ou généraux, et on en prit un par chaque tribu, et deux hipparques pour le commandement suprême de la cavalerie. Sous le règne de l’ancienne constitution athénienne, il semble que le troisième archonte ou polémarque avait été investi du commandement des forces militaires, les stratêgi n’existant pas alors. Même après la création de ces derniers, sous’ la- constitution kleisthénéenne, le polémarque conserva encore un droit de commandement commun avec eux, — comme on nous le dit à la bataille de Marathôn, où Kallimachos le polémarque, non seulement jouit d’un vote égal dans le conseil de guerre avec les dix stratêgi, mais même occupa le poste d’honneur à l’aile droite[12]. Les dix généraux, changés annuellement, sont ainsi (comme les dix tribus) un fruit de la constitution kleisthénéenne, qui fut en même temps puissamment fortifiée et protégée par cette refonte des forces militaires. Les fonctions des généraux devinrent plus étendues à mesure que la démocratie avança : de sorte qu’ils semblent avoir acquis graduellement, non seulement la direction des affaires militaires et navales, mais encore celle des relations étrangères de la cité en général, — tandis que les neuf archontes, comprenant le polémarque, perdirent graduellement cette pleine puissance exécutive et judiciaire dont ils avaient joui jadis, et furent réduits au simple ministère de police et de justice préparatoire. Ayant souffert, d’un côté, des empiétements des stratêgi, ils virent aussi de l’autre leur puissance restreinte par la formation des dikasteria populaires, ou cours de justice, en grand nombre. Nous pouvons être sûrs qu’on n’avait pas permis, sous le despotisme des Pisistratides ; à ces dikasteria populaires de se rassembler et d’agir, et que les affaires judiciaires de la cité doivent alors avoir été dirigées en partie par le sénat de l’Aréopage, en partie par les archontes ; peut-être avec une responsabilité nominale de ces derniers, à la fin de leur année de charge, à l’égard d’une ekklêsia indulgente. Et si même nous admettons comme vrai que, comme quelques auteurs le soutiennent, l’habitude d’une justice populaire directe (outre ce jugement annuel de responsabilité) avait été introduite partiellement par Solôn, elle doit avoir été discontinuée pendant la longue coercition exercée par la dynastie qui vint après lui. Mais l’explosion de l’esprit populaire, qui prêta de la force à Kleisthenês, fit sans doute que le peuple eut une action directe comme jurés dans l’Hêliæa collective, non moins que comme votants dans l’ekklêsia ; — et ainsi commença le changement qui contribua à faire perdre aux archontes leur caractère primitif comme juges, et à les rabaisser aux fonctions plus humbles de juges chargés de l’instruction préliminaire et de présidents d’un jury. Cette convocation de nombreux jurés, commençant d’abord par le corps collectif de citoyens assermentés au-dessus de trente ans, que l’on divisa ensuite en corps ou tableaux séparés pour le jugement de causes particulières, devint graduellement plus fréquente et plus systématisée ; jusqu’à ce qu’enfin, du temps de Periklês, elle en vint à procurer une petite paye, et se présente aux regards comme un des traits les plus saillants de la vie athénienne. Nous ne pouvons spécifier les différentes phases par lesquelles ce développement final fut atteint, et la puissance judiciaire de l’archonte réduite au simple pouvoir d’infliger une petite amende. Mais les premières se trouvent dans la révolution de Kleisthenês, et il semble que le changement fut accompli après la bataille de Platée. Quant à la fonction exercée par les neuf archontes, aussi bien que par beaucoup d’autres magistrats et fonctionnaires publics à Athènes, consistant à convoquer un dikasterion ou cour de jurés, à présenter des causes à juger et à présider l’affaire, — fonction constituant une des marques d’une magistrature supérieure, et appelée l’hégémonie ou présidence d’un dikasterion, — j’en parlerai plus au long ci-après. Actuellement je désire simplement ex-poser la sphère d’action agrandie et grandissante dans laquelle entra le peuple lors du tour mémorable des affaires qui va nous occuper maintenant.

Les affaires financières de la cité subirent à cette époque un changement aussi complet que les affaires militaires. La nomination de magistrats et d’officiers par dix, un pour chaque tribu, semble être devenue la pratique ordinaire. Un corps de dix membres, appelés Apodektæ, fut investi de l’administration suprême du trésor, traitant avec les adjudicataires pour celles des parties du revenu qui étaient affermées, recevant toutes les taxes des mains des collecteurs, et les dépensant sous mie autorité compétente. On attribue expressément à Kleisthenês[13] la première nomination de ce corps, destiné à remplacer certaines personnes, appelées Kôlakretæ, qui avaient rempli auparavant la même fonction et qui furent alors conservées seulement pour des services secondaires. Les devoirs des Apodektæ furent dans la suite bornés à recevoir le revenu public et à le payer aux dix trésoriers de la déesse Athênê, qui le gardaient dans la chambre intérieure du Parthénon et le déboursaient selon les besoins. Mais cet arrangement plus compliqué ne peut être rapporté à Kleisthenês. C’est aussi à partir de ce temps que le sénat des Cinq-Cents va bien au delà de son devoir primitif, consistant à préparer des affaires pour la discussion de l’ekklêsia. Il embrassa, en outre, un vaste cercle de surveillance administrative et générale, qui n’admet guère de définition. Ses séances deviennent permanentes, excepté les jours de fête spéciaux. L’année est distribuée en dix portions appelées prytaniés, — les cinquante ‘sénateurs se chargeant tour à tour du devoir d’un service constant pendant une prytanie, et recevant pendant ce temps le titre de prytanes : l’ordre de préséance entre les tribus pour ces devoirs était annuellement déterminé par le sort. Dans l’année attique ordinaire de douze mois lunaires, ou de trois cent cinquante-quatre jours, six des prytanies contenaient trente-cinq jours, quatre en contenaient trente-six ; dans les années de treize mois ayant un mois intercalaire, le nombre de jours était de trente-huit et de trente-neuf respectivement. En outre, on reconnaissait une autre subdivision de la prytanie en cinq périodes de sept jours chacune. Chaque corps de dix présidait le sénat pendant une période de sept jours, tirant chaque jour au sort parmi eux un nouveaux président, appelé Epistatês, auquel, pendant son jour de charge, étaient confiées les clefs de l’acropolis et du trésor, avec le sceau de la cité. Les autres sénateurs, qui n’appartenaient pas à la tribu fournissant les prytanes, pouvaient naturellement assister aux séances s’ils le voulaient. Mais le concours de neuf d’entre eux, un de chacune des neuf autres tribus, était impérativement nécessaire pour constituer une assemblée valable et pour assurer une représentation régulière du peuple collectif.

Pendant ces temps plus récents que nous connaissons par les grands orateurs, l’ekklêsia, ou assemblée formelle des citoyens, était convoquée chaque fois régulièrement pendant chaque prytanie, ou plus souvent si la nécessité le demandait, — habituellement par le sénat, bien que les stratêgi eussent aussi le pouvoir de la convoquer de leur propre autorité. Elle était présidée par les prytanes, et les questions étaient mises aux voix par leur Epistatês, ou président. Mais les neuf représentants des tribus qui ne fournissaient pas les prytanes, étaient toujours présents comme chose naturelle, et semblent en effet, à l’époque des orateurs, en avoir acquis la direction avec le droit de mettre les questions aux voix[14], — écartant totalement ou en partie les cinquante prytanes. Toutefois, si nous reportons notre attention sur l’état de l’ekklêsia, telle qu’elle fut établie d’abord par Kleisthenês — j’ai déjà fait remarquer que. ceux qui exposent la constitution athénienne sont trop portés à négliger la distinction de temps et à supposer que ce qui fut en usage entre 400 et 330 av. J.-C. avait toujours été usité —, nous verrons probablement qu’il n’établit qu’une seule assemblée régulière dans chaque prytanie, et pas plus, donnant au sénat et aux stratêgi le pouvoir de réunir des assemblées spéciales, s’il en était besoin, mais n’établissant qu’une seule ekklêsia pendant chaque prytanie, ou dix dans l’année, comme nécessité d’État régulière. Combien de fois l’ancienne ekklêsia avait-elle été convoquée pendant l’intervalle de temps qui s’écoula entre Solôn et Pisistrate, c’est ce que nous ne pouvons pas dire exactement : — probablement elle lie le fut que rarement pendant l’année. Sous les Pisistratides, la convocation s’était réduite à une formalité inefficace. C’est pourquoi son rétablissement par Kleisthenês, non seulement avec des pleins pouvoirs déterminants, mais encore’ avec une connaissance complète et une préparation à l’avance des affaires, ainsi qu’avec les meilleures garanties pour une manière de procéder régulière, fut en lui-même une révolution qui fit impression sur l’esprit de tout citoyen athénien. Pour rendre l’ekklêsia efficace, il était indispensable que ses assemblées fussent à la fois fréquentes et libres. Les citoyens étaient dressés ainsi au ‘devoir tant d’orateurs, que d’auditeurs, et chaque homme, tout en sentant qu’il exerçait sa part d’influence sur la décision ; identifiait sa propre sûreté et son propre bonheur avec le vote de la majorité, et se familiarisait avec la notion d’une autorité souveraine à laquelle il né pouvait ni ne devait résister. C’était une idée nouvelle pour les Athéniens. Avec elle vinrent les sentiments qui sanctifiaient une parole libre et une loi égale, — mots qu’aucun citoyen athénien n’entendait jamais prononcer dans la suite sans émotion ; en même temps que l’idée de la république entière en tant qu’une et indivisible, idée qui domina, sans s’y substituer, les particularités locales et cantonales. Il n’y a rien d’exagéré à dire que ces mouvements patriotiques qui élevaient les âmes étaient dans l’esprit athénien un produit nouveau, auquel rien d’analogue ne se présente même à l’époque de Solon. Ils furent excités .en partie sans doute par la forte réaction qui s’opéra contre les Pisistratides, mais plus encore par ce fait que le chef opposant, Kleisthenês, tira le meilleur parti possible de ce sentiment transitoire, et lui donna une perpétuité pleine de vigueur, aussi bien qu’un objet positif bien défini au moyen des éléments populaires saillants dans sa constitution. Son nom figure moins dans l’histoire que nous ne nous y attendrions, parce qu’il passa pour le simple rénovateur du plan gouvernemental de Solôn,’après qu’il eut été renversé par Pisistrate. Probablement il déclarait lui-même que tel était son but, puisqu’il facilitait le succès de ses propositions ; et si nous nous bornons à la lettre de ce cas, le fait est vrai dans une grande mesure, puisque le sénat annuel et l’ekklêsia sont tous deux soloniens ; — mais tous deux dans sa réforme furent entourés de circonstances totalement nouvelles, et portés à des proportions gigantesques. Hérodote nous apprendra bientôt combien fut forte l’explosion dé l’enthousiasme athénien, qui changea instantanément la position d’Athènes parmi les puissances de la Grèce, et nous la trouverons marquée d’une manière encore moins équivoque dans les faits de son histoire.

Mais ce ne fut pas seulement le peuple installé formellement dans son ekklêsia qui reçut de Kleisthenês les attributs réels de la souveraineté ; — ce fut aussi par lui que le peuple fut appelé pour la première fois à exercer une action directe en qualité de dikastes ou jurés. J’ai déjà fait remarquer que l’on peut dire que cette coutume, dans un certain sens limité, commença à l’époque de Solôn, puisque ce législateur investit l’assemblée populaire du pouvoir de prononcer le jugement de responsabilité à l’égard des archontes après leur année de charge. Ici encore l’édifice, si spacieux et si imposant dans la suite, fut élevé sur une fondation solonienne, bien qu’il ne fût pas lui-même solonien. Que les dikasteria populaires, sous la forme perfectionnée qu’ils eurent à partir du temps de Periklês, aient été introduits tous tout d’un coup par Kleisthenês, c’est ce qu’il est impossible de croire. Cependant on ne peut découvrir d’une manière distincte les mesures à l’aide desquelles ils se développèrent graduellement. Il semblerait plutôt que ce n’était d’abord que le corps collectif de citoyens au-dessus de trente ans qui exerçât des fonctions judiciaires, étant spécialement convoqués et assermentés pour juger des personnes accusées de crimes publics, et portant dans cet emploi le nom de l’Hêliæa ou d’Héliastes ; les offenses et les disputes particulières entre un homme et un autre homme étant encore décidées par des magistrats individuels dans la cité, et un pouvoir judiciaire considérable résidant encore dans le sénat de l’Aréopage. Il y a lieu de croire que tel fut l’état de choses établi par Kleisthenês, et qui, dans la suite, en vint à être changé par l’étendue plus grande de devoirs judiciaires imposés graduellement aux Héliastes, de Borie qu’il fut nécessaire de subdiviser l’Hêliæa collective.

Suivant la subdivision, telle qu’elle était pratiquée dans les temps mieux connus, 6.000 citoyens au-dessus de trente ans étaient annuellement choisis par le sort dans toute la masse, 600 de chacune des dix tribus : 5.000 de ces citoyens étaient disposés en dix listes ou décuries de 500 chacune, les autres 1.000 étant réservés pour remplir des vacances en cas de mort ou d’absence parmi les premiers. Tous les 6.000 prenaient un serment prescrit, rédigé en termes très frappants ; après quoi chaque homme recevait un bulletin portant inscrit son propre nom aussi bien qu’une lettre désignant sa décurie. Quand il y avait des causes ou des crimes prêts pour le jugement, — les Thesmotetæ, c’est-à-dire les six archontes inférieurs, déterminaient par le sort, d’abord, quelles décuries siégeraient, suivant le nombre demandé, — puis devant quelle cour, ou sous la présidence de quel magistrat, siégerait la décurie B ou E ; de sorte que l’on ne pouvait pas savoir à l’avance dans quelle cause chacun jugerait. Toutefois, dans le nombre des personnes qui assistaient et siégeaient réellement, il semble qu’il y a eu beaucoup de variété, et quelquefois deux décuries siégeant ensemble[15]. L’arrangement décrit ici, nous devons nous le rappeler, nous est présenté comme appartenant à ces temps où les dikastes recevaient une paye régulière après la séance de chaque jour, et il ne peut guère avoir continué longtemps sans cette condition ; qui ne fut pas remplie avant l’époque de Periklês. Chacune de ces décuries siégeant en cour de justice était appelée l’Hêliæa, — nom qui appartient proprement à l’assemblée collective du peuple, cette assemblée collective ayant été elle-même dans l’origine la cour de justice. Je comprends que l’usage de diviser cette assemblée collective ou hêliæa en sections de jurés pour remplir un devoir judiciaire ait commencé sous une forme ou sous une autre après la réforme de Kleisthenês, puisque l’intervention directe du peuple dans les affaires publiques tendait de plus en plus à augmenter. Mais ce n’est que par degrés que cet usage s’est développé jusqu’à devenir ce service constant et systématique auquel le salaire de Periklês finit par donner un caractère complet. Dans le système que nous avons mentionné en dernier lieu, la puissance judiciaire des archontes fût annulée, et toute fonction militaire retirée au troisième archonte ou polémarque. Mais cela n’avait pas encore été fait à l’époque de la bataille de Marathôn, où Kallimachos le polémarque non seulement commanda avec les stratêgi, mais encore jouit d’une sorte de prééminence sur eux ; ni pendant l’année qui suivit la bataille de Marathôn, année dans laquelle Aristeidês fut archonte ; — car les décisions d’Aristeidês comme magistrat formaient un des principaux fondements de son honorable surnom, le Juste[16].

A cette question concernant l’étendue comparative de pouvoir judiciaire dont Kleisthenês investit le tribunal populaire et les archontes, s’en rattachent en réalité deux autres dans -la loi constitutionnelle athénienne, relatives, d’abord, à l’admissibilité de tous les citoyens au poste d’archonte ; ensuite, au chois d’archontes par le sort. C’est une chose bien connue qu’à l’époque de Periklês les archontes et divers autres fonctionnaires individuels en étaient venus à être choisis par le sort ; — en outre, que tous-les citoyens étaient légalement admissibles et pouvaient donner leurs noms pour être tirés au sort, soumis à ce qu’on appelait la dokimasia, ou examen légal de leur état de citoyen et de leurs diverses qualités morales et religieuses avant d’entrer en charge ; tandis qu’en même temps la fonction de l’archonte n’était devenue riels de plus qu’un examen préliminaire de parties et de témoins pour le tribunal, et la présidence de ce tribunal quand ensuite il était assemblé, avec le pouvoir d’imposer d’autorité une amende d’un faible montant à des coupables inférieurs. Or, ces trois arrangements politiques étaient essentiellement rattachés les uns aux autres. Le grand mérite du sort, suivant les idées démocratiques grecques, était qu’il égalisait les chances des charges entre les riches et les pauvres ; mais tant que les pauvres citoyens furent légalement inadmissibles, le choix par le sort ne pouvait avoir d’importance ni pour les, riches ni pour les pauvres. Ln effet, il était moins démocratique que l’élection par la masse générale des citoyens, parce que dans le dernier système le pauvre citoyen jouissait d’un droit important d’intervention au moyen de son suffrage, bien qu’il ne pût être élu lui-même[17]. De plus, le choix par le sort ne pouvait jamais, dans aucune circonstance, être appliqué aux postes où une capacité spéciale et une certaine mesure d’attributs que ne possédaient qu’un petit nombre d’hommes étaient indispensables, — et il ne fut jamais appliqué, pendant toute l’histoire d’Athènes démocratique, aux stratêgi ou généraux, qui étaient toujours élus à main levée dans l’assemblée des citoyens. En conséquence, nous pouvons regarder comme certain qu’à l’époque où les archontes en vinrent à être choisis pour la première fois par le sort, les devoirs supérieurs et entraînant une responsabilité attachés à cette charge. en avaient, été détachés ou étaient en train de l’être, et avaient été transportés soit aux dikastes populaires, soit aux dix stratêgi choisis : de sorte qu’il ne restait à ces archontes qu’une routine de police et d’administration, importante, il est vrai, pour l’État, telle cependant qu’elle pouvait être exécutée par tout citoyen de probité, d’exactitude et de capacité moyennes, — du moins il n’y avait pas d’absurdité flagrante à penser ainsi ; tandis que la dokimasia excluait de la charge des hommes d’une vie notoirement déshonorante, même après qu’ils avaient été heureux dans le tirage au sort. Periklês[18], bien que choisi stratêgos d’année en année successivement, ne fut jamais archonte, et l’on peut bien douter que des hommes ambitieux, doués de talents de premier ordre, aient souvent donné leurs noms en vue d’obtenir cette charge. Pour ceux dont les aspirations étaient plus modestes[19], c’était sans doute un moyen d’acquérir de l’importance ; mais elle imposait un travail fatigant, ne procurait pas de salaire et exposait à un certain degré de péril tout archonte qui aurait offensé des hommes puissants, quand il en arrivait à être appelé à rendre des comptes immédiatement après son année de fonctions. Il y avait peu dé chose qui rendit la charge agréable, soit à des hommes très pauvres, soit à des hommes très riches et très ambitieux ; et parmi les personnes moyennes qui se portaient candidats, aucune ne pouvait être prise sans un grand dommage réel, toujours en admettant les deux garanties de la dokimasia avant l’entrée en charge, et la reddition de comptes à la sortie. Telle fut la conclusion, — à mon avis, conclusion erronée, et quine trouverait pas faveur aujourd’hui, — à laquelle furent amenés les démocrates d’Athènes par leur désir ardent d’égaliser les chances des charges pour les riches et pour les pauvres. Mais leur sentiment semble avoir été satisfait, en ce que le sort fut imposé partiellement pour le choix de quelques charges, — particulièrement pour celui des archontes, comme étant les premiers et les principaux magistrats, — sans qu’il fût appliqué à toutes ou à celles qui étaient les plus difficiles et qui entraînaient le plus de responsabilité, Ils l’auraient difficilement appliqué aux archontes, s’il avait été indispensablement nécessaire que ces magistrats conservassent leur devoir primitif et très sérieux de juger des disputes et de condamner des coupables.

Conséquemment ces trois points : 1° l’accès au poste d’archonte ouvert à tous les citoyens indistinctement ; 2° le choix d’archontes par la voie du sort ; 3° la diminution du cercle des devoirs et de la responsabilité des archontes, par l’extension de ceux qui appartenaient aux cours populaires de justice, d’un côté, et aux stratêgi, de l’autre ; — ces points, dis-je, sont, à mon avis, liés ensemble, et doivent avoir été simultanés, ou presque simultanés, à l’époque où ils furent introduits : l’établissement de l’admissibilité universelle aux charges ne venant certainement pas après les deux autres, et probablement venant un peu avant eux.

Or, quant à l’éligibilité de tous les Athéniens indistinctement à la charge d’archonte, nous trouvons un témoignage clair et positif par rapport au temps où elle fut introduite pour la première fois. Plutarque nous dit[20] qu’Aristeidês, partisan de l’oligarchie[21], mais mû par des principes élevés, proposa lui-même ce changement constitutionnel peu après la bataille de Platée, que suivirent l’expulsion des Perses hors de la Grèce et le retour des Athéniens réfugiés rentrant dans leur ville ruinée. Il était rarement arrivé dans l’histoire de l’humanité que les riches et les pauvres eussent été aussi complètement égalisés que dans cette mémorable expatriation et cette lutte héroïque ; aussi ne sommes-nous pas du tout surpris d’apprendre que la ruasse des citoyens, revenant avec un patriotisme nouvellement enflammé aussi bien qu’avec la conscience que leur patrie avait été recouvrée par les seuls efforts communs de tous, ne voulût plus se soumettre à être écartée de toutes les charges de l’État par une incapacité légale. Ce fut à cette occasion que la constitution fut pour la première fois rendue réellement commune à tous, et que les archontes, les stratêgi et tous les fonctionnaires commencèrent pour la première fois à être choisis parmi tous les Athéniens sans aucune différence d’éligibilité légale[22]. Il n’est point fait mention du sort, dans cet important renseignement de Plutarque, qui me semble à tous égards digne de foi, et qui nous apprend que, jusqu’à l’invasion de Xerxès, non seulement le principe exclusif de la loi solonienne de qualité requise continua d’être en vigueur — loi en vertu de laquelle les trois premières classes par le cens étaient seules admises à toutes les charges individuelles, et la quatrième, ou classe des Thètes exclue —, mais encore que les archontes avaient jusque-là été choisis par les citoyens, — et non désignés par le sort. Or, dans des desseins financiers, le quadruple cens de Solon fut maintenu longtemps après cette période, même au delà de la guerre du Péloponnèse et de l’oligarchie des Trente ; mais nous apprenons ainsi que Kleisthenês, dans sa constitution, le conserva aussi pour des desseins politiques ; en partie du moins. Il reconnut l’exclusion de la grande masse des citoyens de toutes les charges individuelles, — telles que celles d’archonte, de stratêgos, etc. A son époque, probablement, il ne s’éleva pas de plaintes à ce sujet ; car sa constitution donna aux corps collectifs, — sénat, ekklêsia et heliæa ou dikasterion, — un degré de pouvoir et d’importance tel qu’ils n’en avaient jamais connu ni imaginé auparavant de pareil. Et nous pouvons bien supposer que le peuple athénien de cette époque n’eut rien à objecter même au système et à la théorie proclamés d’un gouvernement exclusif d’hommes riches et élevés en position comme magistrats individuels, — particulièrement puisqu’un grand nombre des citoyens nouvellement admis à des privilèges avaient été auparavant metœki ou esclaves. En effet, il faut ajouter que, même dans la pleine démocratie d’Athènes plus récente, bien que le peuple fût alors devenu passionnément attaché à la théorie de l’admissibilité égale de tous les citoyens aux charges, cependant, en pratique, des hommes pauvres obtinrent rarement des charges auxquelles on était nommé par le vote général, comme on le verra plus complètement dans le cours de cette histoire[23].

Le choix des stratêgi resta toujours dans la suite sur le pied sur lequel Aristeidês le mit ainsi ; mais le tirage au sort pour le choix de l’archonte a dû être introduit peu après sa proposition d’éligibilité universelle, et par suite aussi du même flot de sentiment démocratique qui montait toujours. Il fut introduit comme un nouveau correctif, parce que le pauvre citoyen, bien qu’il fût devenu éligible, n’était pas néanmoins élu. Et c’est dans le même temps, j’imagine, que la division compliquée de l’heliæa, ou corps collectif de dikastes ou jurés, en tableaux ou dikasteria séparés pour la décision d’affaires judiciaires, fut régularisée pour la première fois. Ce fut ce changement qui enleva aux archontes une partie si importante de leur juridiction antérieure : ce fut ce changement que Périclès acheva plus complètement encore en assurant une paye aux dikastes.

Mais ce n’est pas le moment d’entrer dans les modifications que subit Athènes pendant la génération qui suivit la bataille de Platée. Elles ont été brièvement indiquées ici dans le dessein de remonter par, le raisonnement, en l’absence de preuves directes, à Athènes telle qu’elle était dans la génération qui précéda cette mémorable bataille, après la réforme de Kleisthenês. Sa réforme, bien que très démocratique, resta au-dessous de la démocratie arrivée à sa maturité qui prévalut de Périclès à Démosthène, de trois manières surtout, entre diverses autres ; aussi est-elle parfois considérée par les écrivains postérieurs comme une constitution aristocratique[24]. I° Elle reconnaissait encore les archontes comme juges dans une large mesure ; et le troisième archonte ou polémarque comme commandant militaire conjointement avec les stratêgi. II° Elle les conservait en tant qu’élus annuellement par le corps des citoyens et non choisis par la voie du sort[25]. III° Elle excluait encore la quatrième classe du cens solonien de toute charge individuelle, de l’archontat entre autres. Cependant la loi solonienne d’exclusion, bien que conservée en principe, fut mitigée en pratique ainsi qu’il suit : tandis que Solôn n’avait reconnu comme éligible à l’archontat que les membres de la plus haute classe par le cens (les Pentakosiomedimni), Kleisthenês ouvrit cette dignité aux trois premières classes, n’excluant que la quatrième. Ce qui peut amener à conclure qu il agit ainsi, c’est qu’Aristeidês, qui assurément n’était pas riche, devint archonte. Je suis aussi disposé à croire que le sénat des Cinq Cents, tel qu’il fut constitué par Kleisthenês, fut pris, non par élection, mais par la voie du sort, dans es dix tribus,-et que tout citoyen devint éligible et put en devenir membre. Une élection dans ce but, — c’est-à-dire le privilège accordé à chaque tribu d’élire annuellement une fournée de cinquante sénateurs tous à la fois, — était probablement regardée comme plus incommode qu’utile ; et nous n’entendons pas non plus parler de réunions séparées de chaque tribu dans des vues d’élection. De plus, la charge de sénateur était une charge collective et non individuelle ; en conséquence, le coup porté aux sentiments d’Athènes devenue à demi démocratique, par l’idée désagréable d’un homme pauvre siégeant parmi les cinquante prytanes, était moindre que si on se l’imaginait comme polémarque à la tète de l’aile droite de l’armée, ou comme archonte administrant la justice.

On peut trouver une autre différence entre la constitution de Solen et celle de Kleisthenês dans la position du sénat de l’Aréopage. Sous le règne de la première, ce sénat avait été le principal corps dans l’État, et Solôn avait même agrandi ses pouvoirs ; sous le règne de la seconde, il doit avoir été considéré d’abord comme un ennemi et tenu dans l’abaissement. En effet, comme il n’était composé que de tous les anciens archontes, et comme pendant les trente années précédentes tout archonte avait été une créature des Pisistratides, les Aréopagites collectivement doivent avoir été à la fois hostiles et odieux à Kleisthenês et à ses partisans, — peut-être une fraction de ses membres s’était-elle retirée en exil avec Hippias. Son influence a dû être sensiblement diminuée par le changement de parti ; jusqu’à, ce qu’il en vint à être graduellement rempli par de nouveaux archontes sortis du sein de la constitution kleisthénéenne. Or, pendant cet important intervalle, le sénat des Cinq-Cents, formé sur un nouveau plan, et l’assemblée populaire s’élevèrent à cet ascendant qu’ils ne perdirent jamais dans la suite. A partir du temps de Kleisthenês, les Aréopagites cessent d’être le pouvoir principal et saillant dans l’Etat. Cependant ils sont encore considérables ; et lorsque le flot de la démocratie remplit le pays pour la seconde fois après la bataille de Platée, ils devinrent le foyer de ce qui était regardé alors comme le parti de la résistance oligarchique. J’ai déjà fait remarquer que, pendant le temps intermédiaire (vers 509-477 av. J.-C.), les archontes étaient tous élus par l’ekklêsia et non choisis par la voie du sort, — et que la quatrième classe, c’est-à-dire la plus pauvre et la plus nombreuse d’après le cens, n’était pas éligible en vertu de la loi ; tandis que l’élection à Athènes, même quand tous les citoyens sans exception étaient électeurs et éligibles, avait une tendance naturelle à tomber sur des hommes riches et d’un rang élevé. Nous voyons ainsi comment il se fit que les anciens archontes, quand ils étaient réunis dans le sénat de l’Aréopage, introduisirent dans le corps les sympathies, les préjugés et les intérêts des classes plus riches. C’est ce qui les mit en conflit avec le parti plus démocratique conduit par Periklês et par Ephialtês, dans des temps où des parties de la constitution kleisthénéenne en étaient venues à être discréditées comme trop imbues d’oligarchie.

Il nous reste encore à signaler une autre institution remarquable, clairement attribuée à Kleisthenês, — l’ostracisme, au sujet duquel j’ai déjà fait quelques remarques[26] en touchant la mémorable proclamation de Solôn contre la neutralité dans une sédition. C’est à peine trop dire que, sans ce procédé protecteur, aucune des autres institutions ne serait venue à maturité.

Par l’ostracisme, un citoyen était banni sans accusation, mise en cause ni défense spéciales, pour une période de dix ans, — postérieurement réduite à cinq. Ses biens n’étaient pas saisis ni sa réputation entachée ; de sorte que la pénalité consistait seulement à être banni de la cité natale pour se retirer dans quelque autre cité grecque. Quant à la réputation du banni, l’ostracisme était plutôt un honneur qu’autre chose[27], et l’on sentit vivement qu’il en était ainsi quand, environ quatre-vingt-dix ans après Kleisthenês, l’accord entre Nikias et Alkibiadês le fit tomber sur Hyperbolos ; les deux premiers avaient tous deux recommandé un vote d’ostracisme, chacun d’eux espérant faire bannir l’autre. Mais, avant que le jour arrivât, ils arrangèrent leur querelle particulière : tirer le canon d’alarme de la république et le diriger contre une personne si peu dangereuse qu’Hyperbolos fut dénoncé comme la prostitution d’une grande solennité politique : Ce n’était pas contre des hommes tels que lui (disait l’auteur comique Platon)[28] que la coquille était destinée à être employée. On appliquait le procédé de l’ostracisme en écrivant sur une coquille, ou sur un tesson., le nom de la personne qu’un citoyen considérait comme prudent de bannir pendant un certain temps ; coquille qui, déposée dans un vase approprié, comptait comme vote pour la sentence.

J’ai déjà fait observer que tous les gouvernements des cités grecques, si nous les comparons avec l’idée qu’un lecteur moderne peut se faire de la mesure de force appartenant à un gouvernement, étaient essentiellement faibles, — les bons aussi bien que les mauvais. — le démocratique, l’oligarchique et le despotique. La force qu’avait un gouvernement quelconque, pour tenir tête à des conspirateurs ou à des mutins, était extrêmement petite, à la seule exception d’un despote entouré de sa troupe mercenaire. En conséquence, une conspiration, un usurpateur, passablement soutenus, ne pouvaient être renversés sans l’aide directe du peuple venant appuyer le gouvernement ; ce qui revenait à une dissolution momentanée de l’autorité constitutionnelle, et était gros de conséquences réactionnaires telles que personne ne pouvait les prévoir. Il était donc de la plus grande importance d’empêcher des hommes puissants de tenter une usurpation. Or, un despote ou une oligarchie pouvait exercer à son gré des moyens préventifs[29], beaucoup plus violents que l’ostracisme, tels que l’assassinat de Kimôn, ordonné par les Pisistratides, ainsi que je l’ai mentionné dans le chapitre précédent. Tout au moins, ils pouvaient faire partir toute personne de la part de laquelle ils redoutaient une attaque ou un danger, sans encourir même jusqu’à l’imputation de sévérité. Mais ; dans une démocratie où l’action arbitraire du magistrat était de toutes les autres choses celle qu’on redoutait le plus, et où le simple citoyen considérait des lois fixes, avec une mise en cause et une défense en tant que préliminaires d’une punition, comme les garanties d’une sécurité personnelle et l’orgueil de la condition sociale, — la création d’un tel pouvoir exceptionnel présentait de sérieuses difficultés. Si nous nous reportons aux temps de Kleisthenês, immédiatement après l’expulsion des Pisistratides, alors que le jeu du mécanisme démocratique n’était pas encore essayé, nous trouverons cette difficulté portée à son maximum ; mais nous trouverons aussi que la nécessité de revêtir quelqu’un de ce pouvoir était absolument impérative ; car les puissants nobles athéniens avaient encore à apprendre la leçon du respect pour une constitution. Leur histoire antérieure avait présenté des luttes continuelles entre les factions armées de Megaklês, de Lykurgue et de Pisistrate, renversées après un certain temps par la force supérieure et les alliances du dernier ; et bien que Kleisthenês, fils de Megaklês, fût fermement disposé à ne pas suivre l’exemple de son père et à agir en citoyen fidèle à une constitution établie, il savait trop bien que les fils des compagnons et des rivaux de son père poursuivraient des desseins ambitieux sans aucun égard pour les limites imposées par la loi, si jamais ils acquéraient des partisans en assez grand nombre pour présenter une apparence favorable de succès. En outre, quand deux candidats aspirant au pouvoir, avec ces dispositions criminelles, en venaient à une rivalité personnelle acharnée, les motifs qu’avait chacun d’eux d’abattre son adversaire, quoi qu’il en dût coûter à la constitution, motifs provenant aussi bien de la crainte que de l’ambition, pouvaient bien devenir irrésistibles, à moins que quelque intervention impartiale et judicieuse ne put arrêter la lutte à temps. Si les Athéniens étaient sages — disait Aristeidês, à ce que l’on rapporte[30], au fort et au milieu des dangers de sa lutte parlementaire avec Themistoklês —, ils nous précipiteraient tous deux, Themistoklês et moi, dans le Barathron[31]. Et quiconque lit dans le troisième livre de Thucydide le triste récit de la sédition korkyræenne, avec les réflexions dont l’historien l’accompagne[32], reconnaîtra l’exaspération graduelle de ces querelles de parti, commençant même sous des formes démocratiques, jusqu’à ce qu’enfin elles brisent les barrières de la moralité publique aussi bien que de la moralité privée.

 

À suivre

 

 

 



[1] Hérodote, V, 66-69.

[2] Aristote, Politique, III, 1, 10, VI, 2, 11.

Quelques habiles critiques, et le Dr Thirlwall entre autres, regardent ce passage comme ne présentant pas de sens, et supposent que quelque correction conjecturale est indispensable, bien qu’il n’y ait pas de correction particulière qui se présente comme étant plausible par excellence. Dans ces circonstances, je préfère encore tirer le meilleur parti possible des mots tels qu’ils sont, et qui, bien que peu usités, ne me semblent pas absolument inadmissibles. Le terme ξένος μέτοικος (qui est une expression parfaitement bonne, en tant que nous la trouvons dans Aristophane, Equit., 347), peut être considéré comme le corrélatif de δούλους μετοίκους, — le dernier mot étant expliqué et par δούλους et par ξένος. Je présume qu’il a dû toujours y avoir en Attique un certain nombre d’esclaves intelligents, vivant à part de leurs maîtres, dans un état entre l’esclavage et la liberté, travaillant en partie sous condition d’une somme fixe qu’ils leur payaient, en partie pour eux-mêmes, et peut-être continuant de passer nominalement pour esclaves après qu’ils avaient acheté leur liberté par payements partiels. Ces hommes étaient δοΰλοι μέτοικοι ; en effet, il y a des cas où δοΰλοι signifie affranchis (Meier, De Gentilitate Atticæ, p. 6) : ce doit avoir été des hommes laborieux et entreprenants, bons partisans pour une révolution politique. V. K. F. Hermann, Lehrbuch der Griech. Staatsalterth., c. III, not. 15.

[3] Hérodote, V, 69.

[4] Cette disposition semble évidente dans Hérodote, I, 143.

[5] Comme explication de ce qui est dit ici, v. l’exposé des modifications apportées à la constitution de Zurich, dans Blüntschli, Staats und Rechtsgeschichte der Stadt Zurich, liv. III, ch. 2, p. 322 ; et Kortüm, Entsthehungs geschichte der Freidstaedtischen Bünde im Mittelalter, ch. 5, p. 74-75.

[6] Hérodote, V, 69.

Schoemann prétend que Kleisthenês établit exactement cent dèmes pour les dix tribus (De Comitiis Atheniensium, Præf., p. XV, et p. 363, et Antiquitat. Jur. Pub. Græc., ch. XXII, p. 260), et. K. F. Hermann (Lehrbuch der Griech. Staatsalt., ch. III) croit que c’était ce qu’Hérodote voulait affirmer, bien qu’il ne pense pas que le fait ait été réellement ainsi.

Il y a une difficulté dans l’explication de ces mots : δέκα δέ καί τούς δήμους κατένεμε ές τάς φυλάς. Dans ma première édition, je suivais plus d’un commentateur, en joignant δέκα à φυλάς ; ce qui, bien que donnant le sens demandé, est embarrassant à cause de la position des mots. M. Scott (de Trinity College, Cambridge) a signalé ce qui semble être une meilleure explication produisant le même sens. Il joint δέκα non à φυλάς, mais à κατένεμε, d’après l’analogie de divers passages : Xénophon, Cyropæd., VII, 5, 3 ; — Platon, Politicus, p. 283 ; — Hérodote, VII, 121, et divers autres passages.

[7] Le dème Melité appartenait à la tribu Kekropis ; Kollitos, à la tribu Ægeis ; Kydathenæon, à la tribu Pandionis ; Kerameis ou Kerameikos, à l’Akamantis ; Skambônidæ, à la Leontis.

Ces cinq dèmes étaient tous dans l’intérieur de la cité d’Athènes, ‘et appartenaient toutes à différentes tribus.

Peirxæeus appartenait à la tribu Hippothoontis ; Phalêron, à Æantis ; Xypeté, à la Kekropis ; Thymœtadæ, à l’Hippothoontis. Ces quatre dèmes, adjacents les uns aux autres, formaient entre eux une quadruple union locale, pour des fêtes ou autres buts, bien que trois d’entré eux appartinssent à différentes tribus.

V. la liste des dèmes attiques, avec un exposé soigneux de leurs localités, autant qu’elles peuvent être déterminées, dans l’ouvrage du prof. Ross, Die Demen von Attica, Halle, 1846. La répartition des dèmes de la cité, et de Peiræens et de Phalêron, dans des tribus différentes, me parait une preuve claire de l’intention des premiers répartiteurs. Elle prouve qu’ils désiraient dès le commencement que les dèmes empêchassent la continuité de chaque tribu, et qu’ils voulaient prévenir à la fois l’accroissement d’intérêts de tribu séparés et l’ascendant d’une seule tribu sur les autres ; elle contredit l’opinion de ceux qui supposent que la tribu fut composée d’abord de dèmes continus, et que la solution de continuité résulta de changements subséquents.

Naturellement il y avait bien des cas dans lesquels des dèmes adjacents appartenaient à la même tribu, mais pas une des dix tribus ne fut composée entièrement de dèmes adjacents.

[8] V. Bœckh, Corp. Inscript., n° 85, 128, 213, etc.

[9] Nous pouvons faire remarquer que ce registre était appelé d’un nom spécial, le registre Lexiarehique ; tandis que le registre primitif des phrators et des gentiles conserva toujours, même à l’époque des orateurs, son nom original de registre commun — Harpocration ; v. Κοινόν γραμματεϊον καί λεξιαρχικόν.

[10] V. Schoemann, Antiq. Jur. P. Græc., c. 24. Le discours de Démosthène contre Eubulidês est instructif au sujet de ces actes des dêmotes assemblés : cf. Harpocration, v. Διαψήφισις, et Meier, De Bonis damnatorum, ch. XII, p. 78, etc.

[11] Aristote, Fragm. De Repub., éd. Neumann — Άθην. πολιτ. Fragm. 40, p. 88 : Schol. ad Aristophane, Ranæ, 37 ; Harpokration, v. Δήμαρχος-Ναυκραοικά : Photius, v. Ναυκραρία.

[12] Hérodote, VI, 109-111.

[13] Harpocration, v. Άποδέκται.

[14] V. l’important traité de Schoemann, De Comitiis, passim, et son Ant. Jur. Publ. Gr., ch. XXXI ; Harpocration, v. Κυρία Έκκλησία ; Pollux, VIII, 95.

[15] Voir en particulier sur ce sujet le traité de Schoemann, De Sortitione Judicum (Greifswald, 1820), et l’ouvrage du même auteur, Antiq. Jur. Public. Græc., ch. 49-55, p. 264 sqq. ; ainsi qu’Heffter, Die Athenaeische Gerichts verfassung, part. II, ch. 2, p. 51 sqq. ; Meier und Schoemann, Der Attische Prozess, p. 127-135.

Les idées de Schoemann, relativement au tirage au sort des jurés athéniens, ont été attaquées avec amertume, mais nullement réfutées, par F. V. Fritzsche (De Sortitione Judicum apud Athenienses Commentatio, Leipzig, 1835).

Deux ou trois de ces bulletins dikastiques, marquant le nom et le dème du citoyen, et la lettre de la décurie à laquelle il appartenait pendant cette année particulière, ont été récemment trouvés dans des fouilles à Athènes. (Bœckh, Corp. Inscrip., n° 207, 208).

Fritzsche (p. 73) croit que ce sont des bulletins de sénateurs, non de dikastes, contrairement à toute probabilité.

Pour le serment héliastique et ses détails remarquables, V. Démosthène, Cont. Timokrat., p. 746 : V. aussi Aristophane, Plutus, 277 (avec les importantes scholies, bien que de mains différentes et n’étant pas toutes d’une égale exactitude) et 972 ; Ekklesiazusæ, 678 sqq.

[16] Plutarque, Aristide, 7 ; Hérodote, VI, 109-111.

[17] Aristote réunit les deux systèmes : élection de magistrats par la masse des citoyens, mais seulement pris parmi les personnes possédant une haute qualité pécuniaire : il considère ceci comme la démocratie la moins démocratique, si l’on peut employer cette expression (Politique, III, 6-11), ou comme un terme moyen entre la démocratie et l’oligarchie — une άριστοκρατία ou πολιτεΐα dans le sens qu’il donne au mot (IV, 7, 3). Il indique l’emploi du sort comme un symptôme d’une démocratie décisive et extrême, telle qu’elle ne tolérerait jamais une condition pécuniaire d’éligibilité.

C’est encore ainsi que Platon (Leg., III, p. 692), après avoir fait remarquer que le législateur de Sparte établit d’abord le sénat, ensuite les éphores, comme un frein imposé aux rois, dit des éphores qu’ils étaient quelque chose se rapprochant presque d’une autorité émanant du sort.

Sur ce passage il y a quelques bonnes remarques dans les vies d’Agis et de Kleomenês, de Plutarque, données par Schoemann (Comment. ad Agis, c. 8, p. 119). Il faut se rappeler que l’on ne peut établir clairement le mode réel d’après lequel on choisissait les éphores spartiates, comme je l’ai déjà dit dans un des volumes précédents, et qu’il a été l’objet de beaucoup de débats de la part des critiques.

Mihi hæc verba, quum illud quidem manifestum faciant, quod etiam aliunde constat, sorte captes ephoros non esse, tum hoc alterum, quod Hermannus statuit, creationem sortitioni non absimilem fuisse, nequaquam demonstrare videntur. Nimirum nihil aliud nisi prope accedere ephororum magistratus ad eos dicitur, qui sortito capiantur. Sortitis autem magistratibus hoc maxime proprium est, ut promiscue — non ex genere, censu, dignitate — a quolibet capi possint : quamobrem quum ephori quoque fere promiscue fierent ex omni multitudine civium, poterat haud dubie magistratus eorum έγγύς τής κληρωτής δυνάμεως esse dici, etiam si αίρετοί essent — h. e. Suffragiis creati. Et video Lachmannum quoque, p. 163, not. 1, de Platonis loto similiter judicare.

L’emploi du sort, comme le fait remarquer Schoemann, implique une admissibilité universelle de tous les citoyens aux charges ; bien que le contraire ne soit pas vrai — la dernière n’implique pas nécessairement le premier. Or, comme nous savons que l’admissibilité universelle ne devint la loi d’Athènes qu’après la bataille de Platée, nous pouvons conclure que la loi du sort ne fut pas employée avant cette époque — i. e. qu’elle ne s’employait pas sous le règne de la constitution de Kleisthenês.

[18] Plutarque, Periklês, c. 9-16.

[19] V. un passage au sujet de tels caractères dans Platon, République, V, p. 475 B.

[20] Plutarque, Aristide, 22.

[21] C’était ainsi du moins que les partisans de la constitution de Kleisthenês étaient appelés par les contemporains de Periklês.

[22] Plutarque, Aristide, 22.

[23] C’est ainsi que, dans les républiques italiennes du douzième et du treizième siècle, les nobles continuèrent longtemps de posséder le droit exclusif d’être élus au consulat et aux grandes charges de l’État, même après que ces charges en étaient venues à être données par le peuple. La mauvaise conduite et l’oppression habituelles des nobles mirent fin à ce droit, et créèrent même dans plus d’un municipe la résolution de les exclure positivement. A Milan, vers la fin du douzième siècle, les douze consuls avec le podestat possédaient tons les pouvoirs du gouvernement : ces consuls étaient nommés par cent électeurs choisis par le peuple et dans ses rangs. Sismondi fait observer : Cependant le peuple imposa lui-même ces électeurs la règle fondamentale de choisir tous les magistrats dans le corps de la, noblesse. Ce n’était point encore la possession des magistratures que l’on contestait aux gentilshommes : on demandait seulement qu’ils fussent les mandataires immédiats de la nation. Plais plus d’une fois, en dépit du droit incontestable des citoyens, les consuls régnants s’attribuèrent l’élection de leurs successeurs. (Sismondi, Histoire des républiques italiennes, ch. XII, vol. II, p. 240).

[24] Plutarque, Kimôn, c. 15. Cf. Plutarque, Aristeidês, c. 2, et Isocrate, Areopagiticus, Or. VII, p. 143, 192, éd. Bek.

[25] Hérodote parle de Kallimachos le polémarque à Marathôn comme étant ό τώ κυάμω λαχών Πολέμαρχος (VI, 110).

Je ne puis m’empêcher de penser que dans ce cas il transporte à l’année 490 av. J.-C. l’usage de son propre temps. Le polémarque, à l’époque de la bataille de Marathôn, était dans un certain sens le premier stratêgos ; et les stratêgi n’étaient jamais désignés par le sort ; mais toujours choisis par mains levées, jusqu’à la fin de la démocratie. Il semble impossible de croire que les stratêgi fussent élus, et que le polémarque, à l’époque où ses fonctions étaient les mêmes que les leurs, fût choisi par le sort.

Hérodote semble avoir regardé le choix de magistrats par le sort comme étant de l’essence d’une démocratie (Hérodote, III, 80).

Plutarque aussi (Periklês, c. 9) semble avoir considéré le choix des archontes par la voie du sort comme une très ancienne institution d’Athènes : néanmoins il résulte du premier chapitre de la vie d’Aristeidês  chapitre obscur, dans lequel des autorités contradictoires sont mentionnées sans être bien distinguées — qu’Aristeidês fut choisi archonte par le peuple — non désigné par le sort : raison de plus pour le croire, c’est qu’il fut archonte l’année qui suivit la bataille de Marathôn, où il avait été un des dix généraux. Idomeneus affirmait clairement qu’il en était ainsi (Plutarque, Aristeidês, c. 1).

Isocrate aussi (Areopagit., Or. VII, p. 144, 195, éd. Bekker) regardait la constitution de Kleisthenês comme enfermant tous les trois points mentionnés dans le texte :

1° Une condition pécuniaire élevée d’éligibilité pour des charges individuelles.

2° Élection à ces charges par tous les citoyens, et reddition de compte devant eux à la sortie de charge.

3° Nul emploi du sort.

Il prétend même que ce mode d’élection est réellement plus démocratique que le tirage au sort, puisque ce dernier moyen pouvait admettre des hommes attachés à l’oligarchie, ce qui n’arrivait pas sous le premier. Ce serait un bon argument s’il n’y avait pas de condition pécuniaire pour l’éligibilité ; — cette condition pécuniaire est une disposition qu’il pose, mais sur laquelle il ne trouve pas utile d’insister expressément.

Je ne signale pas ici la γραφή παρανόμων, les νομοφύλακες, ni les νομόθεται assermentés, — institutions appartenant toutes au temps de Periklês au plus tôt, non à celui de Kleisthenês.

[26] V. tome IV, ch. 4.

[27] Aristeidês, Rhetor. Orat., 46, vol. II, p. 317, éd. Dindorf.

[28] Plutarque (Nikias, c. 11 ; Alkibiadês, c. 13 ; Aristeidês, c. 7) ; Thucydide, VIII, 73. Platon, l’auteur comique, disait au sujet d’Hyperbolos : Ού γάρ τοιούτων οΰνεκ ̕δσταχ̕ ηύρέθη.

Théophraste avait avancé que Phæax, et non Nikias, était le rival d’Alkibiadês dans cette occasion où Hyperbolos fut condamné à l’ostracisme ; mais la plupart des auteurs (dit Plutarque) représentent Nikias comme étant ce rival. Il est curieux qu’il y ait eu une différence de récit au sujet d’un fait si notoire, et à l’époque la mieux connue de l’histoire athénienne.

Taylor pense que le discours qui passe aujourd’hui pour celui d’Andocide contre Alkibiadês est réellement de Phæax, et que Plutarque le lut comme le discours de Phæax dans une lutte réelle d’ostracisme entre Phæax, Nikias et Alkibiadês. Il est combattu par Ruhnken et Valckenaer (V. la préface mise par Sluiter à ce discours, c. 1, et Ruhnken, Hist. Critic. Orat. Gr., p. 135). Je ne puis partager l’opinion ni de l’un ni des autres : je ne puis croire avec l’un que ce soit un discours réel de Phæax, ni avec les autres que ce soit nu discours réel dans une véritable cause d’ostracisme quelconque. Il me semble avoir été composé après que l’ostracisme fut tombé en désuétude, et quand les Athéniens en étaient venus non seulement en quelque sorte à en rougir, mais avaient perdu la notion familière de ce qu’il avait été réellement. Car comment pouvons-nous expliquer autrement ce fait, que l’auteur de ce discours se plaigne d’être sur le point de subir une condamnation d’ostracisme sans un vote secret, vote dans lequel consistait l’essence de l’ostracisme, et doit son nom était emprunté  (οΰτε διαψηφισμέων κρυβδήν, c. 2) ? Son discours est fait comme si l’auditoire auquel il s’adressait était sur le point de condamner l’un des trois par mains levées. Mais le mode de condamnation par l’ostracisme ne renfermait ni assemblée, ni harangues, — rien qu’un simple dépôt des coquilles ou des tessons dans un baril ; comme nous pouvons le voir par la description de la manière dont on entourait l’agora, dans ce but spécial, et par l’histoire (vraie ou fausse) du citoyen de la campagne, illettré, venant à la ville pour donner son vote, et demandant à Aristeidês, sans même connaître sa personne, d’écrire le nom pour lui sur la coquille (Plutarque, Aristeidês, c. 7). Il y avait, il est vrai, une discussion antérieure dans le sénat aussi, bien que dans l’ekklêsia, sur la question de savoir si un vote d’ostracisme devait être rendu ; mais l’auteur du discours auquel je fais allusion ne s’adresse pas à ce point-là ; il suppose que le vote est réellement sur le point d’être rendu, et que l’un des trois — lui-même, Nikias, ou Alkibiadês — doit être condamné à l’ostracisme (c. 1). Or, sans doute en pratique, la décision se trouvait communément entre deux rivaux formidables ; mais elle n’était ni publiquement, ni formellement présentée ainsi devant le peuple : chaque citoyen pouvait écrire sur la coquille le nom qu’il voulait. En outre, la dénonciation ouverte de l’injustice de l’ostracisme comme système (c. 2) prouve une époque postérieure au bannissement d’Hyperbolos. De plus, l’auteur ayant commencé par faire remarquer ‘qu’il est en lutte avec Nikias aussi bien qu’avec Alkibiadês, ne dit rien de plus au sujet de Nikias jusqu’à la fin du discours.

[29] V. la discussion de l’ostracisme dans Aristote, Politique, III, 8, où il reconnaît le problème comme commun à tous les gouvernements.

Comparez aussi une bonne dissertation de J.-A. Paradys, De Ostracismo Atheniensium, Lugduni Batavor, 1793 ; P. F. Hermann, Lehrbuch der Griechischen Staatsalterthümer, ch. 130 ; et Schoemann, Antiq. Jur. Pub. Græc., ch. XXXV, p. 233.

[30] Plutarque, Aristeidês, c. 3.

[31] Le Barathron était une fosse profonde, qui, disait-on, avait au fond des pointes de fer, et dans laquelle on jetait parfois des criminels condamnés à mort. Bien que ce fût probablement une ancienne punition athénienne, elle semble être devenue tout au moins extrêmement rare, si elle n’était pas entièrement tombée en désuétude, pendant les temps d’Athènes que nous connaissons historiquement ; mais on continua d’employer la phrase après que la coutume ne fut plus suivie. Les pointes de fer reposent sur la preuve du Scholiaste d’Aristophane, Plutus, 431 — autorité très douteuse, quand nous lisons la légende qu’il mêle à son récit.

[32] Thucydide, III, 70, 81, 82.