HISTOIRE DE LA GRÈCE

CINQUIÈME VOLUME

CHAPITRE IX — KYRÊNÊ ET BARKA. - HESPÉRIDES.

 

 

Nous avons déjà dit dans un précédent chapitre que Psammétichus, roi d’Égypte, vers le milieu du septième siècle avant J.-C., leva le premier ces prohibitions qui avaient exclu du pays le commerce grec. Sous son règne, des mercenaires grecs furent établis pour la première fois en Égypte, et des marchands grecs admis, sous certains règlements, dans le Nil. L’ouverture de ce nouveau marché enhardit à traverser en vigne droite la mer qui sépare la Frète de l’Égypte, dangereux voyage pour des vaisseaux s’aventurant rarement à perdre la terre de vue, — et qui semble leur avoir fait connaître pour la première fois la côte voisine de Libye, entre le Nil et le golfe de la Grande Syrte. Ce fut là l’origine de la fondation de l’importante colonie nommée Kyrênê.

Il en est de Kyrênê comme de la plupart des autres colonies grecques : sa fondation et son ancienne histoire sont toutes deux très imparfaitement connues. La date dé cet événement, autant qu’il est possible de l’établir au milieu de renseignements très contradictoires, est vers 630 avant J.-C.[1] Thêra en fut la mère patrie, elle-même colonie de Lacédæmone ; et les établissements formés en Libye furent des ornements assez considérables pour le nom dôrien dans la Hellas.

Selon le récit d’un historien, perdu aujourd’hui, Meneklês[2], — des dissensions politiques entre les habitants de Thêra amenèrent cette émigration qui fonda Kyrênê. Les détails légendaires plus abondants que recueillit Hérodote, en partie auprès des habitants de Thêra, en partie auprès de Kyrénæens, ne sont pas positivement en désaccord avec ce renseignement, bien qu’ils indiquent plus particulièrement des saisons mauvaises, de la détresse et un excès de population. Mais tous deux signalent expressément l’oracle de Delphes comme l’instigateur aussi bien que comme le directeur des premiers émigrants, dont il fut très difficile de vaincre les appréhensions que leur causaient un dangereux voyage et une contrée inconnue. Tous deux affirmaient que l’œkiste primitif Battos fut choisi et consacré à cette oeuvre par la volonté divine ; tous deux appelaient Battos fils de Polymnêstos, de la race mythique nommée Minyæ. Mais sur d’autres points il y avait divergence complète entre les deux récits, et les Kyrénæens eux-mêmes, dont la ville était peuplée en partie d’émigrants venus de Krête, représentaient la mère de Battos comme fille d’Etearchos, prince de la ville krêtoise d’Axos[3]. Battos avait une difficulté de parole, et ce fut quand il demandait à l’oracle de Delphes un remède pour cette infirmité qu’il reçut l’ordre d’aller comme œkiste éleveur de bétail en Libye. Il fut commandé aux Théræens qui étaient dans le malheur de l’aider. Mais ni lui ni eux ne savaient où était la Libye, et ils ne purent non plus- trouver d’homme résidant en Krête qui l’eût jamais visitée, tant était limitée la sphère de la navigation grecque au sud de la mer Ægée, même un siècle après la fondation de Syracuse. Enfin, à la suite de recherches prolongées, ils découvrirent un homme employé à prendre les coquillages de pourpre, du nom de Korôbios, qui disait avoir été poussé une fois parla violence du temps vers l’île de Platæa, tout près des rivages de la Libye, et du côté peu éloigné de la limite occidentale de l’Égypte. Quelques. Théræens étant envoyés avec Korôbios pour examiner cette île, ils l’y laissèrent avec une quantité de provisions, et retournèrent à Thêra pour conduire les émigrants.

On prit des émigrants pour la colonie ‘dans les sept districts dont se composait Thêra, un seul frère étant choisi par le sort dans chacune des nombreuses familles. Rais leur retour à Platæa fut différé si longtemps, que les provisions de Korôbios s’épuisèrent, et il ne fut sauvé de l’inanition que par l’arrivée fortuite d’un navire samien se rendant en Égypte, mais poussé par des vents contraires hors de sa direction. Kôlæos, patron de ce navire — dont nous avons mentionné dans un chapitre précédent les immenses profits. produits par le premier voyage à Tartêssos —, l’approvisionna pour une année, — acte de bonté qui, dit-on, fut le premier fondement de l’alliance et des bons sentiments dominant plus tard entre Thêra, Kyrênê et Samos. A la fin, les émigrants attendus atteignirent File, ayant trouvé le voyage si périlleux et $i difficile, que de désespoir ils retournèrent une fois à Thêra, où l’on ne put les empêcher de débarquer que par la force. La bande qui accompagnait Battos était transportée tout entière sur deux pentekonters, — vaisseaux armés avec cinquante rameurs chacun. Tel fut l’humble point de départ de la puissante Kyrênê, cité qui, du temps d’Hérodote, couvrait une surface égale à l’île entière de Platæa[4].

Toutefois cette île, bien que voisine de la Libye, et que les colons prenaient pour ce pays, ne l’était pas en réalité les ordres de l’oracle n’avaient pas été littéralement accomplis. Conséquemment la colonie n’eut que de la misère pendant deux années ; et Battos retourna à Delphes avec ses compagnons se plaindre que la terre promise fût devenue un amer désappointement. Le dieu répondit par la voix de sa prêtresse : Si vous qui n’avez jamais visité la Libye élevant du bétail, vous la connaissez mieux que moi qui l’ai visitée, j’admire grandement votre habileté. De nouveau l’ordre inexorable les força à retourner. Cette fois ils s’établir sur le continent réel de la Libye, presque vis-à-vis de l’île de Platæa, dans un district appelé Aziris, entouré des deux côtés de beaux bois ; et avec un cours d’eau adjacent. Après six jours- de résidence dons cet endroit, ils furent persuadés par quelques-uns des Libyens indigènes de l’abandonner, sous la promesse qu’on les conduirait à un emplacement meilleur. Alors leurs guides les menèrent à la situation réelle de Kyrênê, en disant : Ici, hommes de la Hellas, est le lieu que vous devez habiter ; car ici le ciel est troué[5]. La route par laquelle ils passèrent les avait menés à travers la séduisante région d’Irasa avec sa fontaine Thestê, et leurs guides eurent la précaution, de les y mener de nuit, afin qu’ils pussent continuer à en ignorer les beautés.

Telles furent les démarches préliminaires, tant divines qu’humaines, qui amenèrent. Battos et ses colons à Kyrênê. Du temps d’Hérodote, Irasa était une portion avancée du territoire oriental de cette puissante cité. Mais nous trouvons dans le récit qui vient d’être rapporté une opinion prévalant parmi ceux dés Kyrénæens, de qui il tenait ses renseignements, à savoir, qu’Irasa avec sa fontaine Thestê, était une position plus engageante que Kyrênê avec sa fontaine d’Apollon, et aurait dû sagement être choisie dans l’origine ; opinion par laquelle, suivant l’habitude générale de l’esprit grec, est produite et accréditée une anecdote, expliquant, comment l’erreur supposée fut commise. Quelles peuvent, avoir été les recommandations d’Irasa, c’est ce qu’il ne nous est pas permis de. savoir ; mais les descriptions dé voyageurs, modernes, non moins que l’histoire subséquente de Kyrênê ; justifient sous beaucoup de rapports- le choix fait réellement., La cité était, placée à là distance d’environ dix milles (= 16 kil.) de la mer, ayant un port abrité appelé Apollonia, qui fut plus tard lui-même une ville considérable, — il était à environ vingt milles (= 32 kil.) du promontoire Phykos, qui forme la projection la plus, septentrionale de la côte africaine, presque à l’a même longitude que le cap péloponnésien Tænaros (Matapan). Kyrênê était située à environ 1.800 pieds (= 550 m.) au-dessus du niveau de la Méditerranée, qu’elle dominait en offrant une belle vue, et, d’où on l’apercevait visiblement,, sur l’arête d’unes chaîne de collines qui descendaient jusqu’au port par des terrasses successives. Le sol qui l’entourait immédiatement, en partie calcaire, en partie sablonneux, est décrit par le capitaine Beechey comme- présentant une végétation vigoureuse et une remarquable fertilité, bien que les anciens le jugeassent inférieur sous ce rapport, et à Barka[6] et à Hespérides, et plus inférieur encore à la région plus occidentale voisine de Kinyps. Mais les abondantes pluies périodiques, attirées par les hauteurs élevées d’alentour, et justifiant l’expression du ciel percé, étaient même d’une plus grande importance sous un soleil d’Afrique qu’une richesse extraordinaire du sol[7]. Les régions maritimes près de Kyrênê et de Barka, et prés d’Hespérides, produisaient de l’huile et du vin aussi bien que du blé, tandis que le district étendu, placé entre ces villes, composé tour à tour de montagnes, de bois et de plaines, était éminemment propre au pâturage et à l’élevage du bétail. Les ports étaient surs, présentant des commodités pour le commerce du marchand grec avec l’Afrique septentrionale, telles qu’on n’en pouvait trouver de pareilles le long de toute la côte, de la Grande Syrte à l’ouest d’Hespérides. L’abondance de terres propres à la culture, une grande diversité et de climat et de saisons productives, entre le rivage de la mer, la colline basse et la montagne élevée, dans un petit espace, de sorte qu’une moisson venait continuellement, et que la terre donnait de nouveaux produits, pendant huit mois de l’année, — de plus le monopole de la précieuse plante appelée Silphion, qui ne croissait que dans la région kyrénaïque, et dont le suc était demandé en grande quantité dans toute la Grèce et toute l’Italie, — toutes ces causes amenèrent le rapide développement de Kyrênê, malgré des troubles politiques sérieux et renouvelés. Et même aujourd’hui, les restes immenses, qui marquent encore son emplacement désolé, les preuves du travail et de l’industrie déployés autrefois à la fontaine d’Apollon et ailleurs, en même temps que la profusion de tombes creusées et ornées, attestent suffisamment quelle a dû être la grandeur de la ville à l’époque d’Hérodote et de Pindare. Les Kyrénæens étaient très fiers du silphion, qu’on trouvait à l’état sauvage dans leur contrée reculée depuis l’île de Platœa à l’est jusqu’au fond même de la Grande Syrte à l’ouest, — plante dont les feuilles étaient extrêmement salutaires pour le bétail, et la tige pour l’homme, pendant que la racine fournissait le jus particulier qu’on exportait ; — ils y trouvaient un tel sujet d’orgueil qu’ils prétendaient qu’il avait paru pour la première fois sept ans avant l’arrivée des premiers colons grecs dans leur cité[8].

Mais ce ne furent pas seulement les propriétés du sol qui favorisèrent la prospérité de Kyrênê. Isocrate[9] vante l’emplacement bien choisi de cette colonie, parce qu’elle était établie au milieu de naturels indigènes propres à être soumis, et bien éloignée de tout ennemi formidable. Que les tribus libyennes indigènes aient été amenées à contribuer dans une large mesure au développement des cités gréco-libyennes, c’est ce dont il n’y a pas lieu de douter ; et en examinant l’histoire de ces cités, nous devons nous rappeler que leur population n’était pas purement grecque, mais qu’elle était plus ou moins mêlée, comme celle des colonies en Italie, en Sicile ou en Iônia. Bien que nos renseignements soient très imparfaits, nous en voyons assez pour démontrer que la petite troupe amenée par Battos le Bègue lui permit d’abord de fraterniser avec les Libyens indigènes, — puis, renforcé de nouveaux colons, et profitant du pouvoir des chefs indigènes, de les intimider et de les subjuguer Kyrênê, — liguée avec Barka et Hespérides, toutes les deux sorties de sa racine[10], — exerçait sur les tribus libyennes s’étendant entre les frontières de l’Égypte et le fond le plus reculé de la grande Syrte, dans un espace de trois degrés de longitude, un ascendant semblable à celui que possédait Carthage sur les Libyens plus occidentaux près de la petite Syrte. Dans ces limites kyrénæennes, -et plus à l’ouest le Ion ; des rivages de la grande Syrte, les tribus libyennes avaient des habitudes pastorales à l’ouest, au delà du lac Tritônis et de la petite Syrte[11], ils commençaient à être agriculteurs. Immédiatement à l’ouest de l’Égypte étaient les Adyrmachidæ, confinant à Apis et à Marea, villes frontières égyptiennes[12] ; ils étaient soumis aux Égyptiens, et avaient adopté quelques-uns des rites minutieux et quelques-unes des observances religieuses qui caractérisaient la région du Nil. En allant à l’ouest des Adyrmachidæ se trouvaient les Giligammae, les Asbytae, les Auschisæ, les Kabales et les Nasamônes, — tribus dont la dernière occupait l’extrémité sud-est de la grande Syrte, — ensuite, les Makæ, les Gindanes, les Lotophagi, les Machlyes, jusqu’à une certaine rivière et à un lac nommés Tritôn et Tritônis, lac qui semble avoir été voisin de la petite Syrte. Ces tribus que nous venons de mentionner n’étaient dépendantes ni de Kyrênê ni de Carthage, à l’époque d’Hérodote, ni probablement pendant la période propre de l’histoire grecque libre (600-300 av. J.-C.). Mais, dans le troisième siècle avant J.-C. les gouverneurs ptolémaïques de Kyrênê étendirent leur domination à l’ouest, tandis que Carthage étendait ses colonies et ses châteaux forts à l’est, de sorte que les deux puissances embrassèrent entre elles toute la ligne de côtes entre la grande et la petite Syrte, se rencontrant à l’endroit appelé les Autels des frères Philæni, — célèbre par sa légende commémorative[13]. De plus, même au sixième siècle avant J.-C., Carthage était jalouse de l’extension des colonies grecques le long de cette côte, et elle aida les Makæ Libyens (vers 510 av. J.-C.) à chasser le prince spartiate Dorieus de son établissement voisin du fleuve Kinyps ; près de cet endroit fut fondée dans la suite, par des exilés phéniciens ou carthaginois, la ville de Leptis Magna[14] (aujourd’hui Lebida), qui ne parait pas avoir existé du temps d’Hérodote. Ce dernier historien ne mentionne pas non plus les Marmaridæ, qui semblent être la principale tribu libyenne près de l’ouest de l’Égypte entre l’époque de Skylax et le troisième siècle de l’ère chrétienne. Quelque migration ou quelque révolution postérieure à l’époque d’Hérodote doit avoir donné la prédominance à ce nom[15].

La contrée intérieure s’étendant à l’ouest de l’Égypte (le long du trentième et du trente et unième parallèle de latitude) jusqu’à la grande Syrte, et ensuite le long dit bord méridional de ce golfe, est à un haut degré sablonneuse et basse, et entièrement dépourvue d’arbres, fournissant toutefois dans maintes parties de l’eau, de l’herbe et un sol fertile[16]. Mais la région maritime, située au nord de celle-ci, constituant le centre avancé de la côte africaine, depuis l’île de Platea (golfe de Bomba) à l’est, jusqu’à Hespérides (Bengazi) à l’est, est d’un caractère totalement différent ; couverte de montagnes d’une élévation considérable, qui atteignent leur point le plus élevé près de Kyrênê, parsemée de plaines et de vallées productives, interrompue par des ravins fréquents qui portent à la mer les torrents d’hiver, et n’étant à aucune époque de l’année dépourvue d’eau. C’est te dernier avantage qui fait que ces lieux sont aujourd’hui visités chaque été par les Arabes Bédouins, qui affluent à l’inépuisable fontaine d’Apollon et à d’autres parties de la région montagneuse de Kyrênê à Hespérides, quand leur provision d’eau et d’herbage manque à l’intérieur[17] ; et la même circonstance doit avoir eu pour effet, dans l’antiquité, dé tenir les Libyens nomades en quelque sorte dépendants de Kyrênê et de Barka. Kyrênê s’appropria la portion maritime du territoire des Asbystæ Libyens[18] : les Auschisæ occupaient la région située au sud de Barka, touchant la mer près d’Hespérides ; les Kabales demeuraient près de Teucheira dans le territoire de Barka. Dans les espaces intérieurs ces Nomades Libyens, avec leur bétail et leurs tentes tressées, erraient sans contrainte, amplement nourris de viande et de lait[19], couverts de peaux de chèvres, et jouissant d’une meilleure santé que tous les peuples que connaisse Hérodote. Leur race de chevaux était excellente, et leurs chariots ou wagons traînés par quatre chevaux pouvaient accomplir des choses admirées même par des Grecs. Ce fut a ces chevaux que les princes[20] et les grands de Kyrênê et de Barka durent les fréquents succès remportés par leurs chars dans les jeux de la Grèce. Les Nasamônes Libyens, laissant leur bétail près de la mer, étaient dans l’habitude de faire un voyage annuel dans l’intérieur du pays, à l’oasis d’Augila, dans le dessein de faire la récolte des dattes[21], ou d’en acheter ; et les Arabes Bédouins de Bengazi font encore le même voyage chaque année, emportant leur froment et leur orge dans le même but. Chacune des tribus libyennes se distinguait par une manière différente de se couper les cheveux, et par quelques particularités de culte religieux, quoique en général elles adorassent le Soleil et la Lune[22]. Mais, dans le voisinage du lac Tritônis — vraisemblablement l’extrémité occidentale du commerce grec le long des côtes du temps d’Hérodote, qui, ne tonnait guère au delà, si ce n’est d’après des autorités carthaginoises —, on avait localisé les divinités grecques Poseidôn et Athênê avec la légende de Jasôn et des Argonautes. Il y avait en outre des prophéties courantes annonçant que cent cités helléniques étaient destinées à être fondées un jour autour du lac et qu’une seule ville dans l’île Phla, entourée par le lac, devait être établie par les Lacédæmoniens[23]. Il est vrai que ces prophéties furent du grand hombre de celles qui restèrent sans être accomplies, mais qui de tout côté trompaient l’oreille grecque, venant probablement de marchands kyrénæens ou théræens, qui croyaient l’endroit avantageux pour s’établir, et faisaient circuler leurs propres espérances sous, la forme d’assurances divines. Ce fut vers l’année 510 avant J.-C.[24] que quelques-uns des Théræens conduisirent le prince spartiate Doriens pour fonder une colonie dans la fertile région de Kinyps, appartenant aux Makæ Libyens. Mais Carthage, intéressée à prévenir l’extension d’établissements grecs à l’ouest, aida les Libyens à le chasser.

Les Libyens, dans le voisinage immédiat de Kyrênê, furent considérablement changés par l’établissement de cette cité. Ils formaient une partie considérable, — probablement d’abord la plus considérable de la population qu’elle renfermait. N’ayant pas cette ténacité farouche d’habitudes que la religion mahométane a imprimée dans l’esprit des Arabes du temps présent, ils étaient ouverts à l’influence mêlée de contrainte et de séduction employée par les colons grecs ; et, à l’époque d’Hérodote, les Kabales et les Asbystæ de l’intérieur en étaient venus à copier les goûts et les usages kyrénæens[25]. Les colons théræens, ayant obtenu non seulement le consentement, mais même la direction des indigènes pour leur occupation de Kyrênê, se constituèrent comme des citoyens spartiates privilégiés au milieu de Periœki libyens[26]. Ils semblent avoir épousé des femmes libyennes, de sorte qu’Hérodote représente les femmes de Kyrênê et de Barka comme suivant, même de son temps, des observances religieuses indigènes et non helléniques[27]. Même les descendants de l’œkiste primitif Battos étaient demi-Libyens, car Hérodote nous donne ce curieux renseignement, à savoir que Battos était le mot libyen pour dire roi, et il en tire la juste conséquence que le nom Battos n’était pas dans l’origine personnel à l’œkiste, mais qu’il l’acquit en Libye pour la première fois comme un titre[28] ; bien que dans la suite il passât à ses descendants comme nom propre. Pendant huit générations, les princes régnants furent appelés Battos et Arkesilaos, la dénomination libyenne alternant avec la grecque, jusqu’à ce que la famille finit par être dépouillée de sa puissance. De plus, nous trouvons le chef de Barka, parent d’Arkesilaos de Kyrênê, portant le nom d’Alazir, nom certainement qui n’est pas hellénique, mais probablement libyen[29]. Nous devons donc nous représenter les premiers colons théræens comme établis dans leur poste élevé et fortifié de Kyrênê, au milieu de Periœki libyens, jusqu’alors étrangers aux murailles, aux arts, et peut-être même à la culture du sol. Probablement ces Periœki furent toujours sujets et tributaires, à un degré plus ou moins grand, bien qu’ils aient continué pendant un demi-siècle à conserver leur propre roi.

C’est à ces hommes grossiers que les Théræens communiquèrent les éléments de l’hellénisme et de la civilisation, non sans en recevoir eux-mêmes en échange beaucoup qui n’étaient pas helléniques ; et peut-être l’influence réactionnaire de l’élément libyen contre l’hellénique serait-il devenu le plus fort des deux, s’ils n’avaient été renforcés par des nouveaux venus arrivant de Grèce. Après que Battos l’œkiste eut régné quarante ans (vers 630-590 av. J.-C.), et son fils Arkesilaos, seize ans (vers 590-574 av. J.-C.) un second Battos[30] leur succéda, appelé Battos l’Heureux, pour marquer l’accroissement extraordinaire de Kyrênê pendant son gouvernement. Sous son règne, les Kyrénæens se donnèrent de la peine pour appeler de nouveaux colons de toutes les parties de la Grèce sans distinction,-circonstance méritant d’être signalée dans une colonisation grecque qui, habituellement, manifestait une préférence pour certaines races, si elle n’excluait pas positivement les autres. A chaque nouveau venu on promettait un lot de terre, et la prêtresse de Delphes seconda vigoureusement les désirs des Kyrénæens, déclarant que quiconque arriverait à l’endroit trop tard pour le partage du sol aurait lieu- de s’en repentir. , Cette promesse d’une -terre nouvelle, aussi bien que la sanction de l’oracle ; fut sans doute rendue publique à tous les jeux et à toutes les assemblées des Grecs. Une foule considérable de nouveaux colons s’embarquèrent pour Kyrênê : on n’en mentionne pas le nombre exact ; mais nous devons croire qu’il a été très grand, car, on nous dit que, pendant la génération suivante, il ne périt pas moins de sept mille hoplites grecs de Kyrênê sous les coups des Libyens révoltés, — laissant cependant et la cité elle-même et sa voisine Barka encore puissantes. La perte d’un si grand nombre d’hommes que celle de sept mille hoplites grecs a très peu de pendants durant tout le cours de l’histoire de la Grèce. En fait, cette seconde migration, pendant le gouvernement de Battos l’Heureux, qui a dit avoir lieu entre 574-554 avant J.-C., doit être regardée comme le moment d’une colonisation réelle et effective pour Kyrênê. Ce fut à cette occasion probablement que le port d’Apollonia, qui dans la suite en vint à égaler la, cité elle-même en importance, fut occupé et fortifié pour la première fois, — car le second essaim d’immigrants vint directement par mer, tandis que les colons primitifs étaient parvenus à Kyrênê par terre, en venant de l’île de Platea par Irasa. Les nouveaux immigrants vinrent du Péloponnèse, de Krête et de quelques autres îles de la mer Ægée.

Pour fournir tant de nouveaux lots de terre, ou il fut nécessaire, ou l’on regarda comme commode de déposséder un grand nombre de Periœki libyens dont la situation ; sous d’autres rapports aussi, se trouva considérablement changée en pire. Le roi libyen Adikran, qui se trouva lui-même au nombre des personnes lésées, implora l’aide d’Apriès, roi d’Égypte ; alors à l’apogée de sa puissance, se reconnaissant par des envoyés lui-même et son peuple sujets égyptiens, comme leurs voisins, les Adyrmachidæ. Le prince égyptien, acceptant l’offre, envoya, pour attaquer Kyrênê par la route qui longe la mer, des forces militaires considérables de la caste indigène des soldats, qui occupaient constamment un poste à la ville frontière occidentale de Marea. Ils furent rencontrés à Irasa par les Grecs de Kyrênê, et ignorant totalement les armes et la tactique grecques, ils essuyèrent une défaite si complète, que peu d’entre eux revirent leur patrie[31]. Nous avons mentionné, dans un précédent chapitre, les conséquences de ce désastre en Égypte, à la suite duquel le trône fut transféré d’Apriès à Amasis.

Naturellement, les Periœki libyens furent accablés, et le nouveau partage des terres prés de Kyrênê, entre les colons grecs,fut accompli, ce qui accrut de beaucoup la puissance de la cité. Et le règne de Battos l’Heureux marque une ère florissante dans la ville, avec une’ acquisition considérable de biens territoriaux, avant les années de dissensions et de détresse. Les Kyrénæens formèrent une alliance intime avec Amasis, roi d’Égypte, qui encouragea par tous les moyens les relations avec les Grecs, et qui même prit pour épouse Ladikê, femme de la famille Battiade à Kyrênê ; de sorte que les Periœki libyens perdirent toute chance d’obtenir une aide des Égyptiens contre les Grecs[32].

Toutefois, de nouvelles perspectives leur furent ouvertes pendant le règne d’Arkesilaos II, fils de Battos l’Heureux (vers 554-544 av. J.-C.). La conduite de ce prince irrita et lui aliéna ses propres frères, qui fomentèrent une révolte contre lui, se retirèrent avec une partie des citoyens et engagèrent un certain nombre de Periœki libyens à prendre parti pour eux. Ils fondèrent la cité gréco-libyenne de Barka, dans le territoire des Auschisæ libyens, à environ douze milles (= 19 kilom. 300 m.) de la côte, éloignée de Kyrênê par mer .d’environ soixante-dix milles (= 112 kilom. 650 m.) à l’ouest. L’espace qui s’étendait entre les deux villes, et même au delà de Barka jusqu’à la colonie grecque plus orientale, appelée Hespérides, était, du temps de Skylax, pourvu de ports commodes comme lieu de refuge ou de débarquement[33]. Nous ignorons à quelle époque fut -fondée Hespérides, mais elle existait vers 510 avant J.-C.[34] Il n’est pas certain que le roi Arkesilaos se soit opposé à la fondation de Barka ; mais il fit marcher les forces kyrénæennes contre ces Libyens révoltés qui s’étaient joints à cette ville. Incapables de résister, ces derniers s’enfuirent chercher un refuge chez leurs frères plus orientaux près des frontières de l’Égypte, et Arkesilaos les poursuivit. Enfin, dans un district appelé Leukôn, les fugitifs trouvèrent une occasion pour l’attaquer avec un si immense avantage qu’ils détruisirent presque l’armée kyrénæenne, sept mille hoplites (comme on l’a indiqué plus haut) étant restés morts sur le champ de bataille. Arkesilaos ne survécut pas longtemps à ce désastre. Il fut étranglé pendant une maladie par son frère Learchos, qui .aspirait au trône ; mais Éryxô, veuve du prince décédé, vengea le crime en faisant assassiner Learchos[35].

Nous pouvons croire sans peine que le crédit des princes Battiades fut affaibli par cette série de désastres et d’énormités. Mais il reçut un choc plus grand encore de cette circonstance, que Battos III, fils et successeur d’Arkesilaos, était boiteux et avait les pieds difformes. Être gouverné par un homme aussi personnellement incapable était aux yeux des Kyrénæens une indignité à ne pas supporter, aussi bien qu’une excuse pour les mécontentements préexistants. On prit la résolution d’envoyer consulter l’oracle delphien. La prêtresse leur ordonna d’appeler de Mantineia un modérateur, revêtu du pouvoir de clore les discussions et de donner un plan de gouvernement. Les Mantinéens choisirent Demônax, un des plus sages de leurs concitoyens, pour résoudre un problème analogue à celui qui avait été soumis à Solôn à Athènes. D’après ses dispositions, la prérogative royale de la ligne Battiade fut terminée, et lui gouvernement républicain, établi vraisemblablement vers 543 avant J.-C. ; le prince dépossédé conservant à la fois les domaines territoriaux[36] et les diverses fonctions sacerdotales qui avaient appartenu à ses prédécesseurs. Toutefois, relativement au gouvernement tel qu’il fut nouvellement formé, Hérodote, par malheur, nous donne à peine quelques détails. Demônax classifia les habitants de Kyrênê en les rangeant dans trois tribus, composées : 1° de Théræens avec leurs Periœki libyens ; 2° de Grecs qui étaient venus du Péloponnèse et de la Krête ; 3° de ceux des Grecs qui étaient venus de toutes les autres îles de la mer Ægée. Il paraît aussi qu’il constitua un sénat, pris sans cloute dans ces trois tribus, et, nous pouvons le supposer, en proportions égales. Il semble probable qu’il n’y avait eu auparavant ni classification constitutionnelle, ni privilège politique, excepté ceux dont les Théræens furent investis, — que ces derniers, les descendants des colons primitifs, étaient les seules personnes jusqu’à ce moment nommées dans la constitution, — et que les autres Grecs, bien que propriétaires fonciers libres et hoplites, n’étaient pas autorisés à agir comme parties intégrantes du corps politique, ni distribués du tout en tribus[37]. Tous les pouvoirs du gouvernement, — dont jusqu’à cette époque avaient été investis les princes Battiades, qui n’étaient soumis à d’autre frein (nous ignorons dans quelle mesure) qu’à celui que les citoyens d’origine théræenne pouvaient être à même d’y mettre ; — furent alors transférés du prince au peuple, c’est-à-dire à certains individus ou à certaines assemblées choisis d’une manière ou d’une autre parmi tous les citoyens. Il existait à Kyrênê, comme à Thêra et à Sparte, un conseil d’éphores et une troupe de trois cents hommes de police armés[38], analogues à ceux qui étaient appelés les Hippeis ou cavaliers à Sparte. Furent-ils institués par Demônax ? C’est ce que nous ignorons, et l’identité d’une charge portant le même titre, dans des Etats différents, ne fournit pas de raison sure pour en conclure une identité de puissance. Ceci est à remarquer particulièrement par rapport aux Periœki à Kyrênê, qui étaient peut-être plus analogues aux Ilotes que les Periœki de Sparte. Ce fait, à savoir que les Periœki étaient considérés dans la nouvelle constitution comme appartenant spécialement à la branche des citoyens théræens, prouve que ces derniers continuèrent encore d’être un ordre privilégié, comme les Patriciens avec leurs Clients à Rome par rapport à la Plebs.

Il y a de bonnes raisons pour croire que les nouvelles dispositions introduites par Demônax étaient sages, conformes au courant général de sentiment grec et calculées pour bien opérer. Aucun mécontentement intérieur ne les aurait renversées sans l’aide d’une force étrangère. Battos le Boiteux y acquiesça paisiblement pendant sa vie ; mais sa veuve et son fils, Pheretimê et Arkesilaos, fomentèrent une révolte et essayèrent de regagner de force les privilèges royaux de la famille. Ils furent défaits et obligés de fuir, — la mère à Kypros, le fils à Samos, — où ils s’occupèrent tous deux à se procurer des armes étrangères pour envahir et conquérir Kyrênê. Bien que Pheretimê ne pût obtenir d’aide effective d’Euelthôn, prince de Salamis dans Kypros, son fils fut plus heureux à Samos, en engageant de nouveaux colons grecs à venir à Kyrênê, sous la promesse d’un nouveau partage du sol. Un corps considérable d’émigrants se joignit à lui sur sa proclamation, l’époque étant vraisemblablement favorable à l’entreprise, puisqu’il n’y avait pas longtemps que les cités ioniennes étaient devenues sujettes de la Perse, et qu’elles étaient mécontentes du joug. Mais, avant de conduire cette bande nombreuse contre sa ville natale, il crut convenable de demander l’avis de l’oracle delphien. On lui promit du .succès dans l’entreprise ; mais on lui recommanda expressément de la modération et de l’indulgence après le succès, sous peine de perdre la vie ; et le dieu déclara que la race Battiade était destinée à régner à Kyrênê pendant huit générations, mais pas plus, — jusqu’à quatre princes nommés Battos et quatre nommés Arkesilaos[39]. Apollon défend aux Battiades, disait la Pythie, de songer même à avoir plus que ces huit générations. Cet oracle fut sans doute rapporté à Hérodote par ceux des Kyrénæens de qui il recevait des renseignements quand il visita leur ville après la déposition définitive des princes Battiades, qui s’opéra dans la personne du quatrième Arkesilaos, entre 460-450 avant J.-C., l’invasion de Kyrênê par Arkesilaos III, sixième prince de la race Battiade, auquel l’oracle déclarait se rapporter, ayant été effectuée vers 530 avant J.-C. Les mots mis dans la bouche de la prêtresse datent sans doute de la plus récente. de ces deux périodes, et donnent un spécimen de la manière dont de prétendues prophéties non seulement sont établies d’après une connaissance ultérieure qu’on antidate, mais encore sont combinées de manière à favoriser un dessein actuel ; en effet la défense distincte du dieu de ne pas même prétendre à une lignée plus longue, que huit princes Battiades, semble évidemment destinée à détourner les partisans de la famille détrônée de faire des efforts pour la rétablir.

Arkesilaos III, auquel cette prophétie prétend s’être adressée, revint à Kyrênê avec sa mère Pheretimê et son armée de nouveaux colons. Il fut assez fort pour vaincre tout devant lui, — pour chasser quelques-uns de ses principaux adversaires, et pour en saisir d’autres, qu’il envoya à Kypros pour être exterminés ; cependant des tempêtes détournèrent les vaisseaux de leur direction, les poussèrent à la péninsule de Knidos, où les habitants délivrèrent les prisonniers et les envoyèrent à Thêra. D’autres Kyrénæens, opposés aux Battiades, se réfugièrent dans une haute tour particulière, propriété d’Aglômachos, où Arkesilaos les fit tous briller, en entassant du bois tout à l’entour et en y mettant le feu. Mais, après cette carrière de triomphe et de vengeance, il comprit qu’il s’était départi de l’indulgence que l’oracle lui avait prescrite, et il chercha à éviter la punition qui le menaçait en se retirant de Kyrênê. En tout cas il quitta cette ville pour se rendre à Barka, résidence du prince barkæen Alazir, son parent, dont il avait épousé la fille. Mais il trouva dans Barka quelques-uns des malheureux qui avaient fui de Kyrênê pour échapper à ses violences. Aidés d’un petit nombre de Barkæens, ces exilés, cherchèrent une occasion convenable pour l’attaquer dans la place du marché, et le tuèrent avec son cousin le prince Alazir[40].

La victoire d’Arkesilaos à Kyrênê, et son assassinat à Barka sont sans doute des faits réels. Mais ils semblent avoir été condensés et colorés d’une manière inexacte, afin de donner à la mort du prince kyrénæen l’apparence d’un jugement divin. Car le règne d’Arkesilaos ne peut avoir été très court, puisque des événements de la dernière importance se passèrent pendant son gouvernement. Les Perses sous Kambysês conquirent l’Égypte, et le prince kyrénæen et le prince barkæen envoyèrent tous les deux à Memphis faire leur soumission au conquérant, — offrant des présents et s’imposant un tribut annuel. Kambysês considéra ces présents des Kyrénæens, cinq cents mines d’argent, comme si petits et si méprisables, qu’il les prit d’un coup et les jeta au milieu de ses soldats. Et au moment où Arkesilaos mourut, on trouve établi en Égypte Aryandês, le satrape perse après la mort de Kambysês[41].

Pendant l’absence d’Arkesilaos à Barka, sa mère Pheretimê avait gouverné comme régente, siégeant dans les discussions du sénat. Mais quand arriva la mort du prince, et que le sentiment contre les Battiades se manifesta fortement à Barka, elle ne se sentit pas assez puissante pour le réprimer, et se rendit en Égypte pour solliciter l’aide d’Aryandês. Le satrape, à qui l’on fit croire qui Arkesilaos avait été mis à mort par suite de son dévouement constant aux Perses, envoya un héraut à Barka réclamer les hommes qui l’avaient tué. Les Barkæens assumèrent la responsabilité collective de l’acte, disant qu’il leur avait fait des injures aussi graves que nombreuses, — nouvelle preuve que son règne ne peut pas avoir été très court. En recevant cette réponse, le satrape envoya immédiatement un puissant armement perse, composé de troupes de terre et de forces navales, pour accomplir les desseins de Pheretimê contre Barka. Les Perses assiégèrent la ville pendant neuf mois, essayant de donner l’assaut aux murs, de les battre en brèche et de les miner[42] ; mais leurs efforts furent vains ; et elle ne finit par être prise que par un acte, de la plus grande perfidie. Prétendant abandonner cette tentative désespérée, le général perse conclut avec les Barkæens un traité où il fut stipulé que ces derniers continueraient à payer tribut au Grand-Roi, mais que l’armée se retirerait sans nouvelles hostilités : Je le jure (dit le général perse), et mon serment sera valable aussi longtemps que cette terre gardera sa place.

Mais l’endroit sur lequel on échangea les serments avait été frauduleusement préparé : on avait creusé un fossé, on l’avait couvert de claies sur lesquelles on avait encore mis une surface de terre. Les Barkæens, se fiant au serment, et ravis de leur délivrance, ouvrirent immédiatement leurs portes et se relâchèrent de leur garde, tandis que les Perses, brisant les claies et laissant tomber la terre qui y était superposée, de manière à pouvoir exécuter la lettre de leur serment, attaquèrent la ville et s’en emparèrent sans difficulté.

Affreuse était la destinée que Pheretimê tenait en réserve pour ces prisonniers surpris ainsi. Elle crucifia ses principaux adversaires et ceux de son fils mort, autour des murailles, auxquelles on attacha aussi les seins de leurs femmes ; puis, à l’exception de ceux des habitants qui étaient Battiades et qui n’avaient eu aucune part a la mort d’Arkesilaos, elle livra les autres pour être esclaves en Perse. Ils furent emmenés captifs dans l’empire des Perses, où Darius leur assigna comme séjour un village en Bactriane, qui portait le nom de Barka, même à l’époque d’Hérodote.

Il parait que dans le cours de cette expédition l’armée perse s’avança aussi loin qu’Hespérides, et réduisit à l’obéissance un grand nombre des tribus libyennes. Celles-ci, avec Kyrênê et Barka, figurent plus tard parmi les tributaires et les auxiliaires de. Xerxès dans son expédition contre la Grèce. Et quand l’armée retourna en Égypte, par ordre d’Ariandês, elle fut presque disposée à s’emparer de Kyrênê elle-même en route ; cependant l’occasion fut manquée, et le dessein resta inachevé[43].

Pheretimê accompagna l’armée retournant en Égypte, où elle mourut bientôt d’une maladie horrible, étant mangée par des vers ; montrant ainsi, dit Hérodote[44], qu’une cruauté excessive attire en revanche sur les hommes le déplaisir des dieux. On se rappellera que dans les veines de cette femme barbare le sang libyen était mêlé au sang grec. Dans la Grèce propre, l’inimitié politique tue, — mais rarement, si jamais elle le fait, elle mutile, — ou verse le sang des femmes.

Nous laissons ainsi Kyrênê et Barka encore sujettes des princes Battiades, en même temps qu’elles sont tributaires de la Perse. Un autre Battos et un autre Arkesilaos doivent paraître avant que l’heure de cette indigne dynastie soit venue, entre 460-450 avant J.-C. Je n’appellerai pas à présent l’attention du lecteur sur ce dernier Arkesilaos, qu’honorent deux victoires aux courses de chars en Grèce et deux belles odes de Pindare.

La victoire du troisième Arkesilaos et le rétablissement des Battiades détruisirent l’équitable constitution établie par Demônax. Sa triple qualification en tribus doit avoir été complètement refondue, bien que nous ne sachions pas comment ; car le nombre de nouveaux colons introduits par Arkesilaos doit avoir nécessité un nouveau partage du sol, et il est extrêmement douteux que le rapport de la classe des citoyens théræens par rapport à leurs Periœki, tel que l’établit Demônax, ait encore continué d’exister. Il est nécessaire de signaler ce fait ; parce que quelques auteurs parlent des dispositions de Demônax comme si elles formaient la constitution permanente de Kyrênê ; tandis qu’elles ne peuvent avoir survécu au rétablissement des Battiades, et qu’elles ne peuvent pas même avoir été remises en vigueur après que cette dynastie eut été chassée définitivement, puisque le nombre des nouveaux citoyens et le changement considérable de la propriété, introduits par Arkesilaos III, les rendaient inapplicables à la cité subséquente.

 

 

 



[1] V. la discussion de l’ère de Kyrênê dans Thrige, Historia Cyrênês, ch. 22, 23, 24, où les différents renseignements sont mentionnés et comparés.

[2] Scholiaste ad Pindare, Pythiques, IV.

[3] Hérodote, IV, 150-154.

[4] Hérodote, IV, 155.

[5] Hérodote, IV, 158. Cf. la plaisanterie attribuée aux envoyés byzantins à l’occasion, des vanteries de Lysimaque (Plutarque, De Fortunâ Alexandr. Magn., c. 3, p. 338).

[6] Hérodote, IV, 198.

[7] V. au sujet de la vertu productive de Kyrênê et de la région environnante, Hérodote, IV, 199 ; Callimaque (lui-même Kyrénæen), Hymne ad Apoll., 65, avec la note de Spanheim ; Pindare, Pythiques, IV, avec les Scholies passim ; Diodore, III, 49 ; Arrien, Indica, XLIII, 13. Strabon (XVII, p. 837) vit Kyrênê en passant par mer, et fut frappé de la vue ; il ne parait pas avoir débarqué.

Les résultats d’une observation moderne dans cette contrée sont donnés dans le Viaggio de Della Cella et dans l’expédition d’exploration du capitaine Beechey. V. un abrégé intéressant dans la History of the Barbary States, par le Dr Russell (Edinburgh, 1835), c. 5, p. 160.171 : Le chapitre sur ce sujet (ch. 6), dans l’Historia Cyrênês de Thrige est défectueux, en ce que l’auteur semble n’avoir jamais vu les soigneuses et excellentes observations du capitaine Beechey, et qu’il continue surtout les renseignements de Della Cella.

Je cite brièvement quelques-unes des nombreuses et intéressantes remarques du capitaine Beechey. Pour le site de l’ancienne Hespérides (Bengazi) et de la belle et fertile plaine qui est auprès, s’étendant au pied d’une longue chaîne de montagnes éloignée d’environ 14 milles (- 22 kil. 1/2) au sud-est, — V. Beechey, Expedition, ch. XI, p. 287-315 ; une grande quantité de dattiers dans le voisinage (ch. XII, p. 340-345.

La distance entre Bengazi (Hespérides) et Ptolemeta (Ptolémaïs, le port de Barka) est de cinquante-sept milles géographiques, le long d’une belle et fertile plaine, qui s’étend des montagnes à la mer. Entre ces deux villes était située l’ancienne Teucheira (ibid., ch. XII, p. 347), à environ trente-huit milles (= 61 kilom.) d’Hesperides (p. 349), dans une contrée extrêmement productive partout où elle est cultivée (p. 350-355). Une végétation exubérante existe près de la déserte Ptolemeta (ou Ptolémaïs) après les pluies d’hiver (p. 364). Le circuit de Ptolémaïs, en tant que mesuré d’après les ruines de ses murailles, était d’environ trois milles et demi anglais (= 4 kil. 600 m.) (p. 380).

Une plaine montagneuse étendue, fertile et bien arrosée, celle de Mergê, constituait le territoire de l’ancienne Barka (ibid., ch. XIII, p. 395-401) ; les briques, que les géographes arabes disent avoir été exportées de Barka en Égypte (p. 399), sont mentionnées par Étienne de Byzance (v. Βάρκη) comme composant les matériaux des maisons à Barka.

La route de Barka à Kyrênê présente des marques continues d’anciennes roues de chariots (ch. 14, p. 406) ; après avoir passé la plaine de Mergê, elle devient montueuse et boisée, mais en approchant de Grenna (Kyrênê) elle devient plus dégagée de bois ; les vallées produisent de belles récoltes d’orge, et les collines d’excellents pâturages pour le bétail. (p. 409). Une végétation luxuriante vient après les pluies d’hiver dans le voisinage de Kyrênê (ch. XV, p. 465).

[8] Théophraste, Hist. Pl., VI, 3, 3 ; IX, 1, 7. Skylax, c. 107.

[9] Isocrate, Or. V. ad Philipp., p. 84, p. 107, éd. Bek.). Thêra étant une colonie de Lacédæmone, et Kyrênê de Thêra, Isocrate parle de Kyrênê comme d’une colonie de Lacédæmone.

[10] Pindare, Pythiques, IV, 26. Du temps d’Hérodote, il est possible qu’on ait parlé de ces trois cités comme d’une tripolis ; mais personne avant Alexandre le Grand n’aurait compris l’expression de Pentapolis, employée sous les Romains pour désigner Kyrênê, Apollonia, Ptolémaïs, Teucheira et Berenikê ou Hespérides.

Ptolémaïs, port de Barka dans l’origine, était devenue autonome et d’une importance plus grande que cette dernière.

[11] Les renseignements relatifs au lac appelé dans l’antiquité Tritônis sont toutefois très incertains. V. Travels in Barbary du Dr Shaw, p. 127. Strabon mentionne un lac appelé ainsi près d’Hespérides (XVII, p. 836) ; Phérécyde en parle comme voisin d’Irasa (Pherek. Fragm. 33 d, éd. Didot).

[12] Ératosthène, né à Kyrênê et résidant à Alexandrie, estimait la route par terre entre les deux villes à 525 milles romains (Pline, Hist. nat., V, 6).

[13] Salluste, Bell. Jugurtha, c. 75 ; Valère Maxime, V, 6 ; Thrige (Histor. Cyr., c. 49) place ce partage de la Syrte entre Kyrênê et Carthage à quelque moment entre 400-330 avant J.-C., avant la perte de l’indépendance de Kyrênê ; mais je ne puis croire que ce fût plus tôt que les Ptolémées : cf. Strabon, XVII, p. 836.

[14] L’établissement carthaginois Neapolis est mentionné par Skylax et Strabon dit que Leptis était un autre nom pour désigner le même lieu (XVII, p. 835).

[15] Skylax, c. 107 ; Vopiscus, Vit. Probus, c. 9 ; Strabon, XVII, p. 838 ; Pline, Hist. nat., V, 5. De la tribu libyenne Marmaridæ était tiré le nom de Marmarika appliqué à cette région.

[16] Hérodote, IV, 191 ; Salluste, Bell. Jugurtha, c. 17.

Le capitaine Beechey signale les idées erronées qu’on a conçues au sujet de cette région :

Ce n’est pas seulement dans les ouvrages d’anciens écrivains que nous trouvons la nature de la Syrte mal comprise ; car tout l’espace s’étendant entre Mesurata (i. e. le cap qui forme l’extrémité occidentale de la grande Syrte) et Alexandrie est décrit par Leo Africanus, sous le titre de Barca, comme une contrée sauvage et déserte, où il n’y a ni eau ni terre bonne à cultiver. Il nous dit que les plus puissants parmi les envahisseurs mahométans s’emparèrent des parties fertiles de la côte, ne laissant aux autres que le désert pour séjour, exposé à toutes les misères et à toutes les, privations qui en résultent ; car ce désert (continue-t-il) est très éloigné de toute habitation, et il n’y vient quoi que ce soit. De sorte que, si ces pauvres gens veulent avoir un approvisionnement de grains ou de tout autre article nécessaire à leur existence, ils sont obligés de donner comme gage leurs enfants aux Siciliens qui visitent la côte, et qui, en leur fournissant ces objets, emmènent les enfants qu’ils ont reçus...

Il paraît que c’est principalement de Leo Africanus que des historiens modernes ont tiré l’idée qu’ils ont de ce qu’ils appellent le district et le désert de Barca. Cependant toute la Cyrénaïque est comprise dans les limites qu’ils lui assignent ; et l’autorité d’Hérodote, sans citer personne autre, suffirait largement pour prouver que cette étendue de pays non seulement n’était pas un désert, mais qu’elle fut de tout temps remarquable pour sa fertilité... L’impression laissée dans nos esprits, après avoir lu le récit d’Hérodote, s’accorderait bien mieux avec l’apparence et les particularités des deux pays, dans leur état réel, que celle qui résulterait de la description de tout écrivain postérieur.

... Le district de Barca, comprenant toute la contrée qui est entre Mesurata et Alexandrie, n’est pas et ne fut jamais aussi dépourvu et aussi stérile qu’on l’a représenté ; sa partie qui constitue la Cyrénaïque est susceptible du plus haut degré de culture, et maintes portions de la Syrte fournissent d’excellents pâturages, tandis que quelques endroits non seulement sont appropriés à la culture, mais produisent réellement de bonnes récoltes d’orge et de dhurra. (Captain Beechey, Expedition to Northern Coast of Africa, c. 10, p. 263, 265, 267, 269 ; cf. c. 11, p. 321.)

[17] Justin, XIII, 7. Amœnitatem loci et fontium ubertatem. Le capitaine Beechey mentionne cette migration annuelle des Arabes Bédouin : Teucheira (sur la côte qui s’étend entre Hespérides et Barka) abonde en puits d’eau excellente, qui sont réservés par lés Arabes pour leur consommation d’été, et auxquels on n’a recours que quand les provisions du pays situé plus à l’intérieur sont épuisées ; à d’autres époques elle est inhabitée. Un grand nombre des tombes creusées sont occupées comme habitations par les Arabes pendant leurs visites d’été à cette partie de la côte (Beechey, Exp. to North. Afric., c. 12, p. 354).

Et au sujet de la large plaine montueuse, ou plateau de Mergê, l’emplacement de l’ancienne Barka : L’eau des montagnes enfermant la plaine s’assemble dans des mares et dans des lacs dans différentes parties de cette vallée spacieuse, et fournit une provision constante, pendant les mois d’été, aux Arabes qui la fréquentent (c. 13, p. 390). La terre rouge que le capitaine Beechey remarquait dans cette plaine est mentionnée par Hérodote par rapport à la Libye (II, 12). Etienne de Byzance signale aussi les briques employées pour construire (v. Βάρκη). Derna, aussi, à l’est de Kyrênê, sur le rivage de la mer, est amplement pourvue d’eau (c. 16, p. 471).

Relativement à Kyrênê elle-même, le capitaine Beechey dit : Pendant les quinze jours environ que nous fûmes absents de Kyrênê, les changements, qui s’étaient opérés dans l’aspect du pays qui l’entoure étaient remarquables. Nous trouvâmes à notre retour les collines couvertes d’Arabes, de leurs chameaux, de leurs troupeaux de petit et de grand détail ; la rareté de l’eau dans l’intérieur à cette époque ayant poussé les Bédouins vers les montagnes, et particulièrement vers Kyrênê, où les sources fournissent en tout temps une provision abondante. Tout le blé était coupé, et l’herbe haute et la luxuriante végétation, que nous avions eu tant de peine à traverser dans des occasions précédentes, avaient été mangées jusqu’aux racines par le bétail (c. 18, p. 517, 520).

Les pluies d’hiver sont également abondantes, entre janvier et mars, à Bengazi (l’ancienne Hespérides) ; on trouve près de la ville des sources d’eau douce, (c. XI, p. 282, 315, 327). Au sujet de Ptolemeta, ou Ptolémaïs, la port de l’ancienne Barka, ibid., c. 12, p. 363.

[18] Hérodote, IV, 170-171. Strabon, II, p. 131. Pindare, Pythiques, IX, 7.

[19] Hérodote, IV, 186, 187, 189, 190. Pindare, Pythiques, IX, 127. Pomponius Mela, I, 8.

[20] V. la quatrième, la cinquième et la neuvième Ode pythique de Pindare. Dans la description que fait Sophocle (Electra, 695) de la lutte aux jeux Pythiens, où l’on prétend qu’Orestês a péri, on suppose dix chars rivaux, dont deus sont des Libyens de Barka ; des huit autres il n’en vient qu’un de chaque endroit nommé.

[21] Hérodote, IV, 172-182. Cf. Hornemann’s Travels in Africa, p. 48, et Heeren, Verkehr, und Handel der Alten welt, Th. II ; Abth. I ; Abschn. VI, p. 226.

[22] Hérodote, IV, 175-188.

[23] Hérodote, IV, 178, 179, 195, 196.

[24] Hérodote, IV, 42.

[25] Hérodote, IV, 170.

[26] Hérodote, IV, 161.

[27] Hérodote, IV, 186-189. Cf. aussi le récit dans Pindare, Pyth., IX, 109-126, au sujet d’Alexidamos, un des ancêtres de Telesikratês le Kyrénæen ; comment le premier gagna, par sa légèreté à la course, une jeune fille libyenne, fille d’Antæos d’Irasa, — et Callimaque, Hymne à Apollon, 86.

[28] Hérodote, IV, 155.

[29] Hérodote, IV, 164.

[30] Relativement à la chronologie des princes Battiades, voir Bœckh, ad Pindare, Pyth., IV, p. 265, et Thrige, Histor. Cyrênês, p. 127 sqq.

[31] Hérodote, IV, 159.

[32] Hérodote, II, 180-181.

[33] Hérodote, IV, 160 ; Skylax, c. 107 ; Hécatée, Fragm. 300, éd. Klausen.

[34] Hérodote, IV., 204.

[35] Hérodote, IV, 160. Plutarque (De virtutibus Mulier, p. 261) et Polyen (VIII, 41) donnent divers détails de ce stratagème de la part d’Éryxô, Learchos étant amoureux d’elle. Plutarque dit aussi que Learchos se maintint pendant quelque temps comme despote grâce à l’aide de troupes égyptiennes fournies par Amasis et qu’il commit de grandes cruautés. Son récita trop l’air d’un roman pour être transcrit dans le texte, et je ne sais de quel auteur il est emprunté.

[36] Hérodote, I.V, 161.

J’explique le mot τεμένεα comme signifiant tous les domaines, sans doute considérables, qui avaient appartenu aux princes Battiades ; contrairement à Thrige (Historia Cyrinês, c. 33, p. 150), qui limite l’expression aux revenus tirés des propriétés sacrées. L’allusion que Wesseling fait à Hesychius — Βάττου σίλφιον — ne sert à rien pour expliquer ce passage.

La supposition de O. Müller, qui pense que le roi précédent s’était fait despote au moyen de soldats égyptiens, me parait improbable et inadmissible sur la simple autorité du récit romanesque de Plutarque, si nous prenons en considération le silence d’Hérodote. Il n’est pas non plus exact d’affirmer que Demônax rétablit la suprématie de la communauté ; ce législateur supprima les anciens privilèges politiques des rois, et forma une nouvelle constitution (V. O. Müller, History of Dorians, b. III, c. 9, sect. 13).

[37] O. Müller (Dor., b. III, 4, 5) et Thrige (Hist. Cyrén., c. 38, p. 148) parlent tous deux de Demônax comme ayant aboli les anciennes tribus et en ayant créé de nouvelles. Je ne comprends pas le changement de cette manière. Demônax n’abolit pas de tribus, mais il distribua pour la première fois les habitants dans des tribus. Il est possible en effet qu’avant lui les Théræens de Kyrênê aient été partagés entre eux en tribus distinctes ; mais les autres habitants, ayant immigré d’un grand nombre d’endroits différents, n’avaient jamais été auparavant mis dans des tribus. Quelque loi ou règle formelle était nécessaire à ce but, pour définir et sanctionner cette communion religieuse, sociale et politique qui servait à établir l’idée de tribu. On ne peut admettre comme chose qui va sans dire, qu’il a dû y avoir nécessairement des tribus avant Demônax, dans une population si mêlée à son origine.

[38] Hesychius, Τριακάτιοι, Eustathe, ad Hom. Odyss., p. 303 ; Hêraklides Pontic., De Polit., c. 4.

[39] Hérodote, IV, 163.

[40] Hérodote, IV, 163-164.

[41] Hérodote, III, 13 ; IV, 165-166.

[42] Polyen (Stratagèmes, VII, 28) donne un récit différent sous bien des rapports de celui d’Hérodote.

[43] Hérodote, IV, 203, 204.

[44] Hérodote, IV, 205.