HISTOIRE DE LA GRÈCE

CINQUIÈME VOLUME

CHAPITRE VII — ILLYRIENS, MACÉDONIENS, PÆONIENS.

 

 

Au nord des tribus appelées Épirotiques se trouvaient ces tribus plus nombreuses et étendues plus au loin qui portaient le nom général d’Illyriens, bornées à l’ouest par l’Adriatique, à l’est par la chaîne de montagnes du Skardos, la continuation septentrionale du Pindos, et couvrant ainsi ce qui est appelé aujourd’hui la moyenne et la haute Albanie, avec les montagnes plus septentrionales du Montenegro, de l’Herzégovine et de la Bosnie. On ne peut assigner leurs limites au nord et au nord-est. Mais les Dardani et les Autoriatæ doivent s’être étendus jusqu’au nord-est du Skardos et même jusqu’à l’est de la plaine servienne de Kossovo ; tandis que Skylax prolonge la race au nord jusqu’à comprendre la Dalmatie, considérant les Liburnes et les Istriens qui sont au delà d’eux comme n’étant pas Illyriens. Cependant Appien et d’autres auteurs regardent les Liburnes et les Istriens comme Illyriens, et Hérodote comprend même sous ce nom les Eneti ou Veneti, à l’extrémité du golfe Adriatique[1]. Les Bulini, selon Skylax, étaient la tribu illyrienne la plus septentrionale : les Amantilii, immédiatement au nord des Chaoniens épirotiques, étaient la plus méridionale. Parmi les tribus illyriennes méridionales, il faut compter les Taulantii, — les possesseurs dans l’origine, plus tard les voisins immédiats du territoire sur lequel la ville d’Epidamnos était fondée. L’ancien géographe Hécatée[2], (vers 500 av. J.-C.) les tonnait assez bien pour spécifier leur ville Sesarêthos. Il nomme les Chelidonii comme leurs voisins septentrionaux, les Encheleis comme leurs voisins méridionaux, et les Abri aussi comme une tribu presque adjacente. Nous entendons parler des Parthini illyriens, presque dans les mêmes régions, — des Dassaretii[3], près du lac Lychnidos, — des Penestæ, avec une ville fortifiée, Uscana, au nord des Dassaretii, — des Ardiæens, des Autariatæ et des Dardaniens, dans toute la haute Albanie à l’est jusqu’à la haute Mœsia, comprenant la chaîne du Skardos elle-même ; de sorte qu’il y avait quelques tribus illyriennes confinant à l’est aux Macédoniens, et au sud aux Macédoniens aussi bien qu’aux Pæoniens. Strabon étend même quelques-unes des tribus illyriennes beaucoup plus au nord, presque jusqu’aux Alpes Juliennes[4].

A l’exception de quelques portions de ce qui est appelé aujourd’hui Moyenne Albanie, le territoire de ces tribus consistait principalement en pâturages dans les montagnes, avec une certaine proportion de vallée fertile, mais se déployant rarement en plaine. Les Autariatæ avaient la réputation d’être peu belliqueux, mais les Illyriens en général étaient pauvres, rapaces, farouches et formidables dans le combat. Ils partageaient avec les tribus thraces éloignées l’usage de tatouer[5] leurs corps et d’offrir des sacrifices humains ; en outre, ils étaient toujours prêts è, vendre leur service militaire pour un salaire, comme les modernes Schkipetars albanais, dans les veines desquels leur sang coule probablement encore, bien qu’avec un mélange considérable résultant d’immigrations postérieures. Dans. la période florissante de l’histoire grecque, nous n’entendons rien dire du royaume illyrien situé sur la côte adriatique, avec Skodra (Scutari) pour capitale, royaume qui devint formidable pour ses audacieuses pirateries pendant le troisième siècle avant J.-C. La description de Skylax signale de son temps, tout le long de l’Adriatique septentrionale, un trafic considérable et constant entre la côte et l’intérieur, fait par des Liburnes, des Istriens et par les petits établissements insulaires grecs de Pharos et d’Issa. Mais if ne nomme pas Skodra, et probablement cette forte situation (avec la ville grecque de Lissos, fondée par Denys de Syracuse) fut occupée après son temps par des conquérants venus de l’intérieur[6], les prédécesseurs d’Agrôn et de Gentius, précisément comme le pays sur la côte du golfe Thermaïque fut conquis par (les Macédoniens de l’intérieur.

Une fois, pendant la guerre du Péloponnèse, un détachement d’Illyriens mercenaires, marchant pour se rendre dans la Macédoine Lynkêstis (vraisemblablement en passant le défilé du Skardos, un peu à l’est de Lychnidos ou Ochrida), éprouva la valeur du Spartiate Brasidas. A cette occasion (comme dans l’expédition mentionnée plus haut des Epirotes contre l’Akarnania), nous signalerons la supériorité marquée du caractère grec, même dans le cas d’un armement composé surtout d’ilotes nouvellement affranchis, aussi bien sur les Macédoniens que sur les Illyriens. Nous verrons le contraste entre des hommes braves agissant de concert et obéissant à une autorité commune, et une armée assaillante de guerriers non moins braves individuellement ; mais dans laquelle chaque homme est son propre maître[7] et combat à sa fantaisie. L’élan rapide et impétueux des Illyriens, si le premier choc manquait son effet, était suivi d’une retraite ou d’une fuite également rapide. Nous n’entendons rien dire dans la suite au sujet de ces barbares jusqu’au temps de Philippe de Macédoine, qui par sa vigueur et son énergie militaire arrêta d’abord leurs incursions, et plus tard les conquit en partie. Il semble que ce fut vers cette époque (400-350 av. J.-C.) que se produisit le grand mouvement des Gaulois de l’ouest à l’est, qui amena les Skordiski gaulois et d’autres tribus dans les pays situés entre le Danube et la mer Adriatique, et qui déplaça probablement quelques-uns des Illyriens septentrionaux, de manière à les pousser à de nouvelles entreprises et vers de nouvelles demeures.

Ce que l’on appelle aujourd’hui Albanie Moyenne, le territoire illyrien immédiatement au nord de l’Epire, est de beaucoup supérieur à ce dernier pays sous le rapport de la fertilité[8]. Bien que montagneux, ce territoire possédait à la fois un plus grand nombre de collines basses et de vallées, et renfermait des espaces de terrains propres à la culture à la fois plus vastes et plus fertiles. Epidamnos et Apollonia formaient les ports de mer de ce territoire. Pour ces villes, le commerce avec les Illyriens méridionaux, moins barbares que les septentrionaux, fut une des sources[9] de leur grande prospérité pendant le premier siècle de leur existence, — prospérité interrompue, dans le cas des Épidamniens, par des dissensions intestines qui diminuèrent leur ascendant sur leurs voisins illyriens, et finirent par les mettre en désaccord avec leur métropole Korkyra. Le commerce entre ces ports de mer grecs et les tribus intérieures, quand une fois les Grecs devinrent assez forts pour rendre sans espoir une attaque violente de la part de ces dernières, fut réciproquement avantageux aux uns et aux autres. L’huile et le vin grecs furent introduits parmi ces barbares, dont les chefs apprirent en même temps à apprécier les étoffes tissées[10], les ouvrages en métal polis et ciselés, les armes trempées et la poterie venant d’artisans grecs. En outre, l’importation parfois de poisson salé, et toujours celle du sel lui-même étaient de la plus grande importance pour ces tribus résidant à l’intérieur, spécialement pour celles des localités qui possédaient des lacs abondant en poissons, comme celui de Lychnidos. Nous entendons parler de guerre entre les Autariatæ et les Ardiæi, relativement à des sources salines voisines de leurs frontières, et aussi d’autres tribus que la privation de sel réduisit à la nécessité de se soumettre aux Romains[11]. D’autre part, ces tribus possédaient deux articles d’échange si précieux aux yeux des Grecs, que Polybe les compte comme absolument indispensables[12], — le bétail et les esclaves ; on se procurait sales doute ces derniers en Illyrie, souvent en échange de sel, comme on le faisait en Thrace et clans le Pont-Euxin, et à Aquileia dans l’Adriatique, au moyen des guerres intérieures des tribus entre elles. On exploitait des mines d’argent à Damastium en Illyrie. La cire et le miel étaient probablement aussi des articles d’exportation ; et ce qui prouve que les produits naturels de l’Illyrie étaient soigneusement recherchés, c’est que nous trouvons une espèce d’iris particulière au pays recueillie et envoyée à Corinthe, où sa racine était employée pour donner le parfum spécial u une sorte célèbre d’onguent aromatique[13].

Les relations qui existaient entre les ports helléniques et les Illyriens de l’intérieur n’étaient pas exclusivement commerciales. Des exilés grecs aussi pénétrèrent en Illyrie, et des mythes grecs y furent localisés, comme on peut le voir par le conte de Kadmos et d’Harmonia, de qui les chefs des Encheleis illyriens déclaraient tirer leur origine[14].

Les Macédoniens du quatrième siècle avant J.-C. acquirent, grâce au talent et au caractère entreprenant de deux rois successifs, une grande perfection dans l’organisation militaire grecque sans aucune des qualités helléniques plus élevées. Leur carrière en Grèce est purement destructive, étouffant le mouvement libre des cités séparées, et désarmant le soldat citoyen pour le remplacer par le mercenaire étranger, dont l’épée n’était sanctifiée par aucun sentiment de patriotisme, — toutefois totalement incapable de substituer aucun bon système d’administration centrale ou pacifique. Mais les Macédoniens du septième et du sixième siècle avant J.-C. ne sont qu’un agrégat de tribus grossières habitant l’intérieur, subdivisées en petites principautés distinctes, et séparées des Grecs par une plus grande différence ethnique même que les Epirotes ; puisque Hérodote, qui considère les Molosses et les Thesprotiens Epirotiques comme enfants d’Hellên, pense sans hésiter le contraire relativement aux Macédoniens[15]. En général cependant, ils semblent à cette époque reculée analogues aux Epirotes sous le rapport du caractère et de la civilisation. Ils avaient quelques villes en petit nombre, mais ils étaient surtout des habitants de village, extrêmement braves et enclins à combattre ; les coutumes de quelques-unes de leurs tribus enjoignaient que l’homme qui n’avait pas encore tué un ennemi fût distingué dans quelques occasions par une marque de déshonneur[16].

Les demeures primitives des Macédoniens étaient clans les régions placées à l’est de la chaîne du Skardos (la continuation septentrionale du Pindos), — au nord de la chaîne appelée monts Cambuniens, qui rattache l’Olympos au Pindos, et qui forme la frontière nord-ouest de la Thessalia ; mais ils n’allaient pas aussi loin à l’est que le golfe Thermaïque ; apparemment pas plus loin à l’est que le mont Bermios, ou environ à la longitude d’Edessa et de Berrhoia. Ils couvraient ainsi les portions supérieures du cours des rivières Haliakmôn et Erigôn, avant le point où cette dernière se réunit à l’Axios ; tandis que le cours supérieur de l’Axios, plus haut que ce point de jonction, parait avoir appartenu à la Pæonia, bien que les limites de la Macédoine et de la Pæonia ne puissent être distinctement établies à aucune époque.

L’espace considérable de pays compris entre les limites mentionnées plus haut est en grande partie montagneux, occupé par des cimes ou hauteurs latérales qui se rattachent à la ligne principale du Skardos. Mais il comprend aussi trois larges bassins, ou plaines d’alluvion, qui sont d’une grande étendue et bien appropriés à la culture, — la plaine de Tettovo ou de Kalkandele (la plus septentrionale des trois), qui contient les sources et le premier cours de l’Axios ou Vardar, — celle de Bitolia, coïncidant à un haut degré avec l’ancienne Pelagonia, où l’Erigôn coule vers l’Axios, — et le bassin plus large et plus onduleux de Greveno et d’Anaselitzas, contenant l’Haliakmôn supérieur avec les cours d’eau qui s’y jettent : cette dernière région est séparée du bassin de la Thessalia par une ligne montagneuse d’une longueur considérable, mais présentant des défilés nombreux et faciles[17]. Si l’on compte le bassin de la Thessalia comme un quatrième, il y a ici quatre plaines enfermées et distinctes sur le côté oriental de cette longue chaîne du Skardos et du Pindos, — chacune limitée en général : par des montagnes escarpées qui s’élèvent jusqu’à une hauteur alpestre, et chacune ne laissant qu’une ouverture pour le drainage opéré par une seule rivière, — l’Axios, l’Erigôn, l’Haliakmôn et le Pêneios respectivement. En outre, toutes les quatre, bien qu’étant à un niveau élevé au-dessus de la mer, sont encore pour la plus grande partie d’une remarquable fertilité, particulièrement les plaines de Tettovo, de Bitolia et la Thessalia. La terre, riche et grasse à l’est du Pindos et du Skardos, est représentée comme formant un contraste marqué avec le sol calcaire et léger des plaines et des vallées d’Albanie sur le côté occidental. Les bassins de Bitolia et de l’Haliakmôn, avec les montagnes environnantes et adjacentes, étaient possédés par les Macédoniens primitifs ; celle de Tettovo, au nord, par une portion des Pæoniens. Entre les quatre, la Thessalia est la plus spacieuse ; cependant les deux plaines comprises dans les demeures primitives des Macédoniens, toutes deus d’une grandeur très considérable, formaient un territoire mieux calculé pour nourrir et pour produire une population nombreuse que le séjour moins favorisé, et la largeur plus petite de vallées et de plaines, qu’occupaient les Epirotes ou les Illyriens. Une abondance de blé venant facilement, de pâturage pour le bétail, de terre neuve et fertile, toute prête à être cultivée, suffisait pour augmenter le nombre de villageois vigoureux, indifférents au luxe aussi bien qu’à l’idée d’accumuler, et à l’abri de ces exactions oppressives de maîtres qui actuellement épuisent ces mêmes beaux pays[18].

Les habitants de cette Macédoine primitive différaient sans doute beaucoup dans l’antiquité, comme ils diffèrent aujourd’hui, selon qu’ils habitaient sur la montagne ou dans la plaine, et sous le rapport du sol et sous celui du climat, qui étaient plus ou moins bons. Mais tous reconnaissaient une dénomination et une nationalité ethniques communes, et les tribus étaient dans une foule de cas distinguées les unes des autres, non pas en ayant des noms indépendants qui leur fussent propres, mais seulement des épithètes locales d’origine grecque. Ainsi nous trouvons les Macédoniens Elymiotæ ou Macédoniens d’Elymeia, — les Macédoniens Lynkestæ ou Macédoniens de Lynkos, etc. Orestæ est sans doute un nom ajouté du même caractère. Les habitants des contrées plus septentrionales, appelées Pelagonia et Deuriopos, étaient aussi des portions de l’agrégat macédonien, bien que voisins des Pæoniens, arec lesquels ils avaient beaucoup d’affinité : les Eordi et les Amolpiens étaient-ils de race macédonienne, c’est ce qu’il est plus difficile de dire. Le langage macédonien différait de l’illyrien[19], du thrace, et vraisemblablement aussi du pæonien ; il différait aussi du grec, sans cependant, à ce qu’il parait, en être beaucoup plus différent que celui des Epirotes ; de sorte qu’il était relativement facile aux chefs et aux peuples d’acquérir le `grec, bien qu’il y eût toujours quelques lettres grecques qu’ils étaient incapables de prononcer. Et en suivant leur histoire, nous trouverons en eux plus du guerrier régulier, conquérant pour maintenir sa domination et le tribut, et moins du pillard armé, — que chez les Illyriens, les Thraces ou les Epirotes, dont ils avaient le malheur d’être entourés. Ils se rapprochent plus des Thessaliens[20] et des autres membres peu doués de la famille hellénique.

La région considérable et relativement productive couverte par les diverses sections des Macédoniens sert à expliquer cet accroissement d’ascendant qu’ils acquirent successivement sur tous leurs voisins. Ce ne fut cependant qu’à une époque récente qu’ils finirent par être réunis sous un seul gouvernement. D’après chaque section, — nous ignorons leur nombre, — avait son prince ou chef particulier. Les Elymiotes ou habitants d’Elymeia, la portion la plus méridionale de la Macédoine, furent ainsi, dans l’origine, distincts et indépendants ; de même les Orestæ, habitant les montagnes un peu au nord-ouest des Elymiotes, — les Lynkestæ et les Eordi, qui occupaient des portions de territoire situées sur le parcours de la voie Egnatienne, construite plus tard, entre Lychnidos (Ochrida) et Edessa, — les Pélagoniens[21], avec une ville du même nom, dans la plaine fertile de Bitolia, — et les Deuriopiens plus au nord. Et l’ancien, lien politique était ordinairement si peu serré, que chacune de ces dénominations comprend probablement une foule de petites communautés indépendantes, petites villes et villages. La section du nom Macédonien, qui dans la suite absorba tout le reste et devint connue comme étant les Macédoniens, avait son centre primitif à Ægæ ou Edessa, l’emplacement élevé, dominant et pittoresque de la moderne Vodehna. Et. bien que la résidence des rois fat à une époque postérieure transférée à la marécageuse Pella, dans la plaine maritime placée au-dessous, cependant Edessa fut toujours conservée comme le lieu de sépulture royale, et comme le forer auquel était attachée la continuité religieuse de la nation (si respectée dans l’antiquité). Cette ancienne ville, placée sur-la voie romaine Egnatia allant de Lychnidos à Pella et à Thessalonikê, formait le passage sur la chaîne de montagnes appelée Bermios, c’est-à-dire sur cette prolongation au nord du mont Olympos, par laquelle l’Haliakmôn pénètre dans la plaine maritime à Verria, par une gorge plus abrupte et plus impraticable que celle du Pêneios dans le défilé de Tempê.

Cette chaîne de montagnes appelée Bermios, s’étendant de l’Olympos considérablement au nord d’Edessa, formait la frontière orientale primitive des tribus macédoniennes, qui semblent n’avoir pas atteint d’abord la vallée de l’Axios dans aucune partie de son cours, et qui certainement ne s’étendirent point d’abord jusqu’au golfe Thermaïque. Entre le golfe que nous venons de mentionner et les contreforts, occidentaux de l’Olympos et du Bermios il existe une bande étroite de terre plaine ou de collines basses, qui va de l’embouchure du Pêneios au sommet du golfe Thermaïque ; lit elle s’élargit et forme la spacieuse et fertile plaine de Salonichi, comprenant les embouchures de l’Haliakmôn, de l’Axios et de l’Echeidôros. La rivière Ludias, qui coule d’Edessa et se jette dans les marais entourant Pella, et qui dans l’antiquité rejoignait l’Haliakmôn près de son embouchure, a maintenant changé son cours de manière à rejoindre l’Axios. Cette bande étroite, placée entre les embouchures du Pêneios et de l’Haliakmôn, était la résidence primitive des Thraces Piériens, qui habitaient tout près du pied de l’Olympos, et chez lesquels le culte des Muses semble avoir été dans l’origine un trait caractéristique ; la poésie grecque est pleine d’allusions et d’épithètes locales qui semblent devoir être rapportées à cet ancien fait, bien que nous ne puissions le suivre en détail. Au nord des Piériens, de l’embouchure de l’Haliakmôn à celle de l’Axios, habitaient les Bottiæens[22]. Au delà de la rivière Axios, dans la partie inférieure de son cours, commençaient les tribus de la grande famille thrace, — les Mygdoniens, les Krestôniens, les Edôniens, les Bisaltæ, les Sithoniens : les Mygdoniens semblent avoir été primitivement les plus puissants, puisque le pays continua encore à être appelé de leur nom, Mygdonia, même après la conquête macédonienne. Ces tribus, et diverses autres tribus thraces, occupaient dans l’origine la plus grande partie du pays situé entre l’embouchure de l’Axios et celle du Strymôn, avec cette mémorable péninsule à trois pointes qui tira des colonies grecques son nom de Chalkidikê. On verra ainsi que si nous considérons comme Thraces les Bottiæens aussi bien que les Piériens, que la famille thrace s’étendait primitivement au sud jusqu’à l’embouchure du Pêneios : les Bottiæens, il est vrai, prétendaient avoir une origine krêtoise ; mais cette prétention n’est signalée ni par Hérodote ni par Thucydide. A l’époque de Skylax[23], vraisemblablement pendant le commencement du règne de Philippe fils d’Amyntas, la Macédoine et la Thrace étaient séparées par le Strymôn.

Nous avons encore à mentionner les Pæoniens, race nombreuse et très divisée, qui n’étaient vraisemblablement ni Thraces, ni Macédoniens, ni Illyriens, mais qui prétendaient descendre des Teukri de Troie. Ces Pæoniens occupaient les deux rives du Strymôn, du voisinage du mont Skomios, où ce fleuve prend sa source[24], jusqu’au lac voisin de son embouchure ; quelques-unes de leurs tribus possédaient la fertile plaine de Siris (aujourd’hui Seres), — pays immédiatement au nord du mont Parigæos, — et même une portion de l’espace que traversa Xerxès en allant d’Akanthos à Therma. En mitre, il paraît que les parties supérieures de la vallée de l’Axios étaient aussi occupées par des tribus pæoniennes ; jusqu’à quel point du cours de la rivière s’étendaient-elles, c’est ce que nous ne pouvons pas dire. Nous ne devons pas supposer que tout le territoire entre l’Axios et le Strymôn fût peuplé par elles sans interruption. Une population continue n’est pas le caractère de l’ancien monde, et il semble en outre que, tandis que la terre immédiatement voisine des deux rivières est dans un très grand nombre d’endroits de la qualité la plus riche, les espaces situés entre les deux sont remplis soit de montagnes, soit de collines basses et stériles, — formant un contraste marqué avec le riche bassin alluvial de la rivière macédonienne Erigôn[25]. Les Pæoniens, dans leurs tribus nord-ouest, confinaient ainsi à la Pelagonia macédonienne, — dans leurs tribus septentrionales, aux Dardani et aux Autariatæ illyriens, — dans leurs tribus situées à l’est, au sud et au sud-est, aux Thraces et aux Piériens[26], c’est-à-dire aux secondes demeures occupées par les Piériens expulsés et habitant au pied du mont Pangæos.

Telle était, autant que nous pouvons le reconnaître, la position des Macédoniens et de leurs voisins immédiats, au septième siècle avant J.-C. Elle fut changée pour la première fois par l’esprit d’entreprises et le talent d’une famille de Grecs exilés, qui conduisirent une section du peuple macédonien à ces conquêtes que leurs descendants, Philippe et Alexandre le Grand, multiplièrent dans la suite d’une manière si merveilleuse.

Relativement aux premiers ancêtres de ces deus princes, il y avait différents récits ; mais tous s’accordaient à faire remonter l’origine de la famille à la race Hêraklide ou Têmenide d’Argos. Selon l’un de ces récits (qui, à ce qu’il parait, ne peut remonter plus haut que Théopompe), Karanos, le frère du despote Pheidôn, avait émigré d’Argos en Macedonia, et s’était établi comme conquérant à Edessa. Suivant un autre récit, que nous trouvons dans Hérodote, il y eut trois exilés de la race Têmenide, Gauanês, Aëropus et Perdikkas, qui s’enfuirent d’Argos en Illyrie, d’où ils passèrent dans la Haute Macedonia, tellement pauvres qu’ils furent obligés de servir le petit roi de la ville Lebæa en qualité de bergers. Un prodige remarquable arrivant à Perdikkas annonce la grandeur future de sa famille, et amène à le renvoyer le roi de Lebæa, qui, sur une remarque inquiétante qu’on lui adresse, le fait poursuivre, et auquel il échappe avec difficulté. Il est sauvé par la crue soudaine d’une rivière, qui se gonfla immédiatement après qu’il l’eut traversée, au point que les cavaliers envoyés à sa poursuite ne purent la franchir. C’est à cette rivière, comme au sauveur dé la famille, que les rois de Macédoine offraient encore des sacrifices solennels du temps d’Hérodote. Perdikkas ayant échappé ainsi avec ses deux frères, s’établit près du lieu appelé le Jardin de Midas, sur le mont Bermios. C’est de ce jeune et hardi berger que sortit la dynastie d’Edessa[27]. Ce récit porte les marques d’une pure tradition locale beaucoup plus que celui de Théopompe ; et l’origine de la famille macédonienne, ou Argeadæ, d’Argos, parait avoir été universellement reconnue par des investigateurs grecs[28], de sorte qu’Alexandre, fils d’Amyntas, contemporain de l’invasion des Perses, fut admis par les Hellanodikæ à lutter aux jeux Olympiques comme étant un véritable Grec, bien que ses compétiteurs cherchassent à l’exclure comme étant Macédonien.

Le talent du commandement était si bien l’attribut d’un esprit grec plutôt que celui d’aucune des peuplades barbares voisines, que nous pouvons aisément concevoir un aventurier argien courageux acquérant pour lui-même un grand ascendant dans les disputes locales des tribus macédoniennes ; et transmettant à ses enfants sa dignité de chef de l’une de ces tribus. L’influence qu’obtint Miltiadês chez les Thraces dé la Chersonèse, et Phormiôn chez les Akarnaniens — qui demandèrent spécialement qu’après sa mort son fils ou quelqu’un de ses parents fût envoyé d’Athènes pour les commander[29] —, avait beaucoup de ce caractère. Nous pouvons ajouter le cas de Sertorius chez les Ibériens indigènes. C’est de la même manière que les rois des Lvnkêstæ macédoniens déclaraient descendre des Bacchiadæ de Corinthe[30] ; et le voisinage d’Epidamnos et d’Apollonia, villes dans chacune desquelles étaient sans doute domiciliés des membres de cette granite gens, rend ce récit encore plus plausible que celui d’une émigration partie d’Argos. Les rois des Molosses Epirotiques prétendaient aussi descendre de l’héroïque race Æakide de Grèce. De fait, nos moyens d’information ne nous permettent pas de distinguer les cas dans lesquels ces familles régnantes étaient Grecques d’origine, dé ceux dans lesquels c’étaient des indigènes hellénisés prétendant à un sang grec.

Après la légende concernant la fondation du royaume macédonien ; nous n’avons rien qu’une longue lacune jusqu’au règne du roi Amyntas (vers 520-500 av. J.-C.), et de son fils Alexandre (vers 480 av. J.-C.). Hérodote nous donne cinq rois successifs entre le fondateur Perdikkas et Amyntas, — Perdikkas, Argæos, Philippe, Aëropus, Alketas, Amyntas et Alexandre, — le contemporain et dans une certaine mesure l’allié de Xerxès[31]. Quoique nous n’ayons pas les moyens d’établir de dates dans cette ancienne série, soit pour les noms, soit pour les faits, cependant nous voyons que les rois Têmenides, partant d’une humble origine, étendirent successivement leurs possessions de tous les côtés. Ils conquirent les Briges[32], dans l’origine leurs voisins sur le mont Bermios, — les Eordi, voisins d’Edessa à l’ouest, qui furent ou détruits ou chassés du pays (un petit reste de cette tribu existait encore du temps de Thucydide à Physka, entre le Strymôn et l’Axios), — les Almopiens, tribu de l’intérieur dont la situation est inconnue, — et un grand nombre des tribus macédoniennes intérieures qui avaient été d’abord autonomes. Outre ces conquêtes dans les terres, ils avaient fait l’acquisition encore plus importante de la Piéria (territoire qui se trouvait entre le mont Bermios et la mer), doit ils chassèrent les Piériens primitifs, qui trouvèrent de nouvelles demeures sur la rire orientale du Strymôn, entre le mont Pangæos et la mer. Amyntas, roi de Macédoine, fut ainsi maître d’un territoire très considérable, comprenant la côte du golfe Thermaïque aussi loin au nord que l’embouchure de l’Haliakmôn, et aussi un autre territoire sur le même golfe d’où les Bottiæens avaient été, chassés, mais ne comprenant pris la côte entre les, bouches de l’Alios et de l’Haliakmôn, ni même Pella, plus tard la capitale, qui étaient encore au pouvoir des Bottiæens à l’époque du passage de Xerxès[33]. Il possédait aussi Anthemous (Anthémonte), ville et territoire dans la péninsule de Chalkidikê, et quelques parties de la Mygdonia, le territoire situé à l’est de l’embouchure de l’Axios ; mais dans quelle proportion, c’est ce que nous ignorons. Nous verrons ci-après les Macédoniens étendre leur domination encore plus loin, pendant la période qui sépare la guerre des Perses de la guerre du Péloponnèse.

On nous dit que le roi Amyntas était en relations d’amitié avec les princes Pisistratides à Athènes, dont la domination était en partie soutenue par des mercenaires venus du Strymôn ; et ce sentiment amical continua d’exister entre son fils Alexandre et les Athéniens affranchis[34]. C’est seulement pendant les règnes de ces princes que la Macedonia commence à être mêlée aux affaires grecques. La dynastie royale était devenue si complètement macédonienne et avait tellement renoncé là sa fraternité hellénique, que le droit d’Alexandre à courir aux jeux Olympiques fut contesté par ses compétiteurs, qui le forcèrent à prouver sa lignée devant les Hellanodikæ.

 

 

 



[1] Hérodote, 1, 196 ; Skylax, c. 19-27 ; Appien, Illyr., c. 2, 4, 8.

On comprend encore très imparfaitement la géographie des contrées occupées dans l’antiquité par les Illyriens, les Macédoniens, les Pæoniens, les Thraces, etc., et actuellement possédées par une grande diversité de races, entre lesquelles les Turcs et les Albanais conservent la barbarie primitive sans adoucissement ; bien que les recherches du colonel Leake, de Boué, de Grisebach et d’autres (spécialement les importants voyages de ce dernier) aient récemment jeté beaucoup de jour sur ce point. On peut voir combien nos connaissances se sont étendues dans cette direction, en comparant la carte mise en tête de la Géographie de Mannert, on de la Dissertation de O. Müller sur les Macédoniens, avec celle qui se trouve dans les voyages de Boué ; mais l’extrême insuffisance des cartes, même telles qu’elles sont maintenant, est expressément signalée par Boué lui-même (V. sa Critique des cartes de la Turquie dans le quatrième volume de son voyage), — par Paul Joseph Schaffarik, le savant historien de la race esclavonne, dans la préface qu’il a mise à l’Exposé topographique de l’Albanie du Dr Joseph Müller, — et par Grisebach, qui, dans l’examen qu’il fit du haut des monts Peristeri et Ljubatrin, trouva la carte différant à chaque pas des aspects qui se présentaient à sa vue. C’est seulement depuis Boué et Grisebach qu’on a complètement abandonné l’idée, venue de Strabon dans l’origine, d’une ligne droite de montagnes (εύθεϊα γραμμή, Strabon, lib. VII, Fragm. 3), courant à travers le pays de l’Adriatique au Pont-Euxin, et envoyant d’antres chaines latérales dans une direction presque méridionale. Les montagnes de la Turquie d’Europe, quand on les examine avec le fonds de science géologique qu’apportent à cette tâche M. Viquesnel (le compagnon de Roué), et le Dr Grisebach, sont reconnues comme appartenant à des systèmes très différents, et comme présentant des preuves de conditions de formation souvent tout à fait indépendantes les unes des autres.

Le treizième chapitre des Voyages de Grisebach présente le meilleur ex-posé qui ait encore été donné de la chaîne du Skardos et du Pindos ; il a été le premier qui ait prouvé clairement que le Ljubatrin, qui domine immédiatement la plaine de Kossovo à la frontière méridionale de la Servie et de la Bosnic, est l’extrémité nord-est d’une chaîne de montagnes s’étendant au sud jusqu’aux frontières de l’Æolia, dans une direction qui ne s’éloigne pas beaucoup du nord au sud, avec la seule interruption (signalée pour la première lois par le colonel Leake) de la Klissoura de Devol, — brèche complète, où la rivière Devol, prenant naissance sur le côté oriental, traverse la chaîne et rejoint l’Apsus ou Beratino sur le côté occidental. — (Il est remarquable que, et dans la carte de Boué et dans celle qui est annexée à la Description topographique de l’Albanie du Dr Joseph Müller, la rivière Devol soit présentée comme rejoignant le Genussus ou Skoumi, considérablement au nord de l’Apsus, quoique la carte du colonel Leake donne le cours exact.) Dans la nomenclature de Grisebach, cet auteur dit que Skardos s’étend à partir du Ljubatrin, son extrémité nord-est, dans la direction sud-ouest et sud jusqu’à la Klissoura de Devol ; au suif de ce point commence le Pindos, dans une continuation cependant du même axe.

Par rapport aux demeures des anciens Illyriens et des anciens Macédoniens, Grisebach a fait une autre observation d’une grande importance (vol. II, p. 121). Entre l’extrémité nord-est, le mont Ljubatrin et la Klissoura de Devol, il n’y a dans la chaîne vaste et continue du Skardos(haute de plus de 7.000 pieds) que deux défilés propres au passage d’une armée : l’un près de l’extrémité septentrionale de la chaîne, où Grisebach la franchit lui-même de Kalkandele à Prisdren, col très élevé et qui n’a pas moins de 5.000 pieds au-dessus dessus du niveau de la mer ; l’autre, considérablement au sud, et plus bas aussi bien que plus facile, presque à la latitude de Lychnidos ou Ochrida. C’était par ce dernier défilé que passait la via Egnatia des Romains et que passe aujourd’hui la route moderne de Scutari et de Durazzo à Bitolia. A l’exception de ces deux dépressions partielles, la longue chaîne de montagnes se maintient sans perdre de sa hauteur, admettant, il est vrai, des sentiers que petit traverser une petite troupe, soit de voyageurs, soit de voleurs albanais de Dibren (il y a un sentier de cette sorte qui rattache Struga à Ueskioub, mentionné par le Dr Joseph Müller, p. 70, et quelques autres par Boué, vol. IV, p. 546), mais ne permettant nulle part le passage d’une armée.

Conséquemment, pour attaquer les Macédoniens, une armée illyrienne attrait à franchir l’un ou l’autre de ces défilés, ou autrement à faire le tour du défilé de Katschanik situé au nord-est, au delà de l’extrémité du Ljubatrin. Et nous trouverons, en effet, que les opérations militaires, qui, nomme nous l’apprennent les historiens, furent engagées entre les deux nations, nous mènent habituellement dans l’une ou dans l’autre de ces directions. Les expéditions militaires de Brasidas (Thucydide, IV, 124), — de Philippe, fils d’Amymtas, roi de Macédoine (Diodore, XVI, 8), — d’Alexandre le Grand, dans la première année de son règne (Arrien, I, 5), nous conduisent toutes au défilé voisin à Lychnidos (cf. Tite-Live, XXXII, 9 ; Plutarque, Flamininus, c. 4) ; tandis que les Dardani et les Autariatæ illyriens confinent à la Pæonia, an nord de la Pelagonia, et menacent la Macédoine du côté nord-est de la chaîne du Skardos. Les Autariatæ ne sont pas bien éloignés des Agrianes pæoniens, qui habitaient près des sources du Strymôn, et les Autariatæ, ainsi que les Dardani, menaçaient Alexandre quand il revenait du Danube en Macédoine, après son heureuse campagne contre les Getæ, dans la partie inférieure du cours de ce grand fleuve (Arrien, I, 5). Sans pouvoir déterminer la ligne précise de la marche d’Alexandre en cette occasion, nous pouvons dire que ces deux tribus illyriennes doivent être venues pour l’attaquer de la Mœsia supérieure, et sur le côté oriental de l’Axios. Ceci, et le fait que les Dardani étaient les voisins immédiats des Pæoniens, nous montrent que leurs demeures ne pouvaient pas avoir été bien éloignées de la Mœsia supérieure (Tite-Live, ZLV.29) ; les Fauces Pelagoniæ (Tite-Live, XXXI, 34) sont le défilé par lequel ils entraient dans la Macédoine en venant du nord. Ptolémée place même les Dardani à Skopim (Ueskioub) (III, 9) ; le renseignement qu’il donne sur ces contrées semble meilleur que celui de Strabon.

Les importantes notions topographiques contenues dans l’ouvrage de Grisebach perdaient beaucoup de leur valeur par l’absence d’une carte annexée. Cette lacune a été récemment comblée (1853), dans la nouvelle carte de la Turquie d’Europe, publiée par Kiepert, à, Berlin, où l’on a pour la première fois combiné, en en tirant profit, les données de Grisebach, de Boué, de Viquesnel, de Joseph Müller et de plusieurs autres. La carte de Kiepert ajoute considérablement à nos connaissances touchant les contrées situées au sud du Danube. Les Erlauterungen qui y sont annexées, tout en exposant les meilleures preuves d’après lesquelles un cartographe de la Turquie peut procéder de nos jours, signalent cependant la rareté déplorable d’observations scientifiques ou précises.

[2] Hekatæi Fragm., éd. Klausen, Fr. 66-70 ; Thucydide, I, 26.

Skylax place les Encheleis au nord d’Epidamnos et des Taulantii. On peut remarquer qu’Hécatée semble avoir communiqué beaucoup de renseignements relatifs à l’Adriatique ; il mentionnait la ville d’Adria à l’extrémité du golfe, et la fertilité et l’abondance du pays qui l’entourait (Fr. 58. Cf. Skymnus de Chios, 384).

[3] Tite-Live, 43, 9-18. Mannert (Geograph. der Griech. und Roemer, part. VII, ch. 9, p. 386 sqq.) réunit les points et montre combien peu il est possible de préciser relativement aux localités de ces tribus illyriennes.

[4] Strabon, IV, p. 206.

[5] Strabon, VII, p. 315 ; Arrien, I, 5, 4-11. Le territoire est si impraticable et les ressources des habitants si bornées dans la région appelée Haute Albanie, que la plupart des tribus qui y résident même aujourd’hui sont considérées comme libres, et ne payent point de tribut au gouvernement turc ; les pachas ne peuvent arracher ce tribut qu’avec des difficultés et des frais plus grands que ne vaudrait la somme ainsi obtenue. C’était la même chose en Epire on Basse Albanie, avant le temps d’Ali-Pacha ; dans l’Albanie Moyenne, le pays ne présente pas les mêmes difficultés et on n’accorde pas de semblables exemptions (Boué, Voyage en Turquie, vol. III, p. 192). Ces tribus albanaises libres sont dans la même condition vis-à-vis du Sultan que l’étaient les Mysiens et les Pisidiens en Asie Mineure vis-à-vis du roi de Perse dans l’antiquité (Xénophon, Anabase, III, 2, 23).

[6] Diodore, XV, 13 ; Polybe, II, 4.

[7] V. la description dans Thucydide (IV, 124-128) ; spécialement l’exhortation qu’il place dans la bouche de Prasidas, mise en contraste avec l’ordre régulier des Grecs.

Illyriorum velocitas ad excursiones et impetus subitos. Tite-Live, XXXI, 35.

[8] V. Pouqueville, Voyage en Grèce, vol. I, eh. 23 et 24 ; Grisebach, Reise durch Rumelien und nach Brussa, vol. II, p. 138, 139 ; Boué, la Turquie en Europe, Géographie générale, vol. I, p. 60-65.

[9] Skymnus de Chios, v. 418-425.

[10] Thucydide mentionne les ύφαντά καί λεϊα, καί άλλη κατασκευή que les colonies grecques sur la cote de Thrace envoyaient au roi Seuthês (II, 98) : semblables aux ύφάσμαθ̕ ίερά et aux χεριαράν τεκτόνων δαίδαλα offerts en présents au dieu de Delphes (Euripide, Ion, 1141 ; Pindare, Pyth., V, 46).

[11] Strabon, VIII, p. 317 ; Appien, Illyric., 17 ; Aristote, Mirab. Ausc., c. 138. Au sujet de l’extrême importance du commerce du sel, comme lien de connexion, voir les règlements des Romains quand ils divisèrent la Macédoine en quatre provinces, dans le but distinct d’empêcher toute union entre elles. Tout commercium et tout connubium leur furent interdits. La quatrième région, qui avait pour capitale Pelagonia (et qui comprenait toute la Macédoine primitive ou Haute Macédoine, à l’est de la chaîne du Pindos et du Skardos), était complètement à l’intérieur, et il lui était expressément défendu de tirer son sel de la troisième région, ou pays situé entre l’Axios inférieur et le Pêneios ; tandis que d’autre part les Dardani Illyriens (situés au nord de la Macédoine Supérieure) reçurent une permission expresse de tirer leur sel de cette troisième région de la Macédoine, ou région maritime ; le sel devait être transporté du golfe Thermaïque le long de la route de l’Axios à Stobi, en Pæonia, et là il devait être vendu à un prix fixe.

La région intérieure de la Macédoine, ou la quatrième, qui comprenait la moderne Bitoglia et le lac Castoria, pouvait facilement avoir son sel de l’Adriatique, par les communications si bien connues dans la suite sous le nom de via Egnatia romaine. Mais la communication des Dardani avec l’Adriatique menait par une contrée la plus difficile possible, et c’était probablement mie grande commodité pour eus de recevoir leur provision du golfe de Therma par la route qui longe le Vardar (Axios) (Tite-Live, XLV, 29). Cf. la route de Crisebach de Salonichi à Scutari, dans sa Reise durch Rumelien, vol. II.

[12] Au sujet du bétail en Illyrie, Aristote, De Mirab. Ausc., c. 128. Il y a dans Polybe un passage remarquable, où il considère l’importation d’esclaves comme un objet de nécessité pour la Grèce (IV, 37). Ménandre mentionne l’achat des esclaves thraces en échange de sel. V. Proverb. Zenob., II, 12, et Diogenian., I, 100.

Le même commerce se faisait dans l’antiquité chez les nations situées sur le Caucase ou auprès de cette montagne, au port de Dioskurias, à l’extrémité orientale du Pont-Euxin (Strabon, XI, p. 506) ; ces tribus ont si peu changé, que les Circassiens aujourd’hui font beaucoup le même commerce. Le renseignement que donne le Dr Clarke nous reporte au monde ancien : Souvent les Circassiens vendent leurs enfants à des étrangers, particulièrement aux Persans et aux Turcs, et leurs princes fournissent les sérails turcs des plus beaux prisonniers des deux sexes qu’ils font à la guerre. Dans leur commerce avec les Cosaques Tchernomorski (au nord du fictive du Kuban), les Circassiens portent des quantités considérables de bois, et le délicieux miel des montagnes, enfermé dans des peaux de chèvre, dont le poil est en dehors. Ils échangent ces articles pour du sel, denrée trouvée dans les lacs voisins, et de qualité très supérieure. Le sel est plus précieux que toute autre sorte de richesse pour les Circassiens, et il constitue le présent le plus agréable qu’on puisse leur faire. Ils tressent des nattes d’une très grande beauté, qui trouvent un débouché tout prêt et en Turquie et en Russie. Ils sont aussi habiles dans l’art de travailler l’argent et d’autres métaux, et dans la fabrication de fusils, de pistolets et de sabres. Quelques-uns, qu’ils nous offraient à acheter, nous soupçonnâmes qu’ils se les étaient procurés en Turquie en échange d’esclaves. Leurs arcs et leurs flèches sont faits avec une habileté inimitable, et les flèches garnies de fer, et d’ailleurs parfaitement travaillées, sont regardées par les Cosaques et les Russes comme faisant des blessures incurables (Clarke’s Travels, vol. I, C. 16, p. 378).

[13] Théophraste, Hist. Plant., IV, 5, 2 ; IX, 7, 4 ; Pline, H. N., XIII, 2 ; XXI, 19 ; Strabon, VII, p. 326. On trouve des monnaies d’Epidamnos et d’Apollonia non seulement en Macédoine, mais en Thrace et en Italie : le commerce de ces deux cités s’étendait probablement d’une mer à l’autre, même avant la construction de la voie Egnatienne ; et l’inscription 2056, dans le Corpus de Bœckh, fait connaître la gratitude d’Odessus (Varna), sur le Pont-Euxin, à l’égard d’un citoyen d’Epidamnos (Barth, Corinthiorum Mercatur. Hist., p. 49 ; Aristote, Mirab. Auscult., c. 104).

[14] Hérodote, V, 61 ; VIII, 137 ; Strabon, VII, p. 326. Skylax place les λίθοι de Kadmos et d’Harmonia chez les Manii illyriens, au nord des Encheleis (Diodore, XLX, 53 ; Pausanias, IX, 5, 3).

[15] Hérodote, V, 22.

[16] Aristote, Politique, VII, 2, 6. On voit par Thucydide, II, 100 ; IV, 124, que les Macédoniens habitaient surtout dans des villages, bien que ceci n’exclue pas quelques villes.

[17] Boué, Voyage en Turquie, vol. I, p. 199 : Un bon nombre de cols dirigés du nord au sud, comme pour inviter les habitants de passer d’une de ces provinces dans l’autre.

[18] Pour le caractère physique général de la région, tant à l’est qu’à l’ouest du Skardos, continué par le Pindos, voir l’excellent chapitre des voyages de Grisebach, cités plus haut (Reisen, vol. II, c. 13, p. 125-130 ; c. 14, p. 175 ; c. 16, p. 214-216 ; c. 17, p. 244, 245).

Relativement aux plaines comprises dans l’ancienne Pelagonia, V. aussi le Journal de Pouqueville fils, dans sa marche de Travnik en Bosnie à Ianina. Voici ce qu’il remarque dans les deux jours de marche de Prelepe (Prilip) par Bitolia à Florina : Dans cette route on parcourt des plaines luxuriantes couvertes de moissons, de vastes prairies remplies de trèfle, des plateaux abondants en pâturages inépuisables, où paissent d’innombrables troupeaux de bœufs, de chèvres et de menu bétail... Le blé, le maïs et les autres grains sont toujours à très bas prix, à cause de la difficulté des débouchés, d’où l’on exporte une grande quantité de laines, de cotons, de peaux d’agneaux, de buffles et de chevaux, qui passent par le moyen des caravanes en Hongrie (Pouqueville, Voyage dans la Grèce, t. II, c. 62, p. 495). Grisebach, décrivant son voyage de Bitolia à Prilip, mentionne aussi : des champs spacieux, d’une étendue incommensurable, couverts de froment, d’orge et de maïs, en même temps que de riches prairies et de gras pâturages touchant à l’eau (page 214).

De plus, M. Boué remarque dans cette même plaine, dans sa critique des cartes de la Turquie, Voyage, vol. IV, p. 483 : La plaine immense de Prilip, de Bitonia et de Florina n’est pas représentée (sur les cartes) de manière à ce qu’on ait une idée de son étendue, et surtout de sa largeur... La plaine de Sarigoul est changée en vallée, etc. Il remarque que le bassin de l’Haliakmôn est représenté également d’une manière imparfaite sur les cartes ; cf. aussi son Voyage, I, p. 211, 299, 300.

Je signale d’autant plus particulièrement la proportion considérable de plaines et de vallées fertiles comprises dans l’ancienne Macédoine, qu’elle est souvent représentée (et même par O. Müller, dans sa Dissertation sur les anciens Macédoniens, ajoutée à son History of the Dorians) comme une terre froide et raboteuse, conformément à l’assertion de Tite-Live (XLV, 30), qui dit relativement à la quatrième région de la Macédoine telle qu’elle fut divisée parles Romains : Frigida hæc omnis duraque cultu et aspera plaga est ; cultorum quoque ingenia terræ similia habet. Ferociores eos et accolæ barbari faciunt, nunc bello exercentes, nunc in pace miscentes ritus suos.

Ceci est probablement vrai des montagnards renfermés dans la région, mais c’est trop généralisé.

[19] Polybe, XXVIII, 8, 9. C’est le témoignage le plus distinct que nous possédions, et il me semble contredire l’opinion et de Mannert (Geogr. der Gr. und Roem., vol. VII, p. 492) et de Müller (On the Macedonians, sect. 28-36), à savoir, que les Macédoniens indigènes étaient de race illyrienne.

[20] L’arrangement militaire macédonien semble avoir ressemblé beaucoup à celui des Thessaliens, — des cavaliers bien montés et armés et conservant un bon ordre (Thucydide, II, 201) ; quant à leur infanterie, avant le temps de Philippe, fils l’Amyntas, nous n’en entendons pas beaucoup parler. Macedoniam præsertim, quam tantæ barbarorum gentes attingunt ut semper Macedonicis imperatoribus idem fines provinciæ fuerint qui gladiorum atque pilorum. (Cicéron, in Pison., c. 16.)

[21] Strabon, lib. VII, Fragm. 20, éd. Tafel.

[22] J’ai suivi Hérodote en exposant la série primitive des tribus occupant, les contrées situées sur le golfe Thermaïque, avant les conquêtes macédoniennes. Thucydide place les Pæoniens, entre les Bottiæens et les Mygdoniens ; il dit que les Pæoniens possédaient une bande étroite de terre sur le bord de l’Axios, jusqu’à Pella et à la mer (II, 96). Si cela était vrai, il ne resterait guère de place pour les Bottiæens, que néanmoins Thucydide reconnaît sur la côte, car tout l’espace compris entre les embouchures des deux rivières Axios et Haliakmôn est peu considérable ; en outre, je ne puis que soupçonner que Thucydide, en trouvant dans l’Iliade que les alliés pæoniens de Troie vinrent de l’Axios a été amené à croire qu’il a dû y avoir d’anciens établissements pæoniens à l’embouchure de cette rivière, et qu’il a avancé la conclusion courue si c’était un fait attesté. Le cas est analogue à ce qu’il dit des Bœôtiens dans sa préface (que O. Müller a déjà commentée) ; il présentait l’immigration des Bœôtiens en Bœôtia comme s’étant effectuée après la guerre de Troie, mais il sauvait le crédit historique du Catalogue homérique en ajoutant qu’il y avait eu une fraction de ce peuple en Bœôtia auparavant, d’où était tire, le contingent qui vint à Troie (άποδασμός, Thucydide, I, 12).

Ayant donc, en cette occasion, à choisir entre Hérodote et Thucydide, je préfère le premier. O. Müller (On the Macedonians, sect. 11-21 voudrait rejeter de l’assertion de Thucydide précisément tout ce qui contredit Hérodote d’une manière positive et conserver le reste ; il pense que les Pæoniens descendirent jusqu’à un endroit très rapproché de l’embouchure de la rivière, niais non pas tout à fait jusqu’à l’embouchure. J’avoue que ceci ne nie satisfait pas ; d’autant moins que le passage, de Tite-Live au moyen duquel il voudrait appuyer son idée paraîtra, en l’examinant, se rapporter à la Pæonia sur le cours supérieur de l’Axios — et non à une portion supposée de la Pæonia près de son embouchure (Tite-Live, XLV, 29).

De plus, je ferai remarquer que la résidence primitive des Piériens entre le Pêneios et l’Haliakmôn repose surtout sur l’autorité de Thucydide ; Hérodote connaît les Piériens dans leurs demeures entre le mont Pangæos et la mer, mais il ne donne pas à entendre qu’ils aient habité auparavant au sud de l’Haliakmôn ; il considère la contrée située entre l’Haliakmôn et le Pêneios comme la basse Macédoine ou Macédonis, s’étendant jusqu’aux frontières de la Thessalia (VII, 127-173). Je fais cette remarque par rapport aux sections 7-17 de la Dissertation de O. Müller, où l’idée d’Hérodote semble inexactement comprise et où l’on en tire quelques conclusions erronées. Il y a des raisons suffisantes pour croire que cette contrée était la primitive Pieria (cf. Strabon, VII, Fragm. 21, avec une note de Tafel : et IX, p. 410 ; Tite-Live, XLIV, 9) ; mais Hérodote la mentionne seulement comme Macédoine.

[23] Skylax, c. 67. Les conquêtes de Philippe portèrent la frontière au delà du Strymôn jusqu’au Nestos (Strabon, liv. VII, Fragm. 33, éd. Tafel.).

[24] Le mont Skomios semble être la montagne appelée aujourd’hui Vitoshka, outre Kadomir et Sophia, près de la frontière sud-est de la Servie (Thucydide, II, 96 ; Grisebach, vol. II, c. 10, p. 29).

[25] V. ce contraste mentionné dans Grisebach, spécialement par rapport à la large mais stérile région appelée la plaine de Mustapha, à une distance peu considérable de la rive gauche de l’Axios (Grisebach, Reisen, v. II, p. 225 ; Boué, Voyage, vol. I, p. 168).

Pour la description des bords de l’Axios (Vardar) et du Strymôn, V. Leake, Travels in Northern Greece, vol. 1II, p. 201, et Boué, Voyage en Turquie, vol. I, p. 196-199. — La plaine ovale de Seres est un des diamants de la couronne de Byzance, etc. Il fait remarquer combien le cours du Strymôn est représenté sur les cartes d’une façon inexacte (vol. IV, p. 482).

[26] L’expression de Strabon ou de son abréviateur — τήν Παιονίαν μέχρι Πελαγονίας καί Πιερίας έκτετάσθαι — semble tout à fait exacte, bien que Tafel y trouve une difficulté. Voyez la note sur les Fragments du Vatican du septième livre de Strabon, Fragm. 37. Le Fragm. 40 est exprimé d’une manière beaucoup plus vague. Cf. Hérodote, V, 13-16 ; VII, 124 ; Thucydide, II, 96 ; Diodore, XX, 19.

[27] Hérodote, VIII, 137, 138.

[28] Hérodote, V, 22 ; Argeadæ, Strabon, liv. III, Fragm. 20, éd. Tafel, qui peut probablement par erreur avoir été changé en Ægædæ (Justin, VII, 1).

[29] Thucydide, III, 7 ; Hérodote ; VI, 34-37 ; cf. l’histoire de Zalmoxis chez les Thraces (IV, 94).

[30] Strabon, VII, p. 326.

[31] Hérodote, VII, 189. Thucydide est d’accord pour le nombre de rois, mais il ne donne pas les noms (II, 100).

Pour les listes divergentes des anciens rois Macédoniens, V. les Fasti Hellenici de M. Clinton, vol. II, p. 221.

[32] C’est ce que l’on peut conclure, je pense, d’Hérodote, VII, 73, et VIII, 138. La migration prétendue des Briges en Asie, et le changement de leur nom en Phryges, c’est là une assertion que je n’ose pas répéter comme croyable.

[33] Hérodote, VII, 123. Hérodote reconnaît à la fois des Bottiæens entre l’Axios et l’Haliakmôn, — et des Bottiæens à Olynthos, que les Macédoniens avaient chassés du golfe Thermaïque, — à l’époque où passa Xerxês (VIII, 127). Ces deux assertions me semblent compatibles et également admissibles ; les premiers Bottiæens furent chassés plus tard par les Macédoniens, avant la guerre du Péloponnèse.

Ma manière de juger ces faits diffère donc un peu de celle de O. Müller (Macedonians, sect. 16).

[34] Hérodote, I, 59 ; V, 94 ; VIII, 136.