HISTOIRE DE LA GRÈCE

CINQUIÈME VOLUME

CHAPITRE IV — COLONIES OCCIDENTALES DE LA GRÈCE - EN ÉPIRE, EN ITALIE, EN SICILE ET EN GAULE.

 

 

Le courant de colonisation grecque à l’ouest, autant qu’il est possible de dire que nous le connaissions d’une manière authentique, avec des noms et des dates, commence à la onzième Olympiade. Mais on peut croire avec raison qu’il y a eu d’autres tentatives antérieures à celles-ci, bien que nous devions nous contenter de les reconnaître comme probables en général. C’étaient sans doute des bandes détachées d’émigrants volontaires ou de maraudeurs, qui, se fixant dans quelque situation favorable au commerce ou à la piraterie, se mêlaient aux tribus indigènes, ou parvenaient par des renforts successifs à former une ville reconnue. Ne pouvant se, vanter d’aucune filiation avec le Prytaneion d’une cité grecque connue, ces aventuriers étaient souvent disposés à se rattacher à la légende inépuisable de la guerre de Troie, et à attribuer leur origine à un des héros victorieux de l’armée d’Agamemnôn, également distingués par leur valeur et par leur dispersion en tous lieuse après le siège. On trouvait un grand nombre de ces établissements prétendus fondés par des héros grecs ou troyens fugitifs sur divers points de tous les rivages de la Méditerranée ; et même plus d’une ville non hellénique prétendait à la même origine honorable.

Au huitième siècle avant J.-C., quand ce courant occidental de colonisation grecque commence à prendre une forme authentique (735 av. J.-C.), la population de Sicile (autant que nous permettent de le déterminer les renseignements peu abondants que nous possédons) consistait en deux races complètement distinctes l’une de l’autre, — Sikels et Sikanes, — outre les Elymi — race mêlée apparemment distincte des deux autres, occupant Eryx et Egesta, près de l’extrémité la plus occidentale de l’île —, et les colonies phéniciennes et leurs établissements sur les côtes, qui avaient été formés dans des vues commerciales. Suivant l’opinion et de Thucydide et de Philiste, ces Sikanes, bien qu’ils se donnassent comme indigènes, étaient cependant d’origine ibérienne[1] et des immigrants d’une date plus ancienne que les Sikels, — par qui ils avaient été envahis et limités à. la plus petite partie occidentale de l’île. On disait que les Sikels avaient franchi la mer dans l’origine en venant de l’extrémité sud-ouest de la péninsule de la Calabre, où une portion de la nation habitait encore du temps de Thucydide. Le territoire connu d’écrivains grecs du cinquième siècle avant J.-C. par les noms d’Œnotria sur la côte de la Méditerranée, et d’Italie sur celle des golfes de Tarente et de Squillace, renfermait tout ce qui se trouve au sud d’une ligne tirée en travers de la largeur du pas, depuis le golfe de Poseidônia (Pe.stum) et le fleuve Silarus, sur la mer Méditerranée, jusqu’à l’extrémité nord-ouest du golfe de Tarente. Il. était borné au nord par les Iapygiens et les Messapiens, qui occupaient la péninsule de Salente et la contrée immédiatement adjacente à Tarente, et par les Peukétiens sur le golfe ionien. Selon les logographes Phérécyde et Hellanicus[2], Œnotros et Peuketios étaient fils de Lykaôn, petits-fils de Pelasgos, et à une époque très reculée ils avaient quitté l’Arkadia pour s’établir dans ce territoire. Un renseignement important qui se trouve dans Étienne de Byzance[3] nous apprend que la population de serfs, — employée à la culture des terres par les grandes cités helléniques dans cette partie de l’Italie, —,était appelée Pélasges, vraisemblablement même dans les temps historiques. C’est sur ce nom probablement qu’est construite la généalogie mythique de Phérécyde. Cette race œnotrienne ou pélasge était la population que les colons grecs y trouvèrent à leur arrivée. Ils étaient apparemment connus sous d’antres noms, tels que les Sikels — mentionnés même dans l’Odyssée ; bien que, à l’aide de ce poème, leur localité exacte ne puisse être déterminée —, les Italiens ou Itali, proprement appelés ainsi, — les Morgêtes et les Chaones, — tous noms de tribus soit de même race, soit formées de subdivisions[4]. On trouve aussi les Chaones ou Chaoniens non seulement en Italie, mais en Épire, comme l’une des plus considérables des tribus dés Epirotes ; tandis que Pandosia, l’ancienne résidence des rois œnotriens dans l’extrémité méridionale de l’Italie[5], était aussi le nom d’un municipe ou localité en Épire, avec un fleuve Achéron voisin de l’une et de l’autre. De là, et d’après d’autres similitudes de nom, on a imaginé qu’Épirotes, Œnotriens, Sikels, etc., étaient des noms de peuples de même race, et tous ayant droit à être compris sous l’appellation générique de Pélasges. Qu’ils appartinssent à la même parenté ethnique, il semble qu’il y ait de bonnes raisons pour le présumer ; et on peut croire aussi que, sous le rapport du langage, des coutumes et du caractère, il n’y avait pas une très grande distance entre eux et les branches plus grossières de la race hellénique.

Il semblerait aussi (autant qu’on peut se former une opinion sur un point essentiellement obscur) que les Œnotriens étaient alliés sous le rapport ethnique à la population primitive de Rome et du Latium d’un côté[6], comme ils l’étaient aux Épirotes de l’autre, et que clés tribus de cette race, comprenant des Sikels et des Itali, proprement appelés ainsi comme sections, avaient à cette époque occupé la plus grande partie du territoire s’étendant de la rive gauche du Tibre vers le sud entre les Apennins et la Méditerranée. Hérodote et son contemporain plus jeune, le Syracusain Antiochus, font aller l’Œnotria aussi loin au nord que le fleuve Silarus[7], et Sophocle comprend toute la côte de la Méditerranée, depuis le détroit de Messine jusqu’au golfe de Gènes, sous les trois noms successifs d’Œnotria, de golfe Tyrrhénien et de Liguria[8]. Avant ou pendant le cinquième siècle avant J.-C. cependant, une population différente appelée Opiques, Osques ou Ausoniens était descendue de ses demeures primitives sur les Apennins[9] ou au nord de ces montagnes et avait conquis le territoire situé entre le Latium et le Silarus, chassant ou subjuguant les habitants œnotriens, et établissant des colonies, avancées même jusqu’au détroit de Messine et aux îles Lipari. C’est d’après cela que Thucydide, plus précis, désigne le territoire campanien, où était Cumæ, comme étant le pays des Opiques ; dénomination qu’Aristote étend jusqu’au Tibre, de manière à y comprendre Rome et le Latium[10]. Non seulement la Campania, mais dans des temps plus anciens même le Latium occupé dans l’origine par une population de Sikels ou d’Œnotriens, semblent avoir été envahis et subjugués en partie par des tribus plus farouches des Apennins, et avaient reçu ainsi un certain mélange de la race osque. Mais dans les régions situées au sud du Latium, ces conquêtes osques furent encore plus écrasantes ; et c’est à cette cause — dans l’opinion des Grecs du cinquième siècle av. J.-C. qui le recherchaient[11] — que furent dues les premières, émigrations de la race œnotrienne hors de l’Italie méridionale, qui enlevèrent la portion la plus considérable de la Sicile aux Sikaniens préexistants.

Cet exposé imparfait, représentant les idées de Grecs du cinquième siècle avant J.-C. quant à l’ancienne population de l’Italie méridionale, est justifié par la comparaison la plus complète que l’on puisse faire entre les trois langues grecque, latine et osque, les deux premières à coup sûr, et la troisième probablement, sœurs de la même famille indo-européenne de langues. Tandis que l’analogie de construction et de racines, qui existe entre le grec et le latin, établit complètement cette communauté de famille, — et tandis que la philologie comparée prouve que sur bien des points le latin s’écarte moins d’un type commun et d’une langue mère supposés que le grec, — il existe aussi dans le premier un élément non grec et des classes de mots non grecs, qui paraissent impliquer une rencontre de deux peuples différents ou d’un plus grand nombre ayant des langues distinctes. Le même élément non grec, qu’on retrouve ainsi dans le latin, semble s’offrir développé plus amplement encore dans les restes peu abondants de l’osque[12]. De plus, les colonies grecques en Italie et en Sicile prirent plusieurs mots particuliers de leur association avec les Sikels, mots qui dans la plupart des cas se rapprochent de très près du latin, — de sorte qu’une ressemblance se montre ainsi entre le langage du Latium d’un côté, et celui des Œnotriens et des Sikels (dans l’Italie méridionale et en Sicile) de l’autre, avant l’établissement des Grecs. Ce sont les deux extrémités de la population des Sikels ; entre elles paraissent, dans la contrée intermédiaire, les tribus et la langue osques ou ausoniennes ; et ces dernières semblent avoir été dans une large mesure des tribus conquérantes venues par intrusion des montagnes centrales. Ces analogies de langage viennent à l’appui de la supposition de Thucydide et d’Antiochus, qui pensent que ces Sikels avaient été jadis répandus sur une portion encore plus considérable de l’Italie méridionale, et avaient émigré de là en Sicile par suite d’invasions osques. L’élément d’affinité existant entre les Latins, les Œnotriens et les Sikels, — et jusqu’à un certain degré entre eux tous et les Grecs, mais ne s’étendant pas aux Opiques ou Osques, ni aux Iapygiens, — peut s’appeler pélasgique, faute d’un nom meilleur. Mais de quelque nom qu’on l’appelle, la reconnaissance de son existence rattache et explique bien des circonstances isolées dans l’ancienne histoire de Rome aussi bien que dans celle des Grecs italiens et siciliens.

La plus ancienne colonie grecque en Italie ou en Sicile dont nous connaissions la date précise, est placée vers 735 avant J.-C., dix-huit ans après l’ère de Rome selon Varron ; de sorte que les causes tendant à soumettre et à helléniser la population des Sikels dans la région méridionale commencent à agir presque en même temps que celles qui tendaient graduellement à élever et à agrandir la variété modifiée de celle qui existait dans le Latium. A cette époque, selon le renseignement donné à Thucydide, les Sikels avaient été établis pendant trois siècles en Sicile. Hellanicus et Philiste, — qui tous deux reconnaissaient une émigration semblable dans cette île venant de l’Italie, bien qu’ils donnent des noms différents tant aux émigrants qu’à ceux qui les chassaient, — assignent à la migration une date antérieure de trois générations à la guerre de Troie[13]. Antérieurement à 735 avant J.-C., cependant, bien que nous ne sachions pas l’ère précise de sols commencement, il existait un établissement grec isolé sur la mer Tyrrhénienne, — la campanienne Cumæ., près du cap Misenum, qui, suivant l’opinion la plus commune des chronologistes, avait été fondée, supposait-on, en 1050 avant J.-C., et que quelques auteurs même faisaient remonter à 1139 avant J.-C.[14] Sans attacher aucune foi à cette ancienne chronologie, nous pouvons du moins pressentir comme certain que c’est le plus ancien établissement grec clans une partie quelconque de 1’Itàlie, et qu’un temps considérable s’écoula avant que d’autres colons grecs fussent assez hardis pour se séparer du monde hellénique, en occupant des demeures de l’autre côté du détroit de Messine[15], avec tous les dangers que présentait la piraterie tyrrhénienne aussi bien que Skylla et. Charybdis. Là campanienne Cumæ (connue presque uniquement par sa désignation latine) reçut son nom et une partie de ses habitants de l’æolienne Kymê en Asie-Mineure. Une bande réunie de colons, en partie de cette dernière ville, en partie de Chalkis, en Eubœa, — les premiers sous le Kymæen Hippoklês, les seconds sous le Chalkidien Megasthenês, — étant convenus de former la nouvelle ville, elle fut fondée en vertu de cet accord, que Kymê donnerait le nom, et que Chalkis jouirait du titre et des honneurs de la métropole[16].

Cumæ, située sur la langue de terre de la péninsule qui se termine par le cap Misenum, occupait une colline élevée et plusieurs rochers surplombant la mer[17], et d’un accès difficile du côté de la terre : La fertilité incomparable des plaines phlégræennes dans le voisinage immédiat de la cité, la quantité abondante de poissons fournis par le lac Lucrin[18], et les mines d’or dans l’île voisine de Pithekusæ servaient à la fois à nourrir et à enrichir les colons. Étant rejoints par de nouveaux colons venus de Chalkis, d’Eretria, et même de Samos, ils devinrent assez nombreux pour former des villes distinctes à Dikæarchia et à Neapolis, se répandant ainsi sur une partie considérable de la baie de Naples. Dans le rocher creux, sous les murs mêmes de la ville, était située la caverne de la Sibylle prophétique, — pendant et reproduction de la Sibylle gergithienne, près de Kymê en Æolis. Dans le voisinage immédiat, aussi, étaient les bois sauvages et le sombre lac de l’Avernus, consacrés aux dieux souterrains et offrant un établissement de prêtres, avec des cérémonies évoquant les morts, soit pour donner des prophéties, soit pour éclaircir des doutes et des mystères. C’est là que l’imagination grecque plaçait les Cimmériens et la fable d’Odysseus ; et les Cumæens tiraient des profits des visiteurs qui affluaient en grand nombre à ce saint lieu[19], peut-être presque autant que ceux des habitants de Krissa, du voisinage de Delphes. Quant aux relations de ces Cumæens avec le monde hellénique en général, nous ne savons malheureusement rien. Mais ils semblent avoir eu des rapports intimes avec Rome à l’époque des Rois, et surtout du temps du dernier roi Tarquin[20], formant entre le monde grec et le monde latin le lien intermédiaire par lequel les sentiments des Teukriens et des Gergithiens voisins de l’æolienne Kymê, et les récits légendaires de héros troyens aussi bien que

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grecs, — Æneas et Odysseus, — passèrent dans l’imagination des antiquaires de Rome et du Latium[21]. Les écrivains de l’époque d’Auguste ne connurent Cumæ qu’à son déclin, et s’étonnaient de la vaste étendue de ses anciennes murailles, qui restaient encore de leur temps. Mais pendant les deux siècles qui précèdent l’an 500 avant J.-C., ces murailles renfermaient une population nombreuse et florissante, dans la plénitude de la prospérité, — avec un territoire environnant étendu aussi bien que fertile[22], où se rendaient des marchands de blé venant de Rome dans des années de disette, et que n’avaient pas encore attaqué de formidables voisins, — et avec un littoral et des ports propres au commerce maritime. A cette époque, la ville de Capua (si effectivement elle existait) était de bien moindre importance. La principale partie de la riche plaine qui l’entourait était comprise dans les possessions de Cumæ[23], qui n’était probablement pas indigne, dans le sixième siècle avant J.-C. d’être comptée avec Sybaris et Krotôn.

Le déclin de Cumæ commence clans la première moitié du cinquième siècle avant J.-C. (500-450 avant J.-C.), d’abord par suite des progrès de puissances hostiles dans l’intérieur, — les Toscans et les Samnites, — en second lieu par suite de violentes dissensions intestines et d’un despotisme destructif. La ville fut assaillie par une formidable armée d’envahisseurs venus de l’intérieur, de Toscans renforcés d’alliés ombriens et dauniens ; événement que Denys rapporte à la 64e Olympiade (524-520 avant J.-C.), bien que nous ne sachions pas sur quelle autorité chronologique, et bien que ce même temps soit marqué par Eusèbe comme la date de la fondation de Dikæarchia, née de Cumæ. Les envahisseurs, malgré une grande -disparité de nombre, furent bravement repoussés par les Cumæens, surtout grâce à l’héroïque exemple d’un citoyen connu et distingué alors pour la première fois, — Aristodêmos Malakos. Le gouvernement de la cité était oligarchique, et à partir de ce jour l’oligarchie devint jalouse d’Aristodêmos : celui-ci, de son côté, acquit une popularité et une influence extraordinaires dans le peuple. Vingt ans plus tard, là cité latine d’Aricia, ancienne alliée de Cumæ, étant attaquée par une armée de Toscans, implora le secours des Cumæens. L’oligarchie de ces derniers regarda le moment comme favorable pour se débarrasser d’Aristodêmos, et elle l’expédia par mer vers Aricia, avec des vaisseaux pourris et un corps insuffisant de troupes. Mais leur stratagème échoua et causa sa ruine car l’habileté et .l’intrépidité d’Aristodêmos suffirent pour délivrer Aricia. Il ramena ses troupes victorieuses et qui lui étaient dévouées personn211ement. Alors,. en partie par force, en partie par stratagème, il renversa l’oligarchie, mit à mort les principaux chefs, et se fit despote. Par une énergie jalouse, par un corps de mercenaires, et en désarmant le peuple, il se maintint dans cette autorité pendant vingt ans, parcourant sa carrière d’ambition et d’iniquité jusqu’à la vieillesse. Enfin une conspiration de la population opprimée ourdie contre lui eut une heureuse issue : il fut tué avec toute sa famille et un grand nombre de ses principaux partisans, et le premier gouvernement fut rétabli[24].

Le despotisme d’Aristodêmos tombe pendant l’exil de Tarquin chassé de Rome[25] (auquel il donna asile), et pendant le gouvernement de Gelôn à Syracuse. Une période si calamiteuse de dissensions et de désordre fut une des grandes causes du déclin de Cumæ. Presque dans le même temps, la puissance étrusque, tant sur terre que sur mer, paraît être à son maximum ; tandis que l’établissement étrusque à Capua commence également, si nous adoptons l’ère de la ville telle que la donne Caton[26]. Ainsi fut créée aux dépens de Cumæ une cité puissante, qui fut encore plus agrandie dans la suite quand elle fut conquise et occupée par, les Samnites, dont les tribus envahissantes, sous leur propre nom ou sous celui de Lucaniens, s’étendirent pendant le cinquième et le quatrième siècle avant J.-C. jusqu’aux rivages du golfe de Tarente[27]. Cumæ fut aussi exposée à de formidables dangers du côté de la mer : une flotte, soit d’Étrusques seuls, soit d’Étrusques et de Carthaginois coalisés, l’attaqua en 474 avant J.-C., et elle ne fut sauvée que par l’intervention active de Hiéron, despote de Syracuse, dont les forces navales repoussèrent les envahisseurs, en faisant d’eux un grand carnage[28]. Ces incidents servent en partie à indiquer, en partie à expliquer le déclin du plus ancien établissement hellénique en Italie, — déclin dont il ne se releva jamais.

Après avoir brièvement esquissé l’histoire de Cumæ, nous passons naturellement à cette série de puissantes colonies qui furent établies en Sicile et en Italie à partir de 735 avant J.-C., — entreprises dans lesquelles Chalkis, Corinthe, Megara, Sparte, les Achæens du Péloponnèse et les Lokriens hors du Péloponnèse furent tous intéressés. Chalkis, la métropole de Cumæ, devint aussi celle de Naxos, la plus ancienne colonie grecque en Sicile, sur la côte orientale de file, entre le détroit de Messine et le mont Ætna.

Le grand nombre d’établissements grecs, fondés par différentes villes, qui paraissent s’être effectués dans un petit intervalle d’années sur la côte orientale de l’Italie et de la Sicile, — du cap Iapygien au cap Pachynos, — nous amène à .supposer que la propriété extraordinaire du pays à recevoir de nouveaux colons n’avait été connue que tout à coup. Les colonies se suivent de si près, que l’exemple de la première ne peut avoir été le seul motif déterminant pour celles qui vinrent ensuite. J’aurai occasion de. signaler, même un siècle plus tard (à propos de l’établissement de Kyrênê), le cercle étroit de la navigation grecque ; de sorte que l’ignorance antérieure supposée ne serait pas du tout incroyable, si nous ne rencontrions le fait de la colonie préexistante de Cumæ. Suivant l’habitude universelle des vaisseaux grecs, — qui se permettaient rarement de perdre la côte de vue, excepté dans des cas d’absolue nécessité, — tout homme qui se rendait par mer de Grèce. en Italie ou en Sicile, commençait par longer les côtes de l’Akarnania et de l’Épire jusqu’à ce qu’il eût atteint la latitude de Korkyra ; ensuite il touchait d’abord à cette île, puis au promontoire Iapygien, d’où, il s’avançait le long de la côte orientale de l’Italie (les golfes de Tarente et de Squillace) jusqu’au promontoire méridional de la Calabre et au détroit de Sicile ; il faisait alors voile, toujours en longeant la côte, soit vers Syracuse, soit vers Cumæ, selon sa destination. Les habitudes nautiques sont tellement différentes aujourd’hui, que ce fait mérite une mention spéciale. Nous devons de plus nous rappeler qu’en 735 avant J.-C : il n’y avait encore d’établissements grecs ni en Épire ni à Korkyra ; de l’autre côté du golfe de. Corinthe, le monde était non hellénique, avec la seule exception de la lointaine Cumæ. Un peu avant la période que nous venons de mentionner, Theoklês (d’Athènes ou de Chalkis — probablement de cette dernière ville), jeté par des tempêtes sur la côte de Sicile, apprit à connaître le caractère séduisant du sol, aussi bien que l’état dispersé et à demi organisé des petites communautés de Sikels qui l’occupaient[29]. L’oligarchie de Chalkis, agissant d’après le renseignement qu’il rapportait, envoya sous sa conduite des colons[30], de Chalkis et de Naxos, qui fondèrent Naxos en Sicile. Theoklês et ses compagnons, en abordant, commencèrent par occuper l’éminence de Tauros, surplombant immédiatement la mer — où quatre siècles plus tard fut établie la ville de Tauromenium, après que Naxos eut été détruite par le despote syracusain Denys — ; car ils avaient à défendre leur position contre les Sikels, qui occupaient’ le voisinage, et qu’il était nécessaire sait de déposséder, soit de subjuguer. Lorsqu’ils eurent acquis une possession assurée du territoire, l’emplacement de la ville fut transporté dans un endroit convenable adjacent ; mais la colline occupée en premier lieu resta toujours mémorable, tant pour les Grecs que pour les Sikels. On y éleva l’autel d’Apollon Archêgetês, le divin patron qui (par son oracle à Delphes) avait sanctionné et déterminé une colonisation hellénique dans l’île. L’autel resta d’une manière permanente comme sanctuaire, commun à tous les Grecs Siciliens, où les Théores ou envoyés sacrés de leurs diverses villes, quand ils visitaient les Jeux Olympiques et autres fêtes en Grèce, avaient toujours l’habitude d’offrir un sacrifice immédiatement avant leur départ. Pour les Sikels indigènes qui conservèrent leur autonomie, d’autre part, la colline fut un objet de souvenir durable mais odieux, comme étant l’endroit où avaient commencé pour la première fois la conquête et l’intrusion grecques ; de sorte qu’à la distance de trois siècles et demi de l’événement, nous les trouvons encore animés de ce sentiment quand ils s’opposent à la fondation de Tauromenium[31].

A l’époque où Theoklês aborda, les Sikels étaient en possession de la plus grande partie de l’île, habitant surtout à l’est des monts Heræens[32], — chaîne continue s’étendant du nord-ouest au sud-est, distincte de cette chaîne de montagnes détachées, beaucoup plus hautes, appelées les Nebrodes, qui courent presque parallèles au rivage septentrional. A l’ouest des collines Heræennes étaient situés les Sikanes ; et à l’ouest de ces derniers, Eryx et Egesta, possessions des Elymi. Le long de la partie occidentale de la côte septentrionale étaient aussi placées Motyê, Soloêis et Panormos (aujourd’hui Palerme), ports de mer phéniciens ou carthaginois. Toutefois la formation (ou du moins l’extension) de ces trois ports que nous venons de mentionner en dernier lieu, fut une conséquence des colonies grecques multipliées ; car les Phéniciens, jusqu’à cette époque, n’avaient pas fondé d’établissements territoriaux ou permanents, mais ils s’étaient contentés d’occuper d’une manière temporaire divers caps ou divers îlots circonvoisins, dans le dessein, de commercer avec l’intérieur. L’arrivée de formidables colons grecs, marins comme eux, les engagea à abandonner ces comptoirs avancés et à concentrer leur force dans les trois villes considérables mentionnées plus haut, qui toutes étaient voisines de cette extrémité défilé la plus rapprochée de Carthage. Le côté oriental de la Sicile et la plus grande partie du sud restèrent ouverts aux Grecs, sans aucune opposition, si ce n’est de la part des Sikels et des Sikanes indigènes, qui furent graduellement écartés de tout contact avec le bord de la mer, excepté vers la côte septentrionale de l’île, — et qui en effet étaient si inexpérimentés sur la mer aussi bien que dépourvus de vaisseaux, que, dans lé récit de leur ancienne émigration d’Italie en Sicile, on affirmait qu’ils avaient traversé le détroit resserré sur des radeaux au moment d’un vent favorable[33].

Dans l’année même[34] qui suivit la fondation de Naxos, Corinthe commença son rôle dans la colonisation de l’île. Un corps de colons, sous l’œkiste Archias, aborda dans l’îlot d’Ortygia, plus au sud sur la côte orientale, chassa les Sikels qui l’occupaient, et posa la première pierre de la puissante Syracuse. Ortygia, d’une circonférence de deux milles anglais (= 3 kil. 200 m.), n’était séparée de file principale que par un étroit canal, sur lequel un pont fut jeté quand Gelôn occupa la ville et l’agrandit, dans la soixante-douzième Olympiade, sinon plus tôt. Elle ne formait qu’une petite partie, bien que cette partie fût la plus sûre et la mieux fortifiée, du vaste espace que couvrit la cité dans la suite. Mais elle suffit seule aux habitants pendant un temps considérable, et la ville actuelle, dans sa décadence moderne, est retournée à ces mêmes limites modestes. De plus, Ortygia offrait un autre avantage qui n’avait pas moins de valeur. Elle se trouvait en travers de l’entrée d’un port spacieux, auquel on arrivait par une embouchure étroite, et sa fontaine d’Aréthuse était mémorable dans l’antiquité, tant pour l’abondance que pour la bonté de son eau. Nous aurions été heureux d’apprendre quelque chose relativement au nombre, au caractère, à la position, à la naissance, etc., de ces émigrants primitifs, les fondateurs d’une cité comprenant dans la suite une vaste enceinte de murailles, qui, selon Strabon ; avait cent quatre-vingts stades, mais qui, d’après les observations modernes du colonel Leake, était de quatorze milles anglais[35], ou environ de cent vingt-deux stades (= 22 kil. 530 m.). On nous dit seulement qu’un grand nombre d’entre eux venaient du village corinthien de Tenea, et que l’un d’eux vendit à un compagnon de voyage son lot de terre en perspective, au prix d’un gâteau de miel. Le peu que nous apprenons sur les motifs déterminants[36] de la colonie se rapporte au caractère personnel de l’œkiste. Archias, fils d’Euagêtos, un des membres de la gens des Pacchiadæ dominant à Corinthe, dans les poursuites violentes d’une passion effrénée, avait causé, bien qu’involontairement, la mort d’un jeune homme libre nommé Aktæon : le père de celui-ci, Melissos, après avoir essayé en vain d’obtenir une réparation, se tua aux jeux Isthmiques, invoquant la vengeance de Poseidôn contre l’agresseur[37]. Les effets destructifs de cette malédiction paternelle furent tels, qu’Archias fut contraint de s’expatrier. Les Bacchiadæ le mirent à la tête des émigrants qui partaient pour Ortygia, en 734 avant J.-C. Probablement, à cette époque, c’était une sentence de bannissement à laquelle aucun homme d’une position supérieure ne se soumettait, à moins qu’il n’y fût forcé par la nécessité.

Il y avait encore place pour de nouveaux établissements entre Naxos et Syracuse, et Theoklês, l’œkiste de Naxos, se trouva en état d’occuper une partie de cet espace cinq ans seulement après la fondation de Syracuse ; peut-être a-t-il été rejoint par de nouveaux colons. Il attaqua les Sikels[38] et les chassa de l’endroit fertile appelé Leontini, vraisemblablement à peu près à mi-chemin sur la côte orientale, entre le mont Ætna et Syracuse ; et aussi de Katana, — immédiatement adjacente au mont Ætna, qui conserve encore son nom et son importance. Deux nouvelles colonies chalkidiennes furent ainsi fondées, — Theoklês lui-même, devenant œkiste de Leontini, et Euarchos, choisi par les colons katanæens eux-mêmes, de Katana.

La cité de Megara ne resta pas en arrière de Corinthe et de Chalkis pour fournir des émigrants à la Sicile. Lamis le Mégarien, étant alors arrivé avec un corps de colons, prit possession d’abord d’un nouvel endroit appelé Trotilos, mais plus tard se joignit au récent établissement chalkidien à Leontini. Toutefois, les deux troupes de colons ne vivant point en bonne intelligence, Lamis, avec ses compagnons, fut bientôt chassé ; il occupa alors Thapsos[39], à une petite distance au nord d’Ortygia ou Syracuse, et mourut peu après. Ses compagnons firent alliance avec Hyblôn, roi d’une tribu voisine des Sikels, qui les invita à s’établir dans son territoire. Ils acceptèrent la proposition, abandonnèrent Thapsos, et fondèrent, conjointement avec Hyblôn, la cité appelée l’hyblæenne Megara, entre Leontini et Syracuse. Cet incident est d’autant plus digne de remarque, que c’est un des exemples que nous trouvons d’une colonie grecque commençant par une fusion amicale avec les habitants préexistants. Thucydide semble croire que le prince Hyblôn avait livré aux Grecs, par trahison, ses sujets, contre leur volonté[40].

C’était ainsi que, pendant l’espace de cinq ans, plusieurs corps distincts d’émigrants grecs s’étaient rapidement succédé en Sicile. Pendant les quarante années suivantes, nous n’entendons parler d’aucune nouvelle arrivée ; ce qui est d’autant plus facile à comprendre, qu’il y eut pendant cet intervalle, sur la côte d’Italie, plusieurs fondations considérables, qui probablement enlevèrent les colons grecs disponibles. Enfin, quarante-cinq ans après la fondation de Syracuse, arriva un nouveau corps de colons, en partie de Rhodes sous Antiphèmos, en partie de Krête sous Eutimos. Ils fondèrent la cité de Gela sur la face sud-ouest de l’île, entre le cap Pachynos et Lilybæon (690 av. J.-C.), — encore sur le territoire des Sikels, bien que s’étendant à la fin jusqu’à une partie de celui des Sikanes[41]. La cité reçut le nom du fleuve voisin Gela.

Il nous reste à mentionner une autre émigration nouvelle de Grèce en Sicile, bien que nous ne puissions lui assigner une date exacte. La ville de Zanklê (aujourd’hui Messine), sur le détroit qui sépare la Sicile de l’Italie, fut occupée d’abord par certains corsaires ou pirates de Cumæ, — la situation étant éminemment convenable pour leurs opérations. Mais le succès des autres établissements chalkidiens donna à ce nid de pirates un caractère plus grand et plus honorable. Un corps de nouveaux colons les rejoignit, venant de Chalkis et d’autres villes d’Eubœa, la terre fut régulièrement divisée, et deux œkistes réunis furent chargés de donner à la ville les qualités requises pour être membres de la communion hellénique, — Periêrês de Chalkis, et Kratæmenês de Cumæ. Le nom de Zanklê avait été donné par les premiers Sikels qui occupaient la place, nom signifiant dans leur langage une faucille ; mais il fut changé plus tard en Messênê par Anaxilas, despote de Rhegium, qui, lorsqu’il s’empara de la ville, introduisit de nouveaux habitants d’une manière qui sera signalée ci-après[42].

Outre ces émigrations directes venues de Grèce, les colonies helléniques en Sicile devinrent elles-mêmes les fondatrices de sous colonies. C’est ainsi que les Syracusains, soixante-dix ans après leur propre établissement (664 av. J.-C.), fondèrent Akræ, Kasmenæ, vingt ans plus tard (644 av. J.-C.), et Kamarina ; quarante-cinq ans après Kasmenæ (599 av. J.-C.) : Daskôn et Menekôlos furent les œkistes de la dernière, qui devint, avec la suite des temps, une ville indépendante et considérable, tandis qu’Akræ et Kasmenæ semblent être restées sujettes de Syracuse. Kamarina était sur le côté sud-ouest de file, formant la frontière du territoire syracusain vers Gela. Kallipolis fut établie par Naxos, et Eubœa (ville portant ce nom) par Leontini[43].

Jusqu’à ce moment les Grecs avaient colonisé uniquement sur le territoire des Sikels. Mais les trois villes qui restent à mentionner furent toutes fondées sur celui des Sikanes[44], — Agrigentum ou Akragas, — Sélinonte — et Himera. Les deux premières étaient toutes deux sur la côte sud-ouest, — Agrigentum confinant avec Gela d’un côté et avec Sélinonte de l’autre. Himera était située sur la portion occidentale de la côte septentrionale — le seul établissement hellénique, du temps de Thucydide, que présentât cette longue ligne de côtes. Les habitants de l’hyblæenne Megara furent fondateurs de Sélinonte, vers 630 avant J.-C., un siècle après leur propre établissement. L’œkiste Pamillos, suivant l’usage hellénique habituel, fut appelé de leur métropole Megara en Grèce propre, mais on ne nous dit pas combien de’ colons nouveaux vinrent avec lui : le langage de Thucydide nous amène à supposer que la nouvelle ville fut peuplée surtout par les Mégariens Hyblæens eux-mêmes. La ville d’Akragas ou d’Agrigente, appelée d’après le fleuve voisin portant le premier nom, fut fondée par Gela en 582 avant J.-C. Ses œkistes furent Aristonoos et Pystilos, et elle reçut les statuts et le caractère religieux de Gela. Himera, d’autre part, fut fondée par Zanklè, sous trois œkistes, Eukleidês, Simos et Sakôn. La majeure partie de ses habitants était de race chalkidienne, et son caractère légal ainsi que son caractère religieux était chalkidien. Mais une portion des exilés se composait d’exilés syracusains, appelés Mylètidæ, qui avaient été chassés de leur patrie par une sédition, de sorte que le dialecte himéræen était un mélange de dôrien et de chalkidien. Himera était située non loin des villes des Elymi, — Eryx et Egesta.

Tels furent les principaux établissements fondés par les Grecs en Sicile pendant les deux siècles qui suivirent leur premier établissement en 735 avant J.-C. Le petit nombre de détails que nous venons de présenter a leur sujet sont dignes de toute confiance — car ils nous viennent de Thucydide ; mais par malheur ils sont trop peu nombreux pour satisfaire le moins du mondé notre curiosité. On ne peut douter que ces deux premiers siècles n’aient été des périodes de prospérité et de progrès constants chez les Grecs siciliens, périodes que ne troublaient pas ces distractions et ces calamités qui survinrent dans la suite, et d’où résulta en effet l’agrandissement considérable de quelques-unes de leurs communautés, mais aussi la ruine de plusieurs autres. De plus, il semble que les Carthaginois en. Sicile ne les inquiétèrent pas avant l’époque de Gelôn. Leur position en effet paraîtra singulièrement avantageuse, si nous considérons la fertilité extraordinaire du sol dans cette belle île, surtout près de la mer, — sa propriété à produire du blé, du vin et de l’huile, espèces de culture auxquelles le laboureur grec :avait été accoutumé dans des circonstances moins favorables, — les abondantes poissonneries sur la côte, si importantes dans le régime grec, et qui ont continué sans diminution même jusqu’au temps actuel, — avec les moutons, le bétail, les peaux, la laine, et le bois venant de la population indigène de l’intérieur. Ces indigènes semblent avoir eu des habitudes pastorales grossières, étant dispersés soit dans de petits villages situés sur des collines, soit dans des cavernes creusées dans le roc, comme les habitants primitifs des îles Baléares et de la Sardaigne, de sorte que la Sicile, comme la Nouvelle-Zélande dans notre siècle, voyait alors pour la première fois une industrie et un labourage organisés[45]. Leurs progrès durant cet intervalle le plus prospère — entre la fondation de Naxos en 735 av. J.-C. jusqu’au règne de Gelôn à Syracuse en 485 av. J.-C. — ne sont pas à comparer, bien que considérables, à ceux des colonies anglaises en Amérique ; mais ils furent néanmoins très grands, et ils paraissent encore plus granas parce qu’ils étaient concentrés dans un petit nombre de cités et à l’entour d’elles. Il était rare de voir des individus se répandre et résider séparément : cela ne s’accordait non plus ni avec la sécurité ni avec les sentiments sociaux d’un colon grec. La cité à laquelle il appartenait était le point central de son existence : c’est là qu’il apportait au logis, pour les amasser ou les vendre, les produits qu’il faisait venir ; c’est là seulement que se passait sa vie active, politique, domestique, religieuse, récréative, etc. Il y avait dans tout le territoire de la cité de petites places fortifiées et des garnisons dispersées[46], servant de protection temporaire aux cultivateurs en cas d’invasion soudaine ; mais il n’y avait pas de résidence permanente pour le citoyen libre, si ce n’est la ville elle-même. C’était, peut-être, même encore lé cas dans un établissement colonial, où tout commençait et se répandait en partant d’un point central, plutôt qu’en Attique, où les villages séparés avaient jadis nourri une population indépendante sous le rapport politique. C’était conséquemment dans la ville que se concentrait d’une manière palpable le progrès collectif de la colonie, — propriétés aussi bien que population, -bien-être et luxe privés non moins que force et grandeur publiques. Ce développement et ce progrès étaient naturellement soutenus par la culture du territoire, mais les preuves en étaient plus manifestes dans la ville. La population considérable que nous aurons occasion de mentionner comme appartenant à Agrigente, à Sybaris et à d’autres cités, servira à éclairer cette assertion.

Il y a un autre point de quelque importance à mentionner au sujet des cités italiennes et siciliennes. La population de la ville elle-même peut avoir été grecque, en grande partie, sinon complètement ; mais la population -du territoire appartenant à la ville, ou celle des villages dépendants qui le couvraient, doit avoir été dans une grande mesure composée de Sikels ou de Sikanes. On en trouve la preuve dans une circonstance commune à tous les- Grecs siciliens et italiens, — la particularité de leur système de poids, de mesures et de monnaies, et de leur langage. La livre et Fonce sont des divisions et des dénominations appartenant entièrement à l’Italie et à la Sicile, et inconnues primitivement aux Grecs, dont l’échelle consistait en obole, drachme, mine et talent. Chez les Grecs aussi le métal employé d’abord et le plus communément pour les monnaies était l’argent, tandis qu’en Italie et en Sicile le cuivre fut le métal dont on fit usage primitivement. Or, chez tous les Grecs italiens et siciliens, il naquit une échelle de poids et de monnaies tout à fait différente de celle des Grecs dans leur propre pays, et qui était formée par la combinaison et l’ajustement de l’un de ces systèmes avec l’autre. C’est une question sous bien des points complexe et difficile à comprendre, mais en définitive le système indigène semble être prédominant, et le système grec subordonné[47]. Une telle conséquence n’aurait pu s’ensuivre, si les colons grecs en Italie et en Sicile s’étaient tenus à part comme communautés, et avaient simplement fait du commerce et des échanges avec des communautés de Sikels. Ceci implique une fusion des deux races dans le même tout, bien que sans doute avec le rapport de supérieurs et de sujets, et non avec celui d’égaux. Les Grecs, en arrivant dans file, chassèrent les indigènes de la ville, peut-être aussi des terres qui l’entouraient immédiatement. Mais quand ils étendirent graduellement leur territoire, ils le firent probablement, non pas en chassant, mais en subjuguant ces tribus de Sikels, dont ils touchaient successivement dans leurs agressions les villes très subdivisées et petites individuellement.

A l’époque où Theoklês aborda à la colline près de Naxos, et Archias clans l’îlot d’Ortygia, et où chacun d’eux chassa les Sikels de cet endroit particulier, il y avait des villages ou de petites communautés de Sikels répandus dans tout le pays environnant. Par les empiétements graduels de la colonie, quelques-uns de ces villages pouvaient être dépossédés et chassés hors des plaines voisines de la côte dans les régions plus montagneuses de l’intérieur. Mais un grand nombre d’entre eux sans doute trouvèrent convenable de se soumettre, de céder une portion de leurs terres, et de tenir le reste comme villageois subordonnés d’une communauté municipale hellénique[48]. Nous trouvons même à l’époque de l’invasion athénienne (414 av. J.-C.) des villages existant avec une identité distincte comme Sikels, et cependant sujets et tributaires de Syracuse.

De plus, l’influence qu’exerçaient les Grecs, bien que clans le principe elle frit obtenue par la force, finit aussi en partie par agir par elle-même ; — c’était l’ascendant d’une civilisation plus élevée sur une civilisation inférieure. C’était l’action d’habitants concentrés dans des villes, jouissant de la sécurité entre eux grâce à leurs murailles et à une mutuelle confiance, et entourés de plus ou de moins d’ornements, publics aussi bien que privés, — sur des villageois dispersés, sans protection, sans arts, qui ne pouvaient être insensibles au charme de cette intelligence, de cette imagination, de cette organisation supérieures ; dont l’empire était si puissant sur tout le monde contemporain. Pour comprendre l’influence de ces immigrants supérieurs sur les Sikels indigènes, mais inférieurs, pendant ces trois premiers siècles (730-430 av. J.-C.) qui suivirent l’arrivée d’Archias et de Theoklês, nous n’avons qu’à étudier la continuation de la même action pendant les trais siècles suivants qui précédèrent celui de Cicéron. A l’époque où Athènes entreprit le siège de Syracuse (415 av. J.-C.) l’intérieur de file était occupé par des communautés de Sikels et de Sikanes, autonomes et conservant leurs coutumes et leur langage indigènes[49]. Mais du temps de Verrès et de Cicéron (trois siècles et demi plus tard) l’intérieur de file, aussi bien que les régions maritimes, avait fini par être hellénisé : les villes de l’intérieur n’étaient guère moins grecques que celles de la côte. Cicéron oppose favorablement le caractère des Siciliens à celui des Grecs en général (i. e. des Grecs hors de Sicile), mais il ne distingue nulle part les Grecs en Sicile d’avec les Sikels indigènes[50] ; ni Enna ni Centuripi d’avec Katana et Agrigente. Les petits villages des Sikels devinrent graduellement à demi hellénisés et se transformèrent en sujets de villes grecques ; pendant les trois premiers siècles, ce changement s’opéra dans les régions de la côte ; — pendant les trois siècles suivants, dans les régions de l’intérieur ; et probablement avec une rapidité et un effet plus grands dans la première période, non seulement parce que l’action des communautés grecques était alors plus rapprochée, plus concentrée et plus violente, mais aussi parce que les tribus obstinées pouvaient alors se retirer dans l’intérieur.

Ainsi l’on ne doit pas considérer les Grecs en Sicile comme purement grecs, mais comme modifiés par un mélange de langage, de coutumes et de caractère empruntés des Sikels et des Sikanes. Chaque ville comprenait dans sa population non privilégiée un nombre de Sikels (ou de Sikanes, suivant le cas) à demi hellénisés, qui, bien que dans un état de dépendance, contribuaient à mélanger la race et à influer sur la masse entière. Nous n’avons pas de raison pour supposer que le langage sikel ou œnotrien ait jamais été écrit, comme le latin, l’osque ou l’ombrien[51]. Les inscriptions de Segesta et d’Halesos sont toutes en grec dôrien, qui se substitua à la langue indigène dans ce qui concernait les choses publiques comme langage séparé, mais non sans se modifier lui-même au contact. En suivant la succession toujours renouvelée de violents changements politiques, l’aptitude inférieure à avoir un gouvernement populaire, pacifique et régulier, et la licence voluptueuse plus effrénée que montrent les Grecs siciliens et italiens[52] en tant que comparés à Athènes et aux cités de la Grèce propre, — nous devons nous rappeler que nous n’avons pas affaire à un hellénisme pur, et que l’élément indigène, bien qu’il n’entravât pas l’activité ni les progrès de la richesse, empêchait le colon grec de prendre une part complète à cette organisation améliorée que nous reconnaissons si distinctement dans Athènes à partir de Solôn. Le caractère de leur littérature et de leur poésie montre combien le goût, les habitudes, les idées, la religion et les mythes locaux des Sikels indigènes passèrent dans les esprits des Grecs sikeliotes ou siciliens. La Sicile fut le berceau de cette gaieté rustique et de cette bouffonnerie villageoise qui donnèrent naissance à la comédie primitive, — devenue politique et changée à Athènes, de manière à convenir aux gens du marché, de l’ekklêsia, du dikasterion, alliant, dans les comédies du Syracusain Epicharme, d’abondants détails sur les plaisirs de la table (pour lesquels les anciens Siciliens étaient renommés) à la philosophie de Pythagoras et à des maximes morales, — mais donnée avec toute la simplicité nue de la vie commune, dans une sorte de prose rythmique, sans même subir la gêne d’un mètre fixe, par le Syracusain Sophron dans ses mimes aujourd’hui perdus, et plus tard polie aussi bien qu’idéalisée dans la poésie bucolique de Théocrite[53]. Ce qui est communément appelé la comédie dôrienne était, en grande partie au moins, la comédie sikel, empruntée par des compositeurs dôriens, — la race et le dialecte dôriens prédominant en Sicile d’une manière prononcée. Les moeurs représentées ainsi appartenaient à cette veine grossière de gaieté qui était commune aux Grecs dôriens de la ville et aux Sikels à demi hellénisés des villages circonvoisins. En outre, il semble probable que cette population rustique permit aux despotes des villes gréco-siciliennes de former aisément et à peu de frais ces corps de troupe mercenaires qui soutenaient leur pouvoir[54], et dont la présence rendait la continuité du gouvernement populaire, même en supposant qu’il eût commencé, presque impossible.

Ce fut la destinée de la plupart des établissements coloniaux grecs de périr par suite du développement et des agressions de ces puissances de l’intérieur dont ils avaient occupé les côtes ; puissances qui, grâce au voisinage des Grecs, acquirent une organisation militaire et politique, et un pouvoir d’action concentrée, tels qu’elles n’en avaient pas possédé de pareils dans l’origine. Mais, en Sicile, les Sikels n’étaient pas assez nombreux même pour conserver d’une manière permanente leur propre nationalité, et ils finirent par être pénétrés de tous les côtés par l’ascendant et les coutumes helléniques. Nous arriverons néanmoins à une remarquable tentative, faite par un prince sikel indigène, dans la 82e Olympiade (455 av. J.-C.), — l’entreprenant Duketius, — pour réunir un grand nombre de petits villages sikels et en former une seule ville considérable, et élever ainsi ses compatriotes jusqu’au niveau de la politique et de l’organisation grecques. S’il y avait eu un prince sikel quelconque doué de ces idées supérieures à l’époque où les Grecs s’établirent pour la première fois en Sicile, l’histoire subséquente de file aurait probablement été très différente. Mais les projets de Duketius étaient nés du spectacle que lui offraient les villes grecques qui l’entouraient, et ces dernières avaient acquis un pouvoir bien trop grand pour lui permettre de réussir. Toutefois la description de la tentative avortée, que nous trouvons dans Diodore[55], quelque maigre qu’elle soit, forme un point intéressant dans l’histoire de file.

La colonisation grecque en Italie commença presque en même temps qu’en Sicile, et fut marquée par les mêmes circonstances générales. Nous plaçant à Rhegium (aujourd’hui Reggio) sur le détroit de Sicile, nous reconnaissons des cités grecques établies par degrés sur divers points de la côte jusqu’à Cumæ sur l’une des deux mers et jusqu’à Tarente (Taranto) sur l’autre. Entre les deux mers s’étend la haute chaîne des Apennins, calcaire dans la partie supérieure de son cours, dans l’Italie moyenne, — granitique et schisteuse dans la partie inférieure, où elle traverse les territoires appelés aujourd’hui la Calabre citérieure et la Calabre ultérieure. Les plaines et les vallées de chaque côté des Apennins calabrais présentent une végétation luxuriante, vantée par tous les observateurs, et surpassant même celle de la Sicile[56] ; et, quelque grandes que soient aujourd’hui les propriétés productives de ce territoire, il y a tout lieu de croire qu’elles doivent avoir été beaucoup plus grandes dans les temps anciens. Car il a été éprouvé par des tremblements de terre répétés, dont chacun a laissé des traces calamiteuses de dévastation. Ceux de 1638 et de 1783 — particulièrement le dernier, dont les effets destructifs furent ruineux sur une échelle effrayante tant pour la vie que pour les biens[57] —, sont d’une date assez récente pour permettre de constater et de mesurer le dommage fait par chacun d’eux, et ce dommage, dans maintes parties de la côte sud-ouest, était grand et irréparable. Aussi, quelque animées que soient les épithètes avec lesquelles le voyageur moderne dépeint la fertilité actuelle de la Calabre, nous sommes autorisés à étendre leur signification quand nous concevons la contrée telle qu’elle était entre 720 et 320 avant J.-C., période de l’occupation et de l’indépendance grecques ; tandis que l’air malsain qui, aujourd’hui, désole les plaines en général, semble alors n’avoir été senti que dans une étendue limitée et dans des localités particulières. Les fondateurs de Tarente, de Sybaris, de Krotôn, de Lokri et de Rhegium s’établirent dans des situations pleines d’espérances incomparables pour le cultivateur industrieux, et dont les habitants antérieurs avaient tiré peu de profit ; bien que, depuis l’assujettissement des cités grecqués, ces possessions, jadis si riches, soient tombées dans la pauvreté et le dépeuplement, surtout pendant les trois derniers siècles, par suite de l’insalubrité, de l’indolence, d’une mauvaise administration et de la crainte des corsaires barbaresques.

Les Œnotriens, les Sikels ou Italiens, qui possédaient ces territoires en 720 avant J.-C., semblent avoir été de petites communautés grossières, se procurant la sécurité eu résidant sur des éminences élevées — plus pastorales qu’agricoles, et dont quelques-unes consommaient le produit de leurs champs dans un repas commun, sur un principe analogue aux Syssitia de Sparte ou de Krête. Le roi Italus introduisit, dit-on, cette particularité[58] dans la portion la plus méridionale de la population œnotrienne, et en même temps il lui donna le nom d’Italiens, bien qu’elle fût connue aussi sous le nom de Sikels. Dans tout le centre de la Calabre, entre les deux mers, la chaîne élevée des Apennins assurait une protection dans une certaine mesure tant à leur indépendance qu’à leurs habitudes pastorales. Mais ces hauteurs sont faites pour qu’on en jouisse conjointement avec les plaines situées à leur pied, de manière à alterner l’été et l’hiver le pâturage pour le bétail. C’est de cette manière que la richesse de la contrée est rendue profitable, puisqu’une grande partie de la chaîne est ensevelie sous la neige pendant les mois d’hiver. Une diversité si remarquable de sol et de climat rendait la Calabre une terre de promission pour une colonie grecque. Les plaines et les éminences plus basses étaient aussi fertiles en blé, en vin, en huile et en lin, que les montagnes l’étaient en pâturages d’été et en bois de construction, — et il tombe sur les terrains plus élevés une pluie abondante, qui ne demande que du travail et du soin pour qu’elle arrive à donner aux terrains plus bas leur maximum de fertilité. De plus, une longue ligne de côtes maritimes (bien que peu garnie de ports) et une grande quantité de poissons venaient s’ajouter aux avantages du sol. Tandis que les hommes libres plus pauvres des cités grecques étaient à même d’obtenir dans. le voisinage de petits lots de terre fertile, pour les cultiver de leurs propres mains, et de se procurer la plus grande partie de leur nourriture et de leurs vêtements, — les propriétaires plus riches tiraient un bon profit des portions plus éloignées du territoire au moyen de leur bétail, de leurs moutons et de leurs esclaves.

Des villes grecques situées sur cette côte favorisée, les plus anciennes aussi bien que les plus prospères étaient Sybaris et Krotôn, toutes deux sur le golfe de Tarente, — toutes deux d’origine achæenne, — et confinant l’une à l’autre, sous le rapport du territoire. Krotôn était située non loin, à l’ouest de l’extrémité sud-est du golfe, appelée dans les anciens temps le cap Lakinien, et rendue célèbre par le temple de Hêrê Lakinienne, qui fut également vénéré et orné par le Grec établi dans l’île aussi bien que par le navigateur passager. Une seule et unique colonne du temple, l’humble reste de la magnificence passée, marque encore l’extrémité de ce promontoire jadis célèbre. Sybaris semble avoir été fondée dans l’année 720 avant J.-C., Krotôn en 710 avant J.-C. ; Iselikeus fut œkiste de la première[59], Myskellos, de la seconde. Cette considérable émigration achæenne semble avoir été rattachée à l’expulsion antérieure de la population achæenne de la région la plus méridionale du Péloponnèse par les Dôriens, bien que nous ne puissions voir de quelle manière précise. Les villes achæennes du Péloponnèse paraissent, dans les temps plus récents, trop peu importantes pour fournir des émigrants, mais probablement au huitième siècle avant J.-C., leur population peut avoir été plus considérable. La ville de Sybaris fut fondée entre deux rivières, le Sybaris et le Krathis[60] (le nom de cette dernière étant emprunté d’une rivière d’Achaïa) ; la ville de Krotôn à, une distance d’environ vingt-cinq milles (= 40 kilom.) sur la rivière Æsaros. Les premiers colons de Sybaris consistaient en partie en Trœzéniens, qui furent cependant chassés dans la suite par les Achæens plus nombreux ; — acte de violence qui, ainsi que l’explique le sentiment religieux d’Antiochus et de quelques autres historiens grecs, attira sur eus la colère des dieux, manifestée par la destruction définitive de la cité par les Krotoniates[61].

La lutte fatale entre ces deux villes, qui se termina par la ruine de Sybaris, fut engagée en 510 avant J.-C., après que cette dernière avait existé pendant 210 ans avec une prospérité croissante. Pt la prospérité étonnante à. laquelle elles parvinrent toutes les deux est une preuve suffisante qui démontre que pendant la plus grande partie de cette période elles étaient restées au moins en paix, si elles n’étaient pas unies par une alliance_ et par une fraternité achæenne commune.. Par malheur, le fait général de leur grandeur, de leurs richesses et de leur puissance considérables est tout ce qu’il nous est permis de savoir. Les murs de Sybaris embrassaient un circuit de cinquante stades, ou près de six milles (= 9 kilom. 1/2 environ), tandis que ceux de Krotôn étaient même plus étendus, comprenant un peu moins de douze milles[62] (= 19 kilom.). Une vaste enceinte entourée de murs était avantageuse pour donner abri aux biens meubles du territoire environnant, qui y étaient transportés à l’arrivée d’un envahisseur. Les deus villes possédaient un empire étendu dans la largeur de la péninsule de la Calabre, d’une mer à l’autre. Mais les possessions territoriales de Sybaris semblent avoir été plus grandes et ses colonies plus spacieuses et plus éloignées, — fait qui peut expliquer le circuit plus petit de la ville.

Les Sybarites fondèrent Laos et Skidros, sur la mer Méditerranée dans le golfe de Policastro, et même Poseidônia, plus éloignée, — connue aujourd’hui par son nom latin de Pæstum, aussi bien que par les temples qui restent encore pour orner sa place déserte. Ils possédaient vingt-cinq villes dépendantes, et régnaient sur quatre tribus ou nations indigènes distinctes. On ne nous dit pas quelles étaient ces nations[63] ; mais c’étaient probablement différentes sections du nom œnotrien. Les Krotoniates aussi s’étendaient en travers du pays jusqu’à la Méditerranée et fondèrent (sur le golfe appelé aujourd’hui Sainte-Euphemia) la ville de Terina, et vraisemblablement. aussi celle de Lametini[64]. Les habitants de Lokres Épizéphyrienne, qui était située dans la partie plus méridionale de la Calabre ultérieure, près de la ville voisine de Gerace, s’étendaient de la même manière en travers de la péninsule. Ils fondèrent sur la côte de la Méditerranée les villes d’Hippôllium, de Medma et de Mataurum[65], aussi bien que Melæ et Itoneia, dans des localités qui ne sont pas aujourd’hui exactement reconnues.

Myskellos de Rhypes en Achaïa, qui fonda Krotôn sur l’indication expresse de l’oracle de Delphes, jugea, dit-on, (710 avant J.-C.), l’emplacement de Sybaris préférable, et sollicita de l’oracle la permission d’y établir sa colonie ; mais il reçut l’avis d’obéir strictement aux ordres qui lui avaient été donnés d’abord[66]. On affirme de plus que la fondation de Krotôn fut aidée par Archias, qui passait alors le long de la côte avec ses colons en destination pour Syracuse, et qui est aussi également rattaché à la fondation de Lokres ; mais ni l’une ni l’autre de ces assertions ne semblent admissibles sous le rapport chronologique.

La Lokres italienne (appelée Épizéphyrienne, à cause du voisinage du cap Zephyrium) fut fondée dans l’année 683 avant J.-C. par des colons venus de chez les Lokriens, — soit des Lokriens Ozoles clans le golfe de Krissa, soit de ceux d’Oponte sur le détroit eubœen. Ce point était contesté même dans l’antiquité, et peut-être les uns et les autres y ont-ils contribué : Euanthos fut l’œkiste de la ville[67]. Les premières années de Lokres Épizéphyrienne furent, dit-on, des années de sédition et de discorde. Et le caractère vil que nous trouvons attribué aux colons primitifs, aussi bien que leur conduite perfide avec les indigènes, est d’autant plus à signaler que les Lokriens, à l’époque et d’Aristote et de Polybe, ajoutaient une foi entière à ces assertions relatives à leurs propres ancêtres.

Les premiers émigrants qui vinrent à Lokres étaient, selon Aristote, un corps d’esclaves fugitifs, de voleurs d’hommes et d’adultères, qui n’avaient de connexion légitime avec une racine hellénique honorable que par un certain nombre de femmes lokriennes de bonne naissance qui les accompagnaient. Ces femmes appartenaient à ces familles d’élite appelées les Cent Maisons, qui constituaient ce qu’on peut appeler la noblesse des Lokriens dans la Grèce propre, et leurs descendants continuèrent à jouir d’un certain rang et d’une certaine prééminence dans la colonie, même du temps de Polybe. L’émigration fut occasionnée, dit-on, par des relations immorales entre ces femmes lokriennes nobles et leurs esclaves, — peut-être par des mariages avec des femmes de rang inférieur là où il n’y avait pas eu de connubium reconnu[68] ; fait rapporté, par ceux de qui l’apprit Aristote, à la longue durée de la première guerre messênienne, — les guerriers lokriens étant pour la plupart restés clans le territoire messênien comme auxiliaires des Spartiates pendant les vingt années de cette guerre[69], ne se permettant que de rares et courtes visites à leurs foyers. C’est une histoire qui ressemble à celle que nous trouvons dans l’explication de la colonie de Tarente. Elle nous arrive trop imparfaitement pour permettre une critique ou une vérification ; mais le caractère peu aimable des premiers émigrants est un renseignement qui mérite créance, et il est très peu vraisemblable qu’il ait été inventé. Leurs premiers actes en s’établissant en Italie montrent une perfidie qui est d’accord avec le caractère qu’on leur attribue. Ils trouvèrent le territoire dans cette portion méridionale de la péninsule de Calabre possédé par des Sikels indigènes, qui, alarmés à la vue de leur force et redoutant de tenter les hasards d’une résistance, consentirent à les admettre à un partage et à une résidence commune. Le pacte fut conclu et juré par les deux parties dans les termes suivants : Il y aura amitié entre nous, et nous jouirons du pays en commun, aussi longtemps que nous serons sur cette terre et que nous aurons des têtes sur nos épaules. Au moment où on recevait le serment, les Lokriens avaient mis de la terre dans leurs souliers et avaient des têtes (gousses) d’ail sur leurs épaules ; de sorte que, quand ils se furent débarrassés de ces accessoires, ce serment fut considéré comme n’étant plus obligatoire. Profitant de la première occasion favorable, ils attaquèrent les Sikels par surprise et les chassèrent du territoire, dont ils acquirent ainsi la possession exclusive[70]. Leur premier établissement fut formé sur lit terre la plus avancée elle-même, le cap Zephyrium (aujourd’hui Bruzzano). Mais après trois ou quatre ans la situation de la ville fut portée sur une éminence dans la plaine voisine, et on dit que les Syracusains les y aidèrent[71].

En décrivant les colons grecs en Sicile, j’ai déjà dit qu’il faut les considérer comme Grecs ayant revu des Sikels indigènes une infusion considérable de sang, d’habitudes et de moeurs. Le cas est le même chez les Grecs italistes ou italiens, et par rapport à ces Lokriens Épizéphyriens particulièrement, nous le trouvons mentionné expressément par Polybe. Composée comme l’était leur bande d’hommes ignobles et vils, non liés ensemble. par les forts liens de tribu ou par des coutumes traditionnelles, ils étaient d’autant plus disposés à adopter de nouveaux usages, aussi bien religieux que civils[72], empruntés des Sikels. L’historien en signale un en particulier — la dignité religieuse appelée le Phialêphoros ou porte-encensoir, dont jouissait chez les Sikels indigènes un jeune homme de naissance noble, accomplissant dans leurs sacrifices les devoirs qui en dépendaient ; mais les Lokriens, tout en s’identifiant avec la cérémonie religieuse, et en adoptant à la fois et le nom et la dignité, changèrent le sexe et conférèrent la charge ‘à une de ces femmes de Sang noble qui étaient l’ornement de leur colonie. Même jusqu’à l’époque de Polybe, quelque jeune fille descendant de l’une de ces Cent Maisons d’élite continuait encore à porter le titre et à accomplir les devoirs de Phialêphoros dans les cérémonies. Ces renseignements nous apprennent quelle portion considérable de Sikels doit avoir fini par être incorporée comme dépendante dans la colonie des Lokriens Épizéphyriens, et combien le mélange de leurs habitudes avec celles des colons grecs fut fortement marqué ; tandis que le fait de faire remonter parmi eux toute grandeur de. race à un petit nombre de femmes émigrantes de noble naissance est une particularité appartenant exclusivement à leur cité.

Qu’un corps de colons formé d’éléments donnant si peu d’espérances soit tombé dans une licence et un désordre extrêmes, c’est ce qui n’est en aucune sorte surprenant ; mais ces méfaits paraissent être devenus dans les premières années de la colonie intolérables au point d’imposer à chacun la nécessité de quelque remède. Telle fut l’origine d’un phénomène nouveau dans la marche d’une société grecque, — la première promulgation de lois écrites. Les Lokriens Épizéphyriens, s’étant adressés à l’oracle de Delphes pour obtenir quelque conseil qui les soulageait dans leur détresse, reçurent l’ordre de faire des lois par eux-mêmes[73] ; et ils reçurent les lois d’un berger nommé Zaleukos, qui déclarait les avoir apprises de la déesse Athênê dans un songe. Ces lois, dit-on, furent écrites et promulguées en 664 avant J.-C. quarante ans avant celles de Drakôn à Athènes.

Nous pouvons être suffisamment assurés que ces premières de toutes les lois grecques écrites étaient simples et peu nombreuses[74] : elles semblent avoir ordonné l’application de la lex talionis, comme punition pour des injures personnelles. Par ce caractère général de ses lois, Zaleukos fut le pendant de Drakôn. Mais on connaissait relativement à lui si peu de chose de certain, on avançait tant de fausses assertions, que Timée l’historien alla jusqu’à mettre en question son existence réelle[75], — contre l’autorité non seulement d’Ephore, niais encore d’Aristote et de Théophraste. Cependant les lois doivent être restées pendant longtemps sans changement formel ; car telle était l’aversion, nous dit-on, des Lokriens pour toute loi nouvelle, que l’homme qui se hasardait à en proposer une paraissait en public avec une corde autour du cou, qui était immédiatement serrée s’il ne réussissait pas à convaincre l’assemblée de la nécessité de sa proposition[76]. Quant au gouvernement de Locres Épizéphyrienne, nous savons seulement que dans des temps plus récents-il comprenait un grand conseil de mille membres, et un principal magistrat exécutif appelé Kosmopolis ; on dit aussi qu’il était administré avec soin et rigueur.

La date de la ville de Rhegium (Reggio), séparée du territoire de Lokres Épizéphyrienne par le fleuve Halex, doit avoir été non seulement plus ancienne que Lokres, mais même que Sybaris, — si ce que dit Antiochos est exact, à savoir, que les colons furent rejoints par ces Messêniens, qui, avant la première guerre messênienne, désiraient faire réparation aux Spartiates de l’outrage qu’avaient subi les jeunes filles spartiates dans le temple d’Artemis Limnatis, mais qui furent accablés par leurs compatriotes et forcés de s’exiler. Cependant Pausanias donne une version différente de. cette émigration de Messêniens à Rhegium, admettant toutefois encore le fait de cette émigration à la fin de la première guerre messênienne, ce qui placerait la fondation de la cité plus tôt que 720 avant J.-C. — Bien que Rhegium fût une colonie chalkidienne, cependant une portion de ses habitants semble avoir été indubitablement d’origine messênienne, et de ce nombre était Anaxilas, despote de la ville entre 500 et 470 avant J.-C., qui faisait remonter sa lignée, à travers deux siècles, jusqu’à un émigrant messénien nommé Alkidamidas[77]. La célébrité et le pouvoir d’Anaxilas, précisément au moment où l’ancienne histoire des villes grecques commençait à être exposée en prose et d’une manière quelque peu systématique, firent que l’élément messênien dans la population de Rhegium fut mis plus en relief. Mais la ville était essentiellement chalkidienne, rattachée par une parenté coloniale aux établissements chalkidiens de Sicile, Zanklê, Naxos, Katana et Leontini. Les émigrants primitifs partirent de Chalkis, comme étant un dixième des citoyens consacrés à Apollon par un voeu à la suite d’une famine ; et les ordres du (lieu aussi bien que l’invitation des Zanklæens guidèrent leur course vers Rhegium. La ville fut florissante, et acquit un nombre considérable de villages dépendants alentour[78], habités sans cloute par des cultivateurs de la population indigène. Mais elle semble avoir été souvent en lutte avec les Lokriens limitrophes, et elle subit, conjointement avec les Tarentins, une sérieuse défaite, qui sera racontée ci-après.

Entre Lokres et le cap Lakinien étaient situées la colonie achæenne de Kaulônia et celle de Skyllêtium, la dernière vraisemblablement comprise dans le domaine de Krotôn, bien qu’elle prétendit avoir été fondée dans l’origine par Menestheus, le chef des Athéniens au siége de Troie ; Petilia, également, forteresse située sur une colline au nord-ouest du cap Lakinien, aussi bien que Makalla, toutes les deux comprises dans le territoire de Krotôn, avait été fondée, affirmait-on, par Philoktêtês. Le long de toute cette côte du golfe de Tarente il y avait divers établissements attribués aux héros de la guerre de Troie[79], — Epeios, Philoktêtês, Nestôr, — ou bien à leurs troupes lors de leur retour. Probablement ceux qui occupaient ces établissements avaient été des bandes d’aventuriers grecs, petites, mélangées, non avouées[80], qui se donnaient l’origine la plus honorable qu’ils pouvaient imaginer, et qui finirent par être absorbées plus tard dans les établissements coloniaux plus considérables qui suivirent ; ces derniers adoptant et s’appropriant le culte héroïque de Philoktêtês on d’autres guerriers de Troie, qu’avaient commencé les premiers émigrants.

Pendant les temps florissants de Sybaris et de Krotôn, il semble que ces deux grandes cités se partageaient toute la longueur de la côte du golfe de Tarente, depuis l’endroit appelé aujourd’hui Rocca Imperiale jusqu’au sud du cap Lakinien. Entre le point où se terminait la domination de Sybaris, sur le, côté tarentin et la ville de Tarente elle-même, il y avait deux colonies grecques considérables, — Siris, appelée dans la suite Hêrakleia, et Metapontium. La fertilité et l’attrait du territoire de Siris, avec ses deux rivières, Akiris et Siris, étaient bien connus même du poète Archiloque (660 av. J.-C.)[81] ; mais nous ne savons pas la date à laquelle elle passa des Chôniens ou Chaoniens indigènes dans Les mains de colons grecs. Un citoyen de Siris est mentionné parmi les prétendants qui se disputaient la fille du Sikyonien Kleisthenês (580-560 av. J.-C.). On nous dit que quelques fugitifs kolophoniens, émigrant pour échapper à la domination des rois lydiens, attaquèrent le lieu et s’en emparèrent, en lui donnant le nom de Polieion. Les Chôniens de Siris s’attribuaient une origine troyenne ; ils montraient une image en bois d’Athênê Ilienne, qui, affirmaient-ils, avait été rapportée par leurs ancêtres fugitifs après la prise de Troie. Lorsque les Ioniens donnèrent l’assaut à la ville, un grand nombre d’habitants se cramponnèrent à cette relique pour en obtenir protection ; mais ils en furent arrachés par les vainqueurs[82], qui les tuèrent ; sacrilège qui fut la cause, ainsi qu’on le supposa, du peu de durée de leur établissement. A l’époque de l’invasion de la Grèce par Xerxês, on considérait le fertile territoire de Siritis comme pouvant être colonisé ; car les Athéniens, quand leurs affaires paraissaient désespérées, avaient ce projet d’émigration en réserve comme une ressource possible[83], et il y eut des déclarations inspirées de la part de quelques-uns des prophètes contemporains, qui les encourageaient à cette entreprise. Enfin, après qu’Athènes eut fondé la ville de Thurii, dans le voisinage de Sybaris démantelée, les Thuriens essayèrent de se rendre maîtres du territoire de Siritis ; mais les Tarentins s’y opposèrent[84]. En vertu, du compromis fait entre eus ; la ville de Tarente fut reconnue comme la métropole de la colonie, mais une possession commune fut accordée et aux Tarentins et aux Thuriens. Les premiers transférèrent la cité, sous le nouveau nom d’Hêrakleia, clans un lieu situé à trois milles (= 4 kilom. 800 mèt.) de la mer, laissant Siris comme lieu qui permettait aux navires d’avoir communication avec elle[85].

A environ vingt-cinq milles (= 40kilom.) à l’est de Siris sur la côte du golfe Tarentin était située la ville grecque de Metapontium, qui, selon l’affirmation de quelques-uns, devait son origine à des compagnons pyliens de Nestôr, — selon d’autres, aux guerriers phokiens d’Epeios, à leur retour de Troie. Les preuves de la première assertion se montraient dans le culte des héros Nêlides, — les preuves de la seconde dans la conservation des outils, réputés identiques, à l’aide desquels Epeios avait construit le cheval troyen[86]. La ville de Metapontium fut établie sur le territoire des Chôniens ou Œnotriens ; mais la première colonie fut, dit-on, détruite par une attaque des Samnites[87], dont nous ignorons l’époque. Elle avait été fondée par quelques colons achæens — sous la conduite de l’œkiste Daulios, despote de la phokienne Krissa, et appelés par les habitants de Sybaris — qui craignaient que la place ne fut occupée par les Tarentins voisins, colons de Sparte et ennemis héréditaires dans le Péloponnèse de la race achæenne. Cependant, avant l’arrivée des nouveaux colons, il semble que les Tarentins s’étaient déjà approprié la place ; car l’Achæen Leukippos n’obtint d’eux la permission d’aborder que par une promesse trompeuse, et après tout eut à soutenir, tant avec eux qu’avec les Œnotriens voisins, une lutte violente, qui se termina par un partage de territoire. La fertilité du territoire métapontin n’était guère moins célèbre que celle du pays de Siritis[88].

Plus loin, à l’est de Metapontium, encore à la distance de vingt-cinq milles (= 40 kilom.) environ, était située la grande cité de Taras ou Tarente, colonie de Sparte fondée après la première guerre messênienne, vraisemblablement vers 707 avant J.-C. L’œkiste Phalanthos, qui était, dit-on, un Hêraklide, fut placé à la tête d’un corps d’émigrants spartiates — composé principalement de quelques citoyens appelés Epeunaktæ et des jeunes gens appelés Partheniæ qui avaient à cause de leur origine été notés d’infamie par leurs compatriotes, et étaient sur le point de se révolter. Ce fut à la suite de la guerre messênienne qu’eut lieu, dit-on, cette émigration, d’une manière analogue à celle que nous avons rapportée relativement aux Lokriens Epizéphyriens. Les Lacédæmoniens, avant d’entrer en Messênia pour continuer la guerre, s’étaient engagés par un voeu à ne pas revenir avant d’avoir achevé la conquête ; voeu auquel il semble que quelques-uns refusèrent de s’associer, se tenant complètement en dehors de l’expédition. Quand les soldats revinrent après bien des années d’absence passées à la guerre, ils trouvèrent une nombreuse progéniture qu’avaient mise au monde leurs épouses et leurs filles, par suite de leurs relations avec ceux (Epeunaktæ) qui étaient restés dans leur patrie. Les Epeunaktæ pour punition furent rabaissés au rang d’ilotes et réduits en servitude ; les enfants nés ainsi, appelés Partheniæ[89], furent aussi privés de tous les droits de citoyen, et tenus en déshonneur. Mais ceux qui étaient punis étaient assez nombreux pour se rendre formidables, et ils ourdirent entre eux un complot qui devait éclater à la grande fête religieuse des Hyakinthia, dans le temple d’Apollon Amyklæen. Phalanthos était le chef secret des conspirateurs, qui convinrent d’attaquer les autorités au moment où il mettrait son casque. Le chef, cependant, qui n’avait jamais eu la pensée que le projet fût exécuté, le trahit à l’avance, stipulant la vie de tous ceux qui y étaient impliqués. Au commencement de la fête, lorsque la multitude était déjà assemblée, on ordonna à un héraut de proclamer à haute voix que ce jour-là Phalanthos ne mettrait pas son casque — proclamation qui révéla aussitôt aux conspirateurs qu’ils étaient trahis. Quelques-uns d’entre eux cherchèrent leur salut dans la fuite, d’autres prirent la posture de suppliants ; mais ils furent seulement retenus en prison, avec l’assurance de la vie sauve, tandis que Phalanthos était envoyé à l’oracle de Delphes pour le consulter au sujet d’une émigration. Il demanda, dit-on, s’il pouvait être autorisé à s’approprier la fertile plaine de Sikyôn ; mais la Pythie l’en dissuada expressément, et lui enjoignit de conduire ses émigrants à Satyrium et à Tarente, où il serait un malheur pour les Iapygiens. Phalanthos obéit, et conduisit les conspirateurs découverts comme émigrants au golfe de Tarente[90], où il arriva peu d’années après la fondation de Sybaris et de Krotôn par les Achæens. Selon Éphore, il trouva ces premiers émigrants en guerre avec les indigènes, les secourut dans la lutte, et reçut en retour leur aide pour effectuer son propre établissement. Mais ceci ne peut guère avoir été compatible avec le récit d’Antiochus, qui représentait les Achæens de Sybaris comme conservant même dans leurs colonies la haine contre le nom dôrien qu’ils avaient contractée dans le Péloponnèse[91]. Antiochus disait que Phalanthos et ses colons avaient été reçus d’une manière amicale par les habitants indigènes et autorisés à établir tranquillement leur nouvelle ville.

Si le fait fut réellement ainsi, il prouve que les habitants indigènes du sol doivent avoir eu des habitudes purement d’intérieur, ne se servant de la mer ni pour le commerce ni pour la pêche : autrement, ils auraient difficilement abandonné une situation telle que celle de Tarente, — qui, tout en étant favorable et productive même eu égard à la terre adjacente, était, par rapport aux avantages maritimes, incomparable clans l’Italie grecque[92]. C’était le seul endroit du golfe qui possédait un port parfaitement sûr et convenable. Un spacieux bras de mer y est formé, abrité par un isthme et une péninsule avancée de manière à ne laisser qu’une contrée étroite. Ce bras de mer, connu encore comme il mare Piccolo bien que ses bords et la langue de terre adjacente paraissent avoir subi beaucoup de changements, fournit clans le temps actuel une quantité constante, inépuisable et variée. de poissons, spécialement de coquillages, qui donne et de la nourriture et de l’occupation à une proportion considérable des habitants de la modeste Tarente moderne, exactement comme elle remplissait jadis le même but pour la population nombreuse, animée et joyeuse de la puissante Tarente. La population concentrée des pêcheurs formait un élément prédominant dans le caractère de la démocratie tarentine[93]. Tarente était précisément sur les frontières de la contrée connue dans l’origine comme Italie, dans laquelle Hérodote la comprend, tandis qu’Antiochus la croit en Iapygie, et regarde Metapontium comme la dernière ville grecque en Italie.

Ses voisins immédiats étaient les Iapygiens, qui, avec diverses subdivisions de nom et de dialecte, semblent avoir occupé la plus grande partie au sud-est de l’Italie, comprenant : la péninsule nommée d’après eut (parfois cependant aussi appelée la péninsule Salentine), entre l’Adriatique et le golfe Tarentin, — et qui même, dit-on, occupèrent à une époque quelque territoire sur le sud-est de ce golfe, dans le voisinage de Krotôn. Le nom Iapygien semble avoir compris les Messapiens, les Salentins et les Kalabriens, selon quelques-uns même les Peukêtiens et les Dauniens, jusqu’au mont Garganos ou Drion, en suivant l’Adriatique : Skylax mentionne de son temps (vers 360 av. J.-C.) cinq différentes langues dans le pays qu’il appelle Iapygia[94]. On parle des Messapiens et des Salentins comme d’immigrants venus de Krête, parents des Krêtois Minoiens ou primitifs, et nous trouvons une généalogie nationale qui reconnaît Iapyx, fils de Dædalos, comme immigrant arrivé de Sicile. Mais le récit fait à Hérodote était, que les soldats krêtois qui avaient accompagné Minos dans son expédition entreprise pour défendre Dædalos à Kamikos en Sicile furent, dans leur retour vers leur patrie, poussés sur les côtes de l’Iapygia, et devinrent les fondateurs d’Hyria et d’autres villes messapiennes dans l’intérieur du pays[95]. La ville de Brundusium aussi, ou Brentesion, comme l’appelaient les Grecs[96], peu considérable du temps d’Hérodote, mais fameuse dans la suite, à l’époque romaine, comme le port de mer le plus fréquenté pour se rendre en Épire, était messapienne. Le langage indigène parlé par les Messapiens Iapygiens était une variété de l’osque : le poète latin Ennius, natif de Rudiæ dans la péninsule Iapygienne, parlait grec, latin et osque, et même faisait dériver sa généalogie de l’ancien prince national ou héros Messapus[97].

On nous dit que, pendant la vie de Phalanthos, les colons Tarentins gagnèrent sur les Messapiens et les Peukétiens des victoires qu’ils célébrèrent dans la suite par des offrandes votives à Delphes, — et qu’ils firent même des acquisitions aux dépens des habitants de Brundusium[98], — assertion difficile à croire, si nous songeons à la distance de cette dernière ville, et à cette circonstance, qu’Hérodote même à son époque ne la désigne que comme un port. On dit que Phalanthos aussi, forcé de s’exiler, trouva un accueil hospitalier à Brundusium et y mourut. Toutefois nous n’avons pas de détails sur l’histoire de Tarente pendant les deux cent trente premières années de son existence. Nous avons lieu de croire qu’elle participa à la prospérité générale des Grecs italiens pendant ces deux siècles, bien que restant inférieure et à Sybaris et à Krotôn. Vers l’an 510 avant J.-C., ces deux dernières républiques se firent la guerre et Sybaris fut presque détruite ; tandis que, dans le demi-siècle suivant, les Krotoniates essuyèrent la terrible défaite de Sagra de la part des Lokriens, et les Tarentins éprouvèrent une défaite également ruineuse de la part des Messapiens Iapygiens. Toutefois les Tarentins paraissent s’être relevés de ces revers plus complètement que les Krotoniates ; car ceux-là sont au premier rang parmi les Italiotes ou Grecs Italiens, et résistent mieux aux progrès des Lucaniens et des Bruttiens de l’intérieur.

Telles étaient les principales cités des Grecs italiens depuis Tarente sur la mer Supérieure jusqu’à Poseidônia sur la mer Inférieure ; et si nous les prenons pendant la période qui précède la ruine de Sybaris (en 510 av. J.-C.), nous verrons qu’elles ont joui d’un degré de prospérité surpassant même celle des Grecs siciliens. La domination de Sybaris, de Krotôn et de Lokres s’étendait en travers de la péninsule d’une mer à l’autre. Les régions montagneuses de l’intérieur de la Calabre avaient d’amicales relations avec les cités et les cultivateurs de la plaine et de la vallée voisines de la mer, — à l’avantage réciproque des unes et des autres. Les petites tribus indigènes d’Œnotriens, de Sikels ou d’Italiens, proprement appelées ainsi, étaient hellénisées en partie, et amenées à la condition de cultivateurs habitant les villages et de bergers dépendant de Sybaris et des cités ses pareilles ; une partie d’entre eux demeurant à la ville, probablement comme esclaves domestiques des hommes riches, mais pour la plupart restant dans la campagne en qualité de serfs, de penestae ou de colons, mêlés à des colons grecs, et payant -des portions de leurs produits à des propriétaires grecs.

Mais cette dépendance, bien qu’accomplie dans le principe par la force, ne fut cependant pas maintenue exclusivement par le même moyen. Ce fut dans une grande mesure le résultat d’une marche organisée d’existence, et d’une culture plus productive mise à leur portée, — de nouveaux besoins à la fois créés et satisfaits, — de temples, de fêtes, de navires, de murs, de chariots, etc., qui imposaient à l’imagination des laboureurs et des bergers grossiers. Contre la force seule les indigènes auraient pu trouver un abri dans les forêts et les ravins inexpugnables des Apennins de la Calabre, et dans cette vaste région montagneuse de la Sila, située immédiatement derrière les plaines de Sybaris, où même l’armée française avec son excellente organisation, en 1807, trouva tant de difficultés à atteindre les villageois bandits[99]. Ce ne fut pas par les armes seules, mais par les armes et les arts combinés, — influence mêlée, semblable à celle qui mit Rome impériale en état de réduire la fierté des Germains et des Bretons farouches, — que les Sybarites et les Krotoniates acquirent et conservèrent leur ascendant sur les indigènes de l’intérieur. Le berger des bords du Sybaris ou du Krathis non seulement trouvait une nouvelle valeur échangeable pour son bétail et d’autres produits, se familiarisant avec une meilleure manière de vivre et de se vêtir, et avec une culture améliorée de l’olivier et de la vigne, — mais il pouvait encore déployer sa vaillance, s’il était fort et brave, dans les jeux publics à la fête de Hêrê Lakinienne, ou même aux jeux Olympiques dans le Péloponnèse[100]. C’est ainsi que nous devons expliquer la domination étendue, la grande population, les richesses, et le luxe des Sybarites et des Krotoniates, population dont le chiffre tel qu’il est donné incidemment par les auteurs ne mérite pas croyance, mais qui, comme nous pouvons bien le croire, a été considérable. Les Œnotriens indigènes, bien qu’incapables de se coaliser pour résister à la force grecque, étaient en même temps moins largement séparés des Grecs, sous le rapport de la race et du langage, que les Osques de la moyenne Italie, et par conséquent plus accessibles aux influences pacifiques grecques ; tandis que la race osque semble à la fois avoir montré une ardeur plus farouche en repoussant les attaques des. Grecs, et avoir été plus intraitable quant à leurs séductions. Les Iapygiens ne frirent pas modifiés par le voisinage de Tarente au même degré que les tribus attenant à Sybaris et à Krotôn le furent par leur contact avec ces cités. Le dialecte de Tarente[101], aussi bien que celui d’Hêrakleia, bien qu’il fût un dialecte dôrien prononcé, admettait maintes particularités locales ; et les farces du poète tarentin Rhinthôn, comme celles du Syracusain Sophron, semblent avoir mêlé l’élément hellénique avec l’élément italique, sous le rapport de la langue aussi bien que du caractère.

Vers l’an 650 avant J.-C., époque de l’avènement de Pisistrate à Athènes, fin de ce que l’on peut appeler proprement la première période de l’histoire grecque, Sybaris et Krotôn étaient au maximum de leur pouvoir, que chacune d’elles conserva un demi-siècle après, jusqu’à la fatale dissension qui éclata entre elles. On nous dit que les Sybarites, dans cette lutte finale, marchèrent contre Krotôn avec une armée de trois cent mille hommes. Quelque fabuleux sans doute que soit ce nombre, nous ne pouvons douter que, pour une irruption de cette sorte dans un territoire adjacent, le corps considérable de leurs sujets indigènes à demi hellénisés n’ait été réuni en une armée prodigieuse. Le peu de renseignements qui nous sont parvenus relativement à eut ne parlent guère, par malheur, que de leur luxe, de leur fantasque indulgence pour eux-mêmes, et de leur indolence extravagante, qualités qui ont rendu leur nom proverbial dans les temps modernes aussi bien que clans les temps anciens. Il circulait des anecdotes expliquant ces qualités, et servant à plus d’une fin dans l’antiquité. Le philosophe les racontait pour décréditer et dénoncer le caractère qu’il donnait comme exemple ; tandis que, dans les joyeuses compagnies, les contés sybaritiques, n ou colites relatifs aux faits et dires d’anciens Sybarites, formaient une classe séparée et spéciale d’excellentes histoires bonnes à raconter simplement pour l’amusement[102], — en vue de quoi des romanciers ingénieux les multiplièrent indéfiniment. Il est probable que les philosophes pythagoriciens — qui appartenaient dans l’origine à Krotôn, mais qui se maintinrent d’une manière permanente comme secte philosophique en Italie et en Sicile, avec une forte teinte de mysticisme et d’ascétisme fastueux — en exhortant à la tempérance et en dénonçant des habitudes de luxe, pouvaient choisir de préférence des exemples de Sybaris, l’ancienne ennemie des Krotoniates, pour donner une pointe à leur morale, et que la réputation exagérée de la cité commença ainsi à devenir le sujet d’entretien commun d’une extrémité à l’autre du monde grec. Car on ne pouvait réellement connaître que peu de choses avec détail au sujet de Sybaris, puisque son humiliation date du premier commencement de l’histoire contemporaine grecque. Hécatée de Milêtos l’a peut-être visitée au moment où elle était dans toute sa splendeur ; mais Hérodote lui-même ne la connut que par des récits anciens ; et les principales anecdotes qui la concernent sont empruntées d’auteurs beaucoup plus récents que lui, qui se conforment au tonde pensée si commun clans l’antiquité, en attribuant la ruine des Sybarites à leur corruption et à leur luxe insolents[103].

Toutefois, en faisant la part de l’exagération dans tous ces récits, il n’y a pas lieu de douter que Sybaris, en 560 avant J.-C., ne fût une des cités les plus riches, les plus populeuses et les plus puissantes du nom hellénique, et qu’elle ne présentât aussi à la fois une abondance confortable dans la masse des citoyens, provenant de la grande facilité à se procurer de nouveaux lots de terre fertile, et des plaisirs excessifs auxquels se livraient les riches, — à un degré faisant contraste avec la Hellas propre, qui, ainsi que le disait Hérodote, avait la Pauvreté pour sœur de lait[104]. Nous avons déjà parlé de la fertilité extraordinaire du territoire voisin, — qui, comme l’alléguait Varron de son temps, où la culture doit avoir été fort inférieure à ce qu’elle avait été sous l’ancienne Sybaris, produisait une récolte ordinaire au centuple[105], et que vantent des voyageurs modernes même dans sa culture actuelle encore plus négligée. Le Krathis, — la rivière encore la plus considérable de cette région, — à une époque où il y avait une population industrieuse pour régler la marche de ses eaux, mettait les champs étendus de Sybaris en état de fournir une nourriture abondante à une population peut-être plus considérable que celle que toute autre cité grecque pouvait mettre en parallèle. Mais bien que la nature fût ainsi libérale, le travail, une bonne administration et un gouvernement bien ordonnés étaient nécessaires pour tirer parti de cette libéralité : là où ces conditions ne sont pas remplies, l’expérience plus récente à l’égard du même territoire prouve que ces qualités inépuisables peuvent exister en vain. Ce luxe, que des moralistes grecs dénonçaient dans les principaux Sybarites entre 560 et 510 avant J.-C., était le résultat d’acquisitions poussées avec vigueur et activité, et conservées par une force centrale régulière, pendant un siècle et demi que la colonie avait existé. Bien que les colons trœzéniens qui formaient une portion des émigrants primitifs eussent été chassés quand les Achæens devinrent plus nombreux, cependant on nous dit qu’en général Sybaris admettait libéralement de nouveaux immigrants au droit de cité[106], et que ce fut lit une des causes de son remarquable progrès. Parmi ces nouveaux venus nous pouvons supposer qu’un grand nombre arrivait pour former des colonies sur la mer Méditerranée, et quelques-uns pour s’établir tant parmi ses quatre nations dépendantes de l’intérieur que dans ses vingt-cinq villes sujettes. Cinq mille cavaliers, nous dit-on, dans un brillant attirail, formaient le cortège clans certaines fêtes sybaritiques, — nombre qui est d’autant mieux apprécié par la ; comparaison avec ce fait, que les écuyers ou cavaliers d’Athènes dans ses meilleurs jours ne dépassaient pas douze cents. Si nous devons ajouter foi à un récit qui prétend venir d’Aristote, on enseignait aux chevaux sybaritiques à se mouvoir au son de la flûte ; et les vêtements de ces riches citoyens étaient faits de la laine la plus fine de Miletôs en Iônia[107], — la laine tarentine n’ayant point acquis alors le renom distingué qu’elle possédait cinq siècles plus tard, vers la fin de la république romaine. Après la grande abondance des produits du pays, blé, vin, huile, lin, bétail, poisson, bois de construction, etc., — le fait le plus important que nous apprenions relativement à Sybaris, c’est le grand trafic qu’elle faisait avec Milêtos : ces deux cités étaient unies ensemble par des liens d’intimité et d’affection plus étroits que deux cités helléniques quelconques que connaisse Hérodote[108]. Le lien qui unissait Tarente et Knidos était aussi (d’un caractère très intime)[109], de sorte que les grandes relations, personnelles aussi bien que commerciales, qui existaient entre les Grecs asiatiques et les Grecs italiques, paraissent comme un fait marquant dans l’histoire du sixième siècle avant l’ère chrétienne.

Sous ce rapport, aussi bien que sous plusieurs autres, le monde hellénique présente, en 560 avant J.-C., un aspect bien différent de celui qu’il prit un siècle plus tard, et sous lequel il est le mieux connu des lecteurs modernes. Dans la première période, les Grecs ioniens et italiques sont les grands ornements du nom hellénique, faisant un commerce mutuel plus lucratif que les uns ou les autres d’entre eux n’en entretenaient avec la Grèce propre : ils reconnaissaient tous deux cette dernière comme leur mère patrie, tout en n’admettant rien qui ressemblât à un empire établi. La puissance militaire de Sparte est en effet, à cette époque, grande et prépondérante dans le Péloponnèse ; mais elle n’a pas de marine, elle ne fait précisément qu’essayer sa force, non sans résistance, dans des interventions d’outre-mer. Après un siècle écoulé, ces circonstances changent considérablement. L’indépendance des Grecs asiatiques est détruite, et le pouvoir des Grecs italiques a grandement décliné ; tandis que Sparte et Athènes non seulement deviennent les États helléniques saillants et dominants, mais encore se constituent centres d’action, pour les cités moindres, à un degré inconnu jusque-là.

Ce fut pendant qu’ils étaient au maximum de leur prospérité, vraisemblablement au sixième siècle avant J.-C., que les Grecs italiques ou acquirent pour leur territoire, ou lui donnèrent l’appellation de Magna Græcia (Grande Grèce), qu’il méritait bien à cette époque ; car non seulement Sybaris et Krotôn étaient alors les plus grandes cités grecques situées prés l’une de l’autre, mais on peut considérer toute la péninsule de la Calabre comme attachée aux cités grecques placées sur la côte. Les Œnotriens et les Sikels indigènes occupant l’intérieur étaient devenus hellénisés, ou à demi hellénisés, grâce à un mélange de Grecs parmi eux, — sujets communs de ces grandes cités. Toute l’étendue de la péninsule de la Calabre, en deçà d’une ligne droite imaginaire menée de Sybaris à Poseidônia, pouvait bien être considérée comme territoire hellénique. Sybaris entretenait un grand trafic avec les villes étrusques dans la Méditerranée ; de sorte que la communication entre la Grèce et Rome, à travers l’isthme de la Calabre[110], a bien pu être plus facile à l’époque des rois romains (dont l’expulsion fut presque contemporaine de la ruine de Sybaris), qu’elle ne le devint plus tard pendant les deux premiers siècles de la république romaine. Mais toutes ces relations subirent un changement complet après la destruction de la puissance de Sybaris en 510 avant J.-C. et la marche graduelle de la population osque de l’Italie moyenne vers le sud. Cumæ fut écrasée par les Samnites, Poseidônia par les Lucaniens, qui devinrent maîtres non seulement de ces cités maritimes, mais encore de tout le territoire de l’intérieur (aujourd’hui appelé la Basilicate, avec une partie de la Calabre citérieure), dans toute la largeur du pays, depuis Poseidônia jusqu’au voisinage du golfe de Tarente ; tandis que les Bruttiens, — mélange de Lucaniens avancés avec la population gréco-œnotrienne, jadis sujette de Sybaris, parlant et le grec et l’osque[111], s’emparèrent des montagnes de l’intérieur dans la Calabre ultérieure, depuis Cosentia presque jusqu’au détroit de Sicile. Ce fut ainsi que la ruine de Sybaris, combinée avec le développement des Lucaniens et des Bruttiens, priva les Grecs italiques de ce territoire intérieur, dont ils avaient joui pendant le sixième siècle avant J.-C., et les réduisit au voisinage de la côte. Pour comprendre la puissance et la prospérité extraordinaires de Sybaris et de Krotôn au sixième siècle avant J.-C., où tout ce territoire de l’intérieur était sous leur dépendance, et avant l’élévation des Lucaniens et des Bruttiens, et où le nom de Magna Gracia fut donné pour la première fois, — il est nécessaire de jeter un regard par comparaison sur ces dernières périodes, plus particulièrement depuis que le même nom continua encore à être appliqué par les Romains à la Grèce italique, après que le resserrement du territoire l’avait rendu moins approprié.

Quant à Krotôn, à cette période reculée de sa puissance et de sa prospérité, nous en savons même moins qu’au sujet de Sybaris. Elle était distinguée tant par le nombre de ses concitoyens qui recevaient des prix aux jeux Olympiques que pour la supériorité de ses chirurgiens ou médecins. Et ce qui peut paraître plus surprenant, si nous considérons l’extrême insalubrité actuelle du lieu sur lequel elle s’élevait, c’est que dans l’antiquité il jouissait d’une salubrité proverbiale[112], ce qui n’était pas autant le cas pour Sybaris plus fertile. Relativement à toutes ces cités des Grecs italiques, on peut appliquer la même remarque qui a été faite auparavant par rapport aux Grecs de Sicile, — à savoir, que le mélange de la population indigène affecta sensiblement et leur caractère et leurs habitudes. Nous n’avons pas de renseignements sur leur gouvernement pendant cette antique période de prospérité, si ce n’est que nous trouvons mentionné à Krotôn (comme à Lokres Epizéphyrienne) un sénat de mille membres, n’excluant pas cependant à l’occasion l’ekklêsia, ou assemblée, générale[113]. Probablement l’accroissement constant de leur domination à l’intérieur et la facilité de fournir de la nourriture à une population nouvelle contribuèrent beaucoup à faire fonctionner d’une manière satisfaisante leur système politique, quel qu’il ait pu être. Nous raconterons dans un chapitre suivant la tentative faite par Pythagoras et par ses disciples pour se constituer en faction dominante aussi bien qu’en secte philosophique. Les actes se rattachant à cette tentative prouveront qu’il y avait une analogie et une sympathie considérables entre les diverses cités de la Grèce italienne, de manière à les rendre sujettes à l’action des mêmes causes. Mais bien que les fêtes de Hêrê Lakinienne, administrées par les Krotoniates, formassent depuis une époque reculée un peint commun de réunion religieuse pour tous[114], — cependant les tentatives faites pour instituer des assemblées périodiques de députés, dans le dessein exprès d’entretenir une harmonie politique, ne commencèrent qu’après la destruction de Sybaris, et elles ne réussirent jamais non plus que partiellement.

Il nous reste encore à mentionner une autre cité, la colonie la plus éloignée fondée par des Grecs dans les régions occidentales ; et nous ne pouvons faire plus que de la mentionner, puisque nous n’avons pas de faits pour établir son histoire. Massalia, la moderne Marseille, fut fondée par les Phokæens ioniens dans la quarante-cinquième Olympiade, vers l’an 597 avant J.-C.[115], à l’époque où Sybaris et Krotôn étaient sur le point de parvenir au maximum de leur puissance, — où la péninsule de la Calabre était tout hellénique, et où Cumæ aussi n’avait pas encore été visitée par ces calamités qui amenèrent sa décadence. Tant d’hellénisme au sud de l’Italie facilita sans doute les progrès à l’occident des aventureux marins phokæens. Il paraîtrait que Massalia fut fondée par une fusion à l’amiable des colons phokæens avec les Gaulois indigènes, si nous pouvons en juger par la légende romanesque des Protiadæ, famille ou gens massaliote existant du temps d’Aristote. Euxenos, marchand phokæen, avait noué des relations amicales avec Nanus, chef indigène au sud de la Gaule, et il fut invité à la fête dans laquelle ce dernier était sur le point de célébrer le mariage de sa fille Petta. Suivant la coutume du pays, la jeune fille devait se choisir un mari parmi les hôtes en lui présentant une coupe : par hasard ou par préférence, Petta la présenta à Euxenos, et devint son épouse. Protis de Massalia, le fruit de cette union, fut le premier père et l’éponyme des Protiadæ. Selon un autre récit relatif à l’origine de la même gens, Protis était lui-même le chef phokæen qui épousa Gyptis, fille de Nannus, roi des Gaulois ségobrigiens[116].

Nous savons peu de chose de l’histoire de Marseille, et il ne parait pas qu’elle ait été rattachée au mouvement général du monde grec. Voici ce que nous apprenons en général au sujet des Massaliotes. Ils administraient leurs affaires avec prudence aussi bien qu’avec unanimité, et montraient dans leurs habitudes privées une modestie exemplaire ; bien qu’ils entretinssent leur alliance avec les peuples de l’intérieur, ils veillaient scrupuleusement à mettre leur cité en garde contre une surprise, ne permettant pas à des étrangers armés d’entrer ; ils introduisirent la culture des vignes et des oliviers, et étendirent graduellement l’alphabet, le langage et la civilisation des Grecs parmi les Gaulois du voisinage ; non seulement ils possédèrent et fortifièrent maintes positions le long de la côte du golfe de Lyon, mais encore ils fondèrent cinq colonies le long de la côte orientale de l’Espagne ; leur gouvernement était oligarchique, il consistait en un sénat perpétuel de six cents personnes, admettant cependant par occasion de nouveaux membres du dehors, et un conseil restreint de quinze membres ; Apollon de Delphes et Artemis d’Ephesos étaient leurs principales divinités, établies comme protectrices de leurs postes avancés, et transmises à leurs colonies[117]. Bien qu’il soit ordinaire de représenter une marche réfléchie et une suprématie constante du petit nombre qui gouverne, avec une obéissance résignée de la part de la foule, comme étant le trait caractéristique des Etats dôriens, et l’instabilité non moins que le trouble comme étant la tendance dominante dans les États ioniens, — cependant il n’y a pas de communauté grecque à laquelle les premiers attributs soient plus formellement assignés qu’à l’ionique Massalia. Le commerce des Massaliotes semble avoir été étendu, et leur marine de guerre assez puissante pour la défendre contre les agressions de Carthage, leur principale ennemie dans la Méditerranée occidentale.

 

 

 



[1] Thucydide, VI, 2 ; Philisti Fragm. 3, éd. Goeller, ap. Diodore, V. 6. Timée adoptait l’opinion opposée (Diodore, l. c.), et Éphore aussi, si nous pouvons en juger par un passage peu distinct de Strabon (VI, p. 270). Denys d’Halicarnasse suit Thucydide (A. R., I, 22).

L’opinion de Philiste est d’une grande importance sur ce point, puisqu’il connaissait, on pouvait avoir connu personnellement des mercenaires ibériens au service de Dionysios (Denys) l’Ancien.

[2] Pherecyd. Fragm. 85, éd. Didot ; Hellanic. Fr. 53, éd. Didot ; Denys Hal., A. R., I, 11, 13, 22 ; Skymnus de Chios, v. 362 ; Pausanias, VIII, 3, 5.

[3] Stephan. Byz., v. Χϊοι.

[4] Aristote, Politique, VII, 9, 3.

Antiochus, Fr. 3,4, 6, 7, éd. Didot ; Strabon, VI, p. 254 ; Hesychius, v. Χώνην ; Denys Hal., A. R., I, 12.

[5] Tite-Live, VIII, 24.

[6] Au sujet du premier séjour des Sikels ou Siculi dans le Latium et la Campania, v. Denys Hal., A. R., I, 1-21 ; il est curieux que les Siculi et les Sicani, qu’ils soient les mîmes ou qu’ils diffèrent, cette première population antéhellénique de la Sicile, soient aussi comptés comme étant la population antéromaine de Rome : V. Virgile, Énéide, VIII, 328, et Servius ad Énéide, XI, 317.

L’ancienne émigration prétendue d’Évandre d’Arkadia dans le Latium fait un pendant à l’émigration d’Œnotros d’Arkadia dans l’Italie méridionale, telle que la raconte Phérécyde ; elle semble avoir été mentionnée déjà même dans un des poèmes hésiodiques (Servius ad Virgile, Énéide, VIII, 138) : cf. Steph. Byz., v. Παλλάντιον. Les plus anciens auteurs latins paraissent tous avoir reconnu Évandre et ses Arkadiens immigrants : V. Denys d’Halicarnasse, I, 31, 32, II, 9, et les passages où il mentionne Fabius Pictor et Ælius Tubero, 1, 75, 80 ; et Caton ap. Solinum, c. 2. Si l’ancienne leçon Άρκάδων, dans Thucydide, VI, 2 (que Bekker a changée maintenant en Σικελών), est conservée, Thucydide serait aussi un témoin en faveur d’une émigration d’Arkadia en Italie. Une troisième émigration de Pélasges, du Péloponnèse au fleuve Sarnos, dans l’Italie méridionale (près de Pompeii), était mentionnée par Conon (ap. Servius, ap. Virgile, Énéide, VIII, 730).

[7] Hérodote (I, 24-167) comprend Elea (ou Velia) dans l’Œnotria, — et Tarente dans l’Italie ; tandis qu’Antiochus considère Tarente connue étant en Iapygya, et la frontière méridionale du territoire tarentin comme la frontière septentrionale de l’Italie : Denys d’Halicarnasse (A. R., II, 1) semble copier Antiochus quand il prolonge les Œnotriens le long de toute l’extrémité sud-ouest de l’Italie, en deçà de la ligne tirée de Tarente à Poseidônia ou Pæstum. De là la dénomination de Οίνωτρίδες νήσο : donnée aux deux îles situées vis-à-vis d’Elea (Strabon, VI, p. 253). Skymnus de Chios (v. 247) reconnaît les mêmes limites.

Douze cités œnotriennes sont citées de nom (dans Étienne de Byzance) d’après l’Εύρώπη d’Hécatée (Fragm. 30-39, éd. Didot) : Skylax, dans son Périple, ne nomme pas d’Œnotriens ; il énumère des Campaniens, des Samnites et des Lucaniens (cap. 9-13). L’intime connexion qui rattachait Milêtos à Sybaris permettait à Hécatée de s’éclairer au sujet de la contrée œnotrienne intérieure.

L’Œnotria et l’Italia réunies (dans la conception d’Antiochos et d’Hérodote) comprenaient tout ce qui fut connu un siècle après, comme Lucania et Bruttium : V. Mannert, Geographie der Griech. und Roemer, part. IX, L 9, c. 1, p. 86. Tite-Live, parlant à propos de 317 avant J.-C., où la nation lucanienne, aussi bien que les Brutiens, était en pleine vigueur, représente seulement la côte maritime de la mer inférieure comme grecque — cum omni orâ Græcorum inferi maris a Thuriis Neapolim et Cumas (IX, 19). Verrius Flaccus considérait les Sikels comme Græci (Festus, v. Major Gracia, avec une note de Müller).

[8] Sophocle, Triptolem., Fr. 527, éd. Dindorf. Il place le lac Avernus, qui était tout près de la campanienne Cumæ, en Tyrrhenia : V. Lexicon Sophocleum, ad cale. éd. Brunck, v. Άορνος. Euripide (Medea, 1310-1326) semble prolonger la Tyrrhenia jusqu’au détroit de Messine.

[9] Aristote, Politique, VII, 9, 3. Festus : Ansoniam appellavit Auson, Ulyssis et Calypsûs filius, eam primam partem Italiæ in quâ sunt urbes Beneventum et Cales ; deinde paulatim tota quoque Italia quæ Apennino finitur, dicta est Ausonia, etc. L’Ausonia primitive coïnciderait ainsi presque avec le territoire appelé Samnium, après la conquête de ce pays par les émigrants sabins : v. Tite-Live, VIII, 16 ; Strabon, V, p. 250 : Virgile, Énéide, VII, 727, avec Servius. Skymnus de Chios (c. 227) a puisé à la même source que Festus. Au sujet de l’extension d’Ausoniens le long de diverses parties de la côte d’Italie plus méridionale, même jusqu’à Rhegium aussi bien que jusqu’aux îles Lipari, V. Diodore ; V, 7, 8 ; Caton, Orig. Fr., lib. III, ap. Probum, ad Virgile, Bucoliques V, 2. La prêtresse pythienne, en dirigeant vers Rhegium les émigrants de Chalkis, leur dit : Ένθα πόλιν οϊκιζε, διδοϊ δέ σοι Αύσονα χώραν (Diodore, Fragm. XIII, p. 11, ap. Script. Vatic., éd. Maii). Temesa est ausonienne dans Strabon, VI, p. 255.

[10] Thucydide, VI, 3 ; Aristote, ap. Denys Hal., A. R., I, 72.

Même du temps de Caton l’Ancien, les Grecs comprenaient les Romains sous la désignation générale, et chez eux méprisante, d’Opici (Caton, ap. Pline, H. N., XII, 1 : V. Antiochus, ap. Strabon, V, p. 242).

[11] Thucydide, VI, 2. (V. un fragment du géographe Menippos de Pergamos, dans les Geogr. Minor, d’Hudson, I, p, 76). Antiochus disait que les Sikels furent chassés d’Italie en Sicile par les Opiques et les Œnotriens ; mais les Sikels eux-mêmes, selon lui, étaient aussi Œnotriens (Denys Hal., I, 12-22). Il est remarquable qu’Antiochus (qui écrivait à une époque où le nom de Rome n’avait pas encore commencé à exercer sur les esprits dés hommes cette fascination que la puissance romaine produisit plus tard), en exposant l’ancienneté mythique des Sikels et des Œnotriens, représente l’éponyme Sikelos comme un exilé de Rome, qui tint dans le sud de l’Italie vers le roi Morgês, successeur d’Italos. (Antiochus, ap. Denys Hal., I, 73 ; cf. c. 12).

Philiste considérait Sikelos comme fils l’Italos ; lui et Hellanicus croyaient à d’anciennes émigrations d’Italie en Sicile, mais ils décrivaient les émigrants d’une manière différente (Philiste, Fragm. 2, éd. Didot).

[12] V. les savantes observations sur les anciennes langues de l’Italie et de la Sicile, que Müller a mises en tête de son ouvrage sur les Étrusques (Einleitung, I, 12). Je transcris le sommaire suivant de ses idées relatives aux premiers dialectes et aux premières races de l’Italie : Les notions que nous obtenons ainsi relativement aux anciens langages de l’Italie sont ainsi qu’il suit : le sikel, langue sœur du grec ou pélasgique, auquel il est étroitement allié ; le latin, composé du sikel et du dialecte plus rude des hommes appelés Aborigines ; l’osque, parent du latin dans les deux éléments ; le langage parlé par les émigrants sabins dans leurs divers territoires conquis, l’osque ; le sabin propre, langage distinct et particulier, cependant rattaché étroitement à l’élément non grec qui se trouve dans le latin et l’osque, aussi bien qu’au langage des Ausoniens et des Aborigines les plus anciens.

[N. B. Cette dernière affirmation relative nu langage sabin primitif est établie très imparfaitement ; il semble également probable que les Sabelliens peuvent n’avoir pas plus différé des Osques que les Dôriens des Ioniens ; V. Niebnhr, Roem. Gesch., t. I, p. 69.]

Cette comparaison de langages nous présente une certaine idée, que j’exposerai ici brièvement, de la plus ancienne histoire des races italiennes. A une époque antérieure à toute annale, un seul peuple, parent des Grecs, s’étendant depuis le sud de la Toscane jusqu’au détroit de Messine, n’occupe dans la partie supérieure de son territoire que la vallée du Tibre ; — plus bas il occupe les districts montagneux également, et an sud, il s’étend en travers d’une mer à l’autre ; il s’appelle Sikels, Œnotriens ou Peucétiens. D’autres tribus de montagnes, puissantes bien que ne s’étendant pas au loin, vivent dans l’Abruzze septentrionale et dans son voisinage : à l’est les Sabins, au sud d’eux les Marses de même race, plus à l’ouest les Aborigines, et parmi eux probablement les anciens Ausoniens ou Osques. Environ mille ans avant l’ère chrétienne, il commence à se faire parmi ces tribus (d’où sont parties presque toutes les émigrations des peuples dans l’ancienne Italie) un mouvement par lequel les Aborigines plus au nord, les Sikels plus au sud, sont précipités sur les Sikels des plaines au-dessous. Bien des milliers d’hommes de la grande nation des Sikels se retirèrent vers leurs frères les Œnotriens, et par degrés allèrent en franchissant le détroit jusqu’à l’île de Sicile. D’autres parmi eux restent stationnaires dans leurs résidences, et forment, en s’unissant Avec les Aborigines, la nation latine, — en s’unissant avec les Ausoniens, la nation osque : cette dernière s’étend sur ce qui fut appelé dans la suite Samnium et Campania. Cependant la population et la puissance de ces tribus montagnardes, spécialement de celle des Sabins, vont perpétuellement en augmentant : de même qu’ils poussèrent en avant vers le Tibre, à l’époque où home n’était qu’une ville, de même ils avancèrent aussi, vers le sud et conquirent, — d’abord, la montagneuse Opica ; puis, quelques siècles plus tard, la plaine opique, la Campania ; enfin, l’ancien pays des Œnotriens, appelé dans la suite Lucania.

Cf. Niebuhr, Roemisch. Gesch., vol. I, p. 80, 2e éd., et le premier chapitre de Varronianus de M. Donaldson.

[13] Thucydide, VI, 2 ; Philiste, Fragm. 2, éd. Didot.

[14] Strabon, V, p. 243 ; Velleius Paterculus, I, 5 ; Eusèbe, p. 121. M. Raoul Pochette, adoptant une computation différente pour la date de lit guerre de Troie, recule celle de Cumæ encore plus haut, jusqu’en 1139 avant J.-C. (Histoire des colonies grecques, liv. IV, p. 100).

Les mythes de Cumæ s’étendaient jusqu’à une époque précédant la colonie de Chalkis. V. les histoires d’Aristæus et de Dædalus ap. Sallust., Fragm. Incert., p. 204, éd. Delphin. ; et Servius ad Virgile, Énéide, VI, 17. On supposait que les fabuleux Thespiadæ, ou premiers colons grecs en Sardaigne, avaient dans des temps reculés quitté cette Ile pour se retirer à Cumæ (Diodore, V, 15).

[15] Éphore, Fragm. 52, éd. Didot.

[16] Strabon, V, p. 243 ; Velleius Paterculus, I, 5.

[17] V. la situation de Cumæ telle qu’elle est décrite par Agathias (à l’occasion du siège de la ville par Narsês, en 552 ap. J.-C.), Histor., I, 8-10 ; également par Strabon, V, p. 244.

[18] Diodore, IV, 21 ; V, 71 ; Polybe, III, 91 ; H. N., III, 5 ; Tite-Live, VIII, 22. In Baiano sinu Cainpaniæ contra Puteolanam civitatem lacus sunt duo, Avernus et Lucrinus : qui olim propter piscium copiam vectigalia magna præstabant (Servius ad Virgile, Géorgiques, II, 161).

[19] Strabon, V, p. 213.

[20] Denys d’Halicarnasse, IV, 61, 62 ; VI, 21 ; Tite-Live, II, 34.

[21] V., relativement à la transmission d’idées et de fables de l’æolienne Kymê à Cumæ en Campania, le 1er chapitre du 2e volume de cette histoire.

Le père d’Hésiode était natif de l’æolienne Kymê : nous trouvons dans la Théogonie hésiodique (ad fin.) une mention de Latinus comme fils d’Odysseus et de Cire : Servius cite la même chose d’après l’Άσπιδοποτία d’Hésiode (Servius ad Virgile, Énéide, XII, 162 ; cf. Caton, Fragm., p. 33, éd. Lion). La grande famille des Mamilii à Tusculum tirait aussi son origine d’Odysseus et de Circê (Tite-Live, I, 49).

On montrait à Circeii du temps de Théophraste la tombe d’Elpênôr, le compagnon qu’Ulysse avait perdu (Hist. Plant., V, 8, 3) et Skylax (c. 10).

Hésiode mentionne le promontoire de Pelôros, le détroit de Messine, et l’îlot d’Ortygia à Syracuse (Diodore, IV, 85 ; Strabon, I, p. 23).

[22] Tite-Live, II, 9.

[23] Niebuhr, Roemisch. Geschich., vol. I, p. 16, 2e éd.

[24] L’histoire d’Aristodêmos Malakos est donnée avec quelque longueur par Denys d’Halicarnasse (VIII, 3-10).

[25] Tite-Live, II, 21.

[26] Velleius Paterculus, I, 5.

[27] Cf. Strabon ; V, p. 264. Cumanos Osea mutavit vicinia, dit Velleius, l. c.

[28] Diodore, XI, 51 ; Pindare, Pyth., I, 71.

[29] Thucydide, VI, 3 ; Strabon, VI, p. 267.

[30] Le mélange de colons naxiens peut être admis, aussi bien sur la présomption fournie par le nom, que d’après l’assertion d’Hellanicus, ap. Stephan. Byz., v. Χάλκις.

Éphore réunit en une l’émigration chalkidienne et l’émigration mégarienne que Thucydide représente comme distinctes (Éphore ap. Strabon, VI, p.267).

[31] Thucydide, VI, 3 ; Diodore, XIV, 59-88.

[32] Mannert place la limite des Sikels et des Sikanes à ces montagnes : Otto Siefert (Alzragas und sei Geniet, Hamburg, 1845, p, 53) la place aux Gemelli Colles, un peu plus à l’ouest, — resserrant ainsi le domaine des Sikanes : cf. Diodore, IV, 82-83.

[33] Thucydide, VI, 2.

[34] M. Fynes Clinton discute l’ère de Syracuse, Fasti Hellenici, ad 734 avant J.-C., et le même ouvrage, vol. II, App. XI, 264.

[35] V. le colonel Leake, Notes on the Topography of Syracuse, p. 41.

[36] Athenæ, IV, 167 ; Strabon, IX, p. 380.

[37] Diodore, Fragm. Lit. VIII, p. 24 ; Plutarque, Narrat. Amator., p. 772 ; Schol. Apollon. Rhod. IV, 1212.

[38] Polyen (V, 5, 1) décrit le stratagème de Theoklês à cette occasion.

[39] Polyen détaille un stratagème perfide au moyen duquel avait été accomplie, dit-on, cette expulsion (V, 5, 2).

[40] Thucydide, VI, 3.

[41] Thucydide, VI, 4 ; Diodore, Excerpt. Vatican., éd. Maii, Fragm. XIII, p. 13 ; Pausanias, VIII, 46, 2.

[42] Thucydide, VI, 4.

[43] Strabon, VI, p. 272.

[44] Stephan. Byz., Σικανία, ή περίχωρος Άκραγαντινών. Hérodote, VII, 170 ; Diodore, IV, 78.

Vessa, le plus considérable des municipes ou villages sikaniens, avec son prince Teutos, fut, dit-on, conquis par Phalaris, despote d’Agrigente, grâce à un mélange de ruse et de force (Polyen, V, 1, 4).

[45] Il reste encore de nombreuses traces de ces cavernes des Sikels ou des Sikanes : V. Otto Siefert, Akragas und sein Gebiet, p. 39, 45, 49, 55, et l’ouvrage du capitaine N. H. Smyth, Sicily and its Islands, London, 1824, p. 190.

Ces cryptes (fait observer le dernier) paraissent avoir été le plus ancien effort lait par un peuple primitif et pastoral pour former une ville, et soit en général salis régularité quant à la forme et à la grandeur : dans les temps postérieurs, peut-être servaient-elles de retraite au moment du danger, et de lieu de sûreté, en cas d’alarme extraordinaire, pour les femmes, les enfants et les objets précieux. Sous ce point de vue, je fus particulièrement frappé de la ressemblance que présentaient ces habitations grossières avec les cavernes que j’avais vues à Owhyheo, pour des usages semblables. Les villages troglodytes de l’Afrique septentrionale, dont j’ai vu plusieurs, sont aussi exactement les mêmes.

Les cavernes des rochers en Sicile sont remarquables. Les murailles méridionales d’Agrigente sont formées d’une ligne continue de rochers qui supportaient la ville. A l’intérieur de ce mur naturel sont creusées les tombes des principaux citoyens probablement. Les très intéressantes ruines de la petite Akrœ, sur les hauteurs de la chaîne heræenne, sont suspendues sous un rocher où sont creusées des tombes nombreuses. La nécropolis de Syracuse, entre Achradina et le Grand-Port, est composée d’excavations semblables faites dans le roc ; et il y a aussi des galeries souterraines ou catacombes en haut dans Epipolæ.

Au sujet des anciennes résidences dans des cavernes en Sardaigne et dans les Iles Baléares, consulter Diodore, V, 15-17.

[46] Thucydide, VI, 45.

[47] Relativement au système des poids et des monnaies, qui prévalait chez les Grecs italiens et siciliens, V. Aristote, Fragm. Περί Πολιτειών, éd. Neumann, p. 102 ; Pollux, IV, 174, I%, 80-87 ; et surtout Bœckh, Métrologie, c. 18, p. 292, et l’analyse et l’examen de cet ouvrage dans le Classical Museum, n° 1 ; aussi O. Müller, Die Etrusker, vol. I, p. 309.

Les Grecs siciliens comptaient par talents, consistant chacun en 120 litræ ou libræ : l’obole æginæenne était l’équivalent de la litra, ayant été la valeur en arpent d’un poids de cuivre, à l’époque où se fit l’évaluation. Les dénominations communes de monnaie et de poids (à l’exception du talent, dont le sens fut changé tandis que le mot fut conservé) semblent avoir été empruntées toutes par les Grecs italiens et siciliens de l’échelle des Sikels et des Italiens, non de celle des Grecs (V. Fragments d’Épicharme et de Sophron, ap. Ahrens, De Dialecto Doricâ, Appendix, p. 435, 471, 472, et Athenæ XI, p. 479).

[48] Thucydide, VI, 88.

[49] Thucydide, VI, 62-87 ; VII, 13.

[50] Cicéron, in Verrem, Act. II, lib. IV, c. 26-51 ; Diodore, V, 6.

Comparez la manière dont Cicéron parle d’Agyrium, de Centuripi et d’Enna avec la description de ces endroits en tant qu’habités par des Sikels autonomes, 396 avant J.-C., dans les guerres de Denys l’Ancien (Diodore, XIV, 55, 58, 78). Sikanes et Sikels étaient à cette époque complètement distingués des Grecs, dans le centre de l’île.

O. Müller dit que Syracuse, 70 ans après sa fondation, colonisa Akræ, et aussi Enna, située dans le centre de l’île (Hist. of Dorians, I, 6, 7). Enna est mentionnée par Etienne de Byzance comme une fondation syracusaine, mais sans indication de la date de sa fondation, qui doit avoir été effectuée bien plus tard que Müller ne l’affirme ici. Serra di Falco (Antichititâ di Sicilia, Introd., t. I, p. 9) donne Enna comme ayant été fondée postérieurement à Akræ, mais avant Kasmenæ ; date pour laquelle je ne trouve aucune autorité. Talaria (V. Stoph. Byz., ad voc.) est aussi mentionnée comme une autre cité syracusaine, dont la fondation nous est inconnue quant à sa date et à ses détails.

[51] Ahrens, De Dialecto Doricâ, sect. I, p. 3.

[52] Platon, Epist. VII, p. 326 ; Plaute, Rudens, Act. I, sc. 1, 56 ; Act. II, sc. VI, 58.

[53] Timokreon, Fragm. 5, ap. Ahrens, De Dialecto Doricâ, p. 478.

Bernhardy, Grundriss der Geschichte der Griech. Litteratur, vol. II, c. 120, sect. 2-5 ; Grysar, De Doriensium Comœdia. Cologne, 1828, c. 1, p. 41, 55, 57, 210 ; Bœckh, De Græc Tragœd. Princip., p. 52 ; Aristote, ap. Athenæ, XI, 505. Le κότταβος semble avoir été une mode indigène des Sikels, empruntée par les Grecs (Athénée, XV, p.666-668).

Le βουκολισσμός sicilien était une mode usitée parmi les bergers siciliens avant Epicharme, qui en signalait l’inventeur supposé, Diomus, le βούκολος Σικελιώτης (Athenæ,XIV, p. 619). Les mœurs et le langage rustique représentés dans la comédie sicilienne sont opposés aux moeurs et au langage de la ville dans la comédie attique, par Plaute, Persæ, Act. III, sc. I, 31 :

Librorum eccillum habeo plenum soracum.

Dabuntur dotis tibi inde sexcenti logi,

Atque Attici omnes, nullum siculum acceperis.

Comparez le commencement du prologue des Menæchmi de Plaute.

Le μΰθος comique commença à Syracuse avec Epicharme et Phormis (Aristote, Politique, V, 5).

[54] Zenobius, Proverb., V, 84.

[55] Diodore, XI, 90, 91 ; XII, 9.

[56] V. Dolomieu, Dissertation on the Earthquakes of Calabria Ultra in 1783, dans Pinkerton, Collection of Voyages and Travels, vol. V, p. 280.

Il est impossible (fait-il observer) de se faire une idée complète de la fertilité de la Calabre ultérieure, particulièrement de cette partie appelée la Plaine (au S.-O. des Apennins au-dessous du golfe de Sainte-Euphemia). Les champs, qui portent des oliviers de plus grande taille que partout ailleurs, produisent encore du grain. Des vignes chargent de leurs branches les arbres sur lesquels elles croissent, sans cependant diminuer leur récolte. Tout y vient, et la nature semble prévenir les désirs du laboureur. Il n’y a jamais assez de mains pour recueillir toutes les olives, qui finissent par tomber et pourrir au pied des arbres qui les portaient, dans les mois de février et de mars. Des étrangers, principalement des Siciliens, y viennent en foule pour les récolter, et en partager le produit avec le cultivateur. L’huile est leur principal article d’exportation ; partout leurs vins sont bons et précieux. Cf. p. 278-282.

[57] M. Keppel Craven fait observer (Tour through the Southern provinces of Naples, c. 13, p. 251) : On peut dire que le tremblement de terre de 1783 a changé la face de toute la Calabre ultérieure, et étendu ses ravages vers le nord aussi loin que Cosenza.

[58] Aristote, Politique, VII, 9, 3.

[59] Strabon, VI, p. 263. Kramer dans sa nouvelle édition de Strabon, à l’exemple de Koray, doute de l’exactitude du nom Ίσελικεύς, qui, certainement, s’éloigne de l’analogie habituelle des noms grecs. Cependant, en admettant qu’il soit incorrect, il n’y a pas moyen de le rectifier : Kramer imprime : οίκιστής δέ αύτής ό Ίσ.... Έλικεύς : faisant ainsi de Έλικεύς l’ethnicon de la ville achæenne Helikê.

Il y avait aussi des légendes rattachant la fondation de Krotôn à Hêraklês, qui, affirmait-on, avait reçu un abri hospitalier du héros éponyme Krotôn. Hêraklês était οίκεΐος à Krotôn : V. Ovide, Métamorphoses, XV, 1-60 ; Jamblique, Vita Pythagoras, c. 8, p. 30, c. 9, p. 37, éd. Kuster.

[60] Hérodote, I, 145.

[61] Aristote, Politique, V, 2, 10.

[62] Strabon, VI, p. 262 ; Tite-Live, XXIV, 3.

[63] Strabon, VI, p. 263 ; V, p. 251 ; Skymnus de Chios, v. 244 ; Hérodote, VI, 21.

[64] Stephan. Byz., v. Τέρινα-Λαμητΐνοι, Skymnus de Chios, 305.

[65] Thucydide, V, 5 ; Strabon, VI, p. 256 ; Skymnus de Chios, 307. Steph. Byz. appelle Mataurum πόλις Σικελίας.

[66] Hérodote, VIII, 47. Κροτωνιήται, γένος είσίν Άχαιοί : la date de la fondation est fournie par Denys d’Halicarnasse (A. R., II, 59).

Les ordres donnés à Myskellos par l’oracle se trouvent au long dans les Fragments de Diodore, publiés par Maii (Script. Vet. Fragm., 10, p. 8) ; cf. Zénob. Proverb. Centur., III, 42.

Bien que Myskellos soit présenté ainsi comme l’œkiste de Krotôn, cependant nous trouvons une monnaie krotoniate avec l’inscription Ήρακλής Οίκίστας (Eckhel, Doctrin. Numm. Vet., vol. I, p. 172) ; le culte d’Hêraklês à Krotôn sous ce titre est analogue à celui d’Απολλών Οίκίστης καί Δωματίτης à Ægina (Pythænêtus ap. Schol. Pindare, Nem., V, 81). Il y avait diverses légendes relatives à Hêraklês, à l’éponyme Krotôn et à Lakinios. Héraclide de Pont, Fragm. 30, éd. Koeller ; Diodore, IV, 24 ; Ovide, Métamorphoses, XV, 1-53.

[67] Strabon, VI, p. 259. Euantheia, Hyantheia ou Œantheia était une des villes des Lokriens Ozoles sur le côté septentrional du golfe de Krissa, d’où partirent peut-être les émigrants emportant avec eux le nom et le patronage de son œkiste éponyme (Plutarque, Quæst. Græc., c. 15 ; Skylax, p. 14).

[68] Polybe, XII, 5, 8, 9 ; Denys le Périégète, v. 365.

[69] Ce fait peut rattacher la fondation de la colonie de Lokres à Sparte ; mais l’assertion de Pausanias, qui dit (III, 3, 1) que les Spartiates, sous le règne du roi Polydoros, fondèrent et Lokres et Krotôn, semble appartenir à une conception historique différente.

[70] Polybe, XII, 5-12.

[71] Strabon, VI, p. 259. Nous trouvons que dans les récits qu’on fait de la fondation de Korkyra, de Krotôn et de Lokres, il est fait allusion aux colons syracusains, soit comme contemporains, en guise de compagnons, soit comme auxiliaires : peut-être les récits viennent-ils tous de l’historien syracusain Antiochus, qui exagérait l’intervention de ses propres ancêtres.

[72] Nil patrium, nisi nomen, habet romanus alumnus, fait observer Properce (IV, 37) relativement aux Romains : répété avec une amertume plus grande encore dans la lettre de Mithridatês à Arsacês dans Salluste (p. 191, éd. Delph.). La remarque est bien applicable à Lokres.

[73] Aristote, ap. Schol. Pindare, Olymp., X, 17.

[74] Proverb. Zenob. Centur., IV, 20. Ζαλεύκου νόμος, έπί τών άποτόμων.

[75] Strabon, VI, p. 259 ; Skymnus de Chios, V, 313 ; Cicéron, De Leg., II, 6, et Epist. ad Atticum, VI, 1.

Heyne, Opuscula, vol. II ; Epimetrum II, p. 60-68 ; Goeller ad Timæi Fragm., p. 220-259. Bentley (on the Epistles of Phalaris, c. 12, p. 274) semble défendre, sans raison suffisante, le doute de Timée au sujet de l’existence de Zaleukos. Mais le renseignement d’Ephore, qui avance que Zaleukos avait formé ses lois de coutumes krêtoises, laconiennes et aréopagitiques, si on le compare au renseignement simple et bien plus croyable d’Aristote cité plus haut, prouve combien les affirmations relatives an législateur lokrien étaient peu précises (ap. Strabon, VI, p. 260). D’autres renseignements le concernant aussi, auxquels Aristote fait allusion (Politique, II, 9, 3), étaient distinctement contraires à la chronologie.

Charondas, le législateur des villes chalkidiennes en Italie et en Sicile, autant que nous en pouvons juger au milieu de témoignages très confus, semble appartenir à une époque plus récente que Zaleukos ; je parlerai de lui ci-après.

[76] Démosthène, cont. Timokrat., p. 744 ; Polybe, XII, 10.

[77] Strabon, VI, p. 257 ; Pausanias, IV, 23, 2.

[78] Strabon, IV, p. 258.

[79] Strabon, VI, p. 263 ; Aristote, Mirab. Ausc., c. 106 ; Athénée, XII, p. 523.

C’est à ces prétendus compagnons rhodiens de Tlepolêmos devant Troie que se rapporte l’allusion faite dans Strabon à des occupants rhodiens près de Sybaris (XIV, p. 655).

[80] V. Mannert, Geographie, part IX, b. 9, ch. 11, p. 234.

[81] Archiloque, Fragm. 17, éd. Schneidewin.

[82] Hérodote, VI, 127 ; Strabon, VI, p. 263. Le nom Polieion semble devoir être lu Πλεΐον dans Aristote, Mirab. Auscult., 106.

Niebuhr assigne cet établissement kolophonien de Siris au règne de Gygès en Lydia ; je n’en connais d’autre preuve que le renseignement qui nous apprend que Gygès prit τών Κολοφωνίων τό άστυ (Hérodote I, 14) ; mais cela ; ne prouve pas que les habitants émigrassent alors, car Kolophôn fut dans la suite une cité très florissante et très prospère.

Justin (XX, 2) rapporte un cas de massacre sacrilège commis près de la statue d’Athênê à Siris, qui semble être totalement différent du récit relatif aux Kolophoniens.

[83] Hérodote, VIII, 62.

[84] Strabon, VI, p. 264.

[85] Strabon, VI, p. 264.

[86] Strabon, l. c. ; Justin, XX, 2 ; Velleius Paterculus, I, 1 ; Aristote, Mirab. Auscult., c. 108. Ce récit relatif à la présence et aux outils d’Epeios peut être dû aux colons phokiens de Krissa.

[87] Les mots de Strabon ήφανίσθη δ̕ ύπό Σαυνιτών (VI, p. 264) ne peuvent guère se rattacher au récit venant immédiatement après, récit qu’il donne d’après Antiochus, art sujet de la renaissance de la ville due à de nouveaux colons achæens, appelés par les Achæens de Sybaris. Car la dernière place fut réduite à l’impuissance en 510 avant J.-C. ; des appels de la part des Achæens de Sybaris doivent par conséquent être antérieurs à cette date. Si l’on doit admettre Daulios, despote de Krissa, comme l’œkiste de Metapontium, sa fondation doit être placée dans la première moitié du sixième siècle avant J.-C. ; mais il est très difficile d’admettre l’extension des conquêtes Samnites jusqu’au golfe de Tarente à une époque aussi reculée que celle-ci. J’explique donc les mots d’Antiochus comme se rapportant à l’établissement primitif de Metapontium parles Grecs, et non à la renaissance de la ville après sa destruction par les Samnites.

[88] Strabon, l. c., Stephan. Byz. (v. Μεταπόντιον) identifie Metapontium et Siris d’une manière embarrassante. Tite-Live (XXV, 15) reconnaît Metapontium comme ville achæenne ; cf. Heyne, Opuscula, vol. II, Prolus. XII, p. 207.

[89] Partheniæ, i. e., enfants de vierges : la description donnée par Varron, des virgines illyriennes, explique cette phrase : Quas virgines ibi appellant, nonnunquam annorum XV, quibus mos eorum non denegavit, ante nuptias ut succumberent quibus viellent, et incomitatis ut vagari liceret, et liberos habere. Varron, De Re Rustica, II, 10, 9.

[90] Pour cette histoire relative à la fondation de Tarente, V. Strabon, VI, p. 278-280 (qui donne les versions et d’Antiochus et d’Éphore) ; Justin, III, 4 ; Diodore, XV, 66 ; Excerpta Vatican., lib. VII-X, éd. Maii, Fr. 12 ; Servius ad Virgile, Énéide, III, 55I.

Il y a plusieurs points de différence entre Antiochos, Éphore et Servius ; le récit donné dans le texte suit le premier.

Le renseignement d’Hesychius (v. Παρθενεΐαι) semble en général un peu plus intelligible que celui que donne Strabon ; Justin traduit Partheniæ, Spurii.

Les héros éponymes locaux Taras et Satyrus (de Satyrium) étaient célébrés et adorés chez les Tarentins. V. Cicéron, Verrines, IV, 60, 13 ; Servius ad Virgile, Géorgiques, II, 197 ; Zumpt. ap. Orelli, Onomasticon Tullian., II, p. 570.

[91] Cf. Strabon, VI, p. 264 et p. 280.

[92] Strabon, VI, p. 278 ; Polybe, X, 1.

[93] Juvénal, Satires, XI, 297. Atque coronatum et petulans madidumque Tarentum. Cf. Platon, Leg., I, p. 637 ; et Horace, Satire II, 4, 34. Aristote, Politique, IV, 4, 1. Οί άλιεϊς έν Τάραντι καί Βυζαντίω, Tarentina ostrea, Varron, Fragm., p. 301, éd. Bipont.

Pour expliquer cette remarque d’Aristote sur les pêcheurs de Tarente comme étant la classe prédominante dans la démocratie, je transcris un passage de l’ouvrage de M. Keppel Craven, Tour in the Southern provinces of Naples, c. 10, p. 182 : Swinburne donne une liste de quatre-vingt-treize sortes différentes de coquillages que l’on trouve dans le golfe de Tarente ; mais plus spécialement dans il mare Piccolo. Dans les anciens temps, le murex et le pourpre étaient au premier rang pour la valeur ; à notre époque dégénérée, la moule et l’huître semblent avoir usurpé une prééminence aussi reconnue, mais moins élevée ; mais il y a d’autres familles nombreuses tenues en estime proportionnée pour leur saveur exquise, et aussi vivement recherchées pendant leurs saisons respectives. L’amour pour les coquillages de toute sorte, qui semble particulier aux indigènes de ces contrées, est tel qu’il parait exagéré à un étranger, accoutumé à n’en considérer qu’un petit nombre comme mangeables. Ce goût existe à Tarente, s’il est possible, plus fort encore que dans toute autre partie du royaume, et explique le revenu relativement considérable que le gouvernement retire de cette branche particulière de commerce. Il marc Piccolo est divisé en plusieurs portions, louées à différentes sociétés, qui ainsi ont seules le privilège de la pêche : presque tous les hommes des basses classes sont employées par ces corporations, selon que chaque saison par son retour leur procure de l’occupation, de sorte que la nature elle-même semble avoir fourni le commerce exclusif le plus propre aux habitants de Tarente. Les deux mers abondent en variétés de testacés, mais le golfe intérieur (il mare Piccolo) est jugé le plus favorable à leur croissance et à leur saveur. Le lit de sable est littéralement noirci par les moules qui le couvrent ; les bateaux qui glissent sur sa surface en sont chargés ; elles font disparaître sous une couche épaisse les rochers qui bordent le rivage, et paraissent également abondantes sur le bord, empilées en tas. M. Craven continue à expliquer davantage la merveilleuse abondance de cette pêche ; mais ce que nous avons transcrit, tout en jetant du jour sur la remarque d’Aristote mentionnée plus haut, servira en même temps à faire comprendre la prospérité et l’abondance matérielle de l’ancienne Tarente.

Pour mu exposé très soigné de l’état de la culture, particulièrement de l’olive auprès de la moderne Tarente dégénérée, V. les Travels of M. de Salis Marschlins in the Kingdon of Naples (traduits par Aufrere, London, 1795), sect. 5, p. 82-107, 163-178.

[94] Skylax ne cite pas du tout le nom d’Italie : il donne le nom de Leukania à toute la côte, depuis Rhegium jusqu’à Poseidônia sur la Méditerranée, et depuis le même point jusqu’à la limite entre Thurii et Hêrakleia sur le golfe de Tarente (c. 12, 13). A partir de ce point, il étend l’Iapygia jusqu’au mont Drion ou Garganos, de sorte qu’il comprend en Iapygia non seulement Metapontium, mais encore Hêrakleia.

Antiochus tire la ligne entre l’Italie et l’Iapygia à l’extrémité du territoire napolitain, comprenant Metapontium en Italie, et Tarente en Iapygia (Antiochus, Fragm. 6, éd Didot ; ap. Strabon, VI, p. 254).

Cependant Hérodote parle non seulement de Dletapontium, mais encore de Tarente, comme étant en Italie (I, 24 ; III, 136 ; IV, 15).

[95] Hérodote, VII, 170 ; Pline, H. N., III, 16 ; Athénée, XII, p. 523 ; Servius ad Virgile, Énéide, VIII, 9.

[96] Hérodote, IV, 99.

[97] Servius ad Virgile, Énéide, VII, 691. Polybe distingue les Iapygiens des Messapiens (II, 24).

[98] Pausanias, I, 10, 3 ; X, 13, 5 ; Strabon, VI, p. 282 ; Justin, III, 4.

[99] V. une description des opérations militaires des Français dans ces régions presque inaccessibles, que renferme une excellente publication due à un officier général français au service de ce pays pendant trois ans, Calabria during a military residence of three years, London, 1832, Letter XX, p. 201.

Tout le tableau de la Calabre compris dans ce volume est aussi intéressant qu’instructif ; il n’y avait jamais eu probablement d’opérations militaires de faites dans les montagnes de la Sila.

[100] V. Théocrite, Idylle, IV, 6-35, qui explique le point exposé ici.

[101] Suidas, v. ̔Ρίνθων ; Stephan. Byz., v. Τάρας ; cf. Bernhardy, Grundrissder Roemischen Litteratur, Abschnitt, II, pt. 2, p. 185, 186, au sujet de l’analogie de ces φλύακες, de Rhinthôn avec les mimes italiques indigènes.

Le dialecte des autres cités de la Grèce italique est très peu connu ; l’ancienne inscription de Betilia est dôrienne ; V. Ahrens, De Dialecto Doricâ, sect. 49, p. 418.

[102] Aristophane, Vesp., 1260 : Αίσωπικόν γελοϊον, ή Συβαριτικόν. Ce que veut dire Συβαριτικόν γελοϊον est mal expliqué par le Scholiaste, mais l’est parfaitement bien par Aristophane dans des vers suivants de la même pièce (1427-1436), ou Philokleon raconte deux bonnes histoires relatives à un Sybarite, et à une femme de Sybaris ; — Άνήρ Συβαρίτης έξέπεσεν έξ άρματος, etc. — Έν Συβάρει γυνή ποτε Κατέαξ̕ έχίνον, etc.

Ces Συβάρια έπιφθέματα sont aussi anciens qu’Épicharme, dont l’esprit était très imbu de la philosophie pythagoricienne. V. Etymolog. Magn., Συβαρίζειν. Elien s’amusait aussi des ίοτόριαι Συβαριτικαί (V. H., XIV, 20) ; cf. Hesychius, Συβαριτικοί λόγοι, et Suidas, Συβαριτικαϊς.

[103] C’est ainsi qu’Hérodote (VI, 127) nous apprend qu’il l’époque où Kleisthenês de Sikyôn appela de toute la Grèce des prétendants de rang convenable pour se disputer la main de sa fille, Smindyridês de Sybaris fût du nombre : c’était l’homme le plus délicat et le plus voluptueux qu’on eût jamais connue (Hérodote, VI, 127), et Sybaris à cette époque (580-560 av. J.-C.) était à l’apogée de sa prospérité. Il y avait de plus grands détails dans Chamæleon, Timée et autres écrivains postérieurs à Aristote. Smindyridês, disait-on, avait emmené avec lui pour le mariage mille serviteurs, pêcheurs, oiseleurs et cuisiniers (Athenæ, VI, 271 ; ZII, 541). Les détails du luxe sybaritique, que donne Athénée, sont surtout empruntés d’auteurs de cette époque postérieure i1 Aristote. — Hêraklide de Pont, Phylarque, Cléarque, Timée (Athenæ, XII, 519-522). Le mieux attesté de tous les exemples de la richesse sybaritique, c’est le magnifique vêtement orné de dessins, de quinze coudées de longueur, qu’Alkimenês le Sybarite dédia comme offrande votive au temple de Hêrê Lakinienne. Denys de Syracuse pilla ce temple, s’empara du vêtement et le vendit, assure-t-on, aux Carthaginois, pour 120 talents ; Polémon le Périégète semble l’avoir vu à Carthage (Aristote, Mirab. Ausc., 96 ; Athenæ, XII, 541). Le prix est-il exactement rapporté, c’est ce que nous ne sommes pas en état de déterminer.

[104] Hérodote, VII, 102.

[105] Varron, De Re Rustica, I, 44. In Sybaritano dicunt etiam cura centesimo redire solitum. Le pays des Grecs italiques est au premier rang pour le pain de froment et le bœuf ; celui de Syracuse pour le porc et le fromage (Hermippus, ap. Athenæ, I, p. 27) ; sur l’excellent froment d’Italie, comparez Sophocle, Triptolem. Fragm., 529, éd. Dindorf.

Théophraste insiste sur l’excellence de la terre voisine de Mylæ, dans le territoire de la Sicilienne Messênê, qui produisait (selon lui) trente pour un (Hist. Plant., IX, 2, 8, p. 259, éd. Schneidewin). Ceci nous donne une certaine mesure pour comparer et l’excellence réelle de l’ancien territoire de Sybaris, et le cas qu’on en faisait ; son produit estimé étant trois fois plus grand que celui de Mylæ.

V. dans le livre de M. Keppel Craven, Tour in the Southern Provinces of Naples (c. 11, 12, p. 212-218), la description de la riche et fertile plaine du Krathis (au milieu de laquelle s’élevait l’ancienne Sybaris), d’une étendue d’environ seize milles (= 25 kilom. 1/2), de Cassano à Corigliano, et d’environ douze milles (=19 kilom. 300 mèt.) de la première ville à la mer. Cf. aussi le tableau de la même contrée dans l’ouvrage d’nu officier français cité dans une note précédente, Calabria during a military residence of three years, London, 1832, Letter XXII, p. 219-226.

Hécatée (c. 39, éd. Klausen) appelle Cosa, Κόσσα, πόλις Οίνωτρών έν μεσογαία. On considère Cosa, vraisemblablement sur de bonnes raisons, comme identique à la moderne Cassano (César, Bell. Civ., III, 22), en admettant que ceci soit exact, Il doit y avoir eu une cité œnotrienne dépendante à huit milles (= 12 kilom. 800 mèt.) de l’ancienne cité de Sybaris.

[106] Diodore, XII, 9.

[107] Athénée, XII, p. 519.

[108] Hérodote, VI, 21. Relativement à la grande abondance de bois pour la construction des vaisseaux que produisait le territoire des Italiotes (Grecs italiques), v. Thucydide, VI, 90 ; VII, 25.

La poix des forêts de pins dans la Sila était également abondante et célèbre (Strabon, VI, p. 261).

[109] Hérodote, III, 138.

[110] Athénée, XII, p. 519.

[111] Festus, v. Bilingues Brutates.

[112] Strabon, VI, p. 262.

[113] Jamblique, Vie de Pythagoras, c. 9, p. 33 ; c. 35, p. 210.

[114] Athénée, XII, 541.

[115] Cette date repose sur Timée (que cite Skymnus de Chios, 210), et sur Solin ; il ne semble pas qu’il y ait lieu d’en douter, bien que Thucydide (1-13) et Isocrate (Archidamus, p. 316) paraissent croire que Massalia fut fondée par les Phokæens environ soixante ans plus tard, lorsque l’Iônia fut conquise par Harpagos (V. Bruckner, Historia Reip. Massiliensium, sect. 2, p. 9), et Raoul Rochette, Histoire des colonies grecques, vol. III, p. 405-413, qui cependant place l’arrivée des Phokæens dans ces régions et à Tartêssos beaucoup trop tôt.

[116] Aristote, Μασσαλιώτων πολιτεία, ap. Athenœum, VIII, p. 576 ; Justin, 43, 3. Plutarque (Solon, c. 2) semble suivre le même récit que Justin.

[117] Strabon, IV, p. 179-182 ; Justin, 43, 4-5 Cicéron, Pro Flacco, 26. Il paraît plutôt, d’après Aristote (Politique, V, 5, 2 ; VI, 4-5), que le sénat était dans l’origine un corps complètement fermé, ce qui occasionna dit mécontentement de la part des hommes riches qui n’y étaient pas compris ; on l’apaisa en y admettant, à l’occasion, des hommes choisis parmi ces derniers.

Quelques auteurs semblent avoir accusé les Massaliotes d’habitudes voluptueuses et efféminées (V. Athénée, XII, p. 523).