HISTOIRE DE LA GRÈCE

CINQUIÈME VOLUME

CHAPITRE I — ASSYRIENS. - BABYLONE.

 

 

Le nom des Assyriens, qui formaient une partie de cet ancien système de relations et de commerce, est attaché principalement aux grandes cités de Ninive et de Babylone. On attribuait aux Assyriens de Ninive (comme nous l’avons déjà signalé) à une époque reculée un empire très étendu, couvrant une grande portion de la haute Asie, aussi bien que la Mesopotamia, ou pays situé entre l’Euphrate et le Tigre. Relativement à cet empire, à son commencement ; à son étendue, ou même à la manière dont il fut renversé, on ne peut rien affirmer de certain. Mais il semble incontestable qu’un grand nombre de cités considérables et florissantes, et une population inférieure aux Phéniciens en esprit d’entreprises, mais non en industrie, se trouvaient sur l’Euphrate et le Tigre, dans des temps antérieurs à la première Olympiade. Entre ces cités, les principales étaient Ninive sur le Tigre et Babylone sur l’Euphrate[1] : la dernière étant probablement dans une sorte de dépendance vis-à-vis des souverains de Ninive, gouvernée cependant par des rois et des chefs particuliers, et comprenant un ordre héréditaire de prêtres appelés Chaldæens, maîtres de toute la science et de toute la littérature, aussi bien que des cérémonies usitées parmi le peuple, et voués depuis une époque très reculée à cette habitude d’observations astronomiques que favorisait tant leur ciel brillant.

Le peuple appelé Assyriens ou Syriens — car chez les auteurs grecs il n’y a pas de distinction constante observée entre les deux noms[2] —, était réparti sur le vaste territoire borné à l’est par le mont Zagros et par sa prolongation au nord-ouest vers le mont Ararat, qui les séparait des Mèdes, et s’étendant de là à l’ouest et au sud jusqu’au Pont-Euxin, au fleuve Halys, à la mer Méditerranée et au golfe Persique, couvrant ainsi tout le cours du Tigre et de l’Euphrate au sud de l’Armenia, aussi bien que la Syria et la Palestine syrienne, et le territoire à l’est de l’Halys appelé Kappadokia. Mais l’ordre des prêtres chaldæens semble avoir été particulier à Babylone et à d’autres villes de son territoire, spécialement entre cette cité et le golfe Persique. Dans cette ville le temple de Bélus, vaste, riche et élevé, leur serait à la fois de lieu de culte et d’observatoire astronomique. Ce fut l’ascendant prédominant de cet ordre qui semble avoir fait qu’on appelait Chaldæen le peuple babylonien en général,-bien que quelques écrivains aient supposé, sans aucune preuve valable, une conquête de Babylone assyrienne faite par des barbares appelés Chaldæens, venus des montagnes voisines du Pont-Euxin[3].

Il y avait des assertions exagérées relativement à l’ancienneté de leurs observations astronomiques, que l’on ne peut faire remonter à une date déterminée et constatée, plus reculée que l’ère de Nabonassar[4] (747 av. J.-C.), aussi bien qu’à l’étendue de leurs connaissances acquises, mêlées dans une si lare mesure à des imaginations astrologiques et à dés influences secrètes des corps célestes sur les affaires humaines. Mais quelque incomplètes que puissent paraître leurs connaissances, si on les juge d’après la règle d’une époque postérieure, on ne peut douter que, comparés avec n’importe quel de leurs contemporains du sixième siècle avant J.-C. (Égyptiens, Grecs ou Asiatiques), ils ne lui fussent bien supérieurs, et n’eussent beaucoup à apprendre non seulement à Thalês et à Pythagore, mais même à des investigateurs ultérieurs ; tels qu’Eudoxe et Aristote. Hérodote affirme que les Babyloniens enseignèrent pour la première fois aux Grecs l’idée de la révolution de la sphère céleste, du gnomon et de la division du jour en douze parties[5] ; et l’observation continue des cieux, faite tant par les prêtres égyptiens que par les prêtres chaldæens, avait déterminé avec une très grande exactitude et la durée de l’année solaire et celle d’autres périodes plus0ongues de retour astronomique ; gravant ainsi dans l’esprit des Grecs intelligents l’imperfection de leurs propres calendriers, et leur fournissant une base non seulement pour des observations personnelles plus étendues, mais encore pour la découverte et l’application de ces théories mathématiques, qui pour la première fois firent de l’astronomie une science.

Ce n’étaient pas seulement les acquisitions astronomiques de la caste sacerdotale qui distinguaient les anciens Babyloniens. La condition sociale, la fertilité du pays, la population compacte et l’industrie persévérante des habitants n’étaient pas moins remarquables. Relativement à Ninive[6], jadis la plus grande des cités assyriennes, nous n’avons aucun bon renseignement ; et nous ne pouvons pas non plus en parler sans danger par analogie avec Babylone, en ce que les choses particulières à cette dernière étaient complètement déterminées par l’Euphrate, tandis que Ninive était située beaucoup plus loin au nord et sur la rive orientale du Tigre. Mais Hérodote, comme témoin oculaire, nous donne des détails précieux sur Babylone. Nous pouvons juger d’après son récit, qui représente la condition de cette ville après de grandes souffrances éprouvées à la suite de la conquête des Perses, ce qu’elle avait été un siècle plus tôt à l’époque de sa splendeur complète.

Le territoire voisin, ne recevant que peu de pluie[7], doit entièrement sa fertilité au débordement annuel de l’Euphrate, auquel on consacra des travaux gigantesques, dans le dessein de limiter, de régulariser et de répandre l’eau qu’il fournissait. Des digues le long du fleuve, — des réservoirs artificiels s’y rattachant pour recevoir une crue excessive, de nouveaux canaux curvilignes creusés pour l’eau dans des endroits où le courant était trop droit et trop rapide, — des canaux larges et profonds traversant tout l’espace entre l’Euphrate et le Tigre, et alimentant de nombreux ruisseaux[8] ou fossés qui permettaient à là terre d’être arrosée dans toute sa largeur, — tous ces soins pénibles étaient indispensables pour assurer au sol babylonien l’humidité nécessaire. Mais ils furent récompensés par une exubérance de produits dans les divers genres de grains, telle qu’Hérodote ose à peine la spécifier. La contrée ne produisait pas d’arbres, à l’exception du dattier : on en tirait parti de bien des manières différentes, et de son fruit, à la fois abondant et de dimension extraordinaire, on faisait du vin aussi bien que du pain[9]. De plus, la Babylonia produisait encore moins de pierres que de bois, de sorte que les bâtiments aussi bien que les murailles étaient construits presque entièrement de briques, auxquelles la terre était très propre ; tandis qu’un courant de bitume minéral, trouvé près de la ville et de la rivière d’Is, en remontant l’Euphrate, servait de ciment. Ce travail persévérant et systématique appliqué en vue de l’irrigation fait naître notre étonnement ; cependant la description de ce qui fut fait pour la défense est encore plus frappant. Babylone, traversée au milieu par l’Euphrate, était entourée de murs de trois cents pieds de haut, de soixante quinze d’épaisseur, et composant un carré dont chaque côté avait cent vingt stades (ou environ quinze milles anglais = 24 kilom.) de long. Autour des murailles à l’extérieur était un fossé large et profond, d’où l’on avait extrait la matière des briques dont elles étaient formées ; tandis que cent portes d’airain servaient polir entrer et sortir. En outre ; il y avait un mur intérieur moins épais, mais cependant très fort ; et comme nouvel obstacle opposé à des envahisseurs venant du nord et du nord-est, un autre mur élevé et épais était construit à quelques milles de la cité, en travers de l’espace qui séparait l’Euphrate du Tigre, — appelé le mur de Médie, vraisemblablement un peu au nord de ce point où les deux fleuves se rapprochent le plus et rejoignant le Tigre sur sa rive occidentale. Un grand nombre de maisons avaient trois ou quatre étages, et les rues larges et droites, inconnues dans une ville grecque jusqu’à la division du Peiræeus par Hippodamos vers le temps de la guerre du Péloponnèse, étaient bien propres à augmenter l’étonnement que produisait tout ce spectacle dans l’esprit d’un visiteur tel qu’Hérodote. Le palais royal, avec ses mémorables terrasses ou jardins suspendus, formait l’édifice central et dominant dans une moitié de la cité, — tandis que le temple de Bélus dominait clans l’autre moitié.

Ce temple célèbre, s’élevant sur une base d’un stade carré, et entouré d’une enceinte de deux stades carrés, était composé de huit tours massives, construites l’une au-dessus de l’autre, et avait, selon Strabon, jusqu’à un stade ou un furlong (201 mètres) de haut (la hauteur n’est point spécifiée par Hérodote)[10]. Il était rempli de riches décorations et possédait des biens fonciers étendus. Le long des rives du fleuve, clans son passage à travers la cité, étaient construits des quais spacieux, et un pont sur des piles de pierre, — pour la construction duquel (comme on le dit à Hérodote) Sémiramis avait fait mettre à sec l’Euphrate en le détournant dans un vaste réservoir et dans un lac construits latéralement au fleuve et en amont de la ville[11].

Outre cette grande ville de Babylone elle-même, il y avait dans tout le voisinage, entre les canaux qui unissaient l’Euphrate et le Tigre, un grand nombre de villages riches et peuplés, tandis que Borsippa et d’autres villes considérables étaient situées plus bas en descendant sur l’Euphrate lui-même. Et l’industrie, agricole aussi bien que manufacturière, de la population réunie n’était pas moins persévérante que productive. Leurs tissus de lin, de coton et de laine, et leurs tapis richement ornés étaient célèbres dans toutes les régions orientales. Leur coton venait en partie des îles du golfe Persique. Les troupeaux de moutons gardés par les Arabes nomades leur fournissaient une laine plus fine même que celle de Milêtos ou de Tarante. Outre l’ordre de prêtres chaldæens, il semble qu’il y a eu parmi eux certaines autres tribus avec des coutumes héréditaires particulières. Ainsi il y avait trois tribus, probablement prés de l’embouchure du fleure, qui se bornaient à la seule nourriture de poisson ; mais nous n’avons pas de preuves d’une caste militaire (telle que celle qui existait en Égypte) ni d’aucune autre profession héréditaire.

Pour donner une idée quelconque de ce qu’était l’Assyria, dans les anciens temps de l’histoire grecque et pendant les deux siècles qui ont précédé la conquête de Babylone par Cyrus en 536 avant J.-C., nous n’avons malheureusement pas de témoin antérieur à Hérodote, qui ne vit Babylone que près d’un siècle après cet événement, — environ soixante-dix ans après la révolte encore plus désastreuse et sa seconde réduction par Darius. La Babylonia était devenue une des vingt satrapies de l’empire des Perses, et outre qu’elle payait un tribut régulier plus considérable qu’aucune des dix-neuf autres, elle fournissait, grâce à son sol exubérant ; des provisions pour le Grand Roi et pour l’armée innombrable de ses suivants pendant un tiers de l’année[12]. Cependant elle était alors dans un état de dégradation relative ; ses immenses murailles avaient été battues en brèche par Darius, et elle avait eu ensuite à souffrir les mauvais traitements de Xerxès ; et puisque ce prince dépouillait ses temples, et particulièrement le temple vénéré de Bélus, de quelques-uns de leurs plus riches ornements, il était probablement encore moins scrupuleux dans sa manière de traiter les édifices civils[13]. Si, malgré de tels châtiments, malgré ces preuves manifestes de pauvreté et de souffrances dans le peuple, signalées expressément par Hérodote, elle continua à être ce qu’il décrit, comptée encore comme presque la première ville de l’empire des Perses, tant à l’époque du jeune Cyrus qu’à celle d’Alexandre[14], — nous pouvons juger de ce qu’elle doit avoir été jadis, alors qu’elle n’était pas soumise à des satrapes étrangers et qu’elle n’avait pas de tribut à payer à l’étranger[15], c’est-à-dire sous ses rois assyriens et ses prêtres chaldæens, pendant le dernier des deux siècles qui s’écoulèrent entre l’ère de Nabonassar et la prise de la ville par le Grand Cyrus. Bien que plusieurs de ses rois, pendant le premier de ces deux siècles, eussent contribué beaucoup aux grands travaux de Babylone, cependant ce fut pendant le second siècle des deux, après la prise de Ninive par les Mèdes, et sous Nabuchodonosor et Nitôkris, que les rois atteignirent le maximum de leur puissance, et la cité, sa plus grande extension. Ce fut Nabuchodonosor qui construisit le port de mer de Terêdon, à l’embouchure de l’Euphrate, et qui probablement creusa le long canal navigable de près de 400 milles = 644 kilomètres qui y débouchait. Ce canal était peut-être formé en partie par un bras occidental naturel de l’Euphrate[16]. Le frère du poète Alcée, Antimenidas, qui servit dans l’armée babylonienne, et se distingua par sa valeur personnelle (600-580 av. J.-C.) — doit l’avoir vue dans tout son éclat[17]. Il est le plus ancien Grec qui, comme on nous le dit, ait été individuellement en rapport avec les Babyloniens. Ce qui marque d’une manière frappante[18] le contraste entre les rois perses et les rois babyloniens, sur la ruine desquels ils s’élevèrent, c’est que, tandis que les derniers faisaient d’immenses dépenses pour faciliter la communication entre Babylone et la mer, les premiers entravaient artificiellement le cours inférieur du Tigre, afin que leur résidence a Suse fût hors des atteintes d’assaillants.

Ce qui notes frappe le plus, et ce qui a dû frapper bien davantage les premiers visiteurs grecs, aussi bien dans l’Assyria que dans l’Égypte, c’est la seule force humaine dont ces anciens rois disposaient sans limites, et l’effet du simple nombre et d’une persévérance infatigable, sans aucun secours ni de la théorie ni de l’art, dans l’accomplissement de résultats gigantesques[19]. En Assyria, les résultats de ces efforts étaient en grande partie des entreprises exagérées, utiles en elles-mêmes au peuple puisqu’elles servaient à l’irrigation et à la défense : le culte religieux en profita également, aussi bien que les fantaisies personnelles et la pompe des rois : tandis qu’en Égypte c’est cette dernière classe qui l’emporte davantage sur la première. Nous trouvons à peine dans l’une ou dans l’autre de ces deux contrées le sentiment plus élevé de l’art, qui doit son premier développement marqué à la sensibilité et au génie des Grecs. Mais l’esprit humain, à chaque phase de son développement, et surtout dans sa période de grossièreté et d’irréflexion, reçoit d’une grandeur visible et tangible une forte impression, et est frappé d’une crainte respectueuse par les preuves d’une grande puissance. C’est à ce sentiment, pour ce qui surpassait la commodité et la sécurité pratiques, que les merveilles, tant en Égypte qu’en Assyria, faisaient appel. L’exécution de ces œuvres colossales démontre des habitudes de travail régulier, une population concentrée sous un seul gouvernement, et par-dessus tout une soumission implicite à l’autorité royale et sacerdotale, — contrastant fortement avec les petites communautés autonomes de la Grèce et de l’Europe occidentale, où la volonté du citoyen pris individuellement était bien plus énergique et bien plus libre de contrôle. L’acquisition d’habitudes de travail régulier, si étrangères au caractère naturel de l’homme, était accomplie en Égypte, en Assyria, en Chine et dans l’Hindôstan, avant qu’elle eût pris pied en Europe ; mais elle était achetée par l’obéissance la plus humble à un gouvernement despotique, ou par l’enchaînement dans les liens d’une institution consacrée de caste. Même pendant la période homérique de la Grèce, ces contrées avaient atteint une certaine civilisation en masse, sans avoir acquis de qualités intellectuelles élevées ou sans que quelque génie individuel se fût développé.. La sanction relieuse et la sanction politique, ‘quelquefois combinées et quelquefois séparées, déterminaient pour chacun sa manière de vivre, sa croyance, ses devoirs et sa place dans la société, sans laisser de marge pour la volonté ou la raison de l’agent lui-même. Or, les Phéniciens et les Carthaginois manifestent un élan et une énergie individuels à un degré qui les met bien au-dessus de ce type de civilisation, bien que, dans leurs goûts, leurs sentiments sociaux et leur religion, ils soient encore asiatiques. Et même quant à la communauté babylonienne, quoique ses prêtres chaldæens soient le pendant des prêtres égyptiens, avec un moins grand ascendant, elle combine avec son aptitude industrielle et sa persévérance dans ses desseins quelque chose de cette ardente férocité de caractère qui distingue tant de peuples de la race sémitique, — Juifs, Phéniciens et Carthaginois. Ces peuples sémitiques se distinguent aussi bien de la vie égyptienne, — enchaînée par des fantaisies et des antipathies puériles, et par les frivolités sans fin d’un détail cérémoniel, que de la vie grecque, flexible, aux mille faces, et s’organisant elle-même ; le Grec étant non seulement capable d’ouvrir tant pour lui que pour le genre humain les voies les plus hautes de l’intelligence et la pleine action créatrice de l’art, mais encore étant beaucoup plus doux dans ses sympathies privées et dans sa conduite que ses contemporains vivant sur les bords de l’Euphrate, du Jourdain ou du Nil ; — car nous ne devons pas naturellement le comparer avec les exigences de l’Europe occidentale au dix-huitième et au dix-neuvième siècle.

En Babylonia, ainsi qu’en Égypte, les monuments, les endiguements et les canaux aux vastes proportions, exécutés par un travail collectif, paraissaient d’autant plus remarquables à un voyageur de l’antiquité par le contraste avec les régions désertes et les tribus de pillards qui les entouraient immédiatement. A l’ouest de l’Euphrate, les sables de l’Arabia s’étendaient au nord, à peine interrompus, jusqu’à la latitude du golfe d’Issus ; ils couvraient même là plus grande partie de la Mesopotamia[20], ou pays situé entre l’Euphrate et le Tigre, commençant à une faible distance au nord du mur appelé le mur de Médie mentionné plus haut, qui (se dirigeant presque au sud du Tigre à l’Euphrate) avait été élevé pour protéger la Babylonia contre les incursions des Mèdes[21]. De plus, à l’est du Tigre, le long de la chaîne du mont Zagros, mais à peu de distance du fleuve, on trouvait les Elymæi, les Kossæi, les Uxii, les Parætakêni, etc., — tribus qui (pour employer l’expression de Strabon)[22], vu qu’elles habitaient une contrée pauvre, étaient dans la nécessité de vivre en pillant leurs voisins. Ces bandes grossières de pillards d’un côté, et ces larges espaces de sable des deux autres, sans végétation ni eau, contrastaient fortement avec l’industrie et là fécondité de la Babylonia. On doit considérer Babylone elle-même, non pas comme une seule cité continue, mais comme une cité enfermée avec le district qui l’environnait dans les immenses murailles, dont la hauteur et l’épaisseur étaient par elles-mêmes une défense suffisante, de sorte que la place n’était accessible à des assaillants que par ses portes. En cas de besoin, elle servait d’asile aux personnes et aux biens des habitants des villages de la Babylonia. Nous verrons ci-après combien une telle ressource était utile dans des circonstances critiques, quand nous en arriverons à passer en revue les invasions de l’Attique par les Péloponnésiens, et les malheurs occasionnés par une foule temporaire accourant de la campagne, de manière à surcharger les logements à l’intérieur des murs d’Athènes. Cependant, quelque spacieuse que fût Babylone, Strabon affirme que Ninus ou Ninive était beaucoup plus considérable encore.

 

APPENDICE

Depuis la première édition de ces volumes, l’intéressant ouvrage de M. Layard, Nineveh and its Remains, avec ses dessins explicatifs — The monuments of Nineveh — a été publié. Et grâce aux estimables et incessants efforts qu’il a faits pour surmonter toutes les difficultés que présentaient des fouilles sur place, le British Museum a été enrichi d’une précieuse collection de sculptures assyriennes réelles et d’autres monuments. Une quantité de restes semblables de l’antiquité assyrienne, obtenus par M. Botta et par d’autres, ont été aussi déposés dans le Museum du Louvre à Paris.

Relativement à l’art assyrien, et à vrai dire à l’histoire de l’art en général, tut nouveau monde a ainsi été ouvert, qui promet d’être fécond en instruction ; surtout si nous considérons que le terrain d’où l’on a obtenu les récentes acquisitions a été encore examiné très imparfaitement, et qu’il y a lieu d’espérer qu’il produira une plus ample moisson par la suite, en admettant des circonstances assez favorables aux recherches. Les sculptures, qu’on nous représente avec toutes leurs particularités remarquables de style et d’idée, doivent indubitablement dater du huitième ou du septième siècle avant J.-C. au plus tôt, — et peuvent être beaucoup plus anciennes. Le style qu’elles offrent fournit un pendant, bien qu’extrêmement différent, en bien des points, à celui de l’antique Égypte, avec lequel on peut le comparer, — à une époque où les combinaisons idéales des Grecs se renfermaient, autant que nous le savons, exclusivement dans la poésie épique et lyrique.

Mais relativement à l’ancienne histoire assyrienne, nous avons encore à découvrir si ces intéressants monuments peuvent en toute sûreté nous fournir beaucoup de renseignements. Les inscriptions cunéiformes actuellement mises au jour sont, il est vrai, très nombreuses ; et si l’on peut les déchiffrer d’après des principes rationnels et dignes de foi, nous ne pouvons guère manquer d’acquérir plus ou moins de connaissances positives par rapport à une période plongée aujourd’hui dans une nuit totale. ‘Mais il serait dangereux de tirer des conséquences historiques des monuments seuls de l’art. Par exemple, quand nous trouvons des sculptures qui représentent un roi prenant une ville d’assaut, ou recevant des captifs qu’on lui amène, etc., nous ne devons pas conclure que ceci s’appelle une conquête réelle et positive faite récemment par les Assyriens. La connaissance que nous avons des sujets de la sculpture grecque sur les murs de temples est tout à fait suffisante pour vous faire rejeter une telle conclusion, à moins qu’il n’y ait quelque preuve à l’appui. On doit d’abord découvrir quelque moyen de distinguer les sujets historiques des sujets mythiques : distinction que je signale ici, d’autant plus que M. Layard montre à l’occasion une tendance à la négliger dans ses remarques et ses explications intéressantes. V. particulièrement, vol. II, c. 6, p. 409.

D’après les riches et abondantes découvertes faites à Nimroud, combinées avec celles faites à Kouyunjik et à Khorsabad, M. Layard penche à comprendre ces trois villes dans l’enceinte de l’ancienne Ninive ; en admettant pour cette enceinte l’espace prodigieux allégué par Diodore, qui l’emprunte de Ktêsias, 480 stades ou plus de 50 milles anglais (80 k. 465 m.) (V. Nineveh and its Remains, vol. II, c. 2, p. 242-253). M. Layard croit que la partie nord-ouest de Nimroud présente des monuments plus anciens, et en même temps supérieurs pour le style et l’exécution, que la partie sud-ouest, — ou que Kouyunjik et Khorsabad (vol. II, c. 1, p. 204 ; c. 3, p. 305). Si cette hypothèse, quant au terrain couvert par Ninive, est exacte, probablement des fouilles futures la confirmeront, — ou, si elle est inexacte, elles la réfuteront. fiais je ne rejette pas du tout la supposition sur la simple raison d’une grandeur excessive ; au contraire, je croirais tout de suite à ce renseignement, s’il était rapporté par Hérodote après une visite faite sur les lieux, comme je crois à la grandeur de Babylone. Le témoignage de Ktêsias est en effet très inférieur en valeur à celui d’Hérodote ; cependant on ne doit guère le sacrifier à l’improbabilité supposée d’un si grand espace entouré de murs, si nous considérons combien peu nous savons où s’arrêtait le pouvoir des rois assyriens par rapport au moyen de se procurer le travail humain pour quelque entreprise uniquement simple et pénible, avec des matériaux voisins et inépuisables. Pour ne pas mentionner la grande muraille de la Chine, nous n’avons qu’à regarder le mur des Pictes, et d’autres murailles bâties par les Romains en Bretagne, pour nous convaincre qu’une grande longueur de fortifications, dans des circonstances beaucoup moins favorables que ne l’était la position des anciens rois assyriens, n’est nullement incroyable en elle-même. Bien que les murs de Ninive et de Babylone fussent beaucoup plus considérables que ceux de Paris dans son état actuel, cependant si nous les comparons, non seulement pour la grandeur, mais sous le rapport de la dépense, du travail et des combinaisons, nous trouverons que les derniers représentent une somme d’ouvrage infiniment plus grande.

Larissa et Mespila, ces villes et ces murailles désertes que vit Xénophon dans la retraite des Dix Mille (Anabase, III, 4, 6-10), coïncident sous le rapport de la distance et de la situation avec Nimroud et Kouyunjik, suivant une remarque de M. Layard. Et la supposition qu’il fait ne me semble pas improbable, à savoir que ces deux villes furent bâties par les Mèdes avec les ruines de la cité de Ninive conquise. Ni l’une ni l’autre de ces villes isolément ne semble à la hauteur de la réputation de cette ancienne ville, ni de l’enceinte fortifiée. Selon le rapport d’Hérodote, Phraorte, le second roi mède, avait attaqué Ninive, mais avait été tué lui-même dans l’entreprise, et avait perdu presque toute son armée. Ce fut en partie pour venger ce désastre que Kyaxarês, fils de Phraorte, assaillit Ninive (Hérodote, I, 102-103) ; nous pouvons ainsi voir, outre sa propre violence de caractère (I, 73), une raison spéciale qui lui fit détruire la cité après l’avoir prise (Νίνου άναστάτου γενομένης, I, 78). Il est aisé de concevoir que ce vaste espace fortifié ait été détruit et converti en deux villes mèdes, toutes deux sur le Tigre. Lorsque dans la suite l’empire des Perses remplaça la domination des Mèdes, ces villes furent aussi dépeuplées, autant qu’on peut ajouter foi aux étranges récits que Xénophon entendit dans sa retraite. L’existence ultérieure de ces deux villes mèdes contribua sans doute, dans le temps, à faire perdre de vue les traditions relatives à l’ancienne Ninus qui s’élevait auparavant sur leur emplacement. Mais ces traditions ne disparurent jamais entièrement, et il a dit naître plus tard sur ce lieu une nouvelle ville portant l’antique nom de Ninus. Cette seconde Ninus ‘est reconnue par Tacite, Ptolémée et Ammien, non seulement comme existant, mais comme prétendant à une continuité non interrompue de succession à partir de l’ancien caput Assyriæ.

M. Layard fait remarquer la facilité avec laquelle des édifices, tels que ceux d’Assyria, bâtis en briques cuites au soleil, périssent quand on les néglige, et se réduisent en poussière, ne laissant que peu ou point de traces.

 

 

 



[1] Hérodote, I, 178.

L’existence de ces deux villes et de plusieurs autres grandes cités est un point important à comprendre, dans notre conception de l’ancienne Assyria : Opis sur le Tigre, et Sittakê tout près de ce fleuve, étaient du nombre (Xénophon, Anabase, II, 4, 13-25) : cf. Diodore, II, 11.

[2] Hérodote, I, 72 ; III, 90-91 ; VII, 63 : Strabon, XVI, p. 736, et 1I, p. 84, où il blâme la division de la οίκουμένη (portion habitée du globe) faite par Eratosthène, parce qu’elle ne renfermait pas dans le même compartiment (σφραγίς) la Syria propre et la Mesopotamia : il appelle Ninus et Sémiramis, Syriens. Hérodote considère les Arméniens comme des colons venus de Phrygia (VII, 73).

Les noms homériques Άρίμοι, Έρεμβοί (le premier dans l’Iliade, II, 783, le second dans l’Odyssée, IV, 84) coïncident avec le nom oriental de cette race Aram ; ce nom semble plus ancien dans les habitudes de langage des Grecs que Syriens (V. Strabon, XVI, p. 785).

Le Catalogue hésiodique également, aussi bien que Stésichore, reconnaissait Arabus comme fils d’Hermês et de Throniê fille de Bélus (Hésiode, Fragm. 29, éd. Marktscheffel ; Strabon, I, p. 42)

[3] Heeren, dans l’exposé qu’il fait des Babyloniens (Ideen über den Verlcehr der Alten Welt, part. I. Abth. 2, p. 168), parle de cette conquête de Babylone par des barbares chaldæens venus des montagnes septentrionales comme d’un fait certain, expliquant le grand développement de l’empire babylonien sous Nabopolassar et Nabuchodonosor, de 630 à 580 avant J.-C. ; ce furent (à ce qu’il croit) les nouveaux conquérants chaldæens qui étendirent ainsi leur domination sur la Judée et la Phénicie.

Je partage l’opinion de Volney (Chronologie des Babyloniens, c. 10, p. 215), qui croit cette assertion à la fois dénuée de preuves et improbable. Mannert semble supposer que les Chaldæens sont d’origine arabe (Geogr. der Gr. und roem., part. V, s. 2, c. 12, p. 419). Les passages de Strabon (XVI, p. 739) sont plus favorables à cette opinion qu’à celle de Heeren ; mais nous ne reconnaissons rien de distinct relativement aux Chaldæens, si ce n’est qu’ils étaient l’ordre de prêtres chez les Assyriens de Babylone, comme Hérodote les désigne expressément (Hérodote, 1, 181).

[4] La plus ancienne observation astronomique chaldæenne, connue de l’astronome Ptolémée, à la fois précise et d’une date déterminée à un degré suffisant pour l’usage scientifique, était une éclipse de lune du 19 mars 721 avant J.-C. — la vingt-septième année de l’ère de Nabonassar (Ideler, Ueber die Astronomischen Beobachtungen der Alten, p. 19, Berlin, 1806).Si Ptolémée avait conne des observations plus anciennes remplissant ces conditions, il n’aurait pas manqué de, les signaler : ses propres mots dans l’Almageste attestent quel prix il attachait à la connaissance et à la comparaison d’observations faites à des intervalles éloignés (Almageste, 1. 3, p. 62, ap. Ideler, l. c., p. 1), et en même temps impliquent qu’il n’en connaissait pas de plus ancienne que l’ère de Nabonassar (Alm., III, p. 77, ap. Idel. p. 169).

Que les Chaldæens aient été, longtemps avant cette époque, dans l’habitude d’observer les cieux, il n’y a aucune raison pour en douter, et l’exactitude de ces observations citées par Ptolémée explique (suivant l’opinion d’Ideler, ibid., p. 167) une longue pratique antérieure. La période de 223 lunaisons, après laquelle la lune retourne presque aux mêmes positions par rapport aux apsides et aux nœuds, et après laquelle les éclipses reviennent presque dans le même ordre et de la même grandeur, parait avoir été découverte par les Chaldæens (Defectus ducentis viginti tribus mensibus redire in suos orbes certum est, Pline, H. N., II, 13), et ils en tiraient les mouvements diurnes moyens de la lune avec un degré d’exactitude qui ne diffère que de quatre secondes des tables lunaires modernes (Geminus, Isagoge in Arati Phænomena, c. 15 : Ideler, l. c. p. 153, 154, et dans son Handbuch der Chronologie, vol. I, Abseb. II, p. 207).

Il semble qu’il y a eu des observations chaldæennes, tant faites que constatées, d’une ancienneté beaucoup plus grande que l’ère de Nabonassar ; bien que nous ne puissions insister beaucoup sur la date de 1903 ans antérieure à Alexandre le Grand, qui est mentionnée par Simplicius (ad Aristote, De Cœlo, p. 123) comme étant la période la plus ancienne des observations chaldæennes envoyées de Babylone par Kallisthène à Aristote. Ideler pense que les observations chaldæennes antérieures à l’ère de Nabonassar étaient sans profit pour les astronomes par suite du manque de quelque ère fixe, ou cycle défini, pour constater la date de chacune d’elles. L’année civile commune des Chaldæens avait cité dès le commencement (comme celle des Grecs) une année lunaire, maintenue dans un certain degré d’harmonie avec le soleil, au moyen de cycles d’années lunaires et d’intercalation. Jusqu’à l’ère de Nabonassar, la confusion régna dans le calendrier, et il n’y avait rien pour vérifier soit l’époque de l’avènement des rois ou celle des phénomènes astronomiques observés, si ce n’est les jours et les mois de cette année lunaire. Sous le règne de Nabonassar, les astronomes, à Babylone, introduisent (non dans l’usage civil, mais pour leurs propres besoins et leurs tables particulières) l’année solaire égyptienne — de trois cent soixante-cinq jours, ou douze mois de trente jours chacun, avec cinq jours supplémentaires, s’ouvrant avec le premier du mois Thoth, commencement de l’année égyptienne et ils obtinrent ainsi pour la première fois un moyen continu et exact de marquer la date des événements. Cela ne veut pas dire que les Chaldæens aient obtenu alors pour la première fois la connaissance de l’année solaire de trois cent soixante-cinq jours, mais cela prouve qu’ils l’adoptèrent pour la première fois dans leur notation du temps pour des desseins astronomiques, fixant le moment précis auquel ils commençaient. Il n’y a pas non plus la moindre raison pour supposer que l’ère de Nabonassar coïncidât avec une révolution politique ou ‘un changement de dynastie. Ideler discute ce point (p. 146-173, et Handbuch der Chronol. p. 215-220). Syncelle pouvait dire exactement : Άπό Νοβονασσάρου τούς χρόνους τής τών άστρων παρατηρησέως Χαλδαΐοι ήκρίβωσαν (Chronogr., p. 207).

Nous n’avons pas besoin d’insister sur les calculs en arrière des Chaldæens pour des périodes de 720.000, 490.000, 470.000 années, mentionnés par Cicéron, Diodore et Pline (Cicéron, De Divin., II, 46 ; Diodore, II, 31 ; Pline, Hist. nat., VII, 57), et présentés vraisemblablement par Bérose et autres comme la préface de l’histoire de Babylone.

Il est à remarquer que Ptolémée citait toujours les observations chaldæennes comme faites par les Chaldæens, sans nommer jamais aucun individu ; bien que, dans toutes les autres observations auxquelles il fait allusion, il soit très scrupuleux à spécifier le nom de l’observateur. Sans doute il trouva les observations chaldæennes enregistrées précisément de cette manière ; point qui explique ce qui est dit dans le texte relativement au caractère collectif de leur civilisation, et au défaut de développement individuel et de génie éminent.

La supériorité des prêtres chaldæens sur les Égyptiens comme observateurs astronomiques est démontrée par ce fait, que Ptolémée, bien que vivant à Alexandrie, ne mentionne jamais ces derniers comme astronomes, ni ne cite aucune observation égyptienne ; tandis qu’il cite treize observations chaldæennes dans les années 721, 720, 523, 502, 491, 383, 382, 245, 237, 229 avant J.-C. : les dix premières étant des observations d’éclipses lunaires ; les trois dernières, de conjonctions de planètes et d’étoiles fixes (Ideler, Handbuch der Chronologie, vol. I, ab. II, p. 195-199).

[5] Hérodote, II, 109.

[6] L’ancienne Ninus ou Ninive était située sur la rive orientale du Tigre, presque vis-à-vis de la ville moderne de Moussoul ou Mossoul. Hérodote (I, 193) et Strabon (XVI, p. 737) en parlent tous deux comme si elle était détruite ; mais Tacite (Annales, XII, 13) et Ammien Marcellin (XVIII, 7) la mentionnent comme existant. Ses ruines avaient été longtemps remarquées (V. Thévenot, Voyages, liv. I, c. 11, p. 176, et Niebuhr, Reisen, vol. II, p. 360), mais n’avaient jamais été examinées avec soin ; elles l’ont été récemment par Rich, Layard et autres : V. Ritter, West-Asien, b. III, Abtheil. III, Abschn. I, s. 45, p. 171-221 ; et Forbiger, Handbuch der Alten Geographie, s. 96, p. 612 ; et surtout l’intéressant ouvrage de M. Layard, qui s’est procuré sur place tant de précieux restes antiques.

Ktêsias, suivant Diodore (II, 3), plaçait Ninus ou Ninive sur l’Euphrate, ce que nous devons supposer être une inadvertance — probablement de Diodore lui-même ; car Ktêsias était moins que lui dans le cas de confondre l’Euphrate et le Tigre. Cf. Wesseling ad Diodore, II, 3, et Baehr, ad. Ktesiæ Fragm. II, Assyr., p. 292.

[7] Hérodote, I, 193. — tandis qu’il parle de la pluie tombant à Thêbes en Égypte comme d’un prodige qui ne se présenta jamais que précisément au moment où le pays fut conquis par Cambyse (III, 10). Il n’est pas sans importance de signaler cette distinction entre le peu de pluie de la Babylonia et l’absence complète de pluie dans la haute Égypte, — comme marque d’assertion précise dans l’historien à qui nous devons tant pour la connaissance de l’histoire grecque.

Il arriva par hasard qu’il pleuve fort pendant les quatre jours que le voyageur Niebuhr mit à aller des mines de Babylone à Bagdad, à la fin de novembre 1763 (Reisen, vol. II, p. 292).

[8] Hérodote, I, 193 ; Xénophon, Anabase, I, 7, 15 ; II, 4, 13-22.

[9] Sur les dattiers (φοίνικες) dans l’ancienne Babylonia, v. Théophraste, Hist. Plant., II, 6, 2-6 ; Xénophon, Cyropédie, VII, 5, 12 ; Anabase, II, 3, 15 ; Diodore, II, 53. Il y en avait quelques-uns qui ne portaient pas de fruits, mais qui fournissaient du bois bon pour les usages de l’ameublement des maisons.

Théophraste donne la même idée générale de la fertilité et des produits du sol en Babylonia qu’Hérodote, bien que les deux cents fois et quelquefois les trois cents fois, que ce dernier avançait comme le produit de la terre eu grains, semblent, dans son assertion réduites à cinquante ou à cent (Hist. Plant., VIII, 7, 4).

Relativement aux nombreux buts utiles auxquels on faisait servir le dattier (un chant perse en énumérait trois cent soixante), V. Strabon, XVI, p. 742 ; Ammien Marcellin, XXIV, 3.

[10] Hérodote, I, 178 ; Strabon, XVI, p. 738 ; Arrien, Exp. Al., VII, 17, 7. Strabon ne dit pas que ce fût un stade en hauteur perpendiculaire ; nous pouvons supposer que le stade représente la distance en montant du bas au faite. Il dit, aussi bien qu’Arrien, que Xerxès détruisit et le temple de Bélus et tous les autres temples de Babylone (καθεϊλεν, κατέκσκαψεν, III, 16, 6 ; VII, 17, 4) ; il parle de l’intention qui avait Alexandre de lé reconstruire, et de l’ordre qu’il donna de niveler les fondements de nouveau en enlevant les tas de terre et les ruines. Ceci ne peut se concilier avec le récit d’Hérodote, ni avec l’assertion de Pline (VI, 30), et je ne le crois pas non plus vrai. Xerxès enleva au temple une grande partie de ses richesses et de ses ornements ; mais il n’est pas croyable qu’il ait détruit ce vaste monument ‘et les autres temples babyloniens. Babylone continua toujours d’être une des principales cités de l’empire des Perses.

[11] Ce qui est dit dans le texte relativement à Babylone, est pris presque entièrement dans Hérodote : j’ai donné brièvement les points les plus saillants de son intéressant récit (I, 178-193), qui mérite bien d’être lu tout du long.

Hérodote est, en effet, notre seul témoin original, parlant d’après ses propres observations et entrant dans des détails relativement aux merveilles de Babylone. Ktêsias, si son ouvrage était resté, eût été un autre témoin original ; mais nous n’avons qu’un petit nombre d’extraits de lui faits par Diodore. Strabon ne semble pas avoir visité Babylone, et l’on ne peut pas affirmer non plus que Clitarque l’ait fait. Arrien avait à sa disposition Aristobule qu’il copia, et il est précieux tel qu’il est ; mais il n’entre pas dans beaucoup de détails quant à la grandeur de la cité ou de ses dépendances. Bérose aussi, si nous possédions son ouvrage, aurait été un témoin oculaire de l’état de Babylone plus d’un siècle et demi après Hérodote, mais le petit nombre de fragments qui restent ne sont guère descriptifs (V. Berosi Fragm., p. 64-67, éd. Richter).

La grandeur des travaux décrits par Hérodote provoque naturellement des soupçons d’exagération. Mais il y a de bonnes raisons pour le croire, à mon avis, sur torts les points qu’il a vus lui-même et qu’il lui a été possible de vérifier- en tant que distingués des faits passés, au sujet desquels il ne pouvait faire plus que de donner ce qu’il avait entendu dire. Il avait accordé beaucoup d’attention à l’Assyria et à ses phénomènes, comme le prouve ce fait, qu’il avait écrit (ou s’était préparé à écrire, si l’on doit admettre le soupçon que l’ouvrage ne fut jamais achevé, — Fabricius, Biblioth. Græc., II, 20, 5) une histoire assyrienne spéciale, qui ne nous est pas parvenue (Άσσυρίοισι λόγοισι, I, 106-184). Il est très précis dans les mesures dont il parle : ainsi, ayant décrit les dimensions des murailles en coudées royales, il en vient immédiatement à nous dire combien cette mesure différé d’une coudée ordinaire. Il supprime à dessein une partie de ce qu’il avait entendu dire relativement aux produits du sol babylonien, par la seule appréhension de n’être point cru.

A ces raisons qui plaident en faveur de la crédibilité d’Hérodote, nous pouvons en ajouter une autre, qui ne mérite pas moins d’attention. Ce qui semble incroyable dans les constructions qu’il décrit, vient simplement de leur grosseur énorme, et de la quantité effrayante de travail humain qui doit avoir été nécessaire pour les exécuter. Il ne nous dit pas, comme Bérose (Fragm., p. 66), que ces merveilleuses fortifications furent achevées en quinze jours, ni, comme Quinte-Curce, que la longueur d’un stade était achevée chaque jour successif de l’année (V. I, 26). Accomplir l’exécution de tout ce qu’Hérodote a décrit, est une simple question de temps, de patience, de nombre quant aux travailleurs, et de frais pour les nourrir, — car les matériaux étaient sous la main et, de plus, inépuisables.

Or, quelle était la limite imposée au pouvoir et à la volonté des anciens rois de la Babylonia sur ces points ? Nous pouvons difficilement déterminer cette limite avec assez d’assurance pour nous permettre de déclarer incroyable une assertion d’Hérodote, quand il nous dit quelque chose qu’il a vu ou vérifié d’après des témoins oculaires. Les pyramides et antres ouvrages en Égypte suffisent tout à fait pour nous rendre défiants sur nos propres moyens d’appréciation ; et la grande muraille de Chine (s’étendant sur un espace de 1.200 milles anglais (1.931,177 mètres) le long de ce qui était jadis toute la frontière septentrionale de l’empire chinois, — de 20 à 25 pieds de haut, — assez large pour six chevaux de front, et garnie d’un nombre convenable de portes et de bastions) contient plus de matériaux que tous les bâtiments de l’empire anglais réunis, suivant l’appréciation de Barrow (Transactions of the Royal Asiatic Society, vol. I, p. 7, t. v. ; et Ideler, Ueber die Zeitrechnuug der Chinesen, dans les Abhandlungen de l’Académie de Berlin de 1837, c. 3, p. 291).

Ktêsias donnait le circuit des murailles de Babylone comme étant de 360 stades ; Clitarque, de 365 ; Quinte-Curce, de 368, et Strabon, de 385 ; différant tous d’Hérodote, qui donne 480 stades, un carré de 120 stades de chaque côté. Grosskurd (ad Strabon. XVI, p. 738), Letronne et Heeren présument tous que le nombre plus petit doit avoir été la vérité, et qu’Hérodote doit avoir été mal informé ; et Grosskurd va plus loin, en disant qu’Hérodote ne peut avoir ou les murailles, puisqu’il dit lui-même que Darius les fit raser après le second siège et la nouvelle conquête (Hérodote III, 159). Mais à ce sujet nous pouvons faire les remarques suivantes : — d’abord l’expression (τό τεϊχος περιεΐλε) n’implique pas que le mur ait été si entièrement et si complètement rasé par Darius qu’il n’en soit resté aucune partie debout, encore moins que le grand et largo fossé ait été dans tout son circuit comblé et nivelé. C’eut été une opération des plus laborieuses eu égard à des masses si hautes et si énormes, et en même temps nullement nécessaire dans le dessein de rendre la ville dénuée de défense : but pour lequel la destruction de certaines parties de la muraille est suffisante. Eu second lieu, Hérodote parle clairement des murailles et du fossé comme existant de son temps lorsqu’il vit la ville ; ce qui n’exclut pas la possibilité qu’on y ait fait à dessein de nombreuses brèches, ou qu’on ait laissé de simples ouvertures dans les murs sans portes réelles, en vue d’obvier à toute idée de révolte. Mais quoi qu’il en soit de ce dernier fait, il est certain que les grandes murailles étaient on continues ou interrompues seulement dans l’étendue de ces brèches faites à dessein, quand Hérodote les vit. Il emploie le présent pour décrire la ville et ses phénomènes (c. 178 et c. 181). Ensuite il décrit le temple de Zeus Bélus avec ses vastes dimensions, avec le langage d’une personne qui était elle-même montée au faite du temple. Après en avoir spécifié les phénomènes frappants qu’il a sous les yeux, il spécifie une statue d’or massif, haute de douze coudées, qui y avait été jadis, comme le lui dirent les Chaldæens, mais qu’il ne vit pas, et il marque soigneusement la distinction dans son langage (c. 183).

Ainsi l’argument à l’aide duquel Grosskurd justifie le rejet de l’assertion d’Hérodote ne peut se concilier avec les paroles de l’historien : certainement Hérodote vit et les murailles et le fossé ; Ktêsias les vit aussi, et le renseignement qu’il donne au sujet du circuit, qui, selon lui, est de 360 stades, est opposé ait chiffre de 480 stades, que nous trouvons dans Hérodote. Mais l’autorité d’Hérodote est à mon avis tellement supérieure à celle de Ktêsias, que j’adopte le chiffre plus fort comme plus digne de foi que le plus petit. 60 milles anglais = 96 kilomètres (en compte rond) de circuit sont sans doute un prodige, mais 45 milles = 72 kilomètres sont aussi une chose merveilleuse ; en admettant les moyens et la volonté d’exécuter la plus petite de ces deux entreprises, on ne peut guère supposer que les rois babyloniens ne fuissent en état d’accomplir la plus grande.

Pour moi, la hauteur de ces montagnes artificielles, appelées murailles, me parait même plus étonnante que leur longueur on leur largeur. Cependant il est curieux que sur ce point les deux témoins oculaires, Hérodote et Ktêsias, s’accordent, avec la seule différence entre les coudées royales et les cordées communes. Selon Hérodote la hauteur est de 200 coudées royales ; selon Ktêsias, de 50 toises, qui sont égales à 200 coudées communes (Diodore, II, 7). Olearius (ad Philostratum, Vit. Apollon. Tyan., I, 25) donne une bonne raison pour croire que les écrivains plus récents réduisirent les dimensions avancées par Ktêsias, simplement parce qu’ils regardaient comme incroyable une hauteur si considérable. La différence entre la coudée royale et la coudée commune (comme nous l’apprend Hérodote à cette occasion) était de 60 millimètres en faveur de la première ; ses 200 coudées royales sont ainsi égales à 337 pieds 8 pouces : Ktêsias n’a pas fait attention à la différence entré les coudées royales et les coudées communes, et son estimation est en conséquence au-dessous de celle d’Hérodote de 37 pieds 8 pouces.

En somme, je ne puis croire que nous soyons autorisés à rejeter les dimensions des murailles de Babylone telles que les donne Hérodote, soit par l’autorité de témoignages opposés que l’on peut produire, soit par ce que le cas a de prodigieux en lui-même.

Quinte-Curce avance qu’une proportion considérable de l’espace enclos n’était pas occupée par des maisons, mais qu’elle était semée et plantée (V. 1, 26 : cf. Diodore, II, 9).

[12] Hérodote, I, 196.

[13] Arrien, Exp. Al., III, 16, 6 ; VII, 17, 3 : Quinte-Curce, III, 3, 16.

[14] Xénophon, Anabase, I, 4, 11 ; Arrien, Exp. Al., XII, 16, 3.

[15] V. l’exposé des recettes considérables du satrape Tritantæchmês, et de son immense train de chevaux et de chiens de l’Inde (Hérodote, I, 192).

[16] Il y a un excellent examen du cours inférieur de l’Euphrate, avec les changements qu’il a éprouvés, dans Ritter, West-Asien, b. III, Abtheil. III, Abschn. I, sect. 29, p. 45-49, et le passage d’Abydenus à la dernière page. Pour la distance qui était entre Terédon ou Diridôtis, à l’embouchure de l’Euphrate (qui resta séparée de celle du Tigre jusqu’au premier siècle de l’ère chrétienne), et Babylone, V. Strabon, II, p. 80 ; XVI, p. 739.

Il est important de se rappeler l’avis donné par Ritter, de ne se fier à aucune des cartes du cours de l’Euphrate, dressées avant la publication de l’expédition du colonel Chesnoy en 1836. Cette expédition donna le premier relevé complet et exact du cours du fleuve et amena à découvrir maintes erreurs commises antérieurement par Mannert, Reichard et autres habiles géographes et cartographes. A la quantité immense de renseignements contenus dans l’ouvrage laborieux et compréhensif de Bitter, on doit encore ajouter le mérite d’avoir signalé toujours avec soin les points où les données géographiques sont insuffisantes et loin d’être certaines. V. West-Asien, b. III, Abtheil. III, Abschn. I, sect. 41, p. 959.

[17] Strabon, XIII, p. 617, avec le fragment mutilé d’Alcée, que O. Müller a si ingénieusement corrigé (Rheinisch. Museum, I, 4, p. 287).

[18] Strabon, XVI, p. 740.

[19] Diodore (1, 31) expose ce point avec justesse par rapport aux anciens rois d’Égypte.

[20] V. la description de ce désert dans Xénophon, Anabase, I, 5, 1-8.

[21] Les 10.000 Grecs passèrent de l’extérieur à l’intérieur du mur de Médie : il était haut de 100 pieds, large de 20, et on leur dit qu’il avait 20 parasangs ou 600 stades (=70 milles =112 kilomètres 650 mètres) de long (Xénophon, Anabase, II, 4,12). Ératosthène l’appelait τό Σεμιράμιδος διατείχισμα (Strabon, 11, p. 80).

Il y a quelque confusion au sujet du mur de Médie ; Mannert (Géogr. der G. und R., v. 2, p. 280 et Forbiger aussi (Alte Geog, sect. 97, p. 616, note 94) semblent avoir confondu le fossé creusé par ordre spécial d’Artaxerxés pour s’opposera la marche de Cyrus le Jeune avec le Nahar Malcha ou Canal Royal entre le Tigre et l’Euphrate : v. Xénophon, Anabase, I, 7, 15.

Il est singulier qu’Hérodote ne fasse pas mention du mur de Médie, bien que son sujet (I, 185) l’y conduise naturellement. On verra réunis dans le chapitre où je raconterai l’expédition de Cyrus, le peu de renseignements que l’on peut trouver sur ce point.

[22] Strabon, XVI, p. 744.