QUATRIÈME VOLUME
Dans la partie ionienne de La population de ces îles était appelée ionienne, à l’exception de celle de Styra et de Karistos, dans la partie méridionale de l’Eubœa et de l’île de Kythnos, qui étaient peuplées par des Dryopes[2], même tribu que celles qui ont déjà été remarquées dans la péninsule Argolique, et à l’exception aussi de Mêlos et de Thêra, qui étaient des colonies de Sparte. L’île d’Eubœa, longue et étroite comme Les villes d’Eubœa mentionnées plus haut ; excepté Athenæ
Diades, trouvent toutes une place dans l’Iliade. Fous ne connaissons aucune
particularité de leur histoire que bien longtemps après 776 avant J.-C. Elles
nous sont présentées pour la première fois comme ioniennes, bien que dans
Homère les habitants en soient nommés Abantes. Les auteurs grecs ne sont
jamais en peine pour nous donner l’étymologie d’un nom. Tandis qu’Aristote
nous dit que les Abantes étaient des Thraces qui avaient passé dans l’île en
partant d’Abæ en Phokis, Hésiode fait dériver le nom d’Eubœa de la vache Iô[8]. Hellopia, district
près d’Histiæa, avait été fondée, disait-on, par Hellops, fils d’Ion ; selon
d’autres, Æklos et Kothos, deux Athéniens[9], étaient les
fondateurs, le premier d’Eretria, le second de Chalkis et de Kêrinthos : et l’on
nous dit que, parmi les dêmes de l’Attique, il y en avait deux nommés Histiæa
et Eretria, d’où étaient tirées, selon quelques-uns, les dénominations des
deux villes eubœennes. Bien qu’Hérodote représente la population de Styra
comme dryopienne, il y en avait d’autres qui prétendaient due la ville avait
dans l’origine reçu ses habitants de Marathôn et de Les indices historiques les plus anciens que nous ayons représentent
Chalkis et Eretria comme les cités ioniennes les plus riches, les plus
puissantes et les plus entreprenantes de Bornant notre attention, comme nous le faisons maintenant, aux deux premiers siècles dé l’histoire grecque, c’est-à-dire à l’intervalle qui sépare 776 avant J.-C. de 560 avant J.-C., il n’y a guère de faits que nous puissions produire pour déterminer la condition de ces îles Ioniennes. On peut cependant mentionner deus ou trois circonstances qui contribuent à confirmer l’idée que nous avons de leurs richesses et de leur importance d’autrefois. 1. L’hymne Homérique à Apollon nous présente file de Dêlos comme le centre de la grande fête périodique en l’honneur d’Apollon, célébrée par toutes les cités, insulaires et continentales, du nom Ionien. Quelle est la date de cet hymne ? C’est ce que nous n’avons pas le moyen de déterminer. Thucydide le cite sans hésitation comme l’œuvre d’Homère ; et sans doute il était de son temps universellement admis comme tel, — bien que des critiques modernes s’accordent à regarder cet hymne et les autres comme postérieurs de beaucoup à l’Iliade et à l’Odyssée. Toutefois il ne peut probablement pas être plus récent que l’an 600 avant J.-C. La description des visiteurs ioniens qui nous est présentée dans cet hymne est magnifique et imposante. Le nombre de leurs navires, l’étalage de leur toilette, la beauté de leurs femmes, les représentations athlétiques aussi bien que les luttes de chant et de danse, — tous ces détails, nous dit-on, faisaient une impression ineffaçable sur le spectateur[17] : Les Ioniens assemblés semblent être à l’abri des atteintes de la vieillesse ou de la mort. Telle était la magnificence dont Dêlos était périodiquement le théâtre, inspirant les chants et le génie poétique non seulement de bardes ambulants, mais encore des vierges Dêliennes dans le temple d’Apollon, pendant le siècle qui précède 560 avant J.-C. A cette époque, c’était la grande fête centrale des Ioniens en Asie et en Europe ; elle était fréquentée par, les douze cités ioniennes de l’Asie Mineure et de son voisinage, aussi bien que par Athènes et Chalkis en Europe. Elle n’avait pas encore été supplantée par les Ephesia comme fêtes exclusives de ces villes asiatiques, et les Panathenæa d’Athènes n’avaient pas non plus atteint l’importance qui, dans la suite, finit par leur appartenir quand la puissance athénienne fut à son apogée. Nous trouvons et Polykratês de Samos, et Pisistrate d’Athènes
prenant un vif intérêt à la sainteté de Délos et à la célébrité de sa fête[18]. Mais ce fut en.
partie l’élévation de ces deux grands despotes ioniens, en partie les
conquêtes des Perses en Asie Mineure, qui détruisirent l’indépendance des
nombreuses petites cités ioniennes pendant la dernière moitié du sixième
siècle avant l’ère chrétienne ; c’est pour cela que la grande fête de Délos
perdit insensiblement de son, importance. Bien qu’elle ne fût jamais complètement
suspendue, elle fut dépouillée de beaucoup de ses ornements antérieurs, et
spécialement de ce qui formait le premier de tous, — la foule de joyeux
visiteurs. Et lorsque Thucydide mentionne la tentative faite par les
Athéniens pendant la guerre du Péloponnèse, à l’apogée de leur suprématie
navale, pour faire revivre la fête Dêlienne, il cite l’hymne Homérique à
Apollon comme une preuve certaine de sa splendeur passée et oubliée depuis
longtemps. Nous remarquons que même lui ne pouvait trouver de meilleure
preuve que cet hymne pour les affaires grecques antérieurement à Pisistrate,
et nous pouvons reconnaître par là combien l’histoire de cette époque était
imparfaitement connue des hommes qui prirent part à la guerre du Péloponnèse.
L’hymne est excessivement précieux comme document historique, en ce qu’il
nous atteste une gloire transitoire et une vaste association des Grecs
ioniens des deux côtés de la mer ,Egée ; union que détruisirent les conquêtes
des Lydiens d’abord, et plus tard celles des Perses ; — temps où les cheveux
de l’Athénien opulent étaient décorés d’ornements d’or, et sa tunique faite
de lin[19], comme celle des
Milésiens et des Ephésiens, au lieu du costume plus sévère et des vêtements
de laine qu’il copia dans la suite sur Sparte et le Péloponnèse ; — temps
aussi où le nom Ionien n’avait pas encore contracté cette tache de mollesse
et de lâcheté qui y était imprimée à l’époque d’Hérodote et de Thucydide, et
qui provint en partie de la conquête des Ioniens asiatiques par 2. Il est un autre fait explicatif se rapportant à la fois aux Ioniens en général, et à Chalkis et à Eretria en particulier, dans le siècle antérieur à Pisistrate : c’est la guerre que se firent ces deux villes au sujet de la fertile plaine de Lelanton, qui s’étendait entre elles deux. En général, à ce qu’il semble, ces deux cités importantes entretenaient des relations de bonne intelligence. Mais il y eut quelques occasions de dispute, et une en particulier qui fut suivie d’une guerre formidable, plusieurs alliés se joignant à chacune d’elles. Il est à remarquer que ce fut la seule guerre connue de Thucydide (avant la conquête des Perses), qui eût eu plus d’importance qu’une simple querelle entre voisins, et dans laquelle tant d’États différents eussent manifesté une disposition à intervenir, au point de lui donner un caractère semi-hellénique[21]. Quant aux alliés de chaque parti dans cette occasion, nous savons seulement que les Milésiens prêtèrent assistance à Eretria, et les Samiens, aussi bien que les Thessaliens et les colonies chalkidiques en Thrace, à Chalkis. Une colonne, encore visible du temps de Strabon dans le temple d’Artemis Amarynthienne, près d’Eretria, rappelait la convention, faite mutuellement par les deux parties belligérantes, de s’abstenir d’armes de trait, mais de d’employer que des armes d’hast. Les Erétriens étaient, dit-on, supérieurs en cavalerie, mais ils furent vaincus dans la bataille : la tombe de Kleomachos de Pharsalos, guerrier distingué qui avait péri dans la cause des Chalkidiens, fut élevée dans l’agora de Chalkis. Nous ignorons la date, la durée ou les particularités de cette guerre[22] ; Mais il paraît que les Erétriens furent battus, bien que leur cité conservât toujours son rang comme le second État de l’île. Chalkis fut décidément la première et continua d’être florissante, populeuse et commerçante, longtemps après avoir perdu son importance politique, durant toute la période de l’histoire indépendante de la Grèce[23]. 3. Nous recueillons d’autres preuves de l’importance de Chalkis
et d’Eretria, pendant le septième siècle et une partie du huitième avant l’ère
chrétienne, — en partie dans les nombreuses colonies qu’elles fondèrent (et dont je m’occuperai dans un des chapitres
suivants), — en partie dans l’empire que prit l’échelle euboïque de
poids et de monnaies dans une portion considérable de |
[1] V. Fiedler, Reisen durch Griechenland, vol. II, p. 87.
[2] Hérodote, VIII, 46 ; Thucydide, VII, 57.
[3] Diodore, XIII, 47.
[4] Callimaque, Hymn. ad Delum, 289, avec une note de Spanheim ; Théognis, v. 888. Théophraste, Hist. Plant., 8, 5. V. Leake, Travels in Northern Greece, vol. II, c. 14, p. 254, sq. Le passage de Théognis amène à croire que Kêrinthos formait une partie du territoire de Chancis.
[5] Skylax (c. 59) regarde l’île de Skyros comme placée en face d’Eretria, dont le territoire doit conséquemment avoir renfermé une portion de la côte orientale de l’Eubœa, aussi bien que la côte occidentale. Il ne reconnaît que quatre villes dans l’île — Karystos, Eretria, Chalkis et Hestiæa.
[6] Minnert, Geograph. Gr. Roem., part. VIII, liv. I, c. 16, p. 248 ; Strabon, X, p. 445-449.
[7] Le septième Discours de Dion Chrysostome, qui décrit son naufrage près du cap Kaphareus, dans l’île d’Eubæa, et l’abri ainsi que la bienveillance qu’il trouva auprès d’un chasseur pauvre des montagnes ; offre un des tableaux les plus intéressants qui nous restent de cette portion purement rustique de la population grecque (Or. VII, p. 221 sq.) — hommes n’entrant jamais dans la ville, et étrangers aux habitudes, aux mœurs et au costume qui y dominaient, — hommes qui buvaient du lait et se couvraient de peaux (Euripide, Elektr., 169), possédant néanmoins encore (à ce qu’il semble) le droit de cité (p. 238), qu’ils n’exerçaient jamais. L’industrie des pauvres gens visités par Dion avait mis en culture un petit jardin et un petit champ dans un lieu désert près de Kapharens.
Deux tiers du territoire de cette cité eubœenne consistaient en montagnes stériles (p. 232) ; ce doit probablement avoir été Karistos.
Les hautes terres de l’Eubœa étaient à la fois inhabitées et d’un accès difficile, même du temps de la bataille du Marathôn, lorsque Chnikis et Eretria n’étaient pas encore beaucoup déchues du maximum de leur puissance : les habitants d’Eretria regardaient τά άκοα τής Εύβοίης comme un refuge contre l’armée des Perses commandée par Datis (Hérodote, VII, 100).
[8] Strabon, X, p. 445.
[9] Plutarque, Quæst. Græc., p. 296 Strabon, X, p. 466 (dont les assertions sont très embarrassées) ; Velleius Paterculus, I, 4.
Selon Skymnus de Chios (v. 572), Chalkis fut fondée par Pandôros, fils d’Erechtheus, et Kêrinthos par Kothôn, d’Athènes.
[10] Strabon, X, p. 446 — Πάρ δέ Χαλκιδικαι σπάθαι (Alcée, Fragm. 7, Schneidewin) — Χαλκιδινόν ποτήριον (Aristophane, Equit., 237) — appartient certainement à Chalkis Eubœenne, non à Chalkidikê de Thrace. Bœckh, Staatshaushalt. der Athener, vol. II, p. 281. App. XI, cite Χαλκιδικά ποτηρία dans une inscription : cf. Steph. Byz., Χαλκις. — Ναυσικλείτης Εύβοίης, Homère, Hymne à Apollon, 219.
[11] V. l’exposé minéralogique des îles dans Fiedler (Reisen, vol. II ; p. 88, 118, 562).
Le minerai de cuivre et de fer près de Chalkis avait cessé d’être exploité même da temps de Strabon : Fiedler indique la situation probable (vol. I, p. 413).
[12] Hérodote, III, 57. Siphnos, cependant, avait encore de grandes richesses et beaucoup d’importance vers 330 avant J.-C. — V. Isocrate, Or. XIX (Ægin.) s. 9-47. Les Siphniens, dans un moment malheureux, eurent le tort de ne pas offrir leur dîme : bientôt la mer se jeta dans les mines et les mit pour toujours hors d’état d’être exploitées (Pausanias, X, 11, 2).
[13] Strabon, X, p. 418.
[14] Hérodote, V, 31, cf. les descriptions de ces diverses îles dans les récents voyages du professeur Ross, Reisen auf den Griechischen Inselu, vol. I, lettre 2 ; vol. II, lettre 15.
La population de Naxos est aujourd’hui d’environ 11.000 âmes ; celle d’Andros de 15.000 (Ross, vol. I, p. 28 ; vol. II, p. 22).
Mais l’étendue et la fertilité de
[15] Strabon, l. c.
[16] Hérodote, V, 77 ; Aristote, Fragm. Περί Πολιτειών, éd. Neumann, p. 111-112 : cf. Aristote, Politique, IV, 3, 2.
[17] Homère, Hymne à Apollon Del., 146-176 ; Thucydide, III, 101.
[18] Thucydide, III, 104.
[19] Thucydide, I, 143.
[20]
Hérodote, I, 143. — assertion incontestable par rapport aux temps qui précédent
immédiatement Hérodote, mais non pas également admissible par rapport à des
temps plus anciens. Cf. Thucydide, I, 124 (avec
[21] Thucydide, I, 15. Thucydide ne peut pas avoir cru que la seconde guerre messénienne ait engagé de chaque côté autant d’alliés que le représente Pausanias.
[22] Strabon, VIII, p. 448 ; Hérodote, V, 99 ; Plutarque, Amator., p. 760, — important en ce qu’il cite Aristote.
Hésiode passa d’Askra à Chalkis (à l’occasion des Jeux funèbres célébrés par les fils d’Amphidamas en l’honneur de leur père, décédé) et gagna un trépied pour prix des vers qu’il chanta ou récita (Opp. Di., 656). Suivant les Scholies, Amphidamas était un roi de Chalkis, qui périt dans la guerre contre Eretria relativement à Lelanton. Mais il paraît que Plutarque rejetait ces vers comme apocryphes, bien qu’il reconnaisse Amphidamas comme un vigoureux défenseur de Chalkis dans cette guerre. V. Septem Sapient. Conviv., c. 10, p. 153.
Cette visite d’Hésiode à Chalkis était représentée comme la : scène de sa lutte poétique avec Homère et de sa victoire sur ce poète (V. le Certamen Hom. et Hes., p. 315, éd. Goettl.).
[23] V. la frappante description de Chalkis, donnée par Dicéarque dans le Βίος Έλλάδος (Fragm., p. 146, éd. Fuhr).
[24] Hérodote, I, 94.
[25]
V.