HISTOIRE DE LA GRÈCE

QUATRIÈME VOLUME

CHAPITRE I — CONQUÊTES DE SPARTE DU CÔTÉ DE L’ARKADIA ET DE L’ARGOLIS.

 

 

J’ai décrit dans les deux derniers chapitres, autant que le permettent les preuves imparfaites que nous possédons, comment Sparte devint maîtresse et de la partie méridionale de la Laconie ; le long du cours de :.’Eurotas jusqu’à son embouchure, et du territoire messênien à l’ouest. J’ai à esquisser maintenant sa marche du côté de l’Arkadia et de l’Argolis, pour l’amener à la position qu’elle occupait pendant le règne de Pisistrate à Athènes, soit vers 560-540 avant J.-C., époque à laquelle elle avait atteint son maximum de possessions territoriales, et où elle était reconnue comme l’État dominant de la Hellas.

La région centrale du Péloponnèse, appelée Arkadia, n’avait jamais reçu d’immigrants du dehors. Ses habitants indigènes, race forte et hardie de montagnards, la tribu hellénique la plus nombreuse dans la Péninsule, la ruche qui fournissait constamment des troupes mercenaires[1], étaient au nombre des plus grossiers et des plus pauvres des Grecs, conservant pendant la période la plus longue leur subdivision originelle en une quantité de petits villages situés sur des collines, indépendants les uns des autres ; tandis que l’union de tous ceux qui portaient le nom arkadien — bien qu’ils eussent quelques sacrifices communs, tels qua là fête de Zeus Lykæen, de Despoina, fille de Poseidôn et de Dêmêtêr, et d’ Artemis Hymnia[2] — était plus lâche et moins réelle que celle (les Grecs en général, soit dans le Péloponnèse, soit au dehors. Les villageois arkadiens étaient habituellement désignés par les noms de régions, coïncidant avec certaines subdivisions ethniques : les Azanes, les Parrhasii, les Mænalii (adjacents au mont Mænalos), les Eutrêsii, les Ægytæ, les Skiritæ[3], etc. Cependant on y voyait quelques villes considérables, agrégations de villages ou de dêmes qui avaient été jadis autonomes. Les principales étaient Tegea et Mantineia, sur les frontières de. la Laconie et de l’Argolis, Orchomenos, Pheneus et Stymphalos, vers le nord-est, limitrophes ale l’Achaïa et de Phlionte, Kleitôr et Heræa, à l’ouest, oui le pays est séparé de l’Elis et de la Triphylia par les monts boisés de Pholoe et d’Erymanthos, et Phigaleia, sur la frontière sud-ouest près de la Messênia. Les plus puissantes de toutes étaient Tegea et Mantineia[4], villes ayant des limites communes, presque égales en forces, se partageant la haute et froide plaine de Tripolitza, et séparées seulement par un de ces capricieux torrents qui n’ont d’autre issue que des Katabothra. Régler l’écoulement de cette eau était une tâche difficile, qui demandait la coopération amicale des deux villes ; et quand leurs jalousies fréquentes amenaient une querelle, la plus agressive des deux inondait le territoire de sa voisine comme seul moyen de la molester. La puissance de Tegea, qui s’était formée de neuf municipes constitutifs séparés dans l’origine[5], semble avoir été plus ancienne que celle de sa rivale ; comme nous pouvons en juger par ses éclatantes prétentions héroïques rattachées au nom d’Echemos, et par le poste cédé à ses hoplites dans les armements collectifs des Péloponnésiens réunis, poste qui ne le cédait en distinction qu’à celui des Lacédæmoniens[6]. S’il est vrai, comme l’assure Strabon[7], que l’incorporation de Mantineia, au moyen de ses cinq Dêmes séparés, fut effectuée par les Argiens, nous pouvons supposer que ces derniers adoptèrent cette mesure comme moyen de causer un échec à leurs puissants voisins de Tegea. La plaine commune de Tegea et de Mantineia était bordée à l’ouest par les hauteurs glacées du Mænalos[8], au delà duquel, jusqu’aux frontières de la Laconie, de la Messênia et de la Triphylia, il n’y avait rien en Arkadia que quelques municipes ou villages petits et de peu de conséquence, sans aucune ville considérable, avant l’importante mesure que prit Epaminondas en fondant Megalopolis, peu clé temps après la bataille de Leuktra. Les montagnards de ces contrées qui se joignirent à Epaminondas avant la bataille de Mantineia — à une époque où Mantineia et la plupart des villes de l’Arkadia lui étaient opposées — étaient si inférieurs aux autres Grecs sous le rapport de l’équipement, qu’ils ne portaient encore comme arme principale, au lieu de la lance, rien de plus que l’ancienne massue[9].

Tegea et Mantineia tenaient dans une sorte de dépendance plusieurs de ces petits municipes arkadiens voisins d’elles, et désiraient vivement étendre cet empire sur d’autres : pendant la guerre du Péloponnèse, nous trouvons les Messêniens établissant et garnissant de troupes une forteresse à Kypsela chez les Parrhasii, prés du lieu où plus tard fut fondée Megalopolis[10]. Mais, à cette époque, Sparte, comme chef politique de la Hellas, ayant un intérêt capital à tenir toutes les villes grecques, petites et grandes, aussi isolées les unes des autres que possible, et à arrêter tous les desseins tendant à former des confédérations locales, se posait en protectrice de l’autonomie de ces petits municipes arkadiens et refoulait les Messêniens dans leurs propres limites[11]. Un peu plus tard, étant à l’apogée de sa puissance, peu d’années avant la bataille de Leuktra, elle alla jusqu’à la mesure extrême de briser l’unité de Mantineia elle-même, en faisant raser ses murs et en répartissant de nouveau ses habitants dans leurs cinq dêmes primitifs, arrangement violent que le tour des événements politiques détruisit très promptement[12]. Ce ne fut qu’après la bataille de Leuktra et l’abaissement de Sparte que des mesures furent prises pour la formation d’une confédération politique arkadienne[13] ; et même alors les jalousies des cités séparées la rendirent incomplète et éphémère. L’ascendant d’Épaminondas accomplit le grand changement permanent, l’établissement de Megalopolis. Quarante petits municipes arkadiens, parmi ceux qui étaient situés à l’ouest du mont Mænalos, furent réunis pour former la nouvelle cité ; les jalousies de Tegea, de Mantineia et de Kleitôr, furent suspendues pendant un temps ; et des œkistes vinrent de tous ces endroits aussi bien que des districts des Mænalii et des Parrhasii, pour donner au nouvel établissement un pur caractère pan-arkadien[14]. Ce fut ainsi qu’il s’éleva pour la première fois une cité puissante sur les frontières. de la Laconie et de la Messênia, délivrant les municipes arkadiens de leur dépendance de Sparte, et leur donnant des intérêts politiques particuliers, qui en firent à la fois un frein pour leur ancien maître et un appui pour les Messéniens rétablis.

Il a été nécessaire d’attirer ainsi l’attention dû lecteur pour un moment sur des événements bien postérieurs dans l’ordre des temps (Megalopolis fut fondée en 370 av. J.-C.) afin qu’il put comprendre, par comparaison, la marche générale de ces incidents du temps passé, où manquent dés renseignements directs. La frontière septentrionale du territoire spartiate était formée par quelques-uns des nombreux petits municipes ou districts arkadiens, dont plusieurs furent successivement conquis par les Spartiates et incorporés flans leur empire, bien qu’il nous soit impossible de dire à quelle époque précise. On nous dit que Charilaos, le prétendu neveu et pupille de Lykurgue, prit Ægys, et qu’il envahit aussi le territoire de Tegea, mais avec un mauvais succès singulier ; car il fut vaincu et fait prisonnier[15]. Nous apprenons aussi que les Spartiates prirent Phigaleia par surprise dans la trentième Olympiade, mais qu’ils en furent chassés par les Oresthasiens Arkadiens du voisinage[16]. Pendant la seconde guerre Messênienne, on représente les Arkadiens comme secondant cordialement les Messêniens ; et il paraîtra peut-être singulier que, tandis que ni Mantineia, ni Tegea, ne sont mentionnées dans cette guerre, la ville d’Orchomenos plus éloignée, avec son roi Aristokratês, marche en avant. Mais les faits de la lutte se présentent à nous avec une couleur si poétique, que nous ne pouvons pas nous permettre d’en tirer aucune conclusion positive quant aux temps auxquels on les rapporte.

Œnos[17] et Karystos semblent avoir appartenu aux Spartiates du temps d’Alkman ; de plus, le district appelé Skiritis, confinant avec le territoire de Tegea, aussi bien que Belemina et Maleatis, à l’ouest, et Karyæ à l’est et au sud-ouest de Skiritis, formant tous ensemble la frontière septentrionale entière de Sparte, et tous occupés par des habitants arkadiens, avait été conquis et annexé au territoire spartiate[18] antérieurement à 600 avant J.-C. Et Hérodote nous dit qu’à cette époque les rois spartiates Leon et Hegesiklês n’avaient rien moins en vue que la conquête de l’Arkadia entière, et qu’ils envoyèrent demander à l’oracle de Delphes de bénir leur entreprise[19]. La prêtresse repoussa leurs désirs, comme extravagants, quant à toute l’Arkadia ; mais elle les encouragea, avec les équivoques habituelles de son langage, è. essayer leur fortune contre Tegea. Exaltés par le cours de leurs succès antérieurs, non moins que par le sens favorable qu’ils donnèrent aux paroles de l’oracle, les Lacédæmoniens marchèrent contre Tegea, confiants tellement dans le succès qu’ils emportèrent avec eux des chaînes pour en charger les prisonniers qu’ils s’attendaient à faire. Mais le résultat fut un désappointement et une défaite. Ils furent repoussés avec perte, et les prisonniers qu’ils laissèrent derrière eux, chargés des mêmes chaînes que leur propre armée avait apportées, furent contraints à des travaux serviles dans la plaine de Tegea ; les paroles de l’oracle étant ainsi littéralement accomplies, bien que dans un sens différent de celui dans lequel les Lacédæmoniens les avaient d’abord comprises[20].

Pendant une génération entière, nous dit-on, ils furent constamment malheureux dans leurs campagnes contre les Tégéens, et cette vigoureuse résistance les empêcha probablement d’étendre plus loin leurs conquêtes dans les petits États de l’Arkadia.

A la fin, sous le règne d’Anaxandridês et d’Aristô, les successeurs de Leon et d’Hegesiklês (vers 560 av. J.-C.), l’oracle de Delphes, répondant aux Spartiates qui lui demandaient lequel des dieux ils devaient se rendre favorable pour devenir victorieux, leur enjoignit de trouver et d’apporter à Sparte les ossements d’Orestês, fils d’Agamemnôn. Après une vaine recherche, puisqu’ils ignoraient où ils pourraient trouver le corps d’Orestês, ils s’adressèrent à l’oracle pour avoir des instructions plus précises, et il leur fut dit que le fils d’Agamemnôn était enseveli à Tegea même, dans un lieu où deux vents soufflaient sous l’action d’une force puissante, où il y avait coup sur coup et destruction sur destruction. Ces mystérieuses paroles furent éclaircies par un heureux hasard. Pendant une trêve avec Tegea, Lichas, un des chefs des trois cents jeunes Spartiates d’élite qui servaient aux éphores de police mobile dans le pays, visita la place et entra dans la forge d’un forgeron. Celui-ci lui apprit, dans le cours de la conversation, qu’en creusant un puits dans la cour extérieure, il avait récemment découvert un cercueil contenant un corps long de sept coudées ; qu’étonné à cette vue, il l’y avait laissé sans le déranger. Lichas fut frappé de l’idée que ces reliques gigantesques du passé ne pouvaient être autre chose que le cadavre d’Orestês, et il en fut assuré en réfléchissant avec quelle exactitude étaient vérifiées les indications de l’oracle ; car il y avait les deux vents soufflant de force dans les deux soufflets du forgeron ; il y avait le coup et le contrecoup dans son marteau et son enclume, aussi bien que destruction sur destruction dans les armes meurtrières qu’il forgeait. Lichas ne dit rien, mais retourna à Sparte avec sa découverte et la communiqua aux autorités, qui, d’après un plan concerté, le bannirent sous prétexte d’une accusation criminelle. Alors il retourna de nouveau à Tegea, dans le costume d’un exilé, persuada au forgeron de lui céder le local, et quand il l’eut en sa possession, il fouilla le sol et en retira les ossements du héros vénéré, qu’il apporta à Sparte[21].

A partir de cette heureuse acquisition, le caractère de la lutte changea ; les Spartiates se trouvèrent constamment victorieux des Tégéens. Mais il ne semble pas que ces victoires amenassent de résultat positif, bien qu’elles aient pu servir peut-être à fortifier la conviction pratique de la supériorité spartiate ; car le territoire de Tegea resta intact, et son autonomie ne fut nullement restreinte. Pendant l’invasion des Perses, Tegea parait comme l’alliée volontaire de Lacédæmone, et comme la seconde puissance militaire du Péloponnèse[22] ; et nous pouvons supposer avec quelque raison que ce fut surtout la vigoureuse résistance des Tégéens qui empêcha les Lacédæmoniens d’étendre : leur empire sur la partie plus considérable des communautés arkadiennes. Ces dernières conservèrent toujours leur indépendance, bien que reconnaissant. Sparte comme la puissance souveraine du Péloponnèse, et obéissant à ses ordres implicitement quant à la manière de disposer de leurs forces militaires. Et l’influence que Sparte possédait ainsi sur toute l’Arkadia fut un des principaux éléments de son pouvoir, qui ne fut jamais sérieusement ébranlé jusqu’à la bataille de Leuktra, à la suite de laquelle elle perdit les anciens moyens qu’elle possédait pour assurer le succès et le pillage à ses partisans d’un ordre inférieur[23].

Ayant ainsi raconté l’extension de la puissance de Sparte sur la frontière septentrionale ou arkadienne, il nous reste à mentionner ses acquisitions à l’est et au nord-est du côté d’Argos. Dans l’origine (comme il a été dit auparavant) non seulement la province de Kynuria et la Thyreatis, mais encore toute la côte jusqu’au cap Malea, avaient fait partie du territoire d’Argos ou avaient appartenu à la confédération argienne. Hérodote[24] nous apprend qu’avala l’époque où l’ambassade envoyée par Crésus, roi de Lydia, vint solliciter aide et appui en Grèce (vers 547 av. J.-C.) tout ce territoire était tombé sous la domination de Sparte ; mais combien de temps auparavant, ou à quelle époque précise, c’est ce que nous ignorons. Les Argiens avaient, dit-on, remporté une victoire considérable sur les Spartiates dans la vingt-septième Olympiade ou 669 avant J.-C., à Hysiæ, sur la route qui était entre Argos et Tegea[25]. A ce moment, il ne parait pas probable que Kynuria ait été au pouvoir dès Spartiates, de sorte que nous devons en reporter l’acquisition à quelque époque du siècle suivant ; bien que Pausanias la place beaucoup plus tôt, pendant le règne de Theopompos[26], et qu’Eusèbe la rattache au premier établissement de la fête appelée Gymnopædia à Sparte, en 678 avant J.-C.

Vers l’an 547 avant J.-C., les Argiens firent un effort pour reprendre Thyrea à Sparte, ce qui donna lieu à un combat longtemps mémorable dans les annales de l’héroïsme grec. Il fut convenu entre les deux puissances que la possession de ce territoire serait déterminée par un combat entre trois cents champions choisis de chaque côté ; les deux armées ennemies se retirant, afin de laisser le champ libre. Ces deux troupes d’élite montrèrent une valeur si intrépide et si égale qu’à la fin clé la lutte il ne resta que trois des champions vivants, Alkênôr et Chromios du côté des Argiens, Othryadês du côté des Spartiates. Les deux guerriers argiens se hâtèrent de retourner chez eux pour annoncer leur victoire ; mais Othryadês resta sur le champ de bataille, porta dans le camp spartiate les armes dont il dépouilla les cadavres de, l’ennemi, et garda la position jusqu’à ce qu’il fût rejoint par ses compatriotes le lendemain matin. Argos et Sparte réclamèrent toutes les deux la victoire pour leurs champions respectifs, et la querelle après tout fut décidée par un conflit général dans lequel les Spartiates furent vainqueurs, mais non sans beaucoup clé pertes des deux côtés. Le brave Othryadês, honteux de retourner clans sa patrie survivant seul à ses trois cents compagnons, se perça de sa propre épée sur le champ de bataille[27].

Cette défaite décida de la possession de Thyrea, qui ne revint sous le pouvoir d’Argos qu’à une époque très avancée de l’histoire grecque. Le duel préliminaire des trois cents, avec son issue incertaine, quoique bien établi quant au fait général, était représenté par les Argiens d’une manière totalement différente du récit donné plus haut, qui semble avoir eu cours chez les Lacédæmoniens[28]. Mais, la circonstance la plus remarquable est que, plus d’un siècle après, lorsque les deux puissances étaient en négociations pour un renouvellement de la trêve expirant alors, les Argiens, soupirant encore après ce territoire qui leur avait appartenu jadis, demandèrent aux Lacédæmoniens de soumettre la question d un arbitrage ; sur leur refus, ils stipulèrent ensuite le privilège de décider le point en litige par un duel semblable au premier, à toute époque excepté pendant la guerre ou une maladie épidémique. L’historien nous dit que les Lacédæmoniens acquiescèrent à cette proposition, bien qu’elle leur parût absurde[29], vu l’extrême désir qu’ils avaient de conserver avec Argos à cette époque leurs relations amicales et pacifiques. Mais il n’y a pas de motif pour croire que le duel réel, auquel Othryadês prit part, fût considéré comme absurde à l’époque où il s’engagea ou dans le siècle qui vint immédiatement après. Il cadra avec une sorte d’humeur belliqueuse et chevaleresque que l’on compte parmi les attributs des anciens Grecs[30], et aussi avec divers exploits légendaires, tels que le combat singulier d’Echemos et d’Hyllos, de Melanthos et de Xanthos, de Menelaos et de Pâris, etc. De plus, l’héroïsme d’Othryadês et de ses concitoyens était un sujet populaire pour les poètes non seulement aux Gymnopædia spartiates[31], mais encore ailleurs, et paraît avoir été fréquemment célébré. On doit donc attribuer à un changement dans l’esprit politique des Grecs, à l’époque, de la guerre des Perses et après cet événement, l’absurdité attachée à cette proposition pendant la guerre du Péloponnèse, dans les esprits même des Spartiates, le peuple de la Grèce le plus attaché aux vieilles coutumes et le moins changeant. L’habitude de calculs politiques avait fait chez eux des progrès si prononcés que les principaux États particulièrement avaient fini par se familiariser avec quelque chose qui ressemblait à une appréciation sérieuse et approfondie de leurs ressources, de leurs dangers et de leurs obligations. On verra de quelle façon déplorable cette sorte de sagacité manquait pendant l’invasion des Perses, lorsque nous en viendrons à décrire cette crise imminente de l’indépendance grecque ; mais les événements de cette époque furent bien faits pour l’aiguiser pour l’avenir, et les Grecs de la guerre du Péloponnèse étaient devenus plus habiles et plus raffinés clans l’art de former des projets politiques que leurs ancêtres. Et c’est ainsi qu’il se fit que la proposition de régler une dispute territoriale par un duel entre champions choisis, admissible et même adoptée un siècle auparavant, finit plus tard par passer pour ridicule et puérile.

Hérodote dit que les habitants de Kynuria étaient Ioniens, mais qu’ils étaient devenus complètement dôriens par suite de leur longue soumission à l’autorité d’Argos, qui les gouvernait comme Periœki. Pausanias explique différemment leur race, qu’il fait remonter au héros éponyme Kynuros, fils de Perseus ; mais il ne les rattache pas aux Kynuriens, qu’il mentionne dans un autre endroit comme étant une partie des habitants de l’Arkadia[32]. Il est évident que, même à l’époque d’Hérodote, les traces de leur origine primitive étaient presque effacées. Il dit qu’ils étaient Orneates et Periœki pour Argos ; et il paraît que les habitants d’Orneæ aussi, qu’Argos avait réduits à la même condition dépendante, rattachaient leur héros éponyme à une souche ionienne. Orneus était fils de l’Attique Erechtheus[33]. Strabon semble avoir conçu les Kynuriens comme occupant, dans l’origine, non seulement le district frontière de l’Argolis et de la Laconie où Thyrea est située, mais encore la partie nord-ouest de l’Argolis, au-dessous de la crête de la montagne appelée Lyrkeion, qui sépare cette dernière contrée du territoire arkadien de Stymphalos[34]. Cette montagne était voisine de la ville d’Orneæ, qui est située sur la frontière de l’Argolis, près des confins de Phlionte ; de. sorte que Strabon sert ainsi à confirmer l’assertion d’Hérodote, à savoir que les Orneates étaient une partie des Kynuriens, tenus par Argos en même temps que les autres Kynuriens dans l’état d’alliés dépendants et de Periœki, et très probablement aussi d’origine ionienne.

La conquête de Thyrea — district important pour les Lacédæmoniens, comme nous pouvons le supposer par le butin considérable que les Argiens y firent pendant la guerre du Péloponnèse[35] —, fut la dernière acquisition territoriale faite par Sparte. Elle était maintenant en possession d’un empire continu, comprenant toute la portion méridionale du Péloponnèse, depuis la rive méridionale du fleuve Nedon sur la côte occidentale, jusqu’à la frontière septentrionale de la Thyreatis sur la côte orientale. La superficie de son territoire, qui renfermait et la Laconie et l’a Messênia, était égale aux deux cinquièmes de toute la Péninsule ; il était gouverné tout entier par .la cité seule, et clans l’intérêt exclusif des citoyens de Sparte et en vue d’eux seuls. Dans toute cette vaste étendue il n’y avait pas une seule communauté prétendant à une action indépendante. Les municipes des Periœki et les villages des Ilotes étaient, pris individuellement, sans importance ; et il n’est pas question non plus que l’un d’eux osât traiter avec un État étranger. Tous se considèrent comme étant seulement les sujets des éphores spartiates et leurs agents subordonnés. Ce sont, à la vérité, des sujets mécontents, haïssant aussi bien que craignant leurs maîtres, et auxquels on ne doit point se fier s’il se présente une occasion favorable pour se révolter sans danger. Mais aucun district, aucun municipe isolé n’est assez fort pour relever de lui-même, tandis que tout concert entre eux est empêché par la surveillance habituelle et les précautions peu scrupuleuses des éphores, particulièrement par cette police secrète et jalouse appelée la Krypteia, à laquelle nous avons déjà fait allusion.

Ainsi Sparte avait non seulement un territoire plus considérable et une population plus nombreuse que tout autre État de la Hellas, mais son gouvernement était aussi plus complètement centralisé et plus rigoureusement obéi. La source de sa faiblesse était dans le mécontentement de ses Periœki et de ses Ilotes ; et ces derniers n’étaient pas (comme les esclaves d’autres États) des barbares importés de différentes contrées et parlant un grec corrompu, mais de véritables Hellênes ; ils avaient le même dialecte et la même lignée, des sympathies communes et mutuelles, et autant de droits à la protection de Zeus Hellanios que leurs maîtres, dont en effet ils ne différaient que par l’éducation parfaite, individuelle et collective, qui était particulière aux Spartiates. Pendant la période qui nous occupe actuellement, il ne semble pas que ce mécontentement agisse sensiblement ; mais nous en observerons les manifestations d’une manière très peu équivoque après la guerre dés Perses et pendant celle du Péloponnèse.

A ces causes auxiliaires de la prépondérance spartiate nous devons en ajouter une autre, l’excellente position militaire de Sparte, et le caractère de la Laconie inattaquable en général. De trois côtés ce territoire est baigné par la mer[36], avec une côte remarquablement dangereuse et dénuée de ports ; aussi Sparte n’eut rien à redouter de ce côté jusqu’à l’invasion des Perses et ses conséquences, dont une des plus remarquables fut le développement étonnant des forces navales d’Athènes. La cité de Sparte, fort éloignée de. la mer, était admirablement défendue pax une frontière septentrionale presque infranchissable, composée de ces districts qui, comme nous l’avons fait remarquer plus haut, avaient été conquis sur l’Arkadia, Karyatis Skiritis, Maleatis et Beleminatis. La difficulté aussi bien que le danger de pénétrer dans la Laconie par ces défilés des montagnes, que signale Euripide, était vivement sentie par tous les ennemis des Lacédæmoniens, et a été exposée d’une manière frappante par un observateur moderne de premier ordre, le colonel Leake[37]. Aucun site ne pouvait être mieux choisi que celui de Sparte pour tenir la clef de tous les défilés pénétrables. Cette frontière si bien protégée remplaça d’une manière plus que suffisante des fortifications pour Sparte elle-même, qui conserva toujours, jusqu’à l’époque du despote Nabis, son aspect primitif d’un groupe adjacent de villages placés sur des collines plutôt que celui d’une cité régulière.

Quand, avec de tels avantages territoriaux, nous considérons l’éducation personnelle particulière aux citoyens spartiates, lorsque leur nombre n’avait pas encore diminué, et en outre l’effet de cette éducation sur l’esprit des Grecs, auxquels elle inspirait de la terreur et de l’admiration, nous ne serons pas surpris de trouver que, pendant le demi-siècle qui s’écoula entre l’an 600 avant J.-C. et la conquête définitive de la Thyreatis sur Argos, Sparte eût acquis et commencé à exercer un ascendant reconnu sur tous les États grecs. Ses forces militaires étaient à cette époque supérieures à celles de tous les autres, à un beaucoup plus haut degré qu’elles ne le furent dans la suite ; car d’autres États n’avaient pas encore atteint leur maximum, et Athènes en particulier était bien loin de la hauteur à laquelle elle parvint plus tard. Sous le rapport de la discipline aussi bien que du nombre, la puissance militaire spartiate était même parvenue à cette époque reculée à un point qu’elle ne surpassa pas dans les temps postérieurs, tandis qu’à Athènes, à Thèbes, à Argos, en Arkadia et même en Elis (comme nous le montrerons ci-après), l’éducation militaire fart, a une époque plus avancée, l’objet d’une attention plus grande et fit des progrès considérables. Les Spartiates (fait observer Aristote)[38] perfectionnèrent leur éducation gymnastique et leur discipline militaire, dans un temps où les autres Grecs, négligeaient également l’une et l’autre ; leur ancienne supériorité était celle d’hommes exercés sur des hommes qui ne l’étaient pas, et cessa dans la suite quand d’autres États se mirent à assujettir leurs citoyens à des exercices systématiques d’un caractère et d’une tendance analogues. Il est important de ne pas oublier ce fait — la période reculée a laquelle Sparte atteignit son maximum de discipline, de puissance et de possessions territoriales — quand nous expliquons l’acquiescement général que son, ascendant rencontra en Grèce, et que ses antes postérieurs ne l’auraient certainement pas mise en état d’acquérir. Cet acquiesceraient commença d’abord et devint urne habitude de l’esprit grec ; à une époque oit Sparte n’avait pas de rival qui pût en approcher, où elle avait complètement devancé Argos, et où la vigueur de la discipline de Lykurgue s’était manifestée dans une longue série de conquêtes faites pendant la période où d’autres États restaient stationnaires, et finissant seulement (pour employer la phrase quelque peu exagérée d’Hérodote) quand elle eut soumis la plus grande partie du Péloponnèse[39].

Les renseignements que nous avons sur la mémorable organisation militaire de Sparte sont peu abondants et ne suffisent pas pour nous en faire connaître clairement les détails. Les armes des Spartiates, quant à tous les points essentiels, ne différaient pas de celles des autres hoplites grecs. Mais il est une particularité importante qu’il faut observer dès le commencement, comme lui article dans les institutions de Lykurgue. Ce législateur établit des divisions militaires tout à fait distinctes des divisions civiles, tandis que, dans les autres États de la Grèce, jusqu’à une époque beaucoup plus avancée que celle que nous avons déjà atteinte, les deux classes étaient confondues, — les hoplites ou cavaliers de la même tribu ou du même quartier étant rangés ensemble sur le champ de bataille. Chaque Lacédæmonien était astreint au service militaire de vingt ans à soixante, et les éphores, quand ils envoyaient une expédition, appelaient aux armes tous les hommes dans une limite d’âge donnée. Hérodote nous dit que Lykurgue établit et les Syssitia ou repas publics et les enômoties ou triakades, ou subdivisions militaires particulières à Sparte[40]. Les triakades ne sont pas mentionnées ailleurs, et nous ne pouvons pas non plus établir distinctement ce qu’elles étaient ; mais l’énômotie était le caractère spécial du système et le pivot sur lequel tournaient tous les arrangements. C’était une petite troupe d’hommes, dont le nombre était variable, étant, suivant divers renseignements, de 25, de 32 ou de 36 hommes, exercés et instruits ensemble aux manoeuvres militaires et liés entre eux par un serment commun[41]. Chaque énômotie avait un capitaine ou énomotarque séparé, le plus fort et le plus habile soldat de la compagnie, qui occupait toujours le premier rang, et conduisait l’énômotie quand elle marchait sur une seule file, donnant l’ordre de marche aussi bien que l’exemple. Si l’énômotie était rangée sur trois, sur quatre ou sur six files, l’énomotarque occupait habituellement la première place à, la gauche, et l’on prenait soin que les hommes du premier rang et ceux de l’arrière-garde fussent des soldats d’un mérite particulier[42].

C’était sur ces petites compagnies que la constante et sévère éducation lacédémonienne était appelée à agir. On leur apprenait à observer l’ensemble dans la marche, à, quitter rapidement la ligne pour prendre la file, à. faire conversion à droite et à gauche, de telle sorte que l’énomotarque et les autres protostates ou hommes du premier rang fussent toujours les personnes immédiatement opposées à l’ennemi[43]. Leur pas était réglé par le fifre, qui jouait des mesures martiales particulières à Sparte, et était employé dans une bataille réelle aussi bien que dans les exercices militaires ; et elles étaient si bien habituées aux mouvements de l’énômotie, que si leur ordre était dérangé par quelque accident contraire, des soldats dispersés pouvaient spontanément se former dans le même ordre, chaque homme connaissant parfaitement les devoirs appartenant à la place où le hasard l’avait jeté[44]. Au-dessus de l’énômotie il y avait plusieurs divisions plus considérables, la pentêkostys, le lochos et la mora[45], divisions dont le nombre total semble avoir été de six. Quant , au nombre de chaque division et à la proportion entre la plus grande et la plus petite, nous trouvons des renseignements complètement différents, dont chacun cependant s’appuie sur de bonnes autorités ; aussi sommes-nous forcé de supposer qu’il n’y avait pas de règle absolue, et que l’énômotie comprenait 95, 32 ou 36 hommes ; les pentêkosties, deus ou quatre énômoties ; le loches, deus, ou quatre pentêkosties, et la mora 400, 500, 600 ou 900 hommes — à différentes époques ou selon les limites d’âge que les éphores pouvaient prescrire pour les hommes qu’ils appelaient en campagne[46].

Ce qui demeure immuable dans le système, c’est d’abord le petit nombre, bien que variant dans certaines limites, de la compagnie élémentaire appelée énômotie, exercée à agir ensemble et composée d’hommes presque du même âge[47], dans laquelle chaque homme connaissait sa placé ; en second lieu, l’échelle des divisions et la hiérarchie des officiers ; dans un ordre ascendant, l’énomotarque, le pentekontêr, le lochagos et le polémarque, ou commandant de la mord, chargés, chacun de sa division respective. Les ordres que le roi donnait, comme commandant en chef, étaient transmis par les polémarques aux lochagi, des lochagi aux pentekontêrs, et alors de ces derniers aux énomotarques, qui les faisaient exécuter, chacun par son énômotie. Comme tous ces hommes avaient été antérieurement exercés aux devoirs de leurs postes respectifs, l’infanterie spartiate possédait les dispositions et les qualités d’une armée permanente. Dans l’origine, ils semblent n’avoir pas eu du tout de cavalerie[48], et quand la cavalerie finit par être introduite dans leur système, elle eut un caractère très inférieur, Lykurgue n’y ayant pas pourvu dans ses principes d’éducation militaire. Mais les forces des autres cités de la Grèce, même jusqu’à la fin de la guerre du Péloponnèse, eurent peu ou point d’exercices particuliers, n’ayant ni de petite compagnie comme l’énômotie, consistant en hommes spéciaux dressés à agir ensemble, ni d’officiers permanents et disciplinés, ni triple échelle de subordination et de subdivision. La gymnastique et l’usage des armes faisaient en tout lieu partie de l’éducation ; et il est à présumer qu’il n’y avait pas un seul hoplite grec qui manquât entièrement de l’habitude de marcher en ligne et qui ne connût pas les évolutions militaires ; en tant que l’obligation de servir était universelle et souvent imposée. Mais un tel usage était accidentel et inégal, et aucun individu à Argos ou à Athènes n’avait une place et un devoir militaires fixes. Le citoyen prenait les armes avec sa tribu, sous un taxiarque choisi dans sots sein pour l’occasion, et était placé dans un rang ou dans une ligne où ni sa place ni ses voisins immédiats n’étaient déterminés à l’avance. La tribu semble avoir été la seule classification militaire connue à Athènes[49], et le taxiarque le seul officier choisi dans la tribu pour l’infanterie, comme le phylarque l’était pour la cavalerie, sous le commandement du général en chef. En outre, les ordres du général étaient proclamés par un héraut à haute voix à la ligne tout entière, et non communiqués au taxiarque, de manière à le rendre responsable de leur exécution convenable par sa division. Avec un arrangement fait avec autant de négligence et si peu systématisé, nous serons surpris de trouver que les devoirs militaires fussent souvent si bien accomplis. Mais tout Grec qui le comparait avec la disposition symétrique de l’armée lacédæmonienne et avec la préparation laborieuse par laquelle chaque Spartiate se formait à sa tâche spéciale, éprouvait en lui un sentiment d’infériorité qui lui faisait accepter volontiers la suprématie de ces artistes de profession dans les choses de la guerre[50], comme ils sont souvent nommés.

Ce fut grâce au concours de ces diverses circonstances que la reconnaissance volontaire de Sparte comme l’État placé à la tête de la Hellas devint une partie du sentiment habituel des Grecs, pendant l’intervalle de temps qui sépare l’an 600 avant J.-C. de l’an 547 avant J.-C. Pendant cette période aussi surtout, la Grèce et ses colonies, en se développant, formèrent une sorte d’association reconnue et active. Les assemblées religieuses communes, qui reliaient les parties entre elles, non seulement acquirent un plus grand cérémonial et un développement plus étendu, mais encore devinrent plus nombreuses et plus fréquentes, tandis que les jeux Pythiens, Isthmiques et Néméens étaient élevés à la hauteur d’une institution nationale, et se rapprochaient par leur importance des jeux Olympiques. La supériorité incontestée de Sparte forma ainsi une partie de la première agrégation historique des États grecs. Ce fut vers l’an 547 avant J.-C. que Crésus de Lydia, pressé par Cyrus et les Perses, implora le secours de la Grèce en s’adressant aux Spartiates comme aux présidents reconnus de tout le, corps hellénique[51]. Et les tendances, agissant alors pour atteindre un certain degré de commerce et de coopération plus étendus parmi les membres dispersés du nom hellénique, furent sans doute favorisées par l’existence d’un État reconnu par tous comme le premier Etat dont on acceptait la supériorité d’autant plus facilement qu’elle était due à une discipline pénible et laborieuse, que tous admiraient, mais que personne ne voulait copier[52].

Est-il vrai (comme le comprennent O. Müller et d’autres savants) que la manière homérique de combattre fût l’usage général dans le Péloponnèse et dans le reste de la Grèce avant l’invasion des Dôriens, et que ces derniers aient introduit pour la première fois l’habitude de combattre en rangs serrés et les lances en arrêt ? C’est là un point que l’on ne peut déterminer. Dans tout ce que noue savons historiquement de la Grèce, des rangs serrés parmi les hoplites, chargeant avec des lances toujours, en main,, tel est l’usage qui domine ; bien qu’il y ait des cas exceptionnels, dans lesquels on jette la lance, quand des troupes semblent craindre d’en venir aux mains[53]. Il n’est non ; plus nullement certain que la manière homérique de combattre : ait réellement prévalu dans le Péloponnèse, contrée éminemment incommode pour l’emploi des chariots de guerre-Les descriptions du barde ont bien pu être fondées particulièrement sur ce que lui et ses auditeurs voyaient sur la, côte de l’Asie Mineure, oit les chariots étaient plus employés, et où le pays était beaucoup plus propice à cet usage[54]. Nous n’avons aucune connaissance historique d’une tactique militaire quelconque usitée dans le Péloponnèse avant les hoplites aux rangs serrés et avec les lances en arrêt.

Il y avait un État péloponnésien, et il était le seul, qui dédaignait de reconnaître la supériorité ou la suprématie de Lacédæmone. Argos n’oublia jamais qu’elle avait été jadis la première puissance de la péninsule, et ses sentiments à l’égard de Sparte étaient ceux d’un compétiteur jaloux, mais impuissant. Par quelle progression s’était opéré le déclin de son pouvoir, c’est ce que nous ne sommes pas en état de reconnaître, et nous ne pouvons pas non plus suivre la série de ses rois postérieurs à Pheidôn. Nous avons déjà dit que, vers l’an 669 avant J.-C., les Argiens remportèrent une victoire sur les Spartiates à Hysiæ, et qu’ils chassèrent du port de Nauplia ses anciens habitants, qui trouvèrent asile, grâce aux Lacédæmoniens, au port de Mothônê en Messênia[55]. Damokratidas était alors roi d’Argos. Pausanias nous dit que Meltas, fils de Lakidês, fut le dernier descendant de Temenos qui succéda à cette dignité, lui étant condamné et déposé par le peuple. Plutarque cependant assure que la famille des Hêraklides s’éteignit, et qu’un autre roi, nommé Ægôn, fut choisi par le peuple sur l’indication de l’oracle de Delphes[56]. Pausanias semble n’avoir rien su de ce récit. Son langage implique que la dignité royale cessa avec Meltas ; et il se trompe sans doute sur ce point, puisque le titre existait (bien que probablement avec des fonctions très limitées) du temps de la guerre des Perses. De plus, il y a quelque lieu de présumer que le roi d’Argos était même à cette époque un Hêraklide, puisque les Spartiates lui offrirent un tiers du commandement dans l’armée hellénique, conjointement avec leurs deux rois[57]. La conquête de la Thyreatis par les Spartiates priva les Argiens d’une portion importante de leur Periœkis, ou territoire dépendant. Mais Orneæ et la partie qui restait de Lynuria[58] continuèrent encore de leur appartenir ; la plaine qui entourait leur ville était d’un très bon rapport, et, excepté Sparte, il n’y avait pas dans le Péloponnèse d’autre puissance supérieure à eux. Mykênæ et Tyrins, néanmoins, semblent toutes deux avoir été des États indépendants à l’époque de la guerre des Perses, puisque toutes deux elles envoyèrent des contingents à la bataille, de Platée, dans un temps où Argos se tenait à l’écart et favorisait plutôt les Perses. A quelle époque Kleônæ devint-elle alliée ou dépendante d’Argos, c’est ce que nous ne pouvons pas reconnaître distinctement. Pendant la guerre du Péloponnèse on la compte avec ce caractère en même temps qu’Orneæ[59] ; mais il parait qu’elle n’avait pas perdu son autonomie vers l’an 470 avant J.-C., époque à laquelle Pindare représente les Kléonæens comme présidant les jeux Néméens et y distribuant des prix[60]. La forêt de Néméa était à une distance de leur ville de moins de deux milles (3 kilom.), et ils étaient dans l’origine les présidents de cette grande fête, fonction qui leur fut enlevée dans la suite par les Argiens, de la même manière que les Pisans avaient été traités par les Eleiens par rapport aux jeux Olympiques. L’extinction de l’autonomie de Kleônæ, et l’acquisition que fit Argos : de la présidence de la fête néméenne, furent sans doute simultanées, mais nous ne pouvons en marquer l’époque exacte. Car l’assertion d’Eusèbe, qui dit que les Argiens célébrèrent la fête néméenne déjà lors de la cinquante-troisième Olympiade, ou 568 ans avant J.-C., est contredite par le -témoignage plus important de Pindare[61].

Quant à Corinthe et à Sikyôn, il conviendra mieux d’en parler quand nous examinerons ce qu’on appelle le Siècle des Tyrans ou Despotes ; et quant aux habitants de l’Achaïa — qui occupaient la côte méridionale du golfe de Corinthe, à l’ouest de Sikyôn jusqu’au cap Araxos, le point nord-ouest du Péloponnèse —, quelques mots épuisent ce que nous en connaissons jusqu’au temps où nous sommes arrivé. Ces Achæens nous sont donnés comme représentant les habitants de la Laconie antérieurs aux Dôriens ; et, selon la légende, ils s’étaient retirés sous la conduite de Tisamenos dans les parties septentrionales du Péloponnèse, d’où ils chassèrent les Ioniens qui s’y trouvaient auparavant, et occupèrent le pays. La race de leurs rois dura, dit-on, depuis Tisamenos jusqu’à Ogygos[62], nous ignorons pendant combien de temps. Après la mort de ce dernier, les cités achæennes formèrent chacune une république séparée, mais avec des fêtes et des sacrifices périodiques dans le temple de Zeus Homarios, ce qui leur fournissait une occasion de régler leurs différends et d’arranger leurs affaires communes. Hérodote et Strabon connaissent douze de ces villes : Pellênê, Ægira, Ægæ, Bura, Helikê, Ægion, Rhypes, Patræ, Pharæ, Olenos, Dymê, Tritæa[63]. Mais il a dû exister dans l’origine quelques autres villes autonomes outre ces douze, car, dans la vingt-troisième Olympiade, Ikaros d’Hyperêsia fut proclamé comme vainqueur, et il semble qu’il y a de bonnes raisons pour croire qu’Hyperêsia, ancienne ville du Catalogue homérique, était en Achaïa[64]. On affirme qu’avant l’occupation du pays par les Achæens les Ioniens avaient habité des villages indépendants, dont plusieurs, postérieurement réunis, composèrent des villes : ainsi Patræ était formée d’un agrégat de sept villages, Dymê de huit (dont l’un fut nommé Teuthea), et Ægion aussi de sept ou de huit. Mais toutes ces villes étaient petites, et quelques-unes tentèrent en outre de s’unir entre elles ; ainsi Ægæ fut réunie à Ægira, et Olenos à Dymê[65]. Tous les auteurs semblent disposés à reconnaître douze cités, et pas plus, en Achaïa ; car Polybe, adhérant encore à ce nombre, substitue Léontium et Keryneia à Ægæ et à Rhypes ; Pausanias donne Keryneia à la placé de Patræ[66]. Il n’est question d’aucun fait relatif à ces villes achæennes jusqu’à une époque plus éloignée de la guerre du Péloponnèse, et même alors leur rôle fut peu considérable.

La plus grande portion du territoire compris sous le nom d’Achaïa était montagneuse ; elle formait le versant septentrional de ces hautes chaînes, que l’on ne traverse que par des gorges très difficiles, séparant la contrée de l’Arkadia au sud, et jetant divers éperons qui s’approchent tout prés du golfe de Corinthe. Une bande de terrain plat, avec un sol blanc et argileux, souvent très fertile entre ces montagnes et la mer, formait la plaine de chacune de ces villes achæennes, qui étaient situées en grande partie sur des éminences escarpées et détachées, dominant cette plaine. Des montagnes placées entre l’Achaïa et l’Arkadia coulent de nombreux cours d’eau qui se jettent dans le golfe Corinthien, mais peu d’entre eux coulent toute l’année, et on représente la côte comme dépourvue de ports dans toute sa longueur[67].

 

 

 



[1] Hermippus ap. Athenæ, I, p. 27. Et Xénophon, Helléniques, VII, 1, 23.

[2] Pausanias, VIII, 6, 7 ; VIII, 37, 6 ; VIII, 38 ; 2. Xenias, un des généraux des Grecs mercenaires au service de Cyrus le jeune, natif du district parrhasien en Arkadia, célèbre avec une grande pompe, pendant la marche vers la haute Asie, la fête et les jeux des Lykœa (Xénophon, Anabase, I, 21 10 ; Cf. Pindare, Olymp., IX, 10).

Un grand nombre des forêts le l’Arkadia contenaient non seulement des sangliers, mais encore des ours, du temps de Pausanias (VIII, 23, 4).

[3] Pausanias, VIII, 26, 5 ; Strabon, VIII, p. 388.

Quelques géographes distribuaient les Arkadiens en trois subdivisions, Azanes, Parrhasii et Trapezuntii. Azan passait pour le fils d’Arkas, et on disait que son lot dans le partage de l’héritage paternel avait contenu dix-sept villes. Stephan. Byz. v. Άζανία - Παρρασία. Kleitôr semble la capitale de l’Azania, autant que nous pouvons l’induire de la généalogie (Pausanias, VIII, 4, 2, 3). Pæus ou Paos, d’où vint le prétendant azanien à la main de la fille de Kleisthenês, était entre Kleitôr et Psôphis (Hérodote, VI, 127 ; Pausanias, VIII, 23, 6). Toutefois un oracle delphien compte les habitants de Phigaleia, à l’angle sud-ouest de l’Arkadia, parmi Ies Azanes (Pausanias, VIII, 42, 3). — On supposait que le tombeau d’Arkas était sur le mont Mœnalos (Pausanias, VIII, 9, 2).

[4] Thucydide, V, 65. Cf. la description du sol par le prof. Ross (Reisen im Peloponess, IV, 7).

[5] Strabon, VIII, p. 337.

[6] Hérodote, IX, 27.

[7] Strabon, l. c. Mantineia est comptée parmi les plus anciennes cités de l’Arkadia (Polybe, II, 54). Mantineia et Orchomenos avaient occupé toutes deux clans l’origine des situations très élevées sur des collines, et avaient été reconstruites sur une échelle plus considérable, plus bas en se rapprochant de la plaine (Pausanias, VIII, 8, 3 ; 12, 4 ; 13, 2).

Relativement aux rapports qui existaient, pendant la première période historique, entre Sparte, Argos et l’Arkadia, il y a un nouveau fragment de Diodore (parmi les fragments récemment publiés par Didot et tirés des Excerpta qui se trouvent dans la bibliothèque de l’Escurial, Fragm. Historic. Græcor., vol. II, p. 8). Les Argiens avaient épousé la cause des Arkadiens contre Sparte ; et au prix de pertes et de souffrances considérables, ils avaient regagné les portions de l’Arkadia qu’elle avait conquises. Le roi d’Argos rendit aux Arkadiens ce territoire recouvré ; mais les Arkadiens en général étaient fâchés qu’il ne refit pas conservé et distribué entre eux en récompense de leurs pertes pendant la lutte. Ils se soulevèrent contre le roi, qui fut forcé de fuir et se réfugia à Tegea. — Nous n’avons rien qui explique ce fragment, et nous ignorons à quel roi, à quelle date ou à quels événements il se rapporte.

[8] Μαιναλίη δυσχείμερος (Oracle Delphien, ap. Pausanias, VIII, 9, 2).

[9] Voyez ce que dit Xénophon en décrivant l’ardeur qu’Épaminondas inspira à ses soldats avant cette bataille finale (VII, 5, 20).

Il n’est guère concevable que ces Arkadiens armés de massues aient possédé un bouclier et une armure complète. Le langage de Xénophon, quand il les appelle hoplites, et le terme έπεγάφοντο (se rapportant proprement à l’inscription sur le bouclier) parait connu dans un esprit de raillerie méprisante, ayant son origine dans les tendances antithêbaines de Xénophon : Les hoplites arkadiens avec leurs massues prétendent qu’ils sont aussi braves que les Thébains. Ces tendances de Xénophon se montrent dans des expressions très peu séantes à la dignité de l’histoire (bien que curieuses comme preuves du temps) ; c’est ce qu’on peut voir par VII, 5, 12, quant il parle des Thêbains.

[10] Thucydide, V, 33, 47, 81.

[11] Thucydide, 1. c. Cf. le discours instructif que Kleigenês, l’envoyé d’Akanthos, adressa aux Lacédæmoniens, 382 avant J.-C. (Xénophon, Helléniques, V, 2, 15-16).

[12] Xénophon, Helléniques, V, 2, 1-6 ; Diodore, XV, 19.

[13] Xénophon, Helléniques, VI, 5, 10-11 ; VII, 1, 23-25.

[14] Pausanias, VIII, 27, 5. Il lest pas fait mention d’œkiste venu d’Orchomenos, bien que trois des petits municipes tributaires d’Orchomenos fussent incorporés, dans la nouvelle cité.

La querelle entre les villes voisines d’Orchomenos et de Mantineia fut acharnée (Xénophon, Helléniques, VI, 5, 11-22). Orchomenos et Hêræa étaient toutes deux opposées à la confédération politique de l’Arkadia.

La harangue de Démosthène, ύπέρ Μεγαλοπολιτών, prouve fortement l’importance, de cette cité, particulièrement c. 10.

[15] Pausanias, III, 2, 6 ; III, 7, 3 ; VIII, 48, 3.

[16] Pausanias, VIII, 39, 2.

[17] Alkman, Fragm. 15, Welcker ; Strabon, X, p. 446.

[18] C’est un fait bien connu que les Skiritæ étaient Arkadiens (Thucydide, V, 47 ; Steph. Byz. v. Σκίρος) ; les Arkadiens disputèrent la possession de Belemina à Sparte, dans le temps de son humiliation relative. V. Plutarque, Kleomenês, 4 ; Pausanias, VIII, 35, 4.

Quant à, Karyæ (la ville frontière de Sparte, ou l’on sacrifiait les ata6acrpaa, Thucydide, V, 55), V. Photius. Καρυτεια - έορτή Άρτέμιδος . τάς δέ Καρύας Άρκδων ούσας άπετέμοντο Λακεδαιμόνιοι.

L’empressement avec lequel Karyæ et les Maleates se révoltèrent contre Sparte après la bataille de Leuktra, même avant l’invasion de la Laconie par les Thêbains, les montre évidemment comme des dépendances étrangères de Sparte, acquises par la conquête, sans aucun lien de race (Xénophon, Helléniques, VI, 5, 24-26 ; VII, 1, 28). Leuktron dans la Maleatis semble avoir formé une partie du territoire de Megalopolis à, l’époque de Kleomenês III (Plutarque, Kleomenês, 6) ; dans la guerre du Péloponnèse, c’était la ville frontière de Sparte du côté du mont Lykæon (Thucydide, V, 53).

[19] Hérodote, I, 66.

[20] Hérodote, I, 67 ; Pausanias, III, 3, 5 ; VIII, 45, 2. Hérodote vit les mêmes chaînes suspendues dans le temple d’Athênê Alea à Tegea.

[21] Hérodote, I, 69-70.

[22] Hérodote, IX, 26.

[23] Xénophon, Helléniques, V, 2, 19. — Ces paroles étaient adressées aux Lacédœmoniens environ dix ans avant la bataille de Leuktra.

[24] Hérodote, I, 82.

[25] Pausanias, II, 27, 1.

[26] Pausanias, III, 7, 5.

[27] Hérodote, I, 82 ; Strabon, VIII, 316.

[28] Les Argiens montraient à Argos une statue de Perilaos, fils d’Alkênôr, tuant Othryadês (Pausanias, II, 20, 6 ; II, 38, 5 ; Cf. X, 9, 6, et les citations dans Larcher, ad Herodote, 1, 82). Le récit de Chrysermos (tel qu’il est donné dans Plutarque, Parallel. Hellenic., p. 306) est différent sous bien des rapports.

Pausanias trouva la Thyreatis possédée par les Argiens (II, 38, 5) : Ils lui dirent qu’ils l’avaient recouvrée par jugement ; quand et par qui, c’est ce que nous ignorons : elle semble avoir repassé à Argos avant la fin du règne de Kleomenês III à Sparte (220 av. J.-C.) Polybe, IV, 36.

Strabon même compte Prasiæ comme argienne, au sud de Kynuria (VIII, p. 368), bien que dans un autre passage (p. 374), probablement cité d’après Ephore, elle soit regardée comme lacédæmonienne. Cf. Manso, Sparta, vol. II. Beilage, I, p. 48.

Eusèbe, plaçant ce duel à une époque beaucoup plus reculée (Ol. 27, 3, 678 av. J.-C.), attribue la première institution des Gymnopædia à sparte an désir de rappeler cet événement. Pausanias (III, 7, 3) le place encore plus haut, sous le règne de Theopompos.

[29] Thucydide, V, 41.

[30] Hérodote, VII, 9. Cf. le cartel qui, selon Hérodote, fût adressé aux Spartiates par Mardonios, au moyen d’un héraut, un peu avant la bataille de Platée (IX, 48).

[31] Athenæ, XV, p. 678.

[32] Hérodote, VIII, 73. Pausanias, III, 2, 2 ; VIII, 27, 3.

[33] Pausanias, II, 25, 5. Mannert (Geographie der Griechen und Roemer, Griechenland, liv. II, c. 19, p. 618) rattache les Kynuriens d’Arkadia à ceux de l’Argolis, bien qu’Hérodote nous dise que ces derniers étaient Ioniens ; il donne à ce nom une importance et une extension beaucoup plus grandes que ne le comportent les preuves.

[34] Strabon, VIII, p. 370. Coray et Grosskurd ne gagnent rien ici par la leçon conjecturale de Άργείας au lieu de Άρκαδίας, car la crête de Lyrkeion s’étendait entre les deux pays, et pouvait par conséquent sans inconvenance être rattachée à l’un ou à l’autre.

[35] Thucydide, VI, 95.

[36] Xénophon, Helléniques, IV, 8, 7.

[37] Xénophon, Helléniques, V, 5, 10 ; Euripide, ap. Strabon, VIII, p. 366 ; Leake, Travels in Morea, vol. III, c. 22, p. 25.

C’est à la force des frontières et à l’étendue relativement considérable du pays qu’elles renfermaient, que nous devons rapporter la première cause de la puissance lacédæmonienne. Quand le peuple fat fortifié par une vigoureuse discipline militaire, et mil par un esprit d’ambition, ces causes le mirent en état de triompher de ses voisins plus faibles de Messênia, grâce à cette force additionnelle, de contenir les républiques désunies de l’Arkadia, et enfin de conserver pendant des siècles une supériorité militaire reconnue sur tout autre Etat en Grèce.

Il est à remarquer que tons les principaux défilés conduisant en Laconie amenaient à un seul point : ce point est Sparte ; fait qui montre tout de suite comme la position de cette ville était bien choisie pour la, défense de la province, et comme elle était bien appropriée, surtout faut qu’elle continua à n’avoir pas de murs, pour entretenir un état perpétuel de vigilance et de promptitude à se défendre, qui sont les plus sûrs moyens de succès offensifs.

Il n’y a que deux ouvertures naturelles amenant dans la plaine de Sparte ; l’une par l’Eurotas supérieur, comme on peut appeler le cours de ce fleuve au-dessus de Sparte ; l’autre par son seul bras considérable, l’Œnos, aujourd’hui Kelefina, qui, comme je rai déjà dit, rejoint l’Eurotas vis-à-vis de l’extrémité nord-est de Sparte. Tous les accès naturels conduisant à Sparte en venant du nord mènent à l’une ou à l’autre de ces deux vallées. Du côté de la Messênia, la prolongation septentrionale du mont Taygète, qui rejoint le mont Lyceon au défilé d’Andania, aujourd’hui le défilé de Makryplai, forme une barrière continue de l’espèce la plus élevée, ne comportant que des routes aisément défendables ; ces routes ; soit qu’elles viennent de la Cromitis d’Arkadia pour aller au sud-ouest de la moderne Londari, soit qu’elles partent de la plaine de Stenyklêros, de la plaine de Pamisos, ou de Pheræ, aujourd’hui Kalamata, descendent toutes dans la vallée de l’Eurotas supérieur, et conduisent à Sparte par Pellana. Il y avait, à la vérité, une branche de la route mentionnée en dernier lieu qui descendait dans la plaine de Sparte à la moderne Mistra, et qui doit avoir servi de communication très fréquente entre Sparte et la partie inférieure de la Messênia ; mais, comme les autres défilés directs du Taygète, elle était beaucoup plus difficile et plus défendable que les routes que j’ai appelées les entrées naturelles de la province.

[38] Aristote, Politique, VIII, 3, 4.

[39] Hérodote, I, 68.

[40] Hérodote, I, 67 : Cf. la note de Larcher.

Relativement au sujet obscur et difficile des dispositions militaires de Sparte, v. Cragius, Republ. Laced., IV, 4 ; Manso, Sparta, II, Beilage, 18, p. 224 ; O. Müller, Hist. Dorians, III, 12 ; la note du Dr Arnold sur Thucydide, V, 68 ; et le Dr Thirlwall, History of Greece, vol. I, Appendix 3, p. 520.

[41] Pollux, I, 10, 129. Cf. Suidas et Hesychius, v. Ένωμοτία ; Xénophon, Rep. Lacon., c. 11, Thucydide, V, 67-68 ; Xénophon, Helléniques, VI, 4, 12.

Suidas fixe l’énômotie à 25 hommes ; dans l’armée lacédæmonienne, qui combattit à la première bataille de Mantineia (418 av. J.-C.), il semble qu’elle consistait en 32 hommes environ (Thucydide, l. c.) : à la bataille de Leuktra, en 36 hommes (Xénophon, Helléniques, l. c.). Mais le langage de Xénophon et de Thucydide n’implique pas que le nombre de chaque énômotie fût égal.

[42] O. Müller dit que l’énomotarque, après une παραγωγή ou déploiement en phalange, se tenait du côté droit, ce qui est contraire à Xénophon, Rep. Lac.,11, 9. - l’άρχων était le premier énomotarque du λόχος, le πρωτοστάτης (comme on le voit par 11, 5), quand l’énômotie marchait sur une seule file. Mettre l’ήγεμών au flanc droit se faisait par occasion, pour une raison spéciale. Je comprends autrement que Müller la description que fait Xénophon de la παραγωγή ou déploiement ; il semble plutôt que les enômoties qui étaient les premières faisaient un mouvement de côté à gauche, de sorte que le premier énomotarque conservait encore sa place à gauche, en même temps que l’occasion était donnée aux enômoties de l’arrière-garde de s’avancer et de se mettre en ligne - les mots παρ̕ άσπίδα rapportent, à ce que j’imagine, à ce que faisait le premier énomotarque, qui donnait l’exemple d’un mouvement de côté à gauche, comme l’indiquent les mots qui suivent - καί διά παντός έστ̕ άν ή φάλαγξ έναντία καταστή. La phalange était constituée quand tous les lchi formaient un front égal et, continu, soit que les seize enômoties (dont chaque λόχος était composé) fussent chacune sur une file, sur trois ou sur six.

[43] Xénophon, Anabase, IV, 8, 10 sur l’avantage d’attaquer l’ennemi avec όρθιοι λόχοι, cas dans lequel les soldats les plus forts et les meilleurs entraient tous d’abord en lutte. On doit se rappeler cependant que l’usage adopté par les troupes de Cyrus ne peut sans danger être cité comme autorité pour la pratique usitée à Sparte. Xénophon et ses collègues établirent les locbi, les pentekosties et les énômoties dans l’armée de Cyrus : le lochos consistait en 100 hommes, mais le nombre des deux autres divisions n’est pas indiqué (Anabase, III, 4, 21 ; IV, 3, 26 : cf. Arrien, Tactic., c. 6).

[44] Les mots de Thucydide indiquent le commandement des Lacédæmoniens comme différant et de celui de leurs ennemis et de celui de leurs alliés à la bataille de Mantineia - et cf. c. 68.

Sur la musique de la flûte ou fifre, Thucydide, V, 69 ; Xénophon, Rep. Lac., 13, 9 ; Plutarque, Lykurgue, c. 22.

[45] Meursius, le Dr Arnold et Racchetti (Della Milizia dei Grechi Antichi, Milan, 1807, p. 166) pensent tous que lochos et mora étaient des noms différents pour désigner la même division ; mais s’il faut concilier cette opinion avec le renseignement que donne Xénophon dans la Repub. Lac., c. 11, nous devons supposer un changement réel de nomenclature après la guerre du Péloponnèse, ce que semble croire le Dr Arnold, mais ce qu’il n’est pas aisé de justifier.

Il y a dans l’Appendix du Dr Thirlwall un seul point qui a quelque importance, et au sujet duquel je suis forcé d’être d’un autre avis que lui. Après avoir exposé la nomenclature et la classification des forces militaires spartiates telles que les donne Xénophon, il dit : Xénophon ne parle que des Spartiates, comme on le voit par l’épithète πολιτικών, p. 521 ; les mots de Xénophon sont : Έκάστη δέ τών πολιτικών μορών έχει πολέμαρχον ένα, etc. (Rep. Lac., 11).

Il me semble que Xénophon parle ici de la réunion des troupes lacédæmoniennes pesamment armées, comprenant et les Spartiates et les Periœki, et non des Spartiates seuls. Le mot πολιτικών ne désigne pas les Spartiates comme distingués des Periœki, mais les Lacédæmoniens comme distingués des alliés. Ainsi, quand Agésilas retourne dans sa patrie après le blocus de Phlionte, Xénophon nous dit que ταύτα ποιήσας τούς μέν συμμάχους άφήκε, τό δέ πολιτικόν οΐκαδε άπήγαγε (Helléniques, V, 3, 25).

O. Müller aussi pense que le nombre entier de 5.740 hommes, qui combattirent à la première bataille de Mantineia dans la treizième année dé la guerre du Péloponnèse, furent fournis par la cité de Sparte elle-même (Hist. of Dorians, III, 12, 2) : et pour le prouver il s’en réfère au même passage que nous venons de citer des Hellenica de Xénophon, qui, en tant qu’il prouve quelque chose, prouve le contraire de ce qu’il avance. Il ne donne à l’appui aucune autre preuve, et c’est, à mon avis, improbable au plus haut degré. J’ai déjà fait remarquer qu’il comprend que l’expression πολιτική χώρα (dans Polybe, VI, 45) signifie le district de Sparte, même comme distingué de la Laconie, explication qui ne me semble pas autorisée par le passage de Polybe.

[46] Aristote, Λακώνων Πολιτεία, Fragm. 5-6, éd. Neumann : Photius, v. Λόχος, Harpocration, Μόρα. Etymolog. Mac. Μόρα. Le renseignement d’Aristote est transmis d’une manière si imparfaite, que nous ne pouvons clairement reconnaître ce qu’il était. Xénophon dit qu’il y avait cinq moræ en tout, comprenant tous les citoyens en âge de porter les armes (Rep. Lac., II, 3). Hais Ephore fixait la mord à 500 hommes, Kallisthène à 700 et Polybe à 900 (Plutarque, Pelopid., 17 ; Diodore, XV, 32). Si tous les citoyens, en état de porter les armes étaient compris dans six moræ, le nombre de chaque moræ doit avoir naturellement varié. À la bataille de Mantineia, il y avait sept lochi lacédæmoniens, chaque lochos renfermant quatre pentekosties, et chaque peutêkostys comprenant quatre énômoties. Thucydide semble, comme je l’ai fait remarquer auparavant, dire que chaque énômotie est composte de trente-deux, hommes. Mais Xénophon nous dit que chaque moræ avait quatre lochi, chaque lochos deux pentêkosties, et chaque pentêkostys deux énômoties (Rep. Lac., II, 4). Les noms de ces divisions restent les mêmes, mais ales nombres variaient.

[47] C’est ça qu’indique le fait que les hommes, au-dessous de trente ans, ou au-dessous du trente-cinq, étaient souvent détachés dans une bataille afin de poursuive les troupes légères de l’ennemi (Xénophon, Helléniques, IV, 5, 15-16).

[48] Xénophon, Helléniques, VI, 4, 12.

[49] Hérodote, VI, 111 ; Thucydide, VI, 98 ; Xénophon, Helléniques, IV, 2, 19.

On voit dans les habitants de Messênê en Sicile, aussi bien que de Syracuse, le même ordre d’hoplites, d’après les tribus civiles auxquelles ils appartenaient (Thucydide, III, 90 ; VI, 100).

A Argos, il y avait un corps de 1.000 hoplites qui, pendant la guerre du Péloponnèse, était exercé aux manoeuvres militaires aux frais de la cité (Thucydide, V, 67), mais il y a lieu de croire que cet arrangement ne fut introduit que vers l’époque de la paix de Nikias, dans la dixième ou onzième année de la guerre du Péloponnèse, quand la trêve entre Argos et Sparte venait d’expirer), et quand la première commença h nourrir des projets d’ambition. Les Epariti en Arkadia commencèrent dans un temps beaucoup plus avancé, après la bataille de Leuktra (Xénophon, Helléniques, VII, 4, 33).

Au sujet des Taxiarques athéniens, un seul pour chaque tribu, V. Eschine, De Fals. Leg., c. 53, p. 300 R. ; Lysias, pro Mantitheo, Or. XVI, p. 147 ; Démosthène, adv. Bœotum pro nomine, p. 999 R. Philippic., I, p. 47.

V. le conseil que donne Xénophon (dans son traité De Officio Magistri Equitum) de refondre la cavalerie athénienne, et d’introduire de petites divisions, chacune avec son commandant spécial. La division en tribus est tout ce qu’il trouve reconnu (Off. M. E., II, 2-IV, 9) ; il recommande fortement de donner des ordres - διά παραγγέλσεως, et non άπό κήρυκος.

[50] Plutarque, Pelopid., c. 23.

[51] Hérodote, I, 69 ; cf. I, 152 ; V, 49 ; VI, 84, touchant l’hégémonie spartiate.

[52] Xénophon, Republ. Lac., 10, 8.

La magnifique oraison funèbre, prononcée par Periklês dans la première partie de la guerre du Péloponnèse en l’honneur des guerriers athéniens morts, renferme un contraste remarquable entre le patriotisme et la bravoure volontaires des Athéniens et l’austère, rebutante et fastueuse éducation à laquelle les Spartiates étaient soumis dès leur plus tendre jeunesse ; en même temps elle atteste l’effet puissant que cette éducation produisait sur l’esprit des Grecs (Thucydide, II, 37-39).

L’impression des troupes légères quand elles commencèrent pour la première fois à attaquer les hoplites lacédæmoniens dans l’île de Spakterin est fortement exprimée par Thucydide (IV, 34).

[53] Xénophon, Helléniques, V, 4, 52 ; cf. III, 5, 20.

[54] Xénophon, Helléniques, III, 4, 19.

[55] Pausanias, IV, 124,2 ; IV, 35, 2.

[56] Pausanias, II, 19,2 ; Plutarque (Cur Pythia nunc non reddat oracula, etc., c. 5, p. 396 ; De Fortunâ Alexandri, c. 8, p. 340). Lakidês, roi d’Argos, est aussi nommé par Plutarque comme voluptueux et efféminé (De capiendâ ub hostibus Utilitate, c. 6, p. 89).

O. Müller (Hist. Dorians, III, 6, 10) identifie Lakidês, fils de Meltas, nommé par Pausanias avec Leôkêdês fils de Pheidôn, nommé par Hérodote comme un ales prétendants à la main de la fille de Kleisthenês le Sikyonien (VI, 127) ; et il conclut ainsi que 3leltas doit avoir été déposé et remplacé par Ægôn vers 560 avant J.-C. Cette conjecture ne me paraît pas mériter beaucoup de confiance.

[57] Hérodote, VII, 149.

[58] Hérodote, VIII, 73.

Strabon distingue deux endroits appelés Orneæ : l’un est un village dans le territoire argien, l’autre une ville entre Corinthe et Sikyôn ; mais je doute qu’il y ait jamais eu deux endroits de ce nom ; la ville ou le village dépendant d’Argos semble être le seul lieu ainsi nommé (Strabon, VIII, p. 376).

[59] Thucydide, V, 67 ; VI, 95.

On dit aussi que les Kléonæens aidèrent les Argiens à détruire Mykênæ, conjointement avec les Tégéates ; nous ne pouvons pas cependant en conclure quelque chose quant à leur dépendance à cette époque (Strabon VIII, p. 377).

[60] Pindare, Nem., X, 42. — Cf. Nem., IV, 17.

[61] V. Corsini, Dissertation. Agonisticæ, III, 2.

La dixième Néméenne de Pindare est pour ce point une preuve particulièrement bonne, en ce qu’elle est composée pour Theiæos, natif d’Argos, et qu’elle est supposée devoir être chantée par lui. S’il y avait eu quelque jalousie existant alors entre Argos et Kleônæ au sujet de la présidence de cette fête, Pindare n’aurait jamais dans une telle occasion mentionne ; expressément les Kléonæens comme présidents.

Ce qu’avancent les Scholies sur Pindare, que les Corinthiens à une époque célébrèrent les jeux Néméens, ou qu’ils furent jadis célébrés à Sikyôn, parait dénué de fondement (Schol. Pindare, Arg. Nem. et Nem., X, 49).

[62] Polybe II, 41.

[63] Hérodote, I, 145 ; Strabon, VIII, p. 385.

[64] Pausanias, IV, 15,1 ; Strabon, VIII, p. 383 ; Homère, Iliade, II, 573. Pausanias semble avoir oublié ce renseignement, quand il nous dit que le nom d’Hyperêsia fut changé pour celui d’Ægira, dans le temps où les Ioniens occupaient le pays (VII, 26, 1 ; Steph. Byz. le copie, v. Αΐγειρα). Il est douteux que ces deux noms désignent le même endroit, et Strabon ne conçoit pas non plus qu’il en soit ainsi.

[65] Strabon, VIII, p. 337, 342, 386.

[66] Polybe, II, 41.

[67] V. Leake’s Travels in Morea, c. 27 et 31.