TROISIÈME VOLUME
C’est un fait suffisamment prouvé qu’il y a eu deux longues luttes entre les Lacédæmoniens et les Messéniens, et que, dans les deux, les premiers furent complètement victorieux. Et si nous pouvions ajouter foi aux renseignements que fournit Pausanias, notre principale et presque notre seule autorité sur ce sujet, nous serions en état de raconter l’histoire de ces deux guerres en grand détail. Mais par malheur les incidents racontés dans cet écrivain ont été puisés à des sources qui, même de son propre aveu, ne méritent pas de confiance ; ils sont empruntés de Rhianos, le poète de Bênê en Krête, qui avait composé un poème épique sur Aristomenês et la seconde guerre Messênienne, vers 220 avant J.-C., et de Myron de Priênê, auteur en prose dont la date n’est pas connue exactement, mais qui appartient à l’époque alexandrine, et qui n’est pas antérieur au troisième siècle avant l’ère chrétienne. Nous n’avons pas le droit d’attendre de Rhianos de renseignement digne de foi, tandis que Pausanias lui-même déprécie beaucoup l’exactitude de Myron, trop même sur quelques points, comme nous le montrerons tout à l’heure. Mais, en dehors des habitudes intellectuelles, oit du prosateur, soit du poète, il ne semble pas qu’aucun bon moi-en de connaître fût à la disposition de l’un ou de l’autre, si ce n’est les poèmes de Tyrtée ; les ont-ils jamais consultés, c’est ce dont nous ne sommes nullement sûr. Le récit de ces deux guerres, extrait de ces deux auteurs par Pausanias, est une suite de tableaux, dont plusieurs sont, il est vrai, extrêmement poétiques, mais manquent de cohérence ou des qualités requises pour l’histoire ; et O. Müller a fait observer avec justesse qu’il n’y est donné absolument aucune raison pour expliquer l’asservissement de la Messênia[1]. Ce sont des récits qui ne méritent pas d’être transcrits dans les pages d’une histoire générale, et nous ne pouvons pas non plus prétendre faire quelque chose de plus que de vérifier un petit nombre de faits principaux de la guerre. Le poète Tyrtée fut lui-même engagé du côté des Spartiates dans la seconde guerre, et c’est de lui que nous apprenons les quelques faits incontestables relatifs tant à la première guerre qu’à la seconde. Si les Messêniens n’avaient jamais été rétablis dans le Péloponnèse, nous n’aurions probablement jamais entendu d’autres détails touchant ces anciennes luttes. Ce rétablissement, avec la première fondation de la cité appelée Messênê sur le mont Ithômê, fut une des blessures capitales faites à Sparte par Épaminondas, dans l’année 369 avant J.-C., entre 300 et 250 années après la fin de la seconde guerre Messênienne. Les descendants des anciens Messêniens, qui étaient restés pendant une si longue période sans demeures fixes en Grèce, furent incorporés dans la nouvelle cité avec divers Ilotes et des colons mélangés qui n’avaient pas de titres à une semblable généalogie. On invoqua avec respect à cette grande cérémonie les dieux et les héros de la race messênienne, spécialement le grand héros Aristomenês[2] ; et la vue du mont Ithômê, l’ardeur des citoyens nouvellement établis, la haine et la crainte de Sparte, opérant comme un puissant stimulant pour créer et multiplier ce qu’on appelle traditions, suffirent pour que le petit nombre de faits connus relativement aux luttes des anciens Messêniens fussent développés et chargés d’une variété de détails. Dans presque toutes ces histoires nous découvrons une couleur défavorable à Sparte, contrastant fortement avec le récit donné par Isocrate dans son discours appelé Archidamus, où nous trouvons l’idée qu’un Spartiate pouvait se faire des anciennes conquêtes de ses ancêtres. Mais ce qui démontre clairement que ces histoires messêniennes n’avaient pas un fondement réel de tradition, ce sont les assertions contradictoires relativement au principal héros Aristomenês ; car quelques-uns le placent dans la première guerre, d’autres dans la seconde. Diodore et Myron le plaçaient tous deus dans la première ; Rhianos dans la seconde. Bien que Pausanias dise qu’il pense que le récit du dernier est préférable, et qu’Aristomenês appartient réellement à la seconde guerre Messénienne, il nie semble que les deux assertions sont aussi dignes de foi l’une que l’autre, et qu’il n’y a pas de preuves suffisantes pour décider entre les deux, conclusion qui en substance est la même que celle de Wesseling, qui croit qu’il y a eu deux personnages nommés Aristomenês, l’un dans la première guerre, l’autre dans la seconde[3]. Cette inextricable confusion relativement au plus grand nom de l’antiquité messênienne montre combien il est difficile de reconnaître ici un pur courant de tradition. Pausanias dit que la première guerre Messênienne commença en 743 avant J.-C. et dura jusqu’en 724, que la seconde commença en 685 avant J.-C. et dura jusqu’en 668 avant J.-C. Ni l’une ni l’autre de ces dates ne s’appuient sur aucune autorité positive assignable ; mais l’époque où l’on place la première guerre semble probable, tandis que celle de la seconde est évidemment trop reculée. Tyrtée constate à la fois la durée de la première guerre, vingt années, et les éminents services qu’y rendit le roi spartiate Theopompos[4]. Il dit de plus (en parlant pendant la seconde guerre) : Les pères de nos pères conquirent Messênê, indiquant ainsi vaguement les dates relatives des deux guerres. Les Spartiates — comme nous l’apprenons d’Isocrate, dont les paroles datent d’une époque où la cité de ‘Messênê n’était qu’une fondation récente — déclaraient avoir saisi le territoire en partie pour se venger de l’impiété des Messêniens, qui avaient tué leur propre roi l’Hêraklide Kresphontês, dont le parent avait invoqué l’aille de Sparte, en partie par l’ordre de l’oracle de Delphes. Telles étaient les causes qui les avaient engagés d’abord à envahir le pays, et ils l’avaient conquis après une lutte de vingt années[5]. Les explications lacédæmoniennes, telles qu’elles sont données dans Pausanias, semblent dans le plus grand nombre de points être des assertions contraires arrangées après le temps oit la version messênienne, évidemment le récit intéressant et populaire, avait été mise en circulation. Nous avons déjà dit que les Lacédæmoniens et les Messêniens
avaient sur leurs confins un temple et un sacrifice communs en l’honneur d’Artémis
Limnatis, datant de l’époque la plus ancienne de leur établissement dans le
Péloponnèse. La position de ce temple près du cours supérieur du fleuve
Nedon, dans le territoire montagneux au nord-est de Kalamata, mais à l’ouest
de l’arête la plus élevée du Têygetês, a été récemment vérifiée avec
exactitude, et il semble flans ces temps anciens avoir appartenu à Sparte. La
querelle commença dans un de ces sacrifices sur les frontières ; c’est ce que
disent également les deus parties, les Lacédæmoniens et les Messêniens. Selon
ces derniers, le roi lacédæmonien Têleklos tendit un piège aux Messêniens, en
habillant en filles quelques jeunes Spartiates et en leur donnant des
poignards ; de là s’éleva une dispute, dans laquelle les Spartiates furent
vaincus et Têleklos tué. Les Spartiates racontaient aussi que Têleklos avait
été tué dans le temple par les Messêniens ; mais ils affirmaient qu’il l’avait
été en essayant de défendre contre lit violence et les outrages des jeunes
Messêniens quelques jeunes filles lacédæmoniennes qui sacrifiaient dans le
temple[6]. Malgré la mort
de ce roi, cependant, la guerre n’éclata réellement que quelque temps après,
lorsque Alkamenês et Theopompos régnèrent à Sparte, et Antiochos et. Androklês,
fils de Phintas, en Messênia. Elle eut pour cause immédiate une altercation
privée entre le Messênien Polycharês (vainqueur dans la 4e Olympiade, 764 av. J.-C.) et
le Spartiate Euæphnos. Polycharês, ayant reçu une grossière injure d’Euæphnos,
et voyant sa demande en réparation repoussée par les Spartiates, se vengea en
attaquant d’autres Lacédæmoniens. Les Messêniens refusèrent de le livrer,
bien qu’un des deux rois, Androklês, insistât fortement pour qu’on le fit, et
soutînt son opinion contre l’opinion contraire de la majorité et de son frère
Antiochos avec tant de chaleur, qu’un tumulte s’éleva et qu’il fuit tué. Les
Lacédæmoniens, se décidant alors à faire la guerre, frappèrent le premier
coup sans déclaration formelle, en surprenant la ville frontière d’Ampheia et
en passant ses défenseurs au fil de l’épée. En outre, ils se répandirent sur
le territoire messênien et attaquèrent quelques autres villes, mais sans
succès. Euphaês, qui avait alors succédé à son père Antiochos en qualité de
roi de Messênia, convoqua les forces du pays et continua la guerre contre eux
avec énergie et audace. Pendant les quatre premières années de la guerre, les
Lacédœmoniens ne firent aucun progrès, et même furent exposés aux railleries
des vieillards de leur nation, qui les appelèrent des guerriers pusillanimes.
Toutefois, dans la, cinquième année, ils entreprirent une invasion avec plus
de vigueur, sous leurs deux rois Theopompos et Polydôros, au-devant desquels
s’avança Euphaês avec toutes les forces des Messêniens. Il s’ensuivit une
bataille désespérée, dans laquelle il ne semble pas qu’il v ait eu un
avantage marqué d’un côté ou de l’autre. Néanmoins les Messêniens se
trouvèrent tellement affaiblis par le combat, qu’ils furent forcés de se
réfugier sur la montagne fortifiée d’Ithômê, en abandonnant le reste du pays.
Dans leur détresse ils envoyèrent à Delphes solliciter conseil et protection
; mais leur messager -rapporta l’épouvantable réponse qu’une vierge du sang
royal d’Æpytos devait être sacrifiée pour les sauver. Pendant la tragique
scène qui s’ensuit, Aristodêmos met à mort sa propre fille, sans cependant
satisfaire les exigences de l’oracle. La guerre continua encore, et dans la
treizième année il se livra une autre bataille acharnée, dans laquelle le
brave Euphaês fut tué ; mais le résultat fut encore indécis. Aristodêmos, élu
roi à sa place, poursuivit la guerre avec activité. La cinquième année de son
règne est signalée par une troisième bataille générale, dans laquelle les
Corinthiens assistent les Spartiates, et les Arkadiens et les Sikyoniens sont
du côté de Tel est l’abrégé de ce que Pausanias[9] donne comme le récit de la première guerre Messênienne. La plupart de ses détails portent le cachet évident d’un pur roman de date récente ; et on verra facilement que la suite des événements lie présente aucune explication plausible de ce qui est en réalité indubitable, le résultat. La guerre de vingt années et l’abandon final d1thômè sont attestés par Tyrtée d’une manière qui n’offre aucun doute, aussi bien que le dur traitement infligé au peuple conquis. Comme des ânes[10] harassés par de pesants fardeaux (dit le poète spartiate), ils furent forcés d’abandonner à leurs maîtres une moitié entière du produit de leurs champs, et de venir à Sparte en costume de deuil eux-mêmes, ainsi que leurs épouses, comme pleureurs à la mort des rois et des principaux personnages. La révolte de leurs descendants, se soulevant contre un joug si oppressif, est connue sous le nom de seconde guerre Messênienne. Si nous avions eu le récit de la première guerre Messênienne
tel que le donnaient Myron et Diodore, il aurait été évidemment bien
différent de celui qui précède, parce qu’ils y renfermaient Aristomenês, et
que c’était il lui qu’était attribué le principal rôle. Dans le récit tel qu’il
est dans Pausanias, l’on ne nous présente pas le grand héros messênien, l’Achille
de l’épopée de Rhianos[11], avant la
seconde guerre, dans laquelle ses gigantesques proportions apparaissent dune
manière saillante. Il est le grand champion de sa patrie dans les trois
batailles que l’on représente comme étant livrées pendant cette guerre : la
première, sans résultat décisif, et Deræ ; la seconde, une victoire signalée
remportée par les Messêniens, à Tels sont les traits principaux de ce que Pausanias appelle[14] la seconde guerre Messênienne, ou de ce que l’on devrait plutôt nommer l’Aristomeneïs du poète Rhianos. Qu’après la fondation de Messênê, et le retour des exilés rappelés par Épaminondas, il y ait eu faveur et crédit pour une foule de contes relatifs à la valeur de l’ancien héros qu’ils invoquaient[15] dans leurs libations, contes bien calculés pour intéresser l’imagination, vivifier le patriotisme et enflammer les antipathies antispartiates des nouveaux habitants, il ne peut y avoir sur ce point aucun cloute. Et les jeunes filles messêniennes de cette époque peuvent bien avoir chanté, dans leurs sacrifices publics accompagnés de processions[16], comment Aristomenês poursuivit les Lacédæmoniens en fuite jusqu’au milieu de la plaine de Stenyklêros et jusqu’au sommet même de la montagne. C’est à de telles histoires — on ne devrait pas les nommer traditions — que Rhianos peut sans doute avoir emprunté ; mais s’il n’y avait pas de preuve pour démontrer combien il considérait complètement ses matériaux du point de vue du poète et non de celui de l’historien, nous le trouverions dans le fait remarquable mentionné par Pausanias. Rhianos représentait Léotychidês comme ayant été roi de Sparte pendant la seconde guerre Messênienne : or Léotychidês (comme le fait observer Pausanias) ne régna que prés d’un siècle et demi après, lors de l’invasion des Perses[17]. Au grand champion de La discipline dans laquelle un Spartiate passait sa vie consistait en exercices guerriers, sociaux et religieux, mêlés ensemble. Tandis que l’individu, fortifié parla gymnastique, pratiquait ses pénibles leçons de fatigue, dé patience et d’agression, les citoyens collectivement étaient maintenus dans l’habitude constante de mouvements simultanés et réglés dans la marche guerrière, la danse religieuse et la procession d’une nature purement sociale. La musique et le chant, étant constamment employés pour diriger la mesure et entretenir la vie[23] de ces mouvements dans la multitude, s’associèrent aux sentiments les plus puissants que laissait naître l’abnégation habituelle d’un Spartiate, et particulièrement à ces sympathies que l’on communique d’un seul coup à une foule assemblée. En effet, le musicien et le chanteur étaient les seules personnes qui s’adressassent jamais aux sentiments d’une assemblée lacédæmonienne. En outre, la musique simple de cette époque reculée, bien que dépourvue de mérite artistique, et remplacée dans la suite par des combinaisons plus compliquées, avait néanmoins un caractère moral prononcé. Elle agissait bien plus puissamment sur les mouvements et les résolutions des auditeurs, bien qu’elle chatouillât l’oreille moins agréablement que les compositions savantes des temps postérieurs. De plus, chaque genre particulier clé musique, avait son propre effet intellectuel approprié : le mode phrygien inspirait un enthousiasme sauvage et allant jusqu’à la folie ; le mode dôrien produisait une résolution ferme et réfléchie, exempte à la fois de sentiments désespérés et de sentiments impétueux[24]. Ce qu’on appelle le mode dôrien semble être en réalité l’ancien mode grec originel, en tant que distingué du phrygien et du lydien ; ces modes, subdivisés et combinés seulement à une époque postérieure, furent les trois modes primitifs avec lesquels se familiarisèrent les premiers musiciens grecs. Il dut probablement son titre de dôrien à la célébrité musicale de Sparte et d’Argos pendant le septième et le sixième siècle avant l’ère chrétienne ; mais il appartenait autant aux Arkadiens et aux Achæens qu’aux Spartiates et aux Argiens. Et les effets moraux marqués, produits et par le mode dôrien et par le mode phrygien dans les temps anciens, sont des faits parfaitement attestés, et cependant on peut difficilement les expliquer par quelque théorie générale de musique. Que l’impression produite par Tyrtée à Sparte, avec sa musique martiale et ses énergiques exhortations au courage en campagne, aussi bien qu’à l’union à l’intérieur, ait donc été très considérable, c’est là un fait en parfaite harmonie avec le caractère et de l’époque et du peuple ; surtout, comme on nous le représente, le poète apparaissant conformément à l’injonction -de -l’oracle Delphi en. Toutefois, les chétifs fragments qui nous restent de ses élégies et de ses anapestes peuvent nous convaincre seulement de deux faits : d’abord, que la guerre fut longue, opiniâtrement disputée et dangereuse pour Sparte aussi bien que pour les Messéniens ; ensuite, que d’autres parties du Péloponnèse y prirent part des deux côtés, particulièrement du côté des Messêniens. Ces derniers, par leurs fréquentes incursions sur le territoire spartiate, causèrent tant de ravages qu’on laissa sans culture une portion considérable de la terre sur la frontière la disette s’ensuivit, et les propriétaires des fermes abandonnées, réduits au désespoir, demandèrent avec instance un nouveau partage de la propriété foncière dans l’État. Ce fut en apaisant ces mécontentements que le poème de Tyrtée, appelé Eunomia, ordre légal, rendit un signalé service[25]. Il paraît certain qu’une grande partie des Arkadiens, avec les Pisans et les Triphyliens, se rangèrent du côté des Messêniens ; il y a aussi quelques assertions comptant les Eleiens parmi leurs alliés, mais cela ne paraît pas probable. I1 semblerait plutôt que l’ancienne querelle entre les Eleiens et les Pisans, relativement an droit de présidence aux jeux Olympiques, querelle qui avait déjà éclaté le siècle précédent sous le règne de l’Argien Pheidôn, continuât encore. Dépendant contre leur gré d’Élis, les Pisans et les Triphyliens prirent parti pour les Messêniens soumis, tandis que les maîtres à Élis et à Sparte faisaient cause commune, comme ils l’avaient fait jadis contre Pheidôn[26]. Pantaleôn, roi de Pisa, révoltée contre Élis, agit comme chef de ses concitoyens dans leur coopération avec les Messêniens ; et on le signale comme ayant, à l’époque de la 34e Olympiade. (644 av. J.C.), dirigé un corps de troupes sur Olympia, et ayant ainsi, à cette occasion, dépossédé les Eleiens de la présidence : cette fête particulière, aussi bien que la 8e Olympiade, pendant laquelle y intervint Pheidôn, et la 104e Olympiade, durant laquelle les Arkadiens envahirent le territoire, furent toujours marquées sur le registre Eleien comme n’étant pas des Olympiades ou comme étant des célébrations irrégulières. Nous pouvons avec raison rattacher ce triomphe temporaire des Pisans à la guerre Messênienne, en ce que, seuls ; ils n’étaient pas de force à résister aux Eleiens, tandis que la fraternité qui unissait Sparte et Élis est en parfaite harmonie avec le plan de la politique péloponnésienne qui, comme nous l’avons fait observer, régnait même avant et pendant le temps de Pheidôn[27]. La seconde guerre Messênienne aura donc commencé ainsi à peu près vers la 33e Olympiade, ou 648 avant J.-C., entre soixante-dix et quatre-vingts ans après la fin de la première, et elle aura duré, selon Pausanias, dix-sept ans ; selon Plutarque, plus de vingt ans[28]. Un grand nombre d’entre les Messêniens, qui abandonnèrent leur patrie après cette seconde conquête, trouvèrent, dit-on, asile et sympathie parmi les Arkadiens, qui les admirent dans une nouvelle patrie et leur donnèrent leurs filles en maria,,e, et qui, en outre, punirent sévèrement la trahison dont s’était rendu coupable Aristokratês, roi d’Orchomenos, en abandonnant les Messêniens à la bataille du rossé. Ce chef perfide fut mis à mort, et sa race détrônée ; tandis que le crime et la punition furent de plus rappelés par une inscription que l’on pouvait voir près de l’autel de Zeus Lykæos en Arkadia. L’inscription existait sans doute à l’époque de Kallisthène, dans la génération qui suivit le rétablissement de Messênê. Mais il nous est impossible de déterminer si elle avait existé avant cet événement, et quel degré de vérité il peut y avoir dans le récit concernant Aristokratês[29]. Une autre autorité avance que le fils d’Aristokratês, nommé Aristodêmos, régna dans la suite à Orchomenos[30]. Ce qui ici est fortement marqué, c’est la haine commune aux Arkadiens et aux Messêniens contre Sparte, sentiment qui était dans toute sa force à l’époque du rétablissement de Messênê. La seconde guerre messênienne fut ainsi terminée par l’asservissement
complet des Messêniens. Ceux d’entre eux qui restèrent dans le pays furent
réduits à une servitude qui n’était probablement pas moins dure que celle
que, suivant la description de Tyrtée, ils avaient endurée entre la première
guerre et la seconde. Dans la suite tout le territoire qui figure sur la
carte comme Messênia, au sud du fleuve Nedon, et à l’ouest du sommet du Têygetês,
parait comme soumis à Sparte et comme formant la portion occidentale de Quelque imparfaitement que nous connaissions ces deux
guerres Messêniennes, nous en voyons assez pour être autorisé à faire deux
remarques. Toutes deux elles furent fatigantes, prolongées et pénibles ;
elles montrèrent avec quelle lenteur on obtenait alors des résultats à la
guerre, et elles prouvèrent par un exemple de plus combien l’analogie
historique contredit la conquête rapide et instantanée de Les relations de Pisa et d’Elis forment une contrepartie
et une suite convenables à celles de |
[1] History of the Dorians, I, 7, 10 (note). Il parait que Diodore avait donné une histoire des guerres messêniennes considérablement détaillée, si nous pouvons en juger par un fragment du livre septième et dernier, renfermant le débat entre Kleonnis et Aristomenês. C’était très probablement un emprunt fait à Éphore, bien que nous ne le sachions pas.
Au sujet des assertions de Pausanias relatives à Myron et à Rhianos, v. IV, 6. Outre Myron et Rhianos, cependant, il paraît avoir reçu des renseignements oraux de Messêniens et de Lacédæmoniens de son temps, du moins dans quelques occasions, il cite et oppose les deux récits contradictoires (IV, 4, 4 ; IV, 5, 1).
[2] Pausanias, IV, 27, 2-3 ; Diodore, V, 77.
[3] V. Diodore, Fragm., lib. VIII, vol. IV, p. 30 ; dans son bref sommaire de, événements messéniens (IV, 66) il représente connue un point sur lequel les auteurs différaient, la question de savoir si Aristomenês appartenait à la première guerre ou il la seconde. Clemens Alexandrie (Prot., p. 36) le place dans la première, comme Myron, en le mentionnant comme ayant tué Theopompos.
Wesseling fait observer (ad Diodore, l. c.) : Duo fuerunt Aristomenes, uterque in Messeniorum contra Spartanos belio illustrissimes, alter posteriore, priore alter bello.
A moins que l’on ne puisse montrer par quelque preuve indirecte la probabilité de cette duplication de personnages homonymes, je la considère seulement comme équivalant à l’aveu que la difficulté est insoluble.
Pausanias est réservé dans sa manière de donner son jugement (IV, 6).
Müller (Dorians, I, 7, 9) va trop loin quand il affirme que l’assertion de Myron était contraire à toute tradition. Müller énonce d’une manière inexacte la citation de Plutarque, Agis, c. 21 (V. sa note h). Plutarque ne dit rien de Tyrtée ; il dit que les Messêniens affirmaient que leur héros Aristomenês avait tué le roi spartiate Theopompos, tandis que les Lacédæmoniens disaient qu’il n’avait fait que blesser le roi. Suivant ces deux récits, il paraîtrait donc qu’Aristomenês appartenait à la première guerre Messênienne, et non à la seconde.
[4] Tyrtée, Fragm, 6, Gaisford. Mais en ne doit pas comprendre que Tyrtée affirme distinctement (comme Pausanias, M. Clinton et Müller le pensent tous) que Theopompos survécut et acheva la guerre : son langage pourrait s’accorder avec la supposition que Theopompos avait été tué dans la guerre.
En effet, nous serions assurément autorisés à dire : Ce fut par Épaminondas que les Spartiates furent conquis et humiliés ; ou ce fut par lord Nelson que la flotte française fut détruite dans la dernière guerre, bien que tous deux aient péri en accomplissant ces actes.
Tyrtée ne contredit donc pas l’assertion que Theopompos fut tué par Aristomenês, et il ne peut pas non plus être cité comme témoin pour prouver qu’Aristomenês ne vivait pas pendant la première guerre messênienne ; ce qui est le but que se propose Pausanias en le citant (IV, 6).
[5] Isocrate (Archidamus), Or. VI, p. 121-122.
[6] Strabon (VI, p. 257) fait un récit semblable de la conduite sacrilège et homicide des jeunes Messêniens dans le temple d’Artemis Limnatis. Sa version, qui s’accorde en substance avec celle des Lacédæmoniens, semble empruntée d’Antiochus, le contemporain de Thucydide, et est par conséquent antérieure à la fondation de Messênê par Épaminondas, événement qui est la source des assertions favorables aux Messêniens. Antiochus, qui écrivait an moment ou la, puissance lacédæmonienne était à son apogée, devait considérer naturellement les Messêniens comme abattus sans retour, et l’impiété racontée ici devait être à ses yeux la cause naturelle des jugements divins qui les frappaient. Le récit d’Éphore est pareil (ap. Strabon, VI, p. 280).
Cf. Héraclide de Pont (ad calcem Cragii, De Rep. Laced., p. 528) et Justin, III, 4.
La possession de ce temple d’Artemis Limnatis et de l’Ager Dentheliates, le district où il était situé, fut un sujet de disputes constantes entre les Lacédæmoniens et les Messêniens après la fondation de la cité de Messênê, même jusqu’au temps de l’empereur romain Tibère (Tacite, Annal., II, 43). V. Stephan. Byz. v. Δελθνιοι ; Pausanias, III, 2, 6 ; IV, 4, 2 ; IV, 31, 3. Strabon, VIII, p. 362.
Pour la situation dit temple d’Artemis Limnatis et la
description de l’Ager Dentheliates, V. le professeur Ross, Reisen im Peloponnes, I, p. 5-11. Il découvrit deux bornes avec des
inscriptions datant de l’époque des premiers empereurs romains et marquant les
confins de Lacédæmone et de Messênê ; toutes deux sur la ligne de l’arête la
plus élevée du Têygetês, où les eaux se séparent à l’est et à l’ouest, et
considérablement à l’est du temple d’Artemis Limnatis ; de sorte que de ce
temps-là l’Ager Dentelâtes était considéré comme une partie de
Je trouve maintenant que le colonel Leake (Peloponnesiaca, p. 181) pense que ces inscriptions découvertes par le professeur Ross ne prouvent pas que le temple d’Artemis Limnatis fût situé près du lieu où elles furent trouvées. Son autorité a une grande valeur à mes yeux sur ce point, bien que les arguments qu’il emploie ici ne me semblent pas concluants.
[7] C’est peut-être à cette occasion que se rapportait l’histoire des Epeunakti dans Théopompe (ap. Athenæ, VI, p. 271), — des Ilotes admis dans le lit à la place de leurs maîtres tués à la guerre et qui furent ensuite affranchis.
L’histoire des Partheniæ, obscure et inintelligible comme elle l’est, appartient à la colonie de Taras ou Tarentum (Strabon, VI, p. 279).
[8] V. Plutarque, De Superstitione, p. 168.
[9] V. Pausanias, IV, 6-14.
On peut voir dans
Ce serait évidemment de la folie (fait-il observer, p. 270) de supposer que dans l’histoire des guerres messêniennes comme Pausanias nous les présente, nous possédons l’histoire vraie de ces événements. »
[10] Tyrtée, Fragm. 5, 6 (Schneidewin).
C.-F. Hermann considère le traitement les Messêniens après la première guerre comme doux en comparaison de ce qu’il devint après la seconde (Lehrbuch der Griech. Staatsalterthümer, sect. 31), supposition que rendent inadmissibles les paroles expresses de Tyrtée.
[11] C’est la comparaison expresse employée par Pausanias, IV, 5, 2.
[12] Plutarque, Sept. Sapient. Convivium, p. 159.
[13] Pausanias, IV, 18, 4.
Plutarque (De Herod. Malignit., p. 856) dit qu’Hérodote avait mentionné Aristomenês comme ayant été fait prisonnier par les Lacédæmoniens ; mais Plutarque doit avoir été trompé par sa mémoire, car Hérodote ne fait pas mention d’Aristomenês.
[14] V. le récit dans Pausanias, IV, 15-24.
Selon une mention faite incidemment par Hérodote, les Samiens affirmaient qu’ils avaient aidé les Lacédæmoniens dans la guerre contre Messênê. Nous ne savons à quelle époque (Hérodote, III, 56).
[15] Pausanias, II, 14, 5. L’usage continuait encore de son temps. — Cf. aussi Pausanias, IV, 27, 3 ; IV, 32, 3-4.
[16] Pausanias entendit lui-même le chant (IV, 16,4).
D’après un seul récit, les Lacédæmoniens, disait-on, s’étaient rendus maîtres de la personne d’Aristomenês et l’avaient tué ; ils trouvèrent en lui un cœur velu (Steph. Byz., v. Άνδανία).
[17] Pausanias, IV, 15, 1.
Peut-être Léotychidês fut-il roi pendant la dernière révolte des Ilotes ou Messêniens en 464 avant J.-C., qui est appelée la troisième guerre Messênienne. Il paraît qu’il était alors cri exil, par suite de sa vénalité dans l’expédition Thessalienne, mais qu’il n’était pas encore mort (Hérodote, VI, 72). Je ne vois rien qui prouve suffisamment la réalité de ce que M. Clinton appelle la troisième guerre Messênienne en 490 avant J.-C. (V. Fast. Hellen., vol. I, p. 257).
Le poème de Rhianos était intitulé Μεσσηνιακά. Il composa aussi Θεσσαλικά, Ήλιακά, Άχαϊκά. V. les fragments (ils sont très peu nombreux) dans la collection de Düntzer, p. 67-77.
Il semble avoir mentionné Nikoteleia, mère d’Aristomenês (Fragm. 2, p. 73) ; cf. Pausanias, IV, 1,1, 5.
Je peux faire remarquer que Pausanias, dans tout le cours de son récit de la seconde guerre Messênienne, nomme le roi Anaxander comme commandant les troupes lacédæmoniennes ; mais il le fait sans autorité, comme nous le voyons par IV, 15, 1. C’est un pur calcul de sa part d’après les πατέρων πατέρες de Tyrtée.
[18] Pausanias, IV, 15, 3 ; Justin, III, 5, 4. Cf. Platon, Legg., II, p. 630 ; Diodore, XV, 66 ; Lycurg. cont. Leocrat., p. 162. Philochore et Kallisthène le représentaient aussi comme natif d’Aphiduæ en Attique ; ce que Strabon combat par de faibles raisons (VIII, p. 362) ; Philochore, Fragm. 56 (Didot).
[19] Plutarque, Theseus, c. 33 ; Pausanias, I, 41, 5 ; Welcker, Alkman. Fragm., p. 20.
[20] Plutarque, Kleomenês, c. 2.
[21] Philochore, Fragm. 56, éd. Didot ; Lycurg. cont. Leoc., p. 163.
[22] Plutarque, De Musicâ, p. 1134, 1142, 1146.
[23] Thucydide, V, 69 ; Xénophon, Rep. Laced., c. 13.
[24] V. le traité de Plutarque, De Musica, passim, particulièrement c. 17, p. 1136, etc. ; 33, p. 1143. Platon, République, III, p. 399 ; Aristote, Politique, VIII, 6, 5-8.
L’excellent traité De Metris Pindari, mis par M. Bœckh en tête de son édition de Pindare, est plein de renseignements instructifs sur ce point aussi bien que sur tous les autres se rattachant à la musique grecque (V. lib. III, c. 8, p. 238).
[25] Aristote, Politique, V, 7, 1 ; Pausanias, IV, 18, 2.
[26] Pausanias, VI, 121 2 ; Strabon, VIII, p. 355, où les Νέστορος άπόγονοι signifient les Pyliens de Triphylia.
[27] Relativement à la position des Eleiens et des Pisans pendant la seconde guerre messênienne, il y a de la confusion dans les diverses assertions ; comme on ne peut les concilier, nous sommes obligé de faire un choix.
Que les Eleiens fussent alliés de Sparte et les Pisans
de
En tant qu’oppose à l’idée adoptée ici, il y a sans
doute le passage de Pausanias (IV, 15, 4) qui compte les Eleiens parmi les
alliés de
[28] Plutarque, De Serâ Num. Vind., p. 548 ; Pausanias, IV, 15, 1 ; IV, 17, 3 ; IV, 23, 2.
La date de la seconde guerre Messênienne et l’intervalle qui sépare la seconde de la première sont des points sur lesquels il y a aussi des différences inconciliables quant aux renseignements : nous ne pouvons choisir que le plus probable. V. les passages recueillis et discutés dans O. Müller (Dorians, I, 7, 11, et dans M. Clinton, Fast. Hellen., vol. I, appendix 2, p, 257).
Selon Pausanias, la seconde guerre dura de 685 à 668 avant J.-C., et il y eut un intervalle de 39 ans entre la première guerre et la seconde. Justin (III, 5) compte un intervalle de 80 ans ; Eusèbe un intervalle de 90. La preuve principale est le passage de Tyrtée, ou ce poète, qui parle pendant la seconde guerre, dit : Les pères de nos pères conquirent Messênê.
M. Clinton se rapproche de très près de l’idée de
Pausanias : il suppose que la date réelle n’est que de six ans au-dessous
(679-662). Mais je suis d’accord avec Clavier (Histoire des premiers temps de
Étant d’accord comme je le suis ici avec O. Müller contre M. Clinton, je m’accorde encore avec lui pour penser que la meilleure marque que nous possédions de la date de la seconde guerre messênienne est l’assertion relative à Pantaleôn : la trente-quatrième Olympiade, que célébra Pantaleôn, tomba probablement dans le temps de la guerre, qui serait ainsi portée beaucoup plus bas que l’époque assignée par Pausanias, non pas cependant aussi bas que celle qu’indiquent Eusèbe et Justin ; toutefois, nous n’avons aucun moyen de fixer l’année exacte de son commencement.
Krebs, dans ses discussions sur les Fragments des livres
perdus de Diodore, pense que cet historien plaçait le commencement de la
seconde guerre messênienne dans la trente-cinquième Olympiade (640 av. J.-C.).
Krebs, Lectiones Diodoreæ, p.
[29] Diodore, XV, 66 ; Polybe, IV, 33, qui cite Kallisthène ; Pausanias, VIII, 5, 8. Ni l’inscription telle qu’elle est citée par Polybe, ni l’allusion qui se trouve dans Plutarque (De Serâ Numin. Vindictâ, p. 548), ne paraissent s’accorder avec le récit de Pausanias ; car toutes deux elles impliquent une trahison secrète et longtemps cachée, tardivement révélée par l’intervention des dieux ; tandis que Pausanias représente la trahison d’Aristokratês à la bataille du Fossé comme palpable et flagrante.
[30] Héraclide de Pont, ap. Diogène Laërte, I, 94.
[31] Pausanias, IV, 24, 2 ; IV, 3,1, 6 ; IV, 35, 2.
[32] Thucydide, I, 101.
[33] Pausanias dit : Τήν μέν άλλην Μεσσηίαν, πλήν τής Άσιναίων, αύτοί διελάγχανον, etc. (IV, 24, 2).
Dans un apophtegme attribué au roi Polydôros, chef des Spartiates pendant la première guerre messênienne, on lui, demande s’il prend réellement les armes contre ses frères à quoi il répond : Non ; je marche seulement vers la partie du territoire qui n’a pas été tirée au sort. (Plutarque, Apophthegm. Laconic., p. 231.).
[34] Pausanias, VI, 22 ; 2 ; V. 6, 3 ; V. 10, 2 ; Strabon, VIII, p. 356-357.
Le temple en l’honneur de Zeus à Olympia fut en premier lieu élevé par les Eleiens au moyen du butin fait dans cette expédition (Pausanias, V, 10, 2).
[35] Thucydide, V, 31. Cependant, même la ville de Lepreon est caractérisée comme éleienne (Aristophane, Aves, 149) ; cf. aussi Steph. Byz., v. Τριφυλία, ή Ήλις.
Même dans la sixième Olympiade un habitant de
Dyspontion est proclamé vainqueur au stade, sous la dénomination de un Eleien de
Dyspontion ; proclamé par les Eleiens naturellement — la même chose
dans la vingt-septième Olympiade : V. Stephan. Byz., v. Δυσπόντιον, ce
qui montre que les habitants de
[36] Hérodote, IV, 149 ; Strabon, VIII, p. 343.
[37] Diodore, XIV, 17 ; XV, 77 ; Xénophon, Helléniques, III, 2, 23, 26.
Ce fut vers cette époque probablement que s’introduisit pour la première fois l’idée de l’éponyme local, Triphylos, fils d’Arkas (Polybe, IV, 77).