TROISIÈME VOLUME
D’autres actes attribués aux éphores et dirigés contre les
Ilotes sont conçus dans le même esprit que l’incident que nous venons de
raconter d’après Thucydide, bien qu’ils ne soient pas accompagnés d’un
témoignage aussi certain. C’était une partie des institutions de Lykurgue — suivant
un renseignement que Plutarque déclare avoir emprunté d’Aristote —, que les
éphores déclarassent chaque almée la guerre aux Ilotes, afin que le meurtre
commis sur eux pût être innocenté ; et que de jeunes Spartiates actifs
fussent armés de poignards et envoyés dans Les Ilotes affranchis ne passaient pas dans la classe des Periœki, — pour ce but une faveur spéciale, le don de la liberté accordée par quelque municipe periœkien, était probablement nécessaire, — mais ils constituaient une classe a part, connue, à l’époque de la guerre du Péloponnèse, sous le nom de Neodamôdes. Ayant gagné leur liberté par une bravoure signalée, ils étaient naturellement l’objet d’une appréhension particulière de la part des éphores, et, s’il était possible, on les employait dans un service étranger[4] ou on les établissait comme colons sur quelque terre étrangère. A quoi s’occupaient ces hommes libres, c’est un peint pour- lequel nous ne trouvons pas de renseignement distinct ; mais nous ne pouvons guère douter qu’ils ne quittassent le village et le champ des Ilotes, en même temps que le costume rustique (le chapeau de cuir et la peau de mouton) que l’Ilote portait ordinairement, et dont le changement l’exposait a un soupçon, sinon à une punition, de la part de ses maîtres jaloux. Probablement comme les citoyens spartiates qui avaient perdu leurs privilèges (appelés hypomeiones ou inférieurs), ils étaient rassemblés- à Sparte, et trouvaient de, l’emploi soit dans divers commerces, soit au service du gouvernement. Il a été nécessaire de présenter cette brève esquisse des
classes d’hommes qui habitaient Ces Syssitia publics, sous la direction des polémarques,
se, rattachaient à la distribution militaire, à la constante éducation
gymnastique et à la rigoureuse discipline de détail imposées par Lykurgue.
Depuis l’âge tendre de sept ans, pendant tout le cours de sa vie, comme jeune
homme et homme fait non moins que comme enfant, le citoyen spartiate vivait
habituellement en public, prenant toujours part aux exercices gymnastiques et
militaires, soit en personne, soit comme spectateur, et juge des autres,
toujours soumis aux pratiques et aux entraves d’une règle en partie militaire,
en partie monastique, éloigné de l’indépendance d’une demeure séparée, voyant
sa femme, pendant les premières années de son mariage, seulement à la
dérobée, et n’entre-, tenant que peu de relations particulières avec ses
enfants. La surveillance non seulement de ses concitoyens, mais encore de
censeurs ou capitaines autorisés et nommés par l’État, s’exerçait
perpétuellement sur lui : sa journée se passait en exercices et en repas
publics, ses nuits dans la caserne publique à laquelle il appartenait. Outre
l’exercice militaire particulier qui le familiarisait dès sa jeunesse avec
les mouvements compliqués nécessaires à un corps d’hoplites lacédæmoniens en
campagne, il était aussi soumis à une sévère discipline corporelle d’autre
sorte, calculée pour donner de la force, de l’activité et de la patience. Manifester
un esprit hardi et belliqueux, supporter sans sourciller la plus grande
douleur corporelle, endurer la faim et la soif, le chaud, le froid et la
fatigue, fouler nu-pieds le plus mauvais terrain, porter le même vêtement l’hiver
et l’été, supprimer toute manifestation extérieure de sentiments, et montrer
en public, quand l’action n’était pas exigée, un maintien réservé, silencieux
et immobile comme une statue, voilà quelles étaient toutes les vertus d’un
jeune, Spartiate accompli[8]. Souvent on
opposait deux troupes égales l’une à l’autre pour combattre (sans armes) dans le
petit espace en forme d’île appelé le Platanistès, et ces luttes étaient
poussées, sous l’œil des autorités, jusqu’à la dernière limite de la fureur.
Ils ne mettaient pas non plus dans leur rivalité moins d’obstination à
supporter sans murmure les cruelles flagellations infligées devant l’autel d’Artemis
Orthia, traitement que l’on supposait être très agréable à la déesse, bien que
parfois il se terminât même par la mort du patient, qui ne faisait entendre
aucune plainte[9].
Outre les divers genres de luttes gymnastiques, les jeunes gens étaient
formés à des danses choriques en usage dans les fêtes des dieux, danses qui
contribuaient à leur donner des mouvements méthodiques et harmonieux. On
encourageait la chasse dans les bois et les montagnes de De tous les attributs de cette remarquable communauté, il
n’y en a aucun de plus difficile à expliquer clairement que la condition et
le caractère des femmes spartiates. Aristote affirme que, de son temps, elles
étaient impérieuses et intraitables, sans être réellement aussi braves et
aussi utiles dans les moments de danger élue d’autres femmes grecques[12] ; qu’elles
possédaient une grande influence suri les hommes, et même exerçaient beaucoup
d’ascendant sur le cours des affaires publiques ; et que près de la moitié
des propriétés foncières de Il n’est pas facile de concilier l’exposé donné ici par le
philosophe, et méritant naturellement une scrupuleuse attention, avec celui
de Xénophon et de Plutarque, qui regardent les femmes spartiates par un côté
différent, et les représentent comme des compagnes dignes des hommes et de
même nature qu’eux. Le système de Lykurgue (tel que ces auteurs l’exposent),
considérant les femmes comme une partie de l’État, et non comme une partie de
la maison, les soumettait à une éducation à peine moins dure que celle des
hommes. Le grand but qu’il se proposait, celui de maintenir une race
vigoureuse de citoyens, détermina à 1a fois et le traitement des jeunes
filles et les règlements relatifs aux rapports entre les deux sexes. Des femmes esclaves sont assez bonnes (pensait Lykurgue) pour rester au logis occupées à filer et à tisser ; mail
qui peut attendre de beaux enfants, mission et devoir propres d’une femme
spartiate libre à l’égard de sa patrie, de mères élevées dans de telles
occupations[14] ? Conformément à
ces principes, les jeunes filles spartiates étaient soumises à une éducation
physique analogue à celle des jeunes gens, étant régulièrement exercées, et
luttant entre elles à la lutte, au combat corps à corps et au pugilat, selon
les formes des agônes grecs. Elles paraissent avoir porté une légère tunique
ouverte au bas, de manière à laisser les membres à la fois libres et exposés
à la vue ; c’est pour cela que Plutarque dit qu’elles étaient complètement
sans vêtements, tandis que d’autres critiques, dans différentes parties de L’âge du mariage — qui dans quelques-unes des villes grecques non soumises à de telles règles était assez prématuré pour détériorer visiblement la race des citoyens[16] — fut reculé par la loi spartiate, pour les femmes aussi bien que pour les hommes, jusqu’à l’époque que l’on supposait être la plus compatible avec la perfection des enfa4ts. Et quand nous lisons la restriction que la coutume spartiate imposait aux relations même entre personnes mariées, nous conclurons sans hésitation que le mélange public des sexes, tel que flous renons de l’exposer, n’amenait pas aux libertés, entre personnes non mariées, qu’il eût pu vraisemblablement faire naître dans d’autres circonstances[17]. Le mariage était presque universel parmi les citoyens, imposé par l’opinion générale du moins, sinon par la loi. Le jeune Spartiate emmenait son épouse par un enlèvement simulé ; mais il semble que, pendant quelque temps du moins, elle continuait à résider dans la famille, visitant sols époux dans sa caserne, déguisée sous un costume d’homme, furtivement et dans de courtes occasions[18]. Il arriva à quelques couples mariés, suivant Plutarque, d’avoir été mariés assez longtemps pour avoir deux ou trois enfants, tandis qu’ils s’étaient à peine vus seuls pendant le jour. Une intrigue secrète de la part de femmes mariées était inconnue à Sparte ; mais les citoyens regardaient comme désirable, et le législateur comme un devoir, d’unir les plus beaux couples. Un sentiment personnel ou de jalousie de la part du mari ne trouvait de sympathie auprès de personne, et il permettait sans difficulté, et encourageait quelquefois activement, de la part de son épouse, des complaisances conformes à cet objet généralement admis. On poussa si loin une telle tolérance, qu’il y eut plusieurs femmes mariées qui furent reconnues comme maîtresses de deux maisons[19] et mères de deux familles distinctes, sorte de bigamie strictement interdite aux hommes, et qui ne fut jamais autorisée, si ce n’est dans le cas remarquable du roi Anaxandridês, lorsque la ligne royale Hêraklide d’Eurysthenês fut en danger de s’éteindre. L’épouse d’Anaxandridês étant sans enfant, les éphores le pressèrent vivement, sur des motifs de nécessité publique, de la répudier et d’épouser une autre femme. Mais il refusa de renvoyer fine épouse qui ne lui avait donné aucun sujet de plainte ; alors, le trouvant inexorable, ils le prièrent de la garder, mais de prendre en outre une autre épouse, pour qu’en tout cas il pût naître des enfants a la ligne Eurysthénide. Ainsi (dit Hérodote) il épousa deux femmes et habita deux foyers, usage inconnu à Sparte[20] ; c’était cependant le même privilège dont, selon Xénophon, jouissaient quelques femmes spartiates sans recevoir de reproches de personne ; et avec une harmonie parfaite entre les habitants de leurs deux maisons. O. Müller[21] fait remarquer (et il est justifié, autant que nous pouvons le savoir, par l’évidence) que les mariages d’amour et l’affection sincère à l’égard d’une épouse étaient plus familiers à Sparte qu’à Athènes ; bien que dans la première la jalousie d’un mari ne fût ni permise ni reconnue, tandis que dans la seconde elle était vive et universelle[22]. Pour concilier la soigneuse éducation gymnastique que mentionnent Xénophon et Plutarque avec, ce luxe sans contrôle et ce relâchement qu’Aristote condamne dans les femmes spartiates, nous pouvons supposer qu’à l’époque de ce dernier les femmes d’une haute position et d’une grande fortune s’étaient arrangées pour se soustraire à l’obligation générale, et que c’est de ces cas particuliers qu’il parle surtout. Il insiste spécialement sur la tendance croissante à accumuler la propriété dans les mains des femmes[23], tendance qui semble avoir été encore plus manifeste un siècle après, sous le règne d’Agis III. Et nous pouvons imaginer sans peine que l’un des emplois de la richesse ainsi acquise consistait à acheter l’exemption de laborieux exercices, ce qu’elles pouvaient accomplir plus facilement que les hommes, dont l’État réclamait les services comme soldats. Il nous explique en partie par quels moyens les femmes en vinrent à posséder une proportion aussi considérable que les deux cinquièmes de la propriété foncière de l’État. Il y avait (dit-il) beaucoup d’héritières filles uniques — les dots données par les pères à leurs filles étaient très considérables —, et le père avait un pouvoir illimité de faire des legs testamentaires, pouvoir dont il était disposé à user plutôt en faveur de sa fille que de son fils. Une égalité parfaite de legs ou d’héritage entre les deux sexes, sans aucune préférence pour les femmes, pouvait faire beaucoup ; mais, en outre, Aristote nous dit qu’il y avait dans l’esprit spartiate à l’égard des femmes une sympathie particulière et une complaisance qu’il attribue au caractère belliqueux et du citoyen et de l’État — Arès portant le joug d’Aphroditê[24]. Mais, en dehors d’une telle considération, si nous supposons de la part d’un père spartiate opulent la simple disposition à traiter également ses fils et ses filles quant aux legs, près d’une moitié de la masse des propriétés échues en héritage se fût naturellement trouvée entre les mains des filles, puisque, dans une moyenne de familles, le nombre des naissances d’enfants des deux sexes est presque égal. D’ans la plupart des sociétés, ce sont les hommes qui font de nouvelles acquisitions ; mais ceci n’arrivait que rarement ou jamais pour les hommes spartiates, qui dédaignaient toutes les occupations entreprises dans le but de gagner de l’argent. Xénophon, chaud panégyriste des mœurs spartiates, signale
avec quelque orgueil la race de citoyens grands et vigoureux que les
institutions de Lykurgue avaient produite. La beauté des femmes
lacédæmoniennes était notoire dans toute Tels étaient les points principaux de la mémorable discipline Spartiate, fortifiée dans son action sur les âmes par l’absence de communication avec les étrangers. Car aucun Spartiate ne pouvait quitter sa patrie sans autorisation, et les étrangers n’avaient pas non plus la permission de rester à Sparte ; ils ‘y venaient, à ce qu’il semble, par une sorte de tolérance, mais ils pouvaient toujours en être éloignés par ce procédé si discourtois appelé Xenêlasia[27], et il ne pouvait pas s’élever à Sparte cette classe d’étrangers résidants ou metœki qui constituaient une partie considérable de la population d’Athènes, et semblent s’être trouvés dans la plupart des autres villes grecques. C’est dans cet enseignement, cette éducation et ces exercices universels, imposés également aux jeunes garçons et aux hommes, aux jeunes gens et aux jeunes filles, aux riches et aux pauvres, que l’on doit chercher l’attribut distinctif de Sparte, et non dans ses lois ou dans sa constitution politique. Lykurgue (ou l’individu, quel qu’il soit, auquel est dû ce système) est
le fondateur d’une confrérie guerrière plutôt que le législateur d’une
communauté politique ; ses frères vivent ensemble comme des abeilles dans une
ruche (pour emprunter
une comparaison de Plutarque), avec tous leurs sentiments engagés dans
l’État, et séparés de la maison et du foyer[28]. Loin de
contempler la société comme un tout, avec ses besoins et ses conditions
multiples, il interdit à l’avance, par une des trois Rhetræ primitives, toute
loi écrite, c’est-à-dire tout acte législatif formel et prémédité sur un
sujet spécial quelconque. Quand il faut arranger des différends ou que l’intervention
du juge est nécessaire, le magistrat doit décider d’après son propre
sentiment d’équité ; on suppose que le magistrat ne s’écartera pas des
coutumes établies ni des desseins reconnus de la cité, d’après la discipline
personnelle €la, laquelle lui et le corps d’élite auquel il appartient ont
été soumis. C’est sur ce corps d’élite, entretenu par le travail d’autrui,
que Lykurgue veille exclusivement, avec l’œil prévoyant d’un instructeur,
dans le but de l’amener par la discipline a être dans l’état et la condition
d’un régiment[29],
à obéir comme un seul homme, à avoir une activité et une patience
corporelles, de telle sorte qu’il puisse être toujours prêt et disposé à la
défense, à la conquête et à la domination. On trouvera le pendant des
institutions de Lykurgue dans Dans de telles circonstances, on comprend aisément le but exclusif que se proposait Lykurgue ; mais ce qui est vraiment surprenant, c’est la violence des moyens qu’il employa et le succès qu’il obtint. Il réalisa son projet de créer dans les huit mille ou les neuf mille citoyens spartiates des habitudes incomparables d’obéissance, d’audace, d’abnégation et d’aptitude militaire, une soumission complète de la part de chaque individu à l’opinion publique locale et la volonté de mourir plutôt que de renoncer aux maximes spartiates, rune extrême ambition de la part de chacun de se distinguer dans la sphère tracée des devoirs, avec peu d’ambition pour toute autre chose. De quelle manière un système si rigoureux d’éducation individuelle peut-il avoir été, pour la première fois, introduit dans une communauté quelconque, maîtrisant le cours des pensées et des actions depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse, — œuvre beaucoup plus difficile que toute révolution politique, — c’est ce qu’il ne nous est pas permis de découvrir. Même l’influence d’un Hêraklide ardent et énergique, secondée et appuyée par l’action encore plus puissante du dieu de Delphes sur la forte sensibilité religieuse de l’esprit spartiate, ne suffit pas non plus pour expliquer un phénomène si remarquable dans l’histoire de l’humanité, à moins que nous ne les supposions -aidées par quelque combinaison et quelque concours de circonstances que l’histoire ne nous a pas transmises[33], et précédées de désordres si extrêmes que les citoyens furent heureux d’y échapper à tout prix. Relativement à Sparte, avant Lykurgue, nous n’avons de
renseignement positif d’aucune sorte. Mais, bien que cette malheureuse lacune
ne puisse être comblée, nous pouvons cependant dominer les probabilités négatives
du cas, assez pour voir que dans ce que Plutarque nous a dit — et c’est de
Plutarque qu’ont été tirées les opinions modernes jusqu’à une époque récente
— il y a à la vérité une base de réalité, mais qu’il y aussi une vaste
superstructure de roman, dans beaucoup de particularités essentiellement
trompeuses. Par exemple, Plutarque parle de Lykurgue comme introduisant ses
réformes à une époque où Sparte était maîtresse de Mais de tous les points présentés par Plutarque, celui qui
est de beaucoup le plus suspect et le plus trompeur, parce qu’il a servi de
base à des calculs sans fin, c’est le nouveau partage prétendu de la
propriété foncière. Il nous dit que Lykurgue trouva une effrayante inégalité
dans les biens fonciers des Spartiates, presque tout le pays entre les mains
d’un petit nombre, et une grande multitude sans aucune terre ; qui il remédia
à ce mal par une nouvelle division du district spartiate en 9.000 lots égaux,
Fet le reste de Or, nous trouverons, après examen, que ce partage nouveau
et égal des terres par Lykurgue est encore plus en opposition avec le fait et
la probabilité que les deux premiers actes allégués. Toutes les preuves
historiques montrent des inégalités prononcées de propriété entre les
Spartiates, inégalités qui tendaient constamment à s’accroître ; en outre, les
auteurs plus anciens ne conçoivent pas ce mal comme né par suite d’abus d’un
système primitif d’égalité parfaite, et ils ne savent non plus rien du
nouveau partage égal fait dans l’origine par Lykurgue. Même à une époque aussi
reculée que celle du poète Alcée (600-580 av. J.-C.) nous trouvons des plaintes amères sur l’ascendant
oppressif de la richesse et la dégradation du pauvre, citées comme fuyant été
proférées par Aristodêmos à Sparte : La richesse,
dit-il, fait l’homme : aucune personne pauvre n’est considérée comme bonne ni
honorée[34]. Ensuite, l’historien
Hellanicus ne connaissait certainement rien du nouveau partage de Lykurgue,
car il attribuait toute la constitution spartiate à Eurysthenês et à Proklês,
les premiers fondateurs, et signalait à peine Lykurgue. De plus, dans la
courte mais frappante description que fait Hérodote du législateur spartiate,
il fait allusion à plusieurs autres institutions, mais il ne dit rien d’un
nouveau partage des terres ; et ce dernier point est en lui-même d’une
importance si considérable, et il était tellement reconnu par tous les
penseurs grecs, que l’omission est presque une preuve d’ignorance. Thucydide,
à coup sûr, ne pouvait pas avoir cru que l’égalité de propriété fût un trait
original du système de Lykurgue ; car il dit qu’à Lacédæmone les hommes riches s’assimilaient beaucoup, sous le rapport
du vêtement et des habitudes générales d’existence, à la simplicité des
pauvres, et donnaient ainsi un exemple qui était suivi en partie dans le
reste de On voit donc qu’aucun auteur jusqu’à Aristote n’attribue à
Lykurgue un nouveau partage des terres, soit de Sparte, soit de Ce n’est pas actuellement le moment d’entrer longuement dans cette combinaison de causes qui en partie sapèrent, en partie renversèrent et les institutions de Lykurgue et le pouvoir de Sparte. Mais, en prenant cette ville dans l’état où elle était du temps d’Agis III (à peu près vers 250 av. J.-C.), nous savons que ses citoyens étaient devenus peu nombreux, la majorité d’entre eux misérablement pauvre, et que toute la terre était concentrée dans un petit nombre de mains. L’ancienne discipline et les repas publics (en ce qui concernait les riches) avaient dégénéré en simple formalité ; un corps nombreux d’étrangers ou d’hommes n’étant pas citoyens — l’ancienne Xenêlasia, ou interdiction de résidence pour les étrangers ayant cessé depuis longtemps — étaient domiciliés dans la ville, formant un pouvoir riche et influent ; et en dernier lieu, la dignité et l’ascendant de l’État parmi ses voisins étaient complètement ruinés. C’était une pensée insupportable pour un jeune enthousiaste comme le roi Agis, aussi bien que pour beaucoup d’esprits, ardents parmi ses contemporains, que de comparer cette dégradation avec l’ancienne gloire de leur patrie ; ils ne virent pas non plus d’autre moyen de reconstruire l’antique Sparte que d’y admettre de nouveau les citoyens pauvres privés de leurs privilèges, de faire un nouveau partage des terres, d’annuler toutes les dettes, et de rétablir les repas publics et les exercices militaires dans toute leur rigueur. Agis s’efforça de faire triompher ces mesures subversives — telles qu’aucun démagogue dans la démocratie extrême d’Athènes n’aurait jamais osé en imaginer de pareilles — avec le consentement du sénat et de l’assemblée publique, et l’acquiescement des riches. Sa sincérité est attestée par ce fait, que ses propres biens et ceux des femmes de sa famille, qui étaient au nombre des plus considérables dans l’État, furent abandonnés comme premier sacrifice pour former le fonds commun. Mais il devint la dupe d’hommes sans principes qui l’aidaient dans son entreprise, et périt dans la tentative inutile qu’il fit pour réaliser son plan par la persuasion. Son successeur Kleomenês accomplit ensuite à l’aide de la violence un changement semblable en substance, bien que l’intervention d’armes étrangères renversât promptement et lui-même et ses institutions. Or, ce fut dans cet état de sentiment public qui donna
naissance à ces projets d’Agis et de Kleomenês à Sparte que gagna d’abord du
terrain la fausse idée historique, inconnue à Aristote et à ses
prédécesseurs, d’une égalité absolue de propriétés considérée comme une
institution primitive de Lykurgue. Il est inutile de signaler combien une
telle opinion favorisait les plans d’innovation, le fait est trop évident par
lui-même ; et sans supposer aucune imposture calculée, nous ne pouvons nous
étonner que les prédispositions de patriotes enthousiastes interprétassent
conformément à leurs prédilections une ancienne législation qui n’était
appuyée par aucun texte et dont ils étaient séparés par plus de cinq siècles.
La discipline de Lykurgue tendait forcément à suggérer à l’esprit des
citoyens l’idée d’égalité entre les
citoyens, c’est-à-dire la négation de toute inégalité non fondée sur quelque
attribut personnel, en tant qu’elle assimilait les riches aux pauvres sous le
rapport des habitudes, des jouissances et des qualités ; et l’égalité, qui
existait ainsi en idée et ‘en tendance, et que semblait proclamer le désir du
fondateur, les réformateurs postérieurs l’outrèrent au point d’en faire une
institution positive qu’il avait d’abord réalisée, et dont s’étaient éloignés
ses successeurs dégénérés. Ce fut ainsi que les imaginations, les aspirations
et les suggestions indirectes du présent prirent le caractère de souvenirs
tirés d’un passé historique ancien, obscur et éteint. Il est possible que le
philosophe Sphærus de Borysthenês — ami
et compagnon de Kleomenês[45], disciple de
Zénon le stoïcien et auteur d’ouvrages aujourd’hui perdus et sur Lykurgue et Socrate
et sur la constitution de Sparte — ait été un do ceux qui donnèrent cours à
cette hypothèse. Et nous croirons sans peine que, une fois mise en avant,
elle trouvât une foi aisée et sincère, en nous rappelant combien d’illusions
semblables ont obtenu de vogue dans les temps modernes, bien plus favorables
à l’exactitude historique, combien de fausse couleur le sentiment politique d’une
époque récente a jeté sur des faits de l’histoire du temps passé, tels que L’institution
saxonne Witenagemote, En lisant le partage des terres réellement proposé par le roi Agis, nous trouvons que c’est une copie très exacte du partage primitif attribué à Lykurgue. Il divise les terres bornées par les quatre limites de Pellênê, de Sellasia, de Malea et du Têygetês, en 4.500 lots, un pour chaque Spartiate : et les terres situées au delà de ces limites en 15.000 lots, un pour chaque Periœkos ; et il propose d’établir à Sparte quinze Pheiditia ou tables pour les repas publics, quelques-uns, comprenant 400 individus, d’autres 200, fournissant ainsi une place à chacun de ses 4.500 Spartiates. Relativement au partage attribué dans l’origine à Lykurgue, il y avait divers récits. Quelques-uns pensaient.- :qu’il y était assigné 9.000 lots pour le district de Sparte et 30,000 pour le reste de la Laconie[46] ; d’autres affirmaient que 6.000 lots avaient été donnés par Lykurgue, et 3.000 ajoutés plus tard par le roi Polydôros ; un autre récit disait que Lykurgue avait assigné 4.500 lots, et le roi Polydôros une fois autant. Ce dernier plan ressemble beaucoup à ce qui fut réellement proposé par Agis. Dans la discussion précédente relative au nouveau partage des terres attribué à Lykurgue, j’ai pris cette mesuré telle qu’elle est décrite par Plutarque. Mais quelques habiles écrivains modernes, tout en admettant en général le fait de ce nouveau partage, ont eu une tendance à rejeter dans quelques-unes de ses circonstances principales le récit donné par Plutarque. Ce qui, par exemple, est le trait capital de la narration de cet écrivain, et ce qui donne de la vie et un sens au portrait qu’il fait du législateur, l’égalité du partage, est maintenant repoussé par beaucoup d’autres comme inexact, et l’on suppose que Lykurgue fit quelques nouveaux règlements agraires tendant à une égalité générale de la propriété foncière, mais non un partage entièrement nouveau ; qu’il peut avoir repris à des hommes riches des terres dont ils s’étaient injustement emparés sur les Achæens conquis, et qu’ainsi il procura des lots et aux citoyens pauvres et aux Laconiens soumis. Telle est l’opinion du docteur Thirlwall, qui en même temps admet qu’il est difficile de préciser la proportion exacte de la distribution opérée par Lykurgue[47]. Je ne puis que considérer différemment le renseignement fourni par Plutarque. Dés que nous abandonnons cette, règle d’égalité, qui est marquée d’une manière si saillante dans sa biographie de Lykurgue, nous entrons dans un champ illimité de possibilités, où il n’y a rien qui nous détermine à un point plus qu’à, un autre. La conjecture mise en avant par le docteur Thirlwall, de terres prises injustement par d’opulents propriétaires spartiates aux Achæens conquis, est complètement gratuite ; et en accordant qu’elle soit exacte, il nous reste encore à expliquer comment il se fit que cette réforme d’une injustice partielle en vint à être transformée en une mesure compréhensive et systématique, telle que la décrit Plutarque ; et à, expliquer, en outre, d’où vient qu’aucun des auteurs antérieurs à. cet auteur ne mentionne Lykurgue comme ayant égalisé les terres. Ces deux difficultés restent encore, même si nous fermons les yeux sur la nature gratuite de la supposition du docteur Thirlwall, ou de toute autre supposition que l’on peut avancer relativement à la mesure réelle de Lykurgue que Plutarque, assure-t-on, a dénaturée. Il me semble que la meilleure manière d’obvier à ces
difficultés est d’adopter une règle différente d’interprétation historique.
Nous ne pouvons accepter comme réelle la division des terres par Lykurgue
décrite dans la vie du législateur ; mais en prenant ce récit pour une
fiction, nous avons devant nous deux moyens de procéder. Nous pouvons ou bien
considérer la fiction, telle qu’elle est maintenant, comme l’exagération et l’explication
forcée de quelque fait peu important, et alors essayer de conjecturer, sans
aucun autre secours, quel était le petit fait ; ou bien nous pouvons la regarder
comme une fiction d’un bout à l’autre, et comme l’expression de quelque
grande idée et de quelque grand sentiment assez puissants dans leur action
sur l’esprit des hommes à un moment donné, pour les engager à lui faire une
place parmi les réalités du passé. Or la dernière supposition, appliquée au
temps d’Agis III,
s’accorde le mieux avec le fait qui nous occupe. Le huitième chapitre de la
vie de, Lykurgue par Plutarque, en racontant le partage des terres, décrit le
rêve du roi Agis, dont l’esprit est plein de deux sentiments, la douleur et
la honte que lui inspire la condition actuelle de son pays, avec le respect
qu’il ressent pour sa gloire passée, aussi bien que pour le législateur dont
les institutions avaient créé cette gloire. Absorbé par ce double sentiment,
Agis fait remonter ses rêves jusqu’à l’antique Sparte, avant Lykurgue, telle
qu’elle était plus de cinq siècles auparavant. Il voit par la pensée les
mêmes maux et les mêmes désordres que ceux qui affligent sa vue, de grandes
inégalités dans les biens, avec un petit nombre de riches insolents et
adonnés au luxe, une foule de pauvres mutins et accablés de maux, et rien
autre chose qu’une antipathie farouche régnant entre ces deux classes. Au
milieu de cette communauté perverse, sans lois, troublée, s’avance le
vénérable envoyé de Delphes ; il fait naître dans les esprits des hommes de
nouveaux mouvements et une impatience de se dépouiller du vieil homme social
et politique, et persuade aux riches de renoncer volontairement à leurs
avantages temporels, et à accueillir avec plaisir un nouveau système où il ne
sera reconnu aucune distinction, si ce n’est celle de la vertu ou du vice[48]. Avant ainsi
régénéré l’esprit national, il partage le territoire de Il est certain que ce rêve doré que nous venons de décrire fut celui de quelques patriotes spartiates, puisqu"il est consigné dans Plutarque ; et je me suis déjà efforcé de démontrer que ce rêve n’avait pas été conçu par les auteurs des siècles qui précédaient Agis ; en outre, les sentiments ardents qui remplissaient l’aime des deus réformateurs, Agis et son frère, à savoir, le dégoût inspiré par le présent et le désir d’un avenir meilleur revêtu des couleurs d’un passé rétabli, combinés avec la tendance à niveler la situation des riches et des pauvres inhérente à la discipline de Lykurgue ; ces sentiments, dis-je, étaient amplement suffisants pour faire naître un tel rêve et pour lui procurer une place parmi les actes glorieux de l’antique législateur, si vénéré et si peu connu ; c’est ce qui aussi me parait incontestable. S’il y avait eu quelque preuve servant à démontrer que Lykurgue s’était immiscé dans la propriété privée, dans la mesuré limitée qu’imaginent le docteur Thirlwall et d’autres habiles critiques, c’est-à-dire qu’il avait repris certaines terres injustement usurpées par les riches sur les Achæens, j’aurais été heureux de le constater ; mais ne trouvant pas (le preuve pareille, je ne puis croire qu’il soit nécessaire de supposer simplement le fait pour expliquer le récit de Plutarque[50]. .Les divers points de ce récit se rattachent tous les uns
aux autres et doivent être considérés comme formant les parties d’un même
fait compréhensif, ou d’une même idée compréhensive. Le total fixe de 9.000
lots spartiates et de 30.000 lots laconiens[51], l’égalité entre
eux, et le revenu qui en provenait représenté par une quantité donnée de
produits liquides et secs, toutes ces particularités sont également vraies et
également dépourvues de preuves.. Au sujet des divers nombres donnés ici,
beaucoup d’auteurs ont dressé, relativement à la population et au produit de Le docteur Thirlwall, après avoir admis que Lykurgue s’était immiscé jusqu’à tin certain point d’ans la propriété privée, de manière à exiger des riches un certain sacrifice en vue de créer des lots pour les pauvres et d’effectuer quelque chose d’approchant de lots d’un produit égal pour tous, fait observer : Le chiffre moyen de la rente — payée par les Ilotes cultivateurs pour chaque lot — ne semble pas avoir dépassé ce qui était nécessaire pour la nourriture frugale d’une famille composée de six personnes. Le droit de transfert était aussi rigoureusement limité que le droit de jouissance’ : le patrimoine était indivisible, inaliénable et revenait au fils aîné ; à défaut d’héritier mâle, à la fille aînée. Il semble qu’ors avait pour objet que, une fois le nombre des lots fixé ; chacun fût constamment représenté par un seul chef de famille. Mais la nature des moyens employés pour atteindre ce but est un des points Ies plus obscurs du système spartiate... Dans les temps meilleurs de la république, il semble qu’on l’a effectué principalement au moyen d’adoptions et d’alliances avec des héritières, ce qui pourvoyait aux mariages des fils cadets dans des familles trop nombreuses pour âtre entretenues par leurs propres biens héréditaires. Il était dols` sans doute rarement nécessaire que I’État intervint pour enjoindre un chois convenable au possesseur d’un bien sans enfants ou au père d’une riche héritière. Mais dominé toute adoption exigeait la sanction des rois, et qu’ils disposaient aussi de la main d’orphelines héritières, l’on ne peut douter que le magistrat n’eût le pouvoir d’intervenir dans de pareilles occasions, inè1ne contrairement aux désirs des individus, pour soulager la pauvreté et faire obstacle à l’accumulation des richesses. (Hist. of Gr., ch. VIII, vol. I, p. 367.) Je ne puis partager l’idée que le docteur Thirlwall se fait ici de l’état de la propriété ou des dispositions relatives à sa transmission dans l’ancienne Sparte. L’on ne peut démontrer que les possessions modestes et égales qu’il suppose, ni les précautions prises pour les perpétuer, aient jamais existé chez les élèves de Lykurgue. Nos renseignements les plus anciens impliquent l’existence de riches à Sparte ; l’histoire du roi Ariston et d’Agêtos, dans Hérodote, nous présente ce dernier comme un homme que l’on ne peut supposer n’avoir possédé que juste assez pour nourrir frugalement six personnes ; tandis que sa belle épouse, qu’Ariston convoitait et qu’il lui prit, est formellement représentée comme fille de parents opulents. Sperthiês et Bulis les Talthybiadæ sont désignés comme appartenant à une race distinguée et faisant partie des hommes les plus riches de Sparte[53]. Démarate était le seul roi spartiate, du temps d’Hérodote, qui eût jamais gagné une victoire aux courses de char dans les jeux olympiques, mais notre savons par l’exemple de Lichas, pendant la guerre du Péloponnèse, d’Evagoras et d’autres, que de simples citoyens de Sparte furent également heureux[54] : et pour un Spartiate qui gagnait le prix il a dû naturellement y avoir un grand nombre d’entre eux qui élevaient leurs chevaux et faisaient courir leurs chars sans réussir. Il est à peine nécessaire de faire remarquer que la lutte des chars à Olympia était une des preuves les plus significatives de la richesse d’une maison ; il ne manquait pas non plus de Spartiates qui avaient des chevaux et des chiens sans aucune vue exclusive pour les jeux. Nous savons par Xénophon qu’y l’époque de la bataille de Leuktra, les très riches Spartiates fournirent les chevaux qui devaient servir a la cavalerie de la république[55]. Ces preuves et d’autres encore de l’existence d’hommes riches à Sparte ne s’accordent pas avec l’idée d’un corps de citoyens possédant chacun ce qui était tout juste nécessaire pour la nourriture frugale de six personnes et pas plus. De même que nous ne trouvons pas que tel ait été en
pratique l’état de la propriété dans la communauté spartiate, de même nous ne
pouvons découvrir que le législateur ait jamais essayé de l’établir ou de le
conserver. Ce qu’il fit, ce fut d’imposer une discipline publique rigoureuse
avec un costume et une chère simples, obligatoire également pour les riches
et pour les pauvres — ce fut son présent spécial fait à Si nous pesons ces preuves scrupuleusement, nous verrons que l’égalité de biens n’existait lias en fait, et if entra non plus ni dans le plan, ni dans les tendances : du législateur de Sparte. Et le tableau que le docteur Thirlwall[59] a tracé d’un corps de citoyens possédant chacun un lot de terre à peu près suffisant pour la nourriture frugale de six personnes, — d’adoptions et de mariages d’héritières arrangés dans le dessein calculé de pourvoir les cadets dé familles nombreuses — de l’intervention de la part des rois en vue d’assurer cet objet, — d’un nombre fixe de lots de terre, représentés chacun par un seul chef de famille, — ce tableau est un de ceux dont on ne doit pas chercher la réalité sur les bords de l’Eurotas. Les temps meilleurs de la république, auxquels il s’en réfère, peuvent avoir existé dans l’ardente imagination d’Agis, dont les regards se portaient en arrière, mais ne sont pas reconnus dans la sobre appréciation d’Aristote. Le philosophe nous dit que les citoyens étaient beaucoup plus
nombreux dans les temps anciens, et nous savons aussi que la communauté
avait, à son époque, beaucoup perdu de son pouvoir : dans ce sens les temps
de Sparte avaient sans doute été meilleurs jadis. Nous pouvons même concéder
que, pendant les trois siècles qui suivirent Lykurgue, où ils acquéraient
continuellement de nouveaux territoires, et où l’on avait dit à Aristote qu’ils
avaient admis à l’occasion de nouveaux citoyens, de sorte que le nombre total
s’en était élevé jadis jusqu’à dix mille ; nous pouvons concéder,
disons-nous, que dans ces siècles antérieurs la distribution des terrés avait
été moins inégale, de sorte que la disproportion qui existait entre les
grandes dimensions du territoire et le petit nombre des citoyens n’était pas
si marquée qu’elle Pétait devenue à l’époque que le philosophe vit personnellement
; car les causes tendant à augmenter l’inégalité étaient constantes et non
interrompues dans leur action. Mais cette concession nous laissera encore
bien loin de l’esquisse tracée par le docteur Thirlwall, qui dépeint En écartant donc ces deux suppositions, nous avons à considérer
le système de Lykurgue comme complètement appliqué à Sparte et dans son
district circonvoisin et immédiat, séparément du reste de Nous n’avons aucun moyen de déterminer jusqu’où s’étendait
la propriété particulière de La conquête graduelle de On affirmait que Ce fut du temps d’Alkamenês, fils de Têleklos que les
Spartiates conquirent Helos, ville maritime sur la rive gauche de l’Eurotas,
et réduisirent à l’esclavage ses habitants, du nom desquels[72], selon divers
auteurs, fait tiré le titre général d’Ilotes, appartenant à tous les serfs de
Laconie. Mais quant à la conquête des autres villes de Quelque peu abondantes que soient nos connaissances, elles suffisent pour nous permettre de reconnaître chez les Spartiates un accroissement progressif déforce et de domination, résultant de l’organisation de Lykurgue. On trouve une autre manifestation de ce progrès, outre la conquête des Achæens au sud par Têleklos et Alkamenês, dans leur opposition heureuse au grand pouvoir de Pheidôn l’Argien ; racontée dans un des chapitres qui précèdent. Nous arrivons maintenant aux longs et pénibles efforts à l’aide desquels ils accomplirent l’asservissement de leurs frères les Dôriens de Messênia. |
[1] Plutarque, Lykurgue, c. 28 ; Héraclide, Pontic., p. 504, éd. Crag.
[2] Platon, Legg., I, p. 633 : les mots du Lacédæmonien Megillos désignent une coutume spartiate existante. Cf. le même traité, VI, p. 763, où Ast suspecte avec raison l’authenticité du mot κρυπτοί.
[3] Myron, ap. Athenæ, XIV, p. 657. Έπικόπτειν τούς άδρουμένους ne signifie pas rigoureusement ou nécessairement mettre à mort.
[4] Thucydide, V, 34.
[5] Xénophon, Rep. Lac., c. 7.
[6] Plutarque, Lykurgue, c. 15 ; confirmé en substance par Xénophon, Rep. Lac., c. I, 5.
[7] V. les auteurs cités dans Athénée, IV, p. 141.
[8] Xénophon, Rep. Lac., 2-3, 3-5, 4-6. Aristote (Politique, II, 615-16) insiste spécialement sur l’extrême peine prise dans le système spartiate pour imposer la καρτερία (courage et patience) ; cf. Platon, De Legibus, I, p. 633 ; Xénophon, De Laced. Republ., II, 9, — avec les exemples dans une note de Schneider ; — aussi Cragius, De Republ. Laced., III, 8, p. 325.
[9] Il est à remarquer que ces luttes violentes de jeunes gens, où ils se frappaient des pieds, se mordaient et s’arrachaient mutuellement les yeux, aussi bien que la διαμαστίγωσις ou lutte de flagellation devant l’autel d’Artemis, durèrent jusqu’aux derniers jours de Sparte et furent réellement vues par Cicéron, Plutarque et même Pausanias. Plutarque avait vu plusieurs personnes mourir sous la souffrance (Plutarque, Lykurgue, c. 16, 18-30 ; et Instituta Laconica, p. 239 ; Pausanias, III, 14, 9, 16, 7 ; Cicéron, Tuscul. Disp., II, 15).
Les tortures volontaires subies par les jeunes gens de la tribu des Indiens Mandanes lors de leur fête religieuse annuelle, en présence des plus figés de la tribu, expliquent d’une manière frappante tes mêmes tendances et les mêmes principes que cette διαμαστίγωσις spartiate. Elles sont endurées en partie sous l’influence de sentiments religieux, comme une offrande agréable au Grand Esprit, en partie comme un point d’émulation et de gloire de la part de jeunes gens qui cherchent à se montrer héroïques et indomptables aux yeux de leurs aînés. L’intensité de ces tortures est en effet effrayante à lire et dépasse de beaucoup sous ce rapport tout ce que l’on vit jamais à Sparte. Elle serait incroyable, si elle n’était attestée par un témoin oculaire digne de foi. V. M. Catlin’s Letters on the American Indians, Letter 22, vol. I, p. 157 sqq. — Ces cérémonies religieuses sont célébrées, en partie, dans le but de faire passer tous les jeunes gens de la tribu, à mesure qu’ils arrivent annuellement à la virilité, par une épreuve de privations et de tortures ; ce qui, en fortifiant leurs muscles, comme on le suppose, et en les préparant à supporter d’extrêmes douleurs, permet aux chefs, .spectateurs de la scène, de juger leur force et leur vigueur corporelles comparatives à endurer les privations et les souffrances les plus grandes, qui souvent sont le partage des guerriers indiens, et par là ils peuvent décider quel est le plus hardi et le plus capable pour conduire un parti de guerriers en cas d’événement. Et p. 173, etc. — La καρτερία ou pouvoir d’endurer (Aristote, Politique, II, 6, 5-16), qui formait un des points saillants de l’éducation de Lykurgue, se réduit à rien, si on la compare à celle des Indiens Mandanes.
[10] Xénophon, Anabase, IV, 6,- 14 ; et De Repub. Lac., c. 2, 6 ; Isocrate, Or. XII (Panath.) p. 277. C’est à ces expéditions de vol permises, je suppose, qu’Isocrate fait allusion, quand il parle de τής παίδων αύτονομίας à Sparte, qui dans son sens naturel serait le contraire de la vérité (p. 277).
[11] Aristote, Politique, VIII, 3, 3. La remarque est curieuse. Cf. la remarque dans Platon, Protagor., p. 342.
[12]
Aristote, Politique, II, 6, 5 ;
Plutarque, Agésilas, c. 31. Aristote
fait allusion à la conduite des femmes spartiates à l’occasion de l’invasion de
[13] Aristote, Politique, II, 6, 5, 8, 11.
[14] Xénophon, Rep. Lac., I, 3-4 ; Plutarque, Lykurgue, c. 13-14.
[15] Euripide, Andromaque, 598 ; Cicéron, Tuscul. Quæst., II, 15. L’épithète φαινομηρίδες aussi ancienne que le poète Ibycus, montre que les femmes spartiates n’étaient pas sans vêtements (V. Julius Pollux, VII, 55).
Il est à peine utile de mentionner les allusions poétiques d’Ovide et de Properce. — On peut voir par les injonctions que fait Platon dans sa République combien il approuvait l’usage d’une éducation gymnastique et militaire pour les jeunes femmes, analogue à celle de l’autre sexe.
[16] Aristote, Politique, VII, 14, 4.
[17] Il est certain (fait observer M. Thirlwall, en parlant des femmes Spartiates non mariées), que sous ce rapport, la moralité spartiate était aussi pure que celle de tout peuple ancien, peut-être de tout peuple moderne. (History of Greece, c. VIII, vol. 1, p. 371.)
[18] Plutarque, Lykurgue, c. 15 ; Xénophon, Rep. Lac., I, 5. Xénophon ne parle nullement de l’enlèvement comme d’une coutume générale. Il se rencontrait des cas où il était réel et violent
V. Hérodote, V, 65. Démarate enleva et épousa la fiancée de Léotychidês.
[19] Xénophon, Rep. Lac., I, 9.
[20] Hérodote, V, 39-40.
[21] Müller, Hist. of Dorians, IV, 4, 1. Les récits que fait Plutarque (Agis, c. 20 ; Kleomenês, c. 37-33) de la conduite d’Agesistrata et de Kratesikleia, épouses d’Agis et de Kleomenês, et de l’épouse de Panteus (qu’il ne nomme pas) à l’occasion de la mort de leurs époux respectifs, jettent une grande lumière sur la forte affection conjugale d’une femme spartiate et sur son attachement dévoué et son courage à partager avec son mari les dernières extrémités de la douleur.
[22] V. le Discours de Lysias, De Cædo Eratosthenis, Orat. I, p. 94 sqq.
[23] Plutarque, Agis, c. 4.
[24] Aristote, Politique, II, 6, 6 ; Plutarque, Agis, c. 4.
[25] Aristophane, Lysistrata, 80.
[26] V. le remarquable récit dans Xénophon, Helléniques, IV, 16 ; Plutarque, Agésilas, c. 29 ; un des incidents les plus frappants de l’histoire grecque. Cf. aussi la série de mots attribués à des femmes Lacédæmoniennes, dans Plutarque, Lac. Apophth., p. 241, sqq.
[27]
Nous pouvons voir par les discours de Periklês dans Thucydide combien
paraissait choquante aux Grecs
Aucun Spartiate ne quittait le pays sans permission ; Isocrate, Orat. XI (Busiris), p. 225 ; Xénophon, ut sup.
Ces deux règles finirent par se relâcher beaucoup après la fin de la guerre du Péloponnèse.
[28] Plutarque, Lykurgue, c. 25.
[29] Plutarque fait observer avec justesse, au sujet de Sparte sous la discipline de Lykurgue, que c’était non le régime politique d’une cité, mais la vie d’un homme exercé et habile (Plutarque, Lykurgue, c. 30).
Touchant l’habitude absolue d’obéissance à Sparte, v. Xénophon, Memorab., III, 5, 9, 15-IV, 4, 35, las grandes qualités de Sparte aux yeux de ses admirateurs (Isocrate, Panath., Or., XII, p, 256-278).
[30] Aristote, Politique, VIII, 3, 3.
Isocrate dit expressément que les Spartiates ignoraient absolument les lettres et ne savaient pas lire (Panath., Or. XII, p. 277). — Isocrate préfère d’une manière si évidente la rhétorique à l’exactitude, que nous devons comprendre ses paroles avec quelque réserve ; mais, dans le cas actuel, il est clair qu’il entend littéralement ce qu’il dit, car dans un autre endroit du même discours il y a une expression qui lui échappe presque involontairement et qui vient à l’appui. Les plus raisonnables des Spartiates (dit-il) apprécieront ce discours, s’ils trouvent quelqu’un pour le leur lire (p. 285).
[31] Aristote, Politique, II, 6,22 ; VII, 13, 11 ; VIII, 1, 3 ; VIII, 3, 3. Platon, Legg., I, pages 626-629. Plutarque, Solôn, c. 22.
[32] Thucydide, IV, 126.
La circonstance la plus remarquable, est que ces paroles sont adressées par Brasidas à une armée composée en grande partie d’Ilotes affranchis (Thucydide, IV, 81).
[33] Platon parle du système de Lykurgue comme émanant d’Apollon Delphien, et de Lykurgue comme de son envoyé (Legg., I, p. 632).
[34] Alcæi, Fragm. 41, p. 279, éd. Schneidewin. Cf. le Schol. ad Pindare, Isthm., II, 17,`et Diogène Laërte, I, 31.
[35] Thucydide, I, 6. V. aussi Plutarque, Apophthegm. Lacon., p.210. A.-F.
[36] Xénophon, Republ. Laced., c. 7.
[37] Platon, Legg., III, p. 684.
[38] Aristote, Politique, II, 2, 10.
[39]
Aristote, Politique, II, 4, 1, au
sujet de Phaleas ; et relativement à Sparte et à
Théophraste (ap. Plutarque, Lykurgue, c. 10) fait observer également que les repas publics et la simplicité générale des habitudes tendaient à rendre les richesses peu utiles à leur possesseur. Cf. Plutarque, Apophthegm. Lacon., p. 226 E. On n’avait donc pas formellement rompu avec la richesse dans l’opinion de Théophraste : il n’y avait pas une égalité positive de biens.
Les deux rois spartiates dînaient aux repas publics au même pheidition (Plutarque, Agésilas, c. 30).
Hêraklide de Pont ne fait mention ni de l’égalité des lots spartiates ni d’un nouveau partage des terres par Lykurgue (ad calcem Cragii, de Spartanorum Repub., p. 504), bien qu’il parle des lots spartiates et de la loi de succession aussi bien que de Lykurgue.
[40] Isocrate, Panathen., Or. XII, p. 266, 270, 278.
[41] Plutarque, Agis, c. 4.
[42] Aristote, Politique, II, 6, 21.
L’existence de cette condition d’une contribution à payer est le fait capital dans l’histoire de la constitution spartiate ; surtout si nous la rapprochons, de cet autre fait, qu’aucun spartiate n’acquérait rien par aucune sorte d’industrie quelconque.
[43] Héraclide de Pont, ad. calcem Cragii, de Republ. Laced., p. 504. Cf. Cragius, III, 2, p. 196.
Aristote (II, 6, 10) dit qu’il était déshonorant
d’acheter ou de vendre un lot de terre, mais que ce lot pouvait être donné ou
légué à volonté. Il ne parle pas de la défense de le diviser, il avance même un
fait qui est en contradiction avec cette défense, c’est que c’était l’usage de
donner une dot considérable quand la fille d’un homme riche se mariait (II, 6,
11). La sœur d’Agésilas, Xyniska, possédait de vastes propriétés, ce qui
implique évidemment le partage des biens de son père (Plutarque, Agésilas, 30). — On peut bien douter
qu’il y ait jamais eu quelque loi interdisant à un père de diviser son lot
entre ses enfants.
[44] Polybe, Fragm. ap Maii Collect. Vett. Script., vol. II, p. 384.
Il est possible, comme le fait remarquer 0. Müller, que ceci veuille seulement, signifier qu’aucun des frères, si ce n’est l’aîné, ne pouvait se permettre de se marier ; mais les sentiments des Spartiates au sujet du mariage étaient sous bien d’autres rapports si différents des nôtres, que nous ne sommes guère autorisés à rejeter le renseignement littéral (History of the Dorians, III, 10, 2), ce qui en effet est expliqué à la fois et rendu croyable par la permission accordée dans les lois de Solôn à une έπίκληρος demandée en mariage par un parent âgé (Plutarque, Solôn, c. 20). — Je puis faire observer que parmi les assertions de O. Müller, relatives aux lots de terre à Sparte, plusieurs sont dénuées de fondement et quelques-unes inexactes.
[45] Plutarque, Kleomenês, c. 2-11, avec la note de Schoemann, p. 175 ; et Lykurgue c. 8 ; Athenæ, IV, p. 141.
Phylarque aussi exposait les actes de Kleomenês vraisemblablement d’une manière favorable (Athenæ, ibid.) ; et Plutarque, Agis, c. 9.
Polybe pensait que Lykurgue avait introduit l’égalité
des biens fonciers, et dans le district de Sparte et dans toute
Cette remarque de Polybe montre combien l’opinion des écrivains plus anciens était différente, si on les compare à ceux du troisième siècle avant l’ère chrétienne. Les premiers mettaient en regard les institutions spartiates et krêtoises, parce qu’ils ne concevaient pas l’égalité des biens fonciers comme un trait de l’antique Sparte.
[46] Relativement à Sphærus, V. Plutarque, Lykurgue, c. 8 ; Kleomenês, c. 2. Athenæ, IV, p. 141 ; Diogène Laërte, VII, sect. 137.
[47] Hist. of Greece, c. 8, vol. I, p .344-347.
C. F. Hermann, au contraire, considère le partage égal
de
Tittmann (Griechische Staatsverfassungen, p. 588-596) présente et semble admettre le partage égal comme un fait, sans aucun commentaire.
Waschsmuth (Hellenisch.
Alterthumskunde, V, 4, 42, p. 217) suppose que les meilleures terres étaient déjà
partagées, avant l’époque de Lykurgue, en lots de grandeur égale, correspondant
au nombre des. Spartiates, qui dans la suite s’éleva jusqu’à neuf mille.
Je ne connais aucune preuve à l’appui de cette assertion ; elle s’éloigne de
Plutarque, sans rien mettre à la place qui soit mieux attesté ou plus
plausible. Waschsmuth mentionne le partage de
Manso aussi suppose qu’il y avait eu jadis un partage égal des terres antérieur à Lykurgue, qu’il avait dégénéré en abus, et que Lykurgue y remédia, en rétablissant, non une égalité absolue, mais quelque chose se rapprochant de l’égalité (Manso, Sparta, vol. I, p. 110-121). C’est la même supposition gratuite que celle de Waschsmuth.
O. Müller admet le partage tel qu’il est présenté par
Plutarque, bien qu’il dise que le nombre total de 9.000 lots ne peut pas avoir
été assigné avant la guerre Messénienne ; et il adhère à l’idée d’égalité telle
qu’elle est contenue dans Plutarque ; mais il dit que l’égalité consistait dans
une évaluation
égale du produit moyen, et non dans des dimensions égales d’arpents.
Il va jusqu’à avancer que les lots des Spartiates, qui nourrissaient deux, fois autant
d’hommes que les lots des Periœki doivent au total avoir été deux fois aussi
étendus (i. e. dans
l’agrégat) ;
chaque lot doit donc avoir été sept fois plus grand (cf. History of the Dorians, III, 3, 6 ; III,
10, 2). Il suppose aussi que de semblables partages de terres avaient eu lieu dès le
temps de la première occupation de
Les vues de Schoemann, autant que je puis le conjecturer d’après des termes assez vagues, semblent coïncider avec celles du Dr Thirlwall. Il admet cependant que l’égalisation supposée de Lykurgue est en opposition avec ce qu’expose Platon (Schoemann, Antiq. Jur. Pub., IV, I, 7, note 4, p. 115).
[48] Plutarque, Lykurgue, c. 8.
[49] Plutarque, Agis, c. 19-20.
[50]
Je lis avec beaucoup de satisfaction, dans
Il suppose, et il est tout à fait dans le vrai, qu’à l’époque ci, la première édition de ces volumes fut publiée, j’ignorais que Lachmann et Kortüm eussent tous deux révoqué en doute la réalité du nouveau partage de Lykurgue. Quant au professeur Kortüm, j’ai connu le fait pour la première fois par la mention qu’il fit de ces deux volumes dans les Heidelberger Iahrbücher, 1846, n° 41, p. 649.
Depuis la première édition, j’ai lu le traité de Lachmann (Die Spartarische Staatsverfassung in ihrer Entwickelung und ihrem Verfalle, sect. 10, p. 170) où est discuté le nouveau partage attribué à Lykurgue. Il pense également que le récit considéré comme appartenant à l’histoire doit son origine aux sentiments sociaux et politiques qui avaient cours à l’époque d’Agis III et de Kleomenês III. Il signale aussi qu’il est en contradiction avec Platon et Isocrate. Mais les arguments qu’il emploie pour le réfuter se rattachent dans une large mesure à ses idées personnelles relatives à la constitution sociale et politique de Sparte, idées que je ne regarde comme ni vraies ni prouvées. En outre, il croit à l’inaliénabilité aussi bien qu’à l’indivisibilité des lots de terre séparés, ce que je crois justement aussi peu exact que leur égalité supposée.
Kopstadt pense que j’ai été trop loin en rejetant toute opinion moyenne. Il croit que Lykurgue doit avoir fait quelque chose, bien que ce soit beaucoup moins que ce que l’on affirme, tendant à réaliser une égalité dans la propriété individuelle.
Je ne dirai pas que ce soit impossible. Si nous avions de plus abondantes preuves, peut-être reconnaîtrait-on de pareils faits. Mais, dans l’état actuel des preuves, il n’y a absolument rien qui le démontre. Nous ne sommé pas non plus autorisés (à mon avis) à supposer qu’il en fût ainsi, dans l’absence de preuves, simplement en vue d’établir que le mythe de Lykurgue n’est qu’une exagération, et non une fiction d’un bout à l’autre.
[51] Aristote (Politique, II, 6, 11) fait marquer que le territoire des Spartiates pouvait nourrir 15.000 cavaliers et 30.000 hoplites, tandis que le nombre des citoyens était effectivement au-dessous de 1.000. Le Dr Thirlwall semble préférer la leçon de Goettling — 3.000 au lieu de 30.000 ; mais cette dernière semble mieux appuyée par les MSS. et la plus convenable.
[52] Plutarque, Agis, c. 5.
[53] Hérodote, VI, 61 ; VII, 134.
[54] Hérodote, VI, 70-103 ; Thucydide, V, 50.
[55] Xénophon, Helléniques, VI, 4, 11 ; De Rep. Lac., V, 3 ; Molpis ap. Athenæ, IV, p. 141, Aristote, Politique, II, 2, 5.
[56] Thucydide, I, 6 ; Aristote, Politique, IV, 7, 4, 5 ; VIII, 1, 3.
[57] Aristote, Politique, II, 6, 10-13 ; V. 6, 7.
[58] Xénophon le panégyriste de Sparte reconnaît bien la même chose relativement à cette ville telle qu’il la vit ; mais il soutient que l’état avait été meilleur dans les temps antérieurs (République Lacédémonienne, c. 14).
[59] La manière de voir du Dr Thirlwall s’accorde en général avec celle de Manso et d’O. Müller (Manso, Sparta, vol. I, p.118-128 ; et vol. II, Beilage, 9, p. 129 ; et Müller, History of the Dorians, vol. II, b. III, c. 10, sect. 2, 3).
Ces deux auteurs soutiennent la proposition avancée par Plutarque (Agis, c. 5, quand il parle de l’éphore Epitadeus, et de la nouvelle loi portée par cet éphore), à savoir, que le nombre des lots spartiates, presque égaux et rigoureusement indivisibles, se conserva avec peu ou point de changements depuis l’époque du partage primitif jusqu’au retour de Lysandre après l’issue victorieuse de la guerre du Péloponnèse. Tous deus ils avouent ne pas pouvoir comprendre par quels règlements cette longue invariabilité, si peu probable en elle-même ; fut maintenue ; mais tous deus ils affirment le fait positivement.
La période aura plus de 400 ans, si le partage primitif est rapporté à Lykurgue ; plus de 300, si l’on comprend que les 9.000 lots datent de la guerre Messênienne.
Si ce prétendu fait est réellement un fait, c’est quelque chose qui, pour ainsi dire, n’a pas de pendant dans l’histoire de l’humanité ; et avant que nous consentions à y ajouter foi, nous devons au moins être convaincu qu’il y a un nombre considérable de preuves positives en sa faveur, et peu qui lui soient contraires. Mais, en examinant Manso et Müller, on verra que non seulement les preuves favorables sont très faibles, mais que la balance des preuves lui est décidément opposée.
La preuve que l’on produit pour démontrer l’indivisibilité du lot spartiate est un passage d’Héraclide de Pont, c. 2 (ad calc. Cragii, p. 504). La, première partie de cette assertion est confirmée par Aristote, et probablement elle lui est empruntée ; il dit la même chose presque dans les mêmes termes : la seconde partie de la pensée, selon toutes les règles raisonnables d’explication, devrait être comprise en rapport avec la première partie, c’est-à-dire avec la vente du lot primitif. Vendre sa terre est tenu pour honteux parmi les Lacédæmoniens, et il n’est pas non plus permis de séparer aucune portion du lot primitif, i. e. pour la vendre. Héraclide ne parle pas ici de la loi de succession des biens à Lacédæmone, et nous ne pouvons pas non plus conclure de ses paroles que tout le lot fut transmis entier à un seul fils. Müller et Manso ne fournissent pas d’autre preuve que cette pensée, très étrangère à la question, pour justifier leur assertion primitive, que le lot de terre spartiate était indivisible par rapport à l’héritage.
Ayant ainsi déterminé la transmission indivisible des lots à un seul fils d’une famille, Manso et Müller supposent, sans aucune preuve, que ce fils devait être l’allié ; et Müller en arrive à’ avancer quelque chose qui, également, n’est appuyé par aucune preuve : Toutefois ses droits se bornaient peut être à être considéré comme maître de la maison et du bien ; tandis quo les autres membres de la famille avaient un droit égal à en jouir... Le maître de la famille était donc obligé de contribuer pour eux tous aux Syssitia, contribution sans laquelle personne n’était admis. p. 199, 200.
Tout ceci est complètement gratuit, et il en résulte, comme on le verra, autant de difficultés en un sens qu’il en est écarté en un autre.
La loi suivante, relative à la transmission de la propriété, qui, selon Manso, avait prévalu, est que toutes les filles devaient se marier, sans recevoir de dot, — le cas d’une fille unique est excepté ici. A l’appui de cette assertion, il cite Plutarque, Apophthegm. Lacon., p. 227 ; Justin, III, 3 ; Élien, V. H., VI, 6. Ces auteurs affirment certainement qu’il y a un règlement pareil, et Plutarque et Justin donnent tous les deux des raisons à l’appui de ce fait, réel ou supposé. On demandait à Lykurgue pourquoi il ordonnait que les jeunes filles fussent mariées sans dot : C’est afin, répondit-il, que les filles des familles pauvres ne restent pas sans époux, et que le caractère et la vertu puissent exclusivement diriger dans le choix d’une femme. Justin donne la même raison générale. Or la raison avancée ici quant à la prohibition de la dot tend indirectement à prouver qu’il n’existait pas une loi pareille de succession générale, telle que celle dont on avait parlé auparavant, à savoir, l’indivisibilité sacrée du lot primitif ; car si cette dernière avait été reconnue, la raison pour laquelle les filles ne pouvaient recevoir de dot aurait été évidente : tous les biens fonciers du père (et un Spartiate ne pouvait guère en avoir d’autres, puisqu’il n’acquérait jamais rien au moyen de l’industrie) revenaient à son fils aîné d’après l’ordre de succession le plus rigoureux. Si donc Plutarque et Justin, dans leur assertion relative au fait en question, justifient Manso en affirmant la prohibition de la dot (quant à ce fait, nous en parlerons bientôt plus au long), la raison qu’ils donnent s’oppose à sa première supposition concernant l’indivisibilité des lots de famille primitifs. — En troisième lieu, Manso comprend qu’Aristote (Politique, II, 6, 11), par l’emploi de l’adverbe νΰν, affirme quelque chose qui regarde spécialement sa propre époque, et implique en même temps que l’ancienne coutume avait été le contraire. Je ne pense pas que l’adverbe, comme Aristote l’emploie dans ce passage, admette une pareille explication : νΰν δέ ne signifie pas là le présent en tant qu’opposé au passé, mais l’antithèse entre la coutume existant alors et celle qu’Aristote déclare être avantageuse. Aristote n’indique pas qu’il sache qu’aucun changement considérable quelconque ait été fait dans les lois de succession à Sparte ; c’est une des circonstances qui lui ont valu la critique et de Manso et de Müller, qui tous les deux croient à la révolution extraordinaire causée par la loi de l’éphore Epitadeus, loi qui tolérait seulement.
Manso pose trois autres principes relatifs aux lois de propriété à Sparte. 1° Un homme pouvait donner ou léguer sa terre à qui il voulait. 2° Mais on ne pouvait le faire que si l’on n’avait pas d’enfants. 3° La terre ne pouvait être donnée ou léguée qu’à des citoyens qui n’en possédaient pas personnellement. De ces trois règlements, le premier est distinctement affirmé par Aristote, et l’on peut s’y fier ; le second est une restriction que ne mentionne pas Aristote, et qui n’est appuyée par aucune autre preuve que par celle qui ressort de l’histoire de l’éphore Epitadeus, qui, dit-on, ne pouvait déshériter son fils sans faire passer une nouvelle loi ; le troisième est une pure imagination.
Voilà pour la preuve positive sur la foi de laquelle Manso et Müller affirment le fait étonnant, que les lots de terre à Sparte restèrent distincts ; indivisibles et invariables en nombre, jusqu’à la fin de la guerre du Péloponnèse. J’ose dire que cette preuve positive est beaucoup trop faible pour appuyer une affirmation en elle-même si poil probable, même quand il n’y aurait pas, d’autre part, de preuve qui la contredit. Mais dans ce cas il y a une puissante preuve contradictoire.
D’abord, les assertions de ces auteurs sont distinctement en opposition avec Aristote, dont ils s’efforcent d’invalider l’autorité en disant qu’il parlait absolument par rapport à ce qui se passait à Sparte à. son époque, et qu’il comprenait mal la constitution primitive de Lykurgue. Or, cela serait un motif raisonnable de présomption coutre la compétence d’Aristote, Si les témoins produits d’autre part étaient plus anciens que lui. Mais il se trouve que chacun des témoins produits par Manso et Müller est postérieur à Aristote : Héraclide de Pont, Plutarque, Justin, Élien, etc. Il n’est pas non plus démontré que ces auteurs aient copié une autorité quelconque : plus ancienne qu’Aristote ; car on ne peut contredire son témoignage à l’aide d’inductions tirées d’Hérodote, de Thucydide, de Xénophon, de Platon, d’Isocrate ou d’Ephore. Aucun de ces écrivains antérieurs à Aristote ou contemporains de ce philosophe, ne justifie la fausse idée de lots égaux, indivisibles, perpétuels, ni celle de la prohibition de dots.
Le fait est qu’Aristote est non seulement notre meilleur témoin, mais encore notre témoin le plus ancien, relativement aux lois de propriété dans la république spartiate. J’aurais désiré, en effet, que des témoignages plus anciens eussent existé, et j’admets que l’observateur même le plus sagace de 340 à 330 avant J.-C. soit sujet à se tromper quand il parle d’un ou de deux siècles avant lui. Mais si Aristote n’est point digne de foi relativement, à des dates récentes, que devons-nous dire de Plutarque ? Insister sur la supériorité intellectuelle d’Aristote serait superflu ; et sur ce sujet c’est nu témoin d’autant plus précieux qu’il avait fait des recherches minutieuses, laborieuses et personnelles sur les gouvernements grecs en général, et entre autres sur celui de Sparte, le grand point de mire pour les anciens politiques spéculatifs.
Or, les renseignements que fournit Aristote excluent distinctement l’idée de lots égaux, indivisibles, inaliénables, perpétuels, et d’une prohibition de dots. Il signale particulièrement l’habitude de donner des dots très considérables, et la tendance constante des lots de terre à se concentrer dans un nombre de mains de plus en plus petit. Il ne nous dit rien sur ce sujet qui ne soit parfaitement logique, intelligible ; rien de ce qu’il affirme n’a jamais été contredit par des assertions connues appartenant à son époque ou aux temps antérieurs. Mais la raison qui fait qu’on refuse de le croire, et que l’on écarte son témoignage ou qu’on le fait disparaître à force d’explications, c’est qu’on se met à l’étude avec l’esprit plein de la division de la propriété foncière attribuée à Lykurgue par Plutarque. Je concède volontiers que dans cette occasion, nous ayons à choisir entre Plutarque et Aristote. Nous ne pouvons les concilier que par des suppositions arbitraires, dont chacune brise la simplicité, la beauté et la symétrie de l’idée agraire de Plutarque, et laisse encore sans explication la perpétuité des lots primitifs. Et je n’hésite pas à préférer l’autorité d’Aristote comme étant un témoin meilleur en tout point ; d’ailleurs, il est en parfaite harmonie avec ce que nous recueillons indirectement dans les ouvrages d’autres auteurs, ses contemporains et ses prédécesseurs ; et je rejette le renseignement de Plutarque, et je le rejette complètement avec toutes ses conséquences.
Mais l’autorité d’Aristote n’est pas le seul argument que l’on puisse fournir pour réfuter la supposition que le nombre des lots spartiates distincts resta invariable jusqu’à l’époque de Lysandre. Car si le nombre des lots distincts resta sans diminution, celui des citoyens ne peut avoir beaucoup diminué. Or la conspiration de Kinadôn tombe pendant la vie de Lysandre, dans les dix premières années qui suivent la fin de la guerre du Péloponnèse ; et dans le récit que fait Xénophon de cette conspiration, la paucité du nombre des citoyens est présentée de la manière la plus claire et la plus formelle. Et ceci doit être avant l’époque où la nouvelle loi d’Epitadeus passa, dit-on, du moins, avant que cette loi eût pu avoir le temps de produire quelques effets sensibles. Si donc les anciens 9.000 lots restaient encore tous séparés, sans consolidation ni subdivision, comment devons-nous expliquer le petit nombre de citoyens à l’époque de la conspiration de Kinadôn ?
Cet examen des preuves (qui m’a obligé de prolonger la présente note) montre : 1° Que l’hypothèse de lots indivisibles, inaliénables, conservés à Sparte pendant une longue période sans diminution de nombre, est non seulement appuyée par le minimum lui- même de preuves affirmatives, mais encore qu’elle est contredite par de très bonnes preuves négatives. 2° Que l’hypothèse qui représente comme interdites par une loi des dots b dorme, aux filles est en effet confirmée par Plutarque, Élien et Justin, mais qu’elle est contredite par l’autorité meilleure d’Aristote.
L’édition récente d’Héraclide de Pont, publiée par Schneidewin en 1817 depuis, ma première édition, présente nu texte corrigé qui vient entièrement à l’appui de mon explication. Son texte, qui résulte d’une comparaison plus complète des MSS. existants, aussi bien que d’une meilleure appréciation critique, est (V. ses Prolégomènes, c. 3, p. 51) : Πωλεϊν δέ γήν Λακεδαιμονίοις αίσχρόν νενόμισται . τής δέ άρχαίας μοίρας ούδέ έξεστιν (p. 7). Il est évident que tout ce passage est, relatif des ventes de terres et non à une transmission héréditaire, ni à une succession, ni à un partage. Voici ce qui est certain négativement parlant et Schneidewin fait remarquer dans sa note (p. 53) que cela contredit Müller ; Hermann et Schoemann, ajoutant que la distinction établie est entre la terre obtenue par héritage et provenant de lots de famille primitifs, et entre la terre acquise par d’autres voies, comme par donation, legs, etc. Vendre la première était absolument illégal : vendre la dernière était déshonorant, sans toutefois être absolument illégal. Aristote, dans sa Politique (II, 8,10), ne signale aucune distinction pareille, entre un bien reçu par héritage et composé des lots primitifs, et entre un bien acquis par d’autres moyens. Il n’y avait peut-être pas non plus une ligne bien définie de distinction, dans un pays de coutumes non écrites comme Sparte, entre ce qui était simplement déshonorant et ce qui était positivement illégal. Schneidewin, dans sa note, cependant, admet l’égalité primitive des lots comme certaine en elle-même, et comme étant le cause de la prohibition : aucun de cas deux points ne me paraît vrai.
Je parle de cette compilation confuse encore sous le nom d’Héraclide de Pont, sous lequel elle est communément connue ; bien que Schneidewin, dans le second chapitre de ses Prolégomènes, ait démontré par des raisons suffisantes qu’il n’y a pas d’autorité pour la rattacher au nom d’Héraclide. Il essaye d’établir que l’ouvrage consistait en Excerpta du traité perdu d’Aristote, Περί Πολιτειών ; ce qui est bien démontré quant à quelques parties, mais non assez pour justifier la conséquence qu’il tire relativement au tout. L’article où Welcker soutient l’idée que l’ouvrage est dû à un abréviateur d’Héraclide, est peu satisfaisant (Kleine Schriften, p. 451).
En dehors de ce passage étranger à la question et emprunté à Héraclide de Pont, Müller et Manso ne produisent pas d’autres preuves pour justifier leur assertion primitive, à savoir, que le lot de terre à Sparte était indivisible sous le rapport de l’héritage.
[60] Hérodote, VI, 57, en énumérant les privilèges et émoluments du roi – Lorsque les rois ne se trouvent point au repas public, on leur envoie à chacun deux chénices de farine d’orge avec une cotyle de vin. Lorsqu’ils y vont, on leur sert une double portion. Si un particulier les invite à un repas, il leur rend les mêmes honneurs..... Les affaires suivantes sont les seules qui soient soumises à la décision des rois, et ils sont les seuls qui puissent les juger. Si une héritière n’a point encore été fiancée par son père, ils décident à qui elle doit être mariée. Les chemins publics les regardent ; et si quelqu’un vent adopter un enfant, il ne peut le faire qu’en leur présence.
Il semble curieux que πατροΰχος παρθένος puisse signifier une jeune fille qui n’a pas de père (c’est littéralement lucus a non lucendo) ; mais je suppose que nous devons accepter ici cette idée sur l’autorité de Julius Pollux et de Timée. Poursuivant cette interprétation, Walckenaer donne le sens du passage d’une manière très juste : Orbe nuptias, necdum a patte desponsatæ, si plures sibi vindicarent, fieretque ή έπίκληρος, ut Athenis loquebantur, έπίδικος, Spartæ lis ista dirimebatur a regibus solis. — Or, la fonction judiciaire ici décrite est une chose bien différente de ce que dit le Dr Thirlwall, à savoir que, les rois avaient le droit de disposer de la main d’héritières orphelines dans les cas oit le père n’avait pas signifié sa volonté. Un tel droit se rapprocherait en quelque sorte de l’omnipotence que, dans Aristophane (Vesp., 585), le vieux Philokleon réclame pour les dikastes athéniens (exagération bien calculée pour servir le but du poète, qui veut montrer les dikastes comme des monstres de caprice et d’injustice), et serait analogue au pouvoir dont les rois anglais jouissaient il y a trois siècles comme tuteurs féodaux des pupilles. Mais le langage d’Hérodote ne s’accorde pas avec l’idée que les rois choisissaient un époux pour une héritière orpheline. Elle était réclamée comme de droit par des personnes qui lui étaient parentes à certains degrés. La loi relative à l’άγχίστεια (affinité entraînant des droits légaux) était-elle la même qu’à Athènes ? c’est ce que nous ne pouvons pas dire ; mais la question soumise a la décision des rois à Sparte,des dikastéries à Athènes, était certainement la même, conformément à la note de Walckenaer citée plus haut ; c’était de savoir à qui, parmi les divers prétendants, appartenait réellement le meilleur titre légal. Il est, en effet, assez probable que les deux descendants royaux d’Héraclès pouvaient abuser de leur fonction judiciaire, comme il y a divers exemples connus dans lesquels ils se laissèrent corrompre ; mais il n’était pas vraisemblable qu’ils en abusassent en faveur d’un jeune homme non pourvu. — Ensuite, quant à l’adoption : Hérodote nous dit que la cérémonie de l’adoption était accomplie devant les rois : il est assez probable qu’il y avait quelque honoraire payé pour cela. Mais il n’en résulte aucune raison pour supposer, qu’ils fussent jamais intervenus pour déterminer la personne que le père sans enfants devait adopter. Selon la loi attique relative à l’adoption, il y avait des conditions à remplir, des consentements à obtenir, une fois l’absence dé circonstances rendant incapable vérifiée, etc. ; et il était indispensable qu’il y eût quelque autorité devant laquelle tout cela se fit (V. Meier et Schoemann, Attisch. Prozess, III, c. II, p. 436). A Sparte, une ancienne coutume investissait le roi de cette autorité ; mais on ne nous dit pas, et il n’est pas non plus probable qu’il pût intervenir, contrairement aux désirs des individus, pour soulager la pauvreté, comme le suppose le Dr Thirlwall.
[61] Simonide ap. Plutarque, Agésilas, c. 1.
[62] Aristote, Politique, II, 6, 9, 19, 23.
[63] Aristote, Politique, II, 6, 12.
[64] Aristote, Politique, II, 6, 22. Cf. aussi VII, 13, 15.
[65] Plutarque, Kleomenês, c. 8 ; Phylarch. ap. Athenæ, VI, p. 271.
Les étrangers appelés Τρόφιμοι,
et les fils illégitimes de Spartiates, que Xénophon mentionne avec éloge, comme ayant
participé à l’honorable éducation de la cité, doivent probablement avoir été introduits
de la même manière, par l’appui particulier des riches (Xénophon, Helléniques, V, 3, 9).
[66] Strabon, VIII, p. 362 ; Steph. Byz., Αϊθεια.
En expliquant le mot πόλεις
d’une manière étendue, de manière à y comprendre les petits municipes aussi
bien que les grands, cette estimation est probablement inférieure à la vérité ;
même puisque, dans les temps d’oppression de
[67] Aristote, Λακων Πολιτεία, ap. Schol. Pindare, Isth., VII, 18.
Je partage l’opinion de M. Bœckh, qui pense que Pindare lui-même identifie cette marche des Ægides sur Amyklæ avec la conquête hêraklide primitive du Péloponnèse (Notæ Criticæ ad Pindare, Pyth., v. 74, p. 479).
[68] Pausanias, III, 2, 6 ; III, 12, 7.
[69] Pausanias, III, 22, 5.
[70] Pausanias, III, 19, 5.
[71] Xénophon, Helléniques, IV, 5, 11.
[72] Pausanias, III, 2, 1 ; III, 20, 6. Strabon, VIII, p.363.
S’il est vrai (comme le dit Pausanias) que les Argiens aidèrent Helos à résister, leur secours doit probablement avoir été donné par mer ; peut-être d’Epidauros Limêra, ou de Prasiæ, quand ces villes faisaient partie de la fédération argienne.