HISTOIRE DE LA GRÈCE

PREMIER VOLUME

CHAPITRE XI — LÉGENDES ET GÉNÉALOGIES ATTIQUES.

 

 

Le nom le plus ancien dans l’archéologie athénienne, aussi loin que s’étendent nos moyens de le savoir, est celui d’Erechtheus, qui est mentionné clans le Catalogue de l’Iliade et dans une courte allusion de l’Odyssée. Né de la Terre, il est élevé par la déesse Athênê, adopté par elle comme son pupille, et installé dans son temple à Athènes, où les Athéniens lui offrent des sacrifices annuels. Les Athéniens sont appelés dans l’Iliade u le peuple d’Erechtheus[1]. C’est là le plus ancien témoignage touchant Erechtheus, qui le présente comme un personnage divin ou héroïque, et certainement surhumain, et qui l’identifie avec la germination primitive de l’homme athénien (s’il m’est permis d’employer une expression dont l’équivalent grec aurait plu à une oreille athénienne). Et il était reconnu comme ayant le même caractère, même à la fin du quatrième siècle avant l’ère chrétienne, par les Butadæ, une des plus anciennes et des plus importantes familles d’Athènes, qui se vantaient de l’avoir comme premier auteur de leur race : la généalogie du grand orateur athénien Lycurgue, membre de cette famille, dressée par son fils Abrôn, et peinte sur un tableau exposé dans l’Erechtheion, contenait comme premier nom et comme nom le plus élevé, celui d’Erechtheus, fils d’Hêphæstos et de la Terre. Dans l’Erechtheion, Erechtheus était adoré conjointement avec Athênê : il était identifié avec le dieu Poseidôn ; et portait le nom de Poseidôn Erechtheus ; un des membres de la famille des Butadæ, tiré au sort, jouissait du privilège de la prêtrise héréditaire dont il remplissait les fonctions[2]. Hérodote aussi attribue à Erechtheus la même origine et le dit né de la Terre[3] ; mais Pindare, le vieux poème appelé Danaïs, Euripide et Apollodore nomment tous Erichthonios, fils d’Hêphæstos et de la Terre, comme l’être qui fut ainsi adopté et appelé a être placé à côté d’Athênê dans le temple, tandis qu’Apollodore dans un autre endroit identifie Erichthonios avec Poseidôn[4]. Le Scholiaste d’Homère regardait Erechtheus et Erichthonios comme la même personne sous deux noms[5] ; et puisque, touchant de tels personnages mythiques, il n’y a pas d’autre critérium qu’une parfaite similitude dans les attributs pour prouver l’identité du sujet, cette explication semble être la conclusion raisonnable.

Nous pouvons présumer, d’après le témoignage d’Homère, que la première et la plus ancienne idée qu’on se fit d’Athènes et de son acropolis sacrée, ce fut qu’elle était placée sous la protection spéciale d’Athênê, et qu’elle était le siège et le séjour favori de cette déesse, conjointement avec Poseidôn : celui-ci étant inférieur à la première, quoique le compagnon de son choix, et par suite échangeant son nom divin contre le surnom d’Erechtheus. Mais la contrée appelée Attique, qui, pendant les âges historiques, forme avec Athènes un corps social et politique, était dans l’origine divisée en une foule de dêmes ou cantons indépendants, et comprenait en outre diverses familles ou sectes héréditaires religieuses (si on peut admettre cette expression) ; c’est-à-dire une multitude de personnes ne vivant pas nécessairement ensemble dans la même localité, mais liées entre elles par une communauté héréditaire de rites sacrés, et revendiquant des privilèges aussi bien que remplissant des devoirs, fondés sur l’autorité traditionnelle de personnages divins pour lesquels elles avaient une commune vénération. Même jusqu’au commencement de la guerre du Péloponnèse, les citoyens (δημόται) des différents dêmes de la contrée, bien que depuis longtemps incorporés dans l’association politique plus étendue de l’Attique et ne souhaitant pas la séparation, conservaient encore le souvenir de leur primitive autonomie politique. Ils rivaient dans leurs propres localités séparées, fréquentaient habituellement leurs propres temples, et ne visitaient Athènes que par occasion, pour affaires particulières ou politiques, ou pour les grandes fêtes publiques. Chacune de ces sociétés politique aussi bien que religieuse, avait son propre dieu ou héros éponyme, avec une généalogie plus ou moins étendue et une série d’incidents mythiques plus ou moins abondants rattachés à son nom, suivant l’imagination des exégètes et des poètes locaux. Les héros éponymes Marathôn, Dekelos, Kolônos ou Phlyus avaient chacun leur droit particulier à un culte et leur propre position comme sujets do récit légendaire, ne dépendant ni d’Erechtheus, ni de Poseidôn, ni d’Athênê, les patrons de l’Acropolis commune à eux tous.

Mais les anciens poètes épiques de la Grèce n’insistèrent beaucoup ni sur les antiquités de l’Attique ni saur celles des différentes parties dont elle était composée. Thêseus est mentionné dans l’Iliade et dans l’Odyssée comme ayant enlevé de Krête Ariadnê, la fille de Minôs,-commençant ainsi cette relation entre les légendes krêtoises et les légendes athéniennes, que nous trouvons plus tard étendue dans de si grandes proportions, — et les fils de Thêseus prennent part à la guerre de Troie[6]. Les principaux compilateurs et narrateurs de ces mythes attiques furent les logographes en prose, auteurs des nombreuses compositions appelées Atthides ou ouvrages sur les antiquités attiques. Ces écrivains, — Hellanicus, le contemporain d’Hérodote, est le plus ancien auteur d’une Atthis expressément mentionnée, bien que Phérécyde ait dit aussi quelque chose des fables attiques, — ces écrivains, dis-je, firent une seule suite chronologique en entremêlant les légendes qui, ou bien occupaient fortement leur propre imagination, ou bien commandaient le respect le plus général parmi leurs concitoyens. C’est ainsi que les légendes religieuses et politiques d’Éleusis, ville, dans l’origine, indépendante d’Athènes, mais incorporée à elle avant l’âge historique ; furent mises en une suite continue avec celles des Erechthides. C’est de cette façon aussi que Cécrops, le héros éponyme de la partie de l’Attique appelée Cécropia, vint à être placé dans la chronologie mythique, à un point plus élevé même que le dieu ou héros primitif Erechtheus.

Ogygês régna, dit-on, en Attique[7], 1020 ans avant la première Olympiade, ou 1796 ans avant J.-C. De son temps eut lieu le déluge de Deukaliôn, qui détruisit la plus grande partie des habitants du pays. Après un long intervalle, Cécrops, personnage indigène, moitié homme et moitié serpent, nous est présenté par Apollodore comme le premier roi du pays ; il donna à la contrée qui auparavant avait été appelée Aktê le nom de Cécropia. De son temps il y eut une dispute entre Athênê et Poseidôn touchant la possession de l’Acropolis d’Athènes que chacun d’eux convoitait. D’abord, Poseidôn frappa le rocher de son trident et fit paraître le puits d’eau salée qui y existait et était appelé l’Erechthêis ; ensuite vint Athênê, qui planta l’olivier sacré que l’on vit toujours dans la suite et que l’on vénérait dans la partie de l’Erechtheion appelée la cellule de Pandrosos. Les douze dieux décidèrent la question, et Cécrops ayant attesté devant eux qu’Athênê avait rendu cet inestimable service, ils lui adjugèrent l’endroit de préférence à Poseidôn. On voyait, dans les temps historiques, sur l’Acropolis, dans le temple consacré à la fois à Athênê et à Erechtheus, l’ancien olivier et le puits produit par Poseidôn. Ce dieu, comme marque de la colère que lui causait la préférence accordée à Athênê, inonda d’eau la plaine de Thria[8].

Pendant le règne de Cécrops, l’Attique fut ravagée par des pirates kariens descendus sur les côtes et par des Aôniens venus de Bœôtia. Cécrops répartit les habitants de l’Attique en douze sections locales : Cécropia, Tetrapolis, Epakria, Dekeleia, Éleusis, Aphidnê, Thorikos, Braurôn, Kythêros, Sphêttos, Cephisios, Phalêros. Désirant s’assurer du nombre des habitants, il commanda à chaque homme de jeter une seule pierre sur un tas commun : on compta les pierres et on trouva qu’il y en avait vingt mille[9].

Cécrops épousa la fille d’Aktæos, qui (d’après la version de Pausanias) avait régné sur la contrée avant lui, et l’avait appelée Aktæa[10]. D’elle il eut trois filles, Aglauros, Ersê et Pandrosos, et un fils, Erysichthôn.

Erysichthôn mourut sans enfants et eut pour successeur Kranaos, autre personnage indigène et autre éponyme, car le nom de Κραναοί se donnait anciennement aux habitants de l’Attique[11]. Kranaos fut détrôné par Amphiktyôn, que quelques-uns appellent indigène, et d’autres, fils de Deukaliôn ; Amphiktyôn à son tour fut chassé par Erichthonios, fils d’Hêphæstos et de la Terre, le même personnage apparemment qu’Erechtheus, mais intercalé par Apollodore à cet endroit de la série. Erichthonios, l’élève et le compagnon favori d’Athênê, plaça dans l’acropolis le palladium primitif ou statue de bois de cette déesse, statue que l’on disait tombée du ciel ; de plus, il fut le premier qui célébra la fête des Panathenæa. Il épousa la nymphe Pasithea, et eut pour fils et successeur Pandiôn[12]. Erichthonios fut le premier qui enseigna l’art de dompter les chevaux en les soumettant au joug, et qui conduisit un quadrige[13].

Du temps de Pandiôn, qui succéda à Erichthonios, Dionysos et Déméter vinrent tous deux en Attique : cette dernière fut reçue par Keleos à Éleusis[14]. Pandiôn épousa la nymphe Zeuxippê, et eut deux fils jumeaux, Erechtheus et Butês, et deux filles, Proknê et Philomêlê, qui sont le sujet d’une légende mémorable et bien connue. Pandiôn ayant reçu aide de Têreus, roi de Thrace, pour repousser les Thêbains, lui donna en mariage sa fille Proknê, de qui il eut un fils, Itys. La belle Philomêlê, étant venue visiter sa soeur, inspira au Thrace barbare une passion irrésistible : il la viola, la confina dans une hutte de berger lointaine et prétendit qu’elle était morte, après qu’il lui eut coupé la langue pour l’empêcher de révéler la vérité. Après un long intervalle de temps Philomêlê trouva moyen d’informer sa sœur de l’horrible action qui avait été commise : dans le tissu d’un vêtement, elle forma des mots décrivant sa déplorable position, et envoya le vêtement par un messager fidèle. Proknê, accablée de douleur et enflammée de colère, profita de la liberté de sortir dont jouissaient les femmes pendant la fête des Bacchanales pour aller délivrer sa soeur : alors toutes deux se vengèrent de Têreus en tuant son fils Itys et en le servant à manger au père ; le repas achevé, on lui révéla l’horrible vérité. Têreus saisit une hache pour mettre Proknê à mort : elle s’enfuit avec Philomêlê, et tous trois ils furent changer en oiseaux : Proknê devint hirondelle, Philomêlê rossignol, et Têreus huppe[15]. Ce conte, si populaire chez les poètes, et qui jette une si vive lumière sur le caractère général de la légende grecque, n’est pas moins remarquable à un autre point de vue, c’est que le grand historien Thucydide semble y faire allusion comme à un fait historique[16], sans toutefois mentionner expressément la métamorphose finale.

Après la mort de Pandiôn, Erechtheus lui succéda comme roi, et son frère Butèsp devint prêtre de Poseidôn Erichthonnios, fonction qui, dans la suite, fut toujours remplie par ses descendants, les Butadæ ou Eteobutadæ. Erechtheus semble paraître sous trois caractères dans l’histoire fabuleuse d’Athènes : comme dieu, Poseidôn Erechtheus[17], comme héros, Erechtheus, fils de la Terre, et enfin comme roi, fils de Pandiôn, car les idées de gouvernement divin et humain se mêlaient ensemble et se confondaient  dans l’imagination des Grecs, quand ils passaient en revue leurs temps anciens.

Les filles d’Erechtheus n’étaient pas moins célèbres dans la légende athénienne que celles de Pandiôn. Pookris (?), l’une d’elles, est du nombre des héroïnes que voit Odysseus dans le royaume d’Hadês, elle devint épouse de Képhalos, fils de Déionês, et vécut dans le dême attique de Thorikos.

Kreüsa, autre fille d’Erechtheus, séduite par Apollon, devient mère d’Iôn, qu’elle expose, immédiatement après sa naissance, dans le souterrain septentrional l’acropolis, cachant son action à tous les yeux. Apollon persuada Hermês de transporter l’enfant nouveau-né à Delphes, où il est élevé comme desservant du temple, sans connaître ses parents. Kreüsa épouse Xuthos, fils d’Æolos ; mais comme elle restait sans avoir d’enfant, elle se rend avec Xuthos à Delphes pour demander un [mot illisible] à l’oracle. Le dieu leur présente Iôn et les prie de l’adopter pour fils. Ils eurent dans la suite un fils, Achæos, et Iôn et Achæos devirent les éponymes des Ioniens et des Achæens[18].

Oreithyia, la troisième fille d’Erechtheus, s’amusant sur les bords de l’Ilissos, fut enlevée par le dieu Boreas, qui l’emmena dans sa demeure en Thrace. Les deux fils issus de ce mariage, Zêtês et Kalaïs, naquirent avec des ailes ; ils prirent part à l’expédition des Argonautes et se mirent à la poursuite des Harpies ; ils furent tués à Tênos par Hêraklês. Kleopatra, fille de Boreas et d’Oreithyia, épousa Phineus et eut deux fils, Plexippos et Pandiôn ; mais Phineus, dans la suite, prit une seconde épouse, Idæa, fille de Dardanos, qui, détestant les deux fils du premier lit, les accusa faussement d’avoir attenté à son honneur et persuada à Phineus furieux de leur crever les yeux. Les Argonautes, clans le cours de leur voyage, le punirent de cette action cruelle[19].

Dans plus d’une occasion les Athéniens retirèrent, ou du moins s’imaginèrent avoir retiré d’importants avantages de ce mariage de Boreas avec la fille de leur premier héros : entre autres, un inestimable service, rendu dans une conjoncture extrêmement critique pour l’indépendance grecque, mérite d’être tout, particulièrement cité[20]. Au moment de l’invasion de la Grèce par Xerxès, la flotte grecque était assemblée à Chalkis et à l’Artémision en Eubœa, attendant l’approche de l’armée des Perses, si supérieure en nombre sur mer comme sur terre. La flotte des Perses avait atteint la côte de Magnêsia et l’extrémité sud-est de la Thessalia sans aucun dommage sérieux, quand les Athéniens reçurent d’un oracle le conseil d’invoquer l’aide de leur gendre. Comprenant que l’avis avait trait d, Boreas, ils implorèrent son aide et celui d’Oreithyia de la manière la plus instante, aussi bien par des prières que par des sacrifices[21], et l’événement répondit è, leurs désirs. Un furieux vent du nord-est s’éleva immédiatement, et pendant trois jours continua de battre la flotte des Perses qui se trouvait sur une côte dénuée d’abri : le, nombre des navires qui échouèrent, tant vaisseaux de guerre que vaisseaux de transport, fut immense, et le dommage causé à l’armement ne fut jamais complètement réparé. Tel fut le puissant secours que les Athéniens tirèrent, au moment du besoin le plus pressant, de leur gendre Boreas ; et ils témoignèrent leur gratitude en lui consacrant un nouveau temple sur les bords de l’Ilissos.

Les trois autres filles d’Erechtheus — il en eut six en tout[22] — étaient dans la légende athénienne encore plus vénérées que leurs soeurs, parce qu’elles s’étaient volontairement vouées à la mort pour le salut de leur patrie. Eumolpos d’Éleusis était le fils de Poseidôn et le héros éponyme de la famille sacrée appelée les Eumolpides, à laquelle étaient dévolues, par privilège héréditaire, les principales fonctions appartenant aux rites mystérieux de Dêmêtêr a Éleusis. Il fit la guerre à Erechtheus et aux Athéniens, avec l’aide d’un corps d’alliés thraces ; il paraît en effet que les légendes d’Athènes, dans l’origine étrangères et hostiles à celles d’Éleusis, le représentaient comme ayant été lui-même originaire de Thrace et immigrant en Attique[23]. Toutefois, au sujet d’Eumolpos et de ses parents, les différences dépassent de beaucoup même la mesure de ce qui est permis ordinairement dans les généalogies légendaires, et plusieurs critiques, tant parmi les anciens que parmi les modernes, ont cherché à concilier ces contradictions, en faisant usage de l’expédient habituel, c’est-à-dire en supposant l’existence de deux ou trois personnes différentes du même nom. Pausanias lui-même, si familier avec cette classe de témoins peu dignes de foi, se plaint du manque de généalogistes natifs d’Éleusis[24] et de l’extrême liberté de fiction que s’étaient permise d’autres auteurs.

Dans l’hymne homérique à Dêmêtêr, le plus ancien témoignage que nous ayons sous les yeux, — composé, selon toute apparence, avant la complète incorporation d’Éleusis à Athènes — Eumolpos paraît (pour répéter brièvement ce qui a été dit dans un précédent chapitre) comme l’un des chefs ou princes natifs d’Éleusis, avec Triptolêmos, Dioklês, Polyxeinos et Dolichos ; Keleos est le roi, ou le premier entre ces chefs, le fils ou un des descendants directs de l’éponyme Éleusis lui-même. C’est vers ces chefs, et vers les trois filles de Keleos, que vient la déesse Dêmêtêr dans la douleur que lui cause la perte de sa fille Persephonê : traitée d’une manière hospitalière par Keleos, elle révèle son véritable caractère, ordonne qu’un temple lui soit élevé à Éleusis, et leur prescrit les rites selon lesquels ils doivent l’adorer[25].

Telle semble avoir été l’ancienne histoire des habitants d’Éleusis touchant leurs propres antiquités religieuses : Keleos, son épouse Metaneira et les autres chefs ici mentionnés, furent adorés à Éleusis et de là transférés à Athènes comme dieux ou héros locaux[26]. Éleusis fut incorporée à Athènes, vraisemblablement à, une époque peu antérieure a Solen ; et le culte éleusinien de Dêmêtêr fut alors reçu au nombre des grandes solennités religieuses de l’état d’Athènes, auxquelles il doit l’extension remarquable qu’il prit ensuite ainsi que sa dominante influence. Dans le culte, devenu attique, de Dêmêtêr d’Éleusis, les Eumolpides et les Kêrykes furent les principaux fonctionnaires héréditaires : Eumolpos, l’éponyme de cette grande famille, arriva ainsi à jouer le rôle principal dans la version légendaire athénienne de la guerre, entre Athènes et Éleusis. Un oracle avait déclaré qu’Athènes ne pourrait être délivrée de ce danger que par la mort des trois filles d’Erechtheus ; dans leur généreux patriotisme elles consentirent au sacrifice, et leur père les mit à mort. Alors il marcha avec confiance au combat, vainquit complètement l’ennemi, et tua Eumolpos de sa propre main[27]. Erechtheus fut adoré à Athènes comme dieu, et ses filles comme déesses[28]. Leurs noms et leur dévouement sublime étaient cités avec ceux des guerriers de Marathôn, dans l’assemblées publique à Athènes par les orateurs qui cherchaient à ranimer le patriote languissant ou dénoncer le lâche déserteur et le peuple écoutait cette double mention avec des sentiments analogue de vénération reconnaissante, aussi bien qu’avec une foi dans les faits également exempte de tout soupçon[29].

Bien qu’Erechtheus eut gagné la bataille sur Eumolpos, cependant l’histoire représente Poseidôn comme ayant mis fin à la vie et au règne d’Erechtheus, qui fut, à ce qu’il semble, tué dans le combat. Il eut pour successeur son fils Cécrops II, qui fut remplacé à son tour par son fils Pandiôn II[30], — deux noms qui ne sont marqués par aucun incident et qui ne semblent être que la simple répétition du premier Cécrops et du premier Pandiôn, placés ici par les faiseurs de généalogies dans le but de combler ce qui leur semblait être une lacune chronologique.

Apollodore passe tout d’un coup d’Erechtheus à son fils Cécrops II, puis à Pandiôn II, ensuite aux quatre fils de celui-ci, Ægeus, Pallas, Nisos et Lykos. Mais les auteurs tragiques intercalent ici l’histoire de Xuthos, de Kreüsa et d’Iôn ; ce dernier étant fils de Kreüsa et d’Apollon, mais étant donné par le dieu à Xuthos, qui l’adopte comme son propre enfant. Iôn succède a Erechtheus, et ses fils (Teleon, Hoplês, Argadés et Aigikorês) deviennent les éponymes des quatre anciennes tribus d’Athènes, qui durèrent jusqu’à la révolution de Kleisthenês (Clisthène) ; Iôn lui-même est l’éponyme de la race Ionienne et en Asie et en Europe et dans les îles de la mer Egée : Dôros et Achæos sont les fils de Kreüsa et de Xuthos, de sorte qu’Iôn se distingue de tous les deux par sa parenté divine[31]. D’après le récit donné par Philochore, Iôn rendit aux Athéniens un service si éminent en les délivrant de l’attaque des Thraces conduits par Eumolpos, qu’il fut fait ensuite roi du pays, et répartit tous les habitants en quatre tribus ou castes, correspondant aux différents genres de vie, — soldats, laboureurs, chevriers et artisans[32]. Et il semble que la légende servant à expliquer l’origine de la fête Boedromia, assez importante clans l’origine pour donner un nom à l’un des mois des Athéniens, se rattachait au secours prêté ainsi par Iôn[33].

Nous passons maintenant d’Iôn à des personnages d’une dignité mythique et d’un intérêt beaucoup plus grands, Ægeus (Egée) et son fils Thêseus (Thésée).

Pandiôn eut quatre fils, Ægeus, Nisos, Lykos et Pallas, entre lesquels il partagea ses Etats. Nisos reçut le territoire de la Mégaris, qui avait été sous l’empire de Pandiôn, et il y fonda le port de Nisæa. Lykos fut fait roi de la côte orientale, mais une dispute s’étant élevée dans la suite, il quitta tout à fait le pays, pour s’établir sur la côte méridionale de l’Asie Mineure, chez les Termilæ, auxquels il donna le nom de Lykiens[34]. Ægeus, comme l’aîné des quatre fils, devint roi d’Athènes ; mais Pallas reçut une portion et de la côte sud-ouest et de l’intérieur, et lui ainsi que ses enfants paraissent souvent comme les ennemis et d’Ægeus et de Thêseus. Pallas est l’éponyme du dême Pallênê, et les récits qui le concernent, lui et ses fils, semblent se rattacher aux vieilles et constantes querelles qui existaient entre les différents dêmes de l’Attique, communautés indépendantes dans l’origine. Ces querelles pénétrèrent dans la légende. Elles expliquent ce récit qui nous dit qu’Ægeus et Thêseus n’étaient pas de véritables Erechthides, le premier étant désigné comme un enfant supposé de Pandiôn[35].

Ægeus[36] a peu d’importance dans l’histoire mythique, si ce n’est comme père de Thêseus : on peut même douter si son nom n’est pas autre chose qu’un simple surnom du dieu Poseidôn, qui était (nous dit-on) le père réel de ce grand Hêraklês athénien. Comme je ne prétends donner qu’une très brève esquisse du domaine général de la légende grecque, je ne puis me permettre de raconter en détail la carrière chevaleresque de Thêseus, que l’on trouve et dans la chasse du sanglier de Kalydôn et dans l’expédition des Argonautes, — ses victorieuses rencontres personnelles avec les brigands Sinnis, Prokrustês, Periphêtês, Skiron et autres, — l’important service qu’il rendit à son pays, en le délivrant de la laie de Krommyôn et du taureau de Marathôn, — son triomphe sur le Minôtaure en Krête, et la manière dont il échappa aux dangers du labyrinthe, grâce au secours d’Ariadnê, qu’il emmène ensuite et abandonne ; — ses nombreuses aventures amoureuses ainsi que ses expéditions et contre les Amazones et dans les Enfers avec Peirithoos[37].

Thucydide en dessinant le caractère de Thêseus le représente comme un homme qui combinait la sagacité avec le pouvoir politique, et qui rendit à sa patrie l’inestimable service de réunir en une société politique commune tous les dêmes de l’Attique jusqu’alors séparés et se gouvernant eux-mêmes[38]. D’après le juste respect attaché à l’assertion de Thucydide, il a été d’usage de raisonner sur cette assertion comme étant historiquement authentique, et de traiter les attributs romanesques que nous trouvons dans Diodore et dans Plutarque comme s’ils étaient un élément fictif ajouté à cette base réelle. Selon moi, c’est une erreur que de voir la chose ainsi. Le robuste et amoureux chevalier errant est l’antique version du caractère, — le politique profond et sagace est une correction ultérieure, introduite, il est vrai, par des hommes d’un esprit supérieur, mais dépourvue de garantie historique, et naissant de leur désir de trouver des raisons personnelles, afin de concourir à la vénération que le public en général témoignait à son héros national avec plus de facilité et de sincérité que ces écrivains eux-mêmes. Thêseus, dans l’Iliade et dans I’Odyssée, combat avec les Lapithes contre les Centaures ; Thêseus, dans les poèmes hésiodiques, est aveuglé par sa passion pour la belle Æglê, fille de Panopeus[39] ; et le Thêseus décrit dans la biographie de Plutarque est en grande partie une continuation et un épanouissement de ces mêmes attributs ou d’attributs semblables, mêlés à une foule de légendes locales, expliquant, comme les Fastes d’Ovide ou l’Aitia aujourd’hui perdue de Callimaque, la formation primitive de coutumes religieuses et sociales dominantes[40]. Plutarque a sans doute beaucoup adouci et modifié les aventures qu’il trouvait dans les logographes athéniens, ainsi que dans les épopées poétiques appelées Thêsêis. En effet, dans sa préface de la vie de Thêseus, après avoir expressément déclaré qu’il est près de franchir la limite et de ce que l’on sait et de ce que l’on peut savoir, mais qu’il ne saurait résister à la tentation de comparer le fondateur d’Athènes avec celui de Rome, il termine par les mots remarquables qui suivent : Je forme le voeu que ce sujet fabuleux puisse si bien répondre à mes efforts, qu’il prenne, une fois purifié par la raison, l’aspect de l’histoire ; mais là où il montre un mépris hautain pour la plausibilité et n’admet pas d’alliance avec ce qui est probable, je demanderai des auditeurs indulgents, disposés à accueillir avec bienveillance un antique récit[41]. Nous voyons ici que Plutarque se proposait non de raconter les vieilles fables telles qu’il les trouvait, mais de les purifier par la raison et de leur donner l’aspect de l’histoire. Nous avons è, le remercier d’avoir conservé, après cette épuration, autant de l’élément romanesque et merveilleux ; mais nous pouvons être sûrs que les sources auxquelles il puisait étaient plus romanesques et plus merveilleuses encore. C’était la tendance des hommes éclairés d’Athènes, à partir du temps de Solôn, d’épurer le personnage de Thêseus et de lui donner un caractère politique[42] : Pisistrate même effaça de l’un des poèmes hésiodiques le vers qui décrivait la passion violente du héros pour la belle Æglê[43] ; et les poètes tragiques trouvèrent plus conforme aux sentiments de leur auditoire de le représenter comme un noble et libéral souverain que comme un batailleur cherchant tout seul les aventures. Mais les logogriphes et les poètes alexandrins restèrent plus fidèles aux anciennes fables. Callimaque traita l’histoire d’Hekalê, la vieille femme hospitalière qui reçut et bénit Thêseus lorsqu’il vint combattre le taureau de Marathon, et qu’il trouva morte quand il revint lui apprendre la nouvelle de son succès[44], et Virgile doit avoir eu l’esprit plein des légendes non épurées, quand il mettait cet Hêraklês athénien au nombre des malheureux patients condamnés à une peine éternelle dans les Enfers[45].

Cependant on ne peut quitter les fables concernant Thêseus sans faire une mention spéciale de deus d’entre elles, — la guerre contre les Amazones et l’expédition contre la Krête. La première prouve d’une manière frappante la facilité aussi bien que la ténacité de la foi légendaire des Grecs ; la seconde embrasse l’histoire de Dædalos et de Minôs, deux des figures les plus éminentes parmi les personnages grecs anté-historiques.

Les Amazones, filles d’Arès et d’Harmonia[46], sont à la fois d’anciennes créations et de fréquentes reproductions de l’antique épopée, — qui, nous pouvons le faire remarquer en général, s’occupait dans une large mesure et des exploits et des souffrances des femmes, ou héroïnes, épouses et filles des héros grecs, — et qui reconnaissait dans Pallas Athênê le type accompli d’une guerrière irrésistible. Une nation de femmes courageuses, vaillantes et infatigables, vivant séparées des hommes, ne se permettant que de courtes relations temporaires dans le but de renouveler leur nombre, et se brûlant le sein droit pour se mettre en état de tirer l’arc librement, — c’était à la fois un type général stimulant l’imagination des poètes, et un sujet éminemment populaire parmi les auditeurs. Concevoir des sociétés d’Amazones comme avant réellement existé dans un temps antérieur ne répugnait pas non plus û la foi de ces derniers, qui n’avaient pas pour se guider de faits régulièrement constatés ni d’autre type de crédibilité quant au passé que ces récits poétiques eux-mêmes. Aussi voyons-nous ces femmes guerrières reparaître constamment dans les anciens poèmes et être acceptées universellement comme des réalités du passé. Dans l’Iliade, quand Priam veut donner l’idée la plus frappante de la plus nombreuse armée dont il ait jamais fait partie, il nous dit qu’elle était rassemblée en Phrygia, sur les bords du Sangarios, clans le but de résister aux formidables Amazones. Quand Bellerophôn doit être engagé dans une expédition périlleuse et mortelle[47] par ceux qui désirent causer sa mort au moyen de voies indirectes, il est envoyé contre les Amazones. Dans l’Æthiopis d’Arctinus, décrivant la guerre post-homérique de Troie, Penthesileia, reine des Amazones, paraît comme l’alliée la plus puissante de la ville assiégée, et comme l’ennemie la plus formidable des Grecs ; elle ne succombe que sous la force invincible d’Achille[48]. Les Argonautes trouvent les Amazones sur les bords du fleuve Thermôdôn, dans leur expédition le long de la côte méridionale (lu Pont-Euxin. C’est dans ce même endroit que va les attaquer Hêraklês, accomplissant le neuvième travail que lui a imposé Eurystheus, dans le but de se procurer la ceinture de la reine des Amazones, Hippolytê[49] ; et on nous dit qu’elles n’avaient pas encore réparé les pertes subies dans cette rude attaque lorsque Thêseus les assaillit également, les défit et emmena leur reine Antiopê[50]. Elles vengèrent cette injure en envahissant l’Attique, — entreprise, comme Plutarque le fait remarquer avec raison, ni insignifiante, ni féminine, surtout si, d’après l’assertion d’Hellanicus, elles traversèrent le Bosphore cimmérien sur la glace de l’hiver, en partant du côté asiatique du Palus Mœotis[51]. Elles surmontèrent toutes les difficultés dans cette marche prodigieuse, et pénétrèrent jusque dans Athènes elle-même ; ce fut là, au cœur même de la ville, que fut livrée la bataille dans laquelle Thêseus les écrasa, bataille décisive, soutenue avec peine, et à un moment douteuse. Les antiquaires athéniens indiquaient avec confiance la position exacte des deux armées rivales : l’aile gauche des Amazones s’arrêta sur le lieu occupé par le monument commémoratif appelé l’Amazoneion ; l’aile droite touchait la Pnyx (ή Πνύξ), endroit où plus tard furent tenues les assemblées publiques de la démocratie athénienne. "Les détails et les vicissitudes du combat, ainsi que le triomphe final et la trêve qui suivit, étaient racontés par ces auteurs avec une foi complète et avec autant de détails que la bataille de Platée par Hérodote. L’édifice funèbre appelé l’Amazoneion, la tombe ou colonne d’Antiopê près de la porte occidentale de la ville, — le lieu appelé Horkoinosion, près du temple de Thâseus, — même la colline de l’Aréopage, et les sacrifices qu’il était d’usage d’offrir aux Amazones à la fête périodique des Thêseia, — étaient autant de souvenirs religieux de cette victoire[52], qui, de plus, était un sujet favori et pour l’art de la peinture et pour celui de la sculpture, à Athènes ainsi que dans d’autres contrées de la Grèce.

Il n’est pas de partie de l’épopée antéhistorique qui semble avoir pénétré plus profondément dans l’esprit national de la Grèce que cette invasion des Amazones et leur défaite. C’était non seulement un sujet constant pour les logographes, mais encore cet événement était ordinairement pris à témoin par les orateurs populaires avec Marathôn et Salamis, parmi ces antiques exploits dont leurs concitoyens pouvaient à bon droit être fiers. Il formait une partie de la foi rétrospective d’Hérodote, de Lysias, de Platon et d’Isocrate[53], et les chronologistes en fixaient la date exacte[54]. Et cette croyance n’était pas non plus particulière aux Athéniens seuls. Dans beaucoup d’autres contrées de la Grèce, tant d’Europe que d’Asie, on trouvait les traditions et les souvenirs des Amazones. A Megara, à Træzen, en Laconie, près du cap Tænaros, à Chæroneia, en Bœôtia, et dans plus d’un endroit de la Thessalia, on conservait les sépulcres ou monuments des Amazones. Les guerrières, disait-on, dans leur marche vers l’Attique, n’avaient pas traversé ces contrées sans laisser quelques preuves de leur passage[55].

Chez les Grecs asiatiques les traces supposées des Amazones étaient encore plus nombreuses. On assurait que leur territoire propre était la ville et la plaine de Themiskyra, près de la colonie grecque d’Amisos, sur le fleuve Thermôdôn, contrée appelée de leur none par les historiens et les géographes Romains[56]. Mais on croyait qu’elles avaient conquis et occupé dans des temps plus reculés un espace très considérable de territoire, s’étendant même jusqu’à la côte d’Iônia et d’Æolis. On affirmait qu’Ephesos, Smyrna, Kymê (Cumes) Myrina, Paphos et Sinopê avaient été fondées et nommées par elles[57]. Quelques auteurs les plaçaient en Libye et en Ethiopie ; et quand les Grecs du Pont sur la côte nord-ouest du Pont-Euxin eurent connu le caractère hardi et audacieux des jeunes filles Sarmates, qui étaient obligées d’avoir tué chacune un ennemi dans le combat comme condition pour obtenir un époux, et qui pendant leur enfance empêchaient artificiellement le développement du sein droit, ils ne purent imaginer de moyen plus satisfaisant, pour expliquer de telles particularités, que de faire descendre les Sarmates d’une colonie d’Amazones vagabondes, chassées par les héros grecs de leur territoire sur le Thermôdôn[58]. Pindare attribuait aux Amazones la première fondation du mémorable temple d’Artemis à Ephesos. Et Pausanias explique en partie la supériorité de ce temple sur tout autre temple de la Grèce par la renommée répandue au loin de ses fondatrices[59], et à leur propos il fait remarquer (avec une parfaite vérité, si nous admettons le caractère historique de l’ancienne épopée) que les femmes ont une énergie incomparable pour résister à l’adversité, puisque les Amazones, après avoir été une première fois rudement traitées par Hêraklês ; puis complètement défaites par Thêseus, pouvaient encore trouver le courage de jouer un rôle si remarquable dans la défense de Troie contre les Grecs qui l’assiégeaient[60].

C’est ainsi que, dans ce qu’on appelle l’ancienne histoire grecque, telle que les Grecs eux-mêmes la regardaient plus tard, les Amazones étaient au nombre des personnages les plus vaillants et les moins contestés. Et cette circonstance ne paraîtra pas étonnante, si nous nous rappelons que la croyance qu’on avait en elles s’établit pour la première fois à une époque où l’esprit grec ne se nourrissait que de légendes religieuses et de poésie épique, et que les incidents de ce passé supposé, venant de telles sources, s’adressaient à sa foi et li ses sentiments, sans qu’on leur demandât de se conformer à quelque règle de crédibilité tirée de l’expérience actuelle. Mais le temps vint où les historiens d’Alexandre le Grand abusèrent audacieusement de cette ancienne croyance. Entre autres récits calculés pour exalter la dignité de ce monarque, ils affirmaient qu’après qu’il avait conquis et subjugué l’empire des Perses, il avait été visité en Hyrcania par Thalestris, reine des Amazones, qui, admirant sa valeur guerrière, était désireuse de pouvoir retourner dans son propre pays en état de produire une lignée issue de parents si invincibles[61]. Mais les Grecs alors avaient été accoutumés, depuis un siècle et demi, à la critique historique et philosophique,- et cette foi, qui ne discutait pas, et que l’on accordait sans peine aux merveilles du passé, rie pouvait plus être invoquée en leur faveur quand on les présentait comme une réalité actuelle. Car la fable des Amazones était reproduite ici dans sa simplicité nue, saris qu’on lui enlevât son caractère fabuleux ou qu’on la revêtit de couleurs- historiques.

Quelques lettrés, il est vrai, parmi lesquels étaient Dêmêtrius de Skepsis et le Mitylénien Theophanês, le compagnon de Pompée dans ses expéditions, continuèrent encore à croire et aux Amazones présentes et aux Amazones passées ; et quand il devint notoire qu’il ‘n’y en avait pas, du moins sur les bords du Thermôdôn, ces auteurs supposèrent qu’elles avaient quitté leur séjour primitif pour aller s’établir dans les régions inexplorées au nord du mont Caucase[62]. Strabon, au contraire, sentant que les raisons de ne point croire s’appliquaient avec une égale force aux histoires anciennes et aux modernes, rejetait également les ânes et les autres. Mais il fait remarquer en même temps, non sans quelque surprise, que c’était l’usage, pour la plupart des personnes, d’adopter une marche intermédiaire, — de conserver les Amazones comme phénomènes historiques d’un passé reculé, mais de les rejeter comme réalités du moment présent, et de soutenir que leur race s’était éteinte[63]. Jules César, avec son intelligence supérieure, n’hésita pas à les reconnaître comme ayant jadis conquis et tenu sous leur domination une brande partie de l’Asie[64]. Et le compromis entre la foi ancienne, traditionnelle et religieuse d’un cité, et les habitudes établies de recherches critiques de l’autre, compromis adopté par l’historien Arrien, mérite d’être transcrit avec ses propres expressions, comme démontrant d’une manière frappante le puissant empire qu’exerçaient les vieilles légendes, même sur les Grecs dont l’esprit était le plus positif : — Ni Aristobule, ni Ptolémée (fait-il remarquer), ni aucun autre témoin compétent, n’ont raconté ce fait (la visite des Amazones et de leur reine à Alexandre) : il ne me semble pas non plus que la race des Amazones se fût conservée jusqu’à ce temps, ni qu’elles aient été signalées par quelque écrivain antérieur à Alexandre, ni par Xénophon, bien qu’il mentionne les habitants du Phase et de la Kolchis, et les antres nations barbares que les Grecs virent et avant et après leur arrivée à Trapezos (Trapézonte), marches dans lesquelles ils auraient dû rencontrer les Amazones, si elles avaient encore existé. Cependant il ne m’est pas possible de croire que cette race de femmes, célébrées comme elles l’ont été par tant d’auteurs d’une autorité si imposante, n’aient jamais existé du tout. L’histoire dit d’Hêraklês qu’il partit de la Grèce et rapporta avec lui la ceinture de leur reine Hippolytê ; elle dit aussi de Thêseus et des Athéniens, qu’ils furent les premiers qui défirent dans une bataille rangée et repoussèrent ces femmes lors de leur invasion en Europe ; et le combat des Athéniens avec les Amazones a été peint par Mikôn, aussi bien que celui qui eut lieu entre les Athéniens et les Perses. De plus, Hérodote a parlé d’elles en beaucoup d’endroits, et ces orateurs athéniens qui ont prononcé des éloges en l’honneur des citoyens tués dans le combat, ont insisté sur la victoire remportée dans la lutte contre les Amazones, comme étant un des exploits les plus mémorables des Athéniens. Si le satrape de Médie envoya jamais des cavalières à Alexandre, je pense qu’elles ont dû venir de quelqu’une des tribus barbares voisines, habituées à monter à cheval et revêtues du costume généralement appelé costume des Amazones[65].

Il ne peut y avoir une preuve plus frappante de la force indélébile avec laquelle ces anciennes légendes avaient pénétré dans la foi et dans les sentiments nationaux des Grecs, que ces remarques d’un judicieux historien sur la fable des Amazones. Probablement, si quelque moyen plausible de lui enlever son caractère fabuleux et de la transformer en un événement presque politique s’était présenté à Arrien, il lui aurait plus convenu d’adopter un tel terme moyen, et il s’en serait tenu tout simplement à la supposition qu’il croyait à la légende dans son vrai sens, mais que ses compatriotes, moins curieux, se laissaient tromper par les exagérations des poètes. Mais, comme l’histoire lui était présentée simple et sans fard, soit à accepter, soit à rejeter, ses sentiments de patriote et d’homme religieux l’empêchaient d’appliquer au passé les critérium de crédibilité que sa libre raison reconnaissait comme dominant par rapport au présent. De plus, quand nous voyons combien sa croyance était fortifiée et toute tendance au scepticisme refoulée par le commerce familier que son oeil ou sa mémoire entretenait avec les représentations graphiques ou plastiques des Amazones[66], nous pouvons calculer l’irrésistible force de cette démonstration sensible sur les convictions du public illettré, retenant à la fois plus profondément les impressions passives, et n’ayant pas l’habitude de les contrebalancer par un examen rationnel des preuves. Si l’on eût raconté à Arrien la marche d’une armée de guerrières, depuis le Thermôdôn ou le Tanaïs jusqu’au coeur de l’Attique, comme un incident appartenant au temps d’Alexandre le Grand, il l’aurait repoussée tout aussi expressément que Strabon ; mais, rejeté comme il l’était dans un passé illimité, ce fait prit rang parmi les traditions consacrées de l’antiquité divine ou héroïque, — fait agréable à célébrer à l’aide de la rhétorique, mais qui l’est moins quand on veut le soumettre à une discussion approfondie[67].

 

 

 



[1] Iliade, II, 548. Odyssée, VII, 81.

[2] V. la Vie de Lycurgue, dans l’ouvrage de Plutarque (je l’appelle de ce nom, vu qu’il est toujours imprimé avec les œuvres de cet auteur), Vies des dix orateurs, t. IV, p. 382-384, Wytt. Erechtheus Πάρεδρος d’Athênê. Aristide, Panathen., p. 184, avec les Schol. de Frommel.

Butês, l’éponyme des Butadæ, est le premier prêtre de Poseidôn Érichthonios. Apollodore, III, 15, I. De même Kallias (Xénophon, Sympos. VIII, 40), ϊερεύς θεών τών άπ̕ Έρεχθέως.

[3] Hérodote, VIII, 55.

[4] Harpocration, v. Αύτοχθών. Euripide, Ion, 21. Apollodore, III, 14, 6 ; 15, 1. Cf. Platon, Tim., c.6.

[5] Schol. ad. Iliade, II, 546, où il cite aussi Callimaque pour l’histoire d’Erichthonios. Etymol. Magn., Έρεχθεύς. Platon (Kritias, c. 4) emploie des expressions vagues et générales pour décrire l’action d’Hêphæstos et d’Athênê, dont la vieille fable d’Apollodore (III, 14, 6) donne les détails en termes plus grossiers. V. Ovide, Métamorphoses, II, 757.

[6] Æthra, mère de Thêseus, est aussi mentionnée (Homère, Iliade, III, 144).

[7] Hellanicus, Fragm. 62 ; Philochore, Fragm. 8, ap. Eusèbe, Præp. Evang., X, 10, p. 489. Larcher (Chronologie d’Hérodote, ch. 9, s. 1, p. 278) regarde et la personnalité historique et la date d’Ogygês comme ayant un caractère absolu d’authenticité.

[8] Apollodore, III, 14, 1. Hérodote, VIII, 55. Ovide, Métamorphoses, VI, 72. On montre encore la marque du trident de Poseidôn dans le roc sur lequel s’élevait l’Erechtheion à Athènes. L’histoire qui avait cours parmi les Athéniens représentait Cécrops comme le juge du débat (Xénophon, Memor., III, 5, 10).

[9] Philochore, ap. Strabon IX, p. 397.

[10] Les marbres chronologiques de Paros désignent Aktæos comme indigène. Marmor Parium, Epoch., 3. Pausanias, I, 2, 5.

[11] Hérodote, VIII, 44. Κρανααί Άθήναι, Pindare.

[12] Apollodore, III, 14, 6. Pausanias, I, 26, 7.

[13] Virgile, Géorgiques, III, 114.

[14] J’ai parlé plus complètement dans mon premier chapitre du mythe de la visite de Dêmêtêr à Éleusis, à l’occasion de laquelle elle daigna enseigner ses rites sacrés aux principaux Éleusiniens.

[15] Apollodore, III, 14, 8 ; Eschyle, Supplic., 61 ; Sophocle, Elect., 107 ; Ovide, Métamorphoses, VI, 425-670. Hygin donne la fable avec quelques circonstances additionnelles, fab. 45. Antoninus Liberalis (Narr., 11) ou Bœus, qu’il copie, composa un nouveau récit en combinant ensemble les noms de Pandareos et d’Aêdon, tels qu’ils sont donnés dans l’Odyssée, XIX, 523, et les aventures de la vieille fable attique. La huppe conservait encore l’habitude de chasser le rossignol : c’était pour les Athéniens un fait actuel. V. Schol. Aristophane, Aves., 212.

[16] Thucydide, II, 29. Il mentionne expressément le rossignol comme étant en rapport avec l’histoire, bien qu’il ne parle pas de la métamorphose. V. tome II, chap. 2. Pausanias également mentionne le fait, sur lequel il raisonne comme sur un incident réel, il en fait la base de quelques réflexions morales (I, 5, 4 ; X, 4, 5) : l’auteur du Λόγος Έπιτάφιος, attribué à Démosthènes, le considère de la même manière comme un fait ennoblissant la tribu Pandionis dont Pandiôn était l’éponyme. Le même auteur, en parlant de Cécrops, l’éponyme de la tribu Cécropis ne peut croire littéralement l’histoire qui le présente moitié homme, moitié serpent [le reste de la note est illisible].

[17] [Ici se place une note illisible, à la suite de la précédente]

[18] C’est sur cette histoire d’Iôn qu’est fondée la tragédie d’Euripide portant ce nom. Je conçois que bien des points de cette tragédie soient de l’invention d’Euripide lui-même ; mais représenter Ibn comme fils d’Apollon et non de Xuthos semble une véritable légende attique. Touchant ce drame, V. O. Müller, Hist. of Dorians, II, 2, 13-15. Je doute cependant de la distinction qu’il établit entre les Ioniens et le reste de la population de l’Attique.

[19] Apollodore, III, 15, 2 ; Platon, Phèdre, c. 3 ; Sophocle, Antigone, 984, et les abondantes Scholies sur Apoll. Rhod., I, 212.

L’histoire de Phineus est rapportée bien différemment dans l’expédition des Argonautes, telle qu’elle est donnée par Apollonius de Rhodes, II, 180. Par Sophocle, nous apprenons que c’était la -version athénienne.

Les deux enfants ailés de Boreas et la chasse qu’ils donnèrent aux Harpies étaient mentionnés dans le Catalogue hésiodique (V. Schol. Apollon. Rhod. II, 296). -lais il ne paraît pas certain que la légende athénienne d’Oreithyia fût signalée dans les poèmes hésiodiques.

Eschyle et Sophocle composèrent tous deux des drames sur le sujet d’Oreithyia (Longin, de Sublim. c. 3). Orithyia Atheniensis, filia Terrigenæ, et a Borea in Thraciam rapta (Serv. ad Virgile, Énéide, XII, 83). Terrigena est le γηγενής Έρεχθεύς. Philochore (Fragm. 30) enlevait à l’histoire son caractère fabuleux et disait qu’elle faisait allusion aux effets d’un vent violent.

[20] Hérodote, VII, 189.

[21] Hérodote, VII, 189.

[22] Suidas et Photius, v. Πάρθενοι : on donne Protogeneia et Pandôra comme les noms de deux d’entre elles. Le sacrifice de Pandôra, dans les Iambes d’Hipponax (Hipponact., Fragm. XXI. Welck. ap. Athen., IX, p. 370), semble faire allusion à cette fille d’Erechtheus.

[23] Apollodore, III, 15, 3 ; Thucydide, II, 15 ; Isocrate (Panégyrique, t. I, p. 206 ; Panathen., t. II, p. 560, Auger) ; Lycurgue contre Léocrate, p. 201, Reiske ; Pausanias, I, 38,3 ; Euripide, Erechtheus., Fragm. Le Schol. ad Sophocle, Œd., col. 1048, fait des citations d’une grande valeur d’Ister, d’Acestodore et d’Androtion : nous voyons que ceux qui faisaient des recherches sur l’antiquité trouvaient de la difficulté à expliquer comment les Eumolpides avaient pu acquérir leurs privilèges supérieurs dans la direction des Eleusinia, en voyant qu’Eumolpos lui-même était un étranger. — Thucydide n’appelle pas Eumolpos un Thrace : le langage de Strabon est très diffus et très vague (VII, p. 231) : Isocrate dit qu’il attaqua Athènes pour soutenir les droits de son père Poseidôn an patronage suprême de la cité. Hygin copie cette explication (fab. 46).

[24] Pausanias, I, 38, 3. V. Heyne, ad Apollod. III, 15, 4. Eumolpi nomen modo communicatum pluribus, modo plurium hominum res et facta cumulata in unum. Is ad quem Hercules venisse dicitur, serior œtate fuit : antiquior est is de quo hoc loto agitur.... antecessisse tamen hune debet alius, qui cum Triptolemo vixit, etc. V. les savants et précieux Commentaires de Lobeck dans son Aglaophamus, tom. I, p. 206-213, par rapport aux contradictions de ce récit ; il fait observer, je pense, avec beaucoup de raison (p.211), quo uno exemplo ex innumerabilibus delecto, arguitur eorum temeritas, qui ex variis discordibusque poetarum et mythographorum narratiunculis, antiquæ famæ formam et quasi lineamenta recognosci posse sperant.

[25] Homère, Hymn. ad Cerer., 153-475. Le héros Éleusis est mentionné dans Pausanias, I, 38, 7 ; quelques-uns le disaient fils d’Hermês, d’autres fils d’Ogygês. Cf. Hygin, f. 147.

[26] Les Athéniens rendaient les honneurs divins à Keleos et à Mêtaneira (Athenag., Legat., p. 53, éd. Oxon.) : peut-être confond-il les honneurs divins avec les honneurs héroïques, comme étaient disposés à le faire les controversistes chrétiens dans leur polémique contre le paganisme. Triptolemos avait un temple à Éleusis (Pausanias, I, 38, 6).

[27] Apollodore, III, 15, 4. Quelques-uns disaient qu’Immarados, fils d’Eumolpos, avait été tué par Erechtheus (Pausanias, I, 5 2) ; d’autres, que tel avait été le sort d’Eumolpos et de son fils (Schol. ad Euripide, Phœniss., 854). Mais nous apprenons de Pausanias lui-même quel était le récit fait dans l’intérieur de l’Erechtheion, — à savoir, qu’Erechtheus tua Eumolpos (I, 27, 3).

[28] Cicéron, Nat. Deor., III, 19 ; Philocore ap. Schol. Œdip., col. 100. Trois filles d’Erechtheus périrent, et trois filles furent adorées (Apollodore, III, 15, 4 ; Hesychius, Ζεΰγος τριπάρθενον ; Euripide, Erechtheus, Fragm. 3, Dindorf ; mais et Euripide et Apollodore disaient que le sacrifice d’une seule de ses filles avait été demandé à Erechtheus, et qu’il n’en sacrifia qu’une ; — que les deux autres se tuèrent volontairement par affection pour leur soeur. Je ne puis m’empêcher de croire (bien que Welcker pense le contraire, Griechisch. Tragoed., II, p. 722) que la véritable légende représentât Erechtheus comme les ayant sacrifiées toutes les trois, comme on le voit dans l’Iôn d’Euripide (276). Cf. avec ce passage, Démosthène, Λάνος Έπιταφ, p.1397, Reike. Dans ce qui précède immédiatement on trouve mentionnée la mort des trois filles de Cécrops pour avoir enfreint les ordres d’Athênê. Euripide modifia cette circonstance dans son Erechtheus ; il y introduisit, en effet, la mère, Praxithea, consentant à l’immolation d’une seule fille pour délivrer le pays d’une invasion étrangère ; exposer une mère à l’immolation de trois filles eût été trop révoltant. Dans la plupart des exemples, nous trouvons que les traits fortement marqués, les incidents distincts et éclatants, aussi bien que les sombres contrastes, appartiennent à la légende post-homérique ; que les changements sont faits plus tard pour les adoucir, les affaiblir, les compliquer à mesure que les sentiments du public deviennent plus doux et plus humains ; parfois cependant, les poètes postérieurs ajoutent de nouvelles horreurs.

[29] V. la preuve frappante contenue dans le discours de Lycurgue contre Léocrate (p. 202-204, Reike, Xénophon, Mém., III, 5, 9) : d’après les deux derniers passages, nous voyons que l’histoire athénienne représentait l’invasion sous Eumolpos comme une attaque combinée venue du continent occidental.

[30] Apollodore, III, 15, 5 ; Euripide, Iôn, 282 ; Erechth., Fragm. 20, Dindorf.

[31] Euripide, Iôn, 1570-1595. La Kreüsa de Sophocle, tragédie aujourd’hui perdue, semble s’être rapportée au même sujet.

Pausanias (VII, 17 2) nous dit que Xuthos fut choisi pour décider entre les prétentions rivales des fils d’Erechtheus.

[32] Philochore, ap. Harpocrat., v. Βοηδρόμια ; Strabon, VIII, p. 383.

[33] Philochore, ap. Harpocrat., v. Βοηδρόμια.

[34] Sophocle, ap. Strabon, IX, p. 392 ; Hérodote, I, 173 ; Strabon, XII, p. 573.

[35] Plutarque, Thêseus, c. 13. Apollodore, III, 15, 6.

[36] Ægeus eut de Mêdea (qui se réfugia à Athènes après avoir fui de Corinthe) un fils appelé Mêdos, qui passa en Asie, et fut considéré comme l’éponyme et le premier auteur du peuple Mède. Datis, le général qui commandait à la bataille de Marathôn l’armée d’invasion des Perses, envoya aux Athéniens une communication formelle, s’annonçant comme le descendant de Mêdos, et demandant à être admis en qualité de roi de l’Attique : tel est l’exposé de Diodore (Exc. Vatic. VII-X, 48 ; V. aussi Schol. Aristophane, Pac., 289).

[37] Ovide, Métamorphoses, VII, 433. Touchant les amours de Thêseus, Ister semble particulièrement être entré dans de grands détails ; mais quelques-uns étaient signalés et dans les poèmes hésiodiques et par Cécrops, pour ne pas mentionner Phérécyde (Athen., XIII, p. 557). Peririthoos, l’intime ami, le compagnon de Thêseus, est le héros éponyme du dême attique ou Gens Perithoidæ (Éphore ap. Photium, v. Περιθοϊδαι.)

[38] Thucydide, II, 15.

[39] Iliade, I, 265 ; Odyssée, XI, 321. Je ne mentionne pas le vers suspect, Odyssée, XI, 630.

[40] Diodore également, dans sa tendance à assimiler Thêseus à Hêraklês, nous a donné ses attributs chevaleresques aussi bien que ses attributs politiques (IV, 61).

[41] Plutarque, Thêseus, I.

[42] V. Isocrate, Panathen. (t. II, p.510-512, Auger) ; Xénophon, Memor., III, 5, 10. Dans le Helenæ Encomium, Isocrate, insiste davantage sur les exploits personnels de Thêseus en même temps que sur ses grands mérites politiques (t. II, p. 312-350, Auger).

[43] Plutarque, Thêseus, 20.

[44] V. l’épigramme de Krinagoras, Anth. Pal., vol. II, p. 144 ; ep. XV, éd. Brunck., et Callimaque, Fragm. 40.

Quelques beaux vers sont conservés par Suidas, v. Έπαύλια, περί Έxάλης ΰανούσης (prononcés probablement par Thêseus lui-même ; V. Plutarque, Thêseus, c. 14).

[45] Virgile, Énéide, VI, 617 : ... Sedet, æternumque sedebit infelix Thêseus.

[46] Phérécyde, Fragm. 25, Didot.

[47] Iliade, III, 186 ; VI, 152.

[48] V. dans Proclus l’argument de Æthiopis aujourd’hui perdue (Fragm. Epic. Græc., éd. Düntzer, p. 16). Nous sommes réduits au premier livre de Quintus de Smyrne pour avoir quelque idée de la valeur de Penthesileia : on suppose qu’il est copié plus ou moins exactement sur l’Æthiopis. V. la dissertation de Tychsen mise en tête de son édition de Quintus, sections 5 et 12. Cf. Dion Chrysostome, Or., XI, p. 350, Reisk. Dans Philostrate (Heroïca, c. 19, p. 751) se trouve un récit qui transforme d’une manière étrange cette vieille histoire épique en une descente des Amazones dans l’île consacrée à Achille.

[49] Apollon. Rhod., II, 966, 1004 ; Apollodore, II, 5-9 ; Diodore, II, 46 ; IV, 16. On supposait que les Amazones parlaient la langue Thrace (Schol. Apoll. Rhod., II, 953), bien que quelques auteurs affirmassent qu’elles étaient : natives de Libye, d’autres d’Éthiopie (ibid., 965)

Hellanicus (Fragm. 33, ap. Schol. Pindare, Nem., III, 65) disait que tous les Argonautes avaient assisté Hêraklês dans cette expédition : le fragment du vieux poème, épique (peut-être l’ouvrage appelé Άμαζόνια), qui y est cité, mentionne spécialement Telamôn.

[50] Les nombreuses variétés qui se trouvent dans le récit concernant Thêseus et l’Amazone Antiopê sont bien exposées dans Bachet de Moziriac (Commentaires sur Ovide, t. I, p. 317).

Welcker (Der Epische Cyclus, p. 313) suppose que l’ancien poème épique, appelé par Suidas Άμαζόνια, avait trait à l’invasion de l’Attique par les Amazones, et que ce poème est le même, sous un autre titre, que l’Άτθίς d’Hegesinoos cité par Pausanias : je ne puis dire qu’il établisse cette conjecture d’une façon satisfaisante, mais le chapitre mérite bien d’être consulté. L’épopée appelée Thêsêis semble avoir donné de la lutte, avec les Amazones une version différente à bien des égards de celle que Plutarque a arrangée, en empruntant ses sujets des logogriphes (V. Plutarque, Thêseus, 28) ; ce poème contenait le récit d’une foule d’exploits de Thêseus sans lien entre eux, et Aristote le critique sous ce rapport comme mal construit (Poetic., c. 17).

Il est difficile de croire que l’ouvrage appelé Άμαζονίς ou Άμαζονixά d’Onasos ait été (comme le suppose Heyne, ad Apollod., II, 5, 9) un poème épique : la tendance à expliquer les faits par des causes naturelles, tendance que nous trouvons dans la citation qui en est faite, peut faire conclure que c’était un ouvrage écrit en prose (Schol. ad Theocr., XIII, 46, et Schol. Apoll. Rhod., I, 1207). Il y avait une Άμαζονίς de Possis de Magnêsia (Athen. VII, p. 296).

[51] Plutarque, Thêseus, 27. Pindare (Olymp., XIII, 84) représente les Amazones comme étant venues de l’extrême nord, quand Bellérophon triomphe d’elles.

[52] Plutarque, Thêseus, 27-28 ; Pausanias I, 2, 4 ; Platon, Axiochus, c. 2 ; Harpocration, v. Άμαζονεϊον ; Aristophane, Lysistr., 678, avec les Scholies. Eschyle (Eumène, 685) dit que les Amazones donnèrent l’assaut à la citadelle en venant de l’Aréopage.

[53] Hérodote, IX, 27. Lysias (Epitaph., c. 3) représente les Amazones comme άρχουσαι πολλών έθνων : selon lui, la race entière fut presque entièrement détruite dans leur malheureuse et désastreuse invasion en Attique. Isocrate (Panégyrique, t. I, p. 206, Auger) dit la même chose, et Panathênaic, t. III, p. 560, Auger ; Démosthène, Epitaph., p. 1391, Reiske. Pausanias cite une mention de l’invasion faite par Pindare, et avec la foi la plus complète dans sa réalité historique (VII, 2, 4). Platon mentionne l’invasion de l’Attique par les Amazones dans le Ménexène (c. 9), mais le passage du traité De legg, c. II, p. 804, est même une preuve plus forte de sa propre croyance. Et Xénophon, dans l’Anabasis, quand il compare le carquois et la hache de ses barbares ennemis à ceux que portent les Amazones, évidemment croyait lui-même parler de personnes réelles, bien qu’il ne pût avoir vu que leurs costumes et leurs armures peints par Mikôn et par d’autres (Anabase, IV, 4,10 ; Cf. Eschyle, Supplices, 293, et Aristophane, Lysistr., 678 ; Lucien, Anachar., c. 34, v. III, p. 318).

Nous voyons dans Plutarque, Thêseus, 27-28, quels abondants développements ce conte reçut des auteurs des Atthides.

Hécatée (ap. Steph. Byz. Άμαζονεϊον ; et Fragm. 350, 351, 352, Didot) et Xanthos (ap. Hesychium, v. Βουλεψίη) traitaient tous deux des Amazones ; le dernier passage devrait être ajouté à la collection des Fragments de Xanthus par Didot.

[54] Clemens Alexandr., Stromat., I, p. 336 ; Marmor Parium, Epoch., 21.

[55] Plutarque, Thêseus, 27-28. Steph. Byz., v. Άμαζονεϊον. Pausanias, II, 32, 8 ; III, 25, 2.

[56] Phérécyde, ap. Schol. Apollon. Rhod., II, 373-992 ; Justin, II, 4 ; Strabon. XII, p. 547. Diodore, II, 45-46 ; Salluste ap. Serv. ad Virgile, Énéide, XI, 659 ; Pomponius Mela, I, 19 ; Pline, H. N., VI, 4. La géographie de Quinte-Curce (VI, 4), ainsi que celle de Philostrate, (Heroic., c. 19) est, sur ce point, vague et même illogique.

[57] Éphore, Fragm. 87, Didot. Strabon, XI, p. 505 ; XII, p. 573 ; VIII, p. 622. Pausanias, IV, 31, 6 ; VII, 2, 4. Tacite, Ann., III, 61. Scol. Apollod. Rhod., II, 965.

Hécatée a donné la dérivation du nom de Sinopê tiré de celui d’une Amazone (Fragm. 352). Themiskyra avait aussi une des Amazones pour éponyme (Appien, Bello Mithrid., 78).

Quelques-unes des légendes religieuses les plus vénérées à Sinopê se rattachaient à l’expédition d’Hêraklês contre les Amazones : Autolykos, le héros rendant des oracles, adoré avec une grande solennité, même à l’époque du siège de la ville par Lucullus, était le compagnon d’Hêraklês (Appien, ibid., c. 83). Même un petit village des montagnes sur le territoire d’Ephesos, appelé Latoreia, tirait son nom de celui de rune des Amazones (Athen., I, p. 31).

[58] Hérodote, IV, 108-117, où il donne le long conte imaginé par les Grecs du Pont, sur l’origine de la nation sarmate. Cf. Hippocrate, De aëre, locis et aquis, c. 17 ; Éphore, Fragm. 103 ; Seymn., Chius, v. 102 ; Platon, Legg., VII, p. 804 ; Diodore, II, 34.

Le témoignage d’Hippocrate atteste la coutume des femmes sarmates d’arrêter le développement du sein droit.

Ctésias compare aussi une guerrière sace aux Amazones (Fragm. Persic., II, pp. 221, 449, Baehr).

[59] Pausanias, IV, 31, 6 ; VII, 2, 4. Dionys., Periêgêt., 828.

[60] Pausanias, I, 15, 2.

[61] Arrien, Exped. Alex., VII, 13 ; Cf. IV, 15 ; Quintilien, Curt., VI, 4 ; Justin, XLII, 4. La note de Freinshemius se rapportant au passage de Quinte-Curce ci-dessus mentionné est pleine de renseignements précieux sur le sujet des Amazones.

[62] Strabon, XI, p. 503-504 ; Appien, Bell. Mithrid., c. 103 ; Plutarque, Pompée, c. 35. Pline, N. H., VI, 7. Plutarque conserve encore l’ancienne description des Amazones habitant les montagnes près du Thermôdôn : Appien se garde de cette erreur géographique, probablement en copiant d’une manière plus exacte le langage de Theophanês, qui doit avoir bien su que quand Lucullus attaqua Themiskyra, il ne la trouva pas défendue par les Amazones (V. Appien, Bell. Mithrid., c. 78). Ptolémée (V. 9) place les Amazones dans les régions imparfaitement connues de la Sarmatia Asiatique, au nord de la mer Caspienne et près du fleuve Rha (Volga). Cette fabuleuse société de femmes (fait observer Forbiger, Handbuch der alten Geographie, II, 77, p. 457) était un phénomène beaucoup trop intéressant pour que les géographes l’abandonnassent aisément.

[63] Strabon, II, p. 505. [Note. Strabon ne parle pas toujours des μΰθοι sur ce ton irrespectueux ; parfois il est très mécontent de ceux qui contestent l’existence d’un noyau historique, spécialement pour ce qui regarde Homère.] Il y a cependant d’autres passages où il parle des Amazones comme d’êtres réels.

Justin (III, 4) reconnaît le grand pouvoir et les vastes conquêtes des Amazones dans des temps très reculés ; mais il dit qu’elles ont décliné, par degrés jusqu’au règne d’Alexandre, à l’époque duquel il n’en restait que peu ; c’est avec ce faible reste que la reine visita Alexandre ; mais peu de temps après toute la race s’éteignit. Cette hypothèse a le mérite d’être commode et peut-être d’être ingénieuse.

[64] Suétone, Jules César, c. 22. In Syriâ quoque regnasse Semiramin (dit Jules César), magnamque Asiæ partem Amazonas tenuisse quondam.

Dans le splendide triomphe de l’empereur Aurélien à Rome, après la défaite de Zénobie, on fit paraître parmi les prisonniers quelques femmes de la nation des Goths qui avaient été prises les armes à la main : l’écriteau officiel porté à côté d’elles les désignait comme étant des Amazones (Vopiscus, Aurélien, in Histor. August Script., p. 260, éd. Paris).

[65] Arrien, Expedit. Alexand., VII, 13.

[66] Ctésias décrivait comme des animaux réels, existant dans des régions sauvages et éloignées, les combinaisons hétérogènes et fantastiques qu’il voyait sculptées en Orient (V. ce fait indiqué et démontré dans Baehr, Préface aux Fragm. de Ctésias, pp. 58, 59).

[67] Heyne fait cette remarque, (Apollodore, II, 5, 9) au sujet de la fable des Amazones : In his historiarum fidem aut vestigia nemo qua siverit. La sagesse de ce conseil admise (et je la crois incontestable), pourquoi nous demande-t-on de supposer, dans l’absence de toute preuve, une base historique pour chacun de ces antres récits, tels que la chasse du sanglier de Kalydôn, l’expédition des Argonautes, ou le siége de Troie, qui concourent à former, avec l’histoire des Amazones, ce qui constitue le fond de la foi légendaire grecque ? Si le conte des Amazones pouvait arriver à avoir cours sans un tel appui, pourquoi u’en serait-il pas de même pour d’autres parties de l’antique épopée ?

Un auteur disposé à croire facilement, Dr F. Nagel, soutient la réalité historique des Amazones (Geschichte der Amazonen, Stuttgart, 1838). J’ajoute ici une explication différente de ce conte, donnée par un autre auteur, qui rejette la base historique, explication contenue dans un ouvrage savant et important (Guhl, Ephesiaca, Berlin, 1843, p. 132) :

Id tantum monendum videtur, Amazonas nequaquam historice accipiendas esse, sed e contrario totas ad mytbologiam pertinere. Parum enim fabulas quum ex frequentium hierodularum grenibus in cultibus et sacris Asiaticis ortas esse in„ eniose osteuderit Tolken, jaco interomnes mytholoqiæ peritosconstat, Amazonibus nihil fere tuisi peregrini cujusdam cultûs notionem expressum esse, ejusque cum Græcorum religione certamen frequentibus istis pugnis designatum esse, quas cum Amazonibus tot Græcorum heroes habuisse credebantur, Hercules, Bellerophon, Theseus, Achilles, et vel ipse, quem Ephesi cultum fuisse supra ostendimus, Dionysus. Quæ Amazonum notio primaria, quant paulatim Euemeristicâ (ut ita dicam) ratione ita transformaretur, ut Amazones pro vero feminarum populo haberentur, necesse quoque erat, ut omnibus fere lotis, ubi ejusmodi religionum certamina locum habuerunt, Amazones habitasse, vel eo usque processisse, crederentur. Quod cum nusquam manifestius fuerit, quant in Asiâ Minore, et potissintum in eâ parte quæ Græciam versas vernit, haud mirandum est omnes fere ejus oræ urbes ab Amazonibus conditas putari.

Je ne connais pas le document sur lequel repose cette explication conjecturale, mais l’exposé qui en est fait, bien qu’on se vante d’avoir tant d’adhérents parmi les critiques versés dans la mythologie, ne présente à mon esprit aucune apparence de probabilité. Priam combat contre les Amazones aussi bien que contre les héros grecs.