HISTOIRE DE LA GRÈCE

PREMIER VOLUME

CHAPITRE VIII — GÉNÉALOGIES LACONIENNES ET MESSÉNIENNES.

 

 

Les plus anciens noms de la généalogie Laconienne sont ceux d’un indigène Lélex et d’une nymphe naïade Kleochareia. De ce couple naquit un fils, Eurôtas, et de celui-ci une fille, Sparta, qui devint l’épouse de Lacedæmôn, fils de Zeus et de Taygetê, fille d’Atlas. Amyklas, fils de Lacedæmôn, eut deux fils, Kynortas et Hyakinthos, — ce dernier beau jeune homme, le favori d’Apollon, qui le tua accidentellement en jouant au disque ; et c’était à cette légende que remontait la fête des Hyakinthia, qui fut célébrée pendant toute la durée des temps historiques par les Lacédœmoniens en général et par les Amyklæens avec une solennité spéciale. Kynortas eut pour successeur son fils Periêrês, qui épousa Gorgophonê, fille de Perseus, et eut une nombreuse progéniture, — Tyndareus, Ikarios, Apllareus, Leukippos et Hippokoon. Quelques auteurs présentaient la généalogie différemment ; ils faisaient de Periêrês, fils d’Æolos, le père de Kynortas, et d’Œbalos, le fils de Kynortas, de qui naissaient Tyndareus, Ikarios et Hippokoon[1].

Tyndareus et Ikarios, chassés tous deux par leur frère Hippokoon, furent forcés de chercher un asile dans la demeure de Thestios, roi de Kalydôn, dont Tyndareus épousa la fille Lêda. On compte parmi les exploits d’Hêraklês, le héros présent partout, qu’il tua Hippokoon et Ses fils ; et rétablit Tyndareus dans son royaume, créant ainsi pour les rois Hêraklides postérieurs un titre mythique au trône. Tyndareus, aussi bien que ses frères, sont des figures intéressantes dans le récit légendaire : il est le père de Kastôr, — de Timandra, mariée à Echémos, le héros de Tegea[2], et de Klytæmnêstra, mariée à Agamemnôn. Pollux et Hélène à jamais mémorable sont enfants de Lêda et de Zeus. Ikarios est le père de Penelopê, épouse d’Odysseus : le contraste entre sa conduite et celle de Klytæmnêstra et d’Hélène fut d’autant plus frappant par suite de leur étroite relation de parenté. Aphareus est le père d’Idas et de Lynkeus, tandis que Leukippos eut pour filles Phœbê et Ilaëira. Selon l’un des poèmes hésiodiques, Kastôr et Pollux furent tous deux fils de Zeus et de Lêda, tandis qu’Hélène n’était fille ni de Zeus ni de Tyndareus, mais d’Okeanos et de Têthys[3].

Les frères Kastôr et Pollux (Polydeukês) ne, sont pas moins célèbres par leur affection fraternelle que pour leurs éminentes qualités corporelles : Kastôr, le grand conducteur de chars et l’habile écuyer ; Pollux., le premier des pugiles. Ils sont compris tous deux parmi les chasseurs du sanglier de. Kalydôn et parmi les héros de l’expédition des Argonautes, dans laquelle Pollux réprima l’insolence d’Amykos, roi des Bébryces, sur la côte de la Thrace asiatique. Amykos, pugile gigantesque, aux coups duquel jamais adversaire n’avait échappé, provoque Pollux, mais est vaincu et tué dans le combat[4].

Les deux frères entreprirent aussi une expédition en Attique, dans le but de recouvrer leur soeur Hélène, qui avait été enlevée par Thêseus, dans sa première jeunesse, et déposée par lui à Aphidnê, tandis qu’il accompagnait Peirithoos dans les Enfers, voulant aider son ami à enlever Persephonê. La force de Kastôr et de Pollux étant irrésistible, et quand ils redemandèrent leur soeur, le peuple de l’Attique était jaloux de la rendre ; mais personne ne s’avait où Thêseus avait déposé son précieux butin. Les envahisseurs, ne croyant pas è, la sincérité de cette dénégation, se mirent ù ravager le pays, qui aurait été entièrement ruiné, si Dekelos, l’éponyme de Dekeleia (Décélie), n’eût, pu indiquer Aphidnê comme le lieu où était cachée Hélène. L’indigène Titakos livra Aphidnê à Kastôr et à Pollux, qui recouvrèrent Hélène : les frères, en évacuant l’Attique, emmenèrent en captivité 1Ethra, la mère de Thêseus. Dans les temps ultérieurs, où Kastôr et Pollux, sous le titre de Dioskures, vinrent à être honorés comme de puissants dieux, et où les Athéniens ressentirent une grande honte de cette action de Thêseus, la révélation faite par Dekelos fut considérée comme lui donnant un titre à la durable reconnaissance de son pays, aussi bien qu’au souvenir bienveillant des Lacédæmoniens, qui conservèrent aux Décéliens la jouissance constante de certains privilèges honorifiques à Sparte[5], et même respectèrent ce dême dans toutes les invasions qu’ils firent en Attique. Il n’est pas improbable que l’existence de cette légende ait eu quelque influence sur la détermination que prirent les Lacédæmoniens de choisir Dekeleia comme le point central de leur occupation pendant la guerre du Péloponnèse.

Le fatal combat qui eut lieu entre Kastôr et Pollux d’un côté, et Idas et Lynkeus (Lyncée) de l’antre, pour la possession des filles de Leukippos, fut célébré par plus d’un ancien poète, et forme le sujet de l’une des Idylles de Théocrite qui nous restent. Leukippos avait formellement fiancé ses filles à Idas et à Lynkeus ; mais les Tyndarides, devenus épris d’elles, renchérirent sur leurs rivaux pour l’importance des cadeaux de noce accoutumés, persuadèrent au père de violer sa promesse, et emmenèrent Phœbê et Ilaëira comme fiancées. Idas et Lynkeus les poursuivirent et leur remontrèrent l’injustice de leur procédé : selon Théocrite, ce fut la cause du combat, mais il existait un autre récit, qui semble le plus ancien, et qui attribue à la querelle un motif différent. Ces quatre personnages avaient fait de concert, en pillards, une incursion dans l’Arcadia, et avaient enlevé quelque bétail ; mais ils ne s’accordèrent pas sur le partage du butin ; Idas en emmena en Messênia une partie que les Tyndarides réclamèrent comme leur appartenant. Pour se venger et se dédommager, les Tyndarides envahirent la Messênia et se placèrent en embuscade dans le creux d’un vieux chêne. Mais Lynkeus, doué d’une vue d’une puissance surnaturelle, monta au sommet du Taygète, et de là, comme il pouvait étendre ses regards sur tout le Péloponnèse, il les découvrit à l’endroit qu’ils avaient choisi pour se cacher. Tel était le récit des anciens vers cypriens. Kastôr périt. de la main d’Idas, Lynkeus de celle de Pollux. Idas, saisissant une colonne de pierre de la tombe de son père Aphareus, la lança contre Pollux et le renversa parterre tout étourdi ; mais Zeus, s’interposant à ce moment critique pour protéger son fils, tua Idas d’un coup de foudre. Zeus aurait voulu accorder à Pollux le don de l’immortalité, mais celui-ci ne put supporter l’existence sans son frère : il sollicita la permission de partager le don avec Kastôr, et en conséquence il leur fut permis de vivre, mais seulement de deux jours l’un[6].

Les Dioskures, ou fils de Zeus, comme on nommait les deux héros Spartiates, Kastôr et Pollux, furent reconnus comme dieux dans les temps historiques de la Grèce et reçurent des honneurs divins. Ce fait est même mentionné dans un passage de l’Odyssée, qui est sans aucun doute une très ancienne interpolation, aussi bien que dans l’un des hymnes homériques. Ce qui est encore plus remarquable, c’est qu’on les invoquait, pendant les tempêtes en mer, comme les protecteurs spéciaux et tout-puissants des marins en danger, bien que leurs attributs et leur célébrité semblent avoir un caractère tout différent. Ils étaient adorés dans le plus grand nombre des contrées de la Grèce ; mais leur culte avait un degré de sainteté supérieur à Sparte.

Kastôr et Pollux étant écartés, la généalogie spartiate passe de Tyndareus à Menelaos, et de celui-ci à Orestês.

Dans l’origine, il paraît que Messênê était le nom de la partie occidentale de la Laconie, confinant à ce qui est appelé Pylos : c’est ainsi qu’elle est représentée dans l’Odyssée ; et Éphore semble l’avoir comprise au nombre des possessions d’Orestês et de ses descendants[7]. Pendant toute la durée du royaume Messênico-Dôrien, il n’y eut jamais de ville appelée Messênê : la cité de ce nom fut fondée pour la première fois par Epaminondas, après la bataille de Leuktra. La généalogie héroïque de la Messênia part du même nom que celle de la Laconie, de l’indigène Lélex : Polykaôn, son fils cadet, épouse Messênê, fille de l’Argien Triopas, et colonise sa contrée. Pausanias nous dit que la postérité de ce couple occupa le pays pendant cinq générations ; mais il chercha en vain les anciens poèmes généalogiques pour trouver les noms de leurs descendants[8], Ils eurent pour successeurs Periêrês, fils d’Æolos ; et Aphareus et Leukippos, selon Pausanias, furent fils de Periêrês.

Aphareus, après la mort de ses fils, fonda la ville d’Arène, et céda la plus grande partie de ses États à son parent Nêleus, avec lequel nous passons dans la généalogie Pylienne.

 

 

 



[1] Cf. Apollodore, III, 10, 4. Pausanias III, 1, 4.

[2] Hésiode, ap. Schol. Pindare, Olymp., XI, 79.

[3] Hésiode, ap. Schol. Pindare, Nem., X, 150. Fragm. Hésiode, Düntzer, 58, p. 44. Tyndareus était adoré comme dieu à Lacédæmone (Varron ap. Serv. ad. Virgil., Énéide, VIII, 275).

[4] Apollon. Rhod. II, 1-96. Apollodore, I, 9, 20. Théocrite, XXII, 26-133. Dans le récit d’Apollonius et d’Apollodore, Amykos est tué pendant la lutte : dans celui de Théocrite, il est seulement vaincu et forcé de céder, avec la promesse de renoncer pour l’avenir à sa brutale conduite. Il y avait plusieurs récits différents. V. Schol. Apoll. Rhod., II, 106.

[5] Diodore, IV, 63. Hérodote, IX, 73. Selon d’autres auteurs, ce fut Akadêmos qui fit la révélation, et le lieu appelé Akadêmia (Académie), près d’Athènes, que les Lacédæmoniens épargnèrent en considération de ce service (Plutarque, Thêseus, 31, 32, 33, où il donne plusieurs versions différentes de ce conte par des écrivains attiques, faites en vue de disculper Thêseus).

On voyait représentés sur l’ancien coffre de Kypselos, les frères reprenant Hélène et emmenant en captivité Æthra, avec la curieuse inscription suivante : — Τυνδαρίδα Έλέναν φέρετον, Αίθραν δ̕Άθέναθεν Έλxετον. Pausanias, V 19, 1.

[6] Cypria, Carm. Fragm. 8, p. 13, Düntzer. Lycophrôn, 538-566, avec les Schol. Apollod., III, 11, 1. Pindare, Nem., X, 55-90 ; et encore Homère, Odyssée, XI, 302, avec le Commentaire de Nitzsch, vol. III, p. 245. Le combat finit ainsi d’une manière plus favorable aux Tyndarides : mais probablement le récit qui leur est le moins favorable est le plus ancien, puisque leur dignité alla toujours en augmentant, jusqu’à ce qu’enfin ils devinssent de grandes divinités.

[7] Odyssée, XXI, 15. Diodore, XV, 66.

[8] Pausanias, IV, 2, 1.