PREMIER VOLUME
Dans Deukaliôn est important dans le récit mythique grec à un double point de vue. D’abord, c’est l’homme qui a été spécialement sauvé à l’époque du déluge général ; en second lieu, il est le père d’Hellên, le grand éponyme de la race hellénique ; du moins, telle est l’histoire qui avait le plus cours, bien qu’il y eût d’autres récits qui faisaient d’Hellên le fils de Zeus. Le nom de Deukaliôn est originairement rattaché aux villes lokriennes de Kynos et d’Opos, et à la race des Lélèges, mais il parait finalement comme fixé en Thessalia, et régnant sur la partie de cette contrée appelée Phthiôtis[2]. D’après ce qui semble avoir été l’ancien récit légendaire, c’est le déluge qui le transporta d’un pays dans l’autre ; mais d’après une autre relation, composée dans des temps plus disposés il transformer la légende en histoire, il conduisit un corps de Kurêtes et de Lélèges en Thessalia, et chassa les Pélasges, les premiers occupants[3]. Les iniquités horribles dont la terre était souillée, — comme
le dit Apollodore, par la race d’airain existant alors, ou, Selon d’autres,
par les cinquante fils monstrueux de Lykaôn, — engagèrent Zeus à envoyer un
déluge général[4].
Une pluie incessante et terrible couvrit d’eau toute On crut fermement à la réalité de ce déluge durant tous
les temps historiques de Deukaliôn et Pyrrha eurent deux fils : Hellên et Amphiktyôn, et une fille Prôtogeneia, qui eut de Zeus un fils nommé Aëthlios ; cependant beaucoup d’auteurs soutenaient qu’Hellên était fils de Zeus, et non de Deukaliôn. Hellên eut d’une nymphe trois fils : Dôros, Xuthos et Æolos. Il donna, à ceux qui auparavant avaient été appelés Grecs[10], le nom d’Hellênes, et partagea son territoire entre ses trois enfants. Æolos régna en Thessalia ; Xuthos reçut le Péloponnèse, et eut de Kreüsa pour fils, Achæos et Iôn ; tandis que Dôros occupa le pays placé en face du Péloponnèse, sur le côté septentrional du golfe de Corinthe. D’après les noms de ces trois personnages, les habitants de leurs contrées respectives furent appelés Æoliens, Achæens, Ioniens et Dôriens[11]. Voilà la généalogie telle que nous la trouvons dans Apollodore. Pour ce qui est des noms et des filiations, il y a bien des points dans cette généalogie qui sont donnés différemment, ou implicitement contredits, par Euripide et d’autres écrivains. Bien que, comme histoire littérale et personnelle, elle ne mérite pas d’être remarquée, sa portée est à la fois intelligible et compréhensive. Elle explique et symbolise la première réunion fraternelle des hommes helléniques, en même temps que leur distribution territoriale et les institutions qu’ils vénéraient collectivement. Toutes les sections des Grecs avaient en commun deux
grands centres d’union. L’un était l’assemblée amphiktyonique, qui se
réunissait semi annuellement, alternativement à Delphes et aux Thermopylæ ;
dans l’origine, spécialement pour, des projets religieux communs, mais indirectement,
et par occasion, embrassant en même temps des objets politiques et sociaux. L’autre
était les fêtes ou jeux publics, parmi lesquels les jeux Olympiques étaient
les premiers en importance ; ensuite les jeux Pythiens, les Néméens et les
Isthmiques, — institutions qui combinaient des solennités religieuses avec
sine effusion récréative et de cordiales sympathies d’une manière si
imposante et si incomparable. Amphiktyôn représente la première de ces
institutions, et Aëthlios la seconde. Comme l’assemblée amphiktyonique se
rattachait toujours spécialement aux Thermopyles et à Après avoir ainsi trouvé La généalogie est essentiellement postérieure à Homère ; car
Homère ne tonnait Le récit qui rapporte que les Dôriens furent, une époque
les possesseurs ou les principaux possesseurs de l’étendue du pays situé
entre le fleuve Achelôos et le côté septentrional du golfe de Corinthe, s’accorde
mieux du moins avec les faits attestés par des preuves historiques que les
légendes données dans Hérodote, qui représente les Dôriens comme étant
primitivement dans Nous avons déjà mentionné que la généalogie, qui fait d’Æôlos,
de Xuthos et de Dôros les fils d’Hellên, est aussi ancienne que le Catalogue
hésiodique : probablement aussi celle qui fait d’Hellên le fils de Deukaliôn.
Aëthlios aussi est un personnage hésiodique. Amphiktyôn l’est-il ou non ?
Nous n’avons pas de preuve sur ce point[17]. Il était
impossible qu’ils eussent été introduits dans la généalogie légendaire avant
que les jeux olympiques et le concile amphiktyonique eussent conquis un
respect bien établi et étendu dans toute Au sujet de Dôros, fils d’Hellên, nous ne trouvons ni légende
ni généalogie légendaire ; au sujet de Xuthos, bien peu au delà du conte
de Kreüsa et d’Iôn, qui a sa place plus naturellement parmi les fables
attiques. Achæos cependant, qui est ici représenté comme fils de Xuthos,
paraît dans d’autres récits avec une origine et un entourage bien différents.
Selon l’assertion que nous trouvons dans Denys d’Halicarnasse, Achæos,
Phthios et Pelasgos sont fils de Poseidôn et de Larissa. Ils émigrent du
Péloponnèse en Thessalia, et se partagent le territoire thessalien, donnant
leurs noms à ses principales divisions. Leurs descendants è, la sixième
génération furent chassés de cette contrée par l’invasion de Deukaliôn à la
tête des Kurêtes et des Lélèges[18]. Tel était le
récit de ceux qui voulaient donner un éponyme aux Achæens dans les districts
méridionaux de Euripide aussi s’éloigne d’une manière très considérable
de la généalogie hésiodique par rapport à ces personnages éponymes. Dans le
drame appelé Iôn, il représente Iôn comme fils de Kreüsa et d’Apollon, mais
adopté par Xuthos. Selon lui, les fils réels de Xuthos et de Kreüsa sont
Dôros et Achæos[20],
éponymes des Dôriens et des Achæens dans l’intérieur du Péloponnèse. Et un
point de différence plus capital, c’est qu’il omet complètement Hellên,
faisant de Xuthos, Achæen de race, le fils d’Æolos, lequel est fils de Zeus[21]. C’est d’autant
plus remarquable que, clans les fragments de deux autres draines d’Euripide,
Melanippè et Solos, nous trouvons Hellên mentionné à la fois comme père d’Æolos
et comme fils de Zeus[22]. Le public, en
général, même clans la cité la plus éclairée de |
[1] Schol. ad Apollon. Rhod. III, 1085. D’autres récits de la généalogie de Deukaliôn sont donnés dans les Schol. ad Homer., Odyssée, X, 2, sur l’autorité et d’Hésiode et d’Acusilas.
[2] Catalogue Hésiodique, Frag. XI ; Gaisf. LXX. Düntzer.
La descendance censée de Deukaliôn se continua à Phthie jusqu’au temps de Dicéarque, si nous pouvons en juger par le vieux Phérécrate de Phthie, qu’il introduisit dans un de ses dialogues comme interlocuteur, et qu’il déclara expressément descendre de Deukaliôn (Cicéron, Tuscul. Disp., I, 10).
[3] La dernière relation est donnée par Denys d’Halicarnasse, I, 17 ; la première semble due à Hellanicus, qui assurait qu’après le déluge l’arche s’arrêta sur le mont Othrys, et non sur le mont Parnassos (Schol. Pind., ut sup.), le premier convenant mieux pour un établissement en Thessalia.
Pyrrha est l’héroïne éponyme de Pyrrhæa ou Pyrrha, le
nom ancien d’une partie de
Hellanicus avait écrit un ouvrage aujourd’hui perdu, intitulé Δευxαλιώνεια ; tous les fragments qui en sont cités se rapportent à des lieux situés en Thessalia, en Lokris et en Phokis. V. Preller, ad Hellanicum, p. 12 (Doerpt. 1840). Probablement Hellanicus est la principale source de la position importante qu’occupe Deukaliôn dans la légende grecque. Thrasybule, et Acestodore représentaient Deukaliôn comme ayant fondé l’oracle de Dôdônê, immédiatement après le déluge (Étym. Mag., v. Δωδωναϊος).
[4] Apollodore rattache ce déluge à la méchanceté de la race d’airain dans Hésiode, suivant l’habitude générale des logographes de lier ensemble une suite de légendes qui n’ont absolument aucune connexion entre elles (I, 7, 2).
[5] Hésiode, Fragm. 135, éd. Mirkts. ap. Strabo. VII, p. 322, où le mot proposé par Heyne comme la leçon du texte inintelligible, me paraît préférable à toutes les autres conjectures. Pindare, Olymp., IX, 47. Άτερ δ̕ Εύνάς όμόδαμον Κτηάσθαν λίθινον. Λαοί δ̕ώνόμασθεν. Virgile, Georg., I, 63. Unde homines nati, durum genus. Epicharm. ap. Schol. Pind., Olymp., IX, 56 ; Hygin. f. 153. Philochore conservait l’étymologie, bien que, pour l’expliquer, il donnât une fable totalement différente, sans aucun lien avec Deukaliôn ; preuve curieuse du plaisir qu’y trouvait l’imagination des Grecs (V. Schol. ad. Pind., l. c., 68).
[6] Apollodore, I, 7, 2. Hellanic., Fr. g. 15, Didot. Hellanicus affirmait que l’arche s’arrêta sur le mont Othrys, non sur le mont Parnassos (Fragm. 16. Didot). Servius (ad Virgil., Eclog., VI, 41) la plaçait sur le mont Athos, Hyginus (f. 153), sur le mont Ætna.
[7] Tatien adv. Græc., c. 60, adopté et par Clément et par Eusèbe. Les marbres de Paros plaçaient ce déluge sous le règne de Kranaos, à Athènes, 752ans avant la première Olympiade dont il soit fait mention, et 1528 ans avant l’ère chrétienne ; Apollodore aussi le place sous le règne de Kranaos, et sous celui de Nyctimos en Arcadia (III, 8, 2 ; 14, 5).
Le déluge et l’ekpyrosis ou conflagration sont aussi rattachés l’un à l’autre dans Servius ad Virg., Bucol., VI, 41 : il les condense en une mutationem temporum.
[8] Aristote, Météorologie, I, 14. Justin enlève à la fable son caractère surnaturel en nous disant que Deukaliôn, étant roi de Thessalia, donna asile et protection aux hommes qui avaient échappé au déluge (II, 6, 11).
[9] Pausanias, I, 18, 7 ; 40, 1. Selon les marbres de Paros (s. 5), Deukaliôn était venu à Athènes après le déluge, et y avait fondé lui-même le temple de Zens Olympien. L’étymologie que donne Voelcker des noms de Deukaliôn et de Pyrrha, en les allégorisant, dans son ingénieuse Mythologie des Iapetischen Geschlechts (Giessen, 1824), ne me parait nullement convaincante.
[10] Telle est l’assertion d’Apollodore (I, 7, 3) ; mais je ne puis me décider à croire que le nom Γραϊxοί (Grecs) soit quelque peu ancien dans la légende, ou que le passage d’Hésiode, dans lequel Græcus et Latinus sont supposés être mentionnés, soit authentique.
V. Hésiode, Théog., 1013, et Catalogue, Fragm. 29, éd. Goettling, avec la note de Goettling ; de plus, Wachsmuth, Hellen. Alterth., I, 1, p. 311, et Bernhardy, Griech. literat., vol. I, p. 167.
[11] Apollodore, I, 7, 4.
[12] Ce qui peut prouver combien d’une manière littérale et implicite même les Grecs les plus capables croyaient à ces personnages éponymes, tels que Hellên et loin, comme étant les auteurs réels des races appelées de leurs noms, c’est qu’Aristote donne cette descendance commune comme la définition de γένος (Métaph., IV, p. 118, Brandis).
[13] Hésiode, Fragm. 8, p. 278, éd. Marktsch.
[14] Apollodore I, 7, 3.
Strabon (VIII, p. 383) et Conon (Nar., 27) qui, évidemment, copient d’après la même source, représentent Dôros comme allant s’établir dans le territoire particulièrement connu sous le nom de Dôris.
[15] Apollodore, I, 7, 6.
[16] Hérodote, I, 56.
[17] Schol. Apollod. Rhod., IV, 57.
Au sujet de l’extraction d’Hellên, les renseignements empruntés à Hésiode sont très confus. Cf. Schol. Hom., Odyssée, X, 2, et Schol. Apollon. Rhod. III, 1086. V. aussi Hellanic., Fragm. 10. Didot.
Apollodore et Phérécyde avant lui (Fragm. 51, Didot), appelaient Prôtogeneia fille de Deukaliôn ; Pindare (Olymp., IX, 64) la désignait comme fille d’Opos. Un des artifices mentionnés par le Scholiaste pour se débarrasser de cette contradiction généalogique était la supposition que Deukaliôn avait deux noms (διώνυμος) ; qu’il se nommait aussi Opos (Schol. Pind., Olymp., IX, 85).
Hésiode et Hécatée ont mentionné tous deux que les Deukalides ou postérité de Deukaliôn régnèrent en Thessalia, ap. Schol. Apollon. Rhod., IV, 265.
[18] Denys d’Halicarnasse, A. R., I, 17.
[19]
Pausanias, VII, 1, 1-3. Hérodote aussi mentionne (II, 97) Archandros fils de
Phthios et petit-fils d’Achæos, qui épousa la fille de Danaos. Larcher (Essai sur
Strabon semble donner un récit différent au sujet des
Achæens dans le Péloponnèse. Il dit qu’ils formaient la population primitive de
[20] Euripide, Ion, 1590.
[21] Euripide, Ion, 64.
[22] V. les Fragments de ces deux pièces dans l’édition de Matthiæ. Cf. Welcker, Griechisch. Tragoed., v. II, p. 843. Si nous pouvons juger d’après les fragments de la pièce latine d’Ennius, Melanippè (V. Fragm. 2, éd. Bothe), Hellên était introduit comme un des personnages de la pièce.