Sauf un maigre faubourg qu'elle pousse au delà du canal de Handzaeme, Dixmude est tout entière étalée sur la rive droite de l’Yser. Cependant notre front de défense générale, à la date du 16 octobre, en amont et en aval de la ville, déborde sensiblement le tracé du fleuve : de Saint-Jacques-Cappelle à la mer du Nord, par Beerst, Keyem, Leke, Saint-Pierre, etc., petites agglomérations rurales, hier inconnues, endormies dans la douce paix flamande et qui vont s’éveiller au coup de tonnerre de l’invasion, l’arc de cercle qu’il décrit suit à peu près sur tout son parcours, jusqu’à Stype, l’accotement du chemin de fer routier d’Ypres à Ostende. Les fusiliers flanquent ce front, de Saint-Jacques au confluent du Viret. Les 1re, 2e, 4e et 5e divisions belges occupent le reste du fer à cheval, mais les effectifs de ces divisions étiques n’ont pas été complétés ; certains régiments sont tombés de 6.000 à 2.000 hommes ; des compagnies entières ont fondu. Ces débris continuent de faire tête avec un beau courage. Jusques à quand ? Comme à nos fusiliers, on leur a demandé de tenir quatre jours, et c’est le 23 octobre seulement, au bout de neuf jours, qu’arriveront les renforts du général Grossetti[1]. L’amiral avait partagé la défense de Dixmude en deux secteurs, coupés par la route de Caeskerke : le secteur nord, confié au 1er régiment (commandant Delage), et le secteur sud, confié au 2e régiment (commandant Varney). Il avait placé son poste de commandement à la gare de Caeskerke, au point de jonction des lignes de Fûmes et de Nieuport, ne gardant à sa disposition qu’un bataillon du 2 e régiment. Des deux batteries du groupe belge, l’une s’était défilée au sud du deuxième passage à niveau de la voie ferrée de Fûmes, l’autre au nord de Caeskerke. Une ligne téléphonique les reliait à la grande minoterie de Dixmude située à l’entrée du Flaut-Pont et dont la plate-forme en ciment armé nous offrait un excellent observatoire. L’épaisseur de ce massif de béton, aussi coûteux que disproportionné à l’importance de l’établissement, mais très propre à recevoir de l’artillerie lourde qui battrait de là toute la vallée de l’Yser, ne laissait pas d’inspirer certaines réflexions : c’est peut-être une des rares occasions où les préparatifs de l’avant-guerre auront tourné contre leurs auteurs. La compagnie des mitrailleuses se tenait à la croisée des routes de Pervyse et d’Oudecappelle ; dans les tranchées de l’Yser nous avions surtout des troupes belges ; au sud enfin, débouchant de la forêt d’Houthulst avec quatre divisions de cavalerie[2], le général de Mitry lançait une pointe hardie sur Clercken et nous soulageait un peu de ce côté, sans parvenir à enrayer l’offensive allemande qui se déployait en force à quatre heures de l’après-midi. Suivant son habitude, l’ennemi avait commencé par préparer le terrain à l’aide de son artillerie, qui, du plissement où elle s’était défilée, aux abords d’Eessen, à l’est de Dixmude, nous couvrait des projectiles de ses canons de 10 et de 15 centimètres. A peine les derniers flocons des batteries allemandes s’étaient-ils dissipés que l’infanterie attaqua : l’action fut assez chaude et se prolongea pendant toute la nuit et la matinée du 17, avec des alternatives violentes d’avance et de recul. L’ennemi, désireux d’en finir d’un coup, se présentait en masses compactes dans lesquelles nos mitrailleuses et nos feux de salve ouvraient des brèches sanglantes. Ces bastions mouvants oscillaient pendant quelques secondes, rebouchaient leurs brèches et revenaient en formations aussi serrées qu’avant. Aucun réseau de fils barbelés ne protégeait les abords de nos tranchées ; la plupart n’avaient ni toit, ni créneaux. Dans ces installations de fortune, le succès de la résistance dépendait uniquement de l’intrépidité des hommes et de l’adresse du commandement. Quelques éléments furent perdus, repris, perdus et repris encore. Mais, dans l’ensemble, notre ligne se maintint : l’ennemi ne put pénétrer dans la défense. Au petit jour, découragé, il suspendit l’attaque ; mais, comme un chien qui s’éloigne en grondant, il n’arrêta de nous canonner qu’à onze heures du matin. Après, note le fusilier R..., tout bruit cesse. Dixmude a peu souffert ; les dégâts causés par les obus sont insignifiants. Mais il est vrai que l’ennemi n’avait pas reçu encore son artillerie lourde. On profita du répit qu’il nous accordait pour refaire les
tranchées des lisières extérieures, quelque peu endommagées, et commencer l’organisation
des autres ; le travail, d’ailleurs, était repris à chaque accalmie, mais il
s’exécutait surtout la nuit et le matin, de cinq à neuf heures, jusqu’au
lever de la brume. A cette heure-là, généralement, avec la clarté, la
canonnade reprenait : nos pièces étaient trop faibles et en trop petit nombre
pour répliquer efficacement à l’ennemi. Aussi la brigade accueillit-elle avec
un vrai soulagement le renfort qui lui arriva dans la journée du 17 : cinq
batteries du 3e régiment d’artillerie belge (colonel
Wleschounes) qui, ajoutées au groupe Ponthus, allaient donner à la
défense de Dixmude un total respectable de soixante-douze bouches à feu, sans
grande portée malheureusement et d’un métal trop peu résistant pour nos obus
de 75. Telles quelles, réparties de Caeskerke à Saint-Jacques-Cappelle[3], notre front s’en
trouva singulièrement amélioré. L’amiral, qui voulait s’en réserver l’emploi,
fit relier téléphoniquement cette artillerie à son poste de commandement :
une bataille se dirige aujourd’hui du fond d’un cabinet. Néanmoins il
autorisa d’une façon permanente les batteries à ouvrir
instantanément le feu de jour comme de nuit sur les abords de Dixmude, toutes
les fois que la fusillade et particulièrement le bruit des mitrailleuses
indiquerait qu’une attaque d’infanterie était dirigée contre nos tranchées. Son échec du 16 octobre avait-il induit notre adversaire à plus de circonspection ? Comme il nous avait laissé respirer dans l’après-midi du 17, il nous donna campos toute la journée du dimanche 18. On ne signala que deux ou trois patrouilles de cavalerie vers Dixmude et qui furent rapidement dissipées par quelques volées d’artillerie. Ce jour-là encore, nos fusiliers eurent une heureuse surprise : un officier de haute taille, silencieux, aux yeux graves, sanglé dans son dolman noir, vint visiter avec l’amiral les tranchées de l’Yser. Son inspection avait dû le satisfaire. Il serra la main de l’amiral et, remonté sur la berge, s’arrêta un moment pour contempler le triangle de marécages qui faisait à présent tout son royaume : c’était Albert Ier. D’autres nouvelles arrivaient du front, qui étaient de nature à nous inspirer confiance. Malgré la chute de Lille, nos armées du Nord avaient pris l’offensive de Roye à la Lys, avec un succès marqué : du quartier général anglais ordre était donné au 1er corps de se concentrer à Ypres, d’où il essaierait de se porter dans la direction de Bruges[4]. Ce mouvement stratégique avait même reçu un commencement d’exécution et la cavalerie française qui venait d’enlever Clercken pouvait être considérée comme l’avant-garde du corps de sir Douglas Haig. Elle demandait à l’amiral de la faire appuyer en flanc pour continuer sur Zarren et Thourout. L’amiral détacha immédiatement vers Eessen le commandant Mauros avec un bataillon du 2e régiment et deux automitrailleuses belges. La route était libre, jonchée de cadavres de chevaux, même de soldats, comme après une retraite précipitée. L’ennemi semblait s’être volatilisé. Mais à Eessen, l’église, dont il avait fait son écurie, comme il fera de l’église de Vladsloo une sentine, par vieux goût luthérien du sacrilège, gardait les traces toutes fraîches de son passage. Ces fumées de la bête ne nous renseignaient pas sur la direction qu’elle avait prise. Plusieurs routes s’ouvraient devant elle. Le plus vraisemblable est qu’averti du mouvement de la cavalerie française l’ennemi se retirait sur Bruges par Wercken ou Vladsloo. A tout hasard, le commandant Mauros s’était installé en halte gardée à Eessen pour y attendre le jour, cependant que deux régiments de goumiers[5], qui avaient été mis pour la circonstance à la disposition de l’amiral et qui assuraient sa liaison avec le gros du corps opérant sur Thourout, partaient en fourrageurs vers Bovekerke et les bois de Couckelaere. On atteignit ainsi la matinée, et l’exécution du plan français semblait devoir se poursuivre normalement, quand un terrible coup de boutoir de l’ennemi, sur un point où on ne l’attendait pas, vint brusquement tout compromettre. En réalité les Allemands n’avaient pas battu en retraite. Ou plutôt ils ne s’étaient repliés que pour reprendre le contact plus loin et dans des conditions plus favorables. Renseignés sur le genre d’accueil qui les attendait à Dixmude, ils voulaient tâter un autre point du front, dans l’espoir que les petits Belges se montreraient de meilleure composition que les demoiselles au pompon rouge. Vers neuf heures, dans la matinée du 19, en trois bonds simultanés, ils se jetaient, à Leke, à Keyem et à Beerst, sur la mince ligne belge, qui chancelait sous le choc. Pourrons-nous la soutenir à temps ? Qu’elle soit enfoncée, et c’est la route ouverte vers l’Yser, l’Yser emporté peut-être, Dixmude prise à revers. L’amiral n’hésite pas : toute la brigade donnera, s’il le faut. Il pousse à marche forcée deux des bataillons de sa réserve sur là route d’Ostende, un autre (commandant Mauros) en flanc sur Vladsloo et Hoograde. L’artillerie appuie le mouvement, qui commence à dix heures. Mais il est impossible de savoir si Keyem et Beerst sont aux mains des Belges ou des Allemands et, dans le doute, l’artillerie n’ose les fouiller. Les deux villages s’enveloppent d’un silence de mauvais augure. Le commandant Jeanniot et le commandant Pugliesi-Conti, qui marchent sur Keyem avec le 1er et le 2e bataillons du 2e régiment, prennent leurs dispositions en conséquence : tandis que la 6e compagnie du 2e bataillon s’avance vers Keyem, avec le lieutenant de vaisseau Pertus, la 5e compagnie, commandée par le lieutenant de vaisseau de Maussion de Candé, reçoit l’ordre de se porter sur Beerst. De Maussion fait mettre sa compagnie en ligne de sections par quatre. Aux approches du village, il est accueilli par une salve de mitraille ; les Allemands sont retranchés dans les maisons et l’église, d’où ils dirigent un feu nourri sur nos troupes. L’attaque de la position est rendue singulièrement difficile par la nature du terrain, complètement plat, et sans autre abri que les fossés d’irrigation et quelques haies défeuillées ; on ne peut s’en approcher qu’en rampant. Nous perdons pas mal d’hommes dans cette manœuvre de déploiement, si peu conforme à la nature impulsive des marins : toute tête qui émerge est une cible ; de Maussion, qui s’est mis debout, pour inspecter la position ennemie, tombe foudroyé. A chaque instant quelqu’un des nôtres roule dans les betteraves. La charge ne sonnera donc pas ? Elle sonnera. Mais trop tôt encore. Pertus, qui est entré dans Keyem, culbute le premier, la jambe broyée, au moment où il emportait le village : on lui détache en soutien le lieutenant de vaisseau Hébert avec la 8e compagnie. Mais les fossés de la route sont déjà remplis par les hommes du 1er bataillon, et le capitaine Hébert doit obliquer à travers champs pour éviter cette route encombrée. Le feu que nous recevions était devenu très vif. Il nous prenait par le flanc et nous risquions d’être anéantis avant d’avoir atteint notre objectif : la compagnie Hébert fit donc un à- droite et marcha sur la lisière des bois et des maisons situés entre Beerst et Keyem, lisière où semblaient se tenir l’infanterie et l’artillerie ennemies. Hébert se retranche dans une ferme avec la 3e section ; l’enseigne de Blois et l’officier des équipages Fossey, avec la 1e et la 2e section, se déploient en tirailleurs, face au boqueteau. De haie en haie et de watergand en watergand, appuyés par la section de mitrailleuses du lieutenant de vaisseau de Roucy, ils parviennent jusqu’à 500 mètres de la position ennemie, en liaison avec le commandant Jeanniot qu’une manœuvre semblable a porté sur leur gauche à la même hauteur. — Je crois que c’est le moment de faire le bond, dit le commandant. — En avant ! crie de Blois à ses hommes. Fossey donne le même ordre : les deux sections s’élancent de leurs tranchées provisoires sous une pluie de balles. Plusieurs hommes basculent ; Fossey est tué, de Blois grièvement blessé à la tête et à la jambe[6] : le reste des sections se débande vers la ferme où Hébert, par les meurtrières qu’il a réussi à ouvrir aux étages supérieurs, truqués par leurs premiers occupants de telle sorte qu’on ne pût pas tirer, essaie d’arrêter la contre-attaque ennemie, jusqu’au moment où une batterie invisible défonce les murs, blesse ses deux lieutenants et l’oblige à se replier. Lui-même, en se défilant par les fossés, est atteint de deux balles[7] ; l’enseigne du Reau, qui s’est levé de son abri pour se porter en avant, a l’épaule fracassée ; les pertes du bataillon Jeanniot, dont les sections ont continué l’attaque et laissé cent dix des leurs sur le carreau, sont bientôt si fortes qu’il faut le ramener en arrière. C’est alors que le colonel du 2e régiment, ralliant les débris des compagnies engagées et sans cesser de se couvrir vers Keyem, fait masse de toutes ses forces, prend leur tête et, après avoir rampé jusqu’à deux cents mètres de la position, se jette en foudre sur Beerst. Son exemple électrise les hommes. On sent qu’ils se feront hacher cette fois plutôt que de céder le terrain ; pour être plus libres de leurs mouvements, certains ont décapelé leurs capotes. Le vieux sang corsaire gronde en eux. Ce n’est plus la charge, c’est l’abordage, où, comme aux temps héroïques, le premier qui saute sur le pont ennemi, sabre aux dents, pistolets au poing, est le chef de la bordée. Derrière le colonel du 2e régiment, redevenu le commandant Varney, tout l’équipage se rue. Mais, une maison enlevée, il faut prendre d’assaut la suivante. Cependant l’attaque progresse. L’amiral, pour lui conserver son souffle, la fait soutenir par un nouveau bataillon de sa réserve (commandant de Kerros), que le bataillon Jeanniot, trop éprouvé, ira remplacer à Dixmude. Le bataillon Mauros débouche dans le même temps de Vladsloo d’où il a délogé l’ennemi avec l’aide des automitrailleuses de la brigade belge[8] ; la 5e division alliée prolonge le front de combat à droite et en arrière. Et, tout de suite, on voit les effets de cette heureuse disposition tactique : l’ennemi, qui a mis en action son artillerie, tâtonne à la recherche de nos pièces défilées au nord de Dixmude ; à cinq heures de l’après-midi, nous sommes maîtres de Beerst. Les baïonnettes peuvent se reposer : elles ont fait du bon travail ; dans les rues, les cours des fermes, on marche sur une litière de cadavres. Mais la nuit tombe ; l’amiral, qui s’est porté sur la ligne de feu, ordonne au commandant Varney d’organiser immédiatement les abords du village en prévision d’un retour offensif de l’ennemi. Nos hommes s’y mettent allègrement ; ils sont encore dans tout l’enivrement de leur coûteuse victoire[9]. A peine la pioche en main, un contre-ordre : du quartier général belge, on nous commande de nous replier sur nos anciennes positions. La brigade rentre à onze heures du soir dans ses cantonnements de Caeskerke et de Saint-Jacques-Cappelle. Derrière elle, l’horizon flambe ; c’est Vladsloo que l’ennemi a réoccupé et qui dresse le coq rouge sur ses toits. |
[1] Les effectifs belges qui vont coopérer avec nous à la défense de Dixmude ne se montrèrent pas inférieurs à ceux du bas et moyen Yser et si, au lieu d'un historique de la brigade, nous avions fait ici un exposé général des opérations, la plus simple équité nous eût commandé de restituer à ces troupes la part qui leur revient dans la défense. Elle fut assez belle pour que le général en chef des armées chargeât le général Foch d'aller porter au général Meyser, dont la brigade s’était particulièrement distinguée à Dixmude, la cravate de commandeur de la Légion d’honneur et pour que deux des drapeaux de cette même brigade, le 11e et le 12e, fussent décorés par le Roi et autorisés à inscrire dans leurs plis le nom de la glorieuse cité. Nous n'avons pas davantage insisté, et pour les mêmes raisons, sur l’actif et brillant concours que nous prêtèrent les quelques centaines de Sénégalais qui, vers la fin, furent adjoints aux fusiliers.
[2] C'est ce corps qui gardait l'Yser vers Loo. Avec une magnifique audace, le général d’Urbal, avant même d’être en possession de toutes ses forces, le jetait sur la forêt d'Houthulst, d'où il devait débusquer les Allemands, pour marcher ensuite sur Thourout et Roulers, tandis que sir Rawlinson marcherait sur Menin.
[3] Un groupe sur l’Yser, au nord de Caeskerke, un au sud d'Oostkerke, un à la ferme Bien-Acquis, un à Kappelhock, un à Saint-Jacques-Cappelle.
[4] Cf. Rapport du maréchal French. On sait que ce mouvement, prononcé le 21 octobre, fut arrêté sur la ligne Zonnebeke-Saint-Julien-Langermack-Bischoote.
[5] Sous les ordres du colonel du Jonchay.
[6] On sait que, sous le pseudonyme d’Avesnes, le comte de Blois a publié les souvenirs de voyage, des contes et un roman maritime, la Vocation, d'une délicatesse de sentiment et d’une finesse d'analyse peu communes. Il n’est que juste de nommer ici le quartier-maître Echivant qui emporta sous les balles son officier blessé et le ramena en arrière.
[7] Une à une les compagnies de mon bataillon furent engagées. La mienne prit position dans une ferme. En l’inspectant, je m'aperçus qu’elle était truquée : les murs du côté regardant Dixmude étaient percés de meurtrières ; du côté opposé, au contraire, tout était arrangé de telle sorte qu’on ne pût pas tirer. Il fallut construire des échafaudages pour arriver aux fenêtres surélevées... Et, quelques instants après, une batterie invisible nous couvrit d’obus. Les shrapnells labouraient le sol, les percutants enfonçaient les murs, mes hommes tombèrent, mes deux lieutenants furent blessés. En se défilant dans les fossés, nous pûmes sortir. Des tireurs habiles dissimulés dans les arbres nous décimaient. Et brusquement mon bras gauche me fit un mal horrible, une balle m’avait déchiré les muscles du coude au poignet. Une autre me frappa au cœur, traversant un bloc-notes, un manuel d’officier en campagne et s’arrêta sur mon portefeuille. Je tombai. Mes hommes m'emportèrent sous le feu. Ma dernière vision est un ballon captif qui se dandinait au-dessus des bois et dirigeait le tir de la batterie ennemie. (B. KIMLEY, op. cit.). M. G. Hébert est le célèbre inventeur des méthodes athlétiques en usage dans la marine et qui portent son nom.
[8] Cette opération, qui fut très brillante et valut au capitaine de frégate Mauros son inscription au tableau d’avancement, semble s'être faite d’assez bonne heure et peut-être dans la nuit même. En arrivant à Eessen, à une heure du matin, note le fusilier R..., une compagnie, envoyée en reconnaissance au village de Vladsloo, est accueillie à coups de fusil : les Allemands n’ont pas encore abandonné ce village ; nous les délogeons, aidés par des automitrailleuses belges et par l'artillerie belge. Nous réussissons à nous emparer de Vladsloo et devons faire notre jonction avec le reste du régiment à Beerst.
[9] Lundi 19 octobre attaque de Beerst à la baïonnette. Plusieurs officiers tués et blessés. (Carnet de l’enseigne X...) — Depuis cinq jours on se bat, écrit dans une lettre à la date du 22 octobre l’enseigne Gautier. Avant-hier nous avons repris l'offensive. Cela a été un peu dur. Ne te frappe pas des pertes annoncées. Je ne t’en aurais pas parlé, mais, puisque aussi bien tu les verras dans les journaux, j’aime mieux que ce soit moi qui te les dise : Le Douget, qui était aux compagnies de formation à Lorient, a été tué à Gand. De Maussion a été tué avant-hier ; Hébert, Pertus, de Mons sont blessés... Dans son carnet de route, à la date du 18, l’enseigne Gautier ajoute aux noms précédents ceux des enseignes de Blois et de Roussille, blessés. Sur l’affaire elle-même, il fournit quelques précisions intéressantes : Les Allemands tirent sur nous à 100 mètres à droite de leurs petits postes. Mise on batterie sur une route près d’une maison ; reçu des shrapnells en quantité ; replié plus loin, puis au crépuscule mis en route sur Beerst. Rampé pendant 800 mètres. — Voici d’autre part un petit fait que nous rapporte l’abbé Le H... et qui met en belle lumière l’héroïsme et l’esprit d’abnégation des hommes. C'était à Beerst. Un quartier-maître a la jambe cassée d’une balle dans la tranchée provisoire qu’il occupait avec sa compagnie. Il continue à se battre. Ses camarades sont obligés de céder du terrain sous un feu d’enfer. Il refuse de se laisser emporter et se traîne dans un fossé d'où il abat encore trois Allemands venus en rampant pour le prendre. Heureusement un jeune fusilier n’a pu se résoudre à laisser là le quartier-maître qui fit son instruction à Lorient. Au prix d'efforts inouïs, il parvient jusqu'il lui et réussit à le traîner pendant 300 mètres jusqu’à une maison où il le met à l'abri. A peine est-il sorti de cette maison qu’une balle l’atteint à son tour au bras. La nuit tombait. Il s’en vient seul au poste de secours pour se faire panser. Je m’y trouvais. Il me raconte son histoire avec une émotion si communicative que je lui demande de servir de guide à deux brancardiers que j’accompagnerai et qui iront chercher le quartier-maître. Sans hésiter, malgré le danger très réel, il se remet en route devant nous. Après une marche très pénible sur un terrain complètement plat et balayé par les mitrailleuses allemandes, nous avons la chance de retrouver le quartier-maître et de pouvoir le ramoner dans nos lignes. Je signalai le soir même ces deux braves au commandant du régiment. Puissent-ils avoir obtenu la récompense qu’ils méritaient !