SOLIDARITÉ DE LA FAMILLE DANS LE DROIT CRIMINEL EN GRÈCE

LIVRE TROISIÈME. — PÉRIODE CLASSIQUE. — LA CITÉ SOUVERAINE.

CHAPITRE VIII. — LES CORRECTIFS DE L’ATIMIE HÉRÉDITAIRE ET DE LA CONFISCATION.

 

 

Lorsque le peuple athénien maintenait à son profit, par l’atimie provisoire et la confiscation, le principe de la responsabilité collective, il suivait une tradition utile à ses finances, non pas avec une rigueur machinale, mais avec quelque rune secrète. Certes, il était bien convaincu de son droit. Et pourtant il n’osait pas l’exercer sans ménagement, Les familles recouraient à certaines supercheries pour éviter le contrecoup des condamnations : il fermait les yeux. Elles faisaient valoir contre le fisc des titres plus ou moins authentiques ; il ne les examinait pas avec hostilité.

Les άτιμοι faisaient passer leurs enfants par adoption dans d’autres familles, afin de les soustraire à l’incapacité héréditaire. L’État savait y mettre ordre, quand il voulait. Le voulait-il toujours ?

Déjà l’indulgence était de règle, quand l’atimie était encore une peine héréditaire. Pour empêcher les enfants des condamnés de se dérober à l’atimie, le décret rendu par Athènes contre Archeptolémos et Antiphon l’étend à quiconque aurait adopté l’un de ces enfants[1]. Le peuple athénien n’était donc pas hors d’état de retenir les fils d’άτιμοι dans l’infamie paternelle, mais il n’avait des armes qu’il avait entre les mains que dans les circonstances extraordinaires. S’il est interdit par mesure exceptionnelle d’adopter les fils de deux condamnés politiques, c’est qu’il n’y pas de loi qui porte une pareille interdiction.

Passons au cas où l’atimie héréditaire était un moyen de contrainte, et voyons ce qui en était après l’archontat d’Euclide. Isée appose quelque part la demande d’envoi eu possession d’une succession onéreuse et l’acte de faire échapper un fils à l’atimie du père par la voie de l’adoption[2]. Il parle donc uniquement de l’atimie attachée aux débiteurs insolvables du fisc, lorsqu’il dit : Όταν περί χρημάτων δυστυχώσι, τούς σφετέρους αύτών παϊδας είς έτέρους οϊκους είσποιοΰσιν, ΐνα μή μετάσχωσι τής τοΰ πατρός άτιμίας. Presque tous les auteurs de notre temps ont suivi Meier et enseigné qu’une pareille adoption n’était possible légalement qu’avant le prononcé de la sentence d’où découlait l’atimie[3]. Effectivement, il est dit dans une note de lexique que l’adoption est la ressource des fonctionnaires comptables qui s’attendent à une condamnation et à l’atimie qui doit en résulter : Πολλοί δέ τοΰτο ποιοΰσι τών πατέρων τούς παϊδας εύτών, όταν έν ταΐς άρχαΐς κλέψαντις έλτίσωσιν άλώσεσθαι έν ταΐς εύθύνεις κ. τ. λ.[4]. Mais quelle valeur attribuer à cette note 2 West un commentaire d’Isée à l’aide d’un cas particulier, la κλοπή δημοσίων χρημάτων. Ainsi sont mêlées, dans une promiscuité contre nature, l’atimie provisoire du débiteur public et l’atimie définitive du condamné. Autre raison de se méfier : ce sont précisément les personnages désignés par la note comme recourant au subterfuge de l’adoption, les fonctionnaires, qui sont en réalité soumis jusqu’à l’épuration de leurs comptes à toutes sortes d’incapacité, y compris la défense de eu faire adopter[5]. Tout ce que le lexicographe ajoute au texte de l’orateur n’est donc qu’erreur et confusion. Nous n’avons pas le droit d’introduire à toute force dans le passage d’Isée le sens donné par le lexique. Or, si cette glose négligeable ne renfermait pas le mot έλπίσωσιν, on n’aurait jamais eu l’idée de soutenir que l’atimie dont parle Isée menace le délinquant ou le débiteur dans l’avenir, mais ne l’a pas encore frappé. On ne peut pas expliquer όταν περί χρημάτων δυστυχώσι par ότεν... έλπίσωσιν άλώσεσθαι, comme si δυστυχώσι équivalait à κινδυνεύσωσι. Ces pères qui font entrer leurs fils dans d’autres maisons sont bel et bien des individus quelconques qu’une condamnation acquise, pour préjudice causé à l’État, a placés dates une mauvaise situation de fortune et que leur solvabilité a réduite à l’atimie héréditaire. Moyen de contrainte ou pénalité, de toute façon l’atimie peut être secouée subrepticement par le fils de celui qu’elle atteint : Athènes n’a pas eu le courage de s’y opposer par une loi.

A cette théorie on peut faire une objection sérieuse. Pour assurer la transmission de l’atimie encourue par les débiteurs publics, la loi athénienne renferme des dispositions impératives. Leurs héritiers en ligne directe ou collatérale ne sont pas libres de répudier la succession : elle leur est imposée, avec la déchéance qu’elle entraîne[6]. Ils vont héritiers siens et nécessaires avec toute la rigueur de la définition donnée par Gaius, quia omni modo, sive velint sive nolint... heredes fiunt[7]. Ce n’est pas là le droit commun, en principe, l’acceptation de l’héritage est facultative[8]. Mais le principe supérieur de l’intérêt public exige que, par exception, la succession du débiteur public avec son passif matériel et moral soit dévolue obligatoirement de génération en génération.

Par quel moyen concilier, dans la situation faites aux fils d’άτιμοι la liberté en matière d’adoption et l’obligation étroite en matière de succession ? Par la simple distinction entre le fait et le droit. Cette distinction, il faut toujours l’avoir présente à l’esprit, quand on étudie les antiquités juridiques d’Athènes. Elle éclaircit bien des obscurités et révèle toujours la supériorité morale d’un peuple plus humain dans ses actes que dans ses lois. Que voulaient les Athéniens en déclarant nécessaire l’héritier de leur débiteur ? Ils voulaient, et cela fermement, qu’au débiteur mort se substituât quelqu’un qui répondit de la dette ; il ne fallait à aucun prix qu’on fût forcé d’effacer indûment un nom sur les registres des créances publiques. Mais ils auraient jugé cruel d’attacher l’infamie, comme une tunique de Nessus, à tous les descendants de l’infâme, sans profit pour eux-mêmes, par principe. Il n’y avait pas de danger que l’άτιμος fit sortir de sa maison un fils unique. La religion le lui interdisait autant qu’à tout autre. S’il avait passé outre par amour paternel, il n’aurait pas trouvé un homme sans enfanta qui se serait prêté à une pareille complicité[9]. Si pourtant on l’avait découvert, ce père adoptif sans vergogne devant les hommes et les dieux, l’adoption aurait été contestable, comme toute adoption entre vifs, tant qu’elle n’aurait pas été ratifiée par la phratrie[10], puis par le dême[11] de l’adoptant. Soumise au vote des phratores, elle n’aurait même pas eu lieu d’affronter celui des démotes ; la coalition des préjugés et des intérêts se serait, selon l’expression grecque, portée au secourt de la loi et aurait infailliblement rejeté le fils de l’άτιμος. Mais dans le cas où le débiteur du trésor avait plusieurs fils, pourvu qu’il y en eût un pour assurer le passif de l’onéreuse succession, qu’importait que les autres passant éviter l’atimie ? Pas de détournement à craindre, puisque le père était incapable d’aliéner de son vivant et qu’après sa mort son fils naturel ne comptait plus parmi les successibles[12]. D’ailleurs, on avait grand’peine à s’évader du l’atimie par la porte basse de l’adoption. C’était pour tous un métier chanceux de courir les héritages, combien plus pour un fils d’insolvable ! Le lexicographe dit bien que beaucoup d’άτιμος parvenaient à caser leurs enfants dans des familles étrangères ; mais, d’une part, il se donne un démenti à lui-même, puisqu’il n’envisage que le cas, évidemment rare, de l’atimie consécutive à la κλοπή δημοσίων χρημάτων, et, d’autre part, sa source, Isée, en rapprochant l’adoption du fils d’άτιμοι et l’acceptation d’une succession onéreuse, semble plutôt considérer ces deux faits comme peu ordinaires. Le peuple athénien n’avait donc pas à redouter de voir les intérêts rte la communauté compromis par des faiblesses trop fréquentes : il pouvait s’en fier aux phratries et aux dêmes du soin de distinguer les cas où la clémence était de mise envers les fils d’άτιμοι.

La compassion qu’inspiraient les victimes de l’atimie héréditaire devait augmenter encore, si la succession onéreuse était dévolue en ligne collatérale. Nous trouvons à ce sujet un acte bien intéressant dans les comptes des arsenaux maritimes. C’est un décret en faveur de ce Sôpolis qui avait été condamné à titre d’héritier, pour un détournement mis à la charge de son frère défunt. Lorsqu’une confiscation insuffisante l’eut réduit à l’atimie, l’accusateur, nommé Polyeuctos, s’empressa de renoncer à la très forte prime que les lois allouaient à l’auteur de l’inventaire[13], pour aider le malheureux à recouvrer ses droits civiques[14]. Il agissait sans doute en homme politique qui veut se rendre agréable au peuple en quadruplant pour le trésor le produit net d’une confiscation ; mais il songeait aussi à tendre une main secourable à celui qu’il avait dit accabler au nom de la cité. Par une attention délicate, c’est lui, l’accusateur, qui proposa et fit passer le décret invitant les magistrats compétents à déduire de la créance publique la valeur intégrale des objets confisqués. On voit par là que les Athéniens étaient tout disposés, après avoir sauvegardé l’intérêt commun, à faire heur possible pour rendre les droits de citoyens aux héritiers insolvables des débiteurs publics.

La confiscation elle-même ne se faisait pas avec une rigueur absolue. Il ne faut pas s’imaginer qu’elle plongeait infailliblement la famille du condamné dans une misère noire. Elle laissait toujours quelques ressources à ceux qu’elle frappait. Même lorsqu’ils ne dénaturaient pas leur fortune, ils pouvaient en soustraire une grande partie au naufrage. En effet, si l’adjudication définitive des biens confisqués purgeait tous les droits réels acquis à des tiers antérieurement au jugement de condamnation, y compris les droits des véritables propriétaires[15], cette adjudication ne pouvait se faire valablement qu’après la publication officielle d’un inventaire[16], formalité qui donnait l’occasion et laissait le temps aux tiers de produire leurs titres. D’abord l’épouse était admise comme créancière à revendiquer la restitution de sa dot, tant en choses fongibles qu’en corps certains. Sans que la dissolution du mariage fût la conséquence immédiate de la confiscation et la condition absolue de sa revendication[17], elle n’avait qu’à faire opposition, par l’intermédiaire de son κύριος, à la mainmise universelle de l’État sur les biens possédés par son époux (ένεπισκήψασθαι)[18]. A condition de prouver sa sincérité par la consignation préalable d’une somme égale au cinquième de la dot réclamée (παρακαταβολή)[19], de présenter un étai justificatif[20] et de fournir des cautions suffisantes à établir le bien-fondé de ses prétentions (έγγύης καταβολή)[21], elle trouvait un recours assuré dans la procédure spéciale de la διαδικασία[22]. Elle avait même un certain droit de préférence, quand d’autres créanciers concouraient avec elle. L’épouse, nous dit un lexique[23], était autorisée en première ligne à exercer des reprises à titre de dot, après elle venaient les créanciers à titre de prêt. A proprement parler, la loi ne reconnaissait pas à la femme d’hypothèque privilégie, il s’agissait simplement d’une faveur faite par l’État, comme s’expriment les auteurs du Recueil des inscriptions juridiques[24], ou peut-être, comme l’a dit Beauchet[25], d’un simple privilège, analogue à celui qui, dans le droit romain de l’époque classique, appartenait à la femme pour la reprise de la dot et, par conséquent, opposable aux créanciers chirographaires seulement ou, tout au plus, aux créanciers hypothécaires postérieurs au mariage. En tout cas, à partir du moment où la sentence de confiscation était passée en force de chose jugée, l’Etat ne fermait pas brutalement tout recours aux revendications des tiers et admettait celles de la femme avec une bienveillance particulière[26].

Mais on déclare unanimement que cette faveur était illusoire[27]. On allègue deux discours de Lysias : d’après le plaidoyer De pecuniis publicis, les créanciers en général auraient eu peine ; à faire reconnaître la légitimité de leurs réclamations ; d’après le plaidoyer Sur les biens d’Aristophanès, la femme même se serait le plus souvent trouvée hors d’état d’exercer les reprises les plus dûment justifiées. On va jusqu’à insinuer que la crainte des sycophantes étant le commencement de la sagesse, devant la perspective menaçante d’une demande reconventionnelle pour dissimulation de biens, le seul parti à prendre était l’abstention. Il y aurait donc ici entre le fait et le droit, non plus une nuance, mais une contradiction formelle, et cette fois serait méconnue par les tribunaux l’équité promise par la loi.

Cette conclusion dénote, il faut bien le dire, un certain manque de critique. Nous voyons d’une part des textes nombreux et précis doit il résulte clairement que les créanciers ou l’épouse du condamné pouvaient facilement faire valoir leur droit sur les biens confisqués et qu’en pratique le peuple facilitait à l’épouse l’exercice de ce droit. Que voyous-nous d’autre part ? Deux textes, pas un de plus, deux textes tirés de plaidoyers, où, par conséquent, les parties arrangent vraisemblablement les faits à leur façon, et où l’on ne trouvera jamais — à supposer que tout y soit d’une exactitude scrupuleuse — que deux faits isolés. Mais examinons la portée de ces faits.

Le De pecuniis publicis devrait être intitulé πρός τό δημόσιον περί τών Έράτωνος χρημάτων[28]. Le grand-père de l’orateur ayant prêté deux talents à Eratôn, son père avait obtenu contre Erasistratos, l’un des trois fils du débiteur défunt, un jugement condamnant le défendeur au paiement de la dette intégrale[29]. Trois ans après, les σύνδικοι, représentants du trésor, tirent saisir la succession entière d’Eratôn, pour exécuter une sentence de confiscation[30]. Le créancier réclama. Il ne demandait pas le total de la succession, qui cependant ne couvrait pas la créance, puisqu’il dépassait seulement un talent : il se contentait, en droit, du tiers qui revenait à Erasistratos et, en fait, de biens-fonds estimés quinze mines[31]. Voilà l’état de cause d’après lequel on vient déclarer qu’en cas de confiscation le créancier demandeur devait sacrifier une partie, souvent fort importante, de sa créance pour se faciliter le recouvrement du surplus[32]. Mais quelle concession l’orateur fait-il donc dans la question de droit ? Il en ferait une, s’il prouvait qu’il a pu légalement exercer contre L’un des héritiers de son débiteur une poursuite in solidum. Or, il n’en est rien. On voit, écrit un des auteurs qui croient au déni de justice, que le créancier lui-même n’est pas convaincu de la régularité de ses poursuites, et il les explique en disant que les deux autres frères se trouvaient à l’étranger et qu’Erasistratos pouvait être considéré comme leur représentant, Il va même plus loin ; il reconnaît que les juges ne pouvaient statuer que sur le tiers de la dette dont Erasistratos était tenu comme ayant succédé au tiers seulement de l’héritage[33]. J’ajoute que les deux frères d’Erasistratos se sentaient si peu atteints par le jugement rendu contre lui seul, qu’au nom de l’un d’eux avait été introduite une demande d’envoi en possession avant que l’État eût confisqué toute la succession[34]. Ainsi, le droit successoral d’Athènes posait en principe la répartition des dettes entre les co-partageants. Ce n’est donc qu’à environ vingt mines que pouvaient s’élever les prétentions de l’orateur à l’encontre du fisc. Si, en fait, il ne demande que quinze mines, c’est qu’il estimait approximativement à ce prix les biens-fonds qu’il considérait comme la part légitime d’Erasistratos. J’ai déterminé, dit il, le tiers qui me revenait sur l’héritage, sans m’astreindre à des calculs minutieux[35]. Il ne croit nullement que pour une différence de cinq cents drachmes la peuple aurait refusé d’appliquer la loi ; il veut seulement se montrer coulant en affaires et pouvoir dans sa péroraison se donner le mérite d’une concession gracieuse à l’État[36]. Se faire bien venir par une remise de ce genre, cela n’est pas spécial aux créanciers qui craignent pour leur créance : les révélateurs de biens adjugés au fisc abandonnaient bien aussi parfois à l’État la prime qui leur était allouée[37]. On ne peut donc pas dire que dans la pratique des tribunaux athéniens les droits des créanciers sur les biens confisqués étaient souvent méconnus[38].

A plus forte raison, la femme du condamné, placée au premier rang des créancière, devait-elle aisément obtenir lu reconnaissance de son titre dotal. Il est vrai que la femme d’Aristophanès, d’après le discours de Lysias, ne parvint pas à se faire restituer sa dot[39]. Mais il faut voir pourquoi. Le discours même de Lysias le permet, et, quoique dirigé contre le fisc, justifie pleinement sa conduite. La confiscation ordonnée contre Aristophanès rapporta très peu[40]. Surpris, déçu, le peuple s’en prit au beau-père du condamné. Il y avait eu entre ces deux personnages des rapports d’intérêts. Le beau-père parlait d’un prêt par lui consenti et non remboursé[41] ; mais ils était bien gardé de présenter ses titres par ένεπίσκημμα au moment utile. Le peuple, par contre, croyait à une dissimulation de biens. On traita le soi-disant créancier en fraudeur. Sous prétexte qu’il détenait la plus grande partie des biens à confisquer, on engagea contre lui aussi une procédure aux fins de confiscation. Mais il fit opposition à l’άπογρφή[42], et c’est pour ce procès contre l’Etat que fut composé le plaidoyer de Lysias. Dans ces conditions, que pouvait faire le peuple pour la femme d’Aristophanès ? Il ne faut pas oublier qu’Aristophanès ayant subi la peine de mort[43], sa femme se trouvait dans la situation, nettement définie par la loi, de la veuve ayant abandonné le domicile conjugal ; elle était replacée sous l’autorité de son κύριος naturel, de son père. Lui seul avait désormais qualité pour recouvrer la dot et pour en disposer, il en redevenait le propriétaire légitime, à tel point qu’en cas de remariage il n’était pas légalement tenu de lui constituer la même dot[44]. Dès lors, il est naturel que le peuple ait agi comme il l’a fait. Restituer la dot était été purement absurde, du moment qu’elle devait faire retour au beau-père, et non pas à la femme d’Aristophanès[45]. C’eût été un éclatant désaveu de l’άπογραφή puisque, au dire des σύνδικοι, le défendeur avait détourné de la succession confisquée une somme bien supérieure au montant de sa prétendue créance. Que le peuple ait eu raison ou non sur le fond, en tout cas sa conduite, absolument correcte, ne prouve pas qu’il cherchât à englober illégalement la dot de la femme dans la confiscation prononcée contre le mari.

La procédure d’opposition au fisc donnait aussi à la mère le moyen de réclamer, non pas seulement sa dot, si elle était indûment comprise dans la confiscation, mais encore les aliments, que son fils devenait incapable de lui fournir[46]. Et puis on voyait intervenir les frères, les parents éloignés, les alliés, chacun selon son audace plus que selon son droit[47]. Loin de reprocher au fisc athénien une rigueur avide, il faut remarquer que sa condescendance envers les ayants droit encourageait les réclamations exagérées ou abusives. Toute la famille se coalisait pour arracher le plus possible à l’État, n’importe comment, par autorité de justice ou par fraude. Il n’était pas toujours facile de simuler des aliénations d’immeubles ou des créances hypothécaires ; on se rattrapait sur les esclaves, sur les biens mobiliers[48]. De ce côté-là on obtenait des résultats splendides. Trente talents, détournés par le stratège Ergoclès, disparurent sans laisser de traces[49].

Le peuple mettait manifestement de la bonne volonté à se laisser ainsi gruger. Avec une bonhomie qui serait pure naïveté s’il ne s’y mêlait quelque ironie, ne s’avise-t-il pas d’accepter les services de citoyens aussi désintéressés qu’un beau-père et un beau-frère, lorsqu’il s’agit de faire bonne garde autour d’une maison confisquée[50] ? On le bernait impunément, tant que la chose se faisait en douceur. Que de temps en temps il se soit repenti de sa faiblesse, qu’il ait eu des accès de colère dangereux, il n’y a pas lieu de s’en étonner[51]. Certains cas de pauvreté subite lui paraissaient par trop scandaleux[52]. Ceux qu’il n’apprêtait alors à étriller d’importance regimbaient en disant que la déception causée par la vente provenait, non de détournements clandestins, mais de faux calculs[53]. Ils étaient dans leur rôle, et pouvaient avoir raison quelquefois ; mais le peuple était dans le sien, et n’avait pas toujours tort. En tout cas, une réaction intermittente contre les fraudeurs ne doit point passer pour une injustice systématique envers les innocents.

Les familles savaient bien qu’elles ne feraient pas vainement appel au bon coeur de leurs juges, quand elles essayaient de sauver quelques lambeaux de leur fortune et de ne pas traîner éternellement le poids de l’infamie. Tant que la confiscation n’était pas prononcée, l’accusé gardait l’espoir d’y échapper en invoquant l’innocence des enfants qu’elle allait frapper[54]. La condamnation acquise, le peuple allait au-devant des misères réelles. Non, dit Démosthène, pas même à celui que vous condamnez pour fautes commises envers vous, vous n’enlevez tous ses biens ; mais, par miséricorde envers sa femme, et ses enfants, vous leur en laissez une part[55]. Et l’on comptait sur cette compassion pour en abuser. On trouvait toujours à mettre en avant quelque orphelin, quelque épicière ou un vieillard sans ressources, à conter avec force gémissements quelque histoire lamentable, pour décider l’État à ne pas percevoir tout son dû[56]. Pour résister aux assauts livrés à sa clémence, le peuple dut se lier les mains par une loi qui interdisait aux débiteurs publics de présenter une supplique, aux citoyens d’intercéder pour les débiteurs, aux proèdres de mettre aux voix toute proposition illégale de remise[57]. Il fallait, au nom de l’intérêt public, prendre des précautions contre les surprises des émotions trop faciles.

Ainsi, la solidarité pénale et les sentiments qu’elle inspirait aux Athéniens nous révèlent le sens de lu fameuse scène, régulièrement jouie devant les tribunaux, où l’accusé, arrivé à sa péroraison, jugeant le moment venu de produire sur les jurés l’effet décisif, fait monter à côté de lui en théorie éplorée les membres de sa famille et surtout ses enfants[58]. Cet appel violent à la pitié, cette secousse imprimée aux nerfs des juges, pouvaient répugner à des plaideurs confiants en leur bon droit et décidée à ne rien sacrifier de leur dignité[59]. Cet effet théâtral, d’un pathétique facile et un peu grossier, avait de quoi exciser la verre des comiques, deux mille ans avant de fournir à l’auteur des Plaideurs l’occasion de ses plaisanteries les plus osées[60]. Mais avant d’être un moyen de défense factice et déclamatoire, applicable à toutes les causes, fourni par tous les proches[61], usé par l’abus qu’on en faisait, cet incident d’audience avait été chose naturelle et appropriée à des circonstances déterminées, un acte de procédure presque »nécessaire dans certains cas, pour certaines personnes, et alors puissamment efficace. Jadis ceux qui devaient être plus ou moins associés au sort des parties, et surtout les enfants de l’accusé menacés d’atimie, montraient par leur présence la portée du jugement à rendre. Cee suppliants avaient le droit de pleurer sur eux-mêmes autant que sur leur père. En Macédoine, où la loi appliquait la peine de mort à toute la famille du coupable, l’accusé faisait comparaître avec lui ses parents[62]. A Athènes aussi, tant que le principe de la responsabilité familiale resta inscrit dans la loi, c’étaient des personnes compromises par solidarité, qui venaient implorer les juges. Dans les Guêpes, représentées en 423, le plaideur amène par la main ses enfants et fuit bêler en choeur tout son petit troupeau. Il agit pour lui d’arracher un acquittement dans une affaire en reddition de comptes[63] : il est impliqué dans une γραφή δώρων ou une γραφή κλοπής δημοσίων χρημάτων, c’est-à-dire dans un de ces procès au bout desquels il y a l’atimie héréditaire. Au fond, il était bien juste qu’on admit tous ceux qui pouvaient être englobés dans la condamnation à se défendre par le spectacle de leur innocente jeunesse et de leurs larmes. Mais avec les Athéniens ce droit était un grand avantage ; car ces braves gens de l’héliée, pris par les entrailles, disaient avec l’attendrissement doux et si gentil du bonhomme Philocléon : Nous, que voulez-vous ? nous sentons alors la rigueur de notre colère se relâcher d’un cran[64].

Il valait la peine de voir avec quels ménagements les Athéniens traitaient les familles des condamnés au IVe siècle. Ces contradictions entre la sévérité relative de la loi et la douceur de la pratique sont la plus éclatante manifestation de la philanthropie athénienne. Elles ne doivent pas surprendre de la part d’un peuple qui comptait pour une de ses plus précieuses traditions le droit de ne pas user de tout son droit. Lorsqu’il se prêtait à des changements de noms plus ou moins réguliers, à des détournements de fonde plus ou moins flagrants, les grincheux ou les intéressés criaient à la faiblesse et traitaient cette sensibilité de sensiblerie pure. Niais ce peuple était ainsi fait. Sa justice se tempérait de pitié. On pouvait dire aux Athéniens : Vous vivez entre vous comme en famille, et avec une indulgence réciproque. Il y a des gens qui ont eu des malheurs ; on les voit, mais, comme dit le proverbe, on voit sans voir et on entend sans entendre... Ainsi subsiste et se perpétue en notre ville la concorde publique, source de tous biens[65]. Évidemment, tout cela n’est pas le fait de gens étroitement attachés à la légalité stricte. Mais, si la bonté ne fait pas un peuple de juristes, elle fait un peuple d’hommes vraiment humains. C’est par son manque de logique, par ses nobles inquiétudes, qu’elle prépare les améliorations à venir et qu’elle est l’agent le plus actif du progrès social.

Comme toujours, les triomphes de la morale nouvelle ne furent pas immédiats. Le droit conservait quelque temps des règles déjà frappées de réprobation. Il y avait une période plus ou moins longue de conflit entre les idées elles institutions. Mais, dans une cité où les juges n’étaient pas des fonctionnaires d’une carrière spéciale, dans des tribunaux où siégeait le peuple réparti en sections, la résistance du passé ne pouvait pas être victorieuse. Les jurée avaient un moyen bien simple pour ne pas appliquer la loi aux innocents : ils ne l’appliquaient pas au coupable. Quelques années avant la réforme, vers 410, un Athénien pouvait dire à des Athéniens : On vous voit, juges, vous apitoyer à lu perspective de l’atimie qui menace les enfants en même tempe que les pères accusés et tenir les pères quittes de leurs fautes en faveur des enfants[66]. Celui qui constatait ce fait en était plutôt scandalisé. Mais, lorsque la loi n’est plus en harmonie avec les mœurs et que l’exercice de la justice en est troublé, c’est la loi qui a tort. Ces bonnes gens qui aimaient mieux laisser échapper un coupable que de punir avec lui des innocents faisaient d’une réforme souhaitable une réforme nécessaire. Ils préparaient la suppression des peines collectives qui fut réalisée en 403[67]. Et ils auraient probablement obtenu par le même moyen l’abolition des servitudes familiales qui subsistaient dans l’hérédité de l’atimie provisoire et la confiscation, si Athènes avait pu continuer un peu plus longtemps de travailler en paix pour l’humanité.

Le droit romain ira plus loin dans la même voie que le droit attique[68] : il ne s’en fiera pas à des émotions passagères du soin de parer aux besoins des enfante dépouillée par une sentence de confiscation ; il adoptera e a leur faveur des dispositions légales. Mais — sans vouloir revendiquer la part morale de l’éducation hellénique dans l’œuvre de la législation romaine — nous pouvons dire que le temps a manqué aux Athéniens pour aller jusqu’au but où ils tendaient à leur insu, et que le temps seul a permis aux Romains d’en approcher davantage, par étapes lentes et non sans reculs[69]. La supériorité finale de Rome tient à des progrès provoqués par le besoin de régulariser la clémence et péniblement accomplis dans un espace de six siècles ; elle ne doit pas faire oublier tout ou qu’en moins de cent ans Athènes a pu faire pour la civilisation et pour l’équité par des élans spontanés de miséricorde.

 

 

 



[1] (Plutarque), Vie des dix orat., I (Antiph.), 28, p. 834 B.

[2] Isée, Pour la succ. d’Arist., 17.

[3] Meier, p. 136 ; cf. Van den Es. p. 91-95 ; Gide-Caillemer, art. Adoptio, dans le Dict. des ant., p. 76-77 ; Meier-Schömann-Lipsius, p. 546 ; Beauchet, II, p. 40, 478 ; III, p. 588-589, 592-593. Seul, Thalheim, p. 81, n. 5, proteste contre l’opinion générale ; mais le peu qu’il dit, en s’appuyant sur le décret rendu contre Archeptolémos et Antiphon, ne vaut que pour le cas de l’atimie pénale.

[4] Lex. Rhet., dans Bekker, Anecd. gr., I, p. 247, 11.

[5] Voir Eschine, C. Ctésiphon, 21.

[6] Démosthène, C. Androt., 34 ; C. Théocr., 17 ; cf. C. Timocr., 201. L’atimie résulte d’une succession en ligne collatérale dans le cas de Sôpolis (I. J. G., n° XXVI, l. 106 ss.).

[7] Inst., II, 136-158.

[8] Nous suivons la théorie fondée sur une juste interprétation de Démosthène, C. Nausim., 7, et soutenue par Dareste, Plaid. civ. de Dém., I, p. XXIX et 106, n. 3 ; Nouv. ét., p. 88-90 ; Guiraud, p. 225-226 ; Beauchet, III, p. 587-593.

[9] Isée, Sur la succ. de Ménécl., 10 (cf. 21). Voyez Beauchet, II, p. 46.

[10] Isée, Sur la succ. d’Apollod., 15-17 ; Sur la succ. de Ménécl., 14 ; (Démosthène), C. Macart., 12-15 ; cf. Meier-Schömann-Lipsius, p. 541-543 ; Talheim, p. 79, n. 3 ; Gide-Caillemer, art. Adoptio, l. c., p. 77 ; Schulin, Das gr. Test. vercglichen mit dem röm., p. 18-19 ; Beauchet, II, p. 11-14.

[11] Isée, Sur la succ. à Apollod., 16 ; (Démosthène), C. Léoch., 35, 39 ; cf. Meier-Schömann-Lipsius, p. 543-544 ; Haussoullier, La vie munic. en Att., p. 24-27 ; Beauchet, II, p. 16-18.

[12] Isée, Sur la succ. d’Astyph., 33, 2 ; Sur la succ. d’Arist., 4 ; cf. Van den Es, p. 97-98 ; Meier-Schömann-Lipsius, p. 547 ; Caillemer, Le dr. de tester à Ath., p. 28 ss. ; Le dr. de succ. lég. à Ath., p. 28 ss. ; Gide-Caillemer, l. c., p. 78 ; Thalheim, p. 80, n. 3 ; Beauchet, II, p. 54-55.

[13] I. J. G., n° XXVI, l. 119-122. Voir le commentaire roux p. 154-155.

[14] L’accusateur se fait attribuer les trois quarts de la somme confisquée, d’après (Démosthène), C. Nicostr., 2. Voyez Meier, p. 206-207 ; Meier-Schömann-Lipsius, p. 312 ; Thonissen, p. 424-425 ; Beauchet, III, p. 712-713 ; Ziebarth, Popularklagen mit Delatorempræmien nach gr. Recht, dans l’Hermès, XXXII (1897), p. 609 ss.

[15] Démosthène, C. Timocr., 54 ; C. Pantain., 14 ; Pollux, VIII, 59 ; cf. Caillemer, Le contrat de vente, dans la Rev. de lég., 1870/1, p. 655 ss. ; art. Demioprata, dans le Dict. des ant., p. 65 ; Beauchet, III, p. 31-39. A Mylasa aussi, la vente des biens confisqués purge tout droit existant sur la chose vendue (Michel, n° 471, II, l. 27-28 ; III, l. 46-48). C’était la règle générale qui protégeait en Grèce les acquéreurs de biens nationaux. Lorsque les Phliasiens rappelèrent les bannis et leur rendirent leurs biens, un recours contre l’État aux fins d’indemnité fut ouvert aux acheteurs évincés (Xénophon, Helléniques, V, 2, 10 ; cf. Michel, n° 44, 356, 451).

[16] Aristote, Const. des Ath., 43 ; Pollux, VIII, 95 ; Lex. Cantabr., p. 672, 9 ; Scol. d'Eschine, C. Tim., 104.

[17] Van den Es, p. 50, a soutenu un système qu’un peut formuler en deux propositions : 1° Dos... non repetitur nisi matrimonio solutio ; 2° bonurum publicationem... sequitur matrimonii solutio. Ce système a été réfuté par Caillemer, La rest. de la dot à Ath., dans les Mém. de l’Ac. de Caen, 1868, p. 119-121.

[18] (Démosthène), C. Timoth., 45 ; Pollux, VIII, 61; Etym. Magn., p. 340, 38 ; Harpocration, Suidas, s. v. ένεπίσκημμα ; Lex. Rhet., dans Bekker, Anecd. gr., I, p. 250, 14. sur carte procédure, voir Meier, p. 220-225 ; Platner, II, p. 195 ss. ; Meier-Schömann-Lipsius, p. 473, 524-525 ; G. A. Laist, Der att. Eigentumssstreit im Syst. der Diadikassien, Jena. 1886, p, 18-19 ; Dareste-Haussoullier-Th. Reinach, I, p. 139-140 ; Beauchet, III, p. 715-719.

[19] (Démosthène), l. c., 46 ; Harpocration, s. v.

[20] (Démosthène), C. Nicostr., 28.

[21] Suidas, Etym. Magn., l. c. ; cf. Bœckh-Fränkel, Staatsh., II, p. 1164 ; Caillemer, art. Eggyé, dans la Dict. des ant., p. 494, n. 59.

[22] Lex. Rhet., dans Bekker, Anecd. gr., I, p, 236, 16 ; Lysias, De pecun. publ., 10. Le droit des tiers sur les biens confisqués est implicitement reconnu dans une loi d’Ilion qui déclare les biens des tyrans propriété de la ville et ordonne de prélever sur ces biens des indemnités pour ceux à qui les tyrans ont fait tort (Michel, n° 624, II, l. 1-4, cf. Lysias, C. Erat., 83).

[23] Etym. Magn., l. c.

[24] I, p. 140, n. 1.

[25] III, p. 718.

[26] En ce qui concerne le droit des tiers sur les biens confisqués, la loi romaine est conforme aux principes du droit attique. Les créanciers du condamné se retournent contre le fisc, comme successeur in universum jus (Papinien, dans le Digeste, XLIX, 14, 37). La femme du déporté reprend sa dot (Code Just., V, 17, 1) ; car, d’une façon générale, la femme ne peut être inquiétée pour la faute du mari (Ibid., IV, 12, 2).

[27] Caillemer, La rest. de la dot à Ath., l. c., p. 137-138 ; Dareste-Haussoullier-Th, Reinach, l. c. ; Beauchet, III, p. 718-719.

[28] Voir Blass, Att. Bereds., II, 2e éd., p. 615.

[29] §§ 3, 5.

[30] §§ 5-6 ; cf. 10.

[31] §§ 6-7.

[32] Beauchet, III, p. 718.

[33] Beauchet, III, p. 634-635 (cf. IV, p. 491). Voir encore Platner, II, p. 332 ; Caillemer, p. 208 ; Meier-Schömann-Lipsius, p. 390, n. 308 ; Schulthess, Vormundsch. nach att. Recht, p. 238.

[34] § 5.

[35] § 6.

[36] § 10.

[37] Dans le discours de (Démosthène), C. Nicostr., 2, Apollodore renonce par avance à la peine légale, qui serait d’environ dix-huit cents drachmes (§ 1). On a vu plus haut (p. 544) l’accusateur Polyeuctus renoncer à une part en faveur du condamna Sôpolis, ce qui était une façon d’aider à ta réhabilitation d’un citoyen, tout eu fournissant urne ressource supplémentaire à l’Etat.

[38] A supposer que le demandeur fût hanté par la peur d’un déni de justice, il serait impossible de fonder une conclusion générale sur la tactique d’un seul plaideur, et d’attribuer aux Athéniens de tous les temps une rigueur qui n’aurait, en tout cas, été leur fait que pendant la plus mauvaise période du IVe siècle. En effet, la confiscation des biens d’Eratôn fut ordonnée, sur requête des σύνδικοι, trois ans après l’archontat de Xénainetos, en 398 (§§ 3, 5), et le procès plaidé en 397 (voir Meier, p. 191 ; Blass, l. c., p. 617 ; cf. Meier-Schömann-Lipsius, p. 90). On sait quelle était alors la détresse du trésor, à quels besoins terribles répondait la charge extraordinaire des σύνδικοι.

[39] Lysias, Sur les biens d’Aristoph., 8, 32. Cette dot, que l’orateur déclare considérable (§ 16), était de quarante mines (§ 15).

[40] §§ 27 ss.

[41] §§ 32, 52.

[42] Cf. Meier-Schömann-Lipsius, p. 303, 307-308.

[43] § 7.

[44] Isée, Sur la succ. de Pyrrh., 8, 78 ; Démosthène, C. Boiot., II, 7 ; cf. Meier-Schömann-Lipsius, p. 520 ; Dareste-Haussoullier-Th. Reinach, I, p. 56 ; Beauchet, I, p. 313-314. Déjà dans l’Odyssée, c’est le père qui remarie sa fille veuve, quand elle est sortie de la maison conjugale (II, 144) : il lui constitue une seconde dot ou reçoit une seconde fois les έδνα (XVI, 390-391 ; XXI, 161-162 ; I, 277, II, 52, 110 ss. ; voir d’Arbois de Jubainville, La civil. des Celtes et celle de l’ép. hom., p. 302-303 ; Ouvré, p. 303 ; Autenrieth, Hom. Theol., 3e éd., p. 447).

[45] L’orateur, qui est le fils du défendeur principal, met sur le même rang la créance à titre de dot et la créance à titre de prêt (§ 32). C’est le père et lui qui sont frappés par la perte de la dot (§ 9).

[46] (Démosthène), C. Nicostr., 28-29 ; cf. Dareste, Plaid. civ. de Dém., II, p. 203.

[47] Voir le plaidoyer de (Démosthène) C. Nicostr., et celui de Lysias Sur les biens d’Aristoph. ; Cf. Michel, n° 524, II, l. 25 (Ilion).

[48] La loi d’Ilion contre les tyrans et leurs suppôts porte que nul ne pourra acheter de ces hommes ni prendre d’eux en gage ni terre ni maison ni bétail ni esclave ni aucune autre chose ni recevoir de dot (Michel, n° 524, II, l. 20-23 ; III, l. 21-26). Les auteurs du Rec. des inscr. jur., II, p. 44, n. 1, rapprochent judicieusement de ces dispositions deux articles de la loi du 28 mars 1793 sur les émigrés. Sur ce genre de détournements, voir Meier, p. 212-214 ; Thonissen, p. 125-126 ; Caillemer, art. Demioprata, dans le Dict. des ant., p. 61 ; Beauchet, III, p. 713-714.

[49] Lysias, C. Philocr., 2. Cf. Plutarque, Thémist., 25.

[50] Lysias, Sur les biens d’Aristophanès, 31.

[51] Il faut remarquer que la loi romaine était beaucoup plus sévère pour la dissimulation de biens confisqués aux proscrits : elle infligeait au coupable la mort ou la proscription (Code Théod.. De bon proscript., IX, 42, 5). Même lorsqu’elle s’adoucit sous Honorius et Arcadius (Ibid., 18), elle conserva encore la peine de la déportation avec celle de la confiscation.

[52] L’accusateur de Nicostratos nous apprend l’effet produit par ces confiscations décevantes et comment les soupçons se tournent sur la famille. Avant de devenir débiteur du fisc, dit-il, Aréthousios était notoirement le plus riche des trois frères. Maintenant qu’aux termes des lois ses biens sont à vous, le voilà qui se fait passer pour pauvre, ce même Aréthousios, et encore une partie de ses biens est-elle revendiquée par sa mère, et une autre par ses frères (§ 28).

[53] C’est à cet argument que se réduit le plaidoyer de Lysias Sur les biens d’Aristophanès.

[54] Lysias, P. Polystr., 34 ; XXI, 25 ; Sur les biens d’Aristoph., 8, 33.

[55] C. Aphob., I, 85.

[56] (Démosthène), C. Nicostr., 29 ; C. Néair., 6 ss. Cf. Meier, p, 220-228 ; Thonissen, 125 ; Caillemer, art. Demioprata, dans le Dict. des ant., p.84 ; Beauchet, III, p. 719-720.

[57] Démosthène, C. Tim., 50-53.

[58] Le terme propre pour désigner cette coutume est άναβιβάζεσθαι (Lysias, P. Polytr., 34 ; Andocide, Sur les myst., 148 ; Isocrate, Sur une antid., 321 ; Démosthène, Sur la fausse amb., 310 ; cf. C. Aristog., I, 84). Voir Meier, p. 225-226 ; Frohberger, éd. de Lysias, II, p. 9 ss., n. 81 ; Meier-Schömann-Lipsius, p. 934.

[59] Platon, Apol., p. 34 C ; Isocrate, l. c. ; cf. Platon, Lois, XII, p. 949 D.

[60] Aristophane, Guêpes, 568-574.

[61] On voit intervenir, non seulement les enfants (Démosthène, C. Mid., 99 ; 188, 186-188, 193 ; Sur la fausse amb., 281, 310 ; Isocrate, l. c. ; Aristophane, Plut., 382 ; Guêpes, 976 ss. ; Hermog., dans Wals, Reth. gr., IV, p. 411), mais les συγγενεΐς en masse (Platon, Apol., l. c., Lysias, C. Alcib., I, 90 ; Sur les biens d’Aristoph., 24-27 ; Démosthène, C. Mid., 182 ; C. Aristog., I, 78 ; C. Néair., 117). Andocide, Sur les myst., 148, parle du père, du frère et des enfants ; Dinarque. C. Dem., 109, des enfants et des femmes ; Démosthène, Sur la fausse amb., 227, des frères. Le discours contre Aristogiton, I, 84, représente même des vieilles femmes comparaissant avec de petits enfants pour implorer le tribunal en faveur de leur fils. Voir encore pour les femmes Aristophane, Plut., l. c. ; Platon, Lois, l. c. ; Athénée, XIII, 63, p. 592 E ; Hermog., l. c. Avec la famille interviennent les amis (Platon, Apol., l. c. ; Lysias, C. Nicom., 31 ; C. Epicr., 12 ; Isocrate, l. c. ; Démosthène, C. Mid., 182 ; C. Néair., l. c. ; Hermog., l. c.), les membres du même dème ou de la même tribu (Lysias, C. Epicr., l. c. ; Andocide, Sur les myst., 150), enfin des hommes politiques et des orateurs (Lysias, C. Nicom., l. c. ; C. Alcib., I, 91 ; P. Polystr., 15).

[62] Quinte-Curce, VI, 10, 30 : Solent rei capitis adhibere vobis parentes.

[63] V. 571. De même, dans le Plutus, Blepsidème se représente Chrémyle suppliant le tribunal avec sa femme et ses enfants (362 ss.), parce qu’il le soupçonne d’ίεροσυλία ou d’άρπαγή (356 ss., 372).

[64] V. 574.

[65] (Démosthène), C. Aristog., I, 89, trad. Dareste.

[66] Lysias, P. Polystr., 34.

[67] L’histoire du droit français éclaire ici l’histoire du droit attique. Si les lois de 1824 et de 1832 ont autorisé l’admission des circonstances atténuantes, c’est que depuis longtemps, systématiquement, au mépris de la loi qui voulait que pour le même crime la responsabilité fût égale et la peine identique, le jury acquittait les inculpés qui avaient agi par entraînement (R. Saleilles, L’individualisation de la peine, p. 71),

[68] On trouvera une comparaison sommaire entre le droit attique et le droit romain, relativement à cette question dans Meier, p. 227-228, et Beauchet, III, p. 719.

[69] Trois siècles après qu’Athènes cessa d’être indépendante, Rome ne l’avait pas dépassée. Elle aussi enlevait par principe leur patrimoine aux enfants du condamné et leur en abandonnait quelques lambeaux par pitié. Pour la première fois, les triumvirs consentirent un bénéfice constant d’un dixième aux fils et d’un vingtième aux filles. Hadrien ne laissait encore à chaque enfant qu’un douzième (Spartien, Vie d’Hadrien, 19). Alors, d’un seul coup, Antonin renonça au droit de confiscation, quand le condamné avait des enfants. Mais la concession parut excessive. Marc-Aurèle lui-même réagit et ordonna le partage égal entre le fisc et la famille. Tel fut désormais la droit commun (Digeste, XLVIII, 20, 1, 2 ; cf. Cujas, Observ., VI, p. 173 ; G. Humbert, art. Confiscatio, dans Dict. des ant., p. 1441). Enfin, Justinien refusa d’appliquer la peine de la confiscation, s’il existait des descendants en ascendants jusqu’au troisième degré (Nov., XVII, 12 ; CXXXIV, 13, 2). Mais en matière de lèse-majesté, une loi d’Arcadius et Honorius (Code Théod., IX, 14, 3 ; cf. 40, 3), conservée même par Justinien (Code Just., IX, 8, 5), prononça la confiscation totale sans remise aucune.