Malgré l’ampleur que prit dans le droit athénien du Ve et du IVe siècle le système des actions publiques, on ne voit nulle part que les poursuites pour homicide aient cessé d’être des δίκαι. Le privilège que Dracon avait constitué à la famille en matière d’accusation et que Solon avait scrupuleusement maintenu était désormais sacré. Tout passait, tout changeait, dans une cité ardente au progrès ; les tribunaux chargés d’appliquer les φονικοί νόμοι furent à maintes reprises bouleversés par les révolutions politiques, et les φονικοί νόμοι eux-mêmes restèrent immuables, continuant de réserver aux parents le droit de venger leur parent. Il y avait donc des crimes que l’État, en pleine possession de sa Souveraineté, laissait impunis, faute d’accusateur légitime[1]. Une pareille conclusion déroute les idées françaises sur le ministère public ou même les idées anglaises sur le droit de tout citoyen à se porter partie civile. Elle a beau se justifier par l’identité primitive de la vengeance privée et de la poursuite judiciaire ; elle répugne à la conception moderne de la justice. C’est à tel point que Philippi[2], avec bien d’autres, a éprouvé un besoin insurmontable de chercher le remède à l’insuffisance des φονικοί νόμοι. Il a cru le trouver dans la procédure particulière de l’άπαγωγή. L’acte d’άπάγειν ou άπαγωγή, c’est essentiellement la prise de corps à cause de délit. Une pareille procédure peut être un moyeu d’exécution sommaire, plue souvent désigné par le verbe que par le substantif, ou, en cas de contestation, une détention préventive à une action qui porte spécifiquement le nom d’άπαγωγή[3]. De toute façon, elle ne peut être légale qu’à l’égard de personnes qui n’ont pas la plénitude des droits civils et politiques ; car les idées sur la liberté individuelle n’ont pas varié en Grèce, depuis le temps oit la famille faisait respecter la τιμή de ses membres jusqu’au temps où l’έπιτιμία des citoyens était garantie par l’État[4]. La condition passive de l’άπαγωγή est une incapacité. Cette incapacité peut résulter d’une cause naturelle, la naissance : c’est le cas pour les esclaves et les étrangers. Elle peut provenir aussi de l’atimie. Mais l’atimie n’est pas seulement la conséquence d’un jugement acquis. Les Grecs avaient sur la valeur exécutoire des lois pénales une conception à eux : l’atimie comminée par la loi s’abat sur la tète du coupable spontanément, sans intervention du juge. Bien plus, il existe une espèce d’atimie qui saisit automatiquement certains malfaiteurs, pour qui le flagrant délit vaut condamnation. On est ainsi amené à distinguer, parmi les άπαγωγαί, trois sortes d’actions fondées sur un même principe : l’une dirigée contre les κακοΰργοι, l’autre contre les άτιμοι, la troisième contre les non-citoyens[5]. Voyons si elles sont capables de retenir les meurtriers qui ont passé par les mailles des φονικοί νόμοι. Les meurtriers, en général, rentrent-ils dans les catégories de malfaiteurs visées par la loi sur les κακοΰργοι [6] ? Une foule de textes y font figurer les voleurs et assimilés, tels qu’άνδραποδισταί et λωποδύται[7], τοιχωρύχοι[8] et βαλλαντιοτόμοι[9]. Un seul témoignage ajoute à la liste les φονεΐς, celui d’un lexicographe qui se dément lui-même[10]. Personne n’aurait ajouté d’importance à une glose mal venue, si l’existence d’une άπαγωγή φόνου n’avait faussement paru confirmée, comme on le verra bientôt, par les œuvres d’Antiphon et de Lysias. Mais, d’autre part, l’άπαγωγή dont ces orateurs ont eu à s’occuper n’aurait jamais eu lien, si le meurtrier n’avait pas été sous le coup de la loi sur les κακοΰργοι, quand le meurtre était une circonstance aggravante de la κακουργία. L’homicide ne peut donc être puni qu’indirectement et subsidiairement par une procédure établie contre les malfaiteurs vulgaires. Bette procédure est bien simple. Elle se borne à légaliser la vieille coutume qui mettait certains malfaiteurs à la discrétion de l’offensé[11]. Les κακοΰργοι surpris en flagrant délit (έπ' αύτοφώρω)[12] sont appréhendés au corps et amenés devant les Onze. S’ils avouent, ils sont exécutés séance tenante ; s’ils nient, ils comparaissent devant le tribunal, qui les fait remettre en liberté ou les condamne à mort[13]. Il va de soi que le voleur qui tue n’est pas plus ménagé que le voleur qui se contente de voler. L’Aréopage n’est pas fait pour les vils assassins qui relèvent de la police, et la justice sommaire qui en débarrasse la société n’a pas besoin d’être mise en mouvement par les parents de la victime[14]. L’άπαγωγή contre les άτιμοι est intentée par qui veut à quiconque est surpris dans un des lieux d’où il est exclu par une interdiction légale. Le coupable est mis aux fera par les Onze, à moins de fournir caution, et déféré aux héliastes. La peine est appréciable[15]. Démosthène, dans le discours contre Timocratès où il cite et commente toutes ces dispositions, dit expressément qu’elles atteignent ceux qui s’introduisent dans l’agora sans avoir les mains pures[16]. S’agit-il du cas, prévu par Dracon, où le condamné pour meurtre prémédité est trouvé έν τή ήμεδαπή ? Non : le banni en rupture de ban est tué sur place ou mené au supplice sans autre forme de procès[17]. L’atimie dont il est question ici est celle qui s’attache au meurtrier dès le moment où il a commis son crime. La πρόρρησις, cette proclamation qui lui défend d’assister aux cérémonies et de paraître aux endroits publics ou sacrés[18], est exécutoire, soit qu’elle ait été lancée contre lui nommément et vaille citation[19], soit qu’elle ait été dirigée contre l’auteur, τόν δράσαντα, sans le désigner[20], voire même quand personne n’a prononcé l’interdiction, tout simplement parce que la loi la prononce. L’άπαγωγή des άτιμοι est donc bien applicable à l’homicide. Démosthène lui-même nous donne à ce sujet toutes les explications désirables, dans le discours contre Aristocratès. Après avoir passé en revue les modes de poursuite usités dans les cinq tribunaux de sang, il examine une sixième procédure : Si l’on voit, dit-il, le meurtrier paraître dans les sanctuaires ou mur l’agora, on peut le traîner en prison... S’il est déclaré coupable, il sera puni de mort ; mais si l’accusateur n’obtient pas le cinquième des suffrages, il paiera l’amende de mille drachmes[21]. Voilà encore un cas où l’accusation d’homicide n’est plus le privilège des parents. Mais c’est un cas exceptionnel. L’άπαγωγή est possible contre le meurtrier, non du jour où il a commis le meurtre, mais s’il a, de plus, mis en danger la cité tout entière en lui communiquant la souillure, sans souci du ban légal. Le meurtrier qu’a épargné la termite lésée et qui se résigne à l’excommunication vit en toute sécurité. Et, même s’il tombe sous le coup de l’άπαγωγή, il n’arrive guère dans la pratique qu’un citoyen quelconque se mette en avant de gaffe de coeur et coure le risque de payer l’amende pour le plaisir de venger la morale. Pour Démosthène, l’άπαγωγή n’est qu’une action de plus, ouverte aux personnes qui sont armées déjà par les φονικοί νόμοι, mais qui n’ont pas exercé de poursuite& dans les formes solennelles, par ignorance de la loi, ou en ont été empêchées par la prescription, ou ne l’ont pas voulu pour un motif quelconque[22]. L’άπαγωγή άτίμων fournit donc un recours supplémentaire au : parents de la victime ; elle ne tient pas lieu de γραφή φόνου. Si le meurtrier est à l’abri de l’άπαγωγή, pourvu qu’il ne soit pas un voleur pris έπ' αύτοφώρω et soit resté à l’écart des lieux prohibés, comment comprendre les deux affaires d’άπαγωγή qui nous sont connues par les plaidoyers d’Antiphon et de Lysias ? Le Mytilénien Euxithéos, pour qui Antiphon a composé le discours sur le meurtre d’Hérodès, se défend contre une inculpation d’homicide. Il proteste avant tout contre les illégalités et les violences de la procédure choisie par ses adversaires. Dénoncé comme κακοΰργος, dit-il, je suis accusé de meurtre, ce qu’on n’a jamais fait aux gens de ce pays. Or, je ne suis pas κακοΰργος, et je ne tombe pas sous le coup de la loi sur les κακοΰργοι : j’en prends à témoin les accusateurs eux-mêmes. Car la loi a trait aux voleurs d’argent et d’habits, et l’on n’a pas établi le moindre rapport entre ces gens et moi[23]. Ces allégations seraient tellement faciles à réfuter, si elles étaient fausses, qu’il faudrait les tenir pour vraies, lors même qu’elles ne seraient pas confirmées par tous les faits de la cause. Mais quand l’accusé demande pour juges les Aréopagites, quand il déclare qu’on n’a pas le droit de le faire comparaître sur l’agora, dans un endroit clos, sans la garantie des serments solennels déférés à l’accusateur et aux témoins[24], il prouve trop : impossible que les magistrats aient prêté leur concours a un déni de justice aussi flagrant, Alors, pourquoi les Onze ont-ils donné suite à la procédure introduite par les accusateurs ? Une question à peu près semblable se pose à propos du discours écrit par Lysias contre Agoratos. Agoratos était un de ces sycophantes qui s’étaient faits les pourvoyeurs de la mort sous les Trente. Longtemps après, en 398 ou plus tard[25], il fut mis en accusation devant les héliastes par voie d’άπαγωγή et du chef d’homicide. Les Onze exigèrent, pour accepter l’acte d’άπαγωγή, que la formule désignant les faits incriminés contint les mots έπ' αύτοφώρω. L’accusateur se voit ainsi obligé d’arguer que la condition requise est remplie, si la culpabilité est ou démontrée par des témoins oculaires ou simplement de notoriété publique[26]. Faisant à mauvais jeu bon visage, il prétend même que l’exigence des magistrats était un acquiescement à cette thèse et une intervention directe contre l’inculpé. Mais, de vrai, l’accusateur aurait préféré que son άπαγωγή, ne fût pas motivée par une infraction έπ' αύτοφώρω : son adversaire ne saurait passer pour un vulgaire κακοΰργος, et rien ne dit qu’on l’ait vu en un lieu prohibé. Il faut donc qu’une άπαγωγή pour homicide puisse se fonder sur une troisième raison. Qu’on rapproche le plaidoyer d’Antiphon et celui de Lysias, cette raison apparaîtra. Euxithéos n’était pas Athénien[27] — pas plus que les assassins de Phrynichos, poursuivis un instant par voie d’άπαγωγή[28] — ; Agoratas était d’origine servile[29] — comme ce Ménestratos qui travailla comme lui dans le meurtre politique et, saisi comme lui par la justice populaire, fut condamné à mort[30] —. La justice criminelle des peuples grecs ne traitait pas et ne pouvait pas traiter sur le même pied que les citoyens les étrangers, fussent-ils des métèques ou des alliés[31], à plus forte raison les esclaves. Les Athéniens se distinguaient par leurs mœurs accueillantes et des lois d’une large bienveillance ; ils n’admettaient cependant pas l’égalité absolue, sans distinction de personnes. Ils ont beau proclamer ce principe, que l’homicide d’un esclave donnera lieu aux mêmes poursuites que celui d’un homme libre[32]. En réalité, l’homicide de l’esclave, ainsi que celui de l’étranger libre et même domicilié, relève toujours du Palladion, qui ne prononce pas la peine de mort, et n’est jamais jugé par le tribunal du meurtre qualifie, l’Aréopage[33]. Naturellement, on fait aussi une différence de procédure et de juridiction selon la personne du meurtrier. Cette différence est même forcément plus grande. En règle générale, pour contraindre les non-citoyens à comparaître, on prenait à leur encontre des mesures spéciales : on exigeait d’eux des cautions, ou même on leur infligeait la prison préventive[34]. Or, les justiciables du Palladion, comme ceux de l’Aréopage, pouvaient jusqu’au dernier moment prendre volontairement le chemin de l’exil[35]. Il n’est pas possible qu’on ait jamais accordé au meurtrier d’origine étrangère et moins encore à l’esclave le droit de quitter Athènes et de gagner tranquillement sa patrie, comme si de rien n’était[36]. Il fallait, au contraire, s’assurer de leur personne, ce qui revient à dire que le procès ne pouvait s’engager que par άπαγωγή. L’άπαγωγή des non-citoyens a donc pour but de traîner devant les tribunaux des coupables qui fuiraient trop aisément. Elle ne vise pas du tout à étendre le droit de poursuite à d’autres qu’aux parents. Quels sont les accusateurs dans les deux procès qui nous sont connus ? Euxithéos a devant les héliastes les mêmes adversaires qu’il aurait eus devant l’Aréopage, puisqu’il leur reproche de ne pas avoir été à l’Aréopage[37] et les soupçonne de vouloir l’y ressaisir, s’ils sont déboutés par les héliastes[38] : ces έναγκαΐοι d’Hèrodès[39] qui ont si patiemment réuni les éléments de l’instruction[40] sont bien ses συγγενεΐς[41]. Agoratos n’est pas attaqué au nom de la société, pour tous les crimes qu’il a pu commettre : il est inculpé d’avoir fait mourir Dionysodoros ; il l’est par le frère de la victime, Dionysios, et par son cousin et beau-frère[42] ; il l’aurait été par le fils de la victime, si Dionysodoros avait eu le fils posthume sur qui reposaient ses espoirs de vengeance[43]. Ainsi, le vieux principe sur lequel les φονικοί νόμοι avaient fondé le droit de poursuite resta toujours à peu près intact chez les Athéniens. Il ne fut guère entamé que dans un cas, lorsqu’il fallait punir ces malfaiteurs qui grouillent dans les bas-fonds des grandes villes, les malandrins qui assassinent pour voler, Ies coupeurs de bourses qui se font coupe-jarrets. Dans ce cas, on ne dérogea pas seulement à la règle établis par Dracon en faveur de la partie lésée ; on dépassa même la pensée de Solon, celle d’où était sorti le système des γραφαί, celle qui avait fait confier à tous les citoyens la protection des faibles et la garde des lois. Pour certains crimes, c’eût été exposer l’ordre public à de graves dangers que d’attendre, avant d’agir, qu’un particulier eût déposé sa plainte... Le magistrat, à ce qu’il semble, poursuivait d’office, comme chez nous, en toute affaire criminelle, le ministère public[44]. Mais, pour tous les outres homicides, l’άπαγωγή n’était applicable que dans des circonstances exceptionnelles et n’était appliquée que par les parents de la victime. Elle ne détruisait pas, elle renforçait, au contraire, le privilège de la famille. Les Athéniens ne sentirent pas le besoin d’amender sur ce point leur législation, parce qu’ils n’en éprouvèrent pas de mauvais effets. On pouvait s’en fier pour les poursuites à l’âme vindicative que les Grecs avaient reçue de leurs ancêtres. De famille à famille, l’abus de l’abstention n’était guère à craindre. Mais ai la meurtre avait été commis par un parent contre un parent ? Si le champion légal du mort était précisément le meurtrier ? Déjà la question s’était posée au temps où la justice familiale avait failli à ses devoirs ; l’excommunication religieuse avait eu raison alors des récalcitrants. La religion, à son tour, axait perdu en partie sa puissance de coercition. Il arrivait que le criminel ne sentit plus l’horreur de sa souillure jusqu’à s’exiler volontairement. Ses parents pouvaient ne plus redouter la contagion jusqu’à refuser de vivre en sa société[45]. Et, dans ce cas, les φονικοί νόμοι laissaient errer sans vengeance l’ambre du frère tombé sous les coups d’un frère, ou l’Erinnys inapaisée du père tué par son fils. Le parricide, a-t-on dit[46], n’a pu être prévu par la loi criminelle que du jour où le système de la vengeance du sang a fait place à un autre système, celui de la peine infligée au nom de la société. Or, les γραφαί servirent bien aux Athéniens à mettre en pratique ce dernier système ; mais elles ne firent jamais irruption dans le domaine inviolable des φονικοί νόμοι. Et, comme il était impossible à un citoyen quelconque de poursuivre le parricide devant les tribunaux, la loi ne s’occupa de la matière que pour interdire expressément et sans restriction aucune l’appellation de πατραλοίας et μητραλοίας[47]. Pourtant, las sentiments de famille ne s’affaiblissaient pas chez les Athéniens. Au contraire, à mesure que les parents auxquels il s’adressait étaient moins nombreux, il devenait plus puissant. On pensait comme Aristarque, lorsqu’il effaçait vertueusement de l’Iliade les vers où Phoinix, s’accuse d’avoir eu l’idée d’un parricide[48]. On n’appréciait plus l’acte d’Oreste comme au vieux temps. Pour rendre sa présence supportable sur la scène, les poètes tragiques sont obligés de montrer en lui I’instrument aveugle d’Apollon[49], Pour lez spectateurs qui auraient trouvé l’excuse attentatoire à la majesté divine, Eschyle a un autre argument, humain celui-là et presque scientifique. Les philosophes, sans doute pour expliquer la puissance paternelle par des faits de nature, déclaraient que dans la procréation l’élément mâle était tout, que le rôle de la femme se bornait à la gestation et à la nourriture d’un être reçu en dépôt[50] : l’enfant ne tient pas son sang de sa mère, et la femme, reçue dans le γένος de son mari, reste une étrangère, même pour son fils. Le matricide, par conséquent, n’est pas un forfait inexpiable, comme le parricide. Toute cette casuistique, qui s’arme où et comme elle peut, est bien intéressante en ses subtilités. Elle nous fait voir l’embarras des générations qui ne savaient plus goûter le mérite de certains parricides et cherchaient laborieusement au héros légendaire des circonstances atténuantes. Les mœurs n’étaient donc pas d’accord avec les lois mur la question du parricide. Il faut admirer ici la souplesse que les Athéniens surent donner au système des γραφαί. Avec une adresse instinctive et d’autant plus remarquable, ils y trouvèrent le moyen de tourner la loi qui leur imposait par son origine auguste et les gênait par ses dispositions surannées. Nul ne pouvait forcer les champions légaux d’un mort à user de leur droit contre le meurtrier. Mais on pouvait empêcher les égoïstes et les timides d’étendre par leur inaction la souillure à toute la république. Les complicités acceptées après coup, ne fût-ce que par omission, engageaient la responsabilité sociale. Au nom du salut commun, tout citoyen put agir, non pas contre le meurtrier, mais contre l’homme qui seul avait le moyen d’arrêter la contagion et refusait de le faire[51], non pas par une action en homicide, mais par une action en impiété, non pas devant l’Aréopage ou les éphètes, mais devant les tribunaux du peuple. C’est ainsi qu’au milieu du IVe siècle, Androtion intente une γραφή άσεβείας à Euctémon, parce qu’il continue de vivre avec son neveu Diodore, soupçonné de parricide[52]. Mais la condamnation du sacrilège retombait lourdement sur le meurtrier. Dans le procès contre Euctémon, le véritable accusé, c’est Diodore[53]. Si son oncle subit des outrages terribles et redoute l’exil avec confiscation, ce n’est rien encore auprès des périls qu’il court lui-même[54]. C’est lui qui lutte, c’est lui qui triomphe[55]. Les tribunaux athéniens n’ont donc jamais eu à statuer sur une action publique en parricide. Rien ne nous autorise même à supposer qu’à aucune époque un parent ait poursuivi un parent pour le meurtre d’un parent. Il n’y a pas d’exemple d’une δίκη φόνου engagée dans ces conditions, et les vieilles solidarités ont bien pu persister à ce point, qu’on n’ait jamais fait appel à la justice sociale pour venger un crime commis en famille. Mais la δήμου φέτις, qui, dans la période primitive, obtenait que le coupable fût expulsé par la juridiction du γένος, qui, plus tard, lançait contre lui une excommunication équivalant à une sentence d’exil, la δήμου φέτις veille toujours. Elle a pour représentant le citoyen qui se met en avant et parle au nom des autres ; elle s’incarne dans le peuple siégeant à l’Héliée. Elle n’agit plus seulement par une pression morale, mais aussi par la menace de sanctions positives. Elle a ainsi des armes assez puissantes pour obliger les parents du meurtrier et de la victime à exiger une complète satisfaction. La société sait obtenir indirectement les réparations qu’elle n’a pas le droit de demander en son nom propre. Aucune disposition formelle ne punit le parricide ; mais toutes les sévérités de la loi sont mises au service des règlements religieux qui déclarent indélébile la souillure et la contagion éternelle. Il est des meurtres pour lesquels la δίκη n’inflige pas d’expiation et dont pourtant la tache ne vieillit pas[56]. Quand les champions du mort ne peuvent pas poursuivre le coupable en justice, leur obligation n’en est que plus stricte : ils ne doivent consentir à une réconciliation qu’après la purification, et, ai la purification est impossible, ils doivent par tous les moyens en leur pouvoir forcer le coupable à s’éloigner du paye pour toujours. Quiconque ne fuit pas la présence du maudit est maudit lui-même et peut être accusé par le premier venu. La peur d’être traité en impie fait le vide autour du parricide avéré. Cette mise en quarantaine matérielle et morale, cette excommunication absolue, n’est autre chose qu’un jugement spontané du peuple et de la famille ; la γραφή άοεβείας intentée au parent qui ose s’inscrire en faux contre la sentence sommaire et anonyme est, au fond, l’έφεσις d’une condamnation en parricide portée contre un autre. La δίκη décide s’il y a lieu d’exécuter les prescriptions de la θέμις. Mais ce n’est pas la δίκη qui fixe la peine : l’horreur universelle de la souillure y pourvoit. Pas un homme au monde, dit Diodore, ne m’eût donné asile, si les impostures d’Androtion avaient trouvé créance auprès de vous... Si par malheur il avait fait condamner Euctémon, est-il sort plus affreux que celui qu’il m’eût infligé ? Est-il un ami ou un hôte qui eût consenti à se rencontrer avec moi ? Est-il une ville qui eût abrité un homme déclaré coupable d’un crime aussi impie ? Non, il n’en est point... Je ne serais pas seulement dépouillé de ma fortune, je ne pourrais plus vivre, et le refuge commua de tous les hommes, la mort libératrice, ne serait pas un asile pour moi[57]. Ainsi un homme, sans être condamné formellement, personnellement, mais parce qu’un autre qui répondait de son innocence a été condamné, est du coup soumis aux peines les plus terribles de la coutume primitive et du droit religieux. L’exclusion de la famille et l’excommunication se compliquent pour lui de l’exil perpétuel. S’il résiste ou s’il revient en rupture de ban, il est à son tour coupable d’ici6cca et peut être livré au bourreau par άπαγωγή[58]. Il ne peut même pas compter à l’étranger sur le droit d’asile[59], il ne peut pas obtenir le repos de la tombe dans la terre natale[60], et voilà pourquoi la vie lui devient impossible, sans que la mort lui soit un soulagement. Pour empêcher les insultes les plus flagrantes à la moralité publique, les Athéniens n’ont donc pas eu à enlever aux parents de la victime le privilège des poursuites. Mais, de temps immémorial, le droit exclusif d’accuser entraînait le droit de transiger, même à prix d’argent. Solon s’était borné à interdire de rançonner le meurtrier banni par l’Aréopage et surpris en rupture de ban. Tant que les tribunaux ne s’étaient pus prononcés et même quand le Palladion avait rendu un jugement de condamnation, l’αΐδεσις avec ύποφόνια restait possible. Tel est encore le droit à la belle époque. Lest-ce toujours le fait ? Facultative, l’αΐδεσις peut ne pas se pratiquer : les institutions les plus incontestées sont les plus caduques. La coutume atteinte par la loi de Solon n’a-t-elle pas été ruinée par les moeurs ? Cette question en entraîne une autre. Quelles sont, aux Ve et IVe siècles, les conditions de la paix privée après homicide ? L’αΐδεσις comporte-t-elle un contrat réel d’ύποφόνια ? Le prix du sang est-il exigé quatre ou cinq siècles après les temps homériques ? Démosthène parle des transactions pour homicide comme de choses toutes naturelles et qui se font journellement[61]. Une fois pourtant, quand il raconte l’histoire de Théocrinès, il s’indigne contre le pacte conclu[62]. Est-ce donc que la vieille tradition commençait à n’être plus comprise et que d’autres idées se faisaient jour[63] ? Oui, mais jusqu’à un certain point. On pourrait d’abord objecter qu’étant données les habitudes des logographes, la sincérité de, pareils reproches est sujette à caution : il serait fort aisé d’opposer aux railleries prêtées à Epicharès le ton calme et dégagé dont Démosthène fait parler d’autres clients sur des transactions analogues. Mais il n’y a même pas à taxer l’orateur de mauvaise foi ou de versatilité professionnelle. Si Démosthène flétrit la transaction à laquelle Théocrinès a donné la main, il ne proteste pas contre les transactions en général. Le vieux principe, que la famille lésée peut accepter le prix du sang, Démosthène l’admet pleinement ; mais il ne veut pas le voir appliqué à tort et à travers. Démocharès a commis son crime avec préméditation : il aurait dû passer devant l’Aréopage[64], et un homme de coeur aurait préféré une juste vengeance à une somme d’argent. Dans les cas de meurtre particulièrement grave, on doit agir avec une délicatesse de sentiments exceptionnelle. Encore est-ce là une opinion personnelle, et celle d’un adversaire intéressé à la soutenir, Elle ne semble guère plus conforme à la morale populaire qu’aux prescriptions légales ; car, si personne ne put forcer Théocrinès à poursuivre, cette abstention lucrative ne le desservit point auprès des Athéniens. On n’est pas mal vu pour avoir traité avec l’homme prévenu de meurtre prémédité. A plus forte raison, use-t-on librement de son droit en cas d’homicide involontaire. Athènes, sur ce point, ne se distingue pas des autres cités. La moralité grecque ne répugna jamais à l’usage des compositions. On le voit au caractère exceptionnel d’une disposition destinée à réagir contre l’abus. Une loi du IIIe siècle, promulguée à Ilion après une révolution, assimile aux meurtriers ceux qui ont voté la mort d’un, citoyen sous le gouvernement déchu et ajoute : Le meurtre ne sera racheté ni par mariage ni par paiement. Quiconque passera outre sera passible de la même peine[65]. Ce qui est intéressant dans cette loi, c’est moins la défense de transiger, édictée par une mesure de circonstance, que le témoignage qui nous est implicitement fourni sur la survivance de la composition sous les formes les plus primitives en pleine période de civilisation hellénistique[66]. Sanctionnées par la loi, les transactions vénales sont admises parles mœurs. A peine quelques nuances selon les cas. A la suite d’un homicide involontaire, l’αΐδεσις devait concilier l’estime générale à la famille qui se tenait pour satisfaite par un court exil du condamné : elle se conformait au vœu du tribunal. Même Tans recours au Palladion, l’αΐδεσις devait encore être considérée comme le libre exercice d’un droit légitime. Enfin, à la suite d’un meurtre prémédité, l’αΐδεσις n’était plus qu’un acte strictement légal, qui ne semblait point blâmable au vulgaire, mais soulevait la réprobation des esprits plus distingués et des consciences plus scrupuleuses. L’αΐδεσις étant plus ou moins facile à obtenir selon les cas, la nécessité d’y mettre le prix, de payer les ύποφόνια, ne se faisait pas toujours sentir avec une force égale. Plus le demandeur est fortement incliné à l’αΐδεσις par les idées ambiantes, mains le défendeur est disposé à faire des sacrifices matériels. L’auteur d’un homicide involontaire se sent soutenu parla sentence mitigée qui l’a condamné en le déclarant digne de pardon. Sa personne est en sûreté à l’étranger ; dans sa patrie, ses biens vont couverts par la loi : il est très fort pour débattre les conditions de son retour, et ses adversaires sont en fâcheuse posture pour émettre de hautes prétentions. Quand l’αΐδεσις va de soi, les ύποφόνια n’ont plus guère leur raison d’être : ils sont intimes au nuls. Au contraire, quand l’αΐδεσις est une transaction extra-judiciaire, la famille lésée peut dicter ses lois. L’effet le plus ordinaire des ύποφόνια est de prévenir les poursuites. Voilà pourquoi les grammairiens[67] quand ils ont à définir ce mot, déclarent, d’après des exemples tirés de Dinarque et des textes colligés par Théophraste, qu’il s’agit de sommes payées pour éviter un procès d’homicide. Mais là encore la puissance de l’offensé en face de l’offenseur est variables. Elle dépend du crime commis. Pour un homicide involontaire, l’αΐδεσις ne se fait que si les exigences de la famille restent modérées ; sinon, l’adversaire préférera courir les chances d’un procès et subir l’exil à temps. Pour un meurtre prémédité, les parents peuvent rançonner le coupable à discrétion : ils le tiennent par la crainte d’une accusation qui tendrait au bannissement perpétuel et à la confiscation totale, ils sont les maîtres. Grâce à cette graduation, établie par la force des choses, la loi de Dracon put se mettre pour toujours en harmonie avec les mœurs. S’il n’y eut jamais dans le public un mot de blâme pour les parents qui, lésés par un homicide, consentaient à traiter et acceptaient de l’argent, c’est que dans la pratique le prix du rachat était proportionné à la gravité du crime. On peut maintenant se représenter avec netteté comment les Athéniens ont pu ne contenter de δίκαι pour régler judiciairement les affaires de sang. Ils n’ont pas voulu d’une γραφή φόνου et ils n’ont pas donné à l’άπεγωγή une portée assez générale pour atteindre un meurtrier quelconque, parce qu’ils croyaient la sécurité publique suffisamment assurée. Quand le meurtre avait été commis par un parent sur un parent, ils comptaient sur la γραφή άσεβείας pour convertir le droit de vindicte en une obligation stricte. Quand le coupable n’était pas de la même famille que la victime, ils ne doutaient point qu’au cas où la haine ne rechercherait pas les satisfactions légales, l’amour de l’argent obtiendrait les réparations nécessaires dans des limites équitables. Au risque de permettre à quelques rares criminels d’échapper à toute sanction, ils n’ont jamais admis que l’État fût plus intéressé au châtiment d’un meurtrier que la famille. |
[1] On a vu plus haut le cas du plaidoyer contre Evergos.
[2] Areop., p. 101-106.
[3] Meuss, De άπαγωγής act. ap. Ath., diss. in., Vratisl., 1884, a bien distingué l’acte général d’άπάγειν et l’action proprement appelée άπαγωγή (p. 3, 14, 22 ss.).
[4] Voir Antiphon, Sur le meurtre d’Hérode, 17-18 ; Démosthène, C. Androt., 55.
[5] Cette théorie de l’άπαγωγή résout, croyons-nous, les difficultés qui ont soulevé jusqu’à présent tant de discussions.
[6] Sur cette loi, voir Antiphon, l. c., 9 ; C. I. A., II, n° 476, l. 55 ss. ; cf. Démosthène, C. Con., 24.
[7] Aristote, Const. des Ath., 52 ; Isocrate, Sur une antidosis, 90 ; Pollux, VIII, 102 ; Photius, s. v. ένδεκα (cf. s. v. ήγεμονία δικαστηρίου) ; Lex. Rhet., dans Bekker, Anecd. gr., I, p. 310, 14.
[8] Démosthène, C. Lacr., 47 ; Xénophon, Mém., I, 2, 62 ; Platon, Rép., IX, p. 575 B ; Aristophane, Grenouilles, 771. Cf. Meuss, op. cit., p. 7.
[9] Xénophon, Platon, Aristophane, ll. cc.
[10] Lex. Rhet., l. c., p. 250, 5 (cf. p. 310, 14). Le texte d’Eschine, C. Tim., 91, est expliqué, par Meuss, op. cit., p. 9-10, 28-29.
[11] On retrouve l’άπαγωγή primitive, c’est-à-dire la manus injectio extra-judiciaire, dans la danse armée des Ainianes et des Magnètes. C’est une pantomime qui représente la lutte du laboureur et du brigand. Quand le laboureur a le dessus, il lie au brigand les mains derrière le dos, l’attache à côté de ses bœufs et le fait marcher ainsi devant lui (Xénophon, Anabase, VI, 1, 8). De même, dans la légende, Bias, ayant essayé de voler les génisses d’Iphiclos, φωραθείς έπί τή κλοπή δέσμιος έν οίκήματι έφυλάσσιτο (Apollod., I, 19, 12, 3). Plus tard, c’est devant l’arbitre ou le juge que le volé amène le voleur garrotté. Dans l’Hymne à Hermès, Apollon met la main sur le coupable, le ligote et le pousse devant lui si brutalement, qu’en le voyant arriver, Zeus, pris pour arbitre, croit qu’il s’agit d’un prisonnier emmené comme esclave (157-158, 320-321, 330).
[12] Lysias, C. Agor., 86 ; Isée, Sur la succ. de Nicostr., 28 ; Démosthène, C. Stéph., I, 81. Cf. Rauchenstein, Ueb. die Apagoge in der Rede des Lys. geg. den Agor., dans le Philol., V (1850), p. 513 ss. L’étymologie seule prouverait que l’expression έπ' αύτοφώρω a été imaginée pour le flagrant délit de vol, condition essentielle de la κακουργία (cf. Gilbert, Beitr., p. 453, n. 1).
[13] Aristote, Const. des Ath., 52 ; Démosthène, C. Timocr., 65, 146 ; Eschine, C. Tim., 91, 113 ; Pollux, VIII, 102 ; Scol. d’Aristophane, Guêpes, 1103 ; Lex. Rhet., l. c., p. 250, 5 ; Etym. Magn., s. v. ένδεκα. Cf. Lysias, C. Agor., 67-68. Voir Meuss, op. cit., p. 12-15.
[14] Il y a bien des rapports entre l’άπαγωγή κακουργων et la clameur du haro (voir Glasson, Et. hist. sur la clameur du haro, dans les Mém. de l’Ac. des sc. mor. et pol., XVI, 1888, p. 499-533).
[15] Démosthène. C. Timocr., 105. Sur les cautions, voir 103 ; Antiphon, Sur le meurtre d’Hérode, 17.
[16] Démosthène, l. c., 80.
[17] Id., C. Aristocr., 28 ss. ; I. J. G., n° XXI, l. 30 ; Dinarque, C. Dém., 44 ; cf. Pollux, VIII, 49. Voir Platner, I, p. 266 ; Meuss, op. cit., p. 19-21.
[18] Cf. Démosthène, C. Lept., 158 ; Platon, Lois, IX, p. 871 A.
[19] Voir I. J. G., l. c., l. 20 ; (Démosthène), C. Macart., 57 ; C. Néair., 9 ; Antiphon, Sur le chor., 34 ss. ; Sur le meurtre d’Hér., 10. Sur le rôle du roi, voir Aristote, Const. des Ath., 51 ; Scol. de Patm., dans le B. C. H., I (1877), p. 139 ; Pollux, VIII, 90 ; Lex. Rhet., l. c., p. 310.
[20] Platon (l. c.) dit clairement de l’auteur d’un meurtre prémédité : Πρώτον μέν τών νομίμων είργέσθω,... έάν τέ τις άπαγορεύη τώ δράσαντι ταύτα άνθρώπων καί έάν μή . ό γάρ νόμος άπαγορεύει. Les formalités de la πρόρρησις n’ont pas pu être accomplies pour les meurtres juridiques commis par Agoratos sous les Trente, et cependant, quand il se présente à Phylé, nul ne consent à être son commensal ou son camarade de tente ; aucun taxiarque ne veut l’inscrire dans son contingent ; enfin, il est chassé ignominieusement d’une procession. (Lysias, C. Agor., 79-81).
[21] Démosthène, C. Aristocr., 90 ; cf. Pollux, VIII, 69. Taudis que la sanction indiquée ici est la peine de mort, la loi générale, insérée dans le discours contre Timocratès, parle d’une peine appréciable. Il n’y a cependant pas contradiction. Dans le discours contre Aristocratès, Démosthène ne cite pas la loi textuellement et peut très bien constater ce que sont les jugements de condamnation dans une jurisprudence qui a facilement assimilé l’άπαγωγή άτίμων à l’άπαγωγή κακούργων. Inversement, Antiphon, l. c., 10 et 58, confond la sanction άτίμητος de l’άπαγωγή κακούργων avec la sanction τιμητός de l’άπαγωγή άτίμων, confusion que Blass, Att. Bereds., 2e éd., I, p. 177, n. 3, soupçonne d’être volontaire.
[22] Démosthène, l. c.
[23] § 9 ; cf. 85. Sur la procédure d’άπαγωγή, voir encore 17, 38.
[24] §§ 10-12.
[25] Blass, l. c., p. 155.
[26] Lysias, C. Agor., 85-87. Effectivement, les mots έπ' αύτοφώρω s’appliquaient, par extension, au crime manifeste et prouvé par témoins oculaires (Démosthène, C. Con., 1 ; cf. C. Everg., 49 ; Euripide, Ion, 1213-1217 ; voir Sauppe, Epist. crit., p. 140 ss. ; Rauchenstsin, l. c., p. 514 ; M. Sorof, Die άπαγωγή in Mordprocessen, dans la Neue Jahrb. f. class. Philol., CXXVII, 1883, p, 110-111 ; Blass, l. c., p. 552 ; Meuss, op. cit., p. 14-15).
[27] Euxithéos a parfaitement raison quand il dit, dans le passage déjà cité : Πρώτον μέν γάρ κακοΰργος ένδεδειγμένος φόνου δίκην φεύγω, ό ούδεις πώποτ' έπαθε τών έν τή γή ταύτη. Mais il s’exprime avec une rouerie insigne ; car il aurait tort, s’il disait ό ούδείς πώποτ' έπαθεν έν τή γή ταύτη (sang τών), et, en constatant un fait indéniable, il se range subrepticement parmi les citoyens. Or, les alliées intermédiaires entre les citoyens et les étrangers quelconques, étaient jugés à Athènes au moins en appel, dans les actions capitales (Antiphon, l. c., 41 ; Michel, n° 70, l. 4-12, 71-76 ; voir Guiraud, De la cond. des alliés pendant la prem. conféd. ath., dans les Ann. de la fac. des lettres de Bord., V, 1883, p. 201) ; mais ils n’y possédaient pas toutes les prérogatives des citoyens en matière de justice criminelle et avaient toujours pour juges les héliastes (Xénophon, Rép. d’Ath., I, 16 ; Michel, l. c. ; l. 4, 75 ; cf. Guiraud, l. c., p. 203).
[28] On connaît ces poursuites par Lycurgue, C. Léocr., 112, et Thucydide, VIII, 42. C’est Lysias (C. Agor., 71) qui nous dit que Thrasyboulos était de Calydon, et Apollodoros de Mégare (cf. C. I. A., I, n° 59).
[29] L’adversaire d’Agoratos insiste sur sa condition servile (64, 67-76). S’il a fallu ajouter sur la plainte écrite la formule έπ' αύτοφώρω, c’est que l’inculpé prétendait avoir obtenu l’affranchissement (70 ss. ; cf. C. I. A., l. c.) et que les Onze ne voulaient pas prendre sur eux de décider la question. Mais ce n’est ni contre un κακοΰργος ni contre un άτιμος, c’est contre un esclave qu’est dirigé tout l’effort de l’accusation.
[30] Lysias, l. c., 58. Il est probable que la peine de mort par bastonnade, άποτυμπανισμός, n’était applicable eu droit commun qu’aux esclaves (cf. 67, 68).
[31] Cf. Clerc, Les mét. ath., p. 76 ss., 97 ss., 114 ss. ; Guiraud, l. c., p. 197.
[32] Antiphon, Sur le meurtre d’Hérode, 68 ; I. J. G., n° XXI, l. 36.
[33] Aristote, Const. des Ath., 57 ; Lex. Seguer., dans Bekker, Anecd. gr., I, p. 194, 11 ; cf. Démosthène, C. Aristocr., 89 ; Michel, n° 13, l. 13-17 ; 99, l. 34-4. Voir Clerc, op. cit., p. 99-100, 108.
[34] (Démosthène), C. Zénoth., 29 ; Lysias, C. Agor., 23 ; Antiphon, l. c., 17. Wetsing, De inquilinorum et peregr. ap. Ath. judiciis, diss. in., Munst., 1847, p. 44 ss., et Clerc, op. cit., p. 104-105 (cf. p. 92-93), s’en laissent accroire par les protestations d’Antiphon. Voir encore Caillemer, Le cautionnement judicio sistendi causa, dans les Mém de l’Ac. de Caen, 1876, p. 531 ss.
[35] Cf. Démosthène, l. c., 69 ; Pollux, VIII, 111.
[36] Voir Antiphon, l. c., 13. Meuss, op. cit., p. 30-31, essaie d’expliquer pourquoi les Athéniens n’ont pas soumis les non-citoyens à la même juridiction que les citoyens, en cas d’homicide. Mais tas raisons qu’il donne ne talent rien. S’il était nécessaire d’abréger les lenteurs de la procédure usitée à l’Aréopage, pourquoi ne l’a-t-on pas fait pour les citoyens ? Si l’on craignait de rabaisser le prestige de l’Aréopage, pourquoi n’a-t-on pas déféré au Palladion le non-citoyen meurtrier d’un citoyen, comme le citoyen meurtrier d’un non-citoyen ?
[37] Antiphon, l. c., 11-15.
[38] §§ 85, 90, 96.
[39] § 59.
[40] §§ 29 ss.
[41] Voir L’Argument de plaidoyer.
[42] Lysias, l. c., 1, 40-41, 86, 90.
[43] § 42.
[44] Perrot, p. 274.
[45] Il en était ainsi, récemment encore, dans le Caucase. Chez les Pchaves, le coupable continuait à vivre dans la gens, méprisé par tous, mais non poursuivi. Chez les Svanètes, la famille ne pouvant, se venger sur elle-même..., le parricide continue à demeurer dans la maison arec les autres parents, sans être astreint à autre chose qu’à porter un collier de cailloux ronds (Dareste, Nouv. ét., p. 246, 237).
[46] Dareste, Ét. d’hist. du dr., p. 150.
[47] Lysias, C. Théomn., I, 8 ; II, 4. Cf. l’article Kakégorias diké, dans le Dict. des ant., p. 794.
[48] Iliade, IX, 458-461 ; cf. Plutarque, Sur la lect. des poètes, 8, p. 24 F.
[49] Les Choéphores d’Eschyle représentent un parricide commandé (v. 10, 558-559, 940-941, 952 ; cf. Euripide, Iph. Taur., 885 ; Or., 28-32 ,164-168, 192-193, 330, 1665 ; Sophocle, El., 32-35, 1425 ; voir Gerbard, Denkm. u. Forsch., 1880, pl. CXXXVIII, n° 1 et les explications de C. Bötticher aux p. 48-61). Effroyables sont les peines fulminées par le dieu assis sur l’omphalos (Euripide, Or., 854 ; cf. C. Bötticher, l. c., p. 54-55) contre le fils qui refuserait au père égorgé de quoi adoucir son ressentiment posthume, du sang (Eschyle, l. c., 269-300). Quand, touché par les plaintes de Clytemnestre, ne supportant plus la vue de la misérable qui se trame à ses pieds et lui montre le sein qui l’a nourri, Oreste se sent faiblir, il lui faut le souvenir de l’oracle homicide, le philtre dont l’enivre Loxias, pour aller jusqu’au bout (Id., ibid., 900-902, 1029-1033). Pylade est là pour lui rappeler le devoir ; Pylade, l'homme de Crysa (Pindare, Pyth., XI, 15), le serviteur du céleste justicier (Scol. de Sophocle, Trach., 639 ; cf. O. Müller, p. 130-131), le directeur de conscience qui n’a si longtemps abrité Oreste que pour lancer un jour le châtiment contre le crime (Sophocle, El., 181), Pylade, muet dans le reste du drame, maintenant élève la voix. Aussi bien le meurtrier, se persuadant qu’il a été le bras dont s’est servie une force supérieure (Eschyle, Eum., 465-467, 593-595 ; Euripide, Or., 76, 121, 414-416, 594-604 ; cf. El., 1266-1267, 1296-1297), rejettera-t-il sur Apollon la responsabilité du sang répandu (Eschyle, Eum., 84, 579-580 ; cf. Euripide, Or., 33, 1046, 1062-1063).
[50] Eschyle, Eum., 643 ss. ; cf. Euripide, Or., 552-554 ; Stobée, Floril., LXXVLI ; Aristote, De anim. gener., IV, 1.
[51] Il semble qu’à Syracuse, au IIIe siècle, le meurtrier d’un parent pût être accusé en personne, mais du chef d’impiété, si toutefois Agathoclès mourant se conforme au droit commun, lorsque έκκλησιάσας τόν λάόν κατηγόρησε τής άσεβείας Άρχαγάθου (Diodore, XXI, 19, 4). Mais on ne voit pas d’accusation pareille à Athènes, et Thonissen (p. 246) a mal compris les passages de Démosthène qu’il cite.
[52] Démosthène, C. Androt., 2, et le Scol. ; C. Timocr., 7.
[53] C. Timocr., l. c.
[54] C. Androt., 1 ; C. Timocr., l. c.
[55] C. Androt., 3 ; C. Timocr., l. c.. Cf. Dareste, Plaid. pol. de Dém., I, p. 31. Le discours perdu de Dinarque contre Phormisios avait peut-être un sujet analogue : il a été prononcé dans un procès en άσέβεια, et il y était question d’argent donné par un meurtrier à la famille de la victime pour éviter des poursuites (Harpocration, s. v. προστρόπαιον et όποφύνια = Or. att., Didot, II, p. 457-458, fr. 42 et 43).
[56] Eschyle, Sept, 682 ; cf. 584.
[57] Démosthène, C. Androt., 1-2 ; C. Timocr., 7.
[58] Platon ne fait aucune différence entre le meurtrier et les parents complaisants, en ce qui concerne l’àQi6cla pour infraction aux prohibitions entraînées par la souillure. Voyez le passage sur l’homicide commis par colère (Lois, IX, p. 868 D - 869 A). Le père ou la mère qui a tué son enfant doit, au retour d’exil, se séparer de sa femme ou de son mari. Si un des conjoints a tué l’autre, il ne doit plus se rencontrer avec ses enfants ni dans un sacrifice ni à table. Le frère ou la soeur qui a tué son frère ou sa sœur ne doit plus ni demeurer ni assister à une cérémonie religieuse avec ses autres frères et sœurs ni avec ses parents.
[59] Les passages cités de Démosthène donnent toute leur valeur aux vers de Sophocle, Œd. Col., 944-945, 947-949. Cf. Grenfell-Hunt, New class. fragm., LXXXIV.
[60] Quand Œdipe demande si l’on ne jettera pas sur ses misérables restes un peu de poussière thébaine, Ismène répond : Ô mon père, le meurtre d’un père ne le permet pas (Sophocle, l. c., 408 407). La lapidation posthume est infligée au meurtre d’un père ou d’une mère, d’un frère ou d’une sœur, d’un fils ou d’une fille (Platon, l. c., p. 673 B-C ; voir l’article Lapidatio, dans le Disc. des ant., p. 930).
[61] Démosthène, C. Nausim., 21-22 ; C. Pantain., 58-59.
[62] Id., C. Théocr., 28-29.
[63] Dareste, Plaid. civ. de Démosthène, II, p. 140, n. 24.
[64] L. c., 29
[65] I. J. G., n° XXII, III, l. 19-21.
[66] Cette persistance n’a rien qui doive surprendre. En France, les États Généraux de 1357 défendaient encore les accommodements en argent pour les crimes. En Allemagne aussi le coutume des compositions subsista longtemps (voir Zöpfl, Deutsche Rechtsgesch., III, p. 391). En Irlande, en la trouve à la fin du XVIe siècle (voir d’Arbois de Jubainville, Ét. sur le dr. celtique, I, p. 80). Aujourd’hui encore en Angleterre, l’adultère tombe sous le coup de la loi pénale comme civil injury, et non comme crime ; il ne donne lieu qu’à une action en damages (voir S. Stephen, Comment., III, p, 438 ss. ; p. 309, n. f).
[67] Harpocration, Suidas, s. v. ύποφόνια ; Les Rhet., dans Bekker, Anecd., I, p. 313, 5 ; Eustathe, p. 1158, 1.