L’établissement d’une justice sociale n’empêcha pas l’institution de la ποινή de persister en Grèce. La loi recueillit la tradition. Soit par consentement tacite, soit même explicitement, en déterminant les cas susceptibles de composition et les sommes exigibles dans ces cas, elle reconnut et consacra l’antique usage. La Grèce aussi a eu des codes à tarifs. Mais, par cela même, la cité limitait le droit privé d’αΐδεςις. Elle ne permettait plus à l’offensé de choisir en tout état de cause entre la vengeance et l’argent ; elle pouvait bien lui interdire de fixer le montant de l’indemnité. Ce changement en entraîna un autre. Bientôt l’État demanda dans certains cas à partager avec l’offensé la somme qu’il lui assurait par son intervention. On trouve des tarife de compositions dans les cités les plus diverses. Le plus célèbre est celui de Gortyne. Il porte contre l’adultère et le viol des sanctions pécuniaires qui sont des compositions. La loi sur l’adultère et la séduction[1] est d’autant plus précieuse qu’elle rappelle, à s’y méprendre, les coutumes appliquées dans l’Odyssée par Héphaistos à son prisonnier Arès. L’homme surpris en flagrant délit doit une certaine somme au pare, frère, mari ou mettre de la femme et reste entre les mains de celui qu’il a outragé, tant que la somme n’est paf payée par ses cautions naturelles, ses parents. Cette somme a tous les caractères de la ποινή. Elle varie clans la proportion de e a 200, et les éléments d’appréciation sont : 1° la situation sociale de l’offenseur ; 2° la situation sociale de la femme, par conséquent, de l’offensé ; 3° les circonstances particulières de l’offense. Cela ressort très nettement du tableau suivant[2] :
On pourra faire les mêmes observations sur le tableau de la page suivante, où l’on trouvera résumés les articles relatifs au viol[3].
Réparation du préjudice causé, prix de l’honneur et rançon[4] : nous retrouvons au bout de plusieurs siècles et au fond de la Crète les trois idées qui dominent dans la ποινή homérique. Nous y retrouvons aussi, exprimées avec précision, quelques-unes des règles que les coutumes ont transmises aux législations : l’offenseur de condition servile paie double pour atteinte à l’honneur ; le citoyen jouissant de tous les droits vaut dix fois l’homme de condition inférieure et quarante foie le serf on l’esclave ; l’offense qualifiée se paie au double[5]. Entre la ποινή, de Gortyne et celle de la fin des temps homériques la ressemblance est frappante : si Héphaistos et Arès avaient été citoyens de Gortyne, ils auraient su tout de suite que les μοιχάγρια s’élevaient à la somme normale de cent statères. Mais il y a entre l’époque de l’aède et celle du législateur cette différence essentielle, que l’un connaissait seulement la contrainte morale de la coutume et que l’autre donnait à cette vieille coutume force de loi. Dans l’intervalle, l’État avait gagné en puissance ce que la famille avait perdu en solidarité. Tout révèle à Gortyne une période de transition où s’est maintenu, mais bien relâché déjà, le lien qui unissait les parents. On sait que le paiement de la composition n’est imputable à la famille que dans les limites de la part qui revient au condamné. Qu’on recherche le bénéficiaire de la composition : est-ce la personne lésée ou la communauté dont elle fait partie, la famille représentée par son chef ? La loi sur l’adultère se conforme encore aux vieux usages. Ainsi que sont disposés à le croire les auteurs du Recueil des inscriptions juridiques[6], elle considère la con position comme un règlement de famille à famille, et c’est pourquoi elle emploie indifféremment en parlant des auteurs de la capture le singulier et le pluriel. Là se reconnaît très nettement un débris de l’époque archaïque où la famille constituait une véritable unité juridique et patrimoniale. Tout autre est la loi sur le viol. Celle-là paraît suivre le principe individualiste qui régit souvent le rude gortynien et le rend favorable à l’autonomie pécuniaire des fils de famille[7]. En effet, dans le cas particulier où la personne offensée est l’esclave domestique de l’offenseur, il n’est pas admissible que le même homme ait à payer et à recevoir le prix de l’offense. Or, si ce cas avait fait exception, le législateur n’aurait pu se dispenser de le spécifier. Il suffit que dans un des cas déterminés la composition aille à la victime du viol, et non à son représentant légal, pour qu’il en soit de même dans tous les cas. Ainsi, les compositions du droit gortynien rappellent encore le droit primitif et annoncent déjà le droit moderne. En matière d’homicide, le paiement d’une ποινή ne peut évidemment pas être la loi générale et obligatoire dans les cités fortement organisées : c’eût été une atteinte intolérable aux privilèges de la famille, comme à l’autorité publique. Mais tout obstacle disparaissait, si le mort, n’étant pas citoyen, n’avait pas de champion légitime ou n’était pas couvert par la protection sociale. Dans le siècle qui précéda Hérodote, les Delphiens réparèrent le meurtre judiciaire de l’esclave Ésope en remettant une composition au petit-fils de son maître[8]. Plutarque cite quelque part une loi bien curieuse de Lydie. Les quelques Myniens ou Lélèges qui végétaient à Tralles, faibles restes d’une population exterminée, étaient en marge de la société : vivants ou tués, ils n’avaient aucun droit. Mais on ne pouvait cependant refuser en principe toute satisfaction à la famille d’un homme assassiné. On se tira d’affaire en astreignant le citoyen coupable d’homicide sur la personne d’un Mynien ou d’un Lélège à mesurer aux parents de la victime un médimne de lentilles[9]. Indemnité illusoire, nominale, mais qui prouve d’autant mieux que le paiement d’une ποινή fut une obligation imposée par les mœurs et les lois. Une fois que la société a conquis le droit de fixer légalement le taux de la composition, elle ne tarde pas à faire un nouveau progrès. En tout pays, à mesure que se fortifie la juridiction de l’État, et que les attentats contre les particuliers tendent à présenter la forme de lésions sociales, on voit peu à peu la communauté partager avec l’offensé le prix de l’offense[10]. Avec le double caractère d’une rémunération et d’un dédommagement, l’amende se fait une place a côté de la composition ; puis, plus exigeante de jour en jour, elle empiète sur le domaine de sa rivale, jusqu’à l’en expulser ou du moins la reléguer en des recoins inaccessibles. Dans un récit bien curieux, la chronique de Nestor nous conte comment en Russie, au Xe siècle, les évêques décidèrent Vladimir à triompher de ses scrupules et à supprimer la vira, pour la rétablir immédiatement à titre de pénalité pécuniaire prononcée au profit de l’État[11]. Maïs, en général, ce n’est point par une mesure unique, brusque, c’est par une progression lente, que l’amende se substitue à la composition. On connaît l’histoire du fredus chez les peuples germaniques ; on sait ce qu’il a fallu de siècles pour augmenter la part que le roi percevait, dès l’époque de Tacite, sur le montant des condamnations judiciaires[12]. De même, la dirwy du pays de Galles resta longtemps identique à la dîre des Irlandais, avant n’être payée au souverain et à ses officiers[13]. C’est une loi à peu près universelle, que l’amende naît de la composition et grandit à ses dépens[14]. En Grèce, il est très douteux que l’époque homérique ait déjà connu des pénalisés pécuniaires prononcées au profit de l’État pour des actes de la vie privée. Les grasses thémistes[15] dont s’enrichissent les rois de l’Iliade ne sont pas nécessairement les revenants-bons de la prérogative judiciaire, et, si elles le sont, elles peuvent encore s’expliquer par la procédure des consignations, telle que la révèlent les deux talents d’or placés au milieu du tribunal sur le bouclier d’Achille, ou par l’abus dont témoigne Hésiode, lorsqu’il s’en prend aux juives mangeurs de présents. Il y a bien une espèce d’amende, la θωή, qui est mentionnée dans l’Iliade comme dans l’Odyssée[16] ; mais c’est une réparation accordée à la cité ou à ses chefs pour une atteinte à l’intérêt public ou une offense envers les magistrats[17]. On ne peut voir là qu’un premier jalon dans la longue série d’essais qui devaient, plusieurs siècles plus tard, conduire les législateurs à la notion rationnelle de l’amende pénale[18]. Ouais le code de Gortyne montre clairement la coexistence de la composition et de l’amende[19]. Dans plusieurs de ses dispositions, après avoir fixé les satisfactions flues à la partie lésée, il prononce une peine pécuniaire au profit de la ville en ces termes : θέμημ πόλι ou τάι πόλι θέμημ[20]. Ainsi, la non restitution d’un animal reçu à titre de dépôt ou de prêt n’entraîne que le dédommagement au simple ; mais, si le défendeur nie le fait, la condamnation rapporte le double au demandeur, plus l’amende à l’État[21]. Ailleurs, les garants légaux de l’affranchi qui ne remplissent pas leur devoir envers lui doivent des dommages-intérêts ; mais, s’ils ne s’exécutent pas, ils doivent le double à tout poursuivant, plus l’amende à l’État[22]. Dans ces cas, l’amende est cumulée, mais ne se confond pas, avec la composition ; elle est essentiellement pénale. Elle rappelle encore la θωή homérique, parce qu’elle punit le défendeur d’avoirs mis inutilement en mouvement l’appareil de la justice[23]. Mais, parla double pénalité, par l’état de cause, à savoir le trouble apporté à l’exercice d’un droit reconnu par la lai, elle rappelle plutôt encore les dispositions les plus anciennes du droit attique sur la δίκη έξούλης. On mesurerait avec plus d’exactitude le chemin parcouru depuis les épopées jusqu’au code gortynien, si l’on parvenait à évaluer la θέμημ πόλι. Dareste, Haussoullier et Th. Reinach posent la question : S’agissait-il d’une amende fixe ou proportionnelle au montant de l’affaire ?[24] Mais ils ne cherchent pas à y répondre. Ils avaient cependant remarqué ce passage d’Ælien où nous sommes avertis qu’à Gortyne le séducteur pris en flagrant délit était mené devant les magistrats, puis, s’il était déclare coupable, couronné de laine, et, sans préjudice de l’atimie, condamné envers l’État à une amende de cinquante statères. Tout ce que les auteurs du Recueil des inscriptions juridiques disent sur ce texte semble marqué au coin de la vérité : la source d’Ælien doit être Éphore ou Théophraste ; son témoignage ne se réfère pas à une autre époque que celle du code gortynien, et le cumul des amendes usité à Gortyne permet d’affirmer que l’amende publique ne se confond pas avec l’amende privée édictée par la loi sur l’adultère[25]. Mais on peut aller plus loin. D’après cette loi, l’adultère donne lieu à des négociations privées entre l’offenseur et l’offensé, il n’ouvre la voie à un procès qu’au cas où l’offensé prétend avoir été attiré dans un piège[26]. C’est le seul cas où puisse être infligée l’amende publique : elle est, comme toujours, une pœna temere litigandi prononcée contre le défendeur qui a essayé d’échapper à une exécution légale par un mensonge. Le montant de cette amende est précisément celui de la composition normale, celle que l’homme libre doit à l’homme libre en l’absence de circonstances aggravantes[27]. On peut conclure de là qu’à Gortyne la θέμις est infligée dans les cas où la mauvaise fui du coupable a déjà fait élever la restitution ou la composition du simple au double, et qu’elle est égale à la valeur simple du délit. Si l’offenseur qui répare sa faute immédiatement et de plein gré paie 1, celui qui résiste à tort et se fait condamner en justice paie 3, dont 2 pour le gagnant et 1 pour l’État[28]. Cette conclusion est confirmée par la loi de Charondas. C’était aussi un tarif comparable à la loi salique et aux autres lois barbares[29], mais un tarif qui combinait l’amende et les dommages-intérêts. Un mimiambe d’Hèrondas[30] nous en a conservé certaines dispositions, telles qu’elles avaient passé de Catane à Cos. Il s’agit de l’αίκία, des voies de fait. Le préjudice causé se complique d’une infraction sociale. Quand la gravité de l’acte peut s’apprécier d’avance, la loi fixe invariablement la double pénalité. La cité perçoit le τίμημα : pour bris de porte, une mine ; pour coups de poing, une mine ; pour incendie ou violation de propriété, mille drachmes. Chaque fois les dommages-intérêts sont du double : κήν βλάφη τι, διπλόον τίνειν. Dans les cas où la gravité de l’acte dépend de ses circonstances et de ses conséquences, le τίμημα est appréciable ; mais le rapport des dommages-intérêts reste constant : τής δικης τό τίμημα διπλοΰν τελείτω. L’offensé reçoit le double de la part donnée à l’État. Si la composition légale s’observe à l’époque historique sur dos points aussi différents que la Sicile et la Crète, la Phocida et l’Asie-Mineure, il n’est pas étonnant qu’elle apparaisse dans la législation d’Athènes. Dracon lui avait certainement accordé une place importante dans son système pénal. Un mot échappé d’un tarif est parvenu jusqu’à nous sous son nom : κάν τοΐς Δράκοντος νόμοις έστιν άποτείνειν δεκέβοιον[31]. C’est trop peu pour qu’on sache si la cité bénéficiait déjà pour sa part des condamnations pécuniaires qu’elle prononçait en faveur des particuliers. Mais les institutions athéniennes ont gardé le souvenir des compositions payées à l’État en dédommagement de lésions causées à l’État. Dans le serment solennel qu’ils prêtaient le jour de leur investiture, les archontes s’engageaient, au cas où ils violeraient une loi, à consacrer dans un temple public, une statue d’homme en or, άνδριάντα χρυσοΰν[32]. A cette formule Aristote, assigne comme date l’époque de Solon ; mais il faut la faire remonter beaucoup plus haut[33]. Dans le système des compositions, chez beaucoup de peuples, un grand personnage vaut son poids d’or, ou au moins, s’il est mort, le poids de sa tête en or : c’est à ce prix qu’il doit se racheter, s’il a commis une lésion grave, et qu’il doit être payé, s’il est victime d’un meurtre, ou même c’est à ce prix que l’offensé l’achète, mort ou vif, s’il ne peut se venger autrement[34]. Chair pour or, or pour chair. A l’époque homérique, on pratiquait encore ce mode de compensation. Achille y fait clairement allusion, quand il refuse à Hector de remettre son corps à sa famille : Non, dit-il, dût-on apporter et déposer sur place dix, vingt rançons et en promettre davantage, dût Priam offrir ton poids d’or[35]. La coutume ne laissa pas seulement des vestiges dans le langage populaire[36] ; elle se perpétua dans le droit publie d’Athènes, comme pour montrer à sa première phase (celle de la θωή) la transformation de la composition en amende. Cette transformation peut se suivre dans les lois de Solon, à peu près comme dans les lois de Gortyne. On prend trop souvent pour de simples amendes ou pour des dommages-intérêts au sens moderne certaines peines où Solon voyait bien plutôt des compositions prescrites par la société et dont elle prélevait souvent une portion. La loi sur le viol et le rapt mérite d’arrêter l’attention. Noirs venons de voir qu’à Gortyne le viol est considéré comme une lésion plus personnelle que l’adultère, c’est-à-dire qu’il met moins en jeu la solidarité de la famille lésée. La différence est bien plus accentuée encore dans les lois de Solon. Plutarque[37] est scandalisé qu’il permette de tuer l’amant pris en flagrant délit et condamne l’auteur d’un viol à une simple peine de cent drachmes. Pour lui, le crime est le même : le punir tantôt avec une extrême rigueur, tantôt avec une indulgence excessive..., c’est agir contre la raison. Lysias n’admet pas que cette inégalité soit une iniquité. Il y cherche une explication psychologique et morale : le législateur a raison de se montrer moins sévère pour la violence que pour la persuasion, de se contenter d’une peine pécuniaire pour celui dort la brutalité se fait détester d’une victime et d’infliger la mort à celui dont les séductions ont corrompu l’âme d’une complice[38]. La critique de Plutarque et l’apologie de Lysias portent également à faux. Avec les idées de leur temps, ils comparent des sanctions pénales. Mais le droit de vie et de mort sur les coupables pris en flagrant délit est une tolérance extra-judiciaire. Il existait dans la coutume bien avant que la loi de Dracon le reconnut, et cette lui devait forcément le reconnaître dans une circonstance où l’offensé était le chef de famille. Quand, au contraire, la loi de Solon réprima le crime de viol, non seulement le temps avait fait son œuvre, mais il ne s’agissait de réprimer ni un flagrant délit, cas où l’exception d’homicide était toujours valable, ai une attaque directe contre le chef de famille. Le code solonien se conforme donc, dans les dispositions sur le viol, aux mêmes principes que le code gortynien. Nous retrouvons même, consacrés par l’État, les principes appliqués par la coutume à l’évaluation da la ποινή. D’après Plutarque, la peine du viol est fixée à cent drachmes, quand la victime est une femme libre. Mais Lysias dit qu’au cas où la victime est un homme ou un enfant libre ou bien une des femmes έφ' αΐσπερ άποκτείνειν έξεστιν, le coupable doit payer double[39]. On s’est donné beaucoup de mal pour concilier deux textes qui se complètent sans se contredire[40]. Lysias employait le mot βλάβην, parce qu’il n’y en avait plus d’autre à sa disposition pour désigner la somme payée à titre de dommages-intérêts : le mot de ποινή avait depuis longtemps disparu de la langue juridique, et il se trouvait dans le même embarras que noua pour parler d’une institution périmée. La loi paraphrasée par l’orateur ne laissait pas l’appréciation du préjudice aux juges : elle disait quo la peine était portée au double, si la personne lésée était libre. En combinant les renseignements de nos deux souries, nous pouvons reconstituer en partie la loi de Solon sur le viol. Elle faisait payer au coupable cinquante drachmes, si la victime était de condition servile, cent drachmes, si elle était de condition libre. C’est la distinction usuelle. Nous savons marne que, dans le cas du rapt, passible des mêmes peines, on tenait compte des circonstances aggravantes. Si le ravisseur prostituait la femme libre qu’il avait enlevée, il devait payer vingt drachmes en plus[41]. Pour certaines infractions, Solon fait donc comme le législateur de Gortyne : il donne force de loi aux règles de la coutume sur les compositions. Nais Solon semble encore avoir fréquemment associé l’État au bénéfice de la partie offensée et gagnante. Quelquefois, comme à Gortyne, la part de l’État est la moindre. L’injure verbale à un citoyen dans les actes de la vie publique entraîne une peine de cinq drachmes ; trois sont pour l’individu lésé, deux pour le trésor[42]. Déjà toutefois le prix de l’offense est à partager par moitiés entre le plaignant et l’État, quand le plaignant n’est pas l’offensé en personne, mais seulement son ayant droit, ou quand la justice assure l’exécution d’une sentence par une sentence nouvelle. Il en est probablement ainsi pour l’outrage aux morts[43]. En tout cas, la loi sur la δίκη έξούλης qui était inscrite sur le dernier άξων et fortifiait le droit d’exécution réelle contra les résistances du perdant, disait : έάν τις έξίλλή ών άν τις δίκη νικήση, οΰ άν άξιον ή, καί είς δημόσιον όφλανεΐ καί τώ ίδιώτη, έκατέροις[44]. Ainsi, dès le début du VIe siècle, la législation attique réduit plus hardiment la part de la ποινή que ne le fera dans le courant du Ve siècle le code de Gortyne. C’était, dans un avenir assez proche, la fin de la composition et le triomphe de l’amende. A ce moment, la composition perdit son sens dans les lois existantes. Chose curieuse, elle allait disparaître sous la forme moderne qu’elle avait reçue de Solon, tout en se perpétuant sous la forme plus ancienne que lui laissaient les φονικοί θέσμοι. C’est que, dans les cas où les compromis étaient abandonnés aux convenances des particuliers, elle pouvait se renouveler et s’accommoder aux idées des générations les plus différentes. Bien vite, au contraire, un taux invariablement fixé par la loi cessa de donner une satisfaction équitable à l’offensé, à l’opinion publique et à l’intérêt social. Le développement du commerce, favorisé par la législation elle-même, amena une telle dépréciation de la monnaie, que la composition légale ne semblait plus qu’une réparation fictive. L’Athénien à qui le tribunal eût accordé cent drachmes, parce que sa fille ou sa femme avait subi les derniers outrages, aurait éprouvé à peu près le mène sentiment que le Minyen de Traites qui recevait son boisseau de lentilles pour le meurtre d’un parent[45]. Évidemment, à la longue on aurait remanié les tarifa démodés. On n’eut pas à le faire : l’offensé trouvait d’autres armes dans l’arsenal des lois. La valeur infime de la compensation qui lui était offerte l’aidait à se faire une conception moins matérielle de l’honneur et moins égoïste de la lésion. A l’action άτίμητος il préférait l’action τιμητός[46], à la δίκη la γραφή. Lysias nous prouve qu’au IVe siècle la loi de Solon sur la δίκη βιαίων n’était pas abolie ; mais Eschine et Démosthène nous montrent qu’elle n’était pas appliquée et qu’elle était remplacée dans la pratique par la γραφή ϋβρεως. Quoique prescrites par Solon, les compositions légales tombèrent en désuétude, parce que, grâce à Solon lui-même, c’était le droit de tout citoyen et l’intérêt de l’offensé de poursuivre une offense individuelle comme infraction sociale. |
[1] II, 20-45.
[2] Loi de Gortyne, II, 20-27 : Celui qui sera pris en adultère avec une femme libre dans la maison du père, ou du frère, ou du mari de celle-ci, paiera cent statères ; si c’est dans la maison de toute autre personne, cinquante ; si c’est avec la femme d’un homme qui n’est pas membre d’une hétairie, dix. L’esclave pris en adultère avec une femme libre paiera le double ; avec une esclave, cinq statères.
[3] Loi de Gortyne, II, 2-15 : Celui qui, par violence, aura commerce avec un homme libre ou une femme libre paiera cent statères ; s’il s’agit d’une personne qui ne fait pas partie d’une hétairie, ce sera dix statères. L’esclave qui commettra le même outrage sur un homme libre ou une femme libre paiera le double. L’homme libre qui le commettra sur un serf ou une serve paiera cinq drachmes. Le serf qui le commettra sur un serf ou une serve paiera cinq statères. Celui qui violera sa propre esclave domestique encore vierge paiera deux statères ; si la victime n’est plus vierge, il paiera, pour l’acte commis de jour, une obole, si c’est de nuit, deux oboles.
[4] Payer la composition de l’adultère, c’est, pour la famille, racheter un captif ; ne pas le payer dans les cinq jours, c’est donner à l’offensé le droit d’en faire sa volonté : voir II, 28-31, 33-33. Les auteurs des I. J. G., insistent (p. 453) sur le caractère de rançon qu’avait la composition du séducteur captif : d’après eux, le silence de la loi sur l’adultère de l’homme libre avec la femme d’un esclave s’explique par ce fait que l’esclave ne pouvait avoir le droit de vie et de mort sur un homme libre.
[5] Ces règles ne sont pas infirmées par les dispositions relatives au fait d’emmener avant jugement ou de retenir après jugement un esclave ou un homme libre (I, 1-10 ; 26-34). On ne retrouve plus la proportion de 1 à 40, parce que, dans le cas où un esclave est emmené au retenu à tort, l’offensé n’est pas l’esclave, mais son maître, et la différence de l’homme libre à l’esclave est seulement une circonstance particulière du délit. Cf. I. J. G., n° XXIX, D, col. I, l. 10-18.
[6] I, p. 454.
[7] Ibid., p. 452.
[8] Hérodote, II, 134 ; Plutarque, Des délais de la veng. div., 12, p. 556 F-557 A.
[9] Plutarque, Quest. gr., 46, p. 302 B. Sur ce genre de compositions dérisoires et fictives, on peut consulter Michelet, p. 287-288 et A. du Boys, Hist. du dr. crim. des peuples mod., II, p. 552-553.
[10] Sur la substitution progressive de l’amende à la composition on peut lire Herbert Spencer, Justice, trad. Castelot, p. 76, 79. Voir les exemples rassemblés par Post, Geschlechtsgenoss., p. l U I72 ; Bausteine, I, p. 147 ss.
[11] Ce récit (Nestor, ch. XLV), étudié par Miklosich, p, 159-160, est traduit par Dareste, Ét. d’hist. du dr., p. 211-212. Voir encore, pour les pays slaves, Post, Geschlechsgenoss., p. 171-172 ; Kœnigswarter, p. 94-95.
[12] Tacite, De mors. Germ., 12. Cf. Post, op. cit., p. 171 ; Sohm, Die Frankische Reichs-und Gerichtsverf., p. 109-113 ; Kœnisgwarter, p. 93, 103 ; Thonissen, La loi Salique, p. 204-213 ; Brunner, I, p, 164-165 ; R. Saleilles, L’individ. de la peine, p. 28-29.
[13] D’Arbois de Jubainville, Ét. sur le dr. celt., I, p. 93, 96-97.
[14] Dans certaines sociétés, l’amende est en proportion inverse du dommage (cf. Post, Bausteine, I, p. 289). C’est une façon d’arriver à la confiscation ce qui s’explique seulement par le système de la composition.
[15] Iliade, IX, 156, 298.
[16] Iliade, XIII, 669 ; Odyssée, II, 192 et Scolie ; cf. Archil., dans l’Etym. Magn., p. 26, 24 (Bergk, fragm. 109) ; Michel, n° 3, A, l. 8-9.
[17] Cf. Nitzsch, I, p. 96.
[18] Thonissen, p. 39.
[19] D’après Bücheler-Zitelmann, p. 44, toutes les condamnations pécuniaires prononcées par la loi de Gortyne sont des compositions.
[20] D’Arbois de Jubainville, Et. sur le dr. celt., I, p. 93, a déjà rapproché la dîre irlandaise et la dirwy galloise de la θέμις grecque, par la racine commune dhê ; mais il ne connaît au mot θέμις que le sens de justice. La θέμις à Gortyne est absolument la dirwy en Galles.
[21] I. J. G., n° XVIII, III, l. 7-17.
[22] I. J. G., n° XIX, E, l. 7-8 ; cf. Comparetti, Le leggi di Gortyna, n° 150, p. 85, l. 16 ; p. 86, l. 20 ; n° 157, p. 312, l. 2.
[23] Dareste-Haussoullier-Th. Reinach, I, p. 486.
[24] Hist. var., XII, 12.
[25] Loi de Gortyne, II, 26 ss.
[26] Loi de Gortyne, II, 36 ss.
[27] Loi de Gortyne, II, 24.
[28] Il faut bien qu’à Gortyne l’offensé reçoive une part supérieure à celle de l’Etat, puisque, dans les cas où l’infraction a été commise au préjudice de l’Etat lui-même, par exemple, dans le cas d’un délit monétaire, le simple accusateur reçoit encore la moitié de l’amende (Amer. journ. of arch., I, 1897, p. 192, n° 19, l. 13-14 ; cf. p. 199, n° 21, l. 10-12). La prime d’accusation a été l’objet d’une étude très soignée de E. Ziebarth, Popularklagen mit Delatoren præmien nach gr. Recht, dans l’Hermès, XXXII (1897), p. 609-628. Il semble ressortir des documents rassemblés dans cet article que la prime de l’accusateur pour une φάσις a été réduite progressivement par l’Etat athénien : il suffit de comparer une inscription du Ve siècle (C. I. A., I, n° 28, l. 12 s.), où la prime est des trois quarts (telle qu’elle restera toujours dans le cas de l’άπογραφή) avec les nombreux documents du IVe siècle où elle n’est plus que de la moitié (cf. Michel, n° 86, l. 41).
[29] Dareste, Nouv. ét., p. 24.
[30] II, 41 ss.
[31] Pollux, IX, 61.
[32] Aristote, Const. des Ath., I, 55 ; Plutarque, Solon, 23 ; Pollux, XIII, 86.
[33] Cf. von Willamowitz, Philol. Unters., I, p. 208.
[34] Ce genre de composition est bien connu dans le folklore des Germains et des Slaves (Grimm, p. 671 ; Miklosich, p. 156) : on peut citer, par exemple, un conte bulgare d’après lequel la loi veut que le fils accepte en or le poids de la tête de son père. Septimuleius, se faisant payer la tête de C. Gracchus, garantit la vérité historique de cette coutume (Plutarque, C. Gracchus, 17).
[35] Iliade, XXII, 349-352. Une tradition postérieure à l’Iliade représente Priam rachetant en effet le cadavre de son fils au poids de l’or (Scol. de l’Il., l. c. ; Babelon, Le cab. des ant. à la B. N., pl. XLI, p. 133 ; cf. A. Martin, art. Lytra, dans le Dict. des ant., p. 1452). Cf. Eschyle, Ag., 437.
[36] Un homme fidèle, dit Théognis (77-78), doit s’acheter au poids de l’or et de l’argent.
[37] Solon, 23.
[38] Lysias, Sur le Meurtre d’Erat., 32-33
[39] Lysias, Sur le Meurtre d’Erat., 32.
[40] La difficulté venait de ce qu’on trouvait une peine fixe dans Plutarque et de ce que la peine au double mentionnée par Lysias paraissait soumise à l’estimation du juge. De là les hypothèses les plus invraisemblables, qu’on trouvera énumérées par Lipsius, Att. Proc., p. 222, n. 63. Lipsius lui-même (p. 222 ; p. 509, n. 93 ; p. 644) ne se tire d’affaire qu’en admettant avec Thonissen (p. 322-323) que la loi de Solon sur la δίκη βιαίων fut abrogée avant l’époque de Lysias et que cette action, d’άτίμητος, devint τιμητός. Il suffit de se rappeler les dispositions du code gortynien sur le viol, pour s’expliquer la peine au double infligée par Solon, à condition de traduire παΐδα dans le texte de Lysias par enfant, et non par esclave (nous savons, d’ailleurs, par Lysias, C. Théomn., I, 19, que les vieilles lois d’Athènes n’appelaient pas l’esclave παΐδα ; cf. Eschine, C. Tim., 15 ss.). Il est vrai qu’à l’époque de Lysias le crime de viol pouvait être passible d’une peine estimable, ainsi qu’en témoignent Eschine (l. c.), Hypéride, Lycurgue (dans Athénée, VI, 92, p. 266F-267A = Or. att., Didot, II, p. 418, fr. 157 ; p. 365, fr. 72) et Démosthène (C. Mid., 43 ss.) ; mais alors il était poursuivi par une γραφή ϋβρεως, non par une δίκη βιαίων, et Lysias ne parle pas de ce cas.
[41] Plutarque, l. c.
[42] Plutarque, Solon, 21.
[43] Plutarque, Solon, 21 ; Démosthène, C. Leptine, 104 ; C. Boiot., II, 44 ; Suidas, s. v. άπόιχόμενα, παΰε ; Lex. Cantabr., p. 671, 7 ; cf. l’art. Kakègorias diké, dans le Dict. des ant., p. 789. Aucun texte ne dit que l’amende infligée dans ce cas était à partager. Mais nous savons par Hypéride (fragment cité par le Lex. Cantabr., l. c., dans les Or. Att., Didot, II, p. 444, fr. 125) qu’au ive siècle l’injure à un mort se payait mille drachmes, et par le Lex. Cantabr., que, sur ces mille drachmes, cinq cents revenaient au fisc. Il est probable que les chiffres seuls avaient été modifiés dans la lui vieillie de Solon.
[44] Nicole, Les scolies génevoises de l’Iliade, I, p. 842 (XII, 282) ; cf. Harpocration, Suidas, s. v. έξούλης δίκη ; voir Dareste, Un nouv. fragm. des lois de Solon, dans la Rev. de philol., XV (1841), p. 67. A la δίκη έξούλης il faut joindre la δίκη βιαίων (Démosthène, C. Mid., 44 : Harpocration, s. v. βιαίων) et la δίκη έξαιρέσεως (Démosthène, C. Théocr., 19 ss.).
[45] D’après Démétrius de Phalère, cité par Plutarque, Solon, 23, cent drachmes valaient à l’époque de Solon vingt bœufs ou cent moutons. Il suffit de lire les prix donnés par Böckh-Frankel, Staatsh., I, p, 93-96, pour constater que la même somme représentait à l’époque classique la valeur d’on ou deux bœufs et d’une dizaine de moutons. La valeur de la ποινή était donc réduite des neuf dixièmes au bout de deux siècles.
[46] Il faut remarquer que dans la δίκη έξούλης et les δίκαι analogues on conserva toujours le principe de la peine pécuniaire moitié composition moitié amende, parce que cette peine était arbitrée par le tribunal.