SOLIDARITÉ DE LA FAMILLE DANS LE DROIT CRIMINEL EN GRÈCE

LIVRE DEUXIÈME. — PÉRIODE DE TRANSITION — LA CITÉ CONTRE LA FAMILLE.

CHAPITRE VIII. — SOLON ET L’AFFRANCHISSEMENT DE L’INDIVIDU.

 

 

Pour relâcher la solidarité qui avait si longtemps uni entre eux les membres du γένος, Solon dut s’occuper avec une vigilance spéciale de leurs rapports matériels. Mais il ne négligea aucune occasion de déterminer à sa façon leurs rapports personnels. L’autonomie des petites familles était assurée par le nouveau régime de la succession et de la propriété : grâce au morcellement indéfini des patrimoines, les rameaux, se multipliant de génération en génération, pouvaient garder encore le souvenir de la branche voisine d’où ils étaient sortis, mais devaient perdre bien vite toute notion du tronc commun, trop éloigné. Cependant les familles elles-mêmes restaient, au moins en droit, rigoureusement disciplinées sous le commanderaient d’un chef tout-puissant. Solon se proposa d’enfermer en de plus justes limites l’autorité paternelle et, dans la famille, affranchie du γένος, d’affranchir l’individu. C’était le seul moyen de faire infailliblement disparaître du droit commun toute trace de responsabilité collective.

Si délicate qu’en fût l’entreprise, la réforme du VIe siècle altéra profondément le caractère primitif de la puissance paternelle. Le père de famille ne devait jamais être dans l’Athènes classique ce qu’il resta toujours à Rome. Tandis que Dracon n’avait pas osé loucher à la juridiction intérieure de la famille, Solon osa retirer au père le droit de vie et de mort sur ses enfanta et même le droit de les vendre[1].

Mais, avec sa prudence ordinaire, il fit une distinction remarquable. La cité protégea la vie da enfants à partir du jour où le père les avait présentés à la cité en célébrant les Amphidromia. Elle ne força pas le chef de famille à les nourrir malgré lui : elle lui laissa le droit de se débarrasser des nouveau-nés. Ni l’exposition ni l’infanticide ne furent qualifiés crimes. Athènes, comme le reste de la Grèce, pratiqua en l’approuvant un malthusianisme meurtrier. Les familles défendaient leur tranquillité, leur luxe, et prévenaient l’émiettement du patrimoine. Les philosophes trouvaient là un excellent moyen de sélection physique et morale, en même temps qu’une ressource contre l’excès de la population. Le législateur admettait que dans les affaires d’homicide les poursuites fussent impossibles sans accusateur, et que la faculté d’élever ou de repousser l’enfant résultât nécessairement de la puissance paternelle[2].

Cependant on lit dans Galien[3] que Solon, ainsi que Lycurgue, commina des peines contre l’avortement. Condamner l’avortement et tolérer l’infanticide, c’est une contradiction formelle. Vainement prétendrait-on, pour la pallier, que les filles seules étaient exposées et que dans l’enfant à naître la loi faisait respecter le fils possible[4]. Il faudrait prouver qu’en droit l’exposition du fils était interdite, et cela n’est pas. Si la loi athénienne défendait de tuer le fœtus, à plus forte raison devait-elle défendre de tuer le nouveau-né. On ne peut donc tenir pour certaine la latitude laissée au père par la législation de Solon qu’après avoir discuté la question de l’avortement.

Certains faits d’avortement étaient punissables. Quand philosophes[5] et médecins[6] se demandaient constamment à partir de quel mois l’embryon est un être vivant, eu spéculations présentaient un intérêt juridique. La viabilité de l’embryon déterminait la criminalité de l’avortement[7]. Dans les fragments d’un plaidoyer attribué à Lysias, on voit un accusateur, pour réunir les éléments constitutifs de l’avortement incriminable, s’appuyer sur des témoignages de praticiens et de sages-femmes[8]. Pourquoi tant de soin à démontrer que le fœtus était un être humain au moment de l’expulsion ? C’est que le fœticide relève de la justice par l’assimilation à l’homicide[9]. Il n’y a pas de γραφή άμβλώσεως[10] ; on doit recourir à une δίκη φόνου. Et pourquoi l’avortement doit-il présenter les caractères d’un meurtre pour être déféré aux tribunaux ? C’est qu’il l’est, non parce qu’il lèse toujours la société ou la moralité publique, mais parce qu’il préjudicie quelquefois à un intérêt privé. Aussi les poursuites ne peuvent-elles être exercées que par le père éventuel ou en son nom, soit contre la femme qui s’est refusée à porter jusqu’à terme un enfant désiré, soit contre un tiers qui a causé volontairement ou non la perte de cet enfant.

Effectivement, dans toutes les causes d’avortement qui, à notre connaissance, ont été jugées en Grèce, c’est le κύριος de l’enfant à naître, à défaut du père, qui s’est présenté comme demandeur. Une veuve de Milet est condamnée à mort à la suite le manœuvres abortives[11], parce qu’elle s’est laissé séduire par des héritiers subrogés et a supprimé l’enfant dont elle était responsable comme d’un déprit. Cette sentence est dictée par le même principe qui avait introduit dans le serment des médecins la formule : Ούδέ γυναικί πεσσόν φθόρεον δώσω[12]. Dans le plaidoyer attribué à Lysias, l’inculpé est un prétendant brutal qui a osé frapper la veuve enceinte qu’il recherchait en mariage et a tué son enfant dans son sein[13]. Voilà les cas où l’avortement tombait sous le coup des lois. Par contre, pas une espèce où le mari soit accusé d’avoir engagé ou autorisé la femme à des pratiques abortives, et pourtant la chose se toisait fréquemment dans les ménages grecs[14]. Affaire de famille ; l’Etat ne s’en mêle pas.

On voit en quel sens et jusqu’à quel point est exact le renseignement fourni par Galien. Solon ne promulgua pas une loi spéciale contre un acte qualifié crime pour la première tais et déclaré universellement imputable. Cet acte fut passible des φονικοί νόμοι conservés par Solon, à condition que la victime de l’avortement fût un être humain et que l’auteur principal ou le complice ne fût pas son père[15]. Le père garde donc le droit de vie et de mort depuis la conception de l’enfant jusqu’à la célébration des Amphidromia[16]. Solon lui laisse la faculté de rejeter data le néant ou de recevoir dans sa famille l’enfant à venir ou une fois venu. Et ce droit à l’infanticide n’a même pas besoin d’être reconnu formellement : il suffit que le législateur ne le supprime pas[17]. Comme aux temps les plus lointains, le chef de famille a tous les droits sur les fruits de sa femme.

Mais du jour où le père reconnaît son enfant, il abdique sa souveraineté. De ce jour, l’État défend contre les excès de la puissance paternelle, non pas seulement l’existence, mais la liberté même des mineurs. Quand Solon dut légiférer pour Athènes, le droit qu’avait toujours eu le chef de la famille d’en expulser les coupables par mesure de justice avait dégénéré en un abus monstrueux. La vente d’un enfant n’était plus le châtiment d’une infraction grave ou un abandon noxal, c’était la dernière ressource d’un père ou d’un κύριος aux abois. En ces temps de misère, beaucoup de parents tiraient ainsi profit de leurs enfante ; car, dit Plutarque[18], aucune loi ne les en empêchait. Solon mit un terme à de pareilles cruautés. Il interdit, en règle générale, la vente des enfants[19]. Vers le commencement du VIe siècle, Athènes purgea son droit d’une tache dont le reste de la Grèce et même l’empire romain restèrent toujours souillés[20] ; elle ne toléra plus qu’un père payât ses dettes avec la liberté d’un fils et la beauté d’une fille.

Solon admit pourtant une exception : la fille prise en faute put être vendue par le père ou, à défaut du père, par le frère devenu κύριος[21]. Mais, dans ce cas unique, l’esclavage redevenait du moins la sanction régulière d’un jugement domestique. Et cette concession apparente aux juridictions privées allait encore servir à les limiter. Jusqu’alors la loi n’avait pas réglé le droit du père sur la fille coupable, non plus que celui du mari sur l’épouse adultère. Dracon avait autorisé le meurtre du complice ; s’il n’avait pas permis expressément celui de la femme, c’est toujours pour la même raison, parce qu’il n’avait pas à intervenir entre personnes de même famille. La coutume autorisait le père qui surprenait sa fille à la tuer, elle aussi, ou à la chasser de sa maison en la plongeant dans la servitude. Si donc Solon, obligé de conserver les φονικοί νόμοι, n’avait pas reconnu explicitement le droit de vendre la fille prise en faute, il eût implicitement prescrit l’obligation de la mettre à mort : il eût supprimé le terme le plus doux de l’alternative, en laissant subsister le plus cruel. C’est ce qu’il ne voulut pas. Il se proposa, a-t-on dit[22], de rendre l’existence intolérable à la femme déshonorée ; en attendant, il la sauvait. Comme le Nauplios de la légende, il vend Augé pour ne pas la tuer[23].

Introduite dans la loi par une pensée de mansuétude, cette autorisation exceptionnelle de vente produisit des effets meilleurs encore que n’espérait probablement le législateur. Il croyait laisser au père le choix entre la mort et l’esclavage ; avec le temps, il l’empêcha de se décider pour la mort. Par le simple progrès des mœurs, sans qu’il fût nécessaire de rien changer aux lois, Athènes en vint à restreindre la puissance du père au droit de vente, formellement spécifié, en lui déniant le droit de vie et de mort, proclamé nulle part. On s’étonne généralement du sort inégal infligé par les lois athéniennes à la femme coupable et à son complice. Il est bien difficile, dit un auteur[24], d’admettre que la loi... eût placé dans une position en quelque sorte privilégiée celle des deux coupables, contre qui cette colère devait être principalement dirigée. Mais la différence des traitements s’explique, à l’origine, par la différence des temps où ils furent fixés. Elle s’explique dans la suite : 1° au point de vue psychologique, par l’accord que les Athéniens surent toujours maintenir entre ces deux sentiments, le respect pour les φονικοί νόμοι et l’amour du progrès ; 2° au point de vue social, par la nécessité de donner satisfaction tout ensemble à la famille, qui pouvait se venger de l’étranger[25], et à l’Etat, qui enlevait au chef de famille le droit de vie et de mort sur les siens.

Si la législation de Solon n’admet plus en aucun cas que le fils soit vendu, elle ne désarme pas la juridiction du père. Mais le droit attique n’a rien de comparable à ce despotisme patriarcal qu’est la patria potestas du droit romain. Denys d’Halicarnasse, dans un passage bien connu, note avec quel soin Solon, Pittacos et Charondas ont enfermé l’autorité paternelle dans des limites étroites : La sanction qu’ils portèrent contre les fils coupables de désobéissance envers leur père n’était pas grave : ils permirent de les chasser de la maison et de les déshériter sans aller au delà[26]. Cette excommunication familiale est signifiée à qui de droit et portée à la connaissance du public par l’organe du héraut : de là vient qu’elle fut appelée άπόρρησις ύπό κήρυκος[27] et, sur le tard, άποκήρυξις[28]. dans quels cas le père pouvait-il renier le fils ? La décision était-elle sans appel ? Les notes très sèches des grammairiens et les tirades vides des rhéteurs[29] n’éclaircissent guère ces problèmes. L’abdication est prononcée à la suite d’une infraction aux lois ou de fautes graves, έπί άδικήματι[30], έπί άμαρτήμασιν[31]. Pour les auteurs anciens, elle est exclusivement une mesure έπί κολάσει[32] à l’usage des pères offensés. Pourtant, à l’origine, elle avait été surtout une façon de décliner toute responsabilité envers les tiers, à l’usage des pères compromis par les actes de leurs fils, c’est-à-dire une procédure d’abandon noxal ou d’extradition, une aliénation[33] à cause de délit, une έκποίησις pénale menant à la servitude, comme l’έκποίησις amiable mène à l’adoption[34] : sous cette forme, elle avait puissamment servi à la rupture de la solidarité familiale. Même comme pénalité domestique, elle n’était pas contraire aux principes de la législation solonienne. La décision du père c’était pas arbitraire, parce qu’elle n’était pas souveraine. Elle pouvait être attaquée en justice. Il vrai dire, il n’est guère admissible qu’un fils pût se faire réintégrer immédiatement dans tous ses droits, soit par l’effet d’une action spéciale, soit par l’intervention de l’archonte[35] : on ne voit pas le fils reprenant sa plate de force. Ce qui préoccupait la société, c’était moins une situation de personne qu’une question de succession. Pour obtenir mainlevée de l’exhérédation, le fils écarté de la succession par άποκήρυξις n’avait qu’à en attendre l’ouverture : il pouvait alors contester les droits de l’héritier désigné par adoption ou testament, ou demander l’envoi en possession concurremment avec ses frères. De toute façon, l’État était suffisamment armé.

Cette prérogative respectée par Solon, la faculté de vendre les filles séduites et d’exclure les fiels indignes, présente un coté très remarquable. Le législateur laisse subsister l’omnipotence primitive du père là où elle ne peut pas servir à fortifier la famille. En général, plus le chef d’un groupe a de pouvoirs, plus le groupe lui-même est puissant. Aussi est-on naturellement porté à penser qu’un droit reconnu au père équivaut toujours pour lui à un surcroît de force réelle. Mais il y a des droits qui, tout en constituant une force théorique et abstraite, affaiblissent celui qui vient à en user. Voilà pourquoi Solon a pu sans regret autoriser le père à chasser de la famille et du γένος[36] ses enfants coupables ; il n’avait aucune raison pour empêcher les familles de se désorganiser et de s’amoindrir.

Hormis ce cas exceptionnel, la puissance du père devient, dans le code de Solon, un simple droit de tutelle et de correction. Pour les filles perpétuellement mineures, elle ne peut s’éteindre que par la mort ou le mariage ; mais, pour les fils, elle s’éteint complètement dès le jour de leur majorité. C’est de là, comme le remarque Denys d’Halicarnasse, que dérive la grande différence du père athénien avec le père de famille romain. A Rome, conformément au droit primitif, tel qu’il est défini par Fustel de Coulanges[37], les fils restent liés au foyer du père et, par conséquent, soumis à son autorité ; tant qu’il vit, ils sont mineurs. A Athènes, la loi veut que le jeune homme de dix-huit ans, une fois inscrit sur le registre civique, ait les mêmes droits politiques et civils que son père, la même plénitude de liberté.

Le fils majeur n’est plus astreint légalement envers ses parents et ascendants, naturels ou adoptifs, qu’à des obligations limitées. C’est encore Solon qui a sur ce point prononcé les mots libérateurs. Tel était l’avis unanime des anciens[38], et il n’y a aucun motif de le révoquer en doute, surtout pour reporter à une époque plus reculée la première intervention de la justice sociale dans les affaires de famille[39].

Avant le VIe siècle, la θέμις et l’αίδώς imposaient aux enfants de tout âge des devoirs de toute sorte : les uns étaient immuablement fixés, universellement reconnus ; d’autres variaient selon les coutumes des γενή ; d’ailleurs, la tradition même n’avait pas assez de force pour donner aux exigences du père d’autre borne que sa volonté. Par contre, cette omnipotence n’avait pour sanction que la colère des dieux, le mépris des hommes, la menace d’un talion incertain et dans tous les cas tardif[40]. Un moment vint où l’autorité paternelle parut trop lourde et ne fut plus respectée. Des deux parts on avait à se plaindre, et l’on souhaitait l’arbitrage, de l’État. L’Etat rendit service au fils en limitant les droits du père, au père en faisant exécuter les obligations du fils. La loi détermina ce qui était έπάναγκες[41] et, par voie de conséquence, dans quel cas il y avait κάκωσις incriminable.

Pour choisir et définir les obligations légales du fils majeur, Solon n’eut pas besoin de génie inventif : il reçut dans son code celles-là seules qui étaient admises dans tous les γενή. 1° Le fils est tenu de fournir à ses ascendants vieux ou pauvres les aliments et le gîte[42] : c’est la γηροτροφία prescrite en tout temps par le πιλαργικός νόμος. 2° Défense est faite au fils d’outrager ses ascendants dans leur personne ou leur honneur par voie de fait ou injure[43]. 3° Le fils est tenu de procurer à ses ascendants des funérailles et une sépulture honorables[44]. Il n’y a donc que trois obligations pour fonder la κάκωσις juridique. Encore sont-elles susceptibles d’exceptions.

Si nul n’est jamais dispenses de rendre à ses ascendants les honneurs funèbres, on n’est pas tenu de l’obligation alimentaire, quand on n’a pas reçu dû ses parents une éducation en rapport avec leur situation de fortune ou quand on a été livré par eux à la prostitution[45]. Mais plus la loi met de rigueur dans la définition du délit, plus elle use de fermeté pour en assurer la répression. L’ingratitude qualifiée du fils fut exposée à toutes les sévérités de la γραφή κακιώσεως γονέων. Et ainsi, depuis Solon, les parents purent, à Athènes aussi, se faire rendre justice en conformité avec les textes[46] ; mais, d’autre part, les enfants furent garantis contre les caprices de l’arbitraire. Les liens du sang n’entravèrent plus la liberté de ceux dont l’Etat faisait des citoyens.

Solon a donc réglé les rapports personnels dans la famille comme il y a réglé les rapports pécuniaires, avec le même mélange de finesse pénétrante et de forte volonté. Sans heurter de front la tradition, il obtint pour l’individu les libertés essentielles. Le père conserva un pouvoir absolu sur la vie de son enfant, tant qu’il ne n’était pas engagé formellement à l’élever ; mais, de ce jour, il devait compte à l’Etat d’une existence, qui ne lui appartenait plus. Il perdit en principe le droit de vendre ses enfants ; mais il le retint, s’il avait à châtier une fille coupable. IL put toujours chasser de sa maison et priver de son héritage un fils ingrat ; mais la décision devait être fondée sur des motifs capables d’agréer aux tribunaux. Le fils majeur devint l’égal de son père dans la cité ; mais l’Etat lui-même lui imposa des obligations précises à l’égard de ses ascendante et les sanctionna par des pénalités sévères. Continuellement le principe de la solidarité familiale et celui de l’autonomie individuelle sont aux prises dans cette législation, sans qu’il soit jamais permis au premier de l’emporter. Solon conçoit en révolutionnaire ce qu’il réalise en conservateur, et ce Vieil-Attique est le précurseur de la jeune Athènes.

Le changement accompli dans l’organisation de la famille fut assez radical pour se traduire naturellement dans la législation criminelle par une grande réforme. Ce n’était pas la peine de ne vouloir dans la famille que des personnes également libres sous l’égide de la loi, pour laisser subsister dans le droit commun à un degré quelconque la responsabilité familiale. Une mesure énergique établit partout la responsabilité personnelle et coupa dans sa racine même l’abus des peines transmissibles[47].

La servitude pour dettes avait eu jadis pour effet de dégager la responsabilité du γένος ; mais, par contre, elle avait fait produire de nouvelles conséquences à la solidarité passive de la famille. Que l’obligation fût née d’un délit ou d’un contrat, que le débiteur eût à fournir une certaine quantité de travail ou la valeur totale d’une personne humaine, s’il était père, il livrait facilement à sa place un de ses enfants. Il n’en faut pas accuser un égoïsme sans pitié ; c’était le plus souvent l’intérêt de la famille que le chef ne se sacrifiât pas[48]. Le résultat n’en fut pas moins lamentable. Un homme endetté pouvait se dire, en regardant ses enfants, que cela avait une valeur vénale et que cela était à lui en toute propriété : à certains moments, la tentation était trop forte. Et la vente des enfants était devenue la plaie des sociétés grecques, d’autres fois, les débiteurs qui s’étaient engagés έπί τοΐς σώμεσι tombaient au pouvoir des créanciers par le seul fait de leur insolvabilité : ils étaient άγώγιμοι, et avec eux leurs enfants[49]. La misère les condamnait ordinairement à cette espèce de servage qui ne lâchait plus guère ceux qu’il avait saisis et les forçait à travailler en abandonnant les cinq sixièmes de leur récolte. Souvent aussi ils étaient voués à l’esclavage pur et simple, peut-être avec la réserve théorique d’un rachat quasiment impossible. Dans un cas comme dans l’autre, les enfants subissaient le sort des parents : ils étaient attachés pour toujours à la glèbe ou devenaient esclaves pour être employés dans le pays ou vendus à l’étranger[50].

Là où la solidarité entraînait la perte totale de la liberté humaine, Solon intervint avec décision. C’était beaucoup d’interdire au chef de famille la vente des enfants[51] : il ne pouvait plus, après avoir engagé son corps, obtenir quittance avec le corps d’un fils ou d’une fille. Solon fit mieux. Il supprima d’un coup le servage et la servitude pour dettes : il décida que l’obligation ne serait plus garantie sur la personne du débiteur[52]. Il proclama la règle τό μή δανείζειν έπί τοΐς σώμασιν, et lui donna même un effet rétroactif en décrétant l’abolition des dettes[53]. Il sauvait par avance d’innombrables générations. Aristote n’exagère rien, lorsque, distinguant parmi les lois fondamentales de Solon les innovations plus grosses d’avenir, il assigne à celle-ci le premier rang.

A ces dispositions protectrices Solon voulut le moins possible d’exceptions[54]. Les seules qu’il admit se justifiaient au fond par l’intérêt bien entendu des personnes contre qui elles semblaient dirigées. Ne pas autoriser le chef de famille à vendre la fille prise en faute[55], c’eût été l’engager à la tuer. Ne par autoriser le captif, incapable de se racheter sur ses biens, à m faire racheter par un parent ou un ami en donnant comme garantie sa personne, c’eût été dans bien des cas le condamner à mourir esclave en pays étranger. Quand on voit au IVe siècle un Nicostrate redouter d’être appréhendé au corps par les créanciers qui lui avancèrent sa rançon[56], on doit tout de même l’estimer heureux d’avoir été arraché aux fers qui lui meurtrissaient les jambes et lui faillaient d’irrémédiables ulcères[57] ; mais surtout on doit songer à cette multitude d’infortunés dont Solon a dépeint dans ses vers et guéri dans ses lois les cruelles souffrances, à tous ces Athéniens vendus pour l’exportation et qu’il a fait revenir. Jamais il n’aurait pu, comme il dit fièrement, les ramener en foule dans Athènes, la patrie fondée par les dieux, s’il ne leur avant pas permis, à ces misérables qui ne possédaient plus rien, d’offrir à quelque riche la seule garantie qu’ils fussent en état d’offrir. Ils durent leur délivrance à des emprunta qua la loi se devait pua rendre impossibles[58].

La suppression de la servitude pour dettes dès l’époque de Solon explique ce fait surprenant, que le droit criminel d’Athènes n’ait jamais condamné un citoyen à la servitude pénale. En effet, tant que l’obligation réelle ex delicto pouvait induire en servitude, elle n’existait pas au profit de la cité ; c’est au moment même où, pour la première fois, la cité va réclamer une partie de la composition comme amende, que le débiteur insolvable est déclaré exempt de servitude. Sans doute, l’Etat aurait pu se constituer un privilège : le débiteur public aurait été vendu au profit du fisc ; comme ailleurs en Grèce, le criminel condamné à l’exil et à la confiscation, si la mise aux enchères de ses biens n’avait pas produit une somme déterminée, aurait été vendu à charge d’exportation[59]. Mais Solon ne pouvait pan faire de différence entre les dettes publiques et tes dettes privées dans la règle prohibitive de la servitude, parce qu’il n’en voulait pas faire dans la seisachtheia[60], rétroaction de cette règle. Le seul privilège que Solon reconnût à l’État, ce fut le droit d’exercer la contrainte par corps au moyen de l’emprisonnement[61]. Si donc il arriva encore que des enfants eussent à expier la faute de leur père, du moins des enfants de citoyen n’eurent plus à subir l’esclavage héréditaire.

Il est vrai que les Athéniens n’étendirent pas toujours aux étrangers la protection dont ils jouissaient eux-mêmes. Ils ne répugnèrent pas à frapper leurs métèques de la servitude pénale[62]. Quiconque s’était fait inscrire sur le registre civique sans être né de pire et mère athéniens, et avait indûment recouru aux tribunaux contre la radiation prononcée par les démotes, était condamné à être vendu comme enclave au profit du trésor[63]. En temps ordinaire, bien des gens mi procuraient par corruption une inscription frauduleuse[64], sans crainte de la γραφή ξενίας[65]. Mais quand on révisait les listes, gare aux παρέγγραπτοι ! En 445, une enquête enleva le droit de cité à 4760 intrus[66] ; en 346, le décret de Dèmophilos prescrivit une διαψήφισις générale dans les dèmes[67] : les deux fois on vendit les fraudeurs obstinés qui n’acceptèrent pas la décision prise contre eux et succombèrent devant les héliastes[68]. Toutefois Athènes, avec sa bienveillance habituelle pour les étrangers, n’usait d’une arme aussi terrible que de loin en loin, pour l’exemple, et faisait en sorte que la peine comminée ne fiât qu’une peine comminatoire, volontairement prévenue par l’exil[69]. Il y avait là use mesure exceptionnelle de ξενηλασία. Par contre, un duit impitoyable pour l’usurpation d’état civil qualifiée. On n’hésitait pas à châtier par la servitude définitive et transmissible l’étranger qui se soustrayait aux charges et aux incapacités légales, soit en négligeant de payer la taxe de séjour[70] ou de se choisir un prostate[71], soit en dissimulant et qualité pour épouser un citoyen ou une citoyenne[72]. Malgré la réforme de Solon, l’esclavage pénal ne sera pas totalement ignoré d’Athènes ; mais, loin de remonter aux origines de la législation attique, cette peine y fut introduite tardivement, en des temps où il sembla nécessaire de défendre la république contre l’invasion croissante des étrangers[73].

Pour apprécier pleinement le service rendu par Athènes à la cause de la liberté individuelle, il faut voir comme la servitude pour dettes et la servitude pénale se perpétuent dans le reste de La Grèce. Ce n’est pas sans raison qu’Isocrate et Lysias opposent leur patrie à tant d’autres villes où l’on devient esclave pour des dettes infimes[74]. A Héraclée[75] et à Orchomène[76], dans les traités de Téos avec les Arcadiens[77] et les Etoliens[78], à Temnos[79] et à Ephèse[80], depuis les tempe les plus reculés jusqu’à l’époque de Lucien[81], partout et toujours les contractants et les délinquants, les débiteurs principaux et les cautions sont déclarés responsables tant sur leurs personnes que sur leurs biens. Le code de Gortyne est bien loin d’établir le régime exclusif des sûretés réelles[82]. On y retrouve le cas exceptionnellement conservé dans le droit attique ; le captif racheté reste à la disposition du racheteur jusqu’au remboursement intégral de la dette[83]. Mais ici c’est l’application d’une règle générale : Celui qui emmène le débiteur qui lui a été adjugé par jugement ou lui a engagé es personne n’est passible d’aucune peine[84]. Non seulement l’Etat tolère dans tous les cas la mainmise du créancier sur la personne du débiteur, mais dans certains cas il la prescrit : le fils qui se porte caution du vivant de son père répond à la foin sur ses biens et sur sa personne[85], c’est-à-dire que, s’il ne parvient pas à éteindre sa dette avec ses acquêts et une avance d’hoirie, il doit payer le reste avec sa liberté. A Gortyne, tout le progrès consiste à définir dans une série d’articles la situation du prisonnier, en déterminant les relations de l’engagiste avec le détenteur, avec les tierces personnes et avec la justice[86]. Pendant ce temps, à Halicarnasse, les obligations résultant d’un crime sont réglées de la même façon au profit de la cité : l’auteur d’une motion illégale, au lieu de s’exiler, doit être vendu à l’étranger, si ses biens confisqués n’atteignent pas un minimum de dix statères[87]. Voilà où l’un en est resté dans la plus grande partie de la Grèce, quand, depuis des siècles, Solon avait décidé que pour une famille athénienne ni la pauvreté ni le crime ne seraient une source d’esclavage.

Et ce n’est pas une comparaison plus générale qui rabaisserait le mérite des Athéniens. S’il est vrai, comme on noue l’assure, que l’Egypte soit longtemps restée sans pratiquer la servitude pour dettes et qu’une loi de Bocchoris ait servi de modèle à Solon[88], en tout cas, elle cessa de ressembler à Athènes sur ce point, dés qu’elle fut hellénisée[89], et elle se mit à infliger la plus dure des servitudes pénales à toutes sortes de criminels μετέ πάσης  συγγενείας[90]. Le droit romain fit longtemps tomber au pouvoir du créancier les enfants et les petits-enfants du débiteur[91] ; il ne parvint jamais à enlever complètement à la puissance paternelle le terrible droit de vente, même lorsque la morale des philosophes fut aidée par le christianisme triomphant[92]. En Palestine, d’après une parabole de l’Évangile, quand un malheureux se déclarait insolvable, on pouvait ordonner de le vendre, lui, sa femme et ses enfants, et tout qu’il avait, afin que la dette fût payée[93]. Athènes, au contraire, en interdisant la vente des enfante et l’esclavage pour dettes, a supprimé la solidarité la plus odieuse et la plue durable, celle qui fait retomber la misère d’un homme, sous forme d’esclavage, sur les épaules de tous ses descendants. Dès les premières années du VIe siècle avant notre ère, Athènes a ainsi placé sa législation à une hauteur qui n’est atteinte aujourd’hui encore, et depuis peu de temps, que par quelques codes des nations les plus civilisées[94].

 

 

 



[1] Cf. Van den Es, p. 123 ss.

[2] Pour plus ample démonstration je renvoie aux articles Expositio et Infanticidium, dans le Dict. des ant.

[3] XIX, p. 177, éd. Kuehn.

[4] Cf. Lallier, De la cond. de la femme dans la fam. ath., p. 176-177.

[5] Voir surtout Plutarque, De placid. philos., V, 15-21, p. 907-909 ; Aristote, Hist. des anim., VII, 3, 3 ; Anonyme (prolog. Στάσεων) cité par Walz, Rhet. gr., VII, p. 15.

[6] Cf. Costomiris, Ét. sur les écrits inéd. des méd. gr., dans la Rev. des ét. gr., II (1889), p. 372.

[7] Cf. Aristote, Pol., IV (VII), 14 (16), 10.

[8] (Lysias), κατά' Αντιγένους άμβλώσεως (Or. att. Didot, II, p. 256-258).

[9] Voir surtout dans (Lysias), l. c., le fragm. 20. Ce fragment suffit à prouver combien on a exagéré en soutenant qu’en aucun cas l’avortement n’a été assimilé à l’homicide avant le christianisme (voir les idées développées par Spangenberg, Ueb. des Verbrechen der Abtreibung des Leibesfrucht, dans le Neues Archiv des Kriminalrechts, II, p. 1 ss., et reprises par Schrader, Reallex., p. 5-6.

[10] L’hypothèse de la γραφή άμβλώσεως est défendue dans un mémoire inédit de Boissonade cité par Caillemer, art. Ambloseos graphè, dans le Dict. des ant. ; elle est adoptée par Caillemer lui-même. On la retrouve dans Thonissen, p. 257-258; Lallier, l. c. ; L. Lallemand, Hist. des enf. aband. ou délaissés, Paris, 1883, p. 34-35. L’hypothèse contraire de Wesseling, 2e éd, de Petit, Leg. att., p. 630, est admise par Hölscher, De vit. et script. Lys., p. 135 ; Krafft, art. Abigere partum, dans Pauly, Real. Encycl., 1re éd., Westermann, art. Abactio partus, ibid., 2e éd. ; Otto, p. 45 ; Mayer, II, p. 5 ; Meier-Schömann-Lipsius, p. 381-382.

[11] Cicéron, Pro Cluentia, 11. Le jugement de Milet fit jurisprudence en droit romain, et le texte de Cicéron inspire manifestement les dispositions de Sévère et d’Antonin : Indignum anim videri potest impune eam maritum liberis fraudasse (Marcien, dans le Digeste, XLVII, 11, 4 ; cf. Ulpien, Ibid., XLVIII, 8, 8 ; Tryphoninus, Ibid., 19, 39).

[12] Hippocrate, éd. Littré, IV, p. 630. C’est encore en vertu du même principe que l’exécution de la femme enceinte n’a lieu qu’après l’accouchement. Pour Diodore, I, 77, 9, la meilleure raison de ce sursis, c’est le droit du père sur l’enfant.

[13] Les faits de la cause se dégagent des fragm. 14 et 20. Ils rappellent un cas prévu chez les Juifs (Exode, XXI, 22-24), chez Les Hindous (Apastamba, I, 9, 24, 8), chez lez Germains (cf. Wilda, p. 718).

[14] Cf. Littré, éd. d’Hippocrate, IV, p. 620-621.

[15] Il y a bien un auteur qui insinue qu’en Grèce l’emploi de drogues abortives était toujours puni : c’est Musonius (dans Stobée, Florilèges, LXXVI, 16 ; LXXXIV, 21 ; cf. Ad. Bonhöffer, Die Eth. des Stoik. Epictet, Stuttgart, 1894, II, p. 117, n. 59). Mais ce rhéteur italien du Ier siècle après J.-C. se complaît trop dans le vague d’une déclamation filandreuse et bonasse, pour qu’on le soupçonne d’avoir étudié l’histoire du droit grec. Ne déclare-t-il pas, sans ambages, que tous les législateurs ont interdit d’empêcher la conception ? Musonius était philosophe : il n’avait qu’à relire la République de Platon (p. 641) et la Politique d’Aristote (l. c.), pour y trouver les vraies idées des Grecs sur la pratique de l’avortement.

[16] J’ai cherché à montrer l’importance de cette cérémonie dans les articles Expositio, l. c., p. 931, et Infanticidium, l. c., p. 489.

[17] Voir l’art. Expositio, l. c., p. 936-937.

[18] Solon, 13.

[19] Ibid., 23. Cf. Van den Es, p. 124 : H. Lewy, De civil. condit. mulier. gr., p. 47 ; Beauchet, II, p. 94-95.

[20] Cf. L. Schmidt, II, p. 206-207 ; Mitteis, p. 358 ss.. Dion Chrysostome, XV, p. 264-265, signale la même coutume chez beaucoup de peuples ; mais comme le remarque Guiraud, La main-d’œuvre ind. dans l’anc. Gr., p. 96-100, il parle peut-être de peuples étrangers, tels que les Thraces (cf. Hérodote, V, 6 ; Antiphon, Sur le meurtre d’Hérode, 20) on les Phrygiens (cf. Philostrate, Vie d’Apollon., VIII, 7, 12). Par contre, on voit, dans un acte d’affranchissement conclu au Ier siècle, une femme s’interdire de vendre éventuellement son enfant (Michel, n° 1413, l. 19-21), interdiction qui n’aurait pas fourni la clause d’un contrat privé, si elle avait été de droit public. Thèbes dut, sur le tard, régulariser la vente des nouveau-nés sous le contrôle des autorités (Elien, Hist. var., II, 7 ; cf. l’art. Expositio, l. c., p. 937). Pour le droit romain, voir le Digeste, XX, 3, 5 (cf. Tacite, Ann., IV, 72) et les textes cités par Mitteis, p. 363-364. En France et dans les pays germaniques, le père conserva très longtemps le droit de vendre ses enfants : on mentionne des actes du XVe siècle (P. Viollet, Précis, p. 430-431). D’après Glasson (II, p. 51), c’était un abus ; en tout cas, c’était un fait.

[21] Platon, l. c.

[22] Eschine, l. c.

[23] Cf. Diodore, IV, 33, 10.

[24] Thonissen, p. 316.

[25] En fait, la douceur du père à l’égard de sa fille profitait aussi à l’amant. Il était intéressé plus que tout autre à acheter la femme qu’il avait compromise. Le père qui épargnait sa fille épargnait donc souvent l’amant, pour obtenir de lui, en même temps qu’une ποινή, le prix de la femme, fixé à cent drachmes (Plutarque, Solon, 23). Et même, après avoir renoncé au droit de vengeance moyennant paiement, il renonça aux sommes dues, à condition que la faute, séduction ou viol, fût réparée par le mariage : il obligeait l’offenseur à épouser sa fille sans autre dot que ces sommes, c’est-à-dire sans dot (Plutarque, Quæst. conviv.. VII, 8, 3. 8, p. 712 C ; Achilles Tatius, II, 13 ; Plaute, Aulul., IV, 10. 62 s. ; Térence, Adelphes, IV, 7, 11 ; 5, 62 ss. ; Andr., IV, 4, 11 ss. ; Sénèque, Controv., I, 5 ; III, 5 ; IV, 3 ; VII, 8 ; VIII, 6 ; Quintilien, Décl., 247, 262, 270, 280, 286, 301). Il y a donc quelque chose de vrai dans l’assertion des rhéteurs qui déclarent que la partie lésée avait le choix entre la mort et le mariage (Hermog., Περί στάσεων, dans Walz, Rhet. gr., V, p. 59 ; autres textes dans Meursius, I, 7. Le jugement de Platner, II, p. 213, de Thonissen, p. 321-322, et de Lipsius, Att. Proc., 2e éd., p. 509, n. 82 et p. 645, est trop absolu). On voit aussi d’où vient la règle aut duc aut dota, et pourquoi il n’est pas rare, en droit comparé, que l’auteur d’un attentat à la pudeur doive épouser la fille offensée ; cf. Exode, XXII, 16-17 ; Deutéronome, XXII, 28-29 ; Westermarck, trad., p. 24 ; Kovalewsky, p. 332 ; Dareste, Et. d’Hist. du dr., p. 106 ; J. Preux, La loi du Vinodol, dans la Nouv. rev. Hist. de dr. fr. et étr., XX (1896), p. 729, n. 118 ; Leclère, p. 371, n. 1. Mais Lothar Dargun, Muterrecht und Raubehe, Bresl., 1883, p. 100, confond les périodes les plus différentes, quand il croit trouver dans Plutarque et Achilles Tatius des arguments en faveur de la Raubehe, primitive. Distinguons. Dans le passé le plus lointain, le mariage par rapt s’était transformé en mariage par achat, parce qu’une obligation délictuelle de ποινή était devenue par habitude une obligation contractuelle d’έδνα. A ce moment, le père pouvait, exceptionnellement et à titre de réparation pour une offense, consentir à un mariage sans dot, άνάεδνον (le passif de la ποινή, compensant l’actif des έδνα). Après que la renonciation volontaire et ordinaire du père aux έδνα eut mené au régime dotal, le rapt, la violence ou la séduction eut pour effet (sous préjudice de la vengeance autorisée en cas de flagrant délit) soit le paiement d’une ποινή, sous forme de dot constituée par le coupable réfractaire au mariage, soit encore une fois le mariage sans dot, άπροικον (le passif des dommages-intérêts compensant l’actif de la dot).

[26] Antiquités romaines, II, 26.

[27] C’est l’expression qui ressort du texte de Platon, Lois, XI, p. 928 D ; elle se retrouve dans Euripide, Alc., 737. Cf. Loi de Gortyne, XI. 10 ss. ; Aristote, Mor. à Nic. VIII, 14, 4.

[28] Les grammairiens remarquaient l’origine récente de ce mot (Pollux, IV, 93 ; Mœris, s. v. άποκηρυχθέντα). Cf. Van den Es, p. 129.

[29] Le cas de l’abdicatus est un des sujets favoris pour les exercices d’école. Les œuvres de Lucien renferment précisément au plaidoyer intitulé Ό άποκηρυττόμενος.

[30] Ammonius, s. v. άποκήρυκτος.

[31] Hesychius, s. v. άποκήρυκτος ; Lex. Rhet., dans Bekker, Anecd. gr., I, p. 215, 19.

[32] Suidas, s. v. έκποίητον γενέσθαι ; Lex. Rhet., l. c., p. 247, 10 ; Étym. Magn., p. 323, 40.

[33] Dioclétien et Maxime dans le Code Justinien, VIII, 45 (47), 6 ; Abdicatio... græco more ad alienandos liberos usurpabatur et άποκήρυξις dicibatur. Cf. Suidas, s. v. άποκήρυκτον . άλλότριον. Les grammairiens ont toujours été frappée de ce que le même mot exprimait l’acte de vente et l’abdication (cf. Suidas, l. c. ; Harpocration, s. v. άποκήρυκτον ; Lex. Rhet., l. c., p. 429, 11). Suidas remarqué qu’on a tort de conclure de l’abdication à la perversité du fils abdiqué.

[34] Tous les lexicographes cherchent à expliquer la différence entre l’άποκήρυξις et l’έκποίησις.

[35] Telle est cependant l’opinion générale. On s’en tient aux rhéteurs de la basse époque, soit qu’on affirme l’existence d’une δίκη άποκηρύξεως (cf. Meier-Schömann-Lipsius, p. 539), soit qu’on la nie (cf. Beauchet, II, p. 135-137).

[36] Suidas, s. v. έκποίητον γενέσθαι, et l’auteur des Lex. Rhet., l. c., p. 247, 10, emploient l’expression άποκηρυχθήναι τοΰ γένους.

[37] La Cité antique, p. 98.

[38] Plutarque, Solon, 22 ; Démosthène, C. Timocr., 106, Diogène Laërce, I, 2, 55 ; Elien, De nat. anim., IX, 1 ; Libanius, Décl., XVIII ; cf. Meursius, I, 3.

[39] Cf. Beauchet, I, p. 368, n. 4.

[40] Iliade, IX, 454, 460 ; Hésiode, Œuvres et jours, 187, 333-334.

[41] Plutarque, Elien, l. c. ; Eschine, C. Tim., 13 ; cf. Isée, sur la succ. de Ciron, 32 ; Synésius, Lettres, III, p. 159 B.

[42] Démosthène, C. Timocr., 107, 403 ; Elien, l. c. ; Diogène Laërce, l. c. ; Eschine, l. c. et 28 ; Lysias, C. Agor., 45, 91 ; Isée, Sur la succ. de Cléon., 39 ; Hypér., dans Pollux, II, 14 (Or. att. Didot, II, p. 432, fr. 269) ; Euripide, Méd., 1033 ; Alc., 663 ; Platon, Ménex., p. 248 D ; Quintilien, Inst. orat., V, 10, 97 ; VII, 1, 53, Suidas, Hesychius, s. v. γηροβοσκώ.

[43] Eschine, l. c., 28 ; Lysias, l. c. ; Aristophane, l. c., 757 ; cf. Aristote, Mor. à Nic., VII, 6 (7), 2 ; Gr. mor., II, 6, 20 ; Pausanias, V, 28, 3-4.

[44] Démosthène, l. c., 107 ; Eschine, l. c., 13 ; Lysias, l. c., 45 ; Lycurgue, C. Leocr., 147 ; Isée, l. c., 10 ; Sur la succ. de Ménécl., 45 ; Xénophon, Mém., II, 2, 13 ; Euripide, Médée, 1034 ; Alc., 664. Cf. L. Schmidt, II, p. 111-112.

[45] Plutarque, Solon, 22 ; Eschine, l. c. ; cf. l’art. Kaküseos graphè, dans le Dict. des ant., p. 793 ; Beauchet, I, p. 365-366.

[46] Ces mots se trouvent dans une inscription de Mycènes (Έφ. άρχ., 1892, p. 67).

[47] Croiset, II, p. 118.

[48] Voyez, dans la légende, Héraclès entrant au service d’Eurysthée, pour préserver la liberté d’Amphitryon (Euripide, Hercule furieux, 16-20).

[49] Aristote, Const. des Ath., 1. C’est une règle universelle. Selon le droit antique, lorsque le débiteur était adjugé comme esclave au créancier, tous ceux qu’il avait sous sa puissance, femme et enfants, passaient sous la puissance du créancier. (Esmein, Mél., p. 247, n. 1). Cette règle est encore appliquée dans le Caucase (voir Dareste, Nouv. ét., p, 282).

[50] Solon, XXXVI (XXV), dans Bergk, II, p. 55 ss. ; IV (XIII), 25, ibid., p. 35 s. ; Plutarque, Solon, 13.

[51] Plutarque, Solon, 23.

[52] Aristote, op. cit., 6, 9, 10 ; Plutarque, l. c., 15 ; De vit. ære alieno, IV, 1, p. 828 F ; Diodore, I, 79, 4.

[53] Le rapport entre la siesachtheia et la prohibition de la servitude pour dettes est indiqué, sans être défini, par Aristote et par Plutarque. Les auteurs modernes (cf. Busolt, Gr. Gesch., II, p. 260, n. 1) recherchent laquelle des deux mesures a été la première en date. Subtilité inutile. Leur rapport est tel, qu’elles ont dû être simultanées.

[54] Comme on va le voir, les exceptions posées par la loi de Solon sont au nombre de deux, D’après certains auteurs (Leist, Gr.-It. Rechtsgesch., p. 400 ; Dareste-Haussoullier-Th. Reinach, II, p. 48. Guiraud, La main-d’œuvre industr. dans l’anc. Gr., p. 101, n. 6). Il y en aurait une troisième : le meurtrier en rupture de ban pourrait être tué ou emmené comme esclave par les parents de la victime (I. J. G., n° XXI, l. 30 ; Démosthène, C. Aristocr., 28), tel est bien le sens primitif de la coutume, le sens qu’elle a peut-être encore dans l’idée de Dracon. Mais, déjà pour Solon, il s’agit probablement de la procédure appelée άπαγωγή (comme pour Platon, Lois, IX, p. 871 E) ; car il a fallu qu’άπάγεν ait été compris de cette façon longtemps avant que le législateur ait ajouté la prohibition λυμαίνεσθαι δέ μέ μαδ' άποινάν.

[55] Plutarque, Solon, 33.

[56] Démosthène, C. Nicostr., 11 ; cf. Alb. Martin, art. Lytra, dans le Dict. des ant., p. 1454 s.

[57] Démosthène, ibid., 8.

[58] L’opinion générale est que le trésor public fit les frais d’un rachat en masse (cf. Duncker, Gesch. des Alt., VI, 5e éd., p. 158 ; Ed. Meyer, II, p. 651). L’exception admise par Solon explique bien mieux les faits et confirme l’hypothèse donnée par von Willamowitz, II, p. 62, n. 36.

[59] Cf. I. J. G., n° I, l. 37-41.

[60] Aristote, Const. des Ath., 6.

[61] Encore ce privilège n’existe-t-il que dans des cas limitativement déterminés, et les particuliers en jouissent également en matière commerciale (cf. Caillemer, art. Carcer, dans le Dict. des ant. ; Lécrivain, Obs. sur la contrainte par corps et les voies d’exéc. dans le dr. gr., dans les Mém. de l’Ac. des sc., inscr. et belles-lettres de Toulouse, 1894, p. 205 ; Beauchet, IV, p. 452 456).

[62] Voir Guiraud, op. cit., p. 101-102.

[63] Aristote, op. cit., 62.

[64] Aristophane, Oiseaux, 764-765 ; (Démosthène), C. Euboul., 59 ; Hypér., P. Euxénippos, 3 ; Harpocration, s. v. Άγασικλής et διαψήφισις, Lysias, C. Agor., 73 ; Eschine, Sur la fausse ambassade, 76. Voir Haussoullier, La vie munic. en Att., p. 33-34.

[65] (Démosthène), Lettres, III, 29 ; Scol. de Démosthène, C. Timocr., 131 ; cf. Meier-Schömann-Lipsius, p. 439 ss. ; Beauchet, II, p. 416.

[66] Philoch.. dans le Scol. d’Aristophane, Guêpes, 718 (F. H. G., I, p. 398, fr. 40) ; Plutarque, Périclès, 37 ; voir Haussoullier, op. cit., p. 35-36.

[67] Cf. Haussoullier, op. cit., p. 38 ss.

[68] Pour les suites données à l’enquête de 445, voir Philippi, Beitr., p. 35-36.

[69] Cf. Dareste, Plaid. civ. de Démosthène, II, p. 84.

[70] (Démosthène), C. Aristog., I, 47 ; Pollux, VIII, 99 ; Suidas, Harpocration, s. v. μετοίκιον ; voir Clerc, Les mét. ath., p. 17.

[71] Voir Meier-Schömann-Lipsius, p. 391 ; Clerc, op. cit., p. 272-273.

[72] (Démosthène), C. Néair., 16 ; voir Beauchet, I, p. 203 ss. Pour la γραφη όποβολής, je me contente de renvoyer à Meier-Schömann-Lipsius, p. 441-442 ; Beauchet, II, p. 418.

[73] Voir Philippi, Beitr., p. 62 ss.

[74] Lysias, C. Erat., 98 ; Isocrate, Plataic., 48 ; cf. Diodore, I, 79, 4 ss. ; voir Thalheim, 21, n. 4 ; Mitteis, p. 445 ss.

[75] I. J. G., n° XII, l. 154-156.

[76] Id., n° XIV, l. 104-112.

[77] Michel, n° 59, l. 34-40.

[78] Id., n° 68, l. 12.

[79] Cicéron, Pro Planco, 20.

[80] Plutarque, De vit. ære alieno, III, 2-3, p. 828 C.

[81] Lucien, Timon, 49.

[82] Voir Bücheler-Zitelmann, p. 166 ; Dareste-Haussoullier-Th. Reinach, I, p. 406, 450, 461-468, 479, 487-488 ; Caillemer, art. Gortyniorum leges, dans le Dict. des ant., p. 1632-1633 ; Beauchet, IV, p, 468-469.

[83] VI, 46 ss. ; cf. Dareste-Haussoullier-Th. Reinach, I, p. 406, 467-468.

[84] I, 55 ss.

[85] IX, 41-44.

[86] I. J. G., n° XVIII, col. V-VI.

[87] Ibid., n° I, l. 37-41.

[88] Diodore, I, 79 ; cf. Bernhöft, p. 241 ss.

[89] Voir Mitteis, p. 447-449.

[90] Diodore, III, 12, 2.

[91] Tite-Live, II, 24 ; Denys d'Halicarnasse, Ant. rom., VI, 26, 29, 37 ; cf. Kohler, Sakesp., p. 8-12.

[92] Voir Troplong, De l'infl. du christ. sur le dr. civ. des Rom., p. 252-283 ; Mitteis, p. 359 ; G. Cornil, p. 442, 747 s. Sur la corréalité de fait chez les peuples celtes, germaniques, etc., voir Declareuil, p. 14-16 ; Kovalewsky, p. 266. Aujourd’hui, le Cambodge est là pour nous montrer la lenteur avec laquelle, même sous la poussée d’une civilisation extérieure, disparaissent la vente des enfants et la solidarité de la famille dans la servitude pénale ou la servitude pour dettes (cf. Dareste, Nouv. ét., p. 322, 323, 324).

[93] Mathieu, XVIII, 25 ; cf. Rois, II, 6. Voir, pour le droit juif, Wallon, Hist. de l’escl. dans l’ant., p. 9-10 ; D. Castelli, Credotori e debitori nell’ ant. soc. abraica, dans la Riv. it. di sociol., 1899, p. 309 ss.

[94] Beauchet, IV, p, 457, a remarqué que, par la réforme de Solon, Athènes en était arrivée presque au point où notre législation se trouvait avant l’abolition de la contrainte par corps par la loi du 22 juillet 1867. Voyez les faits racontés par G. Cornil, p. 447-449.