Partout la juridiction sociale a trouvé devant elle, à ses pénibles débuts, des familles où tous les hommes se soutiennent les armes à la main. Partout elle a dit s’accommoder de cette solidarité, pour essayer de la restreindre. Comment faire ? La vengeance appelle la vengeance. Une fois qu’il y a du sang entre deux familles, chaque homicide ouvre une série nouvelle d’homicides. D’un côté, le devoir de vengeance, de l’autre, la responsabilité collective sont héréditaires indéfiniment. On sait ce que peut durer une vendetta en Corse, une rek’ba en Kabylie. Dans la Grèce héroïque, l’histoire des familles les plus fameuses n’est, durant l’espace de plusieurs générations, qu’un cycle de meurtres enchaînés. Les Porthaonides ont fourni par leurs luttes la matière d’une épopée sinistre[1]. Les Pélopides[2] ont montré par les exemples les plus terrifiants ce qu’Eschyle appelle la misère attachée aux familles, les coups terribles, les coups sanglants de la fatalité[3]. Il y a bien de quoi frissonner au bruissement de cette pluie de sang où les maisons s’abîment[4]. Alternativement, délits les deux partis, la justice vengeresse aiguise le fer pour la riposte... Le meurtre punit le meurtre, le sang est le prix du sang. Aussi longtemps que Zeus restera sur son trône, on dira : Coup pour coup ! C’est la loi sacrée[5]. Le talion est une force inexorable : une fois lancée, elle va, vient, et, d’un côté à l’autre, sans fin, elle rebondit et frappe. Comment donc mettre un terme à cette folie d’homicides réciproques[6] ? Plus tard, ce fut bien simple. Quand Eschyle a montré successivement aux spectateurs le crime d’Agamemnon et la vengeance d’Oreste, il pose dans les derniers vers des Choéphores l’inévitable question : Où donc, enfin assouvi, apaisé, où donc s’arrêtera le courroux de la fatalité ? La réponse est dans les Euménides : la vendetta ne cesse que par un jugement. Mais pour qu’un pareil moyen soit applicable ou puisses seulement être imaginé, il faut des conditions morales et sociales que ne pressente pas la cité à peu près soumise encore au régime familial. La vengeance privée fut longtemps seule à fournir un remède à ses propres excès. Quand des peuples primitifs sont en guerre, pour éviter une trop grande effusion de sang, ils conviennent de remettre leur cause à un nombre égal et limité de champions, ou même à un champion unique. Les Grecs ont eu recours à ces procédés jusque dans les temps historiques. Ils ont connu la lutte restreinte. Les Argiens et les Lacédémoniens me disputaient depuis longtemps le territoire de Thyréa ; vers 547, ils décidèrent de rappeler les armées belligérantes, pour laisser en présence trois cents guerriers de chaque parti[7]. Le duel est plus fréquent. Strabon dit que la μονομαχία était une vieille coutume des Hellènes. Il raconte lui-même comment une querelle légendaire entre Étoliens et Épéiens fut vidée en champ clos par Pyraichmès et Degménos[8]. Il y a d’autres exemples. En 612, les Lesbiens et les Athéniens guerroyaient avec acharnement autour de Sigéion ; les deux chefs résolurent de se battre seul à seul, et la mort de Phrynôn, causée par un stratagème de Pittacos, donna la victoire aux insulaires[9]. Lors d’une tentative faite par les Paioniens sur Périnthe, à la suite d’un défi, fut livré un triple combat singulier, homme coutre homme, cheval contre cheval, chien contre chien[10]. Ce qui donne au duel un caractère juridique, c’est le contrat préalable en vertu duquel il a pour sanction le règlement d’une question litigieuse. Le défi est chose secondaire. La manière de se battre importe peu. Le fait même qu’une cause triomphe avec son champion n’est pas essentiel, si cette conséquence n’est pas admise à l’avance par les deux parties. Toutes ces rencontres de héros dont sont pleines l’épopée, la légende et l’histoire n’eut aucun intérêt pour nous, du montent qu’elles ne sont pas précédées d’une convention[11]. Il se trouve que les duels homériques d’Areïthoos le Korynète et de Lycourgos[12] d’Ereuthaliôn et de Nestor[13] terminent les contestations de frontières qui mettaient les Arcadiens aux prises avec les Béotiens[14] et les Pyliens[15] ; ce ne sont pourtant pas des duels juridiques, pus plus que les combats singuliers successivement engagés à Egine par l’Argien Eurybatos contre quatre Athéniens[16]. Au contraire, la rencontre d’Etéocle et de Polynice, qui passe souvent pour un effet de la fatalité, un double coup de folie haineuse, est présentée dans une certaine version comme un recours régulier à l’arbitrage de la force. De grandes pertes d’hommes, dit Apollodore, décident les deux armées à un accord. Etéocle et Polynice se disputent la royauté en combat singulier et se tuent l’un l’autre[17]. D’après la tradition, la frontière de l’Attique et de la Béotie fut fixée par le duel où l’Athénien Mélanthos l’emporta sur le Thébain Xanthos[18]. La légende des Héraclides présente deux cas analogues. Après la mort d’Eurysthée, quand les bannis réclament la succession usurpée par Atrée, l’un deux, Hyllos, envoie un défi à l’armée des défendeurs. Les conditions de la rencontre sont formelles : les Héraclides auront la royauté, si leur champion est vainqueur ; sinon, ils quitteront le Péloponnèse pour cent ans[19]. Au bout de cent ans, ils reviennent, et alors la victoire de Pyraichmès sur Degménos assure à Oxylos la possession de l’Elide. De ces duels décisoires le plus connu est celui de Paris et de Ménélas dans l’Iliade[20]. Le poète fait là une longue description de la procédure à main armée. L’initiative, qui vient de la partie offensée dans le cas des Héraclides, vient dans le cas présent de Pâris l’offenseur[21]. C’est qu’en vertu d’un principe constant, à partir du jour où une lésion a causé des voies de fait, les deux parties sont égales dans la rencontre[22], ou, selon l’expression homérique, la guerre est égale[23]. Quand le défi est apporté par Hector, qui se fait recevoir comme parlementaire[24], un seul homme a le droit de répondre au milieu du silence général : c’est celui à qui le défi s’adresse[25]. Il accepte, librement une proposition librement offerte ; il l’accepta dans la crème pensée qui la fait offrir, pour épargner de nouvelles souffrances à un peuple déjà trop éprouvé[26]. Il est donc entendu que les deux rivaux, le mari et l’amant, combattront seul à seul, en présence des deux armées au repos, que le vainqueur emmènera Hélène avec ses trésors, et que ce sera la fin des hostilités[27]. Main, pour être valable, cette convention doit être ratifiée solennellement par les chefs des deux partis. Il le faut pour une double raison. D’abord, les adversaires veulent une mutuelle garantie pour les engagements pris, Ensuite, l’individu ne s’appartient pas. Telle est la solidarité de ces temps, que la société ne fait rien pour forcer le membre offensé à combattre seul, parce qu’elle faillirait à son devoir de protection, mais que, par contre, elle interdit au membre offensé de combattre seul sans son aveu, parce qu’elle renoncerait à son droit de souveraineté. Ainsi Ménélas demande que, du côté adverse, on aille chercher Priam, dont la parole seule peut inspirer confiance[28], et lui-même, dans la cérémonie du contrat, il disparaît derrière Agamemnon[29]. C’est Agamemnon, en effet, qui préside aux formalités nécessaires. Il coupe sur la tète des victimes la laine que les héros vont distribuer aux tenants des parties contractantes, proclame à la face des dieux les conditions de là rencontre, achève le sacrifice. Les assistants, tant Grecs que Troyens, confirment l’acte officiel en versant des libations et prononçant des imprécations contre la partie qui se parjurerait[30]. Alors seulement, — quand la question des sanctions éventuelles est bien et dûment réglée par les chefs, — les directeurs du combat, un pour chaque adversaire, règlent les détails matériels de la rencontre : Hector et Ulysse mesurent l’arène et tirent au sort pour savoir qui portera le premier coup[31]. Enfin on voit les deux guerriers face à face, en champ clos[32], à égale distance des armées qu’ils représentent[33], hérissés d’airain, se lançant des regards terribles, tandis que des milliers d’hommes, malgré l’émotion qui les étreint[34], sont tranquillement assis à côté de leur javelines fichées en terre et de leurs chevaux inactifs[35]. C’est l’image expressive des services rendus à deux sociétés par le duel conventionnel. Jusqu’à présent le duel conventionnel nous apparaît chez les Grecs comme une procédure internationale, N’a-t-il donc jamais servi à vider les querelles privées entre membres de la même tribu ou de la même cité[36] ? Ce serait anormal. Les usages de la guerre publique et de la guerre privée ont une identité constante : l’une est l’extension de l’autre. Une différence tant soit peu sérieuse, ne peut être admise sans motif. Or, si deux peuples naturellement ennemis sentent le besoin de réduire au minimum la lutte née d’un litige particulier, il est à croire que deux familles faisant partie d’un même peuple éprouvent cette nécessité à un degré au moins égal. Effectivement, dans les vieilles légendes de la Grèce se cachent des duels conventionnels entre membres de la même communauté. Mais, pour y voir clair, il faut se souvenir qu’en matière de duel le choix des armes varie à l’infini. Les Anglais, de non jours, n’usent plus de l’épée ou du pistolet ; mais ils ont la boxe. Chez les Esquimaux, la coutume procédurière laisse subsister l’absolue liberté des conventions : tantôt les différends se vident à coups de poing[37], tantôt l’offensé provoque l’offenseur à un combat de chants satiriques, où le plus fort en moquerie a le droit pour lui[38]. Chez les Peaux-Rouges de l’Amérique Méridionale, les adversaires jouent leur vie dans une partie de balle[39]. Dans les Eddas, les luttes poétiques se terminent souvent par la mort du vaincu[40]. Ce n’est donc pas une fantaisie originale qui a imaginé ni le duel au pugilat entre Ulysse et Iros[41], ni les duels musicaux d’Apollon et de Marmyas, des Muses et de Thamyris[42], ni les duels à l’énigme proposés par le sphinx aux passants[43] ou par Calchas à Mopsos[44]. On voit aussi pourquoi les luttes homériques commencent par des insultes et d’où viennent toutes ces querelles entre les héros de l’épopée[45] ; elles ont un rapport logique, soit avec les concours de plaisanteries injurieuses qui font partie de certaines fêtes[46] et se retrouvent dans les représentations comiques, soit avec les brocards qu’échangent les bergers de Théocrite, soit même avec les sarcasmes quelquefois mortels dont les plaideurs accablent leurs adversaires[47]. C’est un fait remarquable et dont il faut tenir grand compte dans l’histoire du droit, que le mot a7wv désigne, dans la langue classique[48], à la fois une lutte gymnique, dramatique ou musicale[49] et un procès. Il n’y a pas eu là une comparaison tardive, une trouvaille verbale. L’identité de nom révèle l’identité d’origine. Les concours en Grèce n’ont pas toujours été des solennités périodiques où des athlètes professionnels se disputaient ce prix idéal, symbole presque immatériel de la gloire, une palme. L’άγών χρηματίτης a précédé l’άγών στιφανίτης. Dans l’Iliade, de grands jeux sont célébrés à l’occasion des funérailles de Patrocle. Est concurrent qui veut. Les prix sont les objets variés qui constituent à cette époque la richesse mobilière, bassins et trépieds, chevaux et mules, bœufs au front puissant, captives à la belle ceinture, fer blanchâtre[50]. Le sens primitif de ces jeux funéraires semble déjà en partie perdu aux temps homériques, Il se retrouve cependant dans le duel à main armée où Diomède& et Ajax se disputent les armes de Sarpédon, conquises jadis par Patrocle et conservées sur ses navires[51]. Il se retrouve même dans un épisode épique où pourtant la compétition athlétique fait défaut, dans la contestation entre Ajax et Ulysse au sujet des armes d’Achille mort[52]. Les jeux funéraires ont été, à l’origine, un moyen, bien conforme aux moeurs héroïques, d’opérer un partage de succession[53]. Les prix, c’étaient les objets personnels, les biens meubles, tout ce qui était susceptible d’appropriation individuelle sous un régime de propriété collective[54]. En un temps où les acquêts étaient dus à la bravoure, à la force, à l’adresse, il semblait juste de leur transmettre, en partie au moins, aux plus braves, aux plus forts, aux plus adroite. La distribution contentieuse des armes et du butin laissés par un guerrier était une formalité des funérailles solennelles[55]. Cette procédure naïve, cette διαδικασία au pugilat ou à la course, ne servait pars seulement à régler les questions d’héritage. Faire la possession d’une femme et la possession d’une esclave Il n’y avait pan de différence radicale, pas plus qu’entre la revendication d’une esclave et celle d’un animal. Aussi le système des épreuves physiques convenait-il encore art cas où plusieurs prétendants aspiraient à la main d’une femme. L’exemple le plus connu est celui que fournit dans l’épopée l’arc d’Ulysse, mais la légende en renferme bien d’autres[56]. Les premières courses de chars qui aient lieu dans les plaines d’Olympie sont celles dont Hippodameia devait être le prix[57], de même que les premiers concours hippiques et gymnique, des jeux pythiques furent institués en 590/89, après la prise de Cirrha, pour le partage du butin[58]. Déjà fort avant dans la période historique, niais d’après un récit emprunté aux épopées, le tyran de Sicyone, Clisthènes, ayant annoncé l’intention de marier sa fille Agaristé, aurait eu pour premier soin de faire préparer une arène pour la lutte et la course[59]. Il y a donc un moment dans l’existence des sociétés où des poings solides et de bons jarrets valent comme titres juridiques[60]. L’άγών
présente ainsi avec le duel des rapporta constamment visibles[61]. C’est à la ruse
employée par Pittacos dans son combat avec Phrynôn que les anciens font
remonter les combats de rétiaires[62]. La procédure
qui met fin à la guerre des Périnthiens et des Paioniens comprend, outre un
duel, deux combats d’animaux. Ecoutes encore la règle que rappelle Ulysse, au
moment de provoquer la jeunesse de Schérie : Au
pugilat, à la lutte, à la course, comme on voudra, je défie tous les
Phéaciens, sauf un seul, Laodamas. Celui-là, c’est mon hôte, et qui se
battrait avec un ami ? Il faudrait être un insensé, un homme de rien pour se
mesurer avec un hôte aux jeux,... ce serait
se mutiler soi-même[63].On ne peut mime
pas dire qu’au concours le vaincu ne meure pas, ce qui ferait encore avec le
duel une assez belle différence. Une des règles posées par le code primitif du
duel exige que le vaincu périsse : c’est aussi une règle du concours.
Oinomaos consacre non sans raison les premières courses de chars à Zeus Άρειος[64] : il l’emporta
sur treize prétendants, et tous tombent sous les coups de sa lance[65] ; mais lorsqu’il
a vu passer devant lui Pélops, tel qu’un Japonais qui succombe, il se tue[66]. Tant que le
sphinx est vainqueur à la bataille des énigmes, il met à mort ses adversaires[67] ; quand il a le
dessous, il est égorgé[68] ou contraint au
suicide[69].
Même la lutte musicale oie s’engage Marsyas, même la lutte poétique à
laquelle Calchas provoque Mopsos ont un dénouement tragique[70]. Comme le duel, l’άγών est donc une institution
intermédiaire entre la guerre et fa comparution en justice. Précisément le XXIIIe chant de l’Iliade, celui des άθλα, nous place en pleine période de transition. Il renferme un épisode qui nous montre admirablement et l’origine des jeux et ce qui en sort. Après la course de chars, il y a désaccord sur l’attribution du second prix. Antilochos y prétend : Je ne le céderai pas, dit-il ; on tente l’épreuve, qui veut en venir aux mains avec moi en combat singulier ! Mais Ménélas, qui se déclare victime d’une supercherie, demande que l’affaire se termine par la voie de droit, comme un litige susceptible d’arbitrage : il propose aux chefs de juger en toute impartialité, défère le serment à son compétiteur, et obtient un arrangement amiable[71]. N’est-ce pas, en raccourci, l’histoire des άθλα ? S’ils ne fournissent pas une solution ferme, on recourt aux armes, comme jadis, ou à l’arbitrage, présage du jugement à venir. Le concours gymnique est une forme particulière du duel conventionnel, à la fois simplification de la guerre et antécédent du procès criminel. Dans l’άγών des Grecs se retrouvent et la vindicatio et la legis actio des Romains[72]. Le duel et l’άγών étaient donc couramment employée dans la procédure coutumière, quand la cite se constitua des tribunaux. Fougères[73] a montré finement que la μονομαχία instituée vers le milieu du VIe siècle par Démonax à Mantinée et à Cyrène[74] devait être le duel légal. Son raisonnement ne demande qu’à nôtre légèrement rectifié sur deux points. Il est inutile de distinguer les tournois à armes courtoises et les véritables duels entraînant mort d’homme : la première de ces institutions pouvait avoir aussi bien que l’autre un caractère juridique et n’était pas moins digne de la sollicitude d’un législateur. Puis, c’est faire trop d’honneur à la sagacité de Démonax que de lui attribuer l’application d’une coutume guerrière au droit privé ; car celte application de la coutume est aussi vieille que la coutume elle-même. En tout cas, c’est dans les tribunaux d’Etat, au fur et à mesure qu’ils se transformaient de cours arbitrales en juridictions obligatoires, que la procédure guerrière du duel, déjà moine apparente dans le concours, ne changea en une procédure pacifique, sans que le drame judiciaire cessât d’être appelé άγών. Le nom de l’Aréopage athénien, rapproché de sa fonction, rappelle ce qu’il y a de guerrier dans les débuts de la justice. Malgré des tentatives hardiment originales, il faut en revenir à l’étymologie proposée par les anciens, les procès d’homicide se jugeaient sur la colline d’Arès. Riais ce n’est pas par hasard que le grand tribunal du sang siégeait sur la colline de ce nom, et ce nom ne venait pas à la colline de ce qu’elle servait d’emplacement à un temple d’Arès[75], Le temple en question n’existait même pas : il y avait seulement un sanctuaire d’Athéna Areia au pied de l’Άρειος πάγος[76]. Du nom à la fonction, le rapport est donc plus intime pour le vieil Aréopage que pour les autres tribunaux plus récents, comme le Palladion et le Delphinion. On le sentait confusément dans l’antiquité, lorsqu’on imaginait, entre autres mythes sur l’origine de l’Aréopage, celui d’Arès meurtrier d’Halirrhothios et jugé par les Athéniens[77]. Cette explication avait l’avantage de convenir tout ensemble è la colline et au tribunal ; mais elle a le défaut de reposer sur un fait anecdotique, accidentel. La légende qui représentait les Amazones campant sur la colline et y sacrifiant à Arès[78], leur père[79] ou leur patron[80], avait et méritait moins de vogue, parce qu’elle négligeait la compétence du tribunal ; elle a cependant cet intérêt, de nous avertir que l’Arès à qui l’Aréopage a été consacré a gardé son caractère propre : c’est toujours le dieu de la guerre. Les grammairiens ont entrevu celte interprétation, en se souvenant que le dieu de la guerre est aussi le dieu du meurtre : ό δέ Άρης έπί τών φόνων[81]. Les érudits modernes[82] se sont contentés de la confirmer à l’aide de textes, généralement empruntés à Eschyle, d’où résulte qu’Arès avait dans ses attributions l’homicide et la vengeance du sang[83]. Mais il est assez invraisemblable qu’à une époque très reculée leu Athéniens aient eu recours à une dénomination aussi entortillée sous sa simplicité apparente : la colline d’Arès, pour dire la colline où se jugent les affaires de meurtre, c’est une expression poétique, mais non pas populaire. De plus, si le nom de la colline vient des juges pour le sens, il est à peu près impossible que le nom des juges vienne de la colline pour la forme : on ne dirait pas les hommes de la colline d’Arès, mais quelque chose comme les juges d’Arès. Par conséquent, la colline a servi aux choses d’Arès, avant qu’une autorité sociale se soit employée à les régler. C’est dans les institutions de la vengeance privée qu’il faut chercher à quel usage tuait primitivement destinée la colline d’Arès. Celui qui est appelé dans l’Iliade Άρεω άλκτήρ[84] y venait chercher autre chose qu’un jugement. Il avait promis vengeance à la victime en plantant une javeline sur sa tombe : c’était un appel à l’Άρης έμφύλιος[85]. Le βασιλεύς avait momentanément suspendu les hostilités et fait trois tentatives de conciliation (προδικασίαι)[86]. S’il ne réussissait pas, il n’avait qu’à laisser les parties décider l’affaire par les armes, en leur faisant respecter la coutume[87]. Lui seul avait qualité, comme le roi homérique, pour leur permettra de se battre[88]. Lui seul pouvait, entouré de sa βουλή, présider à la bataille. Il empêchait la guerre de dégénérer en στάσις έμφυλος ; il tâchait de la faire terminer par un simple άγών. En sa présence, au jour fixé, le meurtrier (à moins de fuir au dernier moment)[89] rencontrait le vengeur sur une hauteur aménagée à cet effet en plein air[90]. Et l’on appelait tout naturellement Άρειος πάγος la colline sur laquelle l’Άρεω άλκτήρ se consacrait à Athéna Άρεία, comme il l’est fait en Elide à Zeus Άρειος[91], et où il venait occuper le λίθος άναιδείας en face du λίθος ϋβρεως, attendant le signal de la trompette[92], prêt à en découdre. La colline d’Arès était le Champ de Mars athénien[93], en ce sens que Mars aussi était le dieu de la guerre, du meurtre et du duel[94]. L’histoire primitive de l’Aéropage tient dans ce vers d’Eschyle : Άρης Άρει ξυμβαλεϊ, Δίκα Δίκα[95]. Le duel est partout à l’origine du drame judiciaire. Si le duel conventionnel a joué en sort temps un rôle si considérable chez les Grecs, comment se fuit-il qu’il ait laissé moins de traces en Grèce qu’en tant de pays divers[96] ? C’est qu’il semble y avoir dépassé à peine la première des phases qu’on observe ailleurs dans son évolution. En général, dans les sociétés aryennes, comme chez un grand nombre de peuplades sauvages, le duel est d’abord un mode de représailles : les parties conviennent de terminer leur querelle d’un seul coup et par un seul acte de violence[97], sans même que la présence d’un arbitre suit obligatoire. Plus tard, quand l’État a fortifie sa juridiction, les juges trouvent dans le duel, qui a cesse d’être purement conventionnel et mérite alors d’être qualifié de judiciaire, un moyen de preuve. D’une période à l’autre, l’idée change : il ne s’agit plus pour des groupes ennemis de régler leurs comptes avec le moins de pertes possible ; la justice sociale, imbue de principes religieux, fait sommation à la divinité de se déclarer en faveur de l’innocent. La seconde de ces conceptions a certainement fait son apparition dans l’esprit des Hellènes. On la voit poindre dans l’Iliade. Au moment où va commencer le duel entre Ménélas et Paris, les directeurs du combat tirent au sort le nom de celui qui aura l’avantage de lancer sa javeline le premier. Ce tirage au sort suppose une intervention directe des dieux[98]. Et en effet, tandis qu’Hector agite les sorts dans un casque, la main tendue, les yeux détournés, des deux cités les assistants lèvent les paumes vers le ciel et font celte prière : Zeus notre père, qui règnes du haut de l’Ida, très glorieux et très grand, quel que soit, des deux adversaires, l’auteur du litige pendant entre eux et nous, fais qu’il meure et descende dans la maison d’Hadès[99]. De même, Ménélas, sur le point de brandir son arme, se met en oraison et dit : Zeus, mon roi, accorde-moi de me venger de celui qui a commis la première offense : que le divin Alexandros soit dompté sous mon bras[100]. Mais il ne faudrait pas attribuer à la croyance ainsi exprimée une portée qu’elle n’a pas encore. Les Grecs de l’époque homérique ne sont nullement convaincus que la divinité doive nécessairement, immédiatement, prendre le parti du juste. En faveur de qui se prononce le sort, malgré la prière commune des Achéens et des Troyens ? En faveur de Paris, qui est cependant l’agresseur, de l’aveu même des siens, et que son propre frère vient de déclarer digne d’être lapidé[101]. Quel effet obtient Ménélas de son bon droit et de son invocation ? Sa javeline est impuissante, son épée se brise, et, de désespoir, il s’écrie, les yeux au ciel : Zeus le père, il n’est pas parmi les dieux plus cruel que toi ![102] Il fallut du temps pour que la Grèce transformée fût en état, par sa conception de la justice humaine et de la justice divine, de voir dans le duel un jugement de Dieu. Elle y arriva pourtant. Dans la légende de Thésée, la confusion du duel et du l’ordalie est complète[103]. Mais quand fut achevée l’évolution politique et morale qui favorisait cette nouvelle façon de voir, la puissance de la cité et le rationalisme qui l’envahit rapidement vinrent à l’encontre de cette procédure brutale et religieuse. Elle disparut vite. Chez les peuples germaniques, celtes et slaves, l’institution du duel, ayant persisté fort avant dans la Moyen Age[104], est surtout connue sous la forme d’une preuve judiciaire d’où résulte une sentence prononcée par Dieu lui-même. Chez les Grecs, qui la remplacèrent plus hâtivement par les moyens de preuve oraux, elle ne fut guère utile qu’à titre de vengeance simplifiée et n’eut de durée que sous ses formes embellies, au théâtre et au stade. |
[1] Oineus est menacé par son frère Alcathoos, ou par les huit fils de son frère Mélas, ou par son fils Olénias. Tydeus sauve son frère par un assassinat. Il est poursuivi par Agrios, frère ou oncle des victimes, et tué par un des six fils d’Agrios. Diomèdes, fils de Tydeus, venge son père mort et son grand-père détrôné, en tuant quatre fils d’Agrios, dont l’assassin. Enfin les deux frères survivants tuent Oineus (Apollodore, I, 8, 5, 3 — 6, 3).
[2] Sur le développement du mythe des Pélopides, il faut lire l’introduction de Wecklein à l’Orestie (1888).
[3] Choéphores, 486-448 ; cf. 471-472.
[4] Ag., 1533-1534.
[5] Ag., 1535-1536, 1562-1565. Cf. Euripide, El., 1097-1107 ; Méd., 1266-1267 ; Or., 816-818.
[6] Ag., 1575-1576. Cf. Démosthène, C. Leptine, 157.
[7] Hérodote, I, 82 ; Strabon, VIII, 6, 17, p. 376 ; cf. Grote, II, p. 449 ; Homolle, dans le B. C. H., XXI (1897), p. 296.
[8] Strabon, VIII, 3, 33, p. 358, d’après Ephore (F. H. G., I, p. 226, fr. 15).
[9] Id., XVII, 1, 38, p. 500 ; Suidas, s. v. Πιττακός ; Diogène Laërce, I, 74 ; Festus, s. v. Retiario ; Plutarque, De la malign. d’Hér., XV, 4, p. 858 B ; Polyain., I, 25. Töpffer ne croyait pas à la réalité de ce duel dans les Quæst. Pisistr. (Beitr., p. 45) ; mais il la démontre on ne peut mieux dans un article du Rhein. Mus., XLIX, 1894, p. 225 (Beitr., p. 234).
[10] Hérodote, V, 1.
[11] Iliade, VII, 137-146.
[12] Ibid., 134-135, 150-156.
[13] Phérék., dans le Scol. de l'Iliade, VII, 9 (F. H. G., I, p. 91, fr. 87) ; cf. Iliade, IV, 8. Voir Fougères, Mantinée et l'Arc. Or., p. 254-257.
[14] Strabon, VIII, 3, 12, p. 343.
[15] Hérodote, VI, 193.
[16] Ces rencontres sont étudiées avec soin par Alb. Martin, art. Monomachia, dans le Dict. des Ant., p. 1991-1992.
[17] Apollodore, III, 6, 8, 1. Euripide a donné cette version dans les Phéniciennes (1225-1258, 1330-1331, 1383-1424).
[18] Ephore, dans Harpocration, s. v. Άπατούρια (F. H. G., I, p. 239, fr. 25) ; Polybe, I, 19.
[19] Hérodote, IX, 26 ; Diodore, IV, 58, 3-4 ; Pausanias, I, 44, 10 ; VIII, 5, 1 ; 53, 10.
[20] Iliade, III, 67-120, 245-301, 314-380, 455-461.
[21] Ibid., 58 ss. (cf. 87).
[22] Le principe ainsi formulé par les Ossètes est souvent mentionné par Kovalewsky : il l’est précisément à propos du duel judiciaire (p. 302).
[23] Odyssée, XXXIV, 543.
[24] Iliade, III, 76 ss.
[25] Ibid., 95 ss.
[26] Ibid., 99-100.
[27] Ibid., 67-75, 88-34, 101-102 ; cf. 111-112, 134-138, 253-258, 281-291.
[28] Ibid., 105-10 ; cf. 116-117, 249-268, 303-313. Sur l’autorité du βασιλεύς chez les Grecs et du pater patratus chez les Romains, voir d’Arbois de Jubainville, Ét. sur le dr. celt., I, p. 60-64
[29] Ibid., 188 ss. ; 271 ss.
[30] Ibid., 260, 391
[31] Ibid., 314-385.
[32] Ibid., 344.
[33] Ibid., 60, 90, 341 ; cf. 266.
[34] Ibid., 348.
[35] Ibid., 326-327, 68, 88-89, 111-115, 134-135.
[36] Telle est l’opinion de Bréhier, p. 96-98. De son côté G. Tarde (Ét. pénales et sociales, p. 6-8) ne voit rien de comparable au duel moderne dans l’antiquité grecque. Cf. Funkhänel, Gottesurtheil bei Griechen und Römern, dans le Philologus, II, 1847, p. 380-392 ; Alb. Martin, art. Monomachia, dans le Dictionnaire des antiquités.
[37] Voir Richardson, The polar regions, Edinburgh, 1861, p. 326.
[38] Voir Herbert Spencer, Princ. de soc., IV, p. 423 ; Steinmetz, II, p. 69 ss.
[39] Voir A. Réville, Les rel. des peuples non civil., Paris, 1883, I, p. 401.
[40] Voir Declareuil, p. 17-18.
[41] Odyssée, XVIII, 1 ss.
[42] Apollodore, I, 3, 3, 3.
[43] Id., III, 5, 8, 4-8 ; Pausanias, IX, 26, 2 ss.
[44] Hésiode, Μελαμποδεία, dans Strabon, XIV, 27, p. 642 (fragm. 188 Rzach) ; Phérek., fragm. 95 (F. H. G., I, p. 94) ; Apollod., Épit., VI, 3.
[45] P. Girard a fait un bel article sur les querelles épiques (Commet a dû se former l’Iliade, dans la Revue des études grecques, XV, 1902, p. 236 ss.).
[46] Les Athéniens faisaient pleuvoir les ρητά καί άρρητα (Démosthène, P. la cour., 122) pendant les Dionysia (Athénée, XIV, p. 632 ; Scol. d’Aristophane, Ach., 242, 260), les Thesmophoria (Hesychius Phot., s. v. στήνια ; Aristophane, Thesm., 834) et surtout les Eleusinia (cf. Fr. Lenormant, Monogr. de la voie sacrée éleus., p. 237-244). On a montré le rapport de ces λοιδορίαι à l’hymenaios et à l’άγών de la comédie (Zielinski, dans le Philol., XLVII, 1888, p. 25 ss.).
[47] Plus d’une de ces étranges particularités de l’ancien droit, les piéges, les chausse-trapes, les traquenards savants dont il est plein, figurent et remplacent les feintes, les stratagèmes, les embuscades des luttes armées du temps passé entre particuliers ou tribus. (Sumner Maine, Inst. prim., trad., p. 368).
[48] Dans Homère, un άγών est un lieu de réunion ou une réunion. Comment dit Aristarque, άγών . όγυρις, συναγωγή. Le mot emploie même pour des navires (Iliade, XV, 428 ; XVI, 239, 300 ; XIX, 42 ; XX, 33). Il désigne aussi bien un temple ou une assemblée religieuse (Iliade, VII, 498 XVIII, 374) qu’une enceinte pour jeux (Iliade, XXIII, 273, 448, 451, 531 ; Odyssée, VIII, 290) ou l’assemblée des spectateurs (Iliade, XXIII, 258 ; XXIV, 1).
[49] Isocrate (Panég., 48) fait ressortir la variété des luttes comprises sous le nom d’άγώνες.
[50] Iliade, XXIII, 259-261, Dans ce chant (630-631, 679-680), il est encore question de jeux célébrés par les Epeiens pour les funérailles d’Amarynkeus et par les Thébains pour celles d’Œdipe. Dans l’Odyssée (XXIY, 85 ss.), en parlant des jeux célébrés en l’honneur d’Achille, l’aède rappelle qu’on fait de même chaque fois qu’on vient d’ensevelir un personnage royal. Si Homère mentionne fréquemment les jeux funéraires, il ignore totalement, comme l’observe Aristarque, Γίερός καί, στεφανίτης άγών (Lehrs, De Arist. stud. hom., 3e éd., p. 333) ; il ignore jusqu’au mot de στέφανος (Rohde, dans le Rhein. Mus., XXXVI, 1881, p. 544-545 ; cf. Lehrs, l. c.). Après Homère, Hésiode se vante d’avoir gagné un trépied dans un concours de poètes, à Chalcis, aux jeux funéraires d’Amphidamas (Œuvres et jours, 654-659 ; de là l’Άγών Όμήρου καί Ήσιόδου composé au temps d’Hadrien et où les deux adversaires mettent à l’épreuve leur génie poétique et leurs facultés d’improvisation). L’άγών έπιτέφιος devient désormais un motif épique. — La légende confirme les données de la poésie. D’après la tradition arcadienne, les premiers concours qu’on ait connus en Grèce sont les courses de chevaux qui suivirent la mort d’Azan, fils d’Arcas (Pausanias, VIII, 4, 5). Dans le mythe de Persée, le roi Teutamias institue des jeux après la mort de son père (Apollod., II, 4, 4, 2). Les Crétois disaient que Minos consacra des concours gymniques à la mémoire de son fils et que les esclaves envoyés par Athènes servaient de prix (Philoch., dans Plut., Thés., 16, 19, etc. (F. H. G., I, p. 390-391, fr. 38-40).
[51] Iliade, XXIII, 798-825 ; Cf. XVI, 662-665 ; XXIII, 800.
[52] Odyssée, XI, 543-547 ; cf. XXIV, 85 ss. Cet épisode fut chanté par Arctinos dans l’Aithiopis et par Leschès dans la Petite Iliade (Kinkel, Épic. gr. fragm., I, p. 34, 36).
[53] Faute de connaître le hongrois, je n’ai guère pu me servir d’un article publié sur L’origine des jeux par Gyula Hornyànasky, Egyetemes Philologiai Köslöny, XXIV (1900), p. 82-92 ; mais je devine d’après les références et je vois à quelques lignes de la Rev. des rev., XXV (1901), p. 142, que, dans cet article, les premiers jeux sont également présentés comme des règlements de successions. L’explication juridique peut s’accorder avec l’explication religieuse que donnent Steinmetz, II, p. 67, et Rohde, I, p. 19.
[54] Les armes de Sarpédon ne sont pas le seul prix qui provienne de la succession de Patrocle. Le premier prix de la course est un cratère d’argent que Patrocle avait reçu comme rançon de Lycaon : Achille le propose comme άέθλιον οΰ έτάροιο (740-748). Il faut donc rapprocher de ces luttes funéraires, non pas seulement la dispute d’Ajax et d’Ulysse a propos des armes d’Achille, mais même l’épisode significatif qui se produit après la course des chars : Achille offre une coupe à Nestor, que l’âge rend incapable de concourir, en souvenir de celui qu’il ne reverra plus parmi les Argiens (615-624).
[55] Dans l’Iliade, on passe sans transition des funérailles de Patrocle aux jeux. C’est au milieu d’un vers que l’aède finit le long récit des funérailles (1-257) et commence le récit encore plus long des jeux (257-897). — Voir aussi les vers 679-680 : un héros qui assiste à des funérailles y est vainqueur. Cf. 631.
[56] Voir Pausanias, III, 12, 1 (Pénélope) ; 2 (les Danaïdes) ; 20, 9 ; Isocrate, El. D’Hél., 40 (Hélène) ; Apollod., II, 7, 5, 1 (Déjanire) ; 6, 1, 1 (Iolé) ; cf. I, 3, 3, 3. La lutte à l’énigme que propose le sphinx ne doit pas seulement fixer le sort de Thèbes et de Jocastre (Id., III, 5, 8, 6) ; elle doit encore régler une question de filiation légitime (Pausanias, IX, 26, 3-4). [le reste de la note est illisible].
[57] Pausanias, VI, 21, 10 ; Diodore, IV, 73, 3-5.
[58] Marbre de Paros, 37. Cf. Pausanias, X, 7, 8 ; II, 9, 6. L’άγών στεφανίτης des jeux pythiques est institué huit ans après l’άγών χρηματίτης (cf. Busolt, Gr. Getch., I, p. 897, n. 1).
[59] Hérodote, VI, 128 st. ; cf. Kirchhoff, Ueb. die Enstshungszeit des herod. Geschichtswerkes, 2e éd., Berl., 1878, p. 42-44.
[60] S’il n’en avait pas été ainsi en Grèce, on s’expliquerait difficilement que l’Hellanodike, avant d’être juge du camp dans les jeux olympiques, ait été le chef de la justice éléenne (cf. plus haut), et que les αίσυμνήται, nommés par les Phéaciens de l’Odyssée pour régler les jeux (VIII, 258-259), deviennent dans la période historique les chefs de la cité (Aristote, Pol., III, 14, 5 ; IV, 10, 2 ; Etym. Magn., s. v. αίσυμνήτης ; Denys d’Halic., Ant. rom., V, 73 ; G. D. I., n° 3053, 3054 ; Michel, n° 1318, B, l. 4 ; B. C. H., VIII, 1884, p. 23 ; voir déjà Iliade, XXIV, 347).
[61] Nulle part le rapport des deux institutions n’est aussi évident que dans les jeux funéraires que Scipion l’Africain fit célébrer en Espagne à la mémoire de son père. Quidam quas disceptando controversias finire nequierant aut noluerant, pacto inter se ut victorem res sequeretur, ferro decreverunt. Neque obscuri generis homines sed clari illustresque, Corbis et Orsua, patrueles fratres, de principatu civitatis quam. Ibem vocabant, ambigentes, ferro se certaturos professi sunt... Quum verbis disceptare Scipio vellet, ac sedare iras, negatum id ambo dicere cognatis communibus, nec alium deorum hominumve quam Martem, se judicem habituros esse. (Tite-Live, XXVIII, 2 ; cf. Val. Maxime, IX, 11, 1 ; 111, Sil. Italicus, XVI, 533-548 ; voir d’Arbois de Jubainville, Et. sur le dr. celt., I, p. 38-44).
[62] Festus, s. v. Retiario.
[63] Odyssée, VIII, 206-211. C’est ainsi que Glaucos et Diomèdes renoncent à se battre, quand ils se rencontrent sur le champ de bataille (Iliade, VI, 226 ss.). Chez les Athéniens, les άγώνες mettent aux prises les dix tribus, et une représentation dans un dème n’est jamais un άγών (voir Haussoullier, La vie munic. en Att., p. 169).
[64] Diodore, IV, 73, 3 ; Pausanias, V, 14. 6. A Olympie, l’Άγών divinisé est un parèdre d’Arès (Pausanias, V, 20, 3).
[65] Pausanias, VI, 21, 10 ; Diodore, l. c., 3-4.
[66] Diodore, l. c., 5.
[67] Apollod., III, 5, 8, 6 ; Pausanias, IX, 26, 4.
[68] Pausanias, l. c., 2.
[69] Apollod., l. c., 8.
[70] Comparer ce cas avec le cas des Eddas, déjà signalé.
[71] Iliade, XXIII, 141 ss., 566 ss.
[72] Cf. Hornyànszky, l. c., p. 89-90.
[73] Mantinée et l’Arc. Or., p. 350-352.
[74] Hermippos Kallimacheios, Περί νομοθετών, I, dans Athénée, IV, 41, p. 154 D (F. H. G., III, p. 36).
[75] C’est l’hypothèse de Köhler, Der Aerop. in Ath., dans l’Hermès, VI (1871), p. 104.
[76] Pausanias, I, 28, 5.
[77] Hellan., dans le Scol. d’Euripide, Or., 1648 (F. H. G., I, p. 56, fr. 82) ; Pausanias, I, 21, 4 ; 18, 5 ; Apollod., III, 14, 2, 3 ; Euripide, El., 1255 ss. ; Iph. Taur., 945 ss., 961 ss. ; Dinarque, C. Dém., 87 ; Chron. de Paros, 3 ; cf. Suidas, s. v. Άρειος πάγος.
[78] Eschyle, Eum., 685-690.
[79] Etym. Magn., s. v. Άρειος πάγος.
[80] Eustathe, dans Denys le Périégète, Sur les Amazones.
[81] Suidas, s. v. Άρειος πάγος ; cf. Etienne de Bys., s. v. Voir Köhler, l. c., p. 104.
[82] Cf. O. Müller, p. 154 ; Philippi, Areop., p. 841 ; H. D. Müller, Ares, p. 83 ; Tümpel, dans les Jahrb. f. class. Philol., Suppl. XI (1880), p. 667-689.
[83] Voir Eschyle, Prom., 861 ; Suppl., 749 ; Ag., 1235-1236 ; Choeph., 160-161, 461, 939 ; Eum., 355-356, 362-364 ; Sophocle, El., 1422-1423 ; Pindare, Pyth., XI, 36.
[84] Iliade, XIV, 485 ; XVIII, 100, 213.
[85] Eschyle, Eum., 882-863. Chez les Romains aussi, la lance plantée en terre dans la legis actio sacramenti est devenue le symbole du combat judiciaire.
[86] Antiphon, Sur le chor., 42. Cf. Philippi, Areop., p. 85-86 ; d’Arbois de Jubainville, Et. sur le dr. celt., I, p. 151-152.
[87] Tel est, à l’origine, le but des trois προδικασίαι dont le roi est chargé pendant l’instruction des affaires soumises à l’Aréopage. Cette interprétation est constamment confirmée par le droit comparé. On a vu plus haut l’intervention inutile de Scipion entre les rois celtibériens. En Danemark, la procédure primitive a été une tentative de conciliation. Si elle n’aboutissait pas, la guerre recommençait entre les parties (Dareste, Et. d’hist. de dr., p. 317). Lorsqu’un Russe est en procès avec un autre, raconte un voyageur arabe du Xe siècle, il le cite au tribunal du prince... Si les deux parties sont mécontentes de son jugement, elles sont obligées par lui de décider l’affaire par les armes. C’est celui dont le sabre est le plus tranchant qui a gain de cause (Id. ibid., p. 209).
[88] Cf. Hérodote, IV, 65 (Scythes).
[89] Le droit reconnu à l’accusé de s’exiler après la première plaidoirie (Démosthène, C. Aristocrate, 60 ; Antiphon, Sur le meurtre d’Hérode, 13 ; Pollux, VIII, 117) est expliqué par un article d’un code tchèque qui permet à l’accusé de se soustraire au duel par la fuite (cf. Kovalewsky, p. 305-396).
[90] Chez les Germains le combat judiciaire s’engageait en présence de juges-arbitres sur le Mallberg ou le Gesetzesfels.
[91] Cf. Pausanias, I, 28, 5 et V, 14, 6.
[92] Eschyle, Eum., 566-569. Cf. A. W. Verrall, The bell and the trumpet, dans le Journ. of hell. stud., V (1884), p. 74 ss. ; The trumpet of the Areop., ibid., p. 182 ss. La trompette tyrrhénienne, qui déclare ouverte la séance de l’Aréopage dans Eschyle, donne le signal de la lutte à Etéocle et à Polynice dans Euripide, Phén., 1377-1379, comme elle donne dans la réalité le signal des άγώνες (Pollux, IV, 88).
[93] Voir Köhler, l. c., p. 99, qui n’a cherché, d’ailleurs, qu’a montrer la valeur stratégique de la position.
[94] Sur les rapports de Mars avec le duel, voir d’Arbois de Jubainville, l. c., p. 70 ss.
[95] Eschyle, Choeph., 461. Dans l’Hymne à Arès (1-4), on lit cette invocation : Άρες... συναρωγέ Θέμιστος.
[96] Voir Kovalewsky, p. 391-396, 464-467 (riche bibliographie aux p. 395-396) ; Kœnigswarter, p. 190-224.
[97] Kovalewsky, p. 392. Sur le but primitif du duel, voir encore Kœnigswarter, p. 195 ; Declareuil, p. 25-29, 123 ; Thévenin, Contrib. à l’hist. du dr. germ., 14 ; d’Arbois de Jubainville, l. c., p. 37 ss. Voir aussi les exemples fournis par l’anthropologie dans Letoumeau, Évol. de la mor., p. 110-111 ; La guerre dans les div. races hum., p. 32-33, 51, 119, 155 ; Steinmetz, II, 47.
[98] Le tirage au sort pour la priorité du tir est étudié, en droit comparé, par Kovalewsky, p. 393. L’auteur parle aussi (p. 391) du tirage au sort pour la désignation des champions (cf. Iliade, VII, 171 ss.).
[99] Iliade, III, 314-325.
[100] Iliade, III, 349-354. Dans un autre passage, Ménélas s’apprête à relever un défi d’Hector, en disant : Après tout, la victoire est aux mains des dieux immortels (Iliade, VII, 101-102).
[101] Iliade, III, 355, 87, 56-57.
[102] Ibid., 355-368 ; cf. XIII, 631 ss.
[103] D’après Bacchylides (XVII, 45 ss.), Thésée provoque Minos à un combat singulier, où l’on prendra la divinité pour juge (45-46). En réalité, le combat annoncé est converti par Minos en une double épreuve par le miracle (52 ss. ; cf. Hygin, Poet. astr., II, 5 ; Pausanias, I, 17, 2-3).
[104] Voir Kovalewsky, p. 465-466. Les Russes pratiquaient encore le duel judiciaire au XVIe siècle. En France, il fut interdit par Louis-le-Pieux ; mais cette interdiction ne produisit aucun effet, puisque les Assises de Jérusalem contiennent encore un titre de la bataille por murtre (éd. Kaussler, p.397). L’Angleterre a encore vu, au XIIe siècle, le tribunal de Banc du Roi requis par deux champions, après un meurtre, de présider officiellement à un duel au bâton : il fallut que le parlement votât d’urgence l’abolition d’une loi tombée en désuétude (cf. Hearn, p. 442).