SOLIDARITÉ DE LA FAMILLE DANS LE DROIT CRIMINEL EN GRÈCE

LIVRE PREMIER. — PÉRIODE PRIMITIVE - LA FAMILLE SOUVERAINE.

CHAPITRE VI. — LA RESPONSABILITÉ DE LA FAMILLE ET L’ABANDON NOXAL.

 

 

En droit primitif, les membres d’une famille sont solidaires les uns des autres, non pas seulement quand il faut demander, mais aussi quand il faut donner satisfaction. La solidarité des parents, active dans le premier ces, est passive dans le second. Elle impose alors une responsabilité collective et héréditaire. Sous le régime de la vengeance privée, cette responsabilité est absolue. L’ethnologie fournit d’interminables listes de peuplades chez lesquelles le vengeur du sang a le droit de tuer, en sus ou à défaut du meurtrier, les personnes de sa famille[1]. C’est ainsi qu’aux abords de la civilisation grecque, en Arménie, un meurtre historique fut suivi d’un carnage où l’on n’épargna ni les hommes mûrs, ni l’âge qui ne sait pas encore distinguer la main droite de la gauche, et où les femmes mêmes tombèrent sous le fer[2].

Dans la Grèce épique et légendaire, l’offensé, surtout le vengeur du sang, s’en prend à la famille de l’offenseur avec autant de furie qu’à l’offenseur lui-même. Les fils d’Alcmaion le vengent sur les fils de Phègeus, puis sur Phègeus lui-même et sa femme[3]. A plusieurs reprises, Héraclès applique avec rigueur le principe de solidarité à la famille de ses ennemis. Après le meurtre de son cousin Oiônos, il tue les coupables et leur père Hippocoon[4] ; une autre fois, il tue Syleus avec sa fille Xénodikè[5] ; après le meurtre de deux amis à Paros, il tue quatre fils de Minos et exige encore qu’on lui livre deux de leurs neveux, les fils d’Androgéôs[6]. Des collatéraux la solidarité passive s’étend, comme la solidarité active, jusqu’aux έταΐροι : Ulysse est poursuivi huit ans par la haine de Poséidon pour la faute de ses compagnons. Si la personne coupable échappe aux vengeurs, ses enfants répondent pour elle : on les tue, quelque soit leur âge[7].

On ne fait aucune différence, selon que l’offense est ou n’est pas un meurtre. Lorsque Agamemnon prend dans la mêlée Peisandros et Hippolochos, les deux malheureux, pour lui faire accepter une rançon, nomment leur père Antimachos et vantent sa richesse. Mais lui se rappelle alors qu’Antimachos a demandé jadis, sans l’obtenir, la mise à mort de parlementaires grecs ; il massacre les prisonniers, en s’écriant : Le moment est venu d’expier l’indigne attentat de votre père[8]. Comme la guerre ne diffère pas de la vendetta, les parents sont solidairement responsables à l’égard de l’ennemi dans les combats. De lé vient que Lycaon, prosterné aux genoux d’Achille et demandant grâce, développe si longuement, eu cet instant pathétique, sa généalogie du côté maternel : Ne me tue pas, conclut-il, puisque je ne suis pas né des mêmes entrailles qu’Hector, qui a tué ton doux et vaillant compagnon[9]. Andromaque, elle, n’a guère d’illusion sur le sort de son Astyanax, elle pressent qu’un Grec le fera périr, pour venger un frère, un père ou un fils[10].

Par application du talion, il arrive même qu’on épargne fa vie du coupable m qu’on prenne celle de ses enfants. Pour venger Polyrdoros. Hécabè tue les deux enfants de Polymestor : à lui, elle se contente de crever les yeux[11]. Les Argiens ont laissé dévorer un fils d’Apollon par un chien : une bête monstrueuse leur prend leurs enfants[12]. Les Corinthiens ont tué le fils de Médée : ils perdent les leurs[13]. Minos rend les Athéniens responsables de la mort d’Androgéôs : il lui faut du sang d’Athéniens jeunes[14]. C’est ainsi qu’à Babylone la loi d’Hammourabi exige que dans certains cas on tue le fils ou la fille de celui qui a tué le fils ou la fille d’un autre[15].

Parfois la solidarité de la famille détermine la substitution volontaire d’un parent à un autre pour le châtiment à subir[16]. Alceste meurt pour sauver Admèle, lorsque son père et sa mère refusent de se dévouer[17]. Hécabè demande à être immolée sur la tombe d’Achille à la place de Polyxène, parce que la mère de Paris doit répondre pour lui plutôt que sa sœur[18]. Héraclès se met au service d’Eurysthée, pour libérer son père Amphitryon, coupable de meurtre[19]. Comme pour montrer la réalité qui se cache sous ces fictions, on nous raconte que Zaleucos se fit crever un œil pour en conserver un à son fils, condamné à les perdre tous les deux[20] ; récit qui serait absurde, s’il n’était précieux. Tant que la peine, afflictive ou pécuniaire, est une satisfaction accordée par l’Etat à l’offensé, elle a le caractère d’une dette qui peut être payée au nom de l’offenseur par ses parents. Si beaux qu’ils soient, certains dévouements sont moins extraordinaires qu’ils ne paraissent. L’individu ne compte pas dans le γένος : sa personnalité disparaît dans une existence collective. Puisque aussi bien le mépris de la mort est facile à l’homme qui, soutient lit croyance à l’immortalité par la persistance de la famille, ce n’est pas miracle qu’un être faible et inutile aime mieux se survivre dans un groupe puissant que vivre dans un groupe décapité[21].

Comme il n’y a pas de prescription au droit de vengeance et que l’exercice même de ce droit ne l’éteint pas, la responsabilité collective est éternellement héréditaire dans une famille. Le bûcheron qui a porté la hache sur une Hamadryade est puni dans sa postérité[22]. Quand Pandaréos a volé le chien d’or placé dans le temple de Zeus en Crète, non seulement il est mis à mort avec sa femme ; mais, longtemps après, ses filles sont enlevées par les Harpyes et données aux Erinyes comme esclaves[23]. Egisthe s’excuse d’avoir assassiné Agamemnon en rappelant que le fils de Thyeste a droit au sang du fils d’Atrée[24]. Le châtiment d’Œdipe s’achève sur ses fils. Cette idée d’une solidarité indéfiniment prolongée dans le temps, idée qui reparaît constamment dans les légendes purement mythiques, est encore renfermée dans une de ces légendes où l’on démêle vaguement un fond historique, celle des Héraclides. Pour venger son père Electryon, victime d’un homicide involontaire, Eurysthée poursuit d’une haine infatigable Héraclès, le fils du meurtrier, puis tous les descendants d’Héraclès. Et les dieux lui donnent raison ; car longtemps ils font échouer les tentatives des proscrits sur le Péloponnèse, déchaînent contre eux la peste et les forcent à reprendre le chemin de l’exit. On connaît une ville où un châtiment infligé dans la période légendaire est resté impitoyablement attaché à deux familles fort avant dans la période historique : c’est Alos, dans l’Achaïe de Phthiotide. Là, de mâle en mâle et par ordre de primogéniture, les descendants d’Athamas et ceux de Kytissoros de transmettaient l’interdiction, sanctionnée par la peine capitale, de pénétrer dans le prytanée. Pour des crimes commis envers le héros Phrixos, plus d’un, jusqu’au Ve siècle, chercha le salut dans l’exil ou périt sur l’autel de Zeus Laphystios[25].

Dans les siècles les plus reculés de la Grèce, les parents étaient liés par la solidarité passive, au point d’être engagés les uns pour les autres en matière d’obligations réelles, spécialement d’obligations ex delicto. Le principe de la propriété collective avait pour résultat que les revendications de la partie lésée se reportaient de l’offenseur vivant sur ses parents et de l’offenseur défunt sur ses héritiers. C’est la transmission de la responsabilité civile à cause criminelle qui rend si curieux un des dénouements donnés à l’Odyssée, celui qui soumet Ulysse et les familles des prétendants au jugement arbitral de Néoptolème : au même titre que le meurtrier est condamné au bannissement. Lex parents des pillards muets sont tenus de réparer les dommages et de payer une indemnité par abonnement en aliments de tout genre[26].

Dès les temps les plus lointains, les γένη compromis cherchèrent à échapper aux charges terribles de la solidarité. Il fut admis de bonne heure qu’une famille pouvait échapper à la responsabilité d’un crime en renonçant, selon des formes solennelles, à toute solidarité avec le criminel. Pourvu qu’on ne lui assurât ni protection ni asile, qu’on ne fit rien pour le soustraire au châtiment, on était à peu près garanti contre les attaques et les revendications. L’abandon noxal, cette institution juridique dont l’action s’est tellement restreinte dans les sociétés d’une haute civilisation, eut dans les sociétés primitives une très large extension. Ce fut le remède ordinaire aux injustices de la solidarité passive.

Le meurtrier qui part pour un exil perpétuel ne pourvoit pas seulement à son salut ; il détourne des siens les coups de la vengeance, Le dernier service qu’il puisse rendre à sa famille, c’est de fuir spontanément. Ulysse, se donnant pour un meurtrier, raconte qu’il a laissé dans son pays ses enfants avec une grande partie de ses biens[27]. Ainsi, un moment arrive, dans les siècles de l’Odyssée, où, après un assassinat commis par guet-apens nocturne sur le fils du roi, le roi lui-même ne peut rien contre la famille du coupable, couverte par son départ. Mais, quand le meurtrier n’a pas assez d’abnégation pour s’exiler de plein gré, il faut que ses proches parents l’y forcent ; sinon, ils me solidarisent avec lui. Il n’est pas impossible qu’un γένος bannisse un de ses membres, pour donner satisfaction à des étrangers ; mais il n’exerce pas un droit de vengeance, il se dégage d’une responsabilité. Tlépolémos, fils d’Héraclès, a tué accidentellement Likymnios. Il embarque pour Rhodes, cédant aux menaces des autres Héraclides, ses frères et ses neveux[28]. Pourquoi ces menaces[29] ? Il se trouve que Likymnios est l’oncle maternel d’Héraclès. Venger un parent de la ligne maternelle, frit-ce un grand-oncle ou un arrière-grand-oncle, est-ce donc un devoir si étroit, qu’on l’exerce même contre un parent de la ligne paternelle., fût-ce un oncle ou un frère ? Quel triomphe pour la théorie du matriarcat ! Mais non : les Héraclides ne se portent pas vengeurs de Likymnios : ils ne laisseraient pas Tlépolémos construire des navires et rassembler des compagnons en grand nombre. Ils veulent seulement que le meurtrier s’en aille, parce qu’ils entendent ne pas se brouiller avec des alliés[30]. Loin d’être préférés aux agnats, les cognats sont traités en étrangers : la famille qui refuse de soutenir un criminel contre une autre famille, alliée ou non, le rejette de son sein.

Mais, dans certains cas, le bannissement pur et simple de l’offenseur ne donnait pas une satisfaction suffisante à la partie offensée. Si celle-ci préférait à la proscription la vengeance du sang ou la compensation réelle, elle se trouvait frustrée : elle continuait de s’en prendre à la famille du banni jusqu’à ce qu’il eût à son actif un cadavre d’ennemi ou une forte somme. Dans ces cas-là, le seul moyen qu’on eût de secouer les charges de la solidarité, c’était l’extradition du coupable, l’abandon noxal. L’extradition, en droit primitif, in est pas un refus d’hospitalité opposé à un étranger, mais un refus de protection apposé par esprit de justice ou par nécessité à un concitoyen ou i un parent[31].

Ni l’expulsion ni l’extradition ne pouvaient avoir lieu que sur une décision solennelle et unanime du γένος. Le père, lui-même, offensé par son fils, n’a pas le droit de le chasser de son foyer sans consulter la famille réunie en assemblée plénière : l’άπόρρησις limitée au cas particulier de l’άποκήρυξις restera soumise à cette condition. A l’époque où elle est d’un emploi plus général, le γένος de l’offenseur, du meurtrier surtout, s’affranchit de la solidarité passive, comme le γένος de l’offensé renonce à la vengeance du sang, par une résolution concertée pour laquelle une majorité d’occasion ne suffit pas. Ce n’est pas une partie des Héraclides qui met en danger Tlèpolémos après son crime ; c’est toute la race[32]. La famille, dans ses délibérations, fait prévaloir l’intérêt collectif ; mais elle ne peut manquer d’apprécier à son point de vue la gravité de l’acte commis. Elle siège comme assemblée politique et comme tribunal[33] ; ses décisions ont force de jugements, si bien qu’en un sens la renonciation entraînant l’expulsion est une pénalité. De là les terribles conséquences de l’ άπόρρησις : le parent renié passe à l’état de proscrit ; l’άνίστιος, devient άφρήτωρ, άθέμιστος άτίμητος[34]. S’il n’est pas livré à l’offensé, sa vie est à qui la prendra.

L’offenseur mis à la disposition de l’offensé n’avait d’autre garantie, pour sauver sa vie, que l’intérêt de son adversaire. Ce n’était pas le salut assuré, mais peu s’en faut. Le malheureux hors d’état de fournir une ποινή, se servait, pour ainsi dire, de ποινή à lui-même[35] : son corps avait un prix, la force physique étant tint, marchandise recherchée et le travail rapportant un revenu certain. Tuer un homme dont on était le maître, que cet homme soit un criminel ou un prisonnier de guerre[36], c’eût été à détruire son propre bien. On avait mieux à faire que de le sacrifier au plaisir de la vengeance, On en tirait profit, et de toutes façons. On pouvait le réduire tout simplement à l’esclavage perpétuel ; on pouvait aussi lui imposer la condition du mercenaire à bail ou à forfait, c’est-à-dire pour une durée déterminée ou jusqu’au jour où le labeur accumulé, gratuitement ou moyennant salaire, aurait atteint une valeur fixée d’avance. Esclave ou mercenaire, il pouvait être retenu au service du créancier ou vendu, soit par le bénéficiaire du marché, soit à sa diligence. Enfin, son maître pouvait, au lieu de le faire travailler, se venger sur lui en le tenant en chartre privée et en le soumettant à toutes sortes de mauvais traitements[37]. En Grège donc, comme partout[38], les sociétés primitives instituaient sous les formes les plus diverses la servitude pénale, qu’elles ne distinguaient pas de la servitude pour dettes[39]. Et comme partout, cette institution marquait un progrès, parce qu’il était plus facile et il paraissait plus juste d’asservir une personne que de déposséder une famille[40].

Par là s’expliquent maintes aventures consignées dans la mythologie grecque. Les circonstances qui semblent inventées par les imaginations les plus fantasques ne sont à l’ordinaire que les strictes applications des coutumes. Il n’y a rien d’étrange dans les malheurs des dieux chassés de l’Olympe et réduits sur terre à travailler et à obéir, pour avoir massacré les Cyclopes, Apollon sert comme pâtre en Thessalie chez Admète[41]. Lui et Poséidon, ils sont obligés de venir chez Laomédon se louer à gages par un bail à terme fixe[42] : l’un mène paître des bœufs sur les pentes de l’Ida, l’autre bâtit les murailles d’Ilion, et leur temps accompli, les divins mercenaires sont brutalement renvoyés sans obtenir les salaires promis[43]. Héraclès, après le meurtre d’Iphitos, se vend à Omphale pour trois ans, et — détail intéressant que les mythographes ont relevé dans les vieux poètes — le prix de vente est offert comme ποινή à la famille de la victime[44]. Lorsque Cadmos a tué le dragon, il est dans la nécessité de se mettre au service d’Arès, père du monstre, par le bail à long terme, l’άίδιος ένιαυτός, dont la durée usuelle est de huit ans[45]. Plus tard on perdra le sens de ces contrats. Un Sophocle ne verra là qu’humiliation expiation, purification religieuse[46]. En réalité, ce sont des conventions d’αίδεσις spécifiant des corvées libératoires.

Naturellement, c’est le père surtout qui est responsable du fait de ses enfants. Son autorité lui fournit deux moyens d’éluder cette responsabilité. — 1° Il peut donner satisfaction aux offensés en faisant usage de sa prérogative judiciaire. Les Phinéides n’osent tuer leur persécuteur, Idaia, parce qu’ils redoutent la vengeance de Dardanos ; mais Dardanos, sommé par eux de faire justice, la condamne à mort et la fait exécuter[47]. C’est la libération par jugement. — 2° Il peut, par une abdication de puissance paternelle ou une révocation d’adoption[48], repousser du foyer l’enfant qui le compromet. Une pareille renonciation se fait, en tout pays, solennellement[49] ; en Grèce, elle n’a de valeur que si elle s’accomplit suivant des formes très vieilles[50], en public, sur l’agora, du haut de la pierre consacrée aux actes officiels[51]. C’est pour le père la libération par désaveu et bannissement.

Des deux procédures, la plue fréquemment employée fut celle qui équivalait à l’abandon noxal. L’usage n’en restreignit à mesure que la coutume fixait les cas où le père de famille échappait de plein droit à toute responsabilité ; corporellement, il cessa de bonne heure d’âtre soumis aux conséquences des délits commis par son file majeur. Mais il resta responsable, en tout et pour tout, de ses enfants mineurs. L’enfant n’a pas encore l’âge du discernement ? n’importe. S’il a commis un homicide, le dommage, qu’il a causé ne l’en expose pas moins, et avec lui son père, à toutes les revendications, à toutes les vengeances. Il faut qu’il disparaisse, si l’on veut éviter la vendetta. Il faut que le père, se décidant à l’abandon noxal, l’emporte en exil pour toujours. Patrocle, tout petit, tue le fils d’Amphidamas pendant une partie d’osselets, dans un accès de colère : Ménoitios est obligé de le transporter lion d’Opunte, qu’il ne doit plus revoir[52]. De tout temps, la rigueur envers les enfants coupables à l’égard d’un tiers s’expliquera par la nécessité de dégager la responsabilité paternelle.

La situation de l’esclave est comparable à celle de l’enfant majeur. C’est que l’esclave fait partie de la famille. On ne refuse pas toute personnalité à cet instrument de travail, qui est tout de même un être humain. Susceptible d’être initié à un culte, il n’a pas seulement son petit pécule[53] et, quelquefois, un lopin de terre sur la limite du domaine[54] ; il participe en quelque sorte à la copropriété du sol familial auquel il s’ajoute et s’incorpore ; il pourra même un jour, dans certaines localités, comme à Gortyne, être appelé aux successions foncières en déshérence[55]. Mais cette personnalité obscure et précaire s’évanouit devant le chef et s’absorbe en lui. Ayant droit de vie et de mort sur ses serviteurs et ses servantes[56], le maître les représente souverainement à l’égard des autres familles. Dans les conflits où il est engagé, il arme ses esclaves et compte sur eux comme sur ses parents[57]. Mais, par contre, il est lié à ses esclaves par une solidarité absolue : les offenses dont ils sont victimes lui constituent des droits ; les infractions dont ils sont les auteurs lui constituent d’inéluctables obligations.

C’est un principe qui n’a jamais varié chez les Grecs : l’attentat contre l’esclave est une lésion au préjudice du maître ; au maître est due la réparation[58]. Le meurtre, en particulier, n’est pas vengé par la famille naturelle de l’esclave, mais par sa famille légale. Il en est ainsi dans la légende. Les Delphiens, coupables d’avoir tué l’esclave Esope, firent demander dans toutes leurs panégyries, par la voix du héraut, qui avait qualité pour recevoir le prix du sang : celui qui ne présenta, ce fut le petit-fils, non de la victime, mais de son maître[59]. Il en est encore ainsi dans la législation classique d’Athènes. Dracon autorise le maître seul à poursuivre en justice le meurtrier de l’esclave[60]. Telle est l’incapacité de l’esclave, que, sous le coup de l’injure et de l’outrage, il est hors d’état de se défendre et de se porter à la défense des siens[61] ; mais telle est la puissance du maître, qu’il obtient satisfaction pour le meurtre d’un esclave, comme pour celui d’un parent[62].

Le maître, qui souffre seul et seul se venge des lésions commises sur ses esclaves, fixe aussi en sa personne les délits qu’ils ont perpétrés matériellement et les responsabilités qui en découlent. Le droit classique affranchira le maître de la responsabilité pénale, sauf le cas où il aurait commandé l’acte délictueux, mais le laissera soumis à la responsabilité civile. Cette distinction ne pouvait pas exister avant le régime de la juridiction sociale, quand le crime tuait un dommage causé par une famille à une famille. A cette époque, la vengeance et l’obligation de la ποινή se répercutaient également de l’esclave au maître, sans la condition de complicité[63].

Le procédé de libération transmis aux temps historiques était donc, en droit, d’un emploi plus général dans les temps reculés. Il est vrai qu’il était d’un emploi moins fréquent en fait, parce que les esclaves n’étaient pas très nombreux dans ces sociétés très simples : voilà pourquoi on n’en trouverait qu’un d’exemple, je crois, dans les épopées et les légendes. Mais l’abandon noxal était pratiqué trop souvent dans la Grèce très ancienne, pour n’y avoir pas été appliqué, comme ailleurs[64], à l’esclave longtemps avant les cas constatés à Gortyne, à Athènes, à Andania. Nous pouvons sans crainte donner une portée rétroactive aux dispositions suivantes, sauf l’alternative du dédommagement, introduite ultérieurement : 1° Si un esclave tue une personne libre autre que son maître, la famille du maître le livrera aux patenta de la victime, qui le feront mourir de telle manière qui leur plaira[65]. 2° Si un esclave blesse un homme libre, le propriétaire livrera l’esclave au blessé pour en faire ce qu’il voudra ; s’il ne le livre pas, il aura lui-même à réparer le dommage[66]. 3° Si un esclave est pris en adultère avec une femme libre, il paiera double. L’offensé fera sommation au maître, en présence de deux témoins, de racheter l’homme dans les cinq jours. S’il n’est pas racheté, ceux qui l’auront pris en feront leur volonté[67]. 4° Si un esclave est prie en flagrant délit de vol, il sera fouetté et remboursera au double la valeur volet. S’il ne paie pas sur-le-champ, le maître le livrera à la partie lésée, qui se fera payer en travail, faute de quoi le maître sera responsable du double[68]. 5° Si un esclave ou une esclave cause un dommage à un tiers, le maître réparera lu dommage intégralement ou en livrera l’auteur[69].

La responsabilité du propriétaire était engagée par l’acte d’un animal, comme celle du père ou du matin, par l’acte d’une personne en sa puissance. On pourrait s’imaginer que ce nouveau cas ne procéda pas du même principe. C’était la vengeance de la partie lésée, provoquée par un individu, main ne s’arrêtant pas à cet individu, que conjurait son κύριος personnellement responsable. Que le propriétaire se substitue à l’animal comme κύριος, soit ; mais la vengeance privée, surtout la vengeance du sang, s’exerce-t-elle sur une bête ?

Oui, les Hellènes passèrent par une période où, comme les sauvages, ils considéraient les races d’animaux comme des tribus étrangères. Tuer un animal innocent paraissait un acte répréhensible, criminel, cette idée garda une singulière vitalité dans les traditions religieuses des cités les plus civilisées, les plus sceptiques. Aux Bouphonia d’Athènes, le sacrificateur, dès qu’il a frappé, jette sa hache et se sauve : il lui faut se soumettre aux mêmes purifications qu’un meurtrier. En attendant, la bête empaillée est transportée au tribunal du Prytanée, comme pour y soutenir l’accusation. A défaut de l’homme, l’instrument coupable est condamné par les juges à être jeté à la mer[70]. Dans d’autres fêtes, la foule assemblée immole les victimes, faute de sacrificateur, de la même façon qu’elle exécute les criminels faute de bourreau, en les lapidant[71] : c’est qu’il faut diviser la responsabilité. Les Athéniens savaient que ces rites étaient très anciens[72]. Ils ne es doutaient tout de même pas que, pour remonter au temps des Bouphonia, il tallait se reporter bien en arrière de temps où Empédocle et Pythagore protestèrent contre les sacrifices sanglante au nom de la philosophie[73], par delà les années où les lois de Triptolème, conservées à Eleusis, protégèrent le bœuf de labour[74], plus loin encore que le siècle où se répandit en Grèce la doctrine de la souillure et de la purification, jusqu’à l’époque obscure où leurs ancêtres partageaient les opinions des peuplades primitifs[75].

Traités ainsi sur le pied d’égalité, les animaux devaient une juste satisfaction, s’ils avaient causé un dommage, égorgé un homme. On les tuait, non pas seulement par un mouvement réflexe, dans un accès de colère folle, mais froidement, par devoir. Euippos est mis en lambeaux par un lion du Cithéron : son père Mégareus cherche systématiquement à le venger ; il promet sa fille et ses biens à qui rapportera la dépouille du meurtrier[76]. Dans les Bouphonia, on a recours à un subterfuge pour mettre la victime dans son tort : on n’arrange de manière à ce qu’elle mange quelques graine sur l’autel, et la mort du bœuf sacrilège passe pour un châtiment mérité[77]. Si les plus anciens représentants de l’autorité en Attique, le roi et les φυλοβασιλεΐς, ne dédaignaient pas de siéger au Prytanée sur la demande d’un animal tué injustement, encore moins croyaient-ils au-dessous de leur dignité de juger un animal homicide[78]. Cette coutume, évidemment très vieille, Dracon la conserva dans sa législation. Elle avait aux yeux des Athéniens un aspect si vénérable, que Platon l’adopta dans sa cité idéale[79] et qu’elle subsista dans la réalité au moins jusqu’à la fin du IVe siècle.

Cette persistance demande une explication. S’il ne s’agissait que d’une pratique religieuse, il suffirait d’invoquer le respect de la tradition. Mais comment a-t-on pu faire accomplir si longtemps de pareilles formalités à de grands personnages réunis pour une œuvre sérieuse de justice ? Il est trop commode d’affirmer que la vengeance exercée sur les bêtes était pur symbolisme. On frappait l’animal auteur d’un homicide, nous dit Thonissen[80], afin que le peuple, en voyant punir un être privé de raison, conçut une grande horreur pour l’effusion du sang humain. Autant dire qu’à l’origine du droit criminel, chez tous les peuples de la terre[81], se trouve une pensée d’intimidation moralisatrice : belle conception, mais qui est à l’opposé de la vérité historique. C’est une idée antique qui doit fournir la solution cherchée. Platon, précisément, parait croire que les parents de la victime mont tenus de poursuivre la bête coupable, que les juges la condamnent à mort et la font transporter hors du pays, afin de ne pas contracter la souillure du sang versé. Mais les croyances de Platon, qui étaient déjà celles de Dracon, n’étaient pas encore celles des ancêtres dont Dracon transcrivit les usages ; elles valent, au reste, pour le cas de l’animal puni, non pour le cas de l’animal vengé. On pourrait songer enfin à quelque survivance du totémisme. Cette fois, il faudrait être difficile pour ne pas trouver la doctrine suer : vieille ; mais on aurait à se demander pourquoi elle conserve durant des siècles un asile posthume dans le droit grec et comment la gravité manifeste de l’animalicide a entraîné la culpabilité de l’animal meurtrier.

La seule explication qui convienne devra donc répondre à plusieurs conditions, Il nous faut un principe qui s’accorde avec les coutumes antérieures au dogme de la purification et qui puisse cependant s’accommoder aux besoins des générations futures, un principe d’où dérivant à la fois la capacité juridique et la responsabilité des animaux. Ce principe, c’est celui de la solidarité absolue, tant active que passive, qui unit tous les hêtres vivant sur le domaine d’un groupe. A l’origine, les hommes demandent du sang pour une bête lésée et donnent satisfaction avec leur sang pour une bête coupable de lésion. Oiônos tue le chien d’Hippocoon ; les fils d’Hippocoon accourent et tuent Oiônos[82]. Par contre, quand les chiens de Crotopos mettent en pièces un petit enfant, le père de la victime, Apollon, s’en prend à toute la ville d’Argus[83]. Une société est même responsable du mal lait sur son territoire par des bêtes sauvages. Le taureau de Marathon fait périr Androgéôs : Minos tire vengeance des Athéniens[84].

Mais si la principe est le même pour les animaux que pour les esclaves et les enfants, il admet aussi le même correctif, l’abandon noxal[85]. Exécuter une bête, livrer une bête, juger une bête, c’est sauver des hommes. La bienfaisante coutume devait donc, en Grèce comme en tant d’autres pays[86], être recueillie précieusement par les législateurs et avoir devant elle un long avenir. Dracon laissa le roi de la cité et les rois des tribus faire comme par le passé, déclarer une bête coupable pour proclamer le propriétaire innocent. Solon, adversaire des solidarités antiques, ne manqua pas de prescrire que le chien qui aurait mordu un homme serait livré avec un carcan de trois coudées[87]. Il faut — la paix publique est à ce prix — qu’à la responsabilité collective de la famille se substitue la responsabilité individuelle du coupable, quel qu’il soit homme ou animal.

Pour l’animal comme pour l’homme, l’abandon noxal n’a pas pour conséquence inéluctable la mort. La bête qui a commis un homicide ne peut guère échapper à la vengeance, et c’est pourquoi plus tard l’Etat lui fera infliger par ses juges une condamnation capitale. Mais, dans le cas de préjudice matériel, on aime mieux se dédommager en conservant la bête en vie : pour elle aussi existe la servitude pénale. L’un des exemples les plus fréquents dans la vie pastorale ou agricole des temps anciens, est le cas où le chef de famille voit un de ses animaux tué ou blessé par l’animal ou l’esclave d’un voisin. La coutume qui lui donne le droit d’obtenir cet animal ou cet esclave (et qui ne lui ordonne plus de les tuer comme lorsqu’ils ont causé mort d’homme) lui permet, en les gardant, de rétablir l’équilibre compromis de son patrimoine ; la chose destructrice y remplace la chose détruite[88]. On en arrive ainsi à considérer la mainmise sur l’être malfaisant, non plus seulement comme une vengeance, mais aussi comme une compensation[89]. Les deux conceptions ne s’excluent point. La première domine dans les lois de Dracon et de Solon ; elle inspira donc, des siècles durant, les arrêts des tribunaux athéniens. La seconde dicte au législateur de Gortyne ses dispositions sur les droits à exercer par celui dont la bête a été estropiée ou tuée par la bête d’un autre propriétaire : elle autorise le demandeur à choisir entre l’échange des bêtes et le dédommagement au simple. Dans la βλάβη τιτραπόδων, comme dans la βλάβη άνόραπόδων, le droit grec finit par poser l’alternative libératrice du droit romain : Auct damnum sarcire aut noxæ dedere[90].

Les idées animistes ont été tellement puissantes chez les hommes primitifs, elles ont laisse de si profondes impressions dans l’esprit de leurs descendants, qu’on ne doit pas être surpris de voir traiter des objets inanimés, même en droit, comme des êtres vivants[91]. Quand Xerxès fait battre de verges l’Hellespont qui lui a brisé ses navires[92], ou qu’un de ses successeurs, au XVIIe siècle, fait fustiger un arbre dont l’ombre a favorisé un vol[93], ils n’agissent pas en tyrans raffinés qui prétendent dominer la nature elle-même, mais en impulsifs qui retrouvent au fond d’une âme passionnée les conceptions des plus lointains ancêtres. Les Grecs, qui se gaussaient fort des Mèdes, faisaient comma eux. Cyrus venge son cheval sur le rapide Gyndès en lui faisant perdre ses eaux dans trois cent soixante canaux[94] ; mais Achille en fureur tient tête au Xanthe menaçant[95].

Ces idées ne disparurent pas de la Grèce à l’époque historique. Quand les chasseurs arcadiens revenaient bredouille, ils frappaient Pan à coups de scilles marines[96]. A Olympie, un enfant joue tais sous un bœuf d’airain ; il relève brusquement la tête et se fait une blessure mortelle : on parlait d’expulser de l’Altis l’animal meurtrier ; l’oracle pythien se contente de le soumettre aux purifications prescrites pour homicide involontaire[97]. Lorsqu’on décrétait d’accusations[98] ou qu’on détruisait[99] la statue d’un traître ou d’un ennemi politique, on n’avait pas seulement l’intention de déshonorer ou d’abolir sa mémoire. La preuve en est dans un curieux décret rendu à Chios en 332[100] : on y lit que les tyrans vainqueurs n’osèrent pas renverser la statue du tyrannicide Philitès ; mais ils lui enlevèrent son épée, le désarmement des citoyens étant la précaution usuelle des tyrans[101]. Par contre, les objets savent se faire justice d’eux-mêmes, αύτόματα[102]. A Argos, un nommé Mitios avait péri dans une bagarre ; un jour qu’on exhibait sa statue sur l’agora, elle tomba sur l’auteur du meurtre et la tua[103]. Aussi bien qu’une peau de bœuf bourrée de foin peut demander vengeance, un homme en bronze est capable de se venger. On voit dans une anecdote célèbre une vendetta qui s’engage entre une statue et une famille, pour ne se terminer que par une sentence judiciaire. A Thasos, au IVe siècle, après la mort de l’athlète Théagénès, un de ses ennemis vient toutes les nuits satisfaire une haine tenace en fouettant sa statue. La statue perd patience à la fin ; elle riposte comme elle peut : elle se jette sur l’agresseur et l’écrase. La voilà coupable d’homicide, poursuivie devant le tribunal par les fils de la victime, condamnée à être précipitée dans la mer[104].

Dans tous ces cas, il n’agit de statues. Les Grecs façonnés par la civilisation avaient besoin, pour se faire illusion et croire à la vie des choses, de leur voir une forme vivante. Ces anthropomorphistes convaincus ne pouvaient pas concevoir la puissance des dieux, s’ils ne se représentaient pas leur figure, leurs gestes, et c’est aux images qu’ils attachaient l’idée de divinité : on sait ce que valait la possession du Palladion[105]. Ils avaient beau distinguer nettement des hommes et des animaux les objets άψυχα καί άφωνα ; le sculpteur qui avait donné à un bloc de pierre ou de métal l’aspect extérieur d’un homme avait élevé la matière à la dignité humaine, et tous y sentaient palpiter une âme, résonner une voix. La fable de Pygmalion et Galathée est un symbole. Par le sortilège de l’art créateur, les êtres inférieurs, comme les êtres supérieurs, communiaient avec l’humanité. Ils sortaient de leur torpeur naturelle ; ils acquéraient l’énergie du sentiment et de la volonté ; ils devenaient capables de faire ou de ressentir une offense, d’en donner ou d’en tirer satisfaction. Une statue représentait le modèle, même au sens juridique, pour toue les droits et toutes les obligations.

Mais cette conception raffinée d’un peuple artiste est un vestige de la conception grossière que tous les peuples primitifs ses sont faite du monde matériel. Le droit resta en retard sur les mœurs. Athènes, comme Thasos et peut-être l’Élide[106], avilit son tribunal archaïque où comparaissaient les objets en pierre, bois, fer ou toute autre matière, qui avaient causé mort d’homme[107]. Les parents de la victime avaient pour devoir de déférer ces objets à la justice, soit au cas où l’homicide n’était vraiment pas imputable à une personne vivante[108] (la statue de Théagénès), soit au cas où l’auteur coupable s’était dérobé aux recherches[109] (la hache du βουφόνος contumace). Les objets coupables doivent être exilés, c’est-à-dire jetés quelque part au delà des frontières du pays[110] et, dans une de comme Thasos, livrés aux flots de la mer[111].

Les gens du IVe siècle avaient leurs arguments pour justifier cris formalités : la famille devait assurer une satisfaction à la victime avec la permission de l’État ; le peuple devait se soustraire à la contagion d’une souillure[112]. Mais, si le plus proche patent du mort avait à s’acquitter d’une obligation, si la cité avait à prendre une mesure d’utilité publique, pourquoi le propriétaire innocent de l’objet coupable était-il tenu d’y renoncer ? Toujours l’abandon noxal. Toujours la libération de la responsabilité collective. Les biens de la famille étaient jadis unis aux personnes par une étroite solidarité. On démolissait alors et l’on continua longtemps de démolir la maison du proscrit. Inversement, la culpabilité des objets se communiquait aux hommes. Pour s’en dégager il fallait expulser l’offenseur. Qu’il s’applique à un fils de famille ou à un morceau de bois, le principe ne varie pas[113].

Il suffit qu’un cadavre soit trouvé sur la terre du γένος, et que la mort rie soit ras naturelle, pour que le γένος soit responsable. On peut juger par un détail de la rigueur avec laquelle cette règle a d’abord été observée en Grèce : les Lois de Platon exceptent des objets inanimés qui doivent être condamnés pour homicide la foudre et tout trait de ce genre lancé par Dieu[114]. Pareille exception se retrouve, à plus de mille ans d’intervalle, dans la loi de Rotharis[115]. Pour que les Grecs et les Lombards aient également jugé utile de la formuler, il a fallu que chez les uns et les autres elle ne fût pas admise jusqu’à une certaine époque. A vrai dire, la responsabilité primitive du propriétaire à raison de la foudre subsista toujours en Grèce sous la forme religieuse : la place où un homme avait été foudroyé était entourée d’une barrière et, sous le nom d’ένηλύσιον ou ήλύσιον, devenait inaccessible est intangible[116].

La responsabilité territoriale du γένος est si absolue, qu’elle existe en droit dés qu’un meurtre a été commis sur son sol, dût le meurtrier rester inconnu sans avoir laissé derrière lui l’instrument du crime. Dans ce cas encore, le groupe responsable se libère par l’abandon noxal. Mais cette foi la mise hors la loi qui est au fond de la renonciation est prononcée contre un anonyme. Dans les temps historiques, la proclamation nécessaire se fait au nom de la cité et présente un caractère religieux en même temps que juridique. Pour qu’il n’y ait pas de collusion, il faut une accusation formelle contre l’inconnu et une enquête minutieuse[117]. D’après la formule athénienne, défense est faite à l’auteur du crime, quel qu’il soit, de mettre le pied dans les temples et sur le sol de l’Attique, sous peine, s’il vient à y être découvert, d’être mis à mort et jeté sans sépulture hors des frontières[118] ; défense est faite à qui que ce soit de le recevoir sciemment en sa maison et de lui venir en aide, sous peine de partager son sort[119]. Le roi, siégeant au Prytanée[120], charge de la proclamation le héraut public[121] : c’est qu’il y procédait jadis lui-même, comme Œdipe à Thèbes[122] et Ardys en Lydie[123], parce qu’il était personnellement responsable. La πρόρρησις du roi a donc été une άπόρρησις[124], une άποκήρυξις. Elle a la même origine que la renonciation du père. Il n’est même pas trop difficile de remonter dans l’histoire de l’une à l’autre. Les φυλοβασιλεΐς, qui assistaient le roi en son tribunal, prenaient de concert avec lui une décision que leurs prédécesseurs avaient prise chacun pour son compte. A son tour, le chef de dème avait à l’égard des cadavres trouvés sur la voie publique certaines obligations qui sont des vestiges de responsabilité territoriale. Par des groupes de plus en plus réduits, on arrive de la cité, ce γένος agrandi, au γένος, cette cité rudimentaire, et l’on constate toujours que la communauté dont le sol a été ensanglanté par un inconnu répond du meurtre, à moins de désavouer le meurtrier et de le proscrire.

En résumé, quand on voit à l’origine de la civilisation le père abandonner son fils, le maître livrer son esclave, le propriétaire renoncer à un animal ou à un objet inanimé, tous ces ras particuliers se ressemblent et se ramènent au cas général du γένος déclinant la responsabilité d’une offense par la mise hors la loi de l’offenseur connu ou inconnu. L’abandon noxal, conçu dans un sens aussi large, nous surprend par des étrangetés choquantes, des cruautés odieuses. Cette coutume n’en n pas moins été un grand bienfait pour les Grecs. Par sa procédure, elle obligera un jour les familles menacées à s’adresser au roi de la cité siégeant en son Prytanée avec les rois des tribus, elle décidera l’autorité publique à s’élevez contre les exigences illégitimes des vengeurs, elle contribuera au développement de la justice sociale dans les premiers tribunaux[125]. Mais surtout, par son objet même, elle a rendu ce service de remédier aux excès de la solidarité passive.

Si le principe de la responsabilité collective et transmissible est appliqué dans les récits épiques comme dans la légende, on note cependant une différence importante entre les cas les plus anciens, empruntés à la pure mythologie, et ceux qui proviennent de l’épopée. Dans l’Iliade et dans l’Odyssée, les querelles strictement personnelles ne lient plus infailliblement au sort de l’offenseur tous les siens. On n’y voit point, après un meurtre έμφύλιος, les vengeurs du sang poursuivre la famille du meurtrier. Il faut même, à partir d’un certain moment, que le crime, commis contre la cité ou contre les dieux, ait mis en jeu les intérêts et les passions de tout un peuple, pour que le châtiment s’étende du coupable à ses parents ; et des vivants à leur postérité. C’est parce que les prétendants disposent dans Ithaque de la puissance publique que l’un d’eux, Agélas, peut faire entendre à Mentor ces menaces : Voici notre volonté, que j’espère voir s’accomplir. Lorsque nous aurons tué ceux-ci (les principaux coupables), père et fils, tu mourras après eux, pour tous les actes que tu as perpétrés ; tu les paieras de ta tête. Puis, lorsque notre airain aura mis un terme à vos violences, tous les biens que tu possèdes dans ta maison ou sous le ciel, nous les confondrons avec ceux d’Ulysse. Enfin, nous ne laisserons point tes fils vivre dans ta demeure, ni tes filles ni ta femme habiter la ville d’Ithaque[126]. On croirait lire, mis en vers le plus fidèlement possible, un décret de proscription collective.

D’assez bonne heure tend à disparaître aussi la responsabilité pécuniaire à raison d’autrui. Il n’y en a pas trace dans les parties récentes des poèmes homériques. En cas d’adultère, le mari lésé a un recours contre son beau-père, à raison du vice rédhibitoire révélé par la femme qu’il a achetée ; mais il n’a aucun moyen d’action contre la famille du séducteur, il ne peut l’obliger ni à payer solidairement ni à garantir les μοιχάγρια exigibles. Lorsque Héphaïstos a pris au piège Aphroditê avec Arès, immédiatement il songe à se retourner contre Zeus, le vendeur responsable ; mais pour composer avec l’amant prisonnier, il lui faut une caution, qu’il ne demande pas aux plus proches parents et que Poseidôn offre spontanément[127]. Ainsi, en un temps où toute obligation réelle était encore en fait ou en la forme une obligation ex delicto, les familles n’acceptaient plus à cet égard les charges de lu solidarité.

C’est, en effet, un trait dominant dans l’histoire du droit grec, que la tendance de la société à protéger la famille de l’offenseur, tout en laissant agir d’ensemble la famille de l’offensé. On respectait encore toutes les obligations traditionnelles de la solidarité active, que depuis longtemps on n’observait plus toutes celles ale la solidarité passive. Dés les temps épiques, on entrevoit ainsi les temps historiques. Un jour viendra où, d’après la loi de Dracon, toute la famille accompagnera l’accusateur au λίθος άναιδείας, tandis que sur le λίθος ΰβρεως prendra place l’accusé seul. La loi de Dracon se prépare longtemps d’avance.

Mais la responsabilité collective, même pour offenses privées, a passé à l’état d’exception, non à l’état de souvenir. Elle est déjà en voie de disparition dans la société homérique ; elle n’aura pas encore disparu dans les sociétés postérieures.

 

 

 



[1] Cf. Post, Baustrein, II, p. 189 ss. ; Afr. Jurispr., I, p. 57-58 ; Geschiechisgenoss., p. 158, 160 ; Studien, p. 48 ss. ; Steinmetz, I, p. 396-401.

[2] Agathonge, II, 15 (F. H. G., V, II, p. 120-121).

[3] Apollodore, III, 7, 6, 1 ss.

[4] Pausanias, III, 13, 5.

[5] Apollodore, II, 6, 3, 3. Réduit à la servitude, Héraclès se promet de faire subir le même sort à Eurytos, à sa femme et à ses enfants (Sophocle, Trach., 257).

[6] Apollodore, II, 6, 7, 3-4. Par contre, Héraclès est lui-même chassé de Tirynthe par Eurysthée avec sa mère, son frère Iphiclès et son neveu Iolaos (Diodore, IV, 33, S).

[7] Après avoir empoisonné Créon, Médée s’enfuit de Corinthe. Ses enfants sont trop petits pour la suivre ; elle les place sur l’autel d’Héra, Ils en sont arrachés par les vengeurs du mort (Créôphylos, Οίχαλίας άωσις, d’après une analyse de Didyme, dans le Scol. d’Euripide, Méd., 273 = Kinkel, Epic. gr. fragm., I, p. 62, fr. 4).

[8] Iliade, XI, 142.

[9] Iliade, XXI, 84-96. Remarquez la réponse d’Achille avant la mort de Patrocle, dit-il, il faisait des prisonniers. Depuis, il tue tous les Troyens qui lui tombent sous la main (105).

[10] Iliade, XXIV, 734-737.

[11] Euripide, Héc., 1035-1171.

[12] Pausanias, I, 61, 7.

[13] Pausanias, II, 3, 7.

[14] Pausanias, I, 27, 10.

[15] Dareste, Hammourabi, p. 527, 593, 594.

[16] Il est curieux de retrouver une costume semblable dans l’Afrique orientale : chez les Bantous, le meurtrier peut livrer à la vengeance du sang son fils (cf. Kohler, Das Benturescht in Ostafrika, dans la Zeitschr. f. vergl. Reschtwiss., XV, 1901, p. 54).

[17] Euripide, Alc., 12-18, 36-37, 282-284, 290-297, 340-341, 440-441, 466-472, 620, 625, 641-668.

[18] Euripide, Héc., 383-388.

[19] Euripide, Her. fur., 16-20. On peut rappeler encore Chiron s’offrant à Zeus pour mourir à la place de Prométhée (Apollodore, II, 3, 11, 10) ; mais ici la substitution ne se fait pas entre membres de la même famille.

[20] Héraclide du Pont, fragm. XXX, 3 (F. H. G., II, p. 221) ; Ælien, Hist. var., XIII, 14 ; Valère Maxime, VI, 3, 3 ; Cicéron, De leg., II, 6.

[21] Il faut songer à la forte organisation de la famille dans la Chine contemporaine pour s’expliquer l’endurance stupéfiante des suppliciés et la facilité avec laquelle les condamner à mort, de connivence avec le bourreau, au vu et au su des autorités, trouvent des remplaçants (voir E. Simon, Cité chin., p. 224). Il fut un temps où cette substitution entre parents était formellement admise par la loi (cf. Kohler, Chin. Strafr., p. 10). C’est ainsi qu’en Europe, au Moyen Age, on se faisait représenter par un champion dans le duel judiciaire et l’ordalie. Aujourd’hui encore, le code du duel permet au frère d’être le champion de son frère, selon la remarque faite par d’Arbois de Jubainville, Pâricidas, p. 408.

[22] Apollonius de Rhodes, II, 474-483.

[23] Odyssée, XX, 66 ss. ; cf. le Scoliaste. On admet souvent que dans Homère, les filles de Pandaréos ne sont pas punies, mais placées comme compagnes auprès des Erinyes, et que le sacrilège de leur père a été inventé postérieurement. Le rapprochement des vers 67 et 78 invite à une conclusion opposée.

[24] Eschyle, Ag., 1382 ss., 501 ss.

[25] Hérodote, VII, 197.

[26] Plutarque, Quæt, gr., 14, p. 294 C-D.

[27] Odyssée, XIII, 256 ss.

[28] Iliade, II, 661 ss. ; cf. le Scol. de l’Iliade, II, 669 ss. et V, 631 ; Etienne de Byzance, s. v. Έφυρα ; Strabon, XIV, 2, 6, p. 683 ; Pausanias, II, 21, 8.

[29] Voir Mac Lennan, p. 204 ; Hearn, p. 152.

[30] Procksch mentionne en Arabie un cas analogue. Un homme qui a tué mon beau-frère va être livré par son père, lorsqu’il est sauvé par son clan. La famille seule ne peut accepter une solidarité trop onéreuse. Ce cas et celui de Tlépolémos s’expliquent par la règle formulée dans un vieux coutumier du Daghestan : Si les membres de la gens envoient un autre commettre un méfait, ils doivent le tuer ; autrement, ils sont responsables de toutes les conséquences (Dareste, Nouv. ét., p. 259).

[31] L’extradition conserva ce caractère du droit des gens (cf. Pausanias, V, 2, 2 ; Hérodote, VI, 85).

[32] Chez les Anglo-Saxons, d’après la loi d’Edmond (II, 1, 2), les parents du coupable peuvent se soustraire à la fehde et au paiement du wergeld en le répudiant : c’est ce qu’on appelle forsacan, c’est-à-dire lossagen. Cette répudiation doit se faire en réunion plénière de la famille. Dans le pays de Dronthe, au XVe siècle encore, tous les parents de l’offenseur devaient par trois fois l’opeschen (aufasgen) pour décliner leur responsabilité (Brunner, I, p. 92). Dans les villes françaises du Nord, on obtenait le même résultat par le fourjurement (P. Dubois, p. 229-230).

[33] Plus tard, l’άποκήρυξις demandée par le père sera prononcée par le conseil de famille, de même que l’extradition sera prononcée par un tribunal (Hérodote, l. c.).

[34] Iliade, IX, 63 ; cf. 648.

[35] Euripide, Alc., 7 ; Apollodore, II, 6, 2, 7.

[36] Dans la société homérique, en général, on fait des prisonniers pour en tirer rançon (Iliade, I, 13 ; VI, 427 ; cf. Alb. Martin, art. Lytra, dans le Dict. des ant., p. 1451. S’ils sont incapables de se faire racheter, on les garde comme esclaves (cf. Guiraud, La main-d’œuvre ind. dans l’anc. Gr., p. 12-13), ou bien on les vend (Iliade, XXI, 102 ; XXII, 44 ; XXIV, 751 ; Cf. Buchholz, II, I, p. 328 ss.).

[37] Ce dernier cas nous est connu surtout par l’aventure de Mélampous. Pris en flagrant délit de vol, il fut emprisonné (Odyssée, XV, 231-232 ; cf. XI, 291-293). Comme il ne pouvait payer de rançon, parce que ses biens avaient été illégalement saisis dans s patrie (XV, 230-231), il subit de longs sévices, jusqu’à ce qu’il eut payé sa liberté en prédictions (XI, 296-297 ; XV, 235).

[38] Cf. Post, Studien, p. 122-124.

[39] La servitude pénale mérite ce nom comme ποινή avant de le mériter comme peine.

[40] Fustel de Coulanges, Nouvelles recherches, p. 103.

[41] Apollodore, III, 10, 4, 3-4 ; Luc., Sur les sacr., 4 ; Euripide, Alc., 1-9. D’après le Scoliaste d’Euripide, l. c., Apollon expiait le meurtre du dragon Python.

[42] Iliade, XII, 444-445.

[43] Iliade, XII, 442-452 (cf. VII, 452-453) ; Luc., l. c.

[44] Apollodore, II, 6, 2, 7 — 3, 1 ; Diodore, IV, 31, 5-6 ; Sophocle, Trach., 252 ss. ; Scol. de l’Iliade, V, 392. C’est à propos d’Héraclès que le poète cyclique Panyasis énumère les exemples connus de dieux mercenaires (Kinkel, Epic. gr. fragm., I, p. 261, fr. 16).

[45] Apollodore, III, 4, 2, 1, Hellen., dans le Scol. de l’Iliade, II, 494 (F. H. G., I, p. 47, fr. 8). Il semble résulter de là que plus tard l’exil infligée au meurtrier, l’άπενιαυτισμός, durait un cycle de huit ans (cf. O. Müller, Dorier, II, p. 100). Les Septèria qui fêtent à Delphes le retour d’Apollon, exilé pour la meurtre de Python, se renouvelaient tous les huit ans (Plutarque, Quæst. gr., 121. p. 293 C ; De def. orac., 15, p. 418 A ; 21, p. 421 C). On voit par là ce que signifie l’άπενιαυτισμός de Képhalos d’après le récit, évidemment tronqué, de Phérékydès (Scol. de l’Iliade, XI, 320 = F. H. G., I, p. 90, fr. 17 ; cf. Töpffer, p. 259 et, en général, pourquoi les fêtes expiatoires étaient si souvent des ένναιτηρίδες.

[46] Trach., 258.

[47] Diodore, IV, 44, 3-4, note qu’il raconte là de « vieux contes ». A Rome, si la femme adultère est une filiafamilias, le conseil de famille qui la juge comprend, non les agnats du mari, mais les cognats de la femme elle-même (cf. Esmein, Le délit d’adultère à Rome, dans la Nouv. Rev. hist. de dr. fr. et étr., II, 1978, p. 5-4) ; par conséquent, la condamnation équivaut à un abandon noxal.

[48] Pour le cas du fils adoptif, voir la loi de Gortyne, XI, 10 ss.

[49] Dans le Daghestan, le père peut abdiquer son fils par une déclaration solennelle faite et affichée dans la mosquée. Par ce moyen, il s’affranchit de toute responsabilité (cf. Dareste, Nouv. ét., p. 258).

[50] Ce sont des formes relativement récentes qu’indique le mot classique άποκήρυξις. Les formes archaïques sont celles que décrit la loi de Gortyne.

[51] Cette pierre a existé dans toute la Grèce. Voir l’art. Jusjurandum, dans le Dict. des ant., p. 751.

[52] Iliade, XXIII, 83-88 ; Hellenic., dans le Scol. de l’Iliade, XII, 1 (F. H. G., I, p. 32, fr. 57). Cf. Xénophon, Anabase, IV, 3, 25.

[53] Odyssée, XV, 452

[54] Odyssée, XV, 62 ss.

[55] Loi de Gortyne, V, 25-28.

[56] Odyssée, XXII, 465-473.

[57] Odyssée, 103-104, 113-115, 129-130, 201-204.

[58] Voir Démosthène, C. Nicostr., 20 ; Plutarque, Gorgias, p. 483 B ; Grég. de Corinthe, dans Walz, Rhet. gr., VII, p. 1283. Cf. Meier Schömann-Lipsius, p. 199, 750 ; M. Guggenheim, Die Bedeut. der Folterung im att. Proc., diss. in., Zurich, 1882, p. 2 ; Beauchet, II, p. 453-454. — Même principe dans le droit chaldéen (Dareste, Hammourabi, p. 527 ; J. Oppert, dans les Comptes rendus de l’Ac. des inscr., XV, 1887, p. 165) et mosaïque (Exode, XXI, 32 ; cf. Thonissen, II, p. 198), dans les codes hongrois (Dareste, Ét. d’hist. du dr., p. 253), dans les lois de l’ancienne Norvège (id., ibid., p. 322), des peuples germaniques (Wilda, p. 664 ; P. Leseur, Des conséq. du délit de l’escl. dans les Leges Barbarorum et dans les Capitul., dans la Nouv. rev. hist. de dr. fr. et étr., XII, 1888, p. 576 ss., 657 ss.) et slaves (Kovalewsky, p. 285), enfin chez les Ossètes de nos jours (Id., p. 283-286).

[59] Hérodote, II, 134 ; Plutarque, Les délais de la vengeance divine, IV, p. 557 A.

[60] Antiphon, Sur le meurtre d’Hérode, 48 ; Démosthène, C. Everg., 69 ss. ; C. Néair., 9 ; Isocrate, C. Callimaque, 52 ss. ; Pollux, VIII, 118. Cf. Platon, Lois, IX, p. 865 C (il faut donner à ce passage l’interprétation proposée par Budham, Platonis de Legibus lib. nonus, dans la Mnemos., XII, 1884, p. 50).

[61] Plutarque, Gorgias, l. c.

[62] I. J. G., n° XXI, l. 36 : Antiphon, l. c. ; Lycurgue, C. Léocrate, 65 ; Isocrate, l. c. ; Scol. d’Eschine, Sur la fausse ambassade, 87 ; Euripide, Hécube, 291-292 ; cf. Platon, Lois, IX, p. 872 C ; (Démosthène), C. Macart., 58 ; Diodore, I, 77, 6. Voir Philippi, Areop,, p. 122 ; Beauchet, II, p. 431. Le maître qui tue son esclave n’est tenu qu’à des expiations religieuses (Antiphon, Sur le chor., 4 ; Platon, l. c., p. 965 C ; cf. Becker-Göll, III, p. 40).

[63] Cf. Kovalewsky, p. 347, 358.

[64] Voir, pour les Romains, Siben, p. 9 ; pour les Germains, P. Leseur, l. c., et Brunner, II, p. 531-534 ; pour les Norvégiens, Wilda, p. 662, et Dareste, Ét. d’hist. du dr., p. 322 ; pour les Slaves et les Ossètes, Kovalewsky, p. 306-307 ; pour les Hongrois, Dareste, op. cit., p. 253.

[65] Platon, l. c., p. 868 C ; Cf. p. 872 B ; Antiphon, Sur le meurtre d’Hérode, 48.

[66] Platon, l. c., p. 879 A.

[67] Loi de Gortyne, l. c.

[68] Inscription d’Andania (Michel, n° 694), l. 75-78.

[69] Platon, l. c., p. 936 C.

[70] Pausanias, I, 28, 10 ; 24, 4 ; Théophr., dans Porphyre, De abstin., II, 29-30 ; Ælien, Hist. var., VIII, 3, Suidas, s. v. βουτύπος. Voir O. Band, De Diipoliorum sacro Athenensium, diss. in., Halis Sax., 1873, p. 13-25 ; Pottier, art. Dipoleia, dans le Dict. des ant., Töpffer, p. 150 ss. ; A. Mommsen, Feste der Stadt Ath., p. 518 ; Stengel, Buphonien, dans l’Hermès, XXVIII (1893), p. 489-500, et dans le Rhein. Mus., LIII (1894), p. 400 ss. ; B. von Prott, dans le Rhein. Mus., l. c., p. 194 ss. ; Smith, Rel. of the Semites, p. 304 ss. ; Hubert-Mauss, Essai sur la nat. et la fonct. du sacrifice, dans l’Année sociol., II, p. 107-115. — Dans les Septéria de Delphes, les jeunes gens qui ont mis le feu à la cabane du dragon prennent la fuite, comme Apollon lui-même s’était réfugié dans la vallée de Tempé, après le meurtre de Python (Plutarque, Quæst. gr., 42, p. 293 C ; De def. orac., 15, p. 417 F-418 C). A Ténédos et à Lindos le sacrificateur fut obligé de se sauver sous une bordée d’imprécations (Ælien, De Nat. anim., XII, 31 ; Apollodore, II, 5, 11, 10). Voir encore la légende d’Artémis Brauronia (Suidas, s. v. Άρκτος).

[71] Les Λιθοβόλια de Trétène doivent être rapprochés des fêtes où le φάρμακος était poursuivi à coups de pierres (voir l’art. Lapidatio, dans le Dict. des ant., p. 930 ; cf. Fraser, dans la Journ. of hell. stud., XVII, 1897, p. 302-303 ; The golden tough, III, p. 125-126).

[72] Aristophane, Nuées, 964-965.

[73] Sur la théorie d’Empédocle, voir Porphyre, l. c., 21, 27 ; Sexr. Empir., Adv. mathem., IX, 127 ; cf. J. Girard, p. 240. Sur celle de Pythagore, voir Plutarque, Quæst. conviv., VIII, 8, 3, p. 789 D. Cf. Platon, Lois, VI, p. 782 C-D.

[74] Xénocrate, dans Porphyre, op. cit., IV, 99 ; cf. Varron, De re rust., II, 5, 4. Même loi en Phrygie (Elien, l. c.). Voir Schömann-Galuski, II, p. 303-304.

[75] Hubert-Mauss, l. c., p. 67.70, ont montré que les peuples primitifs croient généralement que tuer une bête, même en sacrifice, est un crime.

[76] Pausanias, I, 41, 3. C’est un fait souvent signalé qu’en Asie, chez les Koukis, une famille dans laquelle une personne a été tuée par un tigre reste déshonorée jusqu’au jour de la vengeance (voir Tylor, trad., II, p. 328), A remarquer que pour les Koukis les tigres sont solidairement responsables, comme pour les Malgaches les caïmans (P. de la Vaissière, Vingt ans à Madagascar, Paris, 1885, p. 238-240). Ne soyons pas trop surpris de pareilles mœurs. En juillet 1894, à Perpignan, le toréador El-Tito ayant été éventré, la foule réclama, quelques jours après, la mise à mort du taureau meurtrier. Pour beaucoup, la vengeance était un prétexte, ce qui est déjà singulier. Mais il y avait un sentiment sincère chez les toréadors, qui baisèrent le sol à l’endroit où leur camarade avait été mortellement blessé, et chat les spectateurs maltés qui criaient : Le sang doit laver le sang !

[77] Pausanias, I, 24, 4 ; cf. Plutarque, De solert. anim., II, 3, p. 959 F. On excusait aussi le sacrifice des porcs à Déméter et des béliers à Dionysos en prétextant les dégâts causés par ces animaux dans les champs et les vignes (cf. Schömann-Galuski, II, p. 304).

[78] Aristote, Const. des Ath., 57.

[79] Lois, IX, p. 873 E.

[80] P. 414 : cf. Beauchet, IV, p. 392.

[81] Post (Grundlagen, p. 359 ss.), Kovalewsky (p. 302-304) et Comperz (Gr. Denker, I, p, 358-359) démontrent par de nombreux exemples que la répression pénale des lésions commises par les animaux est une pratique universelle.

[82] Pausanias, III, 15, 4.

[83] Pausanias, I, 43, 7. Chez les Kabyles, la famille est responsable des méfaits causés par un animal vicieux (Hanoteau-Letourneux, III, p 64).

[84] Pausanias, I, 27, 10.

[85] L’expulsion pure et simple ne se trouve en Grèce ni pour les esclaves ni pour les animaux. Elle se trouve ailleurs. Dans la Lex Saxonum (c. 18, 52, 53, 57), et encore au XIIIe siècle dans le Sachsenspiegel (II, 40, 1-2), il suffit que l’animal homicide soit chassé par son maître (cf. Zitelmann, dans le Rhein Mus., XLI, 1886, p. 180, n. 31 ; Fauconnet, dans l’Année sociol., III, p. 407).

[86] Dans le Zend-Avesta, le chien est traité en meurtrier (Vendidad, XIII, 3, 31, trad. J. Darmesteter, II, p. 159). On connaît la loi mosaïque (Exode, XXI, 28-29) : Si un bœuf donne des coups de corne à un homme on à une femme, et que mort s’ensuive, le bœuf sera lapidé, et on ne mangera pas sa chair ; mais le maître du bœuf ne sera pas considéré comme coupable. Si le bœuf frappait de la corne hier et avant-hier, et que le maître averti ne l’ait pas enfermé, et qu’il tue un homme ou une femme, le bœuf sera lapidé et le maître mourra. L’ancien droit de la Norvège est tout aussi net : Si un cheval se jette sur quelqu’un, si un chien mord ou qu’un bœuf frappe de la corne, le maître de l’animal est tenu de la livrer à la victime ; sinon le maître lui-même est déclaré coupable (Wilde, p. 804 ; Dareste, Ét. d’hist. du dr., p. 338 ; cf. 296-297). Chez les Anglo-Saxons, une loi d’Alfred est ainsi conçue : Si un bœuf blesse un homme, il doit être livré à la victime ; sinon, la responsabilité atteint le maître de l’animal (Kovalewsky, p. 302-303 ; Cf. Holmes, The common law, p. 18-19 ; Pollock-Madland, II, p. 670 ss.). Chez tous les peuples européens du Moyen Age et des temps modernes, on a continué à intenter des procès aux animaux, en mêlant à l’idée animiste les souvenirs de la Bible et la croyance aux démons et à l’exorcisme : c’est ce qu’a bien montré Kart von Amira, Thierstrafen u. Thierprozesse, dans les Mith. d. Inst. f. östereich. Geschichtsforsch., XII (1891), p. 545 ss. Voir, pour l’Allemagne, Grimm, p 664-665 ; pour les pays slaves, Miklosich, p. 7 ; pour La France, Beaumanoir, Cout. du Beauvoisis, éd. Beugnot, I, p. CXI ; Sorel, Les procès suivis contre les anim. dans la Picardie et le Valois, Compiègne, 1877 ; A. Mangin, Les bêtes crim. au Moyen Age ; V. H. Durémil, Les animaux et les lois, dans la Rev. gén. du dr. et de la lég., 1880, p. 146 ss. ; Edm. Robert, Procès intentés aux anim., dans le Bull. de l’assoc. gén. des étudiants de Montpellier, I (1883), p. 169 ss. ; A. Chaboseau, Procès contre les anim., dans la Tradition, II (1888), p. 362 ss. On signale en France une sentence rendue contre une vache en 1741. Il n’est donc pas étonnant que, de nos jours, les Malgaches fassent passer en jugement les caïmans coupables d’homicide avec des formalités de procédure très compliquées (P. de la Vaissière, l. c.).

[87] Plutarque, Solon, 14. A propos de cette loi, Xénophon (Helléniques, II 4, 41) montre en termes expressifs le rapport de l’abandon noxal et de l’extradition.

[88] Esmein, La cout. prim. dans un conte popul., dans la Nouv. rev. de dr. fr. et étr., XXIV (1900), p. 17.

[89] Kovalewsky (p. 303-304) et Esmein (l. c., p. 15-18) distinguent deux périodes dans l’histoire de l’abandon noxal ; mais ils semblent croire que la responsabilité du maître n’existait pas au temps où la partie lésée se bornait à se venger.

[90] En droit romain, l’action de pauperie marque cependant un progrès nouveau : l’option entre l’abandon et le dédommagement appartient au défendeur. Voici le texte d’Ulpien, dans le Digeste, IX, 1, 1 : Si quadrupes pauperiem fecisse dicetur, actio ex lege XII Tabularum descendit : quæ lex voluit aut dari id quode nocuit... aut æstimationem noxiæ offerri. Cf. Gaius, Instit., IV, 1 ; Paul, I, 15, 13 ; voir Dareste, Fragments d’une paraphrase des Instit. de Gaius, dans le Journal des savants, 1899, p. 731. — Chez les peuples germaniques, on constate, dans la matière, de perpétuels conflits de principes (voir Brunner, II, p. 555-556). Dans le vieux droit des Lombards, des Angles et des Saxons, le maître de l’animal homicide doit la même composition que le meurtrier. Chez les Alamans, il ne doit que la moitié pour certaines bêtes, et cette règle passe dans un amendement de la loi lombarde. Chez les Frisons, le quart suffit. On arrive à donner au serment du propriétaire la force de le libérer de toute responsabilité pénale, et alors apparaît l’abandon noxal. Chez les Francs, l’abandon vaut d’abord moitié de la composition ; puis, joint au serment, il est libératoire (Loi Salique, tit. XXXVI). Voir aussi le droit des Ossètes dans Kovalewsky, p. 304-306.

[91] Cf. Kovalewsky, p. 303-304.

[92] Hérodote, VII, 35 ; cf. Grote, IV, p. 360-361. Un général de Xerxès, jeté à terre par un cheval ombrageux, lui fit couper les jambes sur le lieu même du crime (Hérodote, VII, 88).

[93] Michelet, p. LXXXVI.

[94] Hérodote, I, 189, 202 ; V, 52.

[95] Iliade, XXI, 211 ss.

[96] Scoliaste de Théocrite, VII, 106.

[97] Pausanias, V, 27, 10.

[98] Plutarque, Timoléon, 23. Les statues des tyrans comparaissent en justice à Syracuse, comme le cadavre de Phrynichos à Athènes (Lycurgue, C. Léocrate, 112 ss.).

[99] Denys d’Hal., Ant. rom., VII, 8 ; Lycurgue, l. c., 117-119 ; Plutarque, Des délais de la vengeance divine, 16, p. 339 E ; Tite-Live, XXXI, 44.

[100] Michel, n° 364, l. 4 ss.

[101] Le principe du désarmement est expliqué par Aristote, Politique, VI (IV), 10, 7. L’histoire d’Athènes fournit l’exemple de Pisistrate ou de ses fils (Aristote, Const. des Ath., 13 ; Polyain., Strat., I, 21, 2 ; Thucydide, VI, 58) et celui des Trente (Aristote, op. cit., 37 ; Xénophon, Helléniques, II, 3, 90). Voir aussi I. J. G., n° XXVII, A, l. 7 ; B, l. 2 (Erésos).

[102] Cf. Pausanias, I, 28, 11.

[103] Plutarque, Des délais de la vengeance divine, 8, p. 553 E.

[104] Pausanias, VI, 11, 6 (pour la date, voir XI, 6, 6). Cf. Dion Chrysostome, Disc. aux Rhod., édit. Dindorf, p. 377 ; Suidas, s. v. Νίκων.

[105] Cf. Hérodote, V, 75, 80, 83. Voir Fustel de Coulanges, Cité antique, p, 176-180.

[106] Voir plus haut les anecdotes sur la statue de Théagénès et le bœuf d’Olympie.

[107] Démosthène, C. Aristocr., 74 ; Eschine, C. Ctésiphon, 244 ; Pausanias, I, 28, 10 ; VI, 1, 6 : Aristote, Const. des Ath., 57 ; Lex. de Patmos, dans la B. C. H., I (1877), p. 134 ; Harpocration, s. v. έπί Πρυτανείω ; Lex. Rhet., dans Bekker, Anecd. pr., I, p. 311, 15 ; Pollux, VIII, 90, 120 ; cf. Platon, Lois, IX, P. 873 A-874 A.

[108] Eschine, l. c. ; Pausanias, VI, 11, 6 ; Lex. de Patmos, l. c. ; cf. Platon, l. c., p. 673 E.

[109] Démosthène, l. c., Harpocration, l. c. ; Lex. Rhet., l. c. ; Pollux, VIII, 120 ; Pausanias, I, 28, 10.

[110] Eschine, l. c. ; Pausanias, I, 28, 10 ; VI, 11, 6 ; Lex. de Patmos, l. c. ; Pollux, l. c. ; Suidas, l. c. ; cf. Platon, l. c., p. 874 A. Si l’ύπεροριεμός a été dans l’Athènes classique une purification, il n’a nullement été un rite religieux à l’origine. Son caractère primitif ressort d’une comparaison avec le vieux droit de la Russie. En 1591, après le meurtre du tsar Dimitri, la cloche qui avait sonné le tocsin de l’émeute fut comprise dans les poursuites et condamnée à avoir le battant enlevé, un oreillon coupé et être exilée en Sibérie. Elle n’est revenue de Tobolsk qu’en 1892, pour reprendre sa place dans le palais des tsars restauré à Ouglitch (voir le Matin, 8 juillet 1899).

[111] Toutes les idées des Grecs sur la responsabilité des objets inanimés, principalement des statues, se retrouvent dans la Chine contemporaine, avec leurs conséquences juridiques. Le Times racontait, au mois d’août 1888, un incident qui avait eu lieu à Fou-Tchéou et qui résume admirablement ce qui précède. La mort d’un chef militaire était attribuée à des idoles malfaisantes. Le vice-roi décerna contre elles un mandat d’arrêt. Le préfet les saisit, au nombre de quinze, leur fit crever les yeux, pour qu’elles ne pussent voir leurs juges et les traduisit devant un tribunal d’enquête. Condamnées, elles furent décapitées et jetées dans un étang, tandis que le temple où elles avaient commis leur méfait était rasé.

[112] Voir Platon, l. c. ; Démosthène, l. c.

[113] Frazer, dans son commentaire de Pausanias (II, p. 371) a déjà compare les Grecs nous ce rapport avec un certain nombre d’autres peuples. La responsabilité du propriétaire à raison des objets lui appartenant, tels qu’arbre, moulin, puits, etc., est une règle universelle. On commence par se libérer au moyen de l’abandon noxal. L’arbre qui tue un homme est livré à la famille lésée. Voici, par exemple, comment s’exprime une loi d’Alfred-le-Grand : If at their common work one man slay another unwithfully, let the tree be given to the kindred, and let them hase it off the land within XXX days (Thorpe, p. 31-32 : cf. Pollack-Maitland, II, p. 472). Ce principe subsiste chez les peuples du Caucase (Dareste, Nouv. ét., p. 261) et même, en droit maritime, chez tous les peuples civilisés (cf. Holmes, The common law, p. 25-34). Un progrès ultérieur mène la règle du dédommagement. C’est celle qui est généralement en usage dans les lois germaniques (cf. Brunner, II, p. 556-558 : Kovalewsky, p. 37, 301), par exemple, dans la loi de Vestrogothie (De l’homic., XII, XV, éd. Beauchet, p. 156-157). Par un dernier progrès. le propriétaire est déclaré irresponsable, si l’accident est fortuit : mais il faut une loi spéciale pour en arriver là, témoin le Digeste (XLVIII, 8, 7) et la loi de Rotharis (152).

[114] P. 873 E.

[115] L. c. ; cf. Kovalewsky, p. 301.

[116] Pollux, IX, 41 ; Polémon, dans Hesychius, Suidas, s. v. ήλύσιον (F. H. G., III, p. 146, fr. 93) ; cf. Hesychius, s. v, ένηλύσια ; Etym. Magn., p. 428, 30 ; 341, 8.

[117] Aristote, Const. des Ath., 57 ; Lex. de Patmos, l. c. ; Platon, l. c., p. 874 A ; Sophocle, Œdipe roi, 224 as. ; Nicol. de Damas, fragm. 49 (F. H. G., III, p. 382).

[118] Cette formule, donnée par Platon (l. c.) doit se rapprocher beaucoup de la formule officielle (cf. Lex. de Patmos, l. c. ; Aristote, l. c. ; Sophocle, l. c., 236 as.). Il est intéressant de la comparer à celle que Nicolas de Damas (l. c.) met dans la bouche d’Ardys et qui reconnaît au premier venu le droit de tuer l’assassin.

[119] Démosthène, C. Polycl., 48-49 ; Plutarque, Thémistocle, 25.

[120] Lex. de Patmos, l. c. ; cf. Aristote, l. c. ; Pollux, VIII, 96. Voir Von Wilamowitz, I, p. 253.

[121] Lex. de Patmos, l. c. ; cf. Platon, l. c.

[122] Sophocle, l. c., 263-272.

[123] Nicol. de Damas, l. c.

[124] Cf. Sophocle, l. c., 236 : άπαυδώ ; Lex. de Patmos, l. c. : άπαγορεύει.

[125] Leist (Gr.-It. Retchtsgesch., p. 315) s’élève avec raison contre Philippi et Gilbert, qui ne voient dans le Prytanée d’Athènes qu’un Scheingericht. Mais il fait lui-même consister toute l’utilité de ce tribunal dans la juridiction d’un cas spécial, l’homicide accidentel qui ne met en jeu aucune responsabilité. A la vérité, les Grecs n’avaient pas encore trouvé de solution satisfaisante pour ce problème juridique à la fin du Ve siècle (Plutarque, Périclès, 36 ; Antiphon, Tétr., II, α, 1-2 ; β, 4 ; γ, 7). Mais le rôle du Prytanée a été plus considérable. Il semble même qu’il ait été le premier et longtemps le seul tribunal d’Athènes. Cette hypothèse ne se déduit pas seulement d’une comparaison avec les institutions homériques (Les naucrares et les pryt. des naucrares dans la cité hom., dans la Rev. des ét. gr., XIII, 1900, p. 155-157), mais encore de certains faits historiques. Si le roi qui résidait au Boucoléion avant Solon (Aristote, Const. des Ath., 3) siégeait pourtant au Prytanée, c’est que le roi héréditaire y résidait jadis (cf. Haussoullier, La const. d’Ath. avant Dracon d’après Aristote, dans la Rev. de philol., XVII, 1893, p. 53-54) : il exerçait donc avec les φυλοβασιλεΐς toutes les fonctions concentrées au Prytanée. Leur juridiction était assez étendue pour que le nom de πρυτανεϊα en soit resté à la somme consignée par les parties (cf. Iliade, XVIII, 607). Aussi voit-on les βασιλεΐς juger les Cylonides au Prytanée (Plutarque, Sol., 19) et présider les éphètes (I. J. G., n° XXI, l. 12).

[126] Odyssée, XXII, 215-223.

[127] Odyssée, VIII, 306-358 ; cf. Esmein, Sur un contrat, p. 429 ss.