SOLIDARITÉ DE LA FAMILLE DANS LE DROIT CRIMINEL EN GRÈCE

LIVRE PREMIER. — PÉRIODE PRIMITIVE - LA FAMILLE SOUVERAINE.

CHAPITRE V. — LE TRAITÉ DE PAIX PRIVÉE (φιλότης).

 

 

I. — Caractères de la φιλότης.

Quand l’offenseur était parvenu à fléchir le courroux de l’offensé par l’offre et le paiement d’une riche rançon, tout n’était pas terminé. La convention conclue, puis exécutée, il fallait encore une procédure officielle de réconciliation.

Cette procédure existe dans toutes les sociétés primitives. En Arabie, avant Mahomet, le paiement du prix du sang amenait un traité formel, seule fin possible de longues hostilités[1]. Chez les Francs de la période mérovingienne, les deux partite juraient devant témoins de ne plus rien entreprendre l’une contre l’autre, et l’offensé déclarait la faida éteinte, en remettant à l’offenseur une charte de sécurité contresignée par les rachimbours[2]. En pays flamand, durant tout le Moyen Age, la paix privée se concluait d’abord avec un cérémonial humiliant pour l’offenseur, plus tard par lettres de sauvegarde, serments et poignées de main[3]. Il existe toute une littérature de documents authentiques destinés à régler des affaires d’homicide en Allemagne[4], en Bohême[5], en Pologne[6]. Dans le vieux droit de la Norvège et de l’Islande, le meurtrier et le plus proche parent de la victime échangent en public de solennelles promesses de paix[7]. En Hongrie, ils jurent, avec femme et enfants, de ne garder ni inimitié ni haine pour le passé[8]. Aujourd’hui encore, quand deux familles corses renoncent à la vendetta, elles signent des traités en plusieurs articles où elles s’engagent sur l’honneur, devant Dieu et devant les hommes, à respecter et à observer rigoureusement la paix intervenue entre elles, et ces instruments diplomatiques sont authentiqués par les médiateurs pris à témoin[9]. En janvier 1893, une commission albano-monténégrine, chargée de clore une série de meurtres et de combats, fit signer aux intéressée un protocole de paix ; on jeta des pierres de part et d’autre dans le lit de la Lima, pour symboliser l’oubli des querelles passées, et, après des prières prononcées par les prêtres orthodoxes et les mollahs, on se réunit en un banquet[10].

Dans la Grèce homérique l’αΐδεσις n’avait tous ses effets qu’après la célébration d’une cérémonie solennelle. C’est cette cérémonie de la réconciliation définitive que, par un abus de langage, on appelle quelquefois dans Athènes l’αΐδεσις. Mais dans l’Iliade et dans l’Odyssée le mot αΐδεσθαι n’est jamais employé quand il est parlé de traites entre particuliers ou entre peuples. Désignant un rapport de dépendance, il convient bien dans les cas d’arrangement demandé ou accordé ; il n’est plus de mise quand le paiement de la ποινή a replacé l’offenseur sur le pied d’égalité avec l’offensé. A l’époque classique, quand un jugement tiendra le plus souvent lieu de négociations, la partie lésée ne pourra officiellement αΐδεσθαι qu’après avoir reçu toutes les satisfactions légales, et le moment du pardon ne précédera point celui de la paix. A l’époque d’Homère, il n’en ira pas de même. Si le coupable se libère de la dette sans retard, la trêve est aussitôt convertie en paix ; mais alors même le traité de paix ne se confond pas avec l’αΐδεσις, dont il est le résultat. Si le créancier consent à un délai, à des échéances[11], alors surtout gant nettement séparées ces deux procédures la transaction qui fait naître l’obligation, et la rencontre dos deux parties pour proclamer le rétablissement de la paix. Nous savons ce qu’est la première de ces procédures : examinons la seconde.

Cet acte final par lequel les ci-devant adversaires se déclarent amis pour l’avenir et quittes pour le passé se présente assez fréquemment dans la légende et la poésie. Les voleurs de génisses, Pirithoos et Hermès, se réconcilient avec leurs victimes, Thésée et Apollon, par des pactes d’éternelle amitié[12]. Il existait on Messénie un bourg appelé Κάπρου σήμα, la Tombe du verrat : ce nom venait, disait-on, de la victime sur laquelle les fils de Nélée et son meurtrier Héraclès avaient échangé de solennels serments[13]. La réconciliation d’Achille avec Agamemnon est la péripétie capitale de l’Iliade, et l’Odyssée a pour dénouement l’annonce d’une réconciliation entre Ulysse et les parents des prétendants tués[14]. Cependant le nom du contrat qui consacre l’αΐδεσις et qui l’achève n’apparaît pas clairement. L’appellation qui convient le mieux désigne le contrat par son objet : le contrat de φιλότης est une φιλότης[15].

Continuellement, dans Homère, φίλος est joint à αίδοΐος. Les expressions composées φίλος τε αίδοΐός τε[16], αίδώς καί φιλότης[17], αΐδεσθαι καί φιλεΐν[18] s’emploient pour les mêmes personnages, désignent les mêmes relations que les mots αίδοΐος, αίδώς, αΐδεσθαι[19]. Parents et alliés, domestiques et amis, tous ceux qu’unissent des devoirs réciproques d’αίδώς sont appelée φίλοι[20]. Quand Ulysse parle de ses φίλοι[21], il ne songe pas uniquement à Pénélope, à Télémaque et à Laërte[22] : le pasteur Eumée figure dans le nombre[23]. Enfin, comme l’αίδώς, la φιλότης unit deux hôtes entre eux, et le suppliant au bienfaiteur.

Pourtant il y a une nuance entre ces deux mots. Il semble qu’ils se souviennent de leur origine. L’un se rattache à la racine Ϝιδ = savoir et exprime le sentiment et la connaissance d’un devoir ; l’autre vient de αφίν = dor. φίν = φίνος = φίλος[24] et exprime l’existence d’un lien. L’αίδώς est un phénomène psychologique, un état de conscience ; la φιλότης est un fait extérieur, un état social. Le temps n’est pas venu encore, où par φίλος on entend un rapport purement moral ; à l’époque homérique, on comprend d’ordinaire par là un rapport presque juridique. Un objet est qualifié φίλος par son propriétaire. Fidèle au sens primitif[25], le mot est alors un simple adjectif possessif et détermine tout ce qui constitue la personnalité humaine[26]. Les φίλοι d’Ulysse, ce sont tous les siens. Une femme est dite φίλη par relui qui l’épouse, non parce qu’il l’aime, mais parce qu’il l’emmène dans sa maison et que désormais elle est à lui[27] : aimer, c’est se donner à un homme ou posséder une femme[28]. Un étranger est φίλος, quand il est assimilé aux vrais φίλοι, aux membres de la famille ou de la tribu[29] : bien traiter un hôte, c’est le φίλεΐν[30], ce qui ne signifie pas lui porter une grande affection, mais l’entourer des soins obligatoires[31], accomplir les actes positifs qu’impose le pacte d’hospitalité (φιλότητα παρασχεΐν[32], ξεινίζειν καί φιλεΐν[33]). Un suppliant est φίλος quand on lui laisse la vie et qu’on accueille favorablement sa demande[34].

C’est ainsi que deux individus, deux ramilles, deux cités sont φίλοι ou en état de φιλότης[35], lorsqu’ils n’ont rien pria l’un à l’autre ou se rendent ce qu’ils sa doivent réciproquement[36]. Sans doute il arrive qu’entre personnes bien douées le sentiment s’en mêle et rende ces relations plus tendres. C’est alors l’amitié véritable. Quand le poète la rencontre en chemin, il nous en avertit par cette locution qui n’est ni un pléonasme ni une naïveté : être ami en son cœur. Mais la plupart du temps on est ou l’on devient amis, sans que le cœur y soit pour rien, tout simplement parce qu’on n’est pas ou qu’on n’est plus ennemis[37]. Celte amitié-là, c’est tout simplement la situation régulière et normale qui résulte du fait que chacun exerce son droit en reconnaissant le droit d’autrui : c’est la paix dans la justice[38]. Il en sera toujours ainsi dans les relations internationales[39] ; au temps d’Homère, il en est encore ainsi dans les relations privées. A toute époque où les particuliers peuvent, comme les peuples, défendre leurs intérêts les armes à la main, ils sont amis, comme les peuples, tant qu’ils n’ont point d’intérêts contraires et que leurs rapports sont pacifiques ou nuls. C’est-à-dire tant que ni l’un ni l’autre n’a ni plus ni moins que ce qui lui appartient en propre[40] ; ils redeviennent amis, dès qu’ils ont renoncé aux voies de fait et se sont accordés sur les conditions de la paix.

D’Homère à Solon, les cas abondent où, de cité à cité, de famille à famille, d’homme à homme, la φιλότης n’est que la négation de la haine et, pour aimer, il suffit de s’entendre[41]. Dans l’épisode où les moyens et les Grecs parlant de la paix future, comment s’expriment-ils ? Φιλότητα καί όρκια πιστά τάμωμεν[42]. Quand deux guerriers, fatigués de se mesurer, conviennent d’une prochaine rencontre, ce cartel s’appelle également φιλότης[43]. Sur le point d’engager avec Achille son duel suprême, Hector propose de convenir que le cadavre du vaincu ne sera pas livré aux bêtes[44] : échanger une pareille promesse en un pareil moment, c’est φιλήμεναι[45] ; même entre ennemis résolus à tuer ou à périr[46], une άρμονία[47], une συνημοσύνη[48], quelconque est une φιλότης. Toute inimitié se termine donc forcément par un contrat de φιλότης. Ainsi, l’affaire de rapt qui met aux prises Achille et Agamemnon est clôturée par des όρκια πιστά[49] et un traité de réconciliation qui est une φιλότης[50]. Lorsqu’une affaire de sang a déchaîné la funeste guerre et les combats terribles[51], pour y mettre un terme, les adversaires concluent suivant le même cérémonial[52] une φιλότης identique[53]. S’ils ressemblent aux traités de paix entre nations, les contrats de paix privée entre offenseurs et offensés ressemblent aussi à ces contrats d’άσυλία privée qui instituent entre deux familles des relations d’hospitalité et se transmettent d’une génération à l’autre, les cils ayant le titre d’hôtes en vertu de la φιλότης passée entre les pères, έκ πατέρων φιλότητος[54].

Soit qu’elle rétablisse de bonnes relations entre dos cités ennemies, soit qu’elle unisse les membres de deux γένη. La φιλότης, reposant sur les mêmes principes, est soumise à la même condition : il faut que l’équilibre des forces reste un redevienne ce qu’il était. Ίσότης φιλότης, c’est un proverbe des vieux temps. Les contemporains de Platon et d’Aristote le répéteront encore[55]. Ils le comprendront à leur façon, y trouvant cette idée qu’il n’est d’affection qu’entre égaux, ou qu’entre amis tout devient commun[56]. Mais leurs ancêtres ne raffinaient pas tant sur les choses de la morale : pour eux, la paix supposait la réparation des préjudices, la restauration de l’égalité[57]. L’adage qui, pour Pythagore[58] et Socrate[59], signifiera que la φιλία supprime la distinction du mien et du tien voulait dire, au contraire, que la φιλότης exige cette distinction.

Si les particuliers se réconcilient suivant les mêmes règles et dans les mêmes formes que les peuples, c’est que les familles qu’ils représentent sont des groupes politiques. Pour la même raison, celte réconciliation ne diffère pas de celle qui finira tant de guerres civiles du VIIe au IVe siècle.

Les actes de pacification intérieure ou διαλύσεις[60] sont semblables, eux aussi, aux traités publics[61]. Ils portent le nom de συνθήκάι[62] et de διαλλαγαί[63] ; ils tient réciproquement les parties contractantes et ne sauraient faire loi mutuellement pour les individus du même groupe[64] ; ils doivent leur caractère authentique et obligatoire aux garanties données et reçues[65], aux serments échangés[66] ; ils sont confirmée après mise à exécution par un renouvellement des cérémonies sacramentaires[67] ; enfin, ils ne sont définitifs qu’à condition d’établir l’égalité entre les parties contractantes. Qu’à ces accommodements on donne, si l’on veut, par anticipation, le nom d’amnisties ; en réalité, ce sont, non pas des mesures législatives commandées par l’intérêt suprême de l’État, ni des faveurs octroyées par la générosité d’un parti vainqueur, mais des contrats bilatéraux qui créent l’État à nouveau, des chartes constitutionnelles qui rétablissent le συνοικισμός dont la guerre civile fait la dénonciation. Aussi n’est-il pas de circonstance où soit appliqué avec une sincérité plus large le vieux principe : φιλότης ίσότης. Le retour à la concorde (άμονοία)[68] n’est possible que par le respect d’une loi commune[69] et la libre jouissance des biens reconnue à chacun[70], par le partage égal de tous droits politiques et civile[71]. Ces réconciliations civiques seraient donc un précieux terme de comparaison pour les réconciliations privées de l’époque homérique, quand même un ne pourrait les rapprocher qu’au moyen d’un troisième terme, les réconciliations internationales. Mais elles ont des liens plus directs.

Déjà l’antiquité classique avait remarqué le rapport des contrats entre factions aux contrats entre particuliers[72]. Isocrate semble même avoir songé spécialement au pacte d’αΐδεσις, lorsqu’il compare l’arrangement de 403 avec les traités qui mettent fin aux inimitiés privées comme aux guerres publiques[73]. En tout cas, la déclaration qui, dans les temps épiques, inaugure leu relations pacifiques entre l’offenseur et l’offensé sert précisément à sceller la réconciliation des partis dans les temps historiques. La proclamation d’oubli qu’Homère appelle φόνοιο έκλησις explique la clause d’oubli que les Grecs appelleront un jour amnistie. Le mot άμνηστία est d’une grécité moderne[74], mais non la chose qu’il désigne. Renoncer à toute revendication ultérieure, ne plus se souvenir du mal qu’on s’est rait, telle est la condition première d’une paix durable entre concitoyens. Μή μνησικακεΐν, cette très belle formule[75]. Elle a seule le pouvoir de ramener l’union dans une république troublée. C’est une promesse qui s’échange quelquefois entre peuples[76] ; dans un traité entre factions, elle est de style- Elle est faite à Mégare en 424[77], à Samos en 411[78] : elle est exigée de toutes les cités grecques en 339, dans l’impérieuse circulaire de Polysperchon[79]. Comment les Grecs lie n’en seraient-ils pas fait un point d’honneur, puisqu’ils la retrouvaient chez les barbares[80] ? Les Athéniens surtout y recouraient, quand il fallait d’urgence pacifier la Cité. En 482, ils voulaient opposer à Xerxès une ville animée d’une pensée unique ; ils rappelèrent les bannis et s’engagèrent à oublier le passé[81]. En 403, ils étaient las de discordes et de sang versé : ils jurèrent d’ensevelir les injustices commises dans un oubli éternel[82]. Ils s’obligèrent par une clause expresse à l’universelle impunité[83]. Obligation si absolue qu’en un jour d’habile et pieuse cruauté elle eut pour sanction la peine de mort[84] ; clause si essentielle qu’on ne vit plus qu’elle dans les traités de paix civile et qu’on appela ces traitée des amnisties.

C’est une véritable amnistie, que la φιλότης privée dans les poèmes homériques. Tant qu’Achille déclare garder le souvenir des outrages subis, fidèle à sa rancune, il se refuse à toute réconciliation avec Agamemnon[85]. La paix est faite à partir du moment où il a prononcé la parole sacramentelle : Laissons là le passé[86]. Les deux adversaires ont toujours l’âme endolorie ; seule la nécessité dompte les révoltes de leur cœur[87]. Mais, s’ils ne changent pas de sentiment, ils modifient leur conduite : il n’en faut pas davantage à la société. On ne demande pas à l’offensé d’oublier l’offense, mais d’en recevoir le prix et de déclarer qu’il l’oublie. Qu’il dise : Ma colère est finie[88] ; ce désaveu officiel suffit[89]. L’inimitié est un état quasi-juridique qui cesse par un acte formel de renonciation. Quand le vengeur a donné décharge au meurtrier, a lieu la φόνοιο έκλησις[90] ; on réprime en son cœur de virils élans de passion, parce qu’on a reçu le prix du sang[91]. En quoi consiste l’amitié dans cette φιλότης ? en quoi l’oubli dans cette έκλησις ? Dans un engagement réciproque de tenir le passé pour nul et non avenu, de ne plus μνησικακεΐν. Une déclaration publique, la πρόρρησις, a commencé la guerre ; une déclaration solennelle, l’άπρόρρησις, la termine[92].

En résumé, le pacte de φιλότης participe du traité de paix et de l’amnistie. Quelle différence avec l’αΐδεσις ! Toute, manifestation de l’αίδώς suppose l’inégalité des personnes ; tout traité de paix nécessite le rétablissement de l’égalité entre les parties belligérantes. Dans l’αΐδεσις, on examine les circonstances de la lésion, pour fixer le dédommagement ; dans le traité de paix, on décide d’enterrer le passé. Il n’y a plus ici un suppliant qui tremble pour sa tète et se trame à genoux, un vengeur qui a le goût du sang et qui ne laisse retomber sa lance qu’étourdi par les douces paroles et les richesses promises : entre loups et moutons, pas d’accord sincère[93]. Il y a deux hommes debout, face à face, égaux. Ils peuvent avoir conservé au cœur leur haine toute vive ; ils vont se déclarer amis. C’est qu’ils n’ont plus rien à se reprocher entre eux. L’un avait empiété sur le droit de l’autre et commis une ϋδρις ; mais, dès qu’il a donné satisfaction, chacun a de nouveau ce qui lui revient, et la φιλότης s’ensuit. Cette distinction entre l’αΐδεσις et la φιλότης subsistera toujours dans les théories de droit des gens. Paix et trêve, dira un auteur athénien[94], sont choses bien différentes. On traite de la paix d’égal à égal (έξ ΐσου) entre parties tombées d’accord sur l’objet du litige ; la trêve suit un avantage remporté et s’impose de vainqueur à vaincu (έξ έπιταγμάτων). Qu’un remplace σπονδαί par αΐδεσις, είρήνη[95] par φιλότης, et cette double définition conviendra aux deux contrats qui terminent durant la période homérique toute guerre privée : l’αΐδεσις est une trêve, à la faveur de laquelle l’offenseur vaincu promet satisfaction à l’offensé vainqueur et donne des cautions de sa bonne foi[96] ; la φιλότης est la clôture officielle et parfaite des hostilités[97], le retour à la bonne entente et à l’ancien équilibre[98], le rapprochement définitif des familles ennemies.

II. — Formalités de la φιλότης.

Toutes les différences entre l’αΐδεσις et la φιλότης proviennent de ce que, dans l’intervalle de l’une à l’autre, il s’est produit ce fait capital, le paiement de l’indemnité. Quand les Grecs et les Troyens s’entendent pour une suspension d’armes, ils prévoient les conditions d’une paix définitive, les satisfactions dues à Ménélas[99] : pas une fois en soit long récit, le poète n’appelle φιλότης la trêve conclue[100] ; au contraire, pas une fois il ne parle de la paix éventuelle, sans lui donner le nom de φιλότης[101], et il répète avec insistance qu’elle est subordonnée à l’exécution du contrat. Il en est ainsi d’homme à homme. Comment une paix privée se conclurait-elle sans acquittement d’indemnité, quand les idées de réconciliation et de compensation sont si voisines, qu’Homère n’exprime guère l’une sans l’autre[102] ? Après la moindre parole un peu vive, même entre hôtes, amis ou frères, on rétablit l’accord par des cadeaux[103]. Après une offense, immanquablement la φιλότης se paie.

Dans l’Iliade, toute réconciliation entre Achille et Agamemnon est impossible avant la remise de l’indemnité. Nul ne prendrait sur soi d’y inviter l’offensé[104], et l’offenseur n’ose pas en ouvrir la bouche[105], sans parler de présents. Quand Achille cède enfin, il brûle de courir au combat ; mais il ferait beau voir passer sur les formalités traditionnelles. Il faut qu’Agamemnon fasse vite chercher la rançon ; il faut qu’Achille la déclare suffisante et se réjouisse en son cœur[106]. Alors seulement ils peuvent se lever pour le serment de réconciliation[107] et la déclaration de φιλότης[108].

Dans l’Hymne à Hermès, le dieu voleur de génisses est obligé de livrer au dieu lésé la cithare demandée comme ποινή. Après quoi, l’un jure de ne plus recommencer ; l’autre de ne plus avoir que des sentiments d’étroite amitié[109].

La scène de l’Odyssée[110] où les prétendants font à Ulysse des propositions de paix est un appel à l’αΐδεσις. La réconciliation ne peut se faire que plus tard (όκισθεν), quand le héros aura reçu les bœufs, l’airain et l’or qui lui sont dus. Jusque-là il n’y a rien à redire à ce qu’il garde rancune.

Et, puisque l’Odyssée finit par une promesse de φιλότης et d’έκλησις φόνοιο, c’est que le poète mentionnait dans un vers perdu ou sous-entendait comme une chose naturelle le paiement d’une rançon par Ulysse[111]. Sinon, la réconciliation d’Ulysse avec les familles des prétendants est incompréhensible. Que l’on compare, en effet, le dénouement traditionnel de l’Odyssée avec les autres dénouements imaginés par les aèdes ; car il en existait d’autres. Une de ces variantes fut recueillie par Aristote dans sa Πολιτεία d’Ithaque et nous est rapportée par Plutarque et Apollodore. Après le meurtre des prétendants, dit Plutarque, les parents des morts marchèrent contre Ulysse. Mandé comme arbitre par les deux partis, Néoptolème décida que, d’une part, Ulysse quitterait le pays, exilé de Céphallénie, de Zacynthe et d’Ithaque, pour avoir versé le sang, que, d’autre part, les clans et familles des prétendants acquitteraient à Ulysse une ποινή, pour les préjudices causés dans sa maison, année par année. Ulysse se retira donc en Italie et disposa que la ποινή serait consacrée aux dieux et acquittée par les gens d’Ithaque entre les mains de son fils. Elle consistait en farine, vin, rayons de miel, huile, sel et victimes ayant passé l’âge d’agneaux[112]. Voilà évidemment la solution la plus ancienne, celle qui remonte au temps où tout homme coupable d’avoir versé le sang, quelles que fussent les circonstances du crime, était voué à l’exil perpétuel, Nous en connaissons encore une, qui est indiquée, par une heureuse inadvertance, dans l’Odyssée même. Le devin Tirésias prédit ainsi l’avenir à Ulysse : Lorsque tu auras tué les prétendants en la demeure, soit par ruse, soit face à face à la pointe de l’épée, tu partiras de nouveau... Mais, après avoir offert à Poseidon en sacrifie solennel un bélier, un taureau et un verrat, tu retourneras en ta maison et immoleras de saintes hécatombes aux dieux immortels[113]. C’est la solution moderne, celle que la loi de Dracon fournit pour le φόνος άκούσιος, l’exil temporaire. La solution intermédiaire, celle de l’Odyssée, ne peut pas se concevoir sans une sanction ; et, par cela même qu’elle comporte l’αΐδεσις sans exil, elle ne saurait admettre la φιλότης sans ποινή.

La cérémonie de la réconciliation, qui suit la remise de la ποινή, est réglée par le protocole. Le XXIVe chant de l’Odyssée est intitulé Σπονδαί, parce qu’il mène à la réconciliation entre Ulysse et les familles des prétendants ; mais les formalités de la φιλότης n’y sont qu’indiquées[114]. Il en est de même dans le récit de Pausanias[115] sur le Κάπρου σήμα. C’est au XIXe chant de l’Iliade, dans l’épisode de la réconciliation entre Achille et Agamemnon, qu’on trouve le plus de renseignements sur la question. Or, le traité conclu entre les deux chefs grecs ressemble en tout au traité conclu un moment entre les Grecs et les Troyens[116]. La guerre privée se clôt de la même façon que la guerre publique. Et, comme le droit des gens conserve les usages de l’épopée jusque dans les siècles historiques[117], il n’est pas inutile, pour comprendre ce que sont dans les âges lointains les accords définitifs entre deux particuliers, d’en rapprocher les formes qui amèneront plus lard la cessation des hostilités entre deux cités ou deux factions. La procédure de la φιλότης est, dans l’âge homérique, ce que sera un jour celle des traités ou des amnisties.

Le contrat de paix privée doit recevoir une publicité aussi étendue que possible. — Il faut d’abord constater la remise de la ποινή. Quand Ulysse prescrit les formalités de la réconciliation entre Agamemnon et Achille, il spécifie que les présents doivent être transportés au milieu de l’agora, pour que tous les Achéens les voient de leurs yeux[118]. Agamemnon retient les assistants qui étaient sur le point de se séparer. Demeurez, dit-il, vous tous ici rassemblés, jusqu’à ce que les présents soient arrivés de ma tente[119]. Et c’est, en effet, au milieu de l’assemblée qu’est amené tout ce qu’Agamemnon a promis[120]. — Il faut ensuite que le public soit présent à l’échange des serments qui mettent fin à l’état de guerre. Ulysse conseille encore à Agamemnon et Agamemnon promet encore de jurer devant la foule des Achéens[121] : quand l’offenseur prête serment, tous les Argiens sont là, assis en silence, écoutant le roi selon le rite, et Achille, à son tour, prononce les paroles de pardon debout au milieu des Argiens[122]. Ce n’est donc pas un mot banal qui échappe à Eurymachos, quand il offre à Ulysse une riche rançon pour obtenir une réconciliation devant le peuple[123]. On voit aussi pourquoi le meurtrier représenté tour le bouclier d’Achille invoque le témoignage du peuple, lorsqu’on lui demande la ποινή qu’il déclare avoir payée[124]. Toujours la publicité est nécessaire pour donner une valeur authentique au contrat de réconciliation[125].

Les anciens ne pouvaient pas concevoir de traité valable sans échange de serments, ni de serment solennel sans sacrifice. La φόνοιο έκλησις à la fin de l’Odyssée, la réconciliation d’Achille et d’Agamemnon, la trêve entre Troyens et Grecs se concluent devant les chairs des victimes : les victimes seules sont des όρκια πιστά, et conclure un traité c’est όρκια πιστά ταμεϊν[126]. La cérémonie commence une fois que les hérauts ont amené les victimes, préparé le cratère des libations, versé de l’eau sur les mains de ceux qui vont jurer[127]. Dans les contrats internationaux, la sainte formalité a duré aussi longtemps que la civilisation grecque, Ce qui est plus remarquable, c’est qu’elle ail persisté dans les contrats privés. Chez les Athéniens, pour rétablir les rapports pacifiques entre le meurtrier et la famille de la victime, l’αΐδεσις exige l’accomplissement d’un sacrifice. A Ainos, toute aliénation immobilière est consacrée par un sacrifice sanglant ou non ; près de l’autel, en présence du magistrat et de trois témoins, les contractants jurent, l’un qu’il est acheteur, l’autre qu’il est vendeur en toute loyauté[128]. A Sparte, comme à Athènes, l’arbitre oblige les plaideurs à jurer qu’ils se rendront mutuellement service pour tout Io temps à venir, dans la mesure de leurs moyens, en paroles et en actes[129]. Jadis tout litige se terminait ainsi devant les dieux.

A l’époque homérique, le serment précède le sacrifice. Plus tard, la doctrine de la souillure donnera au sacrifice un double caractère de ίλασμός et de κάθαρσις : on n’admettra pas qu’un meurtrier jure sans être lavé de son impureté, et la victime sera immolée avant que soit prêté le serment dont elle est la gage. L’interversion, justifiée par un cas particulier, mais fréquent, se fera dans tous les cas. Alors les Grecs prendront aux Sémites les rites dramatiques de leurs cérémonies purificatoires[130]. Mais dans l’Iliade on en est encore à la tradition aryenne. Le sang et le vin qu’on verse symbolisent l’imprécation, montrent à tous les yeux la destinée du parjure. Voyez la libation dans un traité entre deux peuples. Chacun des Achéens et des Troyens parle ainsi : Zeus très glorieux, très grand, et vous tous, dieux immortels, ceux qui les premiers transgresseraient leur serment, que leur cervelle et celle de leurs enfants soient répandues à terre comme ce vin ![131] Voyez le sacrifice dans un traité entre particuliers. Si je fais un faux serment, s’écrie Agamemnon, que les dieux me donnent à foison les maux qu’ils donnent à quiconque les offense par un parjure ! Il dit, et plonge dans la poitrine du verrat l’impitoyable airain[132]. Du geste aux paroles le lien est manifeste. Les Grecs se conforment sans le savoir au droit fécial de l’Italie primitive. Si le peuple romain, dit le pater putratus, manquait le premier à ses engagements, par dessein public et avec dol, ce jour-là, Jupiter, frappe le peuple romain, ainsi qu’en ce lieu, en ce jour, je frappe ce porc, et frappe d’autant plus dur que tu as plus de pouvoir et de force. A peine a-t-il parlé, que de sa pierre il assomme le porc[133]. Ainsi, à l’époque homérique, dans le cérémoniel des traitée publics ou privée, le sacrifice et la libation ont pour raison d’être le serment préalable.

On prête serment debout[134], les yeux au ciel[135], les mains tendues vers Zeus[136]. Lee dieux sont pris à témoins : les parties se donnent réciproquement des sûretés[137]. La paix, quelle qu’elle soit, est placée sous la protection de puissances vengeresses[138]. Peuples et individus font appel aux divinités. J’atteste d’abord Zeus, le plus puissant des dieux et le meilleur, puis Gê et Hélios. Voilà les premiers mots d’Agamemnon, au moment où il va se réconcilier avec Achille[139] ou s’engager avec les Troyens[140]. Formule qui servait déjà aux sociétés primitives, quand on jurait par l’air, la terre et le soleil, et qui consacra toujours en Grèce les contrais privés, les engagements politiques et les traités internationaux[141] ; formule qui, par conséquent, révèle clairement l’identité primitive du droit civil et du droit des gens. A l’auguste triade on joint, il est vrai, dans la φιλότης homérique les Erinyes[142]. Celles-ci ne sont plus guère invoquées dans les actes publics de la belle époque[143]. Mais alors on les retrouve, à Athènes, dans la procédure spéciale aux affaires de sang. Devant leur autel, les cieux parties prêtent le plus redoutable des serments[144] ; en leur présence, l’accusé que l’Aréopage a déclaré innocent se réconcilie avec le mort qui l’a poursuivi par erreur[145] ; l’auteur d’un homicide involontaire, quand il revient d’exil, les apaise par un sacrifice[146]. Dans ces cérémonies, les Erinyes ne sont plus seulement, comme aux temps épiques, les puissances qui sous terre font expier aux hommes les faux serments ; il n’en est pas moins remarquable qu’elles gardent leur place dans les formalités de l’αΐδεσις historique.

Le sacrifice nécessaire pour le serment de paix présente certaines particularités. Sur le choix des victimes les renseignements donnés par l’Iliade ne concordent pas. Les Grecs et les Troyens offrent deux agneaux blancs à Zeus et à Hélios, une brebis noire à Gê[147]. Agamemnon offre un verrat, quand il se réconcilie avec Achille[148], de même qu’Héraclès, quand il se réconcilie arec les fils de Nélée[149]. Les traités privés se distinguent donc des traités internationaux par le nombre des victimes et leur espèce. Il en faut plus pour deux peuples que pour deux particuliers. Riais, dans l’un et l’autre cas, la partie offensée contribue pour une moindre part aux frais ou n’y contribue pas. Les Troyens amènent deux victimes sur trois, les Grecs une seule. Achille laisse toute la charge du sacrifice à Agamemnon.

La chair de la victime n’était pas mangée. C’était une loi religieuse, nous dit Pausanias[150], qu’une victime sur laquelle avait été prêté serment ne pût servir à l’alimentation d’un homme. Cette chair maudite, cette chair corrompue par les imprécations qui avaient passé sur elle, il n’y avait qu’à la détruire. Priam remporte à Troie les cadavres des agneaux, pour les enfouir[151]. Après le serment d’Agamemnon et d’Achille, le héraut Talthybios jette à la mer le verrat immolé[152]. On songe à ces masses de fer que les Phocéens[153] ou les représentants d’Athènes et de l’Ionie[154] lanceront dans les flots pour se donner un gage d’union éternelle. La terre ni la ruer ne rend ce qu’elle u englouti, Symbole des oublis définitifs et des engagements irrévocables.

Certaines libations se font dans Homère avec du vin étendu d’eau[155], mais non pas les libations sacramentaires. Celles-là sont des σπονδαί άκρητοι[156], dont le vin sans mélange est à peine potable[157]. On pourrait s’y tromper toutefois. En préparant le sacrifice offert conjointement par les Grecs et les Troyens, les hérauts, dit le poète, όρκια πιστά θεών σύναγον, κρητήρι δέ οΐνον μίσγον[158]. Mais le Scoliaste nous avertit que l’opération dont il s’agit consiste à mélanger des vins différents (μιγνύναι), et non pas à mêler de l’eau à du vin (κεραννύναι). Les hérauts versent dans le même cratère le vin qu’a envoyé chercher Agamemnon et celui que Priam vient d’apporter sur son char[159], ainsi qu’ils réunissent en un lot (σύναγω) les deux agneaux des Troyens[160] et celui des Grecs[161]. Les peuples contractants, et par suite les individus, font comme les Ioniens dans leurs grandes assises, quand, pour renouveler leur alliance, ils verseront dans le cratère commun le vin de chaque cité[162]. La coupe avec laquelle on puise dans le cratère ainsi rempli, nous en savons le nom : Aristophane le fait figurer dans une parodie de pacte international, et il l’appelle le calice de la φιλότης, κύλιξ φιλοτησία[163].

A un moment[164], les contractants se donnent la main, en signe de réconciliation. La paumée est le symbole obligé de tout accord pour la race aryenne[165]. Chez les Grecs, cette coutume est si antique et si générale, qu’on a pu en faire dériver le nom même des contrats, συνθήκη[166]. Les poèmes homériques la montrent en pleine vigueur. Elle confirme les promesses, garantit les engagements et, fixant l’authenticité des paroles prononcées, tient lieu de seing et de signature[167]. Avant de partir pour l’armée, Ulysse fait ses recommandations à sa femme ; pour plus de solennité, il lui prend la main droite. Quand l’ombre de Patrocle implore Achille, elle veut compte gage un serrement de main[168]. Ce geste oblige l’homme qu’il désigne comme exécuteur testamentaire[169]. Mais c’est surtout dans la conclusion d’une φιλότης que la formalité des mains jointes a une haute signification. Elle déclare bons et valables les traités d’alliance et les trêves[170]. Quand, sur le champ de bataille, Diomèdes et Glaucos renouvellent un pacte d’amitié, pour le faire connaître de tous[171] et le rendre inviolable, ils se serrent la main[172] en échangeant leurs armes[173]. Recevoir un hôte (δέχισθαι)[174], c’est lui tendre la main droite (δεξία, δεξιτερή)[175], pour le saluer et lui prendre sa javeline[176] ; cette cérémonie préliminaire est une garantie de paix. Toute réconciliation est scellée par une poignée de main.

Enfin, les cérémonies religieuses ont pour complément un festin. Le repas de paix est une institution universelle, et qui persiste surtout après les affaires d’homicide[177]. La légende la fait connaître en Grèce, comme l’épopée. Les tragiques retins offerts par Atrée à Thyestes[178] et par Ixion à Deioneus[179] étaient des festins de réconciliation. Dans l’Iliade, quand Ulysse explique à Achille ce qu’il est en droit d’attendre d’Agamemnon, il dit : Ensuite (après le serment), il t’offrira sous sa tente un plantureux festin de réconciliation, pour que la satisfaction obtenue soit complète[180]. Dans l’Odyssée, les litiges des particuliers se vident définitivement dans des banquets où sont invités les juges et arbitres[181].

Dans les cérémonies de la φιλότης homérique, chaque détail fait donc ressortir le caractère juridique de ce contrat pissé par devant les hommes et les dieux ; chaque geste, chaque mot établit un rapport entre les traités privés et les traités publics. Mais ces cérémonies, il ne faudrait pas leu expliquer par des idées trop modernes. C’est dans le passé, non dans l’avenir, qu’on en trouve le sens profond. Elles ont un objet étroitement approprié à la φιλότης stricte des temps primitifs.

Avant de solenniser le serment et de symboliser l’imprécation, le sacrifice (avec la libation) a été une communion. Quand les membres du groupe offraient un sacrifice entre eux, ils se mettaient en rapport avec l’ancêtre dont ils étaient la prolongation naturelle : ils lui offraient du sang, principe de la vie, âme de la chair, et le sang qu’ils lui offraient, c’était le leur, qui était le sien, et seulement par substitution le sang d’une bête ou du vin[182]. Le sacrifice offert par deux hommes appartenant à des groupes différents ne peut donc se comprendre, à l’origine, que s’il a pour objet de faire entrer l’un de ces hommes dans le groupe de l’autre. C’est la fraternisation par le sang, le blood-covenant[183]. Cette communion, les Hellènes l’ont certainement pratiquée sous sa forme la plus ancienne : les contractants mêlaient leur sang, pour se créer matériellement une consanguinité. Partout où des Grecs se trouveront en contact avec des voisins plus lents à se civiliser, ils n’auront pas de peine à revenir à la coutume de leurs aïeux[184]. La signe d’alliance, des mercenaires grecs boiront allègrement du sang humain mêlé de vin et d’eau[185], ou tremperont leurs épées dans un bouclier rempli de sang[186]. Eschyle pourra représenter les héros de la légende plongeant la main dans le sang d’une victime[187] : il ne choquera pas ses concitoyens, chez qui de deux souvenirs étaient peut-être ravivés par le spectacle de leurs archers scythes[188]. C’est donc par le dogme de la communion que doivent s’expliquer les rites de la φιλότης homérique. Vivez ce qu’un fait des poils coupés sur la tête de la victime en guise de prémices[189]. Dans un sacrifice ordinaire, un seul homme les lient entre les doigts, en disant la prière, et les jettes au feu, la prière dite[190] ; dans le sacrifice sacramentaire, ils sural distribués entre tous les assistants[191]. On reproduit le même symbole dans la libation, lorsqu’un mêle autant de vins différents qu’il y a de parties contractantes. Sang, poil ou vin fournissent de quai fraterniser : une victime et un cratère changent des ennemis en parents.

Le festin de réconciliation a le même but. Entre personnes qui mangent et boivent ensemble s’établit un lien sacré. Le blood-covenant s’achève par le bound of food. Plutarque raconte à ce sujet une vieille histoire. Au temps où la Mégaride était habitée κατά κώμας et où la guerre se faisait συγγενικώς, quiconque avait fait un prisonnier l’emmenait dans sa maison, communiait avec lui par le sel et la table[192], puis le relâchait : le δορύξενος, l’hôte conquis par la lance, était lié envers son libérateur d’une éternelle amitié[193]. Les formules de seraient rappelleront toujours aux Grecs que le pacte d’hospitalité, véritable traité d’alliance, eut jadis pour condition essentielle la clause de la table et du foyer[194], du sel et de la table[195]. L’idée primitive demeure donc plus visible encore dans le repas de paix que dans le sacrifice. Et, si l’on communiait devant l’autel parle sang et le vin, dans la cène aussi l’an communiait sous les deux espèces ; on faisait circuler parmi les convives le calice de paix, la κόλιξ φιλοτησία[196].

Ayant pour but primordial de créer une parenté factice, les formalités de la paix privée ressemblent à celles de l’adoption et du mariage. Ces institutions ne présentaient, à l’origine, aucune différence de nature ; comment auraient-elles comporté une différence sérieuse de cérémonial ? Chez bien des peuples, il faut, pour qu’une vendetta se termine, que l’offenseur se fasse adopter par la famille offensée. Il se met en sûreté en se faisant recevoir dans le groupe ennemi. Le meurtrier prend ainsi la place du mort, chez des gens aussi étrangers les uns aux autres que les Peaux-Rouges et les Kabyles[197]. Chez les Ossètes, une mère n’hésite pas à reconnaître comme fils celui qui l’a privée d’un fils, et l’épouse adultère aide le mari outragé à recevoir satisfaction, en offrant son sein à la bouche de son complice, qui devient son enfant[198]. Cette formalité bizarre qui consiste à faire presser un homme sur la poitrine nue d’une femme afin de simuler son enfantement et d’établir sa nouvelle filiation[199], cette adoption in cubiculo[200], a laissé des traces dans la légende hellénique. La réconciliation d’Héraclée avec les dieux est une apothéose, tout simplement parce qu’elle est une adoption selon le rite olympique. Zeus persuada Héra d’adopter Héraclès et de lui témoigner dorénavant l’affection d’une mère. La parturition fut figurée, dit-on, de la façon suivante : Héra monta sur un lit, approcha de son corps Héraclès et le fit glisser le long de ses vêtements jusqu’à terre. Ce simulacre d’accouchement est encore chez les barbares la procédure de l’adoption[201]. L’adoption expiatoire ne semble pas, au premier abord, avoir doré longtemps en Grèce ; mais, en réalité, elle y a persisté sous une forme qui en diffère moins qu’on ne croirait, la servitude pénale. Une observation de Kovalewsky comble le fossé entre les deux institutions ; chez les Ossètes, nous dit-on, le meurtrier est adopté par la famille de sa victime, sous la condition de ne pas venir à la succession de l’adoptant[202]. Cette adoption onéreuse crée à peu près la même situation que l’esclavage, dans une société simple comme la société homérique, où l’esclave attaché à la maison est traité avec douceur et fait partie de la famille[203].

L’affinité aussi est une parenté artificielle : la paix pouvait donc se sceller par un mariage comme par une adoption. Dette solution eut, même longtemps l’avantage de faciliter les règlements de comptes, puisqu’elle permettait, à l’époque où toute femme avait une valeur vénale, de donner comme ποινή une fille ou une sœur. Mais là n’était pas le but primitif, l’objet essentiel et durable du mariage par réconciliation. La preuve, c’est que ce genre de mariage pouvait se conclure sans qu’il y eût ni offenseur ni offensé formellement reconnu, et que la femme pouvait même être fournie par la partie offensée. Héra, devenue la mère adoptive d’Héraclès, lui fait épouser sa fille Hébè[204]. Arès retient huit ans en captivité Cadmos, le meurtrier de son fils, après quoi il l’unit à sa fille Harmonia[205]. Harmonia, ce nom symbolise bien l’épousée dont le festin nuptial est un festin de réconciliation. Toute question de sentiment à part, elle est un όρκιον πιτόν, un gage du l’union jurée[206].

Ainsi, les cérémonies auxquelles donne lieu, dans les temps homériques, un contrat de paix s’identifient tout ensemble aux solennités qui consacrent les traités internationaux et aux formalités qui président à l’entrée d’une personne dans une nouvelle famille. Soit qu’on analyse les caractères essentiels de la φιλότης, soit qu’on en examine la procédure, la même conclusion s’impose : pour qu’une guerre privée se termine selon les formes, il faut que la famille offensée consente à ne plus voir en l’offenseur un ennemi, c’est-à-dire un étranger, qu’elle le reçoive dans la communauté des amis et des parents, en un mot, qu’elle l’admette à communier avec elle à la face des dieux.

 

 

 



[1] Dareste, Ét. d’hist. du dr., p. 64.

[2] Grégoire de Tours, Hist. des Francs, VII, XLVII ; Formules de Marculfe, l. II, n° 18 (de Rozière, n° 511 ; cf. n° 466-470, 310). Voir Thonissen, Le dr. de veng. dans la lég. mérov., dans les Comptes rendus de l’Ac. des sc. mor., 1879, p. 45-46 ; G. Monod, Les avent. de Sichaire, dans la Rev. hist., XXXI (1886), p. 284-285 ; Fustel de Coulanges, Rech. sur quelque probl. d'hist., p. 480-485, 489 ; La monarchie franque, p. 491, 504-506.

[3] Defacqz, p. 90 ss. ; Kœnigswarter, p. 101 ; A. Giry, Hist. de la ville de Saint-Omer, p. 193 ; P. Dubois, p. 212 ss.

[4] Frauenstädt, Todtschlegühne, p. 22-23 ; R. His, p. 129-164, 214 ss.

[5] Miklosich, p. 194-196.

[6] Miklosich, p. 196-199.

[7] Post, Geschlechtsgenoss., p. 167 ; cf. Studien, p. 135-137. Voir les traités, extraite des Gràgàs, que donne A. du Boys, Hist. du dr. crim. des peuples mod., I, p. 89-91.

[8] Miklosich, p. 166.

[9] Paul Bourde, p. 151-153, a publié le texte complet d’un de ces traités. Cf. Feydel, p. 71-15.

[10] Voir le journal le Temps du 31 janv. 1803. Cf. Vialla de Sommières, I, p. 338-353. Miklosich a publié des documents de paix provenant de Cattaro (p. 190-194) et d’Albanie (p. 199-202). Autres exemples contemporains chez les peuples du Caucase (voir Dareste, Nouv. ét., p. 236 ; C. Hahn, Aus dem Kaukasus, Leipz., 1892, p. 229).

[11] Ainsi s’explique que les deux personnages représentés sur le bouclier d’Achille se prennent de querelle pour une ποινή. Cf. Iliade, XXII, 351.

[12] C’est Plutarque, Thésée, 30, qui raconte le mieux la réconciliation de Pirithoos et de Thésée (cf. Soph., Œdipe Col., 1594 ; Pausanias, I, 18, 4). L’Hymne à Hermès, 518 ss., donne quelques précisions sur la réconciliation d’Hermès et d’Apollon.

[13] Pausanias, IV, 15, 8, cette tradition ne remonte par à l’âge homérique : on n’avait pas encore inventé le meurtre de Nélée par Héraclès (Iliade, XI, 683 ; cf. Lehrs, De Aristarchi stud. hom., 3e éd., p. 184). Mais il semble, d’après Pausanias, que l’anecdote était déjà populaire lors des guerres de Messénie. Avec d’autres noms, elle pouvait l’être de temps immémorial.

[14] Odyssée, XXIV, 478, 483-486, 543, 546.

[15] Voir, par exemple, Odyssée, l. c., 476. Nous disons, de même, une paix pour un traité de paix.

[16] Iliade, X, 114 ; XIV, 210 ; XVIII, 386, 425 ; XIX, 191, 234 ; Odyssée, V, 88 ; VIII, 21-22 ; XI, 360 ; Hymnes à Hestia et Hermès, 9 ; cf. Iliade, III, 172 ; VIII, 544-545.

[17] Iliade, XXIV, 111 ; XIV, 503.

[18] Iliade, XIV, 388.

[19] Hospitalité (Iliade, XIV, 388, 505 ; XIX, 191, 254 ; cf. VIII, 544-545), bonnes relations entre hommes (Odyssée, V, 88 ; VIII, 21-22 ; XI, 360 ; cf. Iliade, III, 172) ou entre divinités (Iliade, XIV, 210 ; XVIII, 386, 425 ; XXIV, 111 ; cf. Hymne à Hestia et Hermès, 9).

[20] On trouvera d’innombrables exemples dans le Lex. hom. d’Ebling, aux mots φίλοι, φιλεΐν, φιλότης. Les φίλοι sont distingués des έταΐροι dans Odyssée, I, 237-239, comme le remarquent les scoliastes. Ailleurs (Iliade, III, 163), les parents sont seuls φίλοι, par opposition aux alliée ou πηοι, mais on voit par des cas nombreux qu’une assimilation familière aux Grecs a étendu le sens du mot à tous ceux qui sont unis par le sang, par alliance ou par tout autre lien social on moral (cf. Iliade, III, 172).

[21] Odyssée, IV, 475 ; V. 41, 114 ; VII, 76 ; IX, 532 ; VIII, 101, 2051 ; XIII, 43. Voir encore le cas de Lycaon dans Iliade, XXI, 45.

[22] C’est l’explication du scoliaste pour Odyssée, II, 164.

[23] Odyssée, XIV, 137-138.

[24] On n’admet plus les étymologies proposées par Pott, Etym. Forsch., I, I, p. 581 ss. ; Bopp, Gloss. comp. ling. sanscr., 3e éd. ; Fick, dans la Zeitschr. f. vergl. Spachforssh., XVIII (1869), p. 413 s. ; Vergl. Wörterb., 2e éd., p. 130. Il a été établi par Bugge, dans la Zeitschr. f. vergl. Sprachforsch., XX (1871), p. 42 ss., et G. Curtius, dans les Studiens, VI (1873), p. 426-431, que φίλος est à l’origine un adjectif possessif. Cf. Vanicek, Gr.-lat. etym. Wörterb., p. 1035 ; Brugmann, Morphol. Untersuch., IV, p. 228-229. Voir aussi J. et Th. Baunack, Stud. auf dem Gebitte d. Ur. und d. ar. Sprach., I, p. 46 : leur explication, qui rapproche αφ-ίλο-ς de civis pour la forme et de γένος pour le sens, s’accorde très bien encore avec les idées que nous développons.

[25] Cf. ce que dit G. Curtius, l. c., p. 424-427.

[26] L’adjectif φίλος détermine le cœur et l’esprit (κήρ, ήτορ, θυμός), les parties du corps (γυΐα, γούνατα, λαιμός, βλέφαρα), la maison (δώμα), les vêtements (εΐματα), le lit (δέμνια), la terre natale (πατρίς αΐα). Biens et famille, tout cela est dans ces mots : εΐ πού τοι φίλον έστίν (Odyssée, VII, 334 ; X, 44).

[27] Iliade, IX, 146-147 ; cf. 397.

[28] Iliade, IX, 450 ; Odyssée, VIII, 309 ; XVIII, 325 ; VIII, 316. C’est ainsi que dans Eschyle, Suppl., 39, σφετερίξειν signifie épouser.

[29] Iliade, VI, 224 ; Odyssée, I, 158, 313 ; VIII, 808 ; XII, 191, 240, 254, 350-351 ; XXI, 40. Dans Euripide (Phén., 1445), Polynice appelle φίλος Etéocle qu’il vient de tuer.

[30] Iliade, VI, 18 ; XIII, 627 ; Odyssée, I, 123 ; IV, 29, 171 ; V, 435 ; VII, 33, 257 ; VIII, 42 ; X, 14 ; XII, 450 ; XIII, 206 ; XIV, 128, 388 ; XV, 70, 74, 201, 281, 303, 545 ; XVII, 56, 112.

[31] Eustathe, p. 1399, 17 ; 1799, 51 ; cf. Lahrs, op. cit., p. 148. Les dons de l’hospitalité sont des φίλα δώρα (Odyssée, XII, 41), expression identique à φιλότητά τε πολλά τε δώρα (XV, 537 ; XVII, 164 ; XIX, 310 ; cf. XV, 158-159) et expliquée par φίλα δώρα τά οί δίδομεν φιλίοντες (VIII, 545).

[32] Iliade, III, 354 ; Odyssée, XV, 55 ; cf. Odyssée, XIV, 505 ; XV, 197.

[33] Iliade, III, 207 ; Odyssée, XIV, 322 ; XIX, 194-195 ; XXIV, 271-272. Cf. φιλόξεινος (Odyssée, VI, 121 ; IX, 176 ; XIII, 202).

[34] Iliade, XXIV, 300, et la scolie. On est chéri d’un dieu quand on fait partie de sa clientèle, et, pour obtenir de lui être ainsi φίλος, il faut lui consacrer les offrandes qui lui reviennent, qui lui sont φίλα (Iliade, XXIV, 67-66 ; cf. Odyssée, XIII, 41).

[35] C’est parce que le verbe φιλέω imprime souvent un état plutôt qu’un acte qu’il est employé comme verbe neutre à sens passif (voyez Iliade, VI, 360 ; IX, 486, 614, ; XVIII, 126 ; XXII, 265 ; Odyssée, I, 264 ; III, 221 ; IV, 179 ; VIII, 208, 316, 545 ; XV, 70 , XVIII, 325).

[36] Il n’y a plus φιλότης, quand l’on empiète sur le droit de l’autre. C’est cette transgression qui est l’όβρις (όπέρ). Cf. Pott, op. cit., I, I, p, 414 ; G. Curtius, Grundzüge, 5e éd., p. 860 ; L. Lange, dans la Zeitschr. f. die österresich. Gymn., 1863, p. 301.

[37] Iliade, XXIV, 309, et la scolie : τό μέν φίλον πρός τό μή τι παθεΐν.

[38] Suum cuiqus, tel est le principe de la φιλότης homérique. C’est aussi le principe du juste, d’après Aristote. Aussi la meilleure explication de la φιλότης est-elle peut-être le passage de la Morale à Nicomaque (V, 4, 8-12) où est défini le δίκαιον. La justice, donc la φιλότης juridique, a pour principe l’égalité proportionnelle (τό κατ' έξίαν ΐσον) ; la φιλία sentimentale a pour principe l’égalité arithmétique (τό κατά ποσόν ΐσον). D’après Aristote, le φιλεΐν comporte deux degrés : la φίλησις, qui a pour objet une chose, et la φιλεΐν, qui a pour objet une personne. Entre les deux il faudrait placer la φιλότης, parce que des deux conditions supposées par la φιλίς (l’άντιφίλησις et la βούλησις άγαθοΰ) elle ne réalise qu’une, l’άντιφίλησις, d’où résulte l’ίσότης.

[39] Aux yeux des Grecs, les véritables traités sont les traités équitables, έπί τοΐς ΐσοις καί όμοίοις (cf. Lécrivain, art. Fœdus, dans le Dict. des ant., p. 1199). Le fondement de l’amitié durable entre deux républiques est toujours censé être la parenté. Qu’on voie, par exemple, les documents qui confirment à la ville de Téos son droit d’asile : partout les Téiens sont nommés amis et parents de père en fils ; partout sont invoqués des souvenirs d’affection et d’ancienne parenté (Lebas-Waddington, n° 64-67, 70, 71, 73-78, 80, 83, 84, 85). Les Athamanes, en particulier, entretiennent de bons rapports avec tous les Hellènes, étant parents du chef dont le nom a passé à leur commune famille. Il suffit à des Grecs d’apaiser leurs inimitiés pour réveiller le souvenir de la parenté qui les unit et prendre des sentiments de bienveillance mutuelle (Isocrate, Panég., 43).

[40] Aristote dit avec précision (l. c.), όταν δέ μήτι πλίον μήτ' έλυττον, άλλ' αύτά δι' αύτών γένηται, τά αύτών φασιν έχειν. Id., ibid. : τό ϊσον έχειν καί πρότερος καί ϋστερον.

[41] On trouvera les termes dont la φιλότης est la simple négation dans Iliade, III, 354, 454 ; VII, 301 ; IX, 614 ; XVI, 282 ; XXII, 264 ; Odyssée, IV, 692 ; XV, 71 ; XXIV, 474 ; Iliade, IV, 15, 82 ; Hésiode, Œuvres et jours, 340 ; Empédocle, 40 ; Solon, XIII (IV), 5 (Bergk, II, p. 41 ss.).

[42] Iliade, III, 94, 73, 256, 323 ; IV, 15, 83.

[43] Iliade, VII, 302.

[44] Iliade, XXII, 249-272.

[45] Iliade, XXII, 185.

[46] Iliade, XXII, 233.

[47] Iliade, XXII, 255.

[48] Iliade, XXII, 201 ; cf. Théognis, 284. Homère dit encore συνθεσία (Iliade, II, 339) ou ρήτρα (Odyssée, XIV, 393 ; cf. Michel, n° 1, 2, 194, 195 ; Xénophon, Anabase, VI, 6, 28 ; Elien, Hist. var., X, 18).

[49] Iliade, XIX, 191.

[50] Iliade, XVI, 294.

[51] Odyssée, XXIV, 475.

[52] Odyssée, XXIV, 483. Cf. 546.

[53] Odyssée, XXIV, 478 : φιλότητα μετ' άμφοτέροισι ; 485 : τοί δ' άλλήλους φιλεόντων. Les mêmes mots désignant tantôt la lutte entre Ulysse et les parents des prétendants tués, tantôt la lutte entre les Grecs et les Troyens (Odyssée, XXIV, 475 ; Iliade, IV, 15, 82), et ces mots, dans les deux cas, sont mis en opposition avec la φιλότης. De même, les vers où Athéné demande a Zeus si la guerre privée ne doit pas cesser dans Ithaque sont presque identiques à ceux où les combattants se demandent devant Troie si Zeus exige la continuation de la lutte.

[54] Odyssée, XV, 198-197. D’où ξείνος πατρώΐος (Iliade, VI, 491 ; Odyssée, I, 135, 187, 417 ; XVII, 522). ξεΐνος πατρώΐος παλαιός (Iliade, VI, 215). Dans ce dernier passage, une convention d’hospitalité entre une famille d’Argos et une famille de Lycie oblige les petits-fils des contractants. Ils la renouvellent, lorsqu’ils se retrouvant en pleine mêlée dans des rangs opposés.

[55] Platon, Lois, VI, p. 737 A ; Aristote, Mor. à Nicom., VIII, 5, 5 (7, 2) ; IX, 8, 2 ; cf. VIII, 7 (8), 2 ; 8, 5 (10, 2).

[56] Voir Dugas, L’amitié nat., p. 282-292, 24-27.

[57] Le proverbe grec aura pour équivalent le proverbe français qui se ressemble s’assemble, mais il rend d’abord cette idée fruste : Les bons comptes font les bons amis.

[58] Diogène Laërce, VII, 1, 10. Cependant, en examinant l’idée de justice, les pythagoriciens arrivent, sans s’en douter, à l’explication du proverbe cité par Plutarque (Isis et Osiris, 75, p. 382 A).

[59] Xénophon, Mémorables, II, 4, 4 ; 6, 23 ; Platon, Crit., p. 44 B, 45 A-B ; Lysistrata, p. 207 C.

[60] Aristote, Const. des Ath., 38-40 ; Michel, n° 356, l. 20, 28.

[61] Cf. Egger, p. 9.

[62] Aristote, op. cit., 39, 40 ; Lysias, C. Agor., 88-90 ; C. Andoc., 37-39 ; XXV, 23, 28, 31 ; Isocrate, C. Callim., 2-3, 20-30, 34-33, 42-47.

[63] Lysias, C. Agor., 80 ; Isocrate, l. c., 17, 23, 31 ; Andocide, Sur les myst., 90 ; Michel, l. c. ; cf. Xénophon, Helléniques, II, 4, 38 ; (Lysias), C. Andoc., 39.

[64] Les exceptions stipulées dans l’arrangement de 403 entre Athènes et le Pirée ne purent pas être invoquées valablement par Agoratos contre un accusateur appartenant au même parti (Lysias, l. c., 89-90).

[65] Isocrate, l. c., 25, 30 ; Andocide, l. c., 107 ; Thucydide, IV, 73.

[66] Andocide, l. c., 40-91 (cf. 147) ; Aristote, l. c., 39 ; Xénophon, l. c., 42 ; Lysias, C. Agor., l. c. ; C. Andoc., 39 ; XXV, l. c. ; Isocrate, l. c., 2, 4, 21, 24-26, 34 ; Eschine, C. Ctés., 208. Ces serments accompagnés de sacrifices donnent son véritable caractère à un décret de Cyzique qui date du VIe siècle (Michel, n° 532) : c’est un traité de pacification intérieure conclu entre la cité et une famille de citoyens.

[67] Aristote, l. c., 40 ; Xénophon, l. c., 43 ; Michel, l. c., l. 31.

[68] Aristote, l. c. ; Andocide, l. c., 108-109 ; Isocrate, l. c., 44 ; Lysias, XXV, 27, 30 ; Michel, n° 358, l. 30 (Cf. n° 19, l. 64-65).

[69] Isocrate, l. c., 23.

[70] Xénophon, l. c., 38 Aristote, l. c., 39 ; Diodore, XVIII, 56, 4.

[71] Xénophon, l. c., 43 ; Isocrate, l. c. ; Diodore, l. c. ; Aristote, l. c. ; Michel, n° 356, l. 23-25.

[72] Isocrate, l. c., 24, 27-28.

[73] Isocrate, l. c., 28.

[74] Le premier exemple du mot άμνηστία se trouve dans Plutarque, Préceptes pour gouv. la rép., XVII, 8, p. 814 B. Cependant on a conclu d’un passage de Cicéron (Phil., I, 1) et de l’expression legem oblivionis employée par Cornelius Nepos (Thrasybule, III, 2) qu’un historien ancien a dû mentionner un décret d’άμνηστία voté après le retour de Thrasybule. C’est à Ephore qu’on a voulu faire remonter, avec la responsabilité du renseignement fourni par Cicéron et Cornélius Nepos, le premier emploi du mot άμνηστία (cf. von Leutsch, dans le Philol., XXIV, 1866, p. 453). Mais pourquoi les textes latins, lors même qu’ils auraient Ephore pour source certaine, ne feraient-ils pas supposer dans l’original μνησικακεΐς ?

[75] Eschine, C. Ctésiphon, 208 ; cf. L. Schmidt, II, p. 316-318.

[76] Hérodote, VIII, 29 ; cf. Démosthène, P. la cour., 99, 101. Nulle part le principe de l’amnistie n’est mieux expliqué que dans ce passage d’un traité de sympolitie conclu entre Smyrne et Magnésie du Sipyle (Michel, n° 19, l. 41-43) : Tous les griefs nés entre eux au temps de la guerre seront éteints, et il ne sera permis ni aux uns ni aux autres de poursuivre le redressement de ces griefs formés à l’occasion de la guerre, ni par les voies de la justice ni de quelque autre manière : que si on l’entreprend, toutes les poursuites que l’on fera seront nulles et de nul effet (trad. par Egger, p. 113), Il est encore dit dans la formule du serment à prêter de part et d’autre (l. 64-65, 66-67, 76) : Je vivrai avec ceux à qui je m’unis par une communauté de droits en bonne concorde et sans trouble. Je ne ferai aucun mal ni aucun tort à personne et j’empêcherai de tout mon pouvoir qu’aucun autre ne le fasse.

[77] Thucydide, IV, 74.

[78] Thucydide, VIII, 73.

[79] Diodore, XVIII, 56, 4.

[80] Xénophon, Anabase, II, 4, 1.

[81] Andocide, l. c., 107-108 ; cf. Aristote, l. c., 222 ; Plutarque, Aristote, 8.

[82] Aristote, l. c., 39 (cf. 40) ; Xénophon, Helléniques, II, 4, 13 ; Andocide, l. c., 81, 90-91 ; Lysias, XXV. 23 ; Isocrate, C. Callimaque, 3, 23, 46 ; Eschine, Sur la fausse ambassade, 176 ; C. Ctésiphon, l. c.

[83] Aristote, l. c., 40 ; Andocide, l. c., 79 ; Lysias, c. Andocide, 39 ; XXV, 38  ; Isocrate, l. c., 42. Voir Goldstaub, De άδείας notione et usu in jure publ. att., diss. III, Vratisl., 1888, p. 5.

[84] Sur la proposition d’Archinos, le Sénat fit périr sans jugement un individu qui avait osé, après 403, remuer le passé (Aristote, l. c. ; Isocrate, l. c., 23).

[85] Iliade, IX, 646-647.

[86] Iliade, XIX, 65 (cf. XVIII, 112 ; IX, 260). C’est l’expression d’Andocide, l. c., 81.

[87] Iliade, XIX, 66 ; cf. XVIII, 113.

[88] Iliade, XIX, 67.

[89] Il y a plus qu’une analogie lointaine entre la réconciliation qui s’opérait après la guerre privée et la poignée de main qui se donne encore après le duel : les adversaires déclarent l’honneur satisfait et l’affaire close.

[90] Odyssée, XXIV, 885. Cf. XI, 554 : λήσεσθαι χόλου. Le nom de φόνοιο έκλησις semble consacré, on dirait presque technique. Il a la même valeur concrète que ceux d’όρκια et de φιλότης, donnés à la même cérémonie. Il est à remarquer que dans les trois phrases où Homère parle de la réconciliation après homicide, il emploie successivement les trois substantifs avec le même verbe : έκλησιν θέωμεν (485), φιλότητα τίθησθα (476), όρκια έθηκεν (546).

[91] Iliade, IX, 635-636.

[92] Iliade, XIX, 35, 75 : μήνιν άποειτών, d’où le titre donné au chant, Μήνιδος άπόρρησις. Voir l’expression précise, celle qui passera dans le langage des codes archaïques : à Gortyne et à Sparte, elle désignera la rétractation d’adoption ou le désaveu de paternité (loi de Gortyne, XI, 11-12 ; Hérodote, I, 59, cf. Schulin, Das gr. Test. verglichen mit den röm., Basel, 1882, p. 36). Les autres expressions ne sont que des équivalents : μεταλλήξαντι χόλοιο (Iliade, IX, 157, 261, 299), μεθίμεν χόλον (I, 283 ; cf. Odyssée, I, 77-78), μήνιν άπορρίψαντα (Iliade, I, 517), μηνιθμόν άπορριψαΐ (XVI, 282), έκ χόλον..... μεταστρέψη φίλον ήτορ (X, 107).

[93] Iliade, XXII, 263.

[94] (Andoc.), Sur la paix, 11. Eschine parle en termes presque identiques dans son discours Sur la fausse ambassade, 176.

[95] Dans Homère, l’είρήνη, ce n’est jamais un traité de paix, mais la tranquillité qui résulte de la paix durable, le temps où l’on peut écouter les longs discours des vieillards (Iliade, II, 796-797), où l’on amasse du bien (IX, 401-403), où les femmes peuvent sans crainte aller aux fontaines voisines (XXII, 153-156). En un mot, l’είρήνη est, avec la richesse, la conséquence de la φιλότης (Odyssée, XXIV, 485-486).

[96] La différence entre les trêves et les paix privées est très nette dans notre Moyen Age. Elle est précitée avec soin par Espinas, surtout p. 418 ss.

[97] Odyssée, XXIV, 543.

[98] Odyssée, XXIV, 485-486.

[99] Iliade, III, 69-73, 90-94, 255-256, 281-291 ; VII, 350, 391.

[100] Il dit όρκια (Iliade, III, 105, 107, 299 ; IV, 67, 72, 155, 236, 269, 271 ; cf. III, 268), όρκιε πιστά (Iliade, III, 532, 280 ; IV, 153 ; VII, 351 ; cf. III, 245).

[101] Φιλότητα καί όρκια πιστέ (Iliade, III, 73, 94, 256, 323), φιλότητα (Iliade, IV, 16, 83).

[102] Iliade, IX, 112-113, 120 ; XIX, 138 ; Odyssée, VIII, 396-391, 415. Άρέσκω exprime tantôt l’une de ces idées (Iliade, IV. 342 ; VI, 526 ; IX, 120 ; XIX, 138), tantôt l’autre (Iliade, IX, 112 ; XIX, 179 ; Odyssée, VIII, 396, 402, 415 ; XXII, 55).

[103] Odyssée, VIII, 159-164, 179, 396-416 ; Cf. Iliade, IV, 338-363 ; VI, 326-331, 526.

[104] Iliade, IX, 515-517.

[105] Iliade, IX, 112-113, 120 ; XIX, 138.

[106] Iliade, XIX, 146-150.

[107] Iliade, XIX, 140-144, 172-175, 249-250.

[108] Iliade, XVI, 282.

[109] Hymne à Hermès, 518-524. D’après cela, on peut dire que si le défendeur l’emporte, dans un cas comme celui qui est représenté sur le bouclier d’Achille, le demandeur devra lui donner décharge et lui promettre amitié.

[110] Odyssée, XXII, 44 ss.

[111] D’Arbois de Jubainville suppose une lacune, dans l’art. Orig. de la jurid. des druides et des filés (Rev. arch., III, 1884, p. 180) ; mais il croit une prétérition, dans les Et. sur le dr. celt., I, 161. La dernière hypothèse est la plus simple.

[112] Aristote, dans Plutarque, Quest. gr., 14, p. 294 C-D (F. H. G., II, p.147) ; cf. Dareste, Sc. du dr., p. 199-200 ; Bréhier, p. 61. Depuis quelques années, cette légende nous ait encore connue par Apollod., Epit., VII, 40.

[113] Odyssée, XI, 119-133. L’exil expiatoire d’Ulysse, à la recherche d’un homme qui prendra une rame pour une pelle à vanner le blé, devient le sujet principal dans les continuations de l’Odyssée, la Thasprotis et la Télégonie. Voir Apollod., l. c., 34 ss. Proclus, Chest., dans Photius, Bibl., p. 239 (Kinkel, Ep. gr. fragm., I, p. 57) ; cf. Svorouos, Ulysse chez les Arc., dans la Gaz. arch., XIII (1898), p. 262 ss. ; Fougères, Mantinée et l’Arc. or., p. 243 ss.

[114] 471, 483-486, 543, 546.

[115] IV, 15 s.

[116] Iliade, III, 85-120, 245-301.

[117] Voir quelques rapports indiqués par Lécrivain, art. Fœdus, dans le Dict. des ant., p. 1198.

[118] Iliade, XIX, 172-174.

[119] Iliade, XIX, 190-191.

[120] Iliade, XIX, 249.

[121] Iliade, XIX, 175, 190-191.

[122] Iliade, XIX, 253-256, 269.

[123] Odyssée, XXII, 55-58.

[124] Iliade, XVIII, 499-500.

[125] La publicité dans le paiement de la composition explique une loi que les Romains attribuaient à Numa et qui obligeait l’auteur d’un homicide par imprudence à remettre un bélier aux agnats de la victime : In Numæ legibus cautum est ut, si quis imprudens occidisset hominem, pro capite occisi agnatis ejus in concione offerret arietem (Servius, ad Ecl., IV, 43) Il est inutile de corriger in consione (comme le veut Laist, Gr-It. Rechtsgesch., p. 349 X50). Voir le commentaire de ces mots (Iliade, XIX, 172-174 ; cf. 34).

[126] Iliade, II, 124 ; III, 252 ; XIX, 191 ; Odyssée, XXIV, 483. Cf. Iliade, III, 103 ; IV, 155 ; III, 73, 94. 236.

[127] Iliade, III, 268-270 ; XIX, 250-251

[128] Théophraste, dans Stobée, Florilèges, XLIV, 22.

[129] Plutarque, Apophth. lac., Archid., p. 218 D ; Isée, Sur la succession de Ménèclès, 32, 38-40.

[130] Voir l’art. Jusjurandum, dans le Dict. des ant., p. 751-752. Lire aussi Renan, Histoire du peuple d’Israël, I, 53-54, cf. Polybe, III, 11, 7 ; Tite-Live, XXI, 1, 4.

[131] Iliade, III, 295-301 ; cf. IV, 162.

[132] Iliade, XII, 264-266.

[133] Tite-Live, I, 14 ; cf. IX, 5.

[134] Iliade, XIX, 175 ; cf. 269.

[135] Iliade, XIX, 287.

[136] Iliade, XIX, 234 ; III, 275 ; cf. Pindare, Ol., VII, 65.

[137] Voir l’art. Jusjurandum, l. c., p. 748. Lions-nous l’un à l’égard de l’autre, dit Hector à Achille, avec la garantie des dieux ; car ce sont les meilleurs témoins et surveillants des accords (Iliade, XXII, 254-255 ; cf. Odyssée, XIV, 393-394). Un Grec aurait pu dire comme cet Hébreu : Jahveh verra entre moi et toi, quand nous nous serons l’un et l’autre perdue de vue... Prends-y garde, c’est Elohim qui sera témoin entre moi et toi (Genèse, XXXI, 49-50, trad. Fr. Lenormant ; cf. XXVI, 78).

[138] Iliade, III, 280 ; cf. XIV, 274 ; Hésiode, Bouclier d'Héraclès, 20 ; Pollux, VIII, 105.

[139] Iliade, XIX, 258-259. Agamemnon jure pour confirmer une assertion relative au passé (261-263 ; cf. 176). Il est impossible cependant de ne pas reconnaître dans son serment le type de celui qui consacrait la φιλότης.

[140] Iliade, III, 276-278. Ici Agamemnon invoque les mêmes divinités, avec les Fleuves en plus.

[141] Voir l’art. Jusjurandum, l. c., p. 748, 750.

[142] Iliade, XIX, 259-260 ; III, 278-279.

[143] Voir cependant Michel, n° 10, l. 9.

[144] Voir la διωμοσία (Dinarque, C. Démosthène, 47 ; Antiphon, Sur le meurtre d’Hérode, 11).

[145] Pausanias, 1, 14, 1.

[146] Apoll. de Rhodes, IV, 715.

[147] Iliade, III, 103 ; cf. 119, 246, 273, 292, 310 ; IV, 168.

[148] Iliade, XIX, 197, 251 ss., 266.

[149] Pausanias, IV, 15, 8.

[150] Pausanias, V, 24, 10 ; cf. Schol. de l’Iliade, III, 10 ; XIX, 268. Cf. E. von Lasaulx, Ueb. die Gebete der Gr. und Röm., 1842, p. 10 ; Friedreich, p. 429 ; Buchholz, III, II, p. 320 ; Stengel, Einführung der in hom. Zeit noch nicht bekannten Opfer in Griechenland, dans les Neue Jahrb. f. class. Philol., CXXVII (1883), p. 376-379.

[151] Iliade, III, 310. Cf. Pausanias, III, 20, 9.

[152] Iliade, XIX, 267-268. Cf. I, 314-315.

[153] Hérodote, I, 168.

[154] Plutarque, Arist., 25 ; Aristote, Const. des Ath., 23. Les Monténégrins et les Albanais jettent des pierres dans une rivière, pour confirmer une alliance.

[155] Odyssée, III, 332-334 : cf. XIV, 477 ss. Voir 9. Bernardi, Das Transkopfer bei Homer, progr. Leipz., 1885.

[156] Iliade, II, 341 ; IV, 159.

[157] Voir Stengel, Weinspenden bei Brandopfern, dans l’Hermès, XVII (1882), p. 329-332.

[158] Iliade, III, 269-270.

[159] Iliade, III, 446-447.

[160] Iliade, III, 103, 246, 310.

[161] Iliade, III, 104, 119.

[162] Hypér., Δηλιακόν, dans Athénée, X, p. 414 C (Or. att., Didot, II, p. 393, fr. 13).

[163] Lysistrata, 203.

[164] Probablement après la libation, d’où l’association ordinaire σπονδαί τε άκρηται καί δεξιαί ής έπίπιθμεν (Iliade, II, 341 ; IV, 159).

[165] Cf. Stephani, dans le Compte rendu de la commiss. arch. de l’Ac. de St-Pét., 1861, p. 69-113 ; C. Sittl, Die Gebärden d. Gr. und Röm., Leipz., 1890, p. 27-31, 135-136 ; Pictet, II, p. 499 ss. ; Grimm, p. 137 ss. ; von Ihering, der Zweck im Recht., II, p. 649 ; Schrader, Reallex., p. 309-310.

[166] Voir Pictet, III, p. 134.

[167] Odyssée, XIX, 415. La poignée de main confirme même les prophéties (XI, 247 ; XV, 530 ; Iliade, XXI, 286). Cette garantie aura toujours quelque chose de particulièrement solennel. Sophocle l’appelle πίστιν άρχαίαν (Œdipe Col., 1638), et Euripide πίστιν μεγίστην (Médée, 22). Voir Sophocle, Œdipe roi, 1510 ; Trach., 1181-1882 ; Philoct., 813, 942 ; Euripide, Iphigénie Aut., 471 s., 831 ; Hél., 838 ; Apoll. de Rhodes, II, 243 (cf. 252) ; IV, 99 ; Démosthène, C. Midias, 119, 121.

[168] Iliade, XXIII, 75.

[169] Odyssée, XVIII, 271 ; Iliade, XXIII, 96 ; cf. IV, 154-155.

[170] Iliade, II, 341 ; IV, 159 ; XXIV, 671-672.

[171] Iliade, VI, 230-231.

[172] Iliade, 233.

[173] Iliade, 230, 235. L’échange des armes se fait entre les Grecs et les Macrons, dans l’Anabase (IV, 8, 6). C’est une coutume fréquemment observée (voir Hanoteau-Letourneux, II, p. 74 ; III, p. 469 ; Letourneau, La guerre dans les div. races hum., p. 269).

[174] La réception de l’hôte, c’est l’ύποδεξίη (Iliade, IX, 73), elle se fait du ξεινοδκος (Iliade, IIII, 354 ; Odyssée, VIII, 343 ; XV, 33 ; XVIII, 64) au δέκτης (Iliade, IV, 248). Sur l’étymologie, voir G. Curtius, Grundzüge, p. 320 ss.

[175] Odyssée, I, 120-121 ; XX, 197 ; cf. III, 38 ; VII, 168.

[176] Pour être traités en amis (Odyssée, I, 123 ; XV, 281 : ξεινοδόκος). Mentès s’abstient de franchir le seuil de Télémaque, et Théoclyménos de mouler sur son tillac, jusqu’à œ qu’ils aient remis leur javeline au maître de la maison ou du navire (I, 103-106, 119-121, 124 ; XV, 282-284). Cf. XVI, 40-41. Le râtelier aux lances, δουροδόκη, et trouve dans la première salle, à l’entrée de la maison (I, 126-128).

[177] En Judée, David et Abner font la paix à table (Rois, II, 3, 20). Chez les peuples du Caucase, le meurtrier ou le voleur rentré en grâce est tenu d’offrir un grand banquet (Kovalewsky, p. 280, 283, 343-344, 359, 361 ; Dareste, Nouv. ét., p. 238). Les Albanais et les Monténégrins ne croient à la paix qu’après cette formalité (cf. Pappalava, dans le Bull. de la soc. de legisl. comparée, 1881, p. 514). Chez les Arabes et les Kabyles, les adversaires deviennent sacrés les uns pour les autres, du jour où il y a entre eux du sel (Smith, Early Arabia, p. 352 ; Hanoteau-Letourneux, III, p. 69). Pas de réconciliation jadis en Russie (Esmein, Le vin d’appointement, dans la Nouv. rev. hist. de dr. fr. et étr., XI, 1887, p. 63-64), en Allemagne (Grimm, p. 191), sans qu’on fit bombance. Parfois on simplifie la formalité. Dans la Belgique du Moyen Age, on se contente de trinquer solennellement (Delacqz, p. 90 ss.). Tout jugement, tout contrat est une occasion de beuverie, où le vin d’appointement se boit par symbole de réconciliation, d’accord parfaict et de nouvelle joye (Rabelais, III, 41 ; cf. Esmein, l. c., p. 64-65 ; Chassan, Essai sur la symbolique du dr., Paris, 1847, p. 224-227 ; Grimm, p. 870-871).

[178] Eschyle, Ag., 1587 ss. ; Apollod., Epit., II, 13.

[179] Cf. Decharme, p. 580.

[180] XIX, 179-180.

[181] XI, 186-187.

[182] Sur le vin comme substitut du sang, voir Frazer, The golden bough, I, p. 349 ss.

[183] Le mot et la théorie ont été trouvés par Smith, Semites, p. 269 ss., 294 ss., 460 ss. ; Early Arabia, p. 22-24, 47-50. Cf. Michelet, p. XXVI, 152-160 ; Post, Studien, p. 30 ss. ; Sidney Hartland, The leg. of Perseus, II, p. 237-257 ; Kohler, Stud. üb. die kunstl. Verwandesch., dans la Zeitschr. f. vergl. Rechtwiss., V (1884), p. 434 ss. ; J. R. Mucke, Horde und Fam. in ihr. urgesh. Entwicketung, Stuttg. 1895, p, 204-206 ; René Basset, H. Gaidoz et Th. Volkov, La fraternisation, dans la Mélusine, III (1886-1887), p. 573-574 ; IV (1888-1889), p. 330 ; VII (1894-1895), p. 4, 156 ; Hubert-Mauss, Essai sur la nat. et la fonct. du sacrifice, dans l’Année sociol., II, p. 30 ss. — Hérodote décrit le blood covenant chez les Arabes (III, 8 ; cf. Smith, l. c.), chez les Scythes (IV, 70 ; cf. Pompeius Méla, II, 1 ; Luc., Toxaris, 37), chez les Cariens (III, 11), chez les Mèdes et les Lydiens (I, 74). Les Romains ont pratiqué l’assiratum (Festus, s. v. assir ; Plutarque, Publicola, 4 ; Salluste, Catilina, 22 ; Florus, IV, 1 ; Dion Cassius, XXXVII, 30) et l’ont retrouvé chez les Arméniens et les Ibères du Caucase (Tacite, Ann., XII, 47 ; cf. Joinville, XCVII, 496, éd. de Wailly, p. 272). Depuis l’antiquité, tous les Aryens ont connu la fraternisation. Irlandais (Michelet, p. 156-157), Anglais (Gaidoz, l. c., IV, p. 330), Scandinaves (Grimm. p. 39 ss., 190 ; Michelet, p. XXVI, 153-157 ; M. Pappenheim, Die altdän Schtzgilden, Bresl., 1895, p. 9, 40), Slaves (Michelet, p. 157 ; Miklosich, p. 135 ; Volkov, l. c., VII, p. 4, 156 ; Kahler, l. c., p. 436-437), Albanais (Kohler, l. c., p. 437). Byzantins (Zachariæ, Gesch. des gr.-röm. Rechts, p. 90) En dehors de la race aryenne, on peut citer les Siamois (Michelet, p. 136), les Malgaches avec leur fatodra (Kohler, l. c., p. 435), les nègres africains (Id. ibid., p. 435-436 ; Hutter, Der Abschluss von Blutsfreundsch. und Vertägen bei den Negern des Graslandes in Nordkamerun, dans le Globus, LXXV (1899), p. 1 ss.).

[184] Sur ces rites, voir Stengel, Einführung etc., l. c., p. 37 ; A. Martin, Quom. Gr, ac pecul. Ath. fœdera publ. jurejur, sanxerint, Paris, 1886, p. 30 ss. ; C Sittl, op. cit., p. 143.

[185] Hérodote, III, 11.

[186] Xénophon, Anabase, II, 2, 9.

[187] Sept, 42 ss. ; cf. Aristophane, Lysistrata, 195.

[188] Rapprochez d’Hérodote, IV, 70, les nombreux textes sur les archers de provenance scythe (voyez Böckh Fränkel, Staatsh., I, p. 263 ss.).

[189] Iliade, III, 271-273 ; XIX, 252-254.

[190] Odyssée, III, 445-446.

[191] Iliade, III, 273-274. Ce partage n’est pas mentionné dans le chant XIX. Mais il va de soi ; car les premiers sont prises sur le verrat au moment où Agamemnon va faire sa prière, les mains élevées, et les Argiens écoutent le roi dans l’attitude rituelle, κατά μοίραν (254-258).

[192] Sur le bound or food, voir Smith, Early Arabia, p 149 ss., 251 ss. Les rapports de la communion alimentaire avec le sacrifice sacramentaire s’observent très bien en Indo-Chine : on y verse sur le mets sacré des gouttes de sang prises aux deux parties (Kurt Klemm, Ordal und Eid in Hinterindien, dans la Zeitschr. f. vergl. Rechtswiss., XIII, 1899, p. 129-135).

[193] Plutarque, Quæst. gr., II, p. 295 B-C.

[194] Odyssée, XIV, 158 ; XVII, 155 ; XIX, 304 ; XX, 230.

[195] Archil., fragm. 94 ; cf. Libanius, IV, p. 153, 9.

[196] D’après Suidas, s. v., cette coupe sera toujours appelée ainsi, même quand elle servira dans de simples συμπόσια. Mais le lexicographe a conservé le vague souvenir de repas bien différents. Cf. Luc, XXII, 20.

[197] Steinmetz, I, p. 410-414, 439-440 ; Hanoteau-Letourneux, III, p. 69.

[198] Kovalewsky, p. 243-204. Chez les Juifs du Caucase, le meurtrier prend également dans la famille lésée la place du défunt (C. Hahn, Aus dem Kaukasus, p. 229).

[199] Grimm, p. 160 ; Michelet, p. 9 ; Sidney Hartland, op. cit., II, p. 421.

[200] Pline le Jeune, Panég., 8.

[201] Diodore, IV, 39, 2.

[202] Kovalewsky, p. 444. Cf. Wilda, p. 716.

[203] La condition de l’esclave dans la Grèce homérique est bien dépeinte par Guiraud, La main-d’œuvre ind. de l’anc. Gr., p. 13-17. L’esclave ne cessa jamais, chez les Grecs, d’être initié au culte domestique, de la même façon a peu près que la nouvelle épouse ou le fils adoptif (Eschyle, Ag., 1497 ; Schol. d’Aristophane, Plut., 7114 ; Lex Rhet., dans Bekker, Anecd. Gr., I, p. 269, 9 ; Harpocration et Suidas, s. v. καταχύσματα ; Pollux, III, 77 ; Démosthène, C. Steph., I, 74 ; cf. Fustel de Coulanges, Cité antique, p, 130-131 ; Beauchet, II, p. 394-395).

[204] Diodore, IV, 39, 3 ; Odyssée, XI, 603 ; Hymnes hom., XI, 8 ; Hésiode, Théogonie, 950 ss. ; Pindare, Ném., I, 70 ss. ; X, 17 ss.

[205] Apollod., III, 4, 2, 1-2 ; cf. Hésiode, Théogonie, 937 ; Diodore, IV, 2, 1 ; Pausanias, III, 5, 2.

[206] Pindare, Ném., IX, 16-17.