SOLIDARITÉ DE LA FAMILLE DANS LE DROIT CRIMINEL EN GRÈCE

LIVRE PREMIER. — PÉRIODE PRIMITIVE - LA FAMILLE SOUVERAINE.

CHAPITRE III. — LA VENGEANCE DE FAMILLE À FAMILLE.

 

 

I. — Caractères généraux de la vengeance du sang.

Le γένος, en face des autres γένη, forme un seul corps. Il souffre tout entier, quand un de sen membres souffre. Tous ceux qui sont du même sang n’ont qu’un seul esprit et qu’une seule chair : ils ressentent tous l’injure faite à l’un d’eux ; si l’un d’eux est tué, c’est pour tous une douleur et une diminution. C’est pourquoi ils s’aident les uns les autres, et vengent leurs morts.

De toutes les coutumes pratiquées dans les sociétés naissantes, la vengeance du sang est celle qui montre le mieux à l’œuvre la solidarité active de la famille[1]. Le principe, on le connaît. Pour le proclamer, Eschine a retrouvé l’âme des ancêtres dans cette tragédie des Choéphores où la truculence de la couleur et l’âpreté du trait n’enlève rien à des choses, dans ce chant enflammé de la vengeance qui commence en thrène et finit en pæan. Le sang est bu par la terre nourricière ; mais le meurtre subsiste ineffaçable et crie vengeance... Tous les fleuves couleraient dans le même lit, pour purifier la main souillée de sang, qu’ils la laveraient en vain... Que le meurtre compense le meurtre ! Mal pour mal, dit la sentence des vieux âges[2].

La vengeance du sang est donc avant tout un droit. L’équilibre qui existait entre deux γένη a été rompu. L’un des deux a subi une offense et un préjudice. Il répare son honneur en prenant pour la vie d’un des sieur la vie dan ennemi. Ainsi l’équilibre est rétabli.

Il ne s’agit donc pas, lorsqu’une ramille a été lésée, d’apprécier la criminalité de l’acte. Les peuples les mieux doués restent longtemps sans faire de distinction entre les délits criminels et les délits civils. D’ailleurs, à une époque où l’énergie est la grande qualité de l’homme, le meurtre, même lorsqu’il n’est pas la riposte à un meurtre, n’entraîne aucune défaveur[3]. L’intention n’est rien, le fait est tout[4]. Pas de circonstances atténuantes. Nulle différence entre l’assassinat lâchement prémédité et l’homicide involontaire[5]. Voyez la légende : Héraclès s’enfuit de Calydôn pour avoir distraitement allongé à un serviteur un coup de poing trop fort[6] ; Pélée, après un accident de chasse, n’a plus qu’à fuir de Phthia[7], comme il a fui d’Égine après un odieux fratricide[8] ; Persée quitte Argos[9], et Oxylos l’Étolie[10], parce que leur disque mal lancé a causé mort d’homme ; Aitolos est poursuivi par les fils d’Apis que son quadrige a écrasé dans une course[11]. Voyez l’épopée : lorsque Antinoos tombe percé d’une flèche, les autres prétendants croient encore le coup parti accidentellement, et pourtant ils annoncent à Ulysse qu’il va être la proie des vautours[12]. Il faudra un jour toute l’autorité des oracles[13] et des lois[14] pour déclarer innocent celui qui tue un concitoyen à la guerre par erreur[15], l’auteur d’un homicide accidentel dans les jeux du stade[16], ou même le médecin dans les mains duquel trépasse un malade[17]. L’âge même ne fournit pas d’excuse[18]. Patrocle enfant avait tué un de ses compagnons dans une dispute au jeu ; son père dut le mettre à l’abri au loin, chez Pélée[19]. On ne peut nier à valeur documentaire de cette anecdote, quand on lit dans l’Anabase que parmi les Dix-Mille se trouvait un Spartiate banni dès l’enfance pour avoir tué involontairement un camarade[20]. Ce qui est peut-être plus remarquable encore dans les coutumes primitives, c’est que le droit de vengeance privée autorise bien l’offensé à tuer l’offenseur en cas d’adultère ou de séduction, de vol ou de brigandage, mais autorise aussi les parents de l’offenseur à le venger[21]. Hyettos, après avoir mis à mort Molouros, qu’il avait surpris dans le lit de sa femme, part d’Argos pour Orchomène[22] ; Arès répond du meurtre qu’il a commis sur la personne d’Halirrhothios, coupable cependant d’avoir déshonoré sa fille[23]. L’État, plus tard, n’aura jamais besoin de reconnaître au mari ou au père le droit de vie et de mort sur la femme adultère ou la fille prise en faute ; il sera nécessaire, au contraire, qu’il légitime en cas de flagrant délit le meurtre du larron d’honneur[24], tout comme des autres larrons[25], pour que les parents du mort ne puissent pas user de représailles. Il n’existe donc jamais, à l’origine, de circonstances qui soient à la décharge du meurtrier. Sa moralité n’est pas en cause : coupable ou non coupable, il est responsable. Qui a versé du sang doit d u sang.

Pour éviter le coup fatal, le meurtrier n’a qu’un moyen, la fuite. Cet homme sent sa vie menacée de toutes parts ; il sait que ses ennemis ne désarmeront jamais : il se sauve où il peut, comme il peut, pour toujours. La vengeance du sang a donc le plus souvent pour résultat le bannissement volontaire et perpétuel du coupable. Qui a tué un homme dans sa patrie va en pays étranger[26] : c’est un adage de droit primitif. On vient de voir les exemples mythiques de Pélée et d’Oxylos, d’Aitolos et de Persée, d’Hyettos et d’Héraclès. On en citerait d’autres par centaines. Bornons-nous à ceux des épopées homériques. Cas tirés de l’Iliade : 1° Médon, bâtard d’Oileus, après avoir tué le frère de sa marâtre, se réfugie à Phylakê et en devient le chef[27] ; 2° Lycophrôn de Cythère habite Salamine, depuis qu’il a tué un homme dans son île natale[28] ; 3° et 4° à Phthia, dans la maison de Pélée, Patrocle, meurtrier précoce amené d’Oponte par son père[29], se rencontre avec le roi de Boudelon, Epeineus, qui a quitté sa ville après le meurtre d’un cousin[30] ; 5° l’Héraclide Tlèpolémos, ayant tué son grand-oncle, construit aussitôt des navires, rassemble de nombreux compagnons et s’enfuit sur la mer, pressé par les menaces des autres fils et petits-fils d’Héraclès[31]. Cas tirés de l’Odyssée : 1° Eumée donne l’hospitalité à un Étolien qu’un homicide réduit à errer de pays en pays[32] ; 2° Ulysse se donne pour un Crétois qui, après avoir assassiné Omilochos, fils d’Idoménée, et avant que personne eût pu donner l’éveil, aurait profité de la nuit pour ramasser une bonne part de ses trésors, courir au port voisin et demander place sur le premier bateau en partance[33] ; 3° Télémaque, au moment d’appareiller dans le port de Pylus, voit accourir un Argien, Théoclyménos, qui est en fuite pour avoir donné un mauvais coup à un compatriote et qui, croyant avoir à ses trousses une bande acharnée, supplie qu’on lui donne asile à bord[34].

L’exil, dans ces conditions, n’est pour le meurtrier ai une peine ni un droit, mais une mesure de prudence. Les vengeurs n’y voient pas une satisfaction. Si c’est possible, ils poursuivent le fugitif[35] ; s’il leur échappe, sa destinée désormais est d’errer parmi les hommes[36]. L’homicide involontaire ou excusable est traité comme l’assassinat par guet-apens[37] ; pas plus dans un cas que dans l’autre, on ne peut obtenir l’autorisation de s’en aller tranquillement, ni de revenir jamais.

Le droit à la vengeance est à tel point indéniable, qu’il donne à qui l’exerce une force immense. Le meurtrier, si riche et si puissant qu’il soit, ne résiste pas. Il y a là un curieux effet d’influence morale. Que le Crétois dont Ulysse forge l’histoire fuie après avoir tué le fils du roi, c’est tout naturel ; mais qu’est-ce donc qui oblige un roi redoutable, un héros invincible, à partir sans espoir de retour ? Que Théoclyménos, poursuivi par des adversaires nombreux et dont le pouvoir est grand parmi les Achéens, ne se sente pas rassuré encore par la distance d’Argos à Pylos, cela se conçoit ; mais comment se fait-il qu’après avoir tué en son pays un homme qui ne laisse pas beaucoup de vengeurs, on fuie, abandonnant parents et patrie ?[38]

Plusieurs causes expliquent un phénomène qui semble anormale en l’absence de toute juridiction sociale. D’abord le meurtrier n’est pas défendu contre le châtiment par la richesse et la puissance. À une époque où la simplicité des mœurs ne met pas de distance infranchissable entre les grands et les petits, où la ruse est une arme de guerre aussi loyale que la force, un homme déterminé trouve, toujours moyen de surprendre son ennemi et de lui envoyer au bon moment un trait vengeur.

Si l’offenseur n’est pas accessible à la peur, il a du moins le devoir de mettre les siens à l’abri des représailles. Par sa présence, qui est un défi, il les compromet : à vivre avec le criminel, on accepte la responsabilité du crime. En s’éloignant, il libère sa famille d’une solidarité périlleuse ; il les quitte, et c’est comme si eux l’abandonnaient. La prétendu assassin d’Orsilochos laisse en Crète ses enfants avec la moitié de ses trésors, sans craindre que la coure d’Idoménée retombe sur eux[39].

Mais ce qui, par dessus tout, empêche le meurtrier de braver la famille de la victime, c’est la crainte de tourner contre lui et les dieux et les hommes. L’όπις θεών[40], cette conscience extériorisée, persuade à l'offenseur de se résigner à l’inévitable, en cédant la place aux vengeurs. La δήμον φάτις ou φήμις[41], l’opinion publique, donne toujours aux offensés un appui moral et quelquefois le concours matériel d’une foule indignée. La perspective d’avoir cette force contre soi peut suffire à empêcher le crime[42] ; elle est donc capable aussi de le faire expier. Sans doute l’intervention effective des tiers dans une querelle n’est pas d’une époque primitive. La communauté n’attendit cependant pas d’avoir une juridiction régulière pour peser, dans les cas graves, sur les résolutions de l’offenseur. Dans l’Iliade, il faut que l’intérêt des Grecs soit en jeu, pour qu’ils osent manifester leur sentiment dans le débat d’Agamemnon avec Chrysès[43] ; Phoinix se laisse détourner du parricide par la crainte d’une réprobation encore dénuée de sanction sociale[44]. Mais, déjà dans l’Odyssée, le peuple a un rôle plus actif. L’individu ou la famille incapable de se faire justice peut en appeler à tous les citoyens pour obtenir, non pas un jugement, mais une aide souverainement efficace. Télémaque fait sommation aux prétendants de se rendre à l’agora[45] ; là, il expose leurs méfaits, se déclare hors d’état de se défendre et appelle à son secours l’indignation populaire[46]. Il ne réussit pas, il est vrai, à faire sortir l’assemblée de sa neutralité ; mais rien ne dit qu’une autre fois il ne parviendra pas à secouer cette apathie, et les prétendants ont grand’peur plus tard que la foule entraînée ne les maltraite ou ne les chasse[47]. Lorsque Ulysse a tué ses ennemis, Eupeithès s’efforce également d’ameuter les Ithaciens ; il décide une partie d’entre eux à s’armer pour sa cause et court venger son fils à la tête d’une forte bande[48]. Ainsi, la communauté se sent intéressée au triomphe du droit : elle sait que la paix intérieure est à ce prix ; elle redoute, elle aussi, et la δήμου φάτις, celle des peuples voisins, et la colère des dieux[49]. Mais elle ne connaît encore qu’un moyen d’assurer la victoire de l’offensé sur l’offenseur : c’est la force des armes[50].

Plus encore qu’un droit, la vengeance du sang est un devoir. Elle est obligatoire. Pour s’imposer une contrainte plus efficace, le vengeur du sang fait parfois un vœu : il se condamne de son plein gré à une privation qui ne doit finir que par l’accomplissement de la vengeance. C’est l’emprise si fréquente au Moyen Age. Les Grecs ont longtemps pratiqué cette coutume en temps de guerre : les Spartiates partis pour la Messénie jurent de ne pas rentrer dans leurs maisons et de ne plus voir leurs femmes avant d’avoir conquis le pays ennemi[51] ; Histiée de Milet jure de ne pas changer de chiton avant d’avoir forcé la Sardaigne à payer tribut[52] ; les Argiens jurent de ne pas laisser pousser leurs cheveux avant d’avoir pris leur revanche[53]. Dans les temps épiques et légendaires, les particuliers b’engagent de la même façon à venger leurs morts. Achille, devant le cadavre de Patrocle, refuse de prendre aucun aliment, tant qu’il n’aura pas lavé sa honte dans le sang troyen[54] ; puis, après avoir tué Hector, il s’interdit de se laver, tant qu’il n’aura pas immolé douze captifs à son ami[55]. Amphitryon prête serment de ne toucher à la virginité d’Alcmène qu’après avoir vengé le meurtre de ses frères[56].

Avec ou sans vœu l’obligation de la vengeance est imprescriptible. L’enfant trop faible pour agir est instruit dans son devoir jusqu’à ce qu’il ait la force de le remplir : par une savante culture de la haine, on le prépare au rôle qui lui est destiné[57]. Je fus chassé tout petit, dans les langes ; dit l’Egisthe d’Eschyle ; mais j’ai grandi, pour revenir, guidé par la vengeance[58]. A son tour, Oreste venge Agamemnon, après avoir attendu sept ans[59], aussitôt qu’il est devenu jeune homme[60]. Du jour où Télémaque a passé l’âge des niaiseries[61] et, majeur, a le droit de parler en maître dans la maison du père absent[62], il doit s’inspirer de ce noble exemple[63], il doit appliquer toute sa pensée, toute son âme à faire périr les prétendants[64]. Cette réoccupation d’élever les enfants en vue de la vendetta a toujours semblé aux Grecs d’une haute moralité. Rien de plus instructif à cet égare et de plus terrible que l’histoire de Cumes au commencement du Ve siècle, avec la lutte acharnée du tyran Aristodèmos contre les fils de ceux qu’il avait fait périr bien des années auparavant[65]. Les orateurs Isée et Lysias nous montrent comment on s’y prend dans les maisons athéniennes pour exciter un petit orphelin, un fils posthume, contre l’homme ou même le fils de l’homme qui lui a tué son père : toute une famille s’emploie à cette éducation dès que l’enfant a l’âge de raison[66]. Pour que le souvenir de l’offense ne se perde pas, pour que le ressentiment se transmette des vieux aux jeunes, on conserve pieusement les instruments du crime, et, dans les grandes occasions, on tire de leur cachette des linges tachés de sang[67].

L’accomplissement d’un devoir essentiel procure une satisfaction et constitue un mérite. Les Grecs ont toujours senti et manifesté avec une vivacité extrême le bonheur de se venger. Le cannibalisme, qu’ils avaient pratiqué à l’époque de la sauvagerie primitive, resta dans leur langue, s’il disparut de leurs mœurs. Dans la légende, Tydeus avale la cervelle de son ennemi Ménalippos[68] ; si les héros de l’Iliade s’abstiennent de pareilles horreurs, ils souhaitent à chaque instant de manger leurs ennemis tout crus[69]. Achille sait qu’Hector mort, il n’aura plus longtemps à vivre ; cependant il déclare l’existence insupportable s’il ne venge point Patrocle, et il est prêt, si Patrocle est vengé, à recevoir la Kère, dès qu’il plaira à Zeus et aux autres immortels de l’envoyer[70]. Avant de venger son père sur Agamemnon, Egisthe est prévenu par les dieux que ce meurtre lui coûtera la vie : n’importe, il veut bien mourir, pourvu qu’il tue[71], et il pourra dire, dans une scène d’Eschyle : Maintenant la mort même me semblerait belle : je vois l’ennemi dans les filets de la vengeance[72]. Euripide a saisi un trait de mœurs antiques, quand il représente Polymestor qui pleure sur ses enfants morts, sur ses yeux perdus, et Hècabè qui l’insulte et répond à ses reproches : Ne dois-je pas me réjouir, puisque je me suis vengée de toi ?[73] Un seul sentiment est capable d’empêcher une pareille joie d’éclater en cris fous : c’est la peur d’attirer la νέμεσις des dieux[74].

C’était toujours un plaisir, la vengeance ; c’était souvent un titre de gloire. Chez les Hellènes, comme chez les Monténégrins, les Arabes et tant d’autres, les gens du peuple éprouvent une terreur sympathique pour le brave qui sait fondre à l’improviste sur un provocateur ; les poètes exaltent le vaillant qui plonge et retourne le couteau dans les entrailles de son ennemi vaincu[75]. L’Argien Oreste fut longtemps un type populaire, tel que l’ont été de nos jours le Crétois Liapis, le Corse Bellacoscia et le Calabrais Musolino ; il a eu cette chance, que les aèdes ont fait de lui le type surhumain du vengeur. Tel il apparaît dans l’Odyssée. Il a tout contre lui. Egisthe a bien pris ses précautions : quand le fils de Thyestes a tué le fils d’Atrée, il a fait massacrer en même temps ses fidèles έταΐροι[76] ; il est tranquillement le maître de Mycènes pendant sept ans[77]. Mais tout ce qui reste de la famille lésée n’ai plus qu’une pensée, la vengeance. Ménélas, dont l’absence seule a donné à Egisthe la hardiesse de sa coupable lâcheté[78], se promet de faire un jour son devoir[79]. Oreste le prévient. Oreste n’est pas le héros ténébreux, le criminel digne de compassion et talonné par le remords qui l’affole ; c’est le justicier dont les coups sont ratifiés d’avance par Zeus[80], l’homme du devoir qui a su proposé à l’admiration de la postérité, à l’imitation des fils vertueux le modèle divin de l’homicide méritoire[81]. Οΐον κλέος έλλαβε δΐος Όρέπης ![82] C’est le cri d’un vieux poète italien : Che bell’onor s’acquista in far vendetta !

Par contre, laisser un meurtre impuni, c’était la pire des hontes[83]. On ne pouvait pas lancer à un ennemi d’insulte plus terrible que de lui souhaiter de périr sans vengeance[84] ; bien coupables étaient ceux dont la négligence ou la lâcheté permettait à un pareil vœu de se réaliser. Le vieux Pylaiménès pleure de n’avoir pas vengé son fils Harpalion[85]. Priam, après la mort d’Hector, traite ceux qui lui restent d’enfants dégénérés[86]. Achille déclare que son cœur lui défend de vivre et de fréquenter les hommes, tant que sa javeline n’aura pas fait expier à Hector la mort de Patrocle[87]. Après le massacre des prétendants, quand leurs parents courent aux armes, Eupeithès les excite en s’écriant : Marchons ! Sinon, il nous faudra vivre désormais tête basse. L’opprobre en rejaillira sur nous jusque dans la postérité, si nous ne vengeons pas le meurtre de nos fils et de nos frères. Pour moi, je n’aurais plus de goût à l’existence ; plutôt mourir au plus vite et rejoindre nos morts[88]. La vivacité de pareilles expressions ne tient ni à une exagération poétique ni à une sensibilité exceptionnelle. Dans ces petites sociétés, l’homme flétri par la δήμου φάτις était mis à l’écart dei autres hommes s sa déchéance avait le caractère d’une atimie presque intolérable. En Grèce, le rimbecco (comme disent les Corses)[89] entraînait comme une mise au ban de la société. Kytissôros, qui aurait dû venger son père Phrixos, sauva, au contraire, Athamas qu’on allait immoler comme victime expiatoire : il lui fut interdit, à lui et à ses descendants, d’entrer au prytanée de la ville, c’est-à-dire de prendre part aux repas communs[90]. Quand la religion consacra le droit et que certains crimes passèrent pour des souillures, on admit que l’impureté du meurtrier était contractée par le parent réfractaire au devoir, et l’excommunication fulminée contre l’un fut aussi le sort de l’autre[91]. « Plus de part pour lui au cratère sacré, plus de place aux libations : il est repoussé des autels par l’invisible colère d’un père. Nul ne l’accueille, nul ne lie commerce avec lui. Méprisé, abhorré de tous, une mort lente et cruelle l’épuise, avant de l’emporter tout entier[92]. A L’Oreste errant et sombre a été longtemps l’Oreste d’avant la vengeance.

II. — La vengeance du sang et le culte des morts.

D’où vient que la vengeance du sang ait tous les caractères d’un devoir absolu ? Par quels motifs une obligation comme celle-là pèse-t-elle sur les consciences ? Voir ce qu’il faut comprendre pour connaître vraiment le système de la vengeance privée.

D’abord, le γένος inspire aux hommes des temps épiques un sentiment analogue au patriotisme. Ce sentiment ne leur permet pas de se résigner à l’humiliation et à l’affaiblissement de leur groupe. Les parents qui survivent se doivent donc les uns aux autres de demander satisfaction pour un meurtre qui les lèse. Le dévouement absolu à la communauté, c’est là toute leur morale.

Mais ils ont surtout des obligations envers la victime. C’est pourquoi le devoir commun est plus strict pour les parents les plus proches du défunt. Il y en a même un, généralement, qui est désigné par la naissance pour agir au nom et avec l’appui de tous les autres. Celui-là exerce une fonction sacrée, il est le représentant, le champion du mort.

Quand on recherche le dernier fondement d’une conception pareille, on songe infailliblement à la religion. L’explication n’est pas fausse, mais elle n’explique pas grand’chose. Ce mot de religion est si vague, que nous l’appliquons bien souvent, chez les peuples enfants, à ce qui serait plutôt de la physique, de l’histoire naturelle ou du droit coutumier. C’est le cas pour la religion des morts[93]. Elle consiste essentiellement en la persistance des liens sociaux et juridiques qui rattachaient la personne vivante aux membres de son γένος.

La mort, pour les Hellènes, n’est pas la destruction complète de l’âme. Lorsque Ulysse retrouve sa mère chez Hadès, il voit apparaître un εΐδωλον, une image ténue, fuyante, insaisissable, pareille à une ombre ou à un songe. Elle lui apprend que la flamme du bûcher anéantit les nerfs, les chairs et les os, mais que, dégagé de la matière, l’esprit prend son vol[94]. Cet esprit ne perd pas complètement sa personnalité : il garde quelque ressemblance avec le corps qu’il a quitté, il conserve la sensibilité et l’intelligence qui lui étaient propres. La mort est une vie moindre.

De tous les sentiments posthumes, le plus vivace, c’est l’impatience de l’outrage et le désir de vengeance. Le trépassé à qui sont refusés les derniers honneurs devient pour l’auteur de cette offense un θεών μήνιμα[95], un ennemi mystérieux et redoutable. Chez la victime d’un meurtre, la passion s’exaspère et accroît leur puissance de maléfice. La volonté du mort n’est point domptée par la forte morsure de la flamme ; son courroux éclate encore : on le pleure mourant, que déjà il ressuscite, prêt à nuire[96]. Ainsi parle un chœur d’Eschyle, et l’imitation d’Homère suffirait à révéler l’antiquité lointaine de cette pensée[97], si Platon n’en indiquait L’origine et n’en donnait le commentaire : C’est une vieille tradition, déclare-t-il, conservée dans les anciens mythes et qu’il faut se garder de mépriser[98]. Un spectre va tourmenter le meurtrier jusqu’au jour de la vengeance. L’άλάστωρ, comme on dira, se fait προστρόπαιος[99]. Plus de repos pour le criminel qui sent l’Erinnys lancée à ses trousses[100]. Le taon attaché aux flancs d’Io, c’est le fantôme d’Argos : il est sorti de terre pour suivre la malheureuse à la piste ; il la fait frissonner sous ses regards haineux et fuir, fuir éperdument, sous son dard tenace[101]. La folie du remords n’est pour rien dans les apparitions qui obsèdent Oreste, vêtues de noir et entortillées d’innombrables serpents[102]. Elles existent réellement, les chiennes irritées[103] : invisibles pour tout autre, elles se montrent à celui qui a mérité leur colère[104] ; elles le pourchassent sans répit, d’une rage qu’aiguillonne atrocement une ombre ensanglantée[105]. Quelquefois, pendant la nuit, dans une maison où tout semblait dormir, éclatant tout à coup des cris d’épouvante, et l’on sent passer dans l’air un souffle glacial. Les devins savent ce que c’est : quelque trépassé qui rôde par là et qui veut du sang[106].

La puissance du mort semblait tellement formidable, que le meurtrier n’hésitait devant rien pour s’y soustraire. Il recourait à une pratique horrible, l’άκρωτηριασμός suivi du μασχαλισμός[107]. Il coupait au cadavre les extrémités, pieds et mains, oreilles et nez, passait les débris sanglants dans un cardon, et attachait le cordon au cou de la victime en l’assujettissant par-dessous les aisselles[108]. Le souvenir de cet usage resta vivace en Grèce : Eschyle et Sophocle pouvaient dire d’un mot, sans exciter la surprise, que Clytemnestre infligea pareil traitement au corps d’Agamemnon ; Apollonius de Rhodes ne manquait pas d’y soumettre Absyrtos.

Il ne faudrait pas croire qu’il n’y eût là qu’un moyen d’assouvir sa haine sur un ennemi mort. Si les héros de l’Iliade et de l’Odyssée mutilent les cadavres à la guerre ou dans la vendetta[109], ce n’est pas pure férocité : ils sont convaincus que l’âme garde la trace des blessures reçues par le corps[110], et que déchirer un corps c’est énerver une âme. Pélops, après avoir assassiné Stéphalos, le met en pièces et disperse ses membres en tous sens[111] : il espère que les tronçons d’un fantôme déchiqueté ne se rejoindront pas. L’άκρωτηριασμός a donc pour objet essentiel, non de prolonger la vengeance du tueur, mais de prévenir celle de la victime[112]. On la met hors d’état de nuire[113]. Les Grecs des temps héroïques pensent et agissent comme les Australiens qui coupent à l’ennemi mort le pouce de la main droite, pour qu’il ne puisse plus manier la lance[114], comme les Peaux-Rouges qui tranchent la tête à leur victime et lui cousent solidement les lèvres avec une cordelette, pour qu’elle ne puisse plus pousser le cri de guerre[115], ou comme ces paysans hongrois qui sont capables, lorsqu’ils attribuent la perte de leurs veaux aux maléfices d’une trépassée, d’aller en bande exhumer le cadavre de la sorcière et le tailler en morceaux, pour qu’elle ne puisse plus recommencer ces courses et ses méfaits[116]. Quant au προστρόπαιος[117], il marque une autre nuance de la même pensée. Le meurtrier veut ôter à la victime, non pas seulement le pouvoir, mais jusqu’à la volonté de se venger, Il la munit du hideux rollier pour faire retomber sur elle la responsabilité du sang versé. Il essuie parfois l’instrument sanglant du crime sur la tête du mort[118], ou bien il suce trois fois le sang d’une plaie et le recrache aussitôt[119] : l’intention est la même[120]. Contre le προστρόπαιος le meilleur άποτρέπαιον est celui qui rompt sa puissance et déroute son ressentiment.

Luttes étranges des trépassés contre les vivants ! Guerres inexpiables où l’attaque dispose d’armes magiques et où la défense se fait à coups de couteau ! On croyait à cela d’une foi tellement inébranlable, que-le suicide était une ressource terrible, mais qui provoquait les pires représailles. Quand on n’a aucun espoir d’obtenir satisfaction d’un ennemi, on déchaîne contre lui, par une suprême imprécation, une ombre toute-puissante[121].

A Delphes, l’orpheline Charila, maltraitée par le roi, va dans un coin se pendre, et dès lors elle dépeuple le pays par la famine et la peste, jusqu’à ce qu’on l’apaise par dons et par promesses[122], En Attique, deux Erigonè se pendent, l’une, parce qu’on lui a tué son père Icarios[123], l’autre, pour venger sur les Athéniens l’acquittement d’Oreste[124]. On connaît le Λευκτρικόν μήνιμα : les filles de Skédasos, violées par des Spartiates, se tuèrent en maudissant la patrie des coupables[125], et leur père, n’avant pu obtenir justice, invoqua Erinnys et les suivit dans la mort[126] ; de là, bien longtemps après, la défaite de Sparte à Leuctres. L’Argien Mélissos demande inutilement réparation à Corinthe pour le meurtre de son fils tué par un Bacchiade ; après avoir imploré l’aide des dieux, il va se précipite du haut d’un rocher et attire sur la cité complice des calamités qui ne cessent que par l’éloignement du coupable[127]. Ajax, avant de se jeter sur son épée, fait appel aux Erinyes contre les Atrides, qu’il rend responsables de sa mort, et contre toute l’armée[128] ; dans l’Hadès, où il se plonge, il s’obstine en sa rancune et ne répond aux excuses que par le silence[129]. Il y eut donc une époque où ce n’était pas un geste poétique de se tuer en s’écriant : Omnibus ambra lacis adero : dabis, improbe, pœnas ![130] Sous le coup d’un outrage vraiment mortel, on se faisait fantôme pour tourmenter un adversaire autrement inattaquable et dévaster un pays[131].

Le suicide, vengeance des faibles, devenait ainsi un attentat contre la communauté. Individu, famille, tribu, cité, tout ce qui était menacé par le spectre devait donc chercher à briser ses menaces. La mutilation des suicidés n’a pas d’autre cause, à l’origine. Mais toutes les sociétés primitives où l’on croit que déchirer un cadavre, c’est dompter un vampire, on s’ingénie à enlever toute force au suicidé par des supplices posthumes. Tantôt on le cloue au sol avec un pieu ; tantôt on le décapite ; tantôt on l’ampute des extrémités[132]. Au IVe siècle, les Athéniens lui coupaient la main, qui était enterrée à part[133]. A leur insu, ils pratiquaient la coutume du μασχαλισμός.

Parfois le meurtrier concevait l’espérance d’apaiser sa victime par des offrandes expiatoires. L’offensé en vie se laissait désarmer par des présents ; pourquoi l’offensé mort n’en aurait-il pas fait autant ? Il y avait bien un obstacle à une transaction de ce genre : le meurtrier devait éviter d’assister aux funérailles de sa victime[134] et craignait d’approcher de sa tombe[135]. Mais il ne lui était pas difficile d’envoyer la ποινή posthume par des intermédiaires. Au début des Choéphores, Eschyle s’inspire ainsi des idées les plus antiques[136]. Clytemnestre a vu en songe l’ombre d’Agamemnon. Dès longtemps, pour détourner les malheurs dont elle est menacée, la femme impie a renoncé à une partie des trésors acquis par le crime[137] ; maintenant elle charge Électre et d’autres vierges de répandre sur le monument dont l’accès lui est interdit des libations propitiatoires[138]. Mais le mort ne se contente pas de si peu[139]. Ces honneurs viennent trop tard, et les dons ne sont pas en proportion du forfait[140]. Peu de temps avant la représentation de l’Orestie, la Grèce avait assisté à un spectacle analogue. Le Lacédémonien Pausanias avait tué à Byzance la jeune Kléoniké. Chaque nuit, il voyait dans son sommeil un spectre menaçant. Vainement, pour lui échapper, il se sauva du lieu fatal : il ne l’évita point. Vainement il courut à Héraclée évoquer dans un temple l’âme de l’offensée, implorer son pardon : elle lui apparut encore pour lui annoncer une prompte délivrance par la mort[141].

Le plus souvent, le démon de la victime est implacable et insatiable. Il applique à ses ennemis le principe de responsabilité collective qui régit, à l’époque primitive, toutes les relations des vivants entre eux. Les Grecs n’ont jamais cessé de croire que les âmes en peine peuvent porter malheur à toute une famille, à tout un pays, et longtemps ou même toujours. Elles se délectent au sacrifice des prisonniers[142], la légende est peuplée d’ombres errantes qui vont dévastant les citée par la famine et la stérilité des femmes, la peste et la guerre. Thèbes eut à souffrir de Laios[143] ; Chéronée, de Damôn[144] ; Delphes, de Charila[145] ; Athènes, d’Erigonè[146] ; Corinthe, de Mélissos[147] ; Sparte, de Talthybios[148] et des filles de Skédasos[149] ; Témésa, de Politès[150]. Tous les membres d’une société sont châtiés durant plusieurs générations par un spectre irrité, parce qu’ils sont tous solidaires et de ceux qui ont commis l’offense et de ceux qui n’en poursuivent pas la réparation. Le vampire qui a besoin de sang ne se pose pas le problème moral de la responsabilité : il frappe où il peut, tant qu’il peut, au hasard.

On voit maintenant en quoi consiste essentiellement le devoir de vengeance. Dans sa lutte contre le meurtrier, la victime doit être soutenue par les siens. La mort ne brise pas les liens de la solidarité familiale. Le devoir de vengeance est l’extension de l’aide mutuelle qu’on se doit entre parents. L’offensé, vivant ou mort, a toujours un certain nombre de partisans, appelés dans les épopées homériques άοσσητήρες[151] ou Άρεω άλκτήρες[152] ; l’un d’eux doit plus spécialement prendre en main la cause du mort : il est ce qu’est chez les Hébreux le goël, chez les Arabes le laïr, l’άοσσητήρ[153] ou l’Άρεω άλκτήρ[154] par excellence, et la tragédie athénienne indiquera la véritable mission du τιμάορος[155], du ποινάτωρ[156], de l’άνδρηλάτης[157], en le qualifiant αίμάτων έπίνάορος[158] ou άρωγός[159]. Cette conception a marqué l’esprit des Grecs d’une empreinte indélébile. La vengeance du sang a beau avoir été remplacée dans la suite des temps par la composition pécuniaire et par la poursuite en justice : la famille de l’offensé lui faisait toujours sa part. Lorsque Achille permet à Priam de racheter le cadavre d’Hector, il s’approche de Patrocle mort, il l’appelle par son nom et lui dit en gémissant : Ne te fâche pas contre moi, Patrocle, si tu apprends chez Hadès que j’ai rendu le divin Hector à son père : c’est qu’il m’a donné une rançon qui n’est pas méprisable. Mais tu recevras de moi tout ce qui t’en revient[160]. A l’époque classique, accuser un meurtrier c’était, selon l’idée courante, de porter au secours de la victime (βοηθεΐν)[161], et la condamnation du coupable une vengeance offerte à l’offensé[162].

Le droit de vengeance est si bien un devoir envers la victime, qu’il n’existe plus si la victime a pardonné au meurtrier avant de mourir. Le fait ne nous est pas certifié par la coutume primitive. Mais, dans le code athénien et dans la législation fictive de Platon, le vœu du défunt suffisait à rendre impossibles toutes poursuites pour homicide même volontaire[163]. Cette disposition est inexplicable dans le système de la vindicte sociale et remonte à une époque antérieure.

Au contraire, le cri de vengeance proféré par la victime expirante est une sommation inéluctable. Έπισκήπειν, c’est lier à jamais les hommes de sa famille à l’œuvre de sang, en se refusant à toute réconciliation. Frappé d’un coup mortel, le roi des Minyens, Clyménos, recommande à son fils Erginos de le venger : c’est comme s’il donnait lui-même le signal de la guerre[164]. Dans la cas où la main du criminel a pu se dissimuler, par exemple, dans le cas d’empoisonnement, la parole de la victime fait foi : les vengeurs n’ont pas à faire d’enquête ; ils n’ont qu’à frapper la tête qui leur est désignée. Antiphon et Lysias décrivent des scènes de ce genre. Dans l’une, un moribond fait venir près de lui ses amis et ses parents, les prend à témoin, leur dénonce les auteurs de sa perte[165] ; dans l’autre, un condamné à mort, victime des Trente, charge son frère et son beau-frère de punir l’assassin, et sa femme enceinte d’apprendre un jour le devoir à leur enfant, si c’est un fils[166]. Ici la satisfaction exigée est celle qu’accordent des juges ; jadis c’était celle qui se prend à main armée. L’έπίσκηψις est un testament de haine à force obligatoire[167].

Ceux qui sont tenus par la sommation du mort procèdent, le jour des funérailles, à une cérémonie symbolique. En leur nom à tous, le plus proche parent de la victime portait solennellement une lance durant les obsèques et la plantait sur le tertre sépulcral : c’est ce qu’on appelait έπενεγκεΐν δόρυ[168]. Le sens de celte cérémonie était double. C’était d’abord la contrepartie μασχαλισμός : on remettait au mort une arme pour se défendre contre les mutilations et les insultes[169], de même qu’on l’aidait à écarter l’assassin de toute personne animée de mauvaises intentions, en montant la garde autour de sa tombe durant trois jours[170]. Mais surtout c’était une déclaration de guerre. Les auteurs nous parlent d’une proclamation qui ne faisait au même moment. Cette xxx[171] ne pouvait entre, à l’origine, qu’un appel aux arases et un dieu. C’est ainsi que, chez les Frisons du Moyen Age, un des proches donnait par trois fois de l’épée nue sur la tombe, en criant chaque fois : Vengeance ! (Vrack !)[172]. La famille de la victime annonçait donc officiellement l’ouverture des hostilités[173]. Peut être Eschyle nous a-t-il conservé dans les Choéphores, quelques mots de la formule usitée, en les empruntant à un rituel d’exégètes[174]. Lorsque Électre vient apporter sur la tombe d’Agamemnon les offrandes de Clytemnestre, elle demande à ses compagnes quels mots elle doit prononcer[175]. Plusieurs locutions propitiatoires ou purificatoires se présentent à son esprit[176] ; mais elle songe aussi à la locution traditionnelle parmi les hommes, celle qui promet le mal pour le mal[177]. C’est celle-là que le chœur l’engage à choisir : Souviens-toi du meurtre et souhaite aux coupables... qu’il vienne un démon ou quelque mortel qui les tue à leur tour[178]. Et, en effet, Électre s’écrie : Je le dis, père, lève-toi contre les ennemis en vengeur ; fais mourir à leur tour ceux qui ont tué, ce sera justice[179]. Cette imprécation, la κάκη άρά[180], doit rappeler celle que fulminait le vengeur du sang. En tout cas, il se conformait à un cérémonial qui se perpétua dans le droit des gens[181], il faisait comme le férial romain qui déclarait la guerre en lançant un javelot sur le territoire ennemi[182] : de la parole et du geste, il donnait le signal des hostilités au nom du mort.

Tant qu’il n’a pu obtenu satisfaction, le démon apparaît en rêve, non seulement à l’offenseur, mais encore à ceux qui sont chargés de la vengeance. Il vient leur dire le devoir. La scène est décrite dans l’Iliade[183]. Achille dort sous sa tente : Survient l’âme de l’infortuné Patrocle, en tout semblable à lui-même, par la taille, la beauté du regard, la voix et les vêtements jetés sur ses membres. Elle se pose au-dessus de sa tête et lui dit : Tu dors, tu m’as donc oublié, Achille ? Vivant, tu ne me négligeais pas ; tu me négliges mortAchille aux pieds légers répond : Tête chérie, pourquoi es-tu venue ici et me fais-tu sur chaque chose tes recommandations ? Tout sera fait : j’obéirai à tes ordres... En achevant ces mots, il étend les bras et ne peut rien saisir l’âme, telle qu’une fumée, disparaît sous terre, avec un petit cri. Patrocle, il est vrai, se borne à demander qu’on lui rendes les derniers devoirs ; mais Achille ne se croit quitte envers lui qu’après l’avoir vengé[184]. Ailleurs, l’âme en peine dit ouvertement ce qu’il lui faut. Un Arcadien en voyage est assassiné dans une hôtellerie ; son compagnon, logé dans une autre maison, voit aussitôt en sommeil son ombre avide de vengeance[185]. On savait, sans doute possible, que, dans la nuit qui précéda la bataille de Leuctres, les filles de Skédasos apparurent à Pélopidas, lançant des imprécations contre les concitoyens de leurs offenseurs[186].

Si de pareilles injonctions restaient sans résultat, la colère du mort se retournait contre le parent félon. En rendant à Priam le corps d’Hector, Achille craint de fâcher Patrocle et lui promet un dédommagement[187]. Oreste sait ce qui l’attend s’il ne frappe pas les meurtriers de son père. C’est sur moi, dit-il, je le tiens de l’oracleque l’ombre chérie se vengerait par d’intolérables tourments.... La maladie envahirait mes chairs, et de sa dent sauvage la lèpre dévorerait ma santé... D’autres assauts encore m’étaient annoncés, qu’exécuteraient les Erinyes nées du sang paternel : une vision, prunelle étincelant dans les ténèbres, sourcil froncé. Car l’invisible trait que lancent les trépassés... et la rage furieuse et les vaines terreurs qu’enfante la nuit agitent, troublent et chassent de sa patrie celui qui n’est plus qu’un corps meurtri par un fouet d’airain[188]. Aussi, quand Clytemnestre, sous le poignard d’Oreste, se redresse en criant : Gare aux chiennes irritées de ta mère ! il n’a qu’a répondre : Et celles de mon père, comment leur échapper, si je m’abstiens ?[189] Dans la période où la vengeance privée sera remplacée par le recours a la juridiction sociale, le devoir de l’accusateur aura la même sanction. Tant que les parents de la victime n’auront pas poursuivi le meurtrier, ils seront exposés a la malfaisance d’un fantôme mécontent, qui ameutera contre eux tout un monde de fantômes[190]. Au contraire, du moment où ils auront traîné le vrai coupable devant le tribunal, ils auront dégagé leur responsabilité : en cas d’acquittement, le mort ne pourra s’en prendre qu’au meurtrier ou aux juges[191].

Le vengeur qui connaît son devoir et cherche à le remplir vient de lui-même faire des promesses et demander du secours sur la tombe de la victime. Les Grecs ont toujours cru à l’utilité des relations directes entre le mort et ses champions. A Leuctres, avant d’engager la bataille, les Thébains ornèrent et couvrirent de sang la tombe où se lamentaient les filles de Skédasos, et c’est aux abords de cette tombe, enfin réjouis, qu’ils firent le plus grand carnage[192]. Dans les Choéphores, Eschyle tire de cette idée d’admirables effets de pathétique. Le centre de l’action est le tombeau d’Agamemnon. Ce tombeau est un autel où l’on communie dans la haine[193]. Oreste, de retour dans sa patrie, va droit au tertre funéraire, pour y déposer une boucle de ses cheveux, symbole de consécration, et annoncer solennellement qu’il est homme, que l’heure est venue[194]. Electre vient, de son côté, entretenir dans son cœur le souvenir du crime et l’espoir du châtiment ; elle voit le mort, elle lui parle, elle l’excite[195]. Et quand le frère et la sœur ce concertent pour l’œuvre sainte, ils appellent avec insistance le trépassé à la rescousse ; ils entremêlent dans d’effroyables litanies les cris de colère et les formules d’évocation. Je t’invoque ; père, sois avec les tiens. — Et moi, mes répons sont des gémissements... — Écoute, parais au jour ; sois avec nous contre les adversaires.... — Entendez notre prière, puissances de l’enfer, envoyez du secours à des enfants qui comptent sur votre bienveillance pour être victorieux. — Père, toi qui mourus d’une mort indigne d’un roi, je le demande de me faire régner dans ton palais. — Et moi aussi, père, j’ai besoin de toi, pour éviter un grand mal et l’infliger à Egisthe. — Ô Terre, livre passage à mon père, qu’il m’assiste dans le combat. — Ô Perséphonè, accorde-nous un triomphe éclatant. — Souviens toi du bain où tu fus immolé, père. — Souviens-toi du filet où ils t’ont tué.... — Te réveilles-tu au bruit de ces outrages, père ?Redresses-tu ta tête chérie ?Envoie donc la justice combattre avec les tiens. — Donne-leur de rendre les coups qu’on te porta... — Si, vaincu, tu veux avoir ton tour. — Ecoute ce dernier cri que je t’adresse, père. Vois tes enfants debout sur ta tombe, prends en pitié ta fille et ton fils qui pleurent.... — Écoute, c’est pour toi ces plaintes : exaucer nos vœux, c’est te sauver toi-même[196]. Puisque la mort n’éteint pas les obligations réciproques, le père continue de protéger le fils, comme le fils de soutenir le père. Le trépassé mène la lutte avec ses champions, et le vengeur est celui qui met le trépassé à même de se venger. Voilà pourquoi, à l’heure de l’expiation, les meurtriers sont amenés à leur tour devant le tombeau. Le sentiment primitif est rendu avec une simplicité saisissante par l’homme du peuple qui dit : Le mort tue le vivant[197].

Non, ce trait n’est pas une invention de poète. Il vient droit de la vie réelle. Le jour de la vengeance venu, on offrait, au mort lui-même, sur sa tombe, si c’était possible, les victimes auxquelles il avait droit. L’immolation de l’assassin était une sorte de sacrifice expiatoire[198], et, à défaut de l’assassin, on immolait un certain nombre de ses parents ou de ses compatriotes. Achille ne veut pas que Patrocle descende chez Hadès sans être escorté d’ennemis : il ravive obstinément sa haine au spectacle du cadavre gisant. Je ne t’ensevelirai point, dit-il, avant d’apporter ici les armes et la tête d’Hector, ton insolent meurtrier ; je décapiterai devant ton bûcher douze beaux enfants de Troyens, pour venger ta mort[199]. Et, en effet, il épargne dans la bataille douze jeunes dans d’élite, qu’il réserve comme ποινή à son compagnon ; il les entraîne comme des faons[200] et bientôt il les égorge, pour lancer leurs corps dans le feu qui consume le corps de Patrocle[201]. Puis, après l’enterrement, il attache à son char le cadavre d’Hector et le traîne trois fois autour de la tombe[202]. Il ne faut pas être surpris de voir cette coutume persister chez les voisins des Hellènes à l’époque historique. Le Phrygien Adrastos, ayant eu le malheur de tuer à la chasse le fils de son bienfaiteur Crésus, demande à être égorgé sur le cadavre ; il ne veut pas de la grâce qu’on lui accorde et, pendant la cérémonie funèbre, au moment du silence rituel, il se tue sur la tombe du pauvre enfant[203]. En Macédoine, Alexandre le Grand fait massacrer sur le sépulcre de Philippe les complices de l’assassin[204]. Ce qui est plus étonnant, c’est que des faits pareils aient pu se produire sans aucun simulacre, en pleine Grèce et jusque dans les dernières années de l’indépendance[205]. Les gens de Témésa, pour apaiser le spectre de Politès, justement mis à mort, lui livrèrent tous les ans la plus belle de leurs filles, jusqu’à ce qu’au Ve siècle, l’athlète Euthymos eût vaincu et chassé le démon[206]. Après la mort de Philopœmen, il ne suffit pas aux Achéens de contraindre au suicide ou de faire périr, dans les supplices tous les Messéniens qui avaient pris une part quelconque à son exécution : ils inaugurèrent le tombeau de leur chef en y lapidant leurs prisonniers[207]. Platon veut que l’esclave condamné pour meurtre soit tué a coup de verbes par le bourreau en vue du tombeau de sa victime[208]. Rien n’éclaire mieux que ces survivantes les temps les plus reculés de la Grèce : en faisant payer sa dette au meurtrier, le vengeur du sang s’acquittait lui-même d’un devoir envers le mort[209].

III. — Les vengeurs.

La vengeance du sang est essentiellement un acte de solidarité, Cette conclusion nous apparaîtra plus nettement encore, si nous examinons de près quels sont dans l’âge homérique les adversaires des meurtriers.

Nous ne trouvons nulle part, dans la légende et l’épopée, de principe général pour déterminer les degrés de parenté auxquels étaient attachés le droit et le devoir de vengeance. Plus tard, quand la poursuite s’exerçait sous la forme juridique, il n’y avait pas corrélation entre le droit de succession et le droit de vengeance[210]. C’est donc une hypothèse sans fondement qu’émet Leist[211], quand il prétend qu’à toutes les époques le rapport était étroit entre la successibilité et la vengeance du sang. Faute de principe certain, nous sommes réduits à examiner des cas particuliers et à nous demander ce qu’il est possible d’en inférer.

La victime d’un meurtre a pour vengeurs, avant tous autres, les hommes de sa famille qui habitent dans la même maison[212]. Il s’agit de cet ensemble des plus proches parents que les Athéniens appelleront οΐκος[213]. Dans l’Iliade comme dans l’Odyssée, la mission de chercher vengeance ou de composer revient souvent au père : Tros se fait payer par Zeus l’enlèvement de son fils Ganymède[214] ; Eupeithès arma contre Ulysse après la mort de son fils Antinoos[215]. D’autres fois, la vengeance est un devoir fraternel. On compte sur les bras de ses frères, si grave que soit la querelle[216], et, en effet, le meurtrier Théoclyménos fuit devant les frères de sa victime[217]. Si la honte rejaillit jusque dans la postérité sur celui qui ne châtie pas les meurtriers de ses enfants et de ses frères[218], c’est pourtant le fils qui a, de préférence, le droit et le devoir de la vengeance privée[219]. Qu’y a-t-il de plus beau sur terre ? Venger ses parents offensés[220]. C’était la pensée des Grecs, qu’ils aimaient à retrouver chez les étrangers. Dans la légende, les fils d’Apis forcent Aitolos à s’exiler[221], les fils d’Alcmaion tuent avec l’aide de Zeus la famille de Phègeus[222], Kytissôros est frappé pour n’avoir pas vengé un père sur la personne d’un grand-père[223]. Si jeune qu’ait été le fils au moment où son père succombait, ne fût-il pas encore né, le devoir de vengeance pèse sur lui, et les années qui s’écoulent ne l’en dispensent pas : qu’on se rappelle l’Orestie[224]. Aussi l’exclamation menaçante de l’Odyssée[225] : Quel bonheur pour un homme tué de laisser un enfant ! a-t-elle pour contrepartie l’exclamation sinistre des Chants cypriens[226] : Insensé qui, ayant tué le père, laisse vivre les enfants ! Les massacres d’innocents ont pour cause principale, non une bestialité sanguinaire, mais la crainte du châtiment à venir[227]. Les filles sont épargnées, mais elles sont condamnées à la virginité perpétuelle[228], parce que le devoir de vengeance passe au petit-fils[229] : c’est un héritage pour la transmission duquel un admet la représentation.

Les parents plus éloignés prennent aussi en main la vengeance du mort. La vengeance est transversale : de même qu’elle frappe les collatéraux, elle les arme. Le neveu et le cousin sont tenus de l’obligation sacrée, dans la cité comme sur le champ de bataille[230]. Phérès et Amythaon, Admètos et Mélampous se joignent à Jason, pour venger leur frère et oncle Aison[231]. Le cas de Ménalippos, adversaire de son cousin Tydeus, est particulièrement remarquable : d’après une version, il est le vengeur de son oncle Alcathoos ; d’après une autre, il se porte champion de ses huit cousins, les fils de Mélas[232] ; enfin, d’après Phérékydès, il poursuit en Tydeus le frère meurtrier du frère (Olénias), aux lieu et place d’un père trop vieux pour venger un fils sur un fils[233]. Il n’est pas jusqu’aux petits-neveux et arrière-petits-neveux de la victime qui ne menacent et n’expulsent le meurtrier[234].

L’homicide atteint un γένος entier. Tous ensemble ou chacun en particulier, les parents du mort se portent au-devant du meurtrier. On ne se préoccupe pas de savoir qui est l’héritier. Le père n’hérite pas, la coutume s’y oppose : il n’en court pas moins venger son fils, tant que la vieillesse ne trahit pus sa haine. Les collatéraux, dans la période homérique, recueillent de plein droit la succession à défaut de fils[235] ; mais on ne voit pas qu’ils se demandent, avant d’entrer dans la lutte, si le défunt laisse un fils vivant : ils se sentent attaquée ; c’est assez, ils courent à l’ennemi. La vengeance du sang n’est pas un héritage moral à titre onéreux ; elle est un acte de solidarité familiale, qui s’accomplit selon des règles antérieures au principe même de la succession individuelle.

Les parents de la victime n’ont même pas besoin d’être des agnats pour intervenir. Lycos a peur que les Héraclides, devenus hommes, ne s’érigent en vengeurs de leur grand-père maternel Créon[236]. Deiphobos s’encage à venger Asioa, son oncle maternel[237]. Héraclès venge Oiônos, qui est son cousin par sa mère Alcmène[238]. L’action des parents en ligne masculine n’exclut pas celle des parents en ligne féminine : le droit de l’épée ne supprime pas le droit du fuseau.

On admet même le concours des parents par affinité. Après les personnes du même sang et du même γένος, ceux qu’on chérit le plus et dont la mort inspire le plus de regrets, ce sont les alliés, les πηοι, et au premier rang le beau-frère, le gendre et le beau-père[239]. Enée ne prend aucune part aux combats et reste inactif auprès de Priam ; mais, lorsque Alcathoos, le mari de sa sœur Hippodamia, est frappé à mort par Idoménée, c’est lui que Deiphobos vient chercher ; c’est à son sentiment de famille qu’il est fait appel[240]. De même, Alcmène fait venger le meurtre de ses frères par sec indri Amphitryon[241].

La femme mariée procure donc à sa famille d’origine l’appui de sa nouvelle famille et réciproquement. En contractant le lien conjugal, elle n’a pas rompu les liens naturels. Elle n’a pas changé de κύριος. Son père continue d’être responsable de ses actes. C’est lui qui est tenu de la réparation, si elle est surprise en flagrant délit d’adultère : engagé comme vendeur, soumis à l’obligation de garantie, il restitue à son gendre les έεόνα, en guise de ποινή[242]. Par suite, c’est lui le principal offensé au regard des deux coupables, c’est lui leur juge : Bellérophon, accusé par Anteia, est envoyé par le mari au père[243]. Mais les obligations de la solidarité sont toujours compensées par des droits. Vivante ou morte, la femme a pour champions son père, ses frères, ses cousins, même à l’égard de la famille oit l’a placée le mariage, même à l’égard de son mari[244]. Il y a dans la légende des Argonautes un épisode où sont résumées les règles de droit coutumier qui déterminaient à l’origine la situation de l’épouse entre ses deux familles. Phineus, sous l’empire de sa seconde femme, Idaia, persécutait la première, Cléopatra, et tenait emprisonnés les fils qu’il avait eus d’elle. Les frères de Cléopatra, les Boréades, vinrent à son secours. Ils tuèrent Phineus. Mais on n’osa pas porter la main sur Idaia. Elle fut renvoyée à son père Dardanos, qu’on mit en demeure de la châtier et qui la condamne, en effet, à mourir[245]. A trois reprises se manifeste ici, bous la forure active ou passive, la solidarité de la femme mariée et de ses parents naturels : 1° des frères vengent leur sœur sur son mari, διά τήν συγγένειαν[246] ; 2° on épargne une femme mariée, par peur de son père ; 3° le père d’une femme mariée la sacrifie à la famille alliée, pour dégager ma responsabilité.

En aucun cas, la femme n’est apte à exercer elle-même le droit de vengeance. C’est un trait commun de mœurs qu’on observe toujours dans le système de la vengeance privée. Sacro-sainte chez certains peuples, la femme jouit chez tous d’une sécurité relative[247]. A l’origine, elle est préservée du carnage par la lubricité ou la cupidité du vainqueur ; plus tard la vengeance paraît plus complète et plus glorieuse, si elle retombe sur ceux qui font la force et l’orgueil du groupe ennemi[248]. Par contre, les femmes ne comptent jamais parmi les vengeurs du sang. Femineo sexu esse probantur, non postant ipsam faidam levare[249], la formule est de droit germanique, la règle est universelle, Chez les Grecs aussi, la σιδηροφορία est l’apanage de l’homme. D’arme qu’il ne quitte pas, qui fait partie de sa personne, qui constitue, pour ainsi dire, son sexe, détermine sa capacité guerrière et juridique. Seul il a le droit et le devoir de combattre pour les siens. Althaia, inconsolable de la mort de ses frères, lance contre son propre fils les plus terribles malédictions, sans songer à s’armer contre lui[250]. Les Cariennes de Milet, dont les Ioniens ont fait périr les pères, s’interdisent par serment de manger avec les assassins et de leur donner le nom d’époux ; elles n’en sont pas moins leurs femmes, bien paisiblement[251]. Longtemps après la période homérique, on cherchera des circonstances atténuantes au crime de Clytemnestre, en faisant d’elle une mère qui venge sa fille, faute d’autre vengeur[252] ; dans les parties anciennes de l’Odyssée, Clytemnestre ne prête pas à Egisthe de concours matériel[253]. La fantaisie des poètes imaginera un jour une Alphésiboia vengeant son époux sur des frères[254] ; la légende authentique se contente d’une Arsinoé accablant let assassins de reproches[255].

Mais si la femme ne fait pas la guerre, elle excite ceux qui la font. On sait, par l’exemple des Cimbres et des Teutons dans l’antiquité, des Kabyles ou des Australiens dans les temps modernes, à quel paroxysme que porte dans ces moments-là chez les femmes primitives la fureur des paroles, des gestes et des sentiments. Les plus vieilles coutumes dictent le devoir des femmes dans les affaires de sang. Chargées de pleurer les morts de la famille, elles achèvent les lamentations en menaces et passent des sanglots aux cria de guerre, quand le mort a été frappé par la main d’un ennemi. La thrène hellénique, c’est le vocero corse. On comprend quel effet terrible pouvaient produire ces femmes qui, durant neuf jours quelquefois[256], s’avançaient à tour de rôle près du cadavre et, tenant sa tête entre leurs mains, ruisselantes de larmes, échevelées, improvisaient des chants de douleur qui renouvelaient les gémissements de leurs compagnes[257]. Les hommes étaient là, roulés dans la poussière et la fange[258], énervés par de longs jeûnes[259], ces jeûnes qui font voir rouge aux Orientaux. Quel frisson passait sur eux et comme ils devaient se redresser les poings crispés, s’ils entendaient tout à coup une Hècabè maudire le meurtrier en s’écriant : Que ne puis-je fourrager dans ses entrailles et lui arracher le foie pour le dévorer ![260] Tant que la crime reste impuni, la femme remplit son ministère d’Erinnys inassouvie[261]. Elle recherche avec acharnement le meurtrier inconnu de ses fils[262]. Son mari est trop lent à la vengeance ? elle se refuse à tout embrassement. C’est elle, mère ou grand-mère, sœur ou tante, qui, durant de longues années, prépare les enfants à la mission qui leur est assignée dès l’âge le plus tendre ou même avant la naissance. Elle fait honte aux lâches : à elle le rimbecco, comme le vocero. Incapable de manier le fer, elle met le fer en main à qui doit s’en servir.

Telles sont les idées dont s’imprégna pour toujours le caractère d’Electre. La Grèce héroïque créa le type de la fille vengeresse, et ce type, conservé dans la légende de l’Oreste, s’imposa aux trois grands tragiques d’Athènes. — L’Électre d’Eschyle est animée d’une passion féroce contre les meurtriers de son père. Tout l’exaspère, le passé, où elle ne voit que sang, le présent, où elle ne sent qu’oppression. Et pourtant elle ne fait rien ; elle attend Oreste : le vengeur désigné, c’est l’homme[263]. — L’Electre de Sophocle, elle aussi, se consume duos une haine impuissante. Ah ! si la vengeance partait de sa main ! Dans un moment de fureur, son esprit s’égare en cette espérance. Mais non, c’est impossible : consciente de son impudence, elle rougit d’elle-même[264]. Elle doit compter sur son frère. C’est seulement lorsqu’elle croit ce frère mort, lorsqu’elle ne voit plus personne à qui se fier pour remplir le devoir sacré, qu’elle s’en charge, par un coup de désespoir[265]. Mais Chrysothémis, à qui elle offre l’honneur de la complicité, la repousse d’un mot : Tu n’es pas un homme[266]. Réponse dictée par la froide raison, dont le chœur loue la sagesse et qu’Electre même prévoyait[267]. Il faut être une exaltée compte elle pour revendiquer une mission où ni la nature ni les mœurs ne la destinaient. Aussi bien, qu’Oreste reparaisse, celle renonce à un rôle actif : elle excite, elle ne frappe pas[268]. — Quant à Électre d’Euripide, Egisthe refuse de lui choisir un époux, pour que d’elle ne naisse pas un vengeur d’Agamemnon, Άγαμέμνοιος ποινάτωρ[269]. Si la stérilité d’une femme doit être pour le meurtrier un gage d’impunité, c’est qu’une femme ne peut pas M’ériger en agent de la Justice privée. Toujours la règle du droit primitif ; toujours cette maxime : La femme seule n’est rien : elle n’a rien à faire avec Arès[270].

Après les parents et les alliés, se présentent comme champions de la victime ceux que l’épopée homérique appelle les έται. Contre le meurtrier Théoclyménos s’élancent πολλοί κασίγνητοί τε έται τε[271]. Le terme est embarrassant. Pour les uns, le rapprochement des κασίγνητοι et des έται indique que les έται sont les parents éloignés par agnation[272] ; pour les autres, ce sont les parents par affinité[273]. Mais a-t-on prouvé que par έται Homère entendit soit des συγγενεΐς, soit des πηοί ?

Les auteurs qui tiennent pour le droit exclusif des agnats sont évidemment frappés de ce fait, qu’on ne peut pas sauter des frères à des étrangers, ni même à de simples alliés, sans tenir compte des parentèles plus ou moins éloignées. Seulement, ils ne voient pas que dans la langue homérique les κασίγνητοι ne sont pas nécessairement, exclusivement des frères. Au milieu d’une mêlée, Hector excite ses κασίγνητοι, et avant tous les autres Ménalippos, à venger Dolops[274]. Or, la parenté de Ménalippos, fils d’Hikétaon[275], est identiquement la même par rapport à Hector, fils de Priam, que par rapport à Dolops, fils de Lampos[276] : ils dont tous les trois petits-fils en ligne masculine de Laomédon[277], tous les trois cousins germaine. Si donc Dolops est appelé άνεψιός par rapport à Ménalippos[278], et Ménalippos κασίγνητος, par rapport à Hector, c’est que l’άνεψιός compte parmi les κασίγνητοι[279]. Autre exemple. On demande à Télémaque si, pour soutenir ses droits, il ne peut pas compter sur des κασίγνητοι. Non, répond-il ; car, ainsi que tu vas voir, le fils de Cronos a voulu que notre lignée n’ait jamais qu’une branche. Arkeisios a engendré un fils unique, Laërte ; Laërte à son tour a été père du seul Ulysse ; enfin Ulysse n’a laissé d’autre enfant que moi dans son palais[280]. Télémaque considère donc comme κασίγνητοι, non seulement les frères, mais encore la descendance d’un grand-père (oncles et cousins germains) et même celle d’un arrière-grand-père (grands-oncles, oncles à la mode de Bretagne et cousins issus de germains). Une déduction d’une rigueur absolue nous mène à cette conclusion, que les κασίγνητοι sont les collatéraux, au moins depuis les frères jusqu’aux cousins germains et cousins issus de germains[281]. Mais les έται ne peuvent-ils pas être les parents au delà du degré de cousins issus de germains, les parents éloignés dont la parenté n’est pas exprimée par un terme spécifique[282]. On pourrait le soutenir, si le raisonnement que nous venons de faire pour la locution κασίγνητοί τε έται τε ne s’appliquait pas à une autre locution de l’Iliade, έται καί άνεψιοί[283]. Les έται, qui déjà s’opposent, non seulement aux frères, mais aux cousins issus de germains, s’opposent encore à tous les cousins d’un degré appréciable[284]. Tout le cousinage est ainsi compris dans le genre κασίγνητοι. Par conséquent, les έται ne peuvent être des συγγενεΐς ou parents quelconques par le sang.

Mais alors ne sont-ce pas les parents par alliance ? Cette seconde hypothèse est d’une fausseté presque aussi manifeste que la première. Le même texte de l’Odyssée qui distingue nettement la parenté naturelle (αΐμα τε καί γένος) et l’affinité (πηοί) distingue avec une clarté pareillement saisissante le πηός et l’έταΐρος[285]. Il suffit donc d’établir l’analogie, sinon l’identité, des έται et des έταΐροι, pour démontrer que les έται ne sauraient être confondus avec les πηοι. Cette analogie nous semble certaine. Laissons là l’étymologie : la communauté d’origine entre les mots έται et έταΐροι est admise couramment[286], et les lexicographes anciens en concluaient une synonymie[287] ; mais l’argument, souvent contesté, est contestable en effcf. Il y en a d’autres. Les έται, qui concourent avec les κασίγνητοι à la vengeance du sang, s’unissent aussi à eux, pour suivre un convoi[288], et, lorsqu’ils partent en guerre, les femmes s’intéressent au sort des uns et des autres[289]. Or, les έταΐροι se joignent également aux κασίγνητοι[290], pour célébrer des funérailles[291], et Homère va jusqu’à dire qu’un έταΐρος peut n’être pas moins cher qu’un frère ou que des parents[292]. Nous voyons banqueter ensemble tantôt des έται[293], tantôt des έταΐροι[294]. Phoinix raconte deux anecdotes où, dans des circonstances identiques, pour fléchir des héros irrités, les parents se font aider, ici par des έται[295], là par des έταΐροι[296]. Enfin les έταΐροι doivent avoir mêmes amis et mêmes ennemis[297] : ils se vengent entre eux, aussi bien que les έται[298]. C’est là tout le dénouement de l’Iliade : quand Achille se déclare champion et vengeur de Patrocle, il ne sonie pas un instant à de vagues liens de parenté[299] ; en bon έταΐρος, il veut le sang de celui qui a tué son έταΐρος[300] et reçoit au nom de la victime le prix du meurtre[301]. Si Ulysse s’acharne contre le Cyclope, c’est pour prendre la ποινή à laquelle ont droit ses έταΐροι massacrés[302]. Bref, les έται présentent tant de ressemblance avec les έταΐροι, qu’on ne peut guère concevoir différemment leurs relations mutuelles. Donc ils ne sont pas plus des parents par mariage que des parents par naissance[303].

Ils ne peuvent être, comme les έταΐροι, que les membres d’un même groupe social. Il est vrai que les groupes dont font partie les έταΐροι, ne semblent pas toujours identiques à ceux des έται. C’est ainsi qu’Hector peut dire à Ajax d’aller rejoindre ses έτας καί έταίρους[304], sans qu’il y ait dans ce langage ni la prétendue tautologie qui a fait obéliser le vers par Aristarque[305], ni la preuve péremptoire que L. Lange a cru y trouver contre toute assimilation des έται et des έταΐροι [306]. Quant à préciser la différence, cela est difficile. Pourtant il n’est pas impossible de faire concorder quelques renseignements épars.

On pourrait supposer que les έται et les έταΐροι sont les membres de groupes plus ou moins étendus, les uns faisant partie d’une même phratrie, les autres d’une même tribu. Mais en cherchant dans cette voie, on ne trouve rien. Il est bien plus intéressant de constater que les ίταΐροι n’ont guère de rôle à jouer en temps de paix. Ce sont le plus souvent des guerriers en campagne ou des marins en cours d’expédition, Dans l’Iliade, ce sont les hommes qu’avant la bataille Agamemnon range par tribus et par phratries ; dans l’Odyssée, ce sont les compagnons d’Ulysse. Voici deux détails bien significatifs : les parents qui viennent supplier Méléagre et Phoinix de se prêter à une réconciliation sont accompagnés d’έταΐροι dans Calydôn assiégé[307] et d’έται dans la ville paisible d’Orménion[308] ; le corps de Sarpédon, transporté miraculeusement en Lycie, y est enseveli, en l’absence de ses έταΐροι et retenus à Troie[309], par ses κασίγνητοι et ses έται[310], tandis qu’Hector est enterré à Troie par ses κασίγνητοι et ses έταΐροι[311]. Il est donc vraisemblable que les έταΐροι sont des έται sur le pied de guerre[312], surtout les έται de la même ήλικία[313]. En ce cas, il peut être fait mention des έται à l’armée, plus rarement, il est vrai, que des έταΐροι ; mais le plus souvent il doit être question d’eux, et d’eux exclusivement, dans les scènes empruntées à la vie civile. C’est précisément ce qui arrive. D’une part, les compagnons d’armes sont bien entre eux à la fois έται et έταΐροι[314], comme concitoyens et camarades ; mais pour les non-combattants, pour les femmes de leur patrie, ils ne sont qu’έται[315]. D’autre part, les έται interviennent dans les actes importants qu’impliquent les relations sociales : ils assistent avec la famille aux festins de noces[316], et aux funérailles[317]. Ils l’aident pour obtenir vengeance[318] ou amener une réconciliation[319].

Les έται sont donc très probablement les membres des γένη au sens large ou des phratries, et dans le rapprochement ordinaire des κασίγνητοι et des έται on croirait surprendre, comme un souvenir lointain, la signification primitive de la φρήτρη. Celle conclusion est celle qu’avait adoptée L. Lange[320]. Mais il admettait entre les έται un lien de parenté authentique : il creusait ainsi un fossé infranchissable entre deux sens qu’il était bien obligé de donner au mot, celui de parents et celui de citoyens. Ce qui est vrai, c’est que les hommes de l’époque homérique assimilent volontiers les rapports entre έται aux rapports entre parents : les Grecs ont toujours conçu l’union entre citoyens faisant partie d’un groupe, d’une ville ou même de plusieurs villes sur le modèle de la parenté par le sang. Mais il ne faut pas se laisser tromper par un principe idéal. Il rappelle peut-être une réalité primitive, celle qu’a décrite Fustel de Coulanges ; mais, à l’époque homérique, la parenté qu’il proclame n’est plus que théorique, sentimentale, mystique. Les sociétés d’έται sont déjà des hétairies à la façon crétoise[321]. Et déjà l’on voit apparaître dans le mot έτης ce sens général et vague de citoyen[322] qui se retrouve au VIe siècle chez les peuples du Péloponnèse[323]. Par conséquent, les έται qui prennent part à la vengeance du bang dans l’épopée sont identiques aux λαοί άνά δήμον qui, comme eux, prêtent main forte aux κασίγνητοι de l’offensé[324]. Ils ne sont ni des συγγενεΐς ni des πολϊται quelconques. Ils occupent une position intermédiaire : ce sont de γεννήται ou des φράτορες. Dire qu’il faut, pour se complaire à une guerre civile entre offenseur et offensé, être sans phratrie et sans foyer[325], c’est dire que les κασίγνητοι et les έται qui sont engagés dans toute guerre de ce genre sont las membres de la famille et de la phratrie[326].

Parents, alliés, φράτορες, tous ensemble courent sus au meurtrier[327]. Tu ne dois pas être l’ami de mon ennemi, dit Achille à Phoinix, pour ne pas te faire haïr de moi qui t’aime. Il est beau pour toi de m’aider à faire du mal à qui n’a fait du mal[328]. Voilà toute la psychologie de la solidarité dans la vengeance. Elle ne convient pas à une famille seulement, mais à une partie de la cité. On considère comme une exception qu’un homme frappé au milieu de ses concitoyens, ένί δήμω, ne laisse pas derrière lui un grand nombre de champions, πολλοί άοσσητήρες[329]. Théoclyménos est traqué par une bande nombreuse (πολλοί), lorsqu’il a eu le malheur de tuer un membre de sa tribu (έμφυλον)[330]. Médée, après avoir empoisonné Créon, fuit la colère de tous ses parents et amis[331]. Pour venger Antinoos, Eurymachos propose aux autres prétendants de se répandre en ville pour pousser le cri de guerre[332], et, quand tous les prétendants sont tués, la moitié d’Ithaque suit Eupeithès, en armes[333]. A la famille lésée s’adjoint, dans les cas graves, le γένος tout entier, la phratrie en corps. Une fraction de l’armée se mobilise.

Et c’est vraiment une guerre qui commence, si le meurtrier est soutenu par les siens[334]. La lance en main, le héros homérique est toujours l’homme de son γένος. Mon frère n’a pas attendu longtemps le paiement de sa ποινή, s’écrie un Troyen qui vient d’immoler un Grec, et il ajoute : Tout homme désire laisser en sa demeure un parent, champion de son sang[335]. En pleine mêlée, on est l’Άρεω άλκτήρ[336], l’άοτσητήρ[337] des siens, et l’on cherche parmi les ennemis un adversaire particulier[338]. Quand un guerrier tombe, il convie[339] ou d’autres en son nom appellent à la vengeance[340] un de ses proches ou de ses amis : Achille sort de sa tente quand il a Patrocle à venger[341]. La vendetta est une guerre, comme la guerre est une série indéfinie de vendette.

En résumé, la vengeance du sang apparaît tantôt comme un droit que les membres d’un γένος exercent sur les membres d’un autre γένος, tantôt comme un devoir imposé aux parents par le souci de l’intérêt commun et par les légitimes exigences du trépasse. Da toute façon, elle est la manifestation la plus éclatante de la solidarité primitive. Elle nous montre la famille réagissant contre l’ennemi extérieur de toute sa colère et de toute sa puissance. Elle nous fait voir la constitution intime de ces sociétés où tous combattaient ensemble, liés les uns aux autres, vivants et morts.

 

 

 



[1] Citant ici, comme travaux d’ensemble, les ouvrages d’ethnographie juridique publiés par Pott, Steinmetz et Kohler. Pour la Grèce primitive, voir Van Limburg Brouwer, I, p. 136-144.

[2] Choéphores, 66-67, 72-74, 312-314 ; cf. 123, 144, 400-405, 930. Voir encore Ag., 1323-1325, 1562 ss., 1430 ; Choéphores, 309-310.

[3] Quand Ulysse cherche à dissimuler son identité, il se donne pour un Crétois qui a commis un assassinat dans un guet-apens nocturne (Odyssée, XIII, 282-269). Cf. XV, 2-1 ss., 508 ss.

[4] La distinction de l’acte prémédité et de l’acte involontaire n’existe que dans les sociétés relativement avancées. Chez les Indo-Européens en général, elle fait totalement défaut ou n’apparaît que tardivement dans les lois écrites. La théorie contraire de Leist (Gr.-It. Rechtsesch., p. 43, 289-290, 331 ss., 346 s., 360, 367, 391 ss.) ne méritait pas plus de succès qu’elle n’en a eu (cf. Brunnenmeister, p. 134, n. 1 ; Schrader, Reallex., p. 556-557 ; Kovalewsky, p. 296 ss.). La coutume grecque est longtemps restée celle des Scandinaves (voir Kovalewsky, p. 288-289), des Germains (id., p. 289-290), des Slaves (id., p. 291-292), des Celtes (id., p. 292-294) et des Ossètes (id., p. 286-288, 294). La première loi qui, chez les Francs, admette une atténuation de la peine pour crime involontaire, c’est le Capitulare missorum de 819 (c. 15). La race indo-européenne ne diffère pas sur ce point des autres races (cf. Hanoteau-Letourneux, III, p. 63-64, cf. 70 ; Kohler, Shakesp., p. 188.)

[5] Cf. Nügelsbach-Autenrieth. p. 250 ss. ; Schömann-Galuski, I, p. 54 ss. ; Thonissen, p. 41 ; Thalheim, p. 121, n. 3. Brunnenmeister, l. c. ; Rohde, I, p. 265 ; Gilbert, Beitr., p. 504 ; Schrader, l. c. La distinction du meurtre prémédité ou incriminable et du meurtre involontaire ou licite se trouve déjà dans des légendes ; mais ce sont des légendes relativement récentes, imaginées par les Athéniens pour rehausser l’histoire de l’Aréopage, du Palladion et du Delphinion, à savoir les légendes de Képhalos (Apollod., III, 15, 1, 9), d’Oreste (Eschyle, Eum.), d’Arès (Pausanias, I, 21, 4 ; 28, 5 ; Pollux, VIII, 119 ; Schol. de Patmos, dans le B. C. H., I, 1877, p. 138), de Démophon (Pausanias, I, 28, 8.9 ; Harpocration, s. v. έπί Παλλαδίω ; Lex. Rhet., dans Bekker, Anecd. Gr., I, p. 311, 3 ; Schol. de Patmos, l. c.), de Thésée (Pausanias, l. c., 10). Il n’est donc nullement prouvé que celle distinction ait prévalu de très bonne heure dans la justice athénienne : la nouvelle conception a dû rapidement provoquer la création de tribunaux spéciaux pour φόνος άκούσιος et φόνος δίκαιος ; elle n’est donc pas antérieure de beaucoup à Dracon. Mais il est probable que, bien avant de s’introduire dans le droit social, elle s’élaborait dans le droit familial.

[6] Diodore, IV, 36, 2-3.

[7] Apollod., III, 13 2, 1-2 ; Schol. d’Aristophane, Nuées, 1663. Voir aussi le mythe de Képhalos (Apollod., III, 15, 1, 8) et l’histoire d’Adrastos (Hérodote, I, 43-45). On trouve dans Werner Munzinger, Ueb. die Sitten u. das Recht der Bogos, Winterthur, 1859, p. 86, le récit d’une horrible vendetta exercée à la suite d’un accident de chasse.

[8] Apollod., III, 12, 6, 12 ; 13, 1, 1 ; Schol. d’Aristophane, l. c. ; Diodore, IV, 72.

[9] Apollod., II, 4, 4, 1-2 ; Pausanias, II, 16, 2-3.

[10] Pausanias, V, 3, 7.

[11] Pausanias, V, 1, 8.

[12] Odyssée, XXII, 29-31.

[13] Platon, Lois, IX, p. 865 B.

[14] En général, la loi s’est bornée à porter des peines adoucies contre certains homicides pour lesquels la loi athénienne demande l’acquittement. Citons, pour le moyen-âge, la loi de Vestrogothie (De l’homicide, XII, éd. Beauchet, p. 156-157) et, pour notre temps, l’art. 319 du Code pénal.

[15] Démosthène, C. Aristocrate, 33 ; Platon, l. c., A ; cf. Aristote, Gr. Mor., I, 34, 23.

[16] Démosthène, l. c. ; Platon, l. c. ; cf. Pausanias, VIII, 40, 2-5. Malgré la loi de Dracon, la question restait matière à controverse dans la période classique : voir Plutarque, Périclès, 36 ; (Antiph.) Tétr., II, α, 1-2 ; γ, 7.

[17] (Antiph.) Tétr., III, γ, 5 ; Platon, l. c., B. Voir Digeste, IX, 2. Cf. Dareste, Hammourabi, p. 593 ; Post, Studien, p. 134 s. ; Thonissen, I, p. 10.

[18] Cf. Hanoteau-Letourneux, III, p. 64.

[19] Iliade, XXIII, 85-88. Cf. Kovalewsky, p. 295.

[20] Xénophon, Anabase, IV, 8, 25.

[21] Les Grecs suivent sur ce point les mêmes principes que les Russes, les Ossètes (cf. Kovalewsky, p. 297-298, 341), les Kabyles (cf. Hautoteau-Letourneux, III, p. 63). Chez Romains et les Germains, au contraire, il semble qu’il ait toujours été permis de tuer le voleur nocturne (voir Kovalewsky, l. c.).

[22] Pausanias, IX, 37, 7.

[23] Pausanias, I, 21, 4 ; 28, 5 ; Apollod., III, 14. 2, 1.3 ; Euripide, El., 1258 ss. ; Iph. Taur., 945-946 ; Démosthène, C. Aristocrate, 66 ; Dinarque, C. Démosthène, 97.

[24] Démosthène, l. c., 53.

[25] Démosthène, l. c., 60.

[26] Iliade, XXIV, 480-481 ; cf. Odyssée, XXIII, 119-120.

[27] Iliade, XIII, 694-697.

[28] Iliade, XV, 430-438.

[29] Iliade, XXIV, 85-88.

[30] Iliade, XVI, 571-574.

[31] Iliade, II, 661-671.

[32] Odyssée, XIV, 380.

[33] Odyssée, XIII, 257-258, 269-275.

[34] Odyssée, XV, 223-224, 272-279.

[35] Ainsi font les adversaires de Tlèpolémos ou de Théoclyménos. Aitolos aussi est poursuivi par les fils d’Apis (Pausanias, V, 1, 8). Le vieil Eupeithès pour venger les prétendants, songe avant tout à prévenir la fuite d’Ulysse (Odyssée, XXIV, 430-431, 437).

[36] Odyssée, XV, 276.

[37] On n’a qu’à comparer les cas de Patrocle, d’Aitolos et d’Hyettos avec celui du soi-disant Crétois.

[38] Odyssée, XXIII, 118-120.

[39] Odyssée, XIII, 258.

[40] Cf. Buchholz, III, II, p. 186 ss.

[41] Nägelsbach-Autenrieth, p. 262 s., 312 s. ; Gladstone, III, p. 141-142 ; Buchholz, II, I, p. 82 s. ; III, II, p. 188-190 ; Fanta, p. 85 ; Bernhöft, p. 215. Cf. Von Ihering, Geist. des röm. Rechts, trad., I, p. 122-123.

[42] Iliade, IX, 459 s.

[43] Iliade, I, 22-23.

[44] Iliade, IX, 459 s. Cf. VI, 442 ; XXII, 105 ; Odyssée, XVI, 75 ; XIX, 527.

[45] Odyssée, I, 272-274.

[46] Odyssée, II, 55, 74 ; cf. 239-241. Pénélope se demande si Laërte n’ira pas se plaindre devant le peuple (IV, 738-740).

[47] Odyssée, XVI, 375-382.

[48] Odyssée, XXIV, 421-437, 483-470. Voir la parodie de cette scène dans la Batrach., 103 ss.

[49] Odyssée, II, 65-67.

[50] L’Odyssée nous fait donc apparaître pour la première fois la situation décrite par Ihering, l. c. : Celui qui pour une injustice soufferte était obligé de recourir à la vengeance privée n’en était pas réduit à ses propres forces,... mais l’injustice provoquait dans le sein de la communauté la même réaction du sentiment juridique qu’en lui-même, etc.

[51] Ephore, dans Strabon, VI, 3, 3, p. 279 (F. H. G., I, p. 247, fr. 53) ; Polybe, XII, 6 b, 9 ; Diodore, IV, 66, 3. Cf. Frazer, The golden bough, I, p. 327 ss. ; Procksch, p. 5.

[52] Hérodote, V, 106.

[53] Hérodote, I, 82 ; Platon, Phèdre, 38, p. 99 C. Cf. Marcaggi, p. 178, 198.

[54] Iliade, XIX, 208 ss., 303 ss.

[55] Iliade, XXIII, 43 ss. Cf. Procksch, l. c.

[56] Hésiode, Bouclier d’Héraclès, 15-23 ; Apollod., II, 4, 6, 3.

[57] Il en est de même chez tous les peuples habitués à la vengeance privée, par exemple, chez les Slaves du Sud (Miklosich, p. 146) et les Ossètes (Kovalewsky, p. 339).

[58] Ag., 1606-1607. D’après une autre légende, Thyestes engendre Egisthe pour s’assurer un vengeur (Dion Chrysostome, LXVI, 6, éd. de Arnim, II, p. 162).

[59] Odyssée, III, 304-305.

[60] Odyssée, I, 41.

[61] Odyssée, I, 396-397.

[62] Odyssée, I, 359 ; XXI, 333. Télémaque était à la mamelle, quand Ulysse partit d’Ithaque (XI, 448-449), dix-neuf ans auparavant (XVI, 206 ; XII, 494 ; XXI, 248 ; XXIV, 322).

[63] Odyssée, I, 499-300.

[64] Odyssée, I, 294-296. Cf. II, 314-316 ; III, 199-200 ; XVI, 99 ss.

[65] Denys d’Halicarnasse, Ant. rom., VII, 9-11.

[66] Isée, Sur la succ. d’Astyph., 24 ; Lysias, C. Agor., 42.

[67] Eschyle, Choéphores, 980-984, 997-1000, 1010-1014. Ce dernier détail est souvent signalé chez d’autres peuples (Miklosich, P. 146 ; Marcaggi, p. 174, 178, 202, 250).

[68] Apollod., III, 6, 8, 5 ; Phérék., dans le Schol. de l’Iliade, V, 126. (F. H. G., I, 85, fr. 51).

[69] Iliade, XII, 346-347 ; XXIV, 212-213 ; cf. IV, 35 ; Théognis, 346 ; Xénophon, Anabase, IV, 8, 14. Leop. Wojewodsky a fait un travail en russe sur le cannibalisme dans les mythes grecs (Petersb., 1874). On en trouvera une analyse faite par K. Lugebil, dans les Neue Jahrb. f. class. Philol., CXXV (1882), p. 124.

[70] Iliade, XVIII, 90-93, 114-116 ; cf. 98 ss. ; XXII, 365-366.

[71] Odyssée, I, 36-43.

[72] Ag., 1610-1611.

[73] Ibid., 1258. Cf. Odyssée, XXIII, 46 ss. ; Théognis, 361 ss. Voir Nägelsbach-Autenrieth, p. 221 ss. ; Buchholz, III, II, p. 341 ss. ; Gladstone, II, p. 430 s. ; Dugas, L’amitié ant., p. 257-261.

[74] Odyssée, XXII, 407-416.

[75] Thonissen, II, p. 270.

[76] Odyssée, IV, 536 ; XI, 388-389, 412 ss. ; XXIV, 21-22.

[77] Odyssée, III, 304-305.

[78] Odyssée, III, 232.

[79] Odyssée, III, 456 ss. ; IV, 546 ; cf. III, 311 ; IV, 547.

[80] Odyssée, I, 36 ss.

[81] Odyssée, I, 30, 298-302 ; III, 199-200 ; cf. Ad. Kiene, Die Pflicht der persönlichen Blutrache in der Od., dans les Blätter f. das bayer. Gymnasialwesen, XX (1884), p. 479-485. Le succès des tragiques ne fît pas disparaître cette première conception du héros. Le γένος des Eupatrides, à Athènes, avait pour patron Oreste, le fils εύπατρίδης par excellence (Sophocle, El., 162 ; cf. 859, 1081 ; voir Töpffer, Beitr., p. 113 ss.). En Argolide, on grava sur une statue d’Oreste le nom d’Auguste, par manière de flatterie (Pausanias, II, 17, 3 ; voir Bachofen, Antiq. Briefe, I, p. 30-40).

[82] Odyssée, I, 298.

[83] Ce sentiment est étudié par Kovalewsky (p. 238-239) chez les Ossètes et, pour comparaison, chez les Arabes, les Hébreux, les Germains, les Islandais (p. 240-243). Cf. Thonissen, II, p. 260 ; d’Arbois de Jubainville, Cours de litt. celt., V, p. 346 ; Post, Studien, p. 115.

[84] Odyssée, I, 380 ; II, 145.

[85] Iliade, XIII, 658-659.

[86] Iliade, XXIV, 248-265.

[87] Iliade, XVIII, 90-93.

[88] Odyssée, XXIV, 432-438. L’épopée a transmis cette idée à la tragédie classique. Dans l’Alceste d’Euripide, Phérès assure qu’Achatos ne sera plus compté parmi les hommes, s’il ne venge pas le sang de sa sœur (732-733). Au Monténégro, on donnait des habits de femme à celui qui négligeait le devoir de vengeance (Miklosich, p. 145). Un roi de Perse, Parvis, disait : Celui qui ne tue pas le meurtrier de son père est un bâtard (cf. Dareste, Ét. d’hist. du dr., p. 114).

[89] Sur le rimbecco Voir P. Mérimée, Colomba, éd. 1862, p. 15-16.

[90] Hérodote, VII, 197. Cette légende fait songer aux Sagas : Tourida, pleine de mépris pour ses fils qui n’ont pas vengé leur frère, leur sert à table des pierres (cf. Kœnigswarter, p. 67 ; Kovalewsky, p. 243).

[91] Cf. Platon, Lois, IX, p. 971 A.

[92] Eschyle, Choéphores, 291-296. Cette description rappelle point pour point la situation du kenaima dans les tribus indiennes da l’Amérique du Sud (cf. Steinmetz, I, p. 372 ; J. Lubbock, L’orig. de la civil., trad. Barbier, p. 459). Les Australiens aussi, quand ils ne pouvaient pas remplir le devoir de vengeance, étaient minée par la chagrin au point de languir et dépérir (cf. Letourneau, L’évol. jurid. dans les div. races hum., p. 31).

[93] Sur les rapports entre la vengeance du sang et la religion des morts, il faut voir Steinmetz, I, p. 251 ss., 280 ss., 318 ss. ; Marcel Mauss, p. 276-283 ; Kovalewsky, p. 237-244 ; Dareste, Nouv. ét., p. 259-260.

[94] Odyssée, XI, 207-222 ; cf. Iliade, XXIII, 63-67, 99-107 ; Xénophon, Cyropédie, VIII, 7, 18 ; Platon, Hipp. maj., p. 282 A.

[95] Iliade, XXII, 358 ; Odyssée, XI, 73.

[96] Eschyle, Choéphores, 323-328. Sophocle exprime souvent la même idée. Par exemple, au moment où Agamemnon est vengé, le chœur s’écrie : a Voilà que s’accomplissent les malédictions : ils sont en vie, ceux qui gisent sous terre, et le sang des meurtriers coule à son tour, réclamé par les victimes de jadis (El., 1419-1421 ; cf. Trach., 1202, 1239-1240). Voir aussi Xénophon, l. c.

[97] Voir Nägelsbach-Autenrieth, p. 351 ss., 363 sc., 459 ss.. D’après Rohde, la croyance homérique est que le mort n’exerce plus aucune action sur les vivants, une fois enseveli. Mais Rohde établit une différence trop tranchée entre les temps épiques et l’époque postérieure (Cf. H. Weil, p. 11, 13).

[98] Platon, Lois, IX, p. 885 D-E.

[99] Le mot άλάστωρ désignera n’importe quel être errant et malfaisant (cf. Laback, Paralip., p 450). Il conviendra surtout aux esprits des morts, aux démons vengeurs (Eschyle, Suppl., 415 ; Perses, 334 ; Ag., 1501, 1508 ; Pausanias, VIII, 21, 8 ; Plutarque, De defec. orac., 13, p. 418 C ; cf. Rohde, II, p.412-413), mais aussi aux criminels en fuite (Eum., 836). L’hostilité du mort sera indiquée par l’épithète προστρόπαιος (Antiph., Tétr., I, γ, 10 ; III, δ, 10 ; Eschyle, Choéph., 287 ; Euripide, Ion, 1242 ; Etym. Magn., p. 42 ; Pollux, V, 131 ; cf. K. Zacher, De nomin. gr. in αιος, dans les Diss. philol. Hal., III, 1877, p. 222-830 ; Rohde, I, p. 264, n. 2 ; p. 275, n. 2), et l’on arrive à distinguer du mort le προστρόπαιος, son esprit hostile (Antiph., l. c., III, α, 4 ; β, 8 ; Pausanias, II, 18, 2). Dans le même ordre d’idées, on disait encore άλιτήριος (Andocide, Sur les myst., 131 ; Antiph., l. c., α, 3-4 ; β, 8 ; γ, 7 ; δ, 10 ; Pollux, l. c.).

[100] Sur les rapports d’Erinnys avec l’âme des morts, voir Rohde, I, p. 268-270.

[101] Eschyle, Prométhée, 566-573.

[102] Eschyle, Choéphores, 1048-1050.

[103] Eschyle, Choéphores, 1054.

[104] Eschyle, Choéphores, 1061-1062.

[105] Eschyle, Eum., 130 ss.. Bien différent d’Eschyle, Euripide fait d’Oreste un halluciné (voir Or., 236 ss., 321-323, 259, 297, 312 ss., 396 ss. ; cf. J. Girard, p. 488-493). L’idée primitive n’est plus comprise par l’artiste qui a représenté sur un vase peint (S. Reinach, Repert. des vases peints, I, p. 363) l’esprit d’Aétès, είδωλον Αητου, apparaissant à Médée : c’est l’ombre de la victime qui devait surgir, et non celle de son père.

[106] Eschyle, Choéphores, 38 ss. ; cf. J. Girard, p. 458-460.

[107] Voir Schömann-Galuski, II, p. 429, n. 4 ; Nägelsbach, Nachhom. Theol., p. 359 ss. ; G. L. Kittredge, Arm-pitting amont the Gr., dans l’Amer. journ. of philol., VI (1885), p. 151-169 ; F. Dümmler, dans le Philol., LVI (1897), p. 13 ss. ; Rohde, I, p. 275-277, 322-326 ; de Ridder, De l’idée de la mort en Gr. à l’ép. class., p. 64-65 ; Benndorf, Das Monum. von Adamklissi, p. 132.

[108] Eschyle, Ag., 439 ; Sophocle, El., 442.446 et Schol. ; Troil., fragm. 566, dans Suidas, s. v. έμασχαλίσθη ; Apollon. de Rhodes, IV, 477-481 et Schol., Suidas, s. v. άκρωτηριάζω, μασχαλισθήναι, έμασχαλίσθη ; Etym. Magn., s. v. άπάργματα, p. 118, 22 : Aristophane de Byz., dans Suidas. Phot. Hésych., s. v. μασχαλίσματα. D’après le Schol. de Sophocle, El., 445, et Suidas, s. v. μασχαλισθήναι et έμασχαλίσθη (cf. Apollod., II, 4, 11, 4), le meurtrier se décorait lui-même des μασχαλίσματα. Cette hypothèse, soutenue par Rohde, dans la 1re édition de Psyché, p. 233, n. 1, a été acceptée par de Ridder. D’après Benndorf, le μασχαλισμός serait une désarticulation des bras à la hauteur des aisselles. Je renvoie, pour la discussion, à la seconde édition de Rohde.

[109] Iliade, XVI, 545, 559 ; XVII, 39, 126, 176-177, 335 ; XXII, 348 ; Odyssée, XVIII, 86 ; XXII, 475-477 ; Hésiode, Boucl. d’Héracl., 223 ; Apollod., III, 5, 1, 6 ; 6, 8, 4, Cf. Welcker, Das ep. Cyktus, II, p. 261, 394 ss. ; Buchholz, II, t, p. 327 ; Benndorf, op. cit., p. 131, n. 3 ; d’Arbois de Jubainville, La civ. des Celtes et celle de l’épopée hom., p. 375-377.

[110] Odyssée, XI, 41 ; Cf. Virgile, Enéide, II, 224 ; VI, 494 ss. Voir Weil, p. 89. Chez les nations chrétiennes, le dogme de la résurrection s’est longtemps opposé à la dissection anatomique. Dans la Chine contemporaine, l’idée que la mutilation subsiste en l’autre monde explique que la décapitation soit une peine plus sévère que la strangulation et qu’elle s’exécute sur le cadavre du condamné qui meurt de mort naturelle. Les grands criminels sont taillés en morceaux... dans la vie future, ils ne pourront plus avoir de forme reconnaissable (Éd. Chavannes, dans la Rev. crit., 1900, I, p. 441).

[111] Apollod., III, 12, 6, 10.

[112] On peut signaler, pour l’analogie des idées, un vers où Euripide (El., 328) représente Egisthe ivre qui lance des pierres sur la tombe d’Agamemnon : il insulte à l’impuissance de la victime.

[113] Suidas, s. v. μασχαλισθήναι.

[114] Herbert Spencer, Princ. of sociol., trad., I, p. 273-274. Cf. Tylor, trad., I, p. 524 ; Kittredge, l. c., p. 163 ss.

[115] On voyait deux de ces têtes momifiées à l’Exposition universelle de 1900, dans le palais de l’Equateur.

[116] Le fait est arrivé dans la commune de Spatta. Il est raconté tout au long, d’après le Lloyd de Pesth, dans le Temps du 7 févr. 1893.

[117] Le déplacement des parties coupées (tête mise sous le bras, interversion de la tête et des pieds) se retrouve même dans l’Allemagne moderne (cf. Kittredge, l. c., p. 166).

[118] Sophocle, El., l. c. et Schol. ; Suidas, s. v. άποτροπιαζόμενοι et μασχαλισθήναι ; cf. Odyssée, XIII, 92 et la scolie d’Eustathe ; Hérodote, I, 155.

[119] Apollon. de Rhodes, l. c. Le Scoliaste cite un fragment des Mysiens d’Eschyle (éd. Didot, fr. 247). En général, cracher est un moyen de rejeter les maléfices (cf. Pline, XXVIII, 35).

[120] Aristophane de Byz., l. c. Apollon. de Rhodes, l. c., 479.

[121] Eschyle, Choéphores, 406-407.

[122] Plutarque, Quæst. gr., 12, p. 293 D-F.

[123] Apollod., III, 14, 7, 4.

[124] Etym. Magn., p. 42.

[125] Xénophon, Helléniques, VI, 4, 7 ; Diodore, XV, 54, 3.

[126] Plutarque, Pélop., 30 ; Pausanias, IX, 13, 5-6 ; (Plutarque), Amat. narr., III, 1-21, p. 773 C-774 E.

[127] (Plutarque), l. c., II, 9-12, p. 773 A-B.

[128] Sophocle, Ajax, 835-844. D’après Dictys, V, 14-15, le suicide d’Ajax oblige Ulysse à s’enfuir, pour éviter la colère de l’armée.

[129] Odyssée, XI, 543-565.

[130] Virgile, Énéide, IV, 386.

[131] La Grèce fournit de quoi compléter les articles de Rich. Lasch, Rache als Selbstmordmotiv, dans le Globus, LXXIV (1898), p. 37-39 (cf. D. Kuhne, Ibid., p. 166) et de Steinmetz, Gli antichi scongiuri giuridici contro i debilori, dans la Riv. it. di social., II (1896), p. 36-65. Déjà Tamassia, Il « Dhârna » in Germ. e in Grecia, dans la Riv. Scient. del diritto, 1897, p. 16 ss., avait essayé de démontrer que les Grecs connaissaient la coutume de jeûner contre quelqu’un. Mais sa tentative n’a pas eu de succès (voir Steinmetz, l. c., p. 49-47 ; Durkheim, dans l’Année sociol., I, p. 390). Il a eu le tort de borner ses recherches au cas particulier du jeûne et aux temps historiques. L’anecdote relative au suicide d’Anaxagore ne prouve trop rien (Plutarque, Périclès, 16) ; les légendes, au contraire, sont très nettes.

[132] Voir Grimm, p. 727 ; Tylor, trad. II, p. 251 ; Kittredge, l. c., p. 168. En 1833, les Anglais perçaient encore d’un pieu le corps du suicidé (J. F. Stephen, Hist., III, p. 105).

[133] Eschine, C. Ctésiphon, 244. Kittredge, qui mentionne tant de cas analogues pour expliquer le μασχαλισμός, ne songe pas à celui-là.

[134] Euripide, Hér. fur., 1360-1361 ; Alc., 730 ; Eschyle, Ag., 1541-1550. Il faut considérer comme un fait exceptionnel le repas funèbre offert par Oreste à ses victimes (Odyssée, III, 309-310).

[135] Euripide, Or., 799 ; Isée, Sur la succ. d’Astyph., 19 ; cf. (Démosthène), C. Everd., 69 ; voir de Ridder, op. cit., p. 53.

[136] Toute cette partie des Choéphores est peut-être un emprunt à Stésichore (cf. Robert, Bild und Lied, p. 171).

[137] Eschyle, Ag., 157-159 ; cf. von Wilamowitz, Gr. Trag. überseist, II, p. 127, n. 1.

[138] Eschyle, Choéphores, 32-46 ; cf. 523-525.

[139] Eschyle, Choéphores, 43.

[140] Eschyle, Choéphores, 594 ss. ; cf. Sophocle, El., 442-446.

[141] Plutarque, Cimon, 6 ; Des délais de la veng. div., 10, p. 555 B.

[142] Iliade, XXIII, 65 ss. ; Plutarque, Philopœmen, 21 ; cf. Steinmetz, I, p. 341-342.

[143] Sophocle, Œdipe roi, 22 ss., 103 ss.

[144] Plutarque, Cimon, 1.

[145] Plutarque, Quæst. gr., 42, p. 203 E.

[146] Etym. Magn., p. 42.

[147] (Plutarque), Amat. narr., II, 11, p. 773 B.

[148] Hérodote, VII, 134-137.

[149] (Plutarque), l. c., III, 17-20, p. 774 C-E ; Pausanias, IX, 13, 5-6.

[150] Pausanias, VI, 6 8 ; Strabon, VI, 1, 5, p. 255 ; Suidas, s. v. Εΰθυμος ; Elien, Hist. var., VIII, 18.

[151] Odyssée, XXIII, 119 ; IV, 103 (cf. Iliade, XV, 735).

[152] Iliade, XVIII, 213. Il faut rapprocher άλκ-τήρ de ulc-isci, ul-tor, et l’expression Άριω άλκτήρ (plutôt que άρής άλκτήρ) de vim-dex, vindex.

[153] Iliade, XXII, 333 (cf. XV, 254).

[154] Iliade, XIV, 484 ; XVIII, 100.

[155] Eschyle, Ag., 1280.

[156] Eschyle, Ag., 1281.

[157] Eschyle, Sept, 637 ; Ag., 1414, 1386 ; Eum., 221 ; Sophocle, Œdipe roi, 100 ; Hesychius, s. v. άνδρηλάται.

[158] Euripide, El., 138 ; Sophocle, l. c., 496.

[159] Sophocle, l. c., 147.

[160] Iliade, XXIV, 592-595.

[161] (Antiph.), Tétr., I, β, 13. Dans la légende, les Erinyes soutiennent l’accusation contre Oreste (Eschyle, Eum., 490 ss. ; Euripide, Iph. Taur., 963 ; Démosthène, C. Aristocr., 66 ; Dinarque, C. Démosthène, 87). Dans la réalité, les parties engageaient la procédure du jugement sur l’Aréopage par un serment prêté devant les Σεμναι (Dinarque, l. c., 41).

[162] Antiph., Pour le chor., 6 ; cf. Sur le meurtre d’Hérode, 10 ; Tétr., III, α, 4 ; Lysias, C. Agor., 41-42.

[163] Démosthène, C. Pantain., 59 ; Platon, Lois, IX, p. 869 A, D-E ; cf. Euripide, Hipp., 1429 E, 1436, 1448-1450. Voir Philippi, p. 144-146.

[164] Apollod., II, 6, 11, 2-3.

[165] Antiph., C. la belle-mère, 29-30 ; cf. Isée, Sur la succ. d’Astyph., 19.

[166] Lysias, l. c.

[167] Voir, en droit comparé, Steinmetz, I, p. 267-296 ; Kovalewsky, La fam. patriarc. au Caucase, dans la Rev. intern. de sociol., 1893, p. 302-304.

[168] (Démosthène), C. Everg., 49 ; Istros, Άττικά, dans Harpocration, s. v. έπενεγκεΐν δόρυ (F. H. G., I, p. 420, fr. 19) ; Euripide, Troy., 1148 ; Lex. Rhet., dans Bekker, Anecd. Gr., I, p. 237, 30 ; Etym. Magn., p. 354, 33 ; Pollux, VIII, 63.

[169] On brûlait parfois le mort avec ses armes (Odyssée, XI, 74), Les Tasmaniens plantaient une lance sur le tombe du mort, pour qu’il fût armé dans les combats d’outre-tombe (de Quatrefages, Hommes fossiles et humains sauvages, p. 346) : c’est la cérémonie de l’έπενεγκεΐν δόρυ, avec une idée légèrement différente. L’idée des Grecs se retrouve aujourd’hui encore dans certains pays chez les Juifs : quand ils ensevelissent un homme assassiné, ils lui mettent dans la main un poignard ou un couteau.

[170] (Démosthène), l. c. Ce sont des croyances très anciennes qui expliquent l’extrême sévérité de la loi grecque pour la τυμβωρυχίς et l’insulte aux morts.

[171] (Démosthène), l. c. ; Harpocration, l. c.

[172] Grimm, p. 878. On trouvera des déclarations de guerre analogues dans Michelet, p. 224-227. La vendetta corse ne commence qu’après l’échange des paroles sacramentelles : Garde-toi, je me garde. (P. Mérimée, Colomba, éd. 1862, p. 19).

[173] Istros, l. c.

[174] (Démosthène), l. c., 68.

[175] Choéphores, 88 ss.

[176] 89-91, 94-99.

[177] 93-95.

[178] 117-121.

[179] 142-144.

[180] 145-146.

[181] De là vient la locution δόρύ καί κηρύκειον (Zénob., Prov., III, 86).

[182] Tite-Live, I, 32.

[183] Le récit que Kovalewsky a entendu dans le Caucase (p. 238) est semblable en tout point à celui de l’Iliade. Sur la vision d’Hamlet, voir Kohler, Shakesp., p. 123-131.

[184] Iliade, XXIII, 65-101. De même, dans l’Hécabè d’Euripide, l’ombre de Polydoros apparaît à sa mère, pour implorer les honneurs suprêmes, et préside au châtiment de son meurtrier.

[185] Cicéron, De divin., I, 27.

[186] Plutarque, Pélop., 21 ; Amat. narr., III, 20, p. 774 D-E. Sur ces visions nocturnes, voir Maury, Hist. des rel. de la Gr. ant., I, p. 133.

[187] Iliade, XXIV, 592-594. Dans un récit recueilli en Svanétie (Caucase), c’est aussi la victime apparaissant en songe qui autorise son descendant à remplacer la vengeance du sang par un simple office des morts (Kovalewsky, l. c.).

[188] Eschyle, Choéphores, 276-277, 280-281, 283-286, 288-290.

[189] Id., ibid., 924-925.

[190] (Antiph.), Tétr., III, α, 4. Cf. Platon, Lois, IX, p. 866 B, 871 B.

[191] Ibid., β, 8.

[192] Xénophon, Helléniques, VI, 4, T ; Pausanias, IX, 13, 6 ; Plutarque, Pélop., 21-22 ; Amat. narr., III, 19, p. 174 D.

[193] Choéphores, 106-111. Les critiques de Richter sont aux antipodes de la vérité historique (cf. H. Weil, Ét. sur le drame ant., p. 45 ss.).

[194] Ibid., 4-7 ; cf. 184. L’offrande de la chevelure au mort se trouve déjà dans l’Iliade (XXIII, 46, 135, 141, 153 ; cf. Hérodote, IV, 34).

[195] Ibid., 139 ss. Cf. Sophocle, El., 453-456.

[196] Ibid., 456-457, 459-460, 476-482, 489-492, 495-502, 508-509. Rapprocher de cette scène Euripide, El., 677-684 ; Or., 1225-1239.

[197] Ibid., 886.

[198] Thonissen, p. 44.

[199] Iliade, XVIII, 334-337.

[200] Iliade, XI, 27-29.

[201] Iliade, XXIII, 175, 181, 242.

[202] Iliade, XXIV, 15-16. 755-756. Dans l’Ίλίου πέρσις d’Arctinos, Polyxène était égorgée sur la tombe d’Achille (Kinkel, Epic. gr. fragm., I, p. 50).

[203] Hérodote, I, 45,

[204] Justin, XI, 2, 1 ; cf. Diodore, XVII, 2, 1.

[205] Comme la Grèce, la France Méridionale, de l’Auvergne aux Pyrénées, a très longtemps conservé cette coutume. Elle lui a même donné une force obligatoire, légale, et l’a pratiquée sous une forme dont l’horreur n’est égalée que chez les Peaux-Rouges : le meurtrier condamné devait être enseveli vivant sous le cadavre de sa victime (Michelet, p. 292 ; Em. H. Rebouis, Cout. de Clermont-dessus, dans la Nouv. rev. hist. de dr. fr. et étr., V, 1881, p. 59 ; p. 92, n. 49 ; Cout. de Puymirol, ibid., XI, 1887, p, 297, 310 ; cf. A. du Boys, Hist. du dr. crim. des peuples mod., I, p. 249-951), Ailleurs, on ne va plus aussi loin. L’Ossète, après avoir accompli la vengeance du sang, court à la tombe de sou parent, afin de lui annoncer à haute voix qu’il vient de remplir son devoir ; quelquefois il apporte avec lui les oreilles du meurtrier, pour les enfouir solennellement dans la tombe de la victime (Kovalewsky, p. 237 ; cf. Dareste, Et. d’hist. du dr., p. 146). En juillet 1895, à Sofia, pendant les funérailles mêmes de Stamboulof, les amis du major Panitza et de Beltchef célébrèrent le meurtre de l’ennemi sur les tombes de leurs morts, à grand renfort de fleurs et de drapeaux, de discours et de bénédictions religieuses, de musique et de cris joyeux.

[206] Le pugiliste Euthymos de Locres a été vainqueur à Olympe entre 476 et 472 : Pausanias est confirmé sur ce point par un papyrus (voir Th. Reinach, Un docum. nouv. sur la chron. art. et litt. du Ve siècle av. J.-C., dans la Rev. arch., 1899, II, p. 399-412 ; cf. H. Lechat, dans la Rev. des ét. gr., XII, 1900, p. 380).

[207] Plutarque, Philopœmen, 21.

[208] Platon, Lois, IX, p. 872 B.

[209] La coutume primitive nous donne le sens de la cérémonie religieuse qui terminait à Athènes un jugement d’homicide. Le vainqueur apportait des offrandes et prêtait serment devant les Σεμναί, les Erinyes apaisées de la victime (Eschine, Sur la fausse ambassade, 87-88 ; Pausanias, I, 28, 6).

[210] Voir Caillemer, p. 184-186 ; Meier-Schömann-Lipsius, p. 601 ; Beauchet, I, p. 15-16 ; Rohde, I, p. 260, n. 2.

[211] Gr.-It. Rechtsgesch., p. 66-47, 718-720 ; cf. Schrader, Sprachvergl. und Ugesch., p. 581.

[212] Odyssée, XXIV, 186.

[213] Cf. Bunsen, De jurs hered. Ath., p. 34 ; Schneider, De jurs hered., p. 14 ; Beauchet, I, p. 19-20.

[214] Iliade, V. 2610. Héraclès offre une ποινή à Eurytos pour le meurtre de son fils Iphitos (Apollod., II, 6, 2, 7).

[215] Odyssée, XXIV, 422 ss., 470 ; cf. Iliade, XIII, 659 ; Pausanias, I, 43, 7.

[216] Odyssée, XVI, 97-98, 115-116.

[217] Odyssée, XV, 977. Cf. Iliade, XIV, 476 ss. ; XI, 248-250, 424-434 ; XVII, 34-35 ; XX, 419 ss. ; XXIV, 248-265 ; Odyssée, III, 254 ss. Apollod., I, 8. 5, 20.

[218] Odyssée, XXIV, 433-435 ; cf. Iliade, XXIV, 777.

[219] Cf. Bréhier, p. 18-21.

[220] Plutarque, Isis et Osiris, 19, p. 358 C.

[221] Pausanias, V, 1, 3.

[222] Apollod., III, 7, 6, 1 ss.

[223] Hérode, VII, 191.

[224] Odyssée, I, 29 ss. ; III, 199 ss., 307. Déjà Egisthe prétend venger son père Thyestes dans Eschyle, Ag., 1582 ss., 1501 ss. (cf. Dion Chrysostome, LXVI, 6).

[225] III, 196-197.

[226] Le vers de Stasinos (Kinkel, Ep. gr. fragm., I, p. 31, fr. 22) est continuellement cité par les anciens (Clément d’Alex., Stromates, VI, p. 747 ; Aristote, Rhét., I, 15 ; II, 21 ; Polybe, XXIV, 6 ; Suidas, s. v. νήπιος et Φίλιππος ό Μακεδών. Cf. Hérodote, I, 155 ; Euripide, Andr., 519-522.

[227] Cette idée est souvent exprimée par Euripide (cf. L. Schmidt, I, p. 19 ; II, p. 148 ss.). Il explique ainsi la conduite de Lycos et d’Eurystheus à l’égard des Héraclides (Hèr. fur., 35-43, 168-169, 811, 547 ; Héracl., 488-470, 1000-1004), ainsi que le meurtre d’Astyanax et de Molossos (Troy., 718 ; Andr., 519 ss.).

[228] Euripide, El., 22-24 ; (Plutarque), Am. narr., V, 4, p. 775 D.

[229] Diomèdes, petit-fils d’Oineus, le venge sur ses neveux (Apollod., I, 8, 6, 1-2 ; Pausanias, II, 25, 2). Lycos craint que les Héraclides ne vengent leur grand-père Créon (Euripide, Hèr. fur., 62-42).

[230] Deiphobos promet de ne pas laisser sans vengeance Asios son oncle (Iliade, XIII, 414-416 ; cf. XVI, 717-718). Hector excite tous ses collatéraux (Iliade, IV, 545-546) à venger Dolops, leur cousin commun (ibid., 554 ; cf. 526-527 ; XX, 238). Hector va encore à la rescousse, quand il voit tomber son cousin Calétor (Iliade, XV, 428 ss.).

[231] Pindare, Pythiques, IV, 124-133.

[232] Apollod., I, 8, 5, 2-3 (Kinkel, op. cit., Alcmaionis, fragm. 4).

[233] Apollod., I, 5, 3 — 6, 1.

[234] Voir le cas de Tlèpolémos (Iliade, II, 661-667 ; Pindare, Ol., VII, 27 ss. ; Pausanias, II, 212, 8). Ce cas est cependant susceptible d’une explication différente.

[235] Iliade, V, 158.

[236] Euripide, Hèr. fur., 35-43, 168-169. Cf. (Andoc.), C. Alcib., 22-23.

[237] Iliade, XIII, 414-416 ; cf. XVI, 717-718.

[238] Pausanias, III, 15, 4-5.

[239] Odyssée, VIII, 577-583.

[240] Iliade, XIII, 460-466.

[241] Hés., Boucl. d’Héracl., 17 s. ; Apollod., II, 4, 6, 3 et 7.

[242] Odyssée, VIII, 319. Cette restitution explique que, dans les légendes où Pénélope est représentée comme infidèle à Ulysse, elle est aussi souvent répudiée (Apollod., Epit., VII, 36) que tuée par son époux (ibid., 39). L’obligation du père résulte du principe άνάγειν εΐς τόν πρακτήρα, Harpocration, s. v., Hypéride, C. Athénag., VII, 1 ; voir Caillemer, Le contrat de vente, dans la Rev. de législ., 1873, p. 18 ; art. Anagogès diké, dans le Dict. des ant. ; Beauchet, IV, p. 133-134, 150 ss.). Les Grecs de l’époque classique constataient une coutume semblable chez les Traces : si la femme n’était pas satisfaite de son sort, le mari la rendait à son père et recouvrait la somme payée (Héraclide du Pont, fragm. XXVIII, dans les F. H. G., II, p. 220 ; voir d’autres exemples, chez les Arabes et les peuplades africaines, dans Grosse, p. 113).

[243] Iliade, VI, 160 s. ; Apollod., II, 3, 1, 3.

[244] Cf. Post, Geschlechtsgenoss., p. 158. Glaukè a pour vengeur son frère Hippotas, qui poursuit Médée (Diodore, IV, 55, 5). A défaut de son père Tyndareus, Clytemnestre a pour champion son cousin germain Périlaos (Pausanias, VIII, 34, 4 ; cf. Apollod., III, 10, 6, 1). Cf. Euripide, Alc., 731-733.

[245] Diodore, IV, 43, 3 — 44, 4. C’est une coutume assez répandue chez les bédouins, que la femme adultère comparaisse devant son père et son frère ; l’accusation est soutenue par le mari, et la sentence exécutée par les juges (cf. Klemm, Altgem. Kulturgesch., IV, p. 150).

[246] Diodore, IV, 44, 1.

[247] Cf. Prosksch, p. 48 ; Miklosich, p. 131, 146, 147, 205 ; Dareste, Nouv. ét., p. 559. La vendetta corse épargne le plus souvent la femme. En Lydie, la femme n’était menacée que si elle était enceinte : c’est le futur vengeur qu’on veut tuer en elle (Nicol. de Damas, Fragm., 49, dans les F. H. G., III, p. 389). Aristote (Probl., 29) se demande encore pourquoi il est plus criminel de tuer une femme qu’un homme, quand pourtant le sexe masculin est naturellement supérieur au féminin.

[248] Souvent la femme étend son inviolabilité sur tes suppliants qu’elle prend sous sa protection. La Grèce offre les exemples d’Ulysse accueilli par Arétè et de Thémistocle accueilli par la femme d’Admétos. On sait qu’en France l’intervention d’une femme a pu longtemps sauver les condamnés à mort.

[249] Leges Longobardorum, XI, 13.

[250] Iliade, IX, 566 ss. ; cf. Bacchyl., V, 127 se. ; Apollod., VIII, 11, 6.

[251] Hérodote, I, 146.

[252] Eschyle, Ag., 154-155, 1391-1398, 1415-1420, 1460-1461, 1523-1529, 1555-13559 ; Euripide, Iph. Aul., 1171-1184. 1455-1458.

[253] Odyssée, I, 36, 39, 43 ; III, 249-250, 304, 308 ; IV, 534. Voir par contre XXIV, 97, 199 s. La complicité morale de Clytemnestre est établie par les vers III, 235 ; XI, 409, 430, 439.

[254] Properce, I, 19, 15.

[255] Apollod., III, 7, 5, 9.

[256] Iliade, XXIV, 664, 784.

[257] Iliade, XXIV, 719-776 ; cf. 711-712. Voir Buchholz, II, II, p. 893-396.

[258] Iliade, XXIV, 165, 640.

[259] Iliade, XXIV, 641-642 ; cf. 600-620.

[260] Iliade, XXIV, 212-213.

[261] Voir, en général, Post, Studien, p. 115 ; pour les Scandinaves, Wilde, p. 173, 178 ; Kœnigswarter, p. 67 ; Kovalewsky, p, 163 ; pour les Slaves du sud, Miklosich, p. 146 ; Wesnitch, p. 58 ss.

[262] Pausanias, V, 2, 1.

[263] Les idées de l’Électre corse, Colomba, sont en tout conformes à la vérité antique, telle que l’a retrouvée Eschyle. Bien qu’elle ne vive que par la haine et pour la haine, elle n’a rien tenté contre les ennemis de sa famille ; elle aussi attend son frère. Elle a juré la mort des Barricini, dit Ordo, cf... peut-être ne seraient-ils plus de ce monde, si, par un de ces préjugés qu’excuse son éducation sauvage, elle ne se persuadait que l’exécution de la vengeance m’appartient en ma qualité de chef de famille et que mon honneur y est engagé. (Mérimée, Colomba, éd. Charpentier, 1882, p. 44).

[264] Sophocle, Électre, 603-616.

[265] Sophocle, Électre, 951-957.

[266] Sophocle, Électre, 997.

[267] Sophocle, Électre, 1013-1018.

[268] L’Electre de Sophocle doit être rapproché de l’Hécabè d’Euripide. La vieille Troyenne tait tous ses efforts pour décider Agamemnon à se porter vengeur de Polydoros, sous prétexte que la victime est le frère de Cassandre, sa concubine (Hécabè, 787-845, surtout 790, 834, 842-843, 853). Ce n’est que, sur son refus qu’elle prend la résolution d’agir elle-même et répond aux objections tirées de la faiblesse féminine par l’exemple des Danaïdes et des Lemniennes (868-887). Même pour venger sa propre insulte, la femme ne tue l’offenseur que si elle n’a pas de champion mâle : voyez, dans l’histoire de Thessalie, l’assassinat d’Alexandre de Phères par les frères de sa femme (Xénophon, Helléniques, VI, 4, 35-37). La femme qui ose se dresser en vengeresse à défaut de vengeur mâle existe ailleurs, dans la littérature et le droit. C’est la Kriemhild des Scandinaves (Wilda, p. 373), l’Olga des Slaves (Ewers, p. 109 ; A. du Boys, Hist. du dr. crim. des peuples mod., I, p. 159, n. 1). Les idées des Grecs sont aussi celles des Corses (Marcaggi, p. 205) et des Monténégrins (Miklosich, p. 205). Le code tchèque appelait la femme dans des cas exceptionnels à l’exécution de la vengeance du sang (Kovalewsky, p. 247).

[269] Euripide, El., 22-24. Cependant, quand Oreste se demande comment atteindre sa mère, Electre propose de s’en charger (647).

[270] Eschyle, Suppl., 744 : γυνή μονωθεΐσ' ούδέν . ούκ ένεστ' Άρης. Si, par contre, l’Oreste de Sophocle s’écrie : Κάν γυνειξίν Άρης ένεστιν, il ne faut pas prendre une exclamation pathétique pour une déclaration de principe.

[271] Odyssée, XV, 273.

[272] Dœderlein, Hom. Gloss., n° 336 ; Nitzsch, éd. d’Homère, Odyssée, IV, 3 ; Schrader, Sprachvergt. und Urgesch., p. 581 ; L. Lange, p. 15-17 ; Ed. Meyer, II, p. 85.

[273] Ramdohr, Zur hom. Ethik, p. 13 ; Buchholz, II, II, p. 37.

[274] Iliade, XV, 545.

[275] Iliade, XV, 546.

[276] Iliade, XV, 526-527.

[277] Iliade, XX, 237-238.

[278] Iliade, XV, 554 ; cf. 422.

[279] Cf. Etym. Magn., p. 493, 14 ; Suidas, s. v. κασίγνητοι. En latin, frater signifie aussi cousin et neveu (Ovide, Her., VIII, 27 ; Mét., XIII, 31 ; voir le Dict. de Forcellini) : il faut qu’il en ait été ainsi pour expliquer le grec φρατήρ. Aujourd’hui encore, on parle du fratello cugino en Italie, comme dans l’Inde, en Espagne, dans le Portugal, en Russie, dans les pays scandinaves (voir Bernhöft, Altind. Familienorq., dans la Zeitschr. f. vergl. Rechtwiss., IX, 1890, p. 4).

[280] Odyssée, XVI, 117-120 ; cf. 97, 115.

[281] Voilà pourquoi Homère désigne des frères en ajoutant à κασίγνητος une qualification précise, telle que όπατρος (Iliade, XI, 257 ; XII, 371) όμογάστριος (XXIV, 47), τούς μοι μία γείνατο μήτηρ (XIX, 293 ; III, 438), οΐ τοι όμόθιν γεγάασιν (Hymne à Aphr., 135), Cette observation ruine complètement un des arguments que reproduisent avec prédilection les partisans des idées de Bachoren sur la parenté primitive en ligne féminine (cf. Mac-Lennan, p. 201-203). Elle résout les difficultés signalées par B. Delbrück, Die indogerm. Verwandschaftsnamen, dans les Abh. d. Gres. d. Wiis. su Leipzig, phil.-hist. Klasse, XI (1890), p. 467.

[282] Cf. L. Lange, p. I7.

[283] Iliade, IX, 464.

[284] Cf. Rohde, I, p. 260, n. 2. On peut appliquer à l’άνεψιός la définition du cousin donnée par le Livre de justice, 231 : Nous apelons coisins toz cez que la loi apele parenz de par pere ou de par mere. D’après Littré, cousin se dit de tous les parents ou alliés autres que ceux qui ont un nom spécial. On ne sait donc quelle parenté désigne άνεψιός dans Iliade, X, 519 ; XVI, 873 (cf. Delbrück, l. c., p. 508).

[285] Odyssée, VIII, 581-584 ; cf. X, 441.

[286] Cf. G. Curtius, Grundzüge, 5e éd., p. 931, n° 305 ; L. Lange, p. 18.

[287] Par exemple, Hésych., s. v. έται. Voir L. Lange, p, 14,

[288] Iliade, XVI, 456, 674.

[289] Iliade, VI, 237.

[290] Cf. Iliade, IX, 584-585 ; IV, 441 ; XXI, 218 : Hésiode, Œuvres et jours, 183-184 ; cf. 107.

[291] Iliade, XXII, 793.

[292] Iliade, XV, 437-439.

[293] Odyssée, IV, 3, 16.

[294] Iliade, XXII, 462-498 ; cf. loi de Gortyne, X, 37-39.

[295] Iliade, IX, 464.

[296] Iliade, IX, 585. Ajoutons que le narrateur fait allusion aux députés qui viennent implorer Achille en qualité d’έται en d’έταΐροι (Ibid., 168-170, 630).

[297] Iliade, IX, 418-915.

[298] Cf. Fanta, p. 94.

[299] Aiacos, grand-père d’Achille, et Ménoitios, père de Patrœle, sont frères utérins, Achille est donc neveu à la mode de Bretagne de Patrocle. Mac-Lellan, p. 204, accorde à cette parenté utérine une importance exagérée.

[300] Iliade, XVIII, 98, 102, 129 ; XX, 126 ; XXI, 28, 98, 105 ; XXII, 272.

[301] Iliade, XXIV, 119, 147, 176, 196 ; cf. 595.

[302] Odyssée, XXIII, 312-31 ; IX, 415. On peut signaler encore les menaces des prétendants après le meurtre d’Antinoos (Odyssée, XXII, 23-30), les exhortations d’Ulysse à Mentor (Ibid., 208-109), ou les vengeances d’Héraclès à Paros et en Mysie (Apoll., II, 5, 9, 3-4 ; Apoll. de Rhodes, I, 1348-1357).

[303] Les έταΐροι sont distingués des φίλοι dans l’Odyssée, I, 237-238.

[304] Iliade, VII, 295.

[305] Έχει δέ διλογίαν « έτας καί έταίρους ».

[306] Lange, p. 15.

[307] Iliade, IX, 585.

[308] Iliade, IX, 464.

[309] Iliade, XVI, 491.

[310] Iliade, XVI, 456, 674.

[311] Iliade, XXIV, 793.

[312] De là le sens très général de compagnon d’armes : un allié est άμα ξεΐνος καί έταΐρος (Iliade, XVII, 150).

[313] Cf. Odyssée, XXII, 208-209, 492 ; II, 234 ; XVII, 69 ; Iliade, XVIII, 251,

[314] Iliade, VII, 295 ; cf. VI, 261.

[315] Iliade, VI, 237.

[316] Odyssée, IV, 3, 16.

[317] Iliade, XVI, 656, 674.

[318] Odyssée, IV, 273.

[319] Iliade, IX, 484.

[320] P. 16 ; cf. Fanta, p. 64 ; Schrader, Reallex., p. 772.

[321] Iliade, VI, 262.

[322] Michel, n° 1 ; cf. L. Lange, p. 18.

[323] Cf. Dareste-Haussoullier-Th. Reinach, I, p. 410-413.

[324] Odyssée, XVI, 95-98.

[325] Iliade, IX 63-61.

[326] Ed. Meyer, II, p. 88, admet que les membres de la phratrie ou de l’hétairie concourent avec les parents à la vengeance privée ; mais, comme il confond les έται et les άγχιστεΐς, il voit là une hypothèse probable, mais qu’on ne peut démontrer.

[327] Quand le danger presse, les parents groupés arment même leurs serviteurs (Odyssée, XXII, 103-104, 113-115, 129.130, 201-244).

[328] Iliade, IX, 613-615. C’est le principe kabyle : Aide les tiens, qu’ils aient tort ou raison (Hanoteau-Letourneur, II, p. 11).

[329] Odyssée, XXIII, 118-119.

[330] Odyssée, XV, 173.

[331] Tel est le récit de Créôphylos dans l’Οίχαλίας άλωσις, d’après l’analyse de Didymos citée par le Scol. d’Euripide, Médée, 273 (Kinkel, Epic. gr. fragm., I, p. 62, fr. 4).

[332] Odyssée, XXII, 77.

[333] Odyssée, XXIV, 413 ss.

[334] C’est le cas d’Ulysse après le meurtre des prétendants : la guerre est égale entre les deux partis, πόλεμος όμοίϊος (Odyssée, XXIV, 543). On se prépare par les mêmes vœux aux actes de guerre et aux actes de vengeance. Sur l’identité de la guerre et de la vengeance, il faut lire Steinmetz, I, p. 365-403 ; Procksch, p. 5-6.

[335] Iliade, XIV, 483 cf. XVI, 398 ; Odyssée, XXIII, 312-313 ; IX, 575.

[336] Iliade, XIV, 485 ; XVIII, 100 ; cf. 213.

[337] Odyssée, XXIII, 119 (cf. IV, 483) ; Iliade, XXII, 333 (cf. XV, 254, 735).

[338] Iliade, XVII, 34-40 (frère) ; XIII, 4002 ss., 414 ss. (neveu). Par contre, Glaucos et Diomèdes, prêts à en venir aux mains, abaissent leur lance, se serrent la main, échangent leur bouclier, dès qu’ils s’aperçoivent qu’ils appartiennent à deux familles unies par les liens de l’hospitalité (Iliade, VI, 212-236).

[339] Iliade, XVI, 491-541 (recommandations de Sarpédon à son έταΐρος Glaucos).

[340] Iliade, XV, 554 ss. (cousin) ; XIII, 480 as. (beau-frère) ; XVII, 840 ss., 852 ss. (έταΐρος). On voit encore à l’époque historique la Pythie venger à sa façon le poète Archiloque, loyalement tué à la guerre par Corax (Suidas, s. v. Άρχίλοχος ; cf. Eusèbe, Prép. év., V, 33).

[341] Voir surtout Iliade, XXI, 95-105.