HISTOIRE DES CLASSES PRIVILÉGIÉES DANS LES TEMPS ANCIENS

 

CHAPITRE XII. — De la hiérarchie de l’Empire romain.

 

 

On a raconté souvent que les Barbares, armés contre l’Empire romain, s’arrêtaient saisis d’étonnement et de respect devant le majestueux édifice qu’ils venaient détruire. Leurs chefs poussés par une admiration secrète, aspiraient à devenir les serviteurs du Maître de l’Empire, à porter les insignes et les titres des dignités conférées par lui, et, pour changer leur sayon contre la pourpre, mettaient leurs armes à ses pieds, et, en les reprenant de sa main impériale, faisaient serment de les tourner contre les ennemis de la majesté romaine[1]. C’était seulement après avoir vu de près la faiblesse et les vices incurables de cet Empire, miné de tous côtés, qu’ils revenaient à la colère et au dédain, et remettaient la main à leur œuvre de destruction. Encore regrettaient-ils leur illusion en la perdant. Les Cimbres et les Teutons, cette avant-garde de la barbarie, venue quatre siècles trop tôt, arrivés aux portes de l’Empire, demandèrent à y être reçus en alliés. Pendant les premiers siècles de l’ère chrétienne, c’est l’ambition commune des nations barbares d’entrer au service des Empereurs : Rome ne se défend plus que par elles[2]. Bien plus, dans chaque tribu barbare, pour quiconque se sent poussé par l’ambition vers un avenir inconnu et rêve de grandes destinées ; la terre romaine est le seul théâtre de gloire et de puissance, la haute taille, la beauté, la force, le courage du Barbare sont ses moyens de fortune : il peut devenir patrice, consul, général, empereur même si les légions qu’il conduit disposent de l’empire. Lorsque Ammien Marcellin dit que Constantin éleva le Premier les Barbares aux honneurs du Consulat, ad fasces et trabes consulares, il ne parle que des chefs barbares, qui étaient entrés au service de l’Empire sans renoncer à leur nationalité et sans doute comme auxiliaires. Les aventuriers enrôlés isolément étaient considérés comme citoyens romains ainsi que les affranchis[3]. Parcourez cette longue liste des maîtres de l’Empire pendant plus de quatre siècles ; les noms romains y sont en minorité ou plutôt ne servent qu’à déguiser les noms barbares[4]. Et l’Empire d’Orient lui-même, en survivant mille ans à celui d’Occident, empruntera souvent ses maîtres aux Barbares de Thrace et d’Asie !

Comment l’Empire avait-il ainsi conservé son prestige ? Comment, dans sa décadence, pouvait-il faire illusion à ses défenseurs et à ses ennemis ? Ce fut par cette organisation hiérarchique créée pour mettre fin à l’anarchie, alors que le pouvoir impérial, dissimulé pendant longtemps sous les formes républicaines, s’avoua enfin lui-même et se façonna à l’image des antiques monarchies de l’Orient[5]. Le respect superstitieux gardé longtemps par les Barbares pour cette hiérarchie, puis leurs efforts pour la reproduire dans les royaumes, ou les empires qu’ils ont fondés eux-mêmes, expliquent l’influence que ces dernières institutions de Rome et de Constantinople auront sur la formation des sociétés nouvelles ces titres hiérarchiques, inventés pour le palais de Dioclétien et de Constantin, reparaîtront dans les cours des conquérants germains, et plus d’un se conservera jusqu’à nos jours. Non seulement Clovis et Théodoric seront Consuls romains, mais Charlemagne, conquérant de l’Italie, ne voudra avoir d’autorité à Rome qu’à titre de Patrice, puis d’Empereur ; et son Empire sera tout romain de forme, étant à la fois une incitation grandiose du passé et l’effort le plus puissant du génie germanique inaugurant l’âge moderne.

L’exposition de cette hiérarchie de l’Empire romain a donc pour nous un double intérêt : elle nous offrira encore un exemple de hiérarchie sociale, quelle qu’en soit d’ailleurs la valeur, et elle nous révélera l’origine de quelques institutions qui n’ont pas été inconnues à notre histoire, ou ne sont pas encore, aujourd’hui même, étrangères pour nous[6]. Le code Théodosien et la notice des deux Empires nous ont conservé tous les détails de ce grand tableau.

I

Les premiers Empereurs s’étaient surtout attachés à humilier sous leur despotisme tout ce que la République, dans sa décadence même, avait conservé de grand et de respectable au moins par les souvenirs. Ils avaient paru ne barder-le Sénat que pour l’avilir, les grandes familles que pour les courber sous le joug commun, les titres des antiques magistratures que pour les prodiguer à leurs affranchis, les honneurs réservés jadis à la vertu que pour en décorer la bassesse. Les Antonins firent exception à cette politique, digne des tyrans qui corrompaient les âmes libres, pour ne plus les craindre[7] ; mais ils restèrent impuissants sur la pente qui précipitait le monde romain à l’esclavage[8] : on eût dit que l’esclavage, avant de disparaître sous les anathèmes du christianisme, devait absorber les sociétés qui s’étaient souillées de ce crime contre la nature et l’humanité[9].

Mais la puissance impériale, après avoir tout abaissé au même niveau ; commença à s’effrayer de son isolement. Pour monter si haut elle avait détruit toute hiérarchie et n’avait plus voulu que des sujets ; pour s’y maintenir, elle sentit le besoin de combler l’immense intervalle qui la séparait de la multitude en créant une hiérarchie nouvelle[10]. Dioclétien commença ce grand travail, Constantin l’acheva. Comme Auguste, dit Gibbon[11], Dioclétien jeta en quelque sorte les fondements d’un nouvel Empire. Il commença par se donner un collègue à l’Empire, Maximien, d’origine obscure comme lui, mais dont la bravoure et l’énergie arrêtèrent les invasions au dehors, les révoltes au dedans ; Maximien prit le surnom de Herculius, comme Dioclétien celui de Jovius. Tous deux portèrent le nom d’Auguste, qui était réservé à la Majesté Impériale.

Six ans après, les deux Empereurs, pour donner à l’Empire une loi de succession, dont l’absence avait causé tant de désordres, choisirent deux Césars, sorte de lieutenants et d’héritiers présomptifs ; ce furent Galerius Armentarius, ancien pâtre, comme l’indiquait son surnom, et Constance Chlore, ou le Pâle, issu d’une plus illustre origine, car son père Eutrope avait tenu le premier rang parmi les nobles de Dardanie, et sa mère était nièce de l’empereur Claude[12]. Ainsi les noms des deux fondateurs de l’Empire, César et Auguste, deviennent dans la hiérarchie nouvelle les deux titres les plus élevés[13].

La division de l’Empire établie par Dioclétien, et qu’on appela la Tétrarchie, parce qu’elle créait quatre princes et quatre cours, ne devait pas subsister sans doute dans les mêmes formes. La puissance impériale ramenée à l’unité par Constantin, divisée de nouveau entre ses fils et ses neveux, puis entre Valentinien et Valens, réunie encore une fois tout entière dans la main de Théodose, restera partagée entre Honorius et Arcadius ; entre l’Orient et l’Occident. Mais ce qui subsistera de l’œuvre de Dioclétien, c’est le caractère nouveau de cette puissance, son étiquette et son despotisme, et aussi la hiérarchie administrative qui en porte l’action dans tous les coins de l’Empire.

Le règne de Dioclétien avait été illustré par le dernier triomphe que Rome devait contempler comme capitale de l’Empire. La ville du Capitole et du Patriciat allait céder la place à l’une des Cités conquises par ses armes. Le Sénat, pour s’être souvenu un jour de son antique gloire et pour avoir pris les armes contre les Barbares arrivés aux portes de Rome, avait subi cet édit célèbre de Gallien qui interdisait à tout Sénateur de porter les armes, et d’exercer aucun emploi militaire ; les héritiers des Patriciens avaient accueilli cette humiliation comme un privilège. C’était pourtant par crainte du Sénat que Dioclétien ne voulait plus laisser à Rome le siège de l’Empire : Rome rappelait la puissance du Sénat, et le nom du Sénat était comme l’image de l’ancienne République. Quelques années avant Dioclétien, on avait vu les légions déférer à cette assemblée, qu’elles respectaient par caprice, l’élection d’un Empereur[14], et Probus, l’un des derniers héros de l’Empire, lui faire hommage de son pouvoir et de ses victoires[15]. Les plus généreux montrèrent trop d’enthousiasme pour ces dernières apparences de la liberté : Maximien, à qui Dioclétien laissait volontiers les exécutions odieuses se chargea de les punir ; des complots imaginaires servirent de prétexte à la proscription et à la spoliation des plus illustres familles[16]. Le séjour des Empereurs à Milan, à Nicomédie, puis à Constantinople, acheva enfin de réduire à néant cette autorité, qui avait fait autrefois la grandeur de Rome : le Sénat subsista encore, mais comme un monument inutile et abandonné. Son nom, ses titres, ses privilèges servirent encore à décorer la cour impériale, mais ne furent plus le signe d’aucune puissance ; il y eut encore des Sénateurs, il n’y eut plus de Sénat[17].

Toutes les institutions anciennes disparaissaient ainsi pour faire place à l’ordre nouveau. Les emplois civils de Consul, de Proconsul, de Censeur, de Tribun, dont, la réunion avait formé l’autorité des princes depuis Auguste, disparaissent ou ne sont plus que de vains titres[18]. Le nom d’Imperator perd son ancienne signification, et devient le titre de la toute-puissance ; jusqu’à ce que la langue grecque y substitue le nom de Basileus ou Roi, qui avait gardé en Orient tout son prestige[19], et dont se servaient les habitants des provinces d’Asie dans leurs requêtes serviles[20]. Enfin on y ajouta le titre de Dominus, qui désignait le pouvoir arbitraire du maître sur les esclaves, et que les premiers Césars avaient affecté de refuser : il passa d’abord dans l’étiquette de la flatterie ; puis dans les lois et dans les monuments publics[21]. Jusqu’à Dioclétien, l’Empereur ne se distinguait des Sénateurs et des Chevaliers que par un manteau de pourpre, et ne recevait que les honneurs dus aux magistratures dont il était revêtu. Dioclétien introduisit dans sa cour le cérémonial des monarchies persanes : il porta le diadème, large bandeau blanc et brodé de perles, qui entourait la tête ; il prit de superbes robes d’or et de soie et fit même couvrir ses chaussures de pierres précieuses. Une sévère étiquette rendit plus difficile l’accès, de la personne sacrée de l’Empereur. De nombreux officiers gardaient l’avenue du Palais. Les appartements intérieurs étaient confiés aux Eunuques, dont le nombre et l’influence augmentèrent sans cesse. Le sujet admis en présence du Souverain devait se prosterner à terre et l’adorer selon la coutume orientale. L’histoire atteste que les Romains s’accoutumèrent vite à ce nouveau cérémonial[22]. Dioclétien crut que cette ostentation de splendeur, de luxe, de majesté, frapperait l’imagination de la multitude ; et que l’habitude de la soumission engendrerait le respect du pouvoir : c’est pour cela qu’il attacha autant de prix à l’apparat du pouvoir que ses prédécesseurs en avaient mis à une modestie étudiée[23].

Constantin transporta enfin le siège de l’Empire à Byzance, qui prit son nom ; et il fit tous ses efforts pour y attirer les grandes familles de l’Occident et de l’Orient, dont le cortége pouvait relever encore la majesté impériale. On sait qu’il distribua des domaines, des palais, des pensions aux Sénateurs qui s’engagèrent à habiter la nouvelle capitale ; on a été jusqu’à dire qu’il leur fit bâtir des palais sur le modèle de ceux qu’ils avaient à Rome[24]. Comme à Rome, des distributions régulières de vin, d’huile, de blé, de pain, de denrées, d’argent, dispensèrent le peuple de tout travail : une vile multitude de Grecs et de Syriens hérita ainsi du privilège que Rome pouvait du moins réclamer par droit de conquête ; l’Egypte, l’Afrique nourrirent la ville nouvelle[25]. Constantin décora son conseil du nom de Sénat, accorda aux habitants les privilèges des Italiens et appela la cité colonie et fille alliée de l’ancienne Rome, qui garda ainsi une sorte de prééminence[26]. Ce Sénat ne fut que de second ordre, dit un des chroniqueurs de l’époque : les Sénateurs de Constantinople portèrent le titre de Clari, ceux de Rome celui de Clarissimi.

Constantin, qui acheva cette révolution commencée par Dioclétien, compléta aussi l’organisation nouvelle de l’Empire.

Dans la divine hiérarchie chaque rang fut marqué avec la plus scrupuleuse exactitude, et chaque dignité asservie à une foule de vaines cérémonies ; dont il fallait faire son étude et qu’on ne pouvait négliger sans commettre un sacrilège[27]. La pureté de la langue latine se corrompit en adoptant une profusion d’épithètes enfantée par la vanité des uns et par la bassesse des autres. L’Empereur lui-même traitait ordinairement les principaux officiers de l’Empire de votre Sincérité, votre Gravité, votre Eminence, votre sublime Grandeur, votre illustre et magnifique Altesse. Les codicilles ou patentes de leur office étaient comme blasonnés et chargés d’emblèmes, pour en expliquer les fonctions et la dignité : on y voyait le portrait de l’Empereur régnant, un char de triomphe, le registre des édits placé sur une table recouverte d’un riche tapis et éclairée de quatre flambeaux, la figure allégorique des provinces qu’ils gouvernaient, les noms et les étendards des troupes qu’ils commandaient. Quelques-unes de ces enseignes officielles étaient exposées à la vue dans leurs salles d’audience : d’autres précédaient la pompe de leur marche quand ils paraissaient en public ; enfin, dans toutes les circonstances, leur magnificence et celle de leur suite nombreuse servait à inspirer un profond respect pour les représentants de la suprême autorité[28].

II

L’histoire nous a conservé le tableau de ce dernier monument du despotisme et de la vanité des Empereurs romains. Au sommet suprême de la hiérarchie, qui usurpe ainsi la majesté des lois divines, est l’Empereur, source de toute paissance et de toute autorité[29] : au-dessous de lui, les Ministres et les dignitaires de la Cour, qui sont le cortége de sa personne sacrée, puis les gouverneurs et officiers des provinces ; et enfin les habitants de l’Empire, qui ont aussi leur hiérarchie dans la servitude.

Les Ministres de la Cour, serviteurs intimes, gardiens et conseillers de la Majesté Impériale, étaient au nombre de sept : le grand Chambellan, les deux Comtes des Gardes, le Maître des Offices, le Questeur Impérial, le Comte du Trésor Privé, le Comte des Largesses Sacrées.

Dans un Etat où le service personnel du prince devenait la plus importante des charges publiques, la première place parmi les Ministres appartient de bonne heure au grand Chambellan ou gouverneur de la Chambre Sacrée[30] : ce fut ordinairement un Eunuque favori. Il devait toujours être auprès de l’Empereur, dans ses conseils comme dans ses plaisirs. Les petits-fils dégénérés du grand Théodose élevèrent le grand Chambellan au-dessus de tous les autres Ministres de la Cour, et donnèrent même à son substitut le pas sur les Proconsuls de Grèce et d’Asie.

Le grand Chambellan avait sous ses ordres six Classes ou Ecoles d’officiers appelés tous Palatini[31] : ces Ecoles avaient des chefs auxquels obéissaient un certain nombre d’officiers subalternes.

C’étaient :

Le premier Chambellan, primicerius sacri cubiculi, chef de tous les Chambellans ou cubicularii qui, par bandes de dix hommes, sous la direction d’un decanus ou dizainier, servaient l’Empereur dans ses appartements et l’accompagnaient partout.

Le Comte du camp, Comes Castrensis, était une sorte d’intendant du palais ou de Maître d’Hôtel, chef des officiers qui servaient l’Empereur à table et prenaient soin de l’intérieur du Palais : les officiers principaux de ce service étaient le primicerius mensorum, sorte de maréchal des Logis[32], le primicerius cellariorum, chef des offices et des cuisines, le primicerius pædagogiorum, chef des pages élevés pour le service du palais ; le primicerius lampadariorum, chef de l’éclairage.

Le comte de la Garde-robe impériale, Comes sacræ vestis, avait sous ses ordres une Ecole très nombreuse.

Les Secrétaires de la chambre, chartularii cubiculi, secrétaires particuliers de l’Empereur, étaient en même temps de véritables Ministres d’Etat, les affaires publiques étant confondues dans le service personnel : ils étaient ordinairement au nombre de trois.

Les trois Décurions des silentiarii, chef de trois décuries d’officiers, avaient pour fonction de maintenir le silence et l’ordre dans le Palais.

Le Comte des Domaines de Cappadoce, était l’intendant des biens considérables que l’Empereur possédait dans la Cappadoce, et dont l’administration constituait un véritable Ministère.

Telle était la juridiction du Grand Chambellan après ce service tout personnel et intime, la première place appartenait naturellement aux Grands Dignitaires sur la fidélité desquels reposait la sûreté de l’Empereur. C’étaient les deux Capitaines des Gardes ou Comtes des Domestiques, l’un commandant l’infanterie et l’autre la cavalerie de la garde Impériale[33]. Cette garde se composait de trois mille cinq cents hommes partagés en sept Ecoles[34], et désignés sous le titre de Palatini. Elle était composée de soldats d’élite, et parmi eux on recrutait encore deux compagnies particulières de cavaliers et de fantassins que l’on appelait Protectores domestici : c’étaient les gardes de confiance, admis dans les appartements intérieurs, et chargés souvent de porter dans les provinces les ordres qui demandaient du courage et de la célérité[35]. Les dix premiers des Protecteurs ou Gardes du Corps avaient le titre de Clarissimi. L’ambition des meilleurs soldats était d’entrer dans cette glorieuse cohorte[36]. Dans l’Empire d’Orient, les Arméniens composèrent presque exclusivement la Garde Impériale : dans les cours et sous les portiques du palais leur haute stature, leur discipline silencieuse, leurs armes éclatantes d’or et d’argent présentaient, disent les historiens byzantins, un spectacle digne de la grandeur romaine[37].

Les attributions du Maître des offices se distinguaient surtout de celles du Grand Chambellan ou des Comtes de la Garde Impériale en ce qu’elles touchaient de moins près au service personnel ; mais elles ne paraissent pas avoir été inférieures dans l’ordre hiérarchique. Le Maître des offices était une sorte de Ministre universel, sur qui reposait la principale administration des affaires publiques.,. Il rendait la justice à tous les officiers du Palais, désignés sous le titre commun de Palatini, et avait ainsi un droit de surveillance même sur les Écoles des Gardes, sur les subordonnés du Grand Chambellan, sur les messagers et agents de l’Empereur dans les provinces. Il recevait également de toutes les parties de l’Empire les appels des citoyens privilégiés, qui, rattachés à la Cour par certains titres, acquéraient, pour eux et leur famille, le droit de décliner la juridiction des tribunaux ordinaires. C’était ainsi un véritable ministre de la Justice.

Comme il présentait les Sénateurs au Prince et qu’il avait sous sa direction les admissionales, huissiers introducteurs du Palais, et les invitatores, officiers chargés de transmettre les invitations, c’était aussi un Grand Maître des cérémonies. Enfin ses attributions comprenaient encore ce que nous appelons aujourd’hui les Ministères de l’intérieur, de la guerre et des affaires étrangères. Il avait quatre bureaux, où se traitaient les affaires du Prince avec ses sujets, les nominations aux emplois et aux grades, les réponses aux députations et requêtes, les ordres du Prince[38]. Chacun de ces bureaux avait un chef du titre de Magister[39] et prenant rang parmi les Respectables. Le nombre total des employés de ces bureaux s’élevait à cinq cent quarante huit. Il faut peut-être y ajouter le Secrétaire particulier de la langue grecque et les Interprètes qui recevaient les ambassadeurs barbares. L’inspection des fabriques d’armes de l’Empire, et sans doute aussi la répartition de ces armes, la surveillance des places fortes, leur entretien, leur construction, complétaient les attributions du Maître des offices.

Les fonctions du Grand Dignitaire, qui seul portait un titre emprunté à l’ancienne République, les fonctions du Questeur étaient plus spéciales et’ plus restreintes :

A l’origine de Rome, deux Questeurs étaient chargés de l’administration des deniers publics[40]. Lorsque la domination romaine eut franchi les limites de l’Italie, chaque Proconsul prit à sa suite un Questeur, et le nombre de ces magistrats se multiplia avec le nombre des provinces. César en nomma, dit-on, jusqu’à quarante, mais le nombre régulier ne paraît pas avoir été au delà de vingt, quoique Dion Cassius pense que le nombre de César fut conservé[41]. Comme cette dignité donnait l’entrée du Sénat et ouvrait la voie aux honneurs les plus élevés, elle fut très recherchée[42].

Lorsque la nomination des Questeurs comme celle des autres magistrats passa aux Empereurs, le nombre en fut illimité : comme leur puissance était nulle, il n’y avait aucun danger à en prodiguer les insignes, et comme le titre en était conféré par la faveur du Prince, on ne pouvait plus limiter le nombre des élus sans limiter la puissance impériale. D’ailleurs les attributions de cette magistrature n’avaient rien conservé de leur premier caractère : Auguste avait transféré aux Préteurs la garde du trésor, aux Décemvirs la présidence des tribunaux[43] ; Claude rendit aux Questeurs, leurs fonctions financières, mais Néron les leur enleva de nouveau, et elles passèrent depuis aux Préfets du Trésor[44]. Auguste avait modifié le premier l’institution de la questure en établissant les quæstores candidati : c’était une sorte de titre honorifique donné par la faveur impériale à ceux qu’elle voulait ensuite élever aux plus hautes dignités. On put l’obtenir à vingt-deux ans avec l’entrée du Sénat[45].

Ainsi étaient parodiées toutes les traditions de la République. Jadis la Questure était la première charge du candidat aux grandes magistratures ; sous l’Empire le même titre prodigué aux créatures du prince servit à légitimer leur élévation aux titres pompeux dont on décorait les courtisans. Auguste avait confié aux Questeurs la garde des Archives publiques, qui avait appartenu aux Ediles ou aux Tribuns du peuple ; et qui passa ensuite des Questeurs aux Préfets du Trésor[46]. Auguste se servit aussi fréquemment des Questeurs, choisis parmi les jeunes gens de distinction, pour transmettre au Sénat ses discours et ses épîtres[47].

Ce fut cette fonction nouvelle qui devint comme, la prérogative du Questeur conservé dans la hiérarchie de Constantin : la multitude des Questeurs disparut : il en resta le Questeur du Palais, chargé de composer les discours de l’Empereur et siégeant dans le consistoire Impérial avec les Préfets du Prétoire et les Grands-Maîtres. Telle fut l’importance de cette magistrature nouvelle, que souvent l’héritier présomptif de l’Empire en fut investi. Le Questeur jugeait de concert avec le Préfet du Prétoire et quelquefois seul, les affaires déférées au Prince ; il recevait les consultations des juges inférieurs sur les questions douteuses ; il composait les lois et les édits publiés au nom de l’autorité impériale ; il signait les rescrits impériaux ; il était dépositaire du registre des Tribuns et des Préfets des camps et de la frontière ; les bureaux du Grand-Maître des offices étaient à sa disposition pour lui fournir des secrétaires ou pour promulguer les édits dans l’Empire. L’office du Questeur Impérial répondrait à peu près à la charge moderne de Chancelier si les Empereurs romains avaient connu l’usage du Grand-Sceau.

L’administration des finances publiques, enlevée aux Questeurs, était confiée dans la hiérarchie nouvelle à deux Magistratures de création plus récente. Par une sorte da dérision, on avait maintenu la distinction du Trésor privé et du Trésor public, du Trésor de l’Empereur et du Trésor de l’Etat : l’un était le Fiscus et l’autre l’Ærarium. Tous deux sans doute étaient également sous la main du maître souverain de l’Empire, et l’opinion publique ne les séparait pas mais on eût dit que ni la cupidité du Prince, ni la servilité des courtisans ne voulaient avouer leurs excès ; on dissimulait les prodigalités impériales sous le droit de la propriété privée, et l’Empereur semblait avoir une part fixe des biens de l’Empire, comme s’il n’y eût pas possédé toutes les choses et toutes les personnes. Ce mensonge était représenté par deux Grands officiers, le Comte du Domaine privé ou Trésorier de la Couronne et le Comte des Largesses Sacrées. Il devient inutile de marquer entre eux les degrés de la hiérarchie ; leurs fonctions ne différaient que de nom, et l’importance de tout ce qui nominalement touchait à la personne sacrée de l’Empereur nous autorise seule à parler d’abord du Trésorier de la Couronne[48].

Le Comte du Domaine privé, Comes rerum privatarum, était chargé de l’administration des Biens de l’Empereur. Le Domaine privé s’était formé soit des domaines réservés autrefois à l’État, soit des biens confisqués sur les proscrits, soit des terres conquises. Il avait pour ainsi dire sa part dans toutes les provinces en Asie et en Afrique comme en Europe. Mais c’était dans la riche et fertile province de Cappadoce qu’en étaient les plus belles possessions. Constantin y avait confisqué les domaines du Temple de Comana, dont le Grand Prêtre avait des richesses égales à celles d’un souverain : les terres qui dépendaient de ce temple étaient habitées par six mille sujets, et produisaient la race de chevaux la plus précieuse de l’Empire[49]. Les domaines de Cappadoce furent confiés à la gestion d’un Comte, qui prit rang dans la hiérarchie du Palais, et que Justinien plaça sous l’autorité immédiate du Grand Chambellan. Les domaines des autres provinces furent confiés à des officiers d’un rang inférieur, mais qui restèrent également indépendants de l’autorité locale des provinces.

Le Comte du Domaine privé avait sous ses ordres :

1° Le Primicerius officii, chef de quatre bureaux où se réglaient les donations, les concessions de privilèges, les fermages des biens impériaux, les recettes et les dépenses du Fisc, les traitements des officiers impériaux[50] ;

2° Les Procurateurs ou Comptables du Domaine privé, procuratores rationales rerum privatarum, qui percevaient dans les provinces les revenus du Fisc, et souvent jugeaient les affaires où le Fisc était partie.

3° Les Inspecteurs des transports faits pour le service du Prince, præpositi bastagnarum rei privatæ.

4° Les Inspecteurs des Etables et des troupeaux de l’Empereur, Præpositi Srabulorum, gregum et armentorum, à la tête desquels était sans doute le Comes Stabuli, sorte de grand Ecuyer ou de Connétable.

5° Les Inspecteurs des Bois et des Pâturages, Procuratores saltuum.

Le Comte des Largesses Sacrées ou Grand Trésorier de l’Empire avait hérité des attributions des Questeurs et des Préfets du Trésor. Il percevait et administrait tous les revenus de l’ærarium et payait toutes les dépenses publiques. Les dix bureaux de son administration centrale avaient à leur tête des magistri ou primicerii, comme les bureaux du, Maître des Offices ou du Grand Chambellan. On y ajouta plus tard un bureau Spécial d’agents envoyés dans les provinces pour accélérer le paiement des impôts. La répartition de l’impôt, l’inscription des recettes et des dépenses, la garde des joyaux de la Couronne, l’exploitation des mines, la fonte des monnaies, la direction des manufactures, l’habillement des troupes, des courtisans, de la famille, impériale, du monarque lui-même, telle était la juridiction de ce ministre.

Le Comte des Largesses Sacrées avait sous ses ordres ; outre les magistri de ses bureaux, un grand nombre d’officiers des provinces. Les principaux étaient les Comtes des Largesses, au nombre de six en Orient, de cinq en Occident, chargés de payer les troupes et les généraux et de surveiller la perception des impôts ;-les Comtés des achats, Comites Commerciorum[51], chargés des achats de la maison impériale et de la surveillance du commerce ; les Préfets du Trésor, dépositaires du produit des impôts en attendant l’envoi au Comte des Largesses Sacrées ; les Comtes Rationales Summarum, chargés de recueillir les biens et les douanes qui revenaient au Prince[52]. Sur vingt-neuf receveurs provinciaux dix-huit avaient le titre de Comtes. Il y avait dans chaque province une caisse provinciale où les percepteurs déposaient l’argent reçu par eux ; les Préfets du Trésor remettaient aux Comtes des Largesses les sommes nécessaires aux dépenses provinciales, et remettaient le reste au gouverneur de la province, qui le faisait parvenir à la caisse des Largesses Sacrées.

Il nous faudrait peut-être ajouter à cette liste des Ministres intimes du Prince, le Premier Secrétaire d’État, Primicerius notariorum. Mais la hiérarchie des titres, comme nous le verrons, le plaçait d’un degré au-dessous des sept Ministres[53]. C’était le magistrat chargé de tenir le registre où étaient inscrits tous les fonctionnaires publics, leurs charges, leurs traitements, leurs édits de nomination. Il percevait une sorte de droit sur chaque nouvel élu de la faveur impériale. Le registre de tous les dignitaires de l’Empire était appelé Laterculum majus ou le Grand-Livre par opposition au registre des Tribuns et des Préfets militaires que tenait le Questeur Impérial. Les notarii étaient eux-mêmes divisés en trois classes, et les gardiens du Registre portaient le titre de Laterculenses. Les Notarii avait à leur tête deux Primicerii, l’un pour l’Orient, l’autre pour l’Occident.

III

A côté des Grands Dignitaires du Palais, la hiérarchie divine de l’Empire réservait une place aux agents supérieurs de l’autorité impériale dans les cités et dans les provinces, c’est-à-dire aux Consuls, aux Patriciens, aux Préfets, et aux Grands-Maîtres de la Cavalerie et de l’Infanterie : ils avaient le rang d’Illustres comme les Sept Ministres du Palais.

Le Consulat avait été conservé comme une dignité, sans puissance, dont se servait le Prince pour payer les services ou flatter la vanité de ses sujets[54]. Pour en dissimuler la nullité, le Prince lui-même en prenait de temps à autre les insignes et le titre. Les derniers vestiges d’élection avaient disparu, et les courtisans se vantaient de n’avoir plus à solliciter les suffrages plébéiens[55]. Les Consuls étaient nommés par un codicille impérial[56]. L’Empereur faisait graver leur nom et leur portrait sur des tablettes d’ivoire, qu’il envoyait dans toutes les provinces, et dont il faisait des présents aux magistrats, au Sénat, aux cités. Leur inauguration avait lieu dans le palais impérial, le matin du premier janvier, et comme pendant cent vingt ans, du règne de Carus au sixième consulat d’Honorius, les Empereurs se trouvèrent absents de Rome le premier jour de l’année, Rome pendant ce long intervalle ne vit point ses anciens magistrats[57].

Les Consuls, à leur inauguration, portaient pour insignes de leur dignité, une robe de pourpre brodée en soie et en or et quelquefois ornée de pierres précieuses[58]. Ils étaient suivis par les principaux officiers civils et militaires, en habit sénatorial ; des, licteurs portaient devant eux les faisceaux, et les haches, inutiles débris d’un temps qui n’était plus. La procession allait du Palais au Forum, qui n’était plus que le principal marché de la ville[59]. Là les Consuls montaient sur le tribunal et s’asseyaient sur une chaise curule semblable à celle des temps anciens ; et pour que leur autorité ne parût pas un vain mot, on leur présentait un esclave qu’ils affranchissaient[60]. Cette fête solennelle, dit Ausone en parlant de son propre consulat[61], est célébrée dans toutes les villes soumises aux lois romaines, à Rome selon l’usage antique, à Constantinople par imitation, à Antioche, par goût pour les plaisirs, à Carthage désarmée, dans Alexandrie, reine du Nil, et à Trèves par la libéralité du Prince. Dans les deux capitales les jeux du théâtre, de l’amphithéâtre et du cirque, qui duraient plusieurs jours, coûtaient quatre mille livres d’or ; si les deux, magistrats ne pouvaient pas en faire les frais ; le trésor impérial y suppléait[62]. Après l’accomplissement de ces devoirs d’usage les deux Consuls rentraient pour ainsi dire dans la vie privée : seulement leurs noms servaient à désigner l’année.

IV

Si le despotisme impérial s’était attaché à conserver cette image illusoire d’une magistrature qui avait fait la gloire de Rome naissante, on peut croire que les Empereurs souhaitèrent aussi d’ajouter au faste de leur Cour le prestige inséparable de l’antiquité des familles. L’origine obscure, ou souvent trop connue de leurs favoris contrastait avec la majesté des grands noms, dont il restait encore, des héritiers, malgré tant de guerres civiles ou étrangères, malgré tant de proscriptions, malgré le cours même de la nature[63]. Les honneurs, les titres pompeux dont se couvraient les courtisans, ne servaient qu’à faire remarquer la bassesse de leur naissance : ceux qui en étaient dignes commençaient l’illustration de leurs descendants ; mais ceux qui joignaient la bassesse du courage à celle de leur origine ne parvenaient qu’à diminuer le respect inspiré encore par des titres autrefois mieux distribués.

Les Empereurs, même ceux qu’une heureuse fortune ou de grandes qualités élevèrent au trône, s’efforcèrent, au moins par une admiration instinctive, de sauver de la décadence commune, l’antique dignité du Patriciat[64]. Il restait bien peu de familles qui pussent faire remonter certainement leur origine aux premiers temps de Rome. César, Auguste, Claude, Vespasien créèrent un grand nombre de familles patriciennes, dans l’espoir de conserver cet ordre que l’on regardait encore comme sacré[65]. Agricola, le célèbre vainqueur des Bretons, dont les ancêtres n’étaient que chevaliers, fut ainsi créé Patricien par Vespasien ; et l’un des commentateurs de l’Histoire Auguste, Aurelius Victor, va même jusqu’à dire que Vespasien créa mille familles patriciennes en un jour[66], si ce nombre est exagéré, il atteste du moins la vérité du fait en lui-même. Mais, dit Gibbon, ces nouvelles créations, dans lesquelles la famille régnante était toujours comprise, s’anéantissaient rapidement par la fureur des tyrans, par de fréquentes révolutions, par le changement, des mœurs et par le mélange des nations étrangères. Le projet de former un corps de noblesse, qui pût contenir l’autorité du monarque, ne convenait ni au caractère ni à la politique de Constantin ; mais quand même il se le serait sérieusement proposé, s’il eût peut-être été au-dessus de sa puissance de créer par une loi arbitraire une institution qui ne peut attendre sa sanction que de l’opinion du temps. Il fit revivre à la vérité le titre de Patricien ; mais comme une distinction personnelle et non héréditaire. Les Patriciens ne cédaient qu’à la supériorité passagère des Consuls et jouissaient de la prééminence sur tous les grands officiers de l’Etat et de leur entrée libre chez le Prince dans tous les temps. Ce rang honorable était accordé à vie et ordinairement à des ministres et à des favoris, qui avaient blanchi dans la Cour impériale. Ainsi la véritable étymologie du nom fut corrompue par l’ignorance et par la flatterie, et les Patriciens de Constantin furent révérés comme les pères adoptifs de l’Empereur et de la République[67].

V

On sait combien les Préfets du Prétoire avaient été puissants sous les premiers Empereurs. L’administration civile et militaire, les gardes et le Palais, les lois et les finances, les armées et les provinces, tout avait été dans leurs mains jusqu’à Dioclétien. La hiérarchie nouvelle ne pouvait pas conserver une magistrature aussi redoutable : Dioclétien la réduisit à une simple surintendance, et donna un Préfet du Prétoire à chacun des quatre Princes, entre lesquels l’Empire fut partagé. Constantin conserva les quatre Préfets, même après avoir remis l’Empire en une seule main, mais leur ôta tout commandement militaire. Ce furent le Préfet de l’Orient, le Préfet de l’Illyrie, le Préfet de l’Italie et le Préfet des Gaules[68]. Réduits aux fonctions civiles, les Préfets eurent la suprême administration de la justice et des finances, des monnaies, des grands chemins, des postes, des greniers publics, de manufactures. Interprètes des lois de l’Empire et supérieurs, hiérarchiquement aux gouverneurs provinciaux, ils recevaient les appels de toutes-les juridictions inférieures et jugeaient eux-mêmes sans appel ; ce fût un principe de la jurisprudence romaine qu’il était interdit d’en appeler, même à l’Empereur, de l’autorité des Préfets[69]. Le despotisme ne limita le pouvoir de cette grande charge que par la brièveté et l’incertitude de sa durée.

Rome et Constantinople, à cause de leur importance et de leur étendue, furent soustraites à la juridiction des Préfets du Prétoire, et confiées à des Préfets particuliers. Rome eut un Préfet dès le temps d’Auguste : c’était le titre qu’on donnait sous les Rois au magistrat chargé de gouverner la ville en l’absence du Prince. La juridiction du nouveau magistrat, d’abord restreinte à la police de la multitude, s’était bientôt étendue pour les procès civils et criminels à l’ordre équestre et aux familles nobles de Rome. Le Préfet remplaça successivement les Préteurs dans les tribunaux, les Consuls dans la présidence du Sénat, les magistrats municipaux dans l’administration de la ville ; il recevait les appels jusqu’à une distance de cent milles ; il était secondé par quinze officiers ou lieutenants qui souvent avaient été ses égaux ou ses supérieurs. Trente ans après la fondation de Constantinople on y institua un magistrat qui eut les mêmes attributions et le même rang, pour que la nouvelle capitale ne le cédât en rien à l’ancienne[70].

VI

Le gouvernement civil de l’Empire fut distribué en treize Diocèses qui par leur- étendue étaient de véritables royaumes. Le plus important était le Diocèse d’Orient, dont le gouverneur portait le titre de Comte de l’orient et avait sous ses ordres six cents appariteurs. Le gouverneur du Diocèse d’Égypte, sous le nom de Préfet Augustal, n’était plus pris parmi les Chevaliers, mais gardait les pouvoirs extraordinaires ajoutés dans l’origine à cette charge. Les onze Diocèses d’Asie, du Pont, de la Thrace, de la Macédoine, de la Dacie, de la Pannonie, de l’Italie, des Gaules et de la Grande-Bretagne étaient confiés à des Vicaires ou Vice-Préfets[71].

Les Diocèses étaient divisés en provinces dont les gouverneurs étaient placés dans la hiérarchie au-dessous des Préfets et des Vicaires. Quelques-uns jouissaient de certaines prérogatives exceptionnelles. Les Proconsuls d’Asie, d’Achaïe et d’Afrique avaient la préséance dans la classe des Respectables. Le Proconsul d’Asie n’était point soumis à la juridiction du Vicaire et peut-être même à celle du Préfet[72]. Le Proconsul d’Afrique avait quatre cents appariteurs payés par le trésor de la province[73].

Comme la multiplication des titres et la division du pouvoir semblait être une garantie pour la défiance du maître, l’Empire fut bientôt divisé en cent seize provinces : trois seulement étaient régies par des Proconsuls, trente-sept par des Consulaires, cinq par des Correcteurs, soixante et onze par des Présidents. Tous ces magistrats, distingués par leurs titres, leurs insignes et leur rang dans la hiérarchie, mais amovibles à la volonté du Prince, étaient investis du droit d’administrer la justice et les finances sous l’autorité des Préfets et de leurs représentants. Les règlements les plus sévères interdisaient de confier à un gouverneur la province où il était né : le gouverneur et ses fils ne peuvent contracter mariage avec les familles de leur arrondissement où acheter des esclaves, des terres, des maisons dans l’étendue de leur juridiction[74].

La garantie la plus sûre, que les Empereurs eussent prise contre le pouvoir redoutable dont il leur fallait investir leurs lieutenants, semblables aux Satrapes des monarques de l’Orient, c’était la séparation établie par Constantin entre l’administration civile et le commandement militaire. Les gouverneurs du temps d’Auguste portaient la robe civile au tribunal, l’armure complète à la tête des légions. L’histoire a pu eu compter cent dix qui se révoltèrent de Commode à Constantin. Ce dernier changea enfin en une profession distincte et permanente ce qui n’avait été jusqu’alors qu’une fonction passagère : le commandement des légions passa à des magistrats, dont ce fut l’unique fonction. Constantin créa deux Maîtres Généraux, l’un pour la cavalerie, l’autre pour l’infanterie, et leur donna sur les armées de l’Empire toute l’autorité qu’avaient exercée les Préfets du Prétoire.

La séparation de l’Orient et de l’Occident doubla le nombre de ces Maîtres, et ils eurent chacun la garde d’une des frontières du Rhin, du Haut-Danube, du Bas-Danube et de L’Euphrate, avec un titre et un rang égal. Ce nombre fut doublé encore, et la défense de l’Empire fut confiée à huit Grands Maîtres. Ils eurent sous leurs ordres trente-cinq commandants militaires attachés aux provinces, trois dans la Grande-Bretagne, six dans les Gaules, un en Espagne, un en Italie, cinq sur le Haut-Danube, quatre sur le Bas-Danube, huit en Asie, trois en Égypte et quatre en Afrique. Ces commandants militaires avaient ordinairement le titre de Duces qui indiquait leurs fonctions[75], et dont les langues modernes ont fait le mot Ducs, dont le sens n’est plus le même. Dix seulement obtinrent le titre de Comites ou Comtes, titre d’honneur ou de faveur inventé récemment à la cour de Constantin[76]. Un baudrier d’or était la marque distinctive de la dignité de Comte et de Duc. Chacun d’eux devait entretenir cent quatre-vingt-dix valets et cent cinquante-huit chevaux[77].

Mais cet appareil pompeux ne servait plus qu’à cacher la décadence profonde où était tombée l’armée romaine : le nombre des légions avait été porté à cent trente-trois, mais chaque légion avait été réduite à mille ou quinze cents hommes, depuis qu’elles étaient plus redoutables à l’Empire qu’aux Barbares. Avec les troupes auxiliaires et les garnisons, l’armée ne s’élevait sous Constantin qu’à six cent quarante-cinq mille hommes, et pour la recruter il fallait avoir recours aux levées forcées et à l’enrôlement des Barbares.

VII

Les Empereurs ne se contentèrent pas de cette hiérarchie de dignités et de fonctions, qui, par une sorte de jalousie, divisait le pouvoir à l’infini pour le conserver tout entier dans la main du souverain et l’affaiblir dans la main de ses délégués. Ils y ajoutèrent une hiérarchie de titres purement honorifiques et, de distinctions, qui ont déjà quelques-uns des caractères des titres et des distinctions de la noblesse moderne. Ces titres, qui conféraient des privilèges importants, mais sans aucune indépendance, étaient ou attachés à là gestion de certaines charges ou conférés par la faveur impériale à ceux qui n’avaient que les honneurs extérieurs de ces charges, et à ceux enfin qu’elle voulait honorer ou flatter. Ils étaient personnels et non héréditaires, et les dignitaires qui pouvaient y prétendre devaient attendre les lettres patentes du Prince : on en comptait six principaux entre lesquels les droits de préséance étaient minutieusement réglés.

Le plus élevé était le titre de Nobilissimus : on le donnait aux membres et aux alliés de la famille impériale ; il approchait du trône, et conférait en quelque sorte la dignité de César. C’est le titre que reçut Valentinien III lorsqu’il fut proclamé à Constantinople héritier du trône d’Occident.

Le titre d’Illustris était réservé aux magistrats éminents, qui étaient à la tête de la hiérarchie administrative. Ils étaient au nombre de vingt-sept pour l’Orient et l’Occident. C’étaient les quatorze Grands Dignitaires, les six Préfets du Prétoire, de Rome et de Constantinople, les cinq Grands Maîtres de l’armée en Orient, les deux Grands Maîtres de l’armée en Occident. Les Consuls et les Patriciens fouissaient aussi de ce titre. Constantin parait l’avoir donné aux Sénateurs qui composaient le Conseil de l’Empereur. L’’étiquette ordonnait de ne s’adresser aux Illustres qu’avec la formule suivante : votre Magnificence, votre Altesse, votre Sublimité, votre Grandeur, votre Eminence, votre Excellence[78]. L’amende était de trois livres d’or pour y avoir manqué. Les Illustres étaient égaux entre eux, mais l’ancienneté donnait des droits pour arriver à certaines dignités. Le titre donnait des privilèges et imposait des obligations. Prévenu d’une accusation, l’Illustris ne pouvait être jugé que par le Prince ou par ses délégués. Il ne pouvait être mis à la torture ni condamné aux mêmes supplices que les plébéiens, et ce privilège s’étendait à sa famille. La loi lui interdisait de faire dès gains honteux ou de se marier à une femme d’un rang inférieur ; mais cette dernière défense fut levée dans la suite, comme si le despotisme eût redouté là conservation de,l’antique no blesse ou de celle même que sa faveur semblait créer.

Le troisième titre était celui de Spectabilis ou Respectable, créé pour satisfaire la vanité de ceux qui, faute d’arriver au rang des Illustres, prétendaient à une distinction, qui les séparât des simples Sénateurs. Aussi la préséance n’en était elle pas marquée aussi rigoureusement, du moins pour séparer les Spectabiles des degrés inférieurs : ainsi les Ducs, les Silentiarii, les Notarii sont désignés tantôt par l’un, tantôt par l’autre de ces titres. Soixante deux magistrats étaient classés régulièrement parmi les Spectabiles. C’étaient : les deux premiers Chambellans, les deux Comtes de l’Hôtel, les deux premiers Secrétaires, les sept Chefs des principaux bureaux du gouvernement central, les trois Proconsuls d’Asie, d’Achaïe et d’Afrique, qui avaient la préséance de l’Ordre, le Comte d’Orient, le Préfet Augustal d’Egypte, les onze vicaires d’Orient et d’Occident, les huit Comtes ou Maîtres de la Cavalerie et de l’Infanterie, les vingt-cinq Ducs on Généraux des deux Empires.

Le titre de Clarissimus, auquel semble répondre là qualification moderne d’Honorable, qui n’est qu’une expression vague de déférence, était d’origine plus ancienne. On le donnait déjà sous Tibère aux Sénateurs et aux membres des familles Sénatoriales. Dans les Pandectes, que l’on peut rapporter au règne des Antonins, c’est le titre légal des Sénateurs. Plus tard et sans doute sous Constantin ; il s’étendit à tous les magistrats supérieurs chargés du gouvernement des provinces et que l’on tirait ordinairement du Sénat. On en comptait cent quinze dans les deux Empires au commencement du cinquième siècle. C’étaient les trente-sept Consulaires, les cinq Correcteurs et les soixante-treize Présidents ; les trois Proconsuls admis dans l’ordre des Spectabiles complétaient le nombré des gouverneurs provinciaux. Le titre de Clarissimi parait d’ailleurs avoir été prodigué à tous ceux que le Souverain voulait faire entrer dans la classe des Privilégiés.

Les deux titres énumérés encore par la hiérarchie, celui de Perfectissimus et celui d’Egregius, avaient sans doute une signification moins positive, et leur peu d’importance a pu les faire laisser de côté par la plupart des historiens. Le premier, bien qu’on le trouvé employé dans une loi de Dioclétien, ne fut introduit dans la hiérarchie légale que par Constantin, qui divisa même les Perfectissimi en trois classes. On l’attribuait aux Présidents de l’Arabie, de l’Isaurie et de la Dalmatie, aux Rationales ou percepteurs des revenus du Fisc dans les provinces, aux magistri des bureaux du Comte des Largesses sacrées, aux Comtes des Largesses sacrées ou receveurs et payeurs impériaux dans les provinces, enfin à un grand nombre d’autres officiers. Le titre d’Egregius devint plus commun encore. On le donnait à tous les Secrétaires du palais, à tous les officiers de l’administration provinciale, aux avocats du fisc et à toute une multitude[79].

VIII

Nous avons énuméré la longue liste des dignités et des titres honorifiques de l’Empire. Elle nous révèle l’état de l’Empire lui-même. La population, celle du moins avec laquelle le Souverain et les lois daignent compter, est partagée en deux classes, les Privilégiés et les Contribuables, ceux qui sont exempts des chargés publiques et ceux qui en portent tout le fardeau. La classe des Privilégiés comprend tous les officiers publics, tous les fonctionnaires de la Cour du Palais, des provinces, tous ceux qui sont chargés de quelque fonction, revêtus de quelque titre ; l’armée tout entière en fait partie depuis les Grands-Maîtres de l’Infanterie et de la Cavalerie jusqu’au dernier légionnaire. Constantin y a fait entrer tout le clergé chrétien, cette milice religieuse, qui formait déjà un Etat dans le monde romain. Les privilèges sont nombreux, divers, inégalement répartis, mais le plus recherché, le plus important, celui qui pour ainsi dire complète tous les autres, c’est l’exemption des charges publiques. A côté des Privilégiés, les Contribuables forment comme le troupeau exploité au profit de l’Empereur et de cette innombrable armée de Dignitaires et de Serviteurs[80]. Au dessous l’on rencontre le peuple proprement dit et les esclaves : les plébéiens (car le nom subsiste encore) échappent par leur pauvreté et leur humilité aux exactions comme aux privilèges ; les esclaves, quelque misérable que fût leur condition, la verront enviée plus d’une fois par leurs maîtres, et il faudra des lois pour poursuivre les sujets du Fisc réfugiés dans la servitude.

Il nous reste à dire quelques mots de cette aristocratie constituée par le privilège et de cette société dont la désorganisation n’était ni arrêtée ni cachée par la hiérarchie de Dioclétien et de Constantin.

L’établissement de l’Empire avait été d’abord comme le triomphe des principes d’égalité devant la loi : les distinctions et les privilèges dû Patriciat avaient péri successivement dans les bittes du forum ; et tous les pouvoirs de l’Etat avaient été réunis dans les mains des Césars. Dioclétien et Constantin, fondateurs d’un régime nouveau, rétablirent,le privilège, et crurent rendre leur constitution, plus solide en lui donnant pour base le principe des immunités. Ce furent désormais. les immunités qui, selon leur nature et leur étendue, marquèrent les rangs.

L’étiquette, dans l’appareil factice du Bas-Empire, devint la plus sérieuse des affaires d’Etat ; elle eut son code et ses interprètes. Au milieu de ces exceptions sans fin, on se demande ce que devient la règle[81]. Et ces privilèges n’étaient pas seulement personnels ; dans certains cas ils devenaient héréditaires ; ils ne chargeaient pas seulement le présent, ils engageaient l’avenir ; et si le despotisme n’avait pas été aussi peu scrupuleux à les violer et à les reprendre qu’à les prodiguer. l’Empire en était envahi après quelques générations. Les Dignitaires du palais et les Sénateurs transmettaient leurs immunités à ceux de leurs fils qui étaient nés depuis leur élévation : c’est l’origine des familles Sénatoriales que nous retrouvons dans tout l’Empire à l’époque des invasions barbares[82].

Le Sénat, comme nous l’avons vu, avait été conservé, mais dans des conditions bien différentes de son existence passée. Ce n’était plus cette grande et majestueuse corporation qui avait été pendant huit siècles le conseil et l’âme de la République. On pourrait presque placer le titre de Sénateur dans la hiérarchie des titres purement honorifiques, s’il n’y était déjà représenté par un titre qui en était devenu pour ainsi dire synonyme, par le titre de Clarissimus. Les membres du conseil particulier du prince étaient pris parmi les Sénateurs ; ce conseil dès le temps d’Auguste, était une commission prise dans le Sénat et dont les décisions avaient la même autorité que celles du Sénat lui-même. Les dignitaires de l’Empire, les gouverneurs de province, avaient ordinairement le grade de Sénateurs avant leur élévation ; ceux qui n’en étaient pas revêtus encore le recevaient à leur sortie de charge. Enfin les documents législatifs et les témoignages des historiens autorisent à croire que pour être rangé parmi les Sénateurs il suffisait d’avoir reçu le titre de Clarissime.

L’existence distincte des familles Sénatoriales dans la classe des Privilégiés de l’Empire est un fait hors de doute. Mais il faut peut-être établir une distinction entre les Sénateurs des deux Capitales et-les familles Sénatoriales des provinces. .A Rome et à Constantinople il y eut réellement un Sénat, fantôme impuissant de l’antique institution. Dans les provinces il n’y eut que des familles Sénatoriales. Cette distinction dut se produire de deux manières : premièrement les membres du Sénat de Rome ou de Constantinople, retirés dans les provinces de leur gré ou envoyés pour y exercer les magistratures de l’Empire, y portèrent leur titre et leurs privilèges héréditaires ; d’un autre côté les Empereurs se plurent à rattacher les grandes familles des provinces à la hiérarchie de l’Empire en investissant leurs chefs de la dignité Sénatoriale. Le nombre des Sénateurs se trouva ainsi multiplié bien au-delà du chiffre où l’avaient porté les premiers Césars en y introduisant toutes leurs créatures. Un des panégyristes de Constantin félicite ce Prince d’avoir attaché à la curie les hommes les plus considérables de toutes les provinces, pour que l’élite de l’univers entier contribuât à la dignité du Sénat[83].

Il est vrai que d’autres historiens insinuent malicieusement que cette politique avait un autre intérêt : Maxence, un des usurpateurs qui troublèrent l’Empire après la retraite de Dioclétien, avait exigé des Sénateurs des dons prétendus volontaires à l’occasion des victoires du Prince, de ses consulats, des mariages et des naissances dans sa famille. Constantin, invoqué contre cet usage illégal, convertit les dons gratuits en taxe perpétuelle et alla même jusqu’à diviser les Sénateurs, en trois classes dont la distinction fut marquée par, l’élévation de la taxe. Les Sénateurs de la première classe payèrent huit livres d’or ; ceux de la seconde quatre livres, ceux de la troisième deux seulement. De ceux qui étaient trop pauvres, le Fisc se contenta de sept pièces d’or : On comprend que les Empereurs mirent le plus grand soin à augmenter le nombre des Sénateurs, comme ce César qui fit un jour tous les habitants de l’Empire citoyens : romains pour les soumettre tous à la capitation. Ainsi se compensait Au moins l’abus des immunités : le titre de Sénateur devint onéreux, disent les lettres de l’Empereur Julien ; mais nous croyons que le Prince philosophe se trompe en disant qu’on le considéra comme un fardeau[84] : la vanité humaine aime les distinctions à tout prix ; Maxence et Constantin avaient calculé sagement.

Les privilèges qu’assurait la dignité sénatoriale subsistèrent d’ailleurs. Si l’innovation des dons volontaires — et ce n’était pas même une innovation, car dès l’origine les clients firent des présents à leur patron, les esclaves à leur maître, les citoyens aux Magistrats et à l’Empereur[85] —, remit les Sénateurs au nombre des Contribuables, c’était beaucoup pour eux et d’être taxés exceptionnellement et d’être talés d’après une mesure régulière. Ajoutons les exceptions, judiciaires : le Sénateur avait le droit d’être jugé par un tribunal particulier ; si un procès capital lui était intenté, le Magistrat devait s’adjoindre cinq Assesseurs tirés au sort. Enfin le Sénateur était exempt de la torture. C’était le dernier débris de l’antique inviolabilité du citoyen romain.

Les plus célèbres Jurisconsultes déclaraient la torture dangereuse pour la vérité elle-même et ne l’admettaient que pour les esclaves[86]. Le zèle des juges passa outre et l’usage une fois introduit fut consacré et par les privilèges, qui déterminaient les personnes exemptes de cette inhumanité, et par la loi de Majesté qui n’admettait pas d’exception. Le code exempta officiellement de la torture les Illustres, les Clarissimes, les Évêques et leurs clercs, les Professeurs des arts libéraux, les soldats et leurs familles, les Officiers et les Curiales des Municipes, leur postérité jusqu’à la troisième génération, et tous les enfants au-dessous de l’âge de puberté[87] ; c’était dire que tous les autres y étaient sujets. La loi de Majesté suspendit tous les privilèges et abaissa toutes les conditions au même niveau d’ignominie ; sous le crime de trahison, on comprit toute intention hostile ou qui parut l’être envers le Prince ou la République.

Les Sénateurs, nommés par la volonté impériale, pris dans toutes les classes, même parmi les affranchis, exposés à perdre leurs immunités comme ils les avaient acquises, par les caprices du despotisme, formaient-ils une classe distincte et ce qu’on peut appeler une Aristocratie politique ? Un publiciste, que nous avons cité plus d’une fois déjà et auquel nous ne pouvons avoir recours trop souvent dans cette étude du Moyen-Âge se charge de répondre à cette question. Le despotisme et le privilège, dit-il, avaient fait une étroite alliance ; et dans cette alliance, le privilège dépendant presque absolument du despotisme n’avait ni liberté ni dignité. Il expose plus loin quelles sont les conditions de l’existence d’une Aristocratie, et nous ne saurions donner un aperçu plus complet et un résumé plus simple des principes sur lesquels nous avions essayé d’appuyer nos opinions. C’est un encouragement pour l’historien que de rencontrer dans une carrière laborieuse, pour ses jugements et son but, ce concours d’une haute raison et de la science la plus élevée.

On est accoutumé à donner à toute classe privilégiée le nom d’Aristocratie. Je ne pense pas que ce nom convienne à ces familles Sénatoriales dont je viens de vous parler. C’était une collection hiérarchique de fonctionnaires, nullement une Aristocratie. Ni le privilège, ni la richesse, ni même la possession du pouvoir ne suffisent à faire une Aristocratie. Permettez-moi d’appeler un moment votre attention sur le véritable sens de ce terme ; je n’irai pas le chercher bien loin, je consulterai l’histoire du mot dans la langue à laquelle il est emprunté. Dans les plus anciens écrivains grecs le mot άριστος désigne ordinairement le plus fort, la supériorité de la force personnelle, physique, matérielle. On le trouve ainsi employé dans Homère[88], dans Hésiode, et même dans quelques chœurs de Sophocle ; il venait peut-être du mot qui désignait le Dieu Mars, le Dieu de la force, Άρης.

Quand on avance avec le cours de la civilisation grecque, quand on approche du temps où le développement social avait fait prévaloir d’autres causes de supériorité que la force physique, le mot Άριστος désigne le plus puissant, le plus considérable, le plus riche ; c’est la qualification donnée aux principaux citoyens, quelles que soient les sources de leur puissance et de leur crédit.

Allons un peu plus loin, prenons les philosophes, les hommes accoutumés à élever, à épurer les idées ; le mot Άριστος est pris souvent par eux dans un sens beaucoup plus moral ; il désigne le meilleur, le plus vertueux, le plus habile, la supériorité intellectuelle. Le gouvernement aristocratique est alors à leurs yeux le gouvernement des meilleurs, c’est-à-dire l’idéal des gouvernements.

Ainsi la force physique, la prépondérance sociale, la supériorité morale, telles sont, pour ainsi dire, à en croire les vicissitudes du sens des mots, telles sont les gradations de l’Aristocratie, les états divers par lesquels elle doit passer. C’est qu’en effet, pour être réelle, pour mériter son nom, il faut qu’une Aristocratie possède et possède par elle-même l’un ou l’autre de ces caractères il lui faut ou une force qui lui appartienne en propre, qu’elle n’emprunte de personne, que personne ne puisse lui ravir, ou une force avouée, acceptée, proclamée par les hommes sur qui elle s’exerce. Il lui faut l’indépendance ou la popularité. Elle a besoin de tenir le pouvoir de son droit personnel comme l’Aristocratie féodale, ou de le recevoir d’une élection nationale et libre, comme il arrive dans les gouvernements représentatifs.

Rien de pareil ne se rencontre dans l’Aristocratie Sénatoriale des Gaules : elle ne possède ni l’indépendance ni la popularité. Pouvoir, richesse, privilège, tout en elle est emprunté et précaire. Sans doute les familles Sénatoriales étaient quelque chose dans la société et dans l’esprit des peuples, car elles étaient riches et avaient occupé les charges publiques ; mais elles étaient incapables d’aucun grand effort, incapables d’entraîner le peuple à leur suite, soit pour défendre, soit pour gouverner le pays[89].

IX

L’impôt a été dans toute l’antiquité, et sera longtemps encore dans les sociétés nouvelles le signe de l’état des personnes, et c’est en ce sens que les Contribuables formaient une classe dans la hiérarchie de l’Empire. Dans les Aristocraties conquérantes le tribut distingue les vaincus. Dans l’Empire romarin, fondé par la conquête, les citoyens romains en avaient été d’abord exempts[90] ; lorsque le despotisme les eût réduits comme les provinciaux à l’état de sujets, personne ne put désormais échapper à l’impôt que par le privilège, c’est-à-dire par la faveur impériale.

A ce premier fait caractéristique des sociétés fondées sur l’inégalité et le privilège s’en joint un autre plus particulier à l’antiquité, c’est que l’impôt, étant presque partout assis de préférence sur la propriété et les produits de la terre, l’impôt foncier surtout a marqué ces distinctions personnelles. L’Empire romain a eu tout un système de contributions indirectes levées sur le commerce[91] ; il a eu dans le tribut régulier levé sur l’industrie une source abondante de revenus[92] ; il avait converti en taxé légale les dons volontaires de toutes les classes[93]. Mais dans l’organisation financière de l’Empire la première place resta à l’impôt foncier[94]. Et pour opérer comme pour garantir la levée de cet impôt la loi choisit dans chaque cité l’élite des propriétaires, en fit une classe privilégiée à des conditions nouvelles, les chargea de la répartition comme de la perception au dernier degré administratif, et les rendit responsables. Ce fut cette classe des Curiales, si tristement célèbre dans les derniers siècles de l’Empire, et qui, après avoir formé une serte d’Aristocratie municipale, devint la partie la plus misérable de la population.

Rome, après avoir enfermé presque tout le monde ancien dans cet Empire, qui est resté le monument le plus grandiose de l’ambition, de la force et de la politique dans l’histoire clé l’humanité, n’avait pas pris sur elle de gouverner tant de peuples et tant de cités. On peut dire du système politique appliqué, dès l’origine aux Provinces ce qu’on a dit de la machine administrative inventée par les derniers Empereurs : ce ne fut qu’un système d’exploitation. Le système de gouvernement qui commença sous Dioclétien et finit sous Honorius n’avait d’autre objet que d’étendre sur la société un réseau de fonctionnaires sans cesse occupés à en extraire des richesses et des forces, pour aller ensuite les déposer entre les mains de l’Empereur[95]. A qui donc resta le gouvernement proprement dit et l’administration ? aux vaincus eux-mêmes. Ce fut l’admirable résultat de l’établissement du régime municipal, qui laissa à chaque cité le soin de s’administrer elle-même. Le Municipe eut des institutions analogues à celles de la capitale, une sorte de Conseil ou de Sénat, appelé Curie, et des Magistratures électives. Dans la Curie entrèrent les principaux citoyens, qui reçurent le nom de Décurions et plus tard de Curiales[96].

A mesure que les besoins et les exigences du pouvoir central augmentèrent, les charges des Municipes s’accrurent ; et il parut, bientôt commode de convertir en machine financière le régime municipal lui-même. Ce fut le commencement des misères de la classe des Curiales et aussitôt ces misères n’eurent plus de bornes. Lorsque les revenus municipaux devinrent insuffisants pour les dépenses municipales, les Curiales furent obligés d’y pourvoir sur leurs propriétés personnelles ; lorsque les contribuables du Municipe se trouvèrent insolvables, les Curiales ; percepteurs de l’impôt, furent tenus d’y suppléer : ainsi les charges locales et les charges publiques pesèrent également sur eux. Et le fardeau ne put que devenir plus lourd de jour en jour ; car ces charges restèrent les mêmes tandis que le nombre des Curiales allait diminuant par deux causes inévitables : les moins riches étaient ruinés en quelques années ; leur part d’impôts retombait sur les autres. La ruine étant imminente pour tous, le privilège qui pouvait en préserver était d’autant plus recherché ; la part de ceux qui parvenaient à échapper ainsi retombait encore sur ceux qui restaient enchaînés à cette servitude du Fisc[97].

La classe des Curiales comprenait tous les habitants des villes, en dehors des Privilégiés, et possédant sur le territoire du Municipe plus de vingt-cinq arpents. On y appelait également ceux qui étaient nés dans la ville ou qui venaient s’y établir, ceux qui appartenaient à des familles Curiales, et ceux qui acquéraient d’eux-mêmes la fortune fixée par la loi. Nul Curiale ne pouvait volontairement sortir de sa condition pour entrer dans l’armée ou dans le clergé, pour occuper des emplois qui l’auraient affranchi des charges municipales[98]. La loi ne lui permettait de repos que lorsqu’il avait passé par toutes les fonctions de la Curie, depuis celle de simple Curiale jusqu’aux plus hautes Magistratures, c’est-à-dire lorsqu’il avait échappé à toutes les chances de ruine qu’elles imposaient. Alors il pouvait entrer dans la hiérarchie impériale, dans les légions ou dans le sacerdoce ; on lui accordait même certains honneurs et souvent le titre de Comte ; mais les enfants qu’il avait eus avant son élévation ne participaient pas à cette sorte d’anoblissement et restaient dans la Curie. Le Curiale ne pouvait ni s’absenter du Municipe ni vendre sa propriété sans l’autorisation du Gouverneur de la Province. S’il parvenait cependant à se soustraire à la Curie, ses biens étaient confisqués au profit du Municipe. S’il abandonnait sa terre, elle était dévolue à la Curie, qui en payait l’impôt, même si l’on ne trouvait personne pour s’en charger. La Curie gardait même à la mort du Curiale le quart de ses biens s’il ne laissait pour héritiers qu’une veuve, des filles ou des personnes étrangères au Municipe. Ceux qui n’avaient pas d’enfants, ne pouvaient disposer par testament que du quart de leurs biens ; le reste appartenait de droit à la Curie.

Un certain nombre de privilèges compensaient mal les charges des Curiales et faisaient d’eux une sorte d’Aristocratie peu favorisée dans la multitude des habitants de l’Empire. L’Empereur Adrien les avait affranchis de la peine de mort, sauf dans le cas de parricide. Ils ne pouvaient être soumis à la torture, ni à certaines peines infamantes comme le feu, les mines, le carcan[99]. Tombés dans la misère, ils avaient droit à une pension, mais aux dépens du Municipe[100]. Dans la Curie leurs charges répondaient à des droits : leurs noms étaient inscrits sur l’album dans un ordre déterminé par la dignité, l’âge et diverses circonstances ; ils prenaient part à l’examen et à la décision de toutes les affaires municipales, à l’élection des magistrats toujours pris parmi eux[101]. Toutefois le pouvoir central se substitua peu à peu à ces derniers privilèges de l’indépendance municipale, et le Gouverneur de la Province put même annuler les élections municipales ; ajoutons qu’il usa surtout de ce droit pour décharger de fonctions trop onéreuses les personnes en crédit auprès de lui. Les Curiales ne sont plus alors que les derniers agents de l’autorité souveraine, et les Magistrats électifs des délégués gratuits, ne pouvant rien faire qui ne puisse être annulé.

X

Nous n’aurions presque rien à dire des deux dernières classes, du peuple proprement dit et des esclaves, si leur situation ne nous présentait des faits déjà capables de nous révéler l’avenir-, quoique au premier abord la misère des Curiales soit peu faite pour nous donner à espérer mieux de l’état des classes inférieures. Mais deux grands faits s’étaient accomplis : le travail venait de s’affranchir et le Christianisme avait mis l’anathème sur l’esclavage.

Par une de ces révolutions lentes et cachées qu’on trouve accomplies à une certaine époque, mais dont on ne suit pas le cours et jusqu’à l’origine desquelles on ne remonte jamais, il arriva que l’industrie sortit de la servitude et qu’au lieu d’artisans esclaves, il se forma des artisans libres qui travaillèrent, non pour un maître, mais pour le public, et à leur profit. Ce fut un immense changement dans l’état de la société, surtout dans son avenir..... Au commencement du Ve siècle ce pas était fait ; il y avait dans toutes les grandes villes de la Gaule une classe assez nombreuse d’artisans libres ; déjà même, ils étaient constitués en corporations, en corps de métiers représentés par quelques-uns de leurs membres. La plupart des corporations, dont on a coutume d’attribuer l’origine au moyen-âge, remontent, dans le Midi de la Gaule surtout et en Italie, au monde romain. Depuis le cinquième siècle on en aperçoit la trace directe ou indirecte à toutes les époques ; et elles formaient déjà à cette époque dans beaucoup de villes une des principales et des plus importantes parties du peuple[102].

Parmi, les esclaves on distinguait deux classes distinctes, les esclaves domestiques et les esclaves ruraux : pour les premiers la législation impériale s’était elle-même adoucie depuis que la religion nouvelle avait relevé la dignité humaine ; les autres sont déjà de véritables colons ou serfs de la glèbe ; le servage du moyen-âge sera la transition entre l’esclavage antique et la liberté moderne.

Ce progrès des deux classes inférieures nous ramène à l’idée que nous avons essayé de faire dominer dans ce livre : si nous avons entrepris d’écrire l’histoire des classes aristocratiques de l’antiquité, ce n’a pas été pour exclure de l’histoire des sociétés anciennes les classes populaires sans privilèges et sans droits politiques, mais pour montrer que l’existence des classes aristocratiques est un des grands faits de la civilisation universelle. Un historien éminent, que nous avons plus d’une fois invoqué, peut encore ici nous prêter sa voix pour justifier notre œuvré et quelques lignes pour clore notre livre : En tout pays, en tout temps, quel que soit même le régime politique, du bout d’un intervalle plus ou moins long, par le seul effet de la jouissance du pouvoir, de la richesse, du développement intellectuel, les classes supérieures s’usent, s’énervent ; elles ont besoin d’être sans cesse excitées par l’émulation, renouvelée par l’immigration des classes qui vivent et travaillent au-dessous d’elles. Voyez ce qui s’est passé dans l’Europe moderne. Il y a eu une prodigieuse variété de conditions sociales, des degrés infinis dans la richesse, la liberté, les lumières, l’influence, la civilisation. Et, sur tous les degrés de cette longue échelle, un mouvement ascendant a constamment poussé chaque classe, et toutes les classes les unes par les autres vers un plus grand développement, et aucune n’a pu y demeurer étrangère. De là la fécondité, l’immortalité pour ainsi dire de la civilisation moderne, sans cesse recrutée et rajeunie[103].

 

 

 



[1] Le Roi des Goths (Ataülf) avait coutume de dire que son ambition la plus ardente avait été d’abord d’anéantir le nom romain, et de faire de toute l’étendue des terres romaines un empire gothique, de telle sorte que tout ce qui était Romanie devint Gothie et qu’Afaülf jouât le même rôle qu’autrefois César-Auguste ; mais, qu’après s’être assuré par expérience, que les Goths étaient incapables d’obéissance aux lois, à cause de leur barbarie indisciplinable, jugeant qu’il ne fallait point touché aux lois sans lesquelles la république cesserait d’être république, il avait pris le parti de chercher en la gloire en consacrant les forces des Goths à rétablir dans son intégrité, à augmenter même la puissance du nom romain afin qu’au moins la postérité le regardât comme le restaurateur de l’Empire, qu’il ne pouvait transporter. — P. Orose, VII, 43.

[2] Les Alamans apparaissent dans l’armée de Constantin sous la conduite d’un de leurs chefs héréditaires, Victor le jeune, c. 41. Les Carpiens, les Sarmates, les Bastarnes obtinrent des terres de Dioclétien sans renoncer à leur indépendance.

[3] Tacite, Annales, XX, 10.

[4] Dioclétien était né de parents esclaves : il s’appela d’abord Doclès, puis Dioclès pour donner à son nom l’harmonie de la langue grecque, enfin Diocletianus pour mieux représenter la majesté romaine. Il y ajouta le nom patricien de Valerius et le surnom de Jovius. Il fut successivement gouverneur de la Mœsie, consul et chef des gardes du palais, enfin Empereur à la mort de Carin.

[5] L’introduction des orientaux dans le Sénat avait eu la plus grande influence sur le progrès des maximes nouvelles du despotisme. Les jurisconsultes prêchaient depuis longtemps déjà le despotisme. Papinien, Paulus, Ulpien avaient vécu sous les princes syriens.

[6] La connaissance du système compliqué de politique introduit par Dioclétien, suivi par Constantin, et perfectionné par ses premiers successeurs, offrira non seulement à l’imagination le tableau intéressant d’un grand Empire, mais aidera en même temps à découvrir les causes de son déclin rapide. Gibbon, Décadence et chute de l’Empire romain, XVII.

[7] Denys traita ainsi le fils de Dion. Plutarque.

[8] In servitium ruebant, dit Tacite après la mort d’Auguste.

[9] Dion Cassius, dont l’histoire semble n’être que la justification de la prérogative impériale, raconte que Plautien, ministre de Septime Sévère, ordonna la castration de cent Romains libres pour que sa fille, mariée au jeune Empereur, eût des eunuques comme une reine d’Orient.

[10] Une hiérarchie administrative est aussi nécessaire au despotisme que la hiérarchie héréditaire des gentes et des castes à l’aristocratie. Lehuerou, Inst. Mérov., VIII.

[11] Gibbon, Chute et Décadence de l’Empire Romain, I, 13.

[12] Julien, petit-fils de Constance, se glorifiait de descendre des Mœsiens belliqueux. Misopogon, 348.

[13] Galerius, pour satisfaire à l’ambition de toutes ses créatures, voulut inventer un titre nouveau : fils des Augustes, mais il n’y réussit pas. Lactance, de Morte. pers., 32.

[14] Cet empereur fut Tacite, qui rendit au Sénat ses anciens privilèges ; il ne parait pas cependant que les Sénateurs aient demandé la révocation de l’édit de Gallien.

[15] Lettre de Probus au Sénat. Histoire Auguste, 24. — Probus laisse aux Sénateurs l’administration civile.

[16] Lactance, de Mort. persec., c. 8. — La révolte de Maxence contre Galerius, qui voulait soumettre l’Italie au tribut, a tous les caractères d’une révolte nationale. Le Sénat et le peuple proclament Maxence protecteur de la dignité et de la liberté de Rome.         

[17] En même temps disparut la milice d’élite des Prétoriens, qui avait fait cause commune avec la vieille Capitale. Aurelius Victor.

[18] Spanheim, de Usu Numism. Diss., XII. Cet historien a suivi la destinée de chaque titre, depuis son origine jusqu’à sa disparition.

[19] Le titre de Roi dans la langue latine parait avoir été dédaigné pour deux raisons : il était resté odieux à l’oreille et aux mœurs des Romains, et c’était le titre donné à tous les petits chefs barbares. Les préjugés d’orgueil avaient encore toute leur force à Rome : quoique plus d’un Barbare fût parvenu à l’Empire, on avait regardé le mariage de Gallien avec la fille du roi des Marcomans comme une mésalliance et flétri la nouvelle Impératrice du nom de concubine. Tillemont, Hist. des Empereurs, t. III, p. 323. — On accusa de même le mariage d’Hélène et de Constance Chlore ; et lorsque Constantin, leur fils, devint Empereur, on prétendit qu’Hélène était la fille d’un roi breton et non d’un aubergiste de Dacie. — Zozime, II, 78. Eutrope, X, 2.

[20] Synes, De Regno.

[21] Pline, qui dans le Panégyrique de Trajan félicite ce prince d’avoir repoussé le titre de Dominus, le lui donne pourtant dans ses lettres. — Épist., lib. X. — Le titre moderne de Seigneur ne rend qu’imparfaitement le sens qu’avait  le mot Dominus dans le droit domestique des Romains.

[22] Aurelius Victor. — Eutrope, IX, 26. — Les préambules des lois parlaient toujours de divinité, de sacrée majesté, de divins oracles. Dans les lettres ou les discours adressés au prince, la formule la plus usitée était : Divinitas tua.

[23] Gibbon, chap. XIII.

[24] Zozime, II, 107. Codin, Antiq. de C. P., p. 10.

[25] On distribuait par jour à C. P. huit myriades de pains ou de mesures de blé, Socrate, II, 13.

[26] Anon. Vales., 715. Ammien Marcellin, XXII, 9. — Julien, Orat. 1.

[27] L’Empereur Gatien, après avoir confirmé une loi sur la préséance, publiée par Valentinien, père de sa divinité, continue ainsi : Si quis igitur indebitum sibi locum usurpaverit, nullu se ignoratione defendat, sitque plane sacrilegii reus, qui divina præcepta neglexerit. Cod. Théodosien, VI, f. 2.

[28] Gibbon, XVII. — Notitia dignitatum utriusque Imperii, à la fin du code Théodosien, VI, 316.

[29] Déjà commence à être proclamée cette maxime fameuse du droit romain dont voudront plus tard se prévaloir les monarchies absolues : quidquid principi placuit legis habeat vigorem.

[30] Præpositus sacri cubiculi.

[31] Le service de ces officiers avait un appareil tout guerrier, et s’appelait in Palatino malitare.

[32] Les mensores étaient les courriers envoyés en avant de l’Empereur, pour tout préparer sur sa route et dans les lieux où il devait s’arrêter.

[33] Les Comites domesticorum equitum peditumque avaient remplacé les Préfets du Prétoire, et comme eux ils aspirèrent au commandement des armées.

[34] Les sept Ecoles étaient : les deux Écoles des Scutarii, l’École des Gentiles Seniores, l’École des Gentiles juniores, l’École des Scutarii Sagittarii, l’Ecole des Scutarii clibanarii, l’Ecole armatararum juniorum. Le titre de Gentiles était sans aucun doute emprunté aux traditions de l’ancienne noblesse romaine. Les Scutarii portaient un bouclier, les Sagittarii un arc et des flèches, les Clibanarii une cuirasse.

[35] Dans ces missions, on les appelait Deputati.

[36] L’historien Ammien Marcellin, après d’éclatants services obtint le rang de Protecteur.

[37] Justin, I, III. — Hist. Byz., Append.

[38] C’était : 1° Scrinium memoriæ ; 2° Scrinium epistolarum ; 3° Scrinium libellorum ; 4° Scrinium dispositionum — Gutherius, de Officiis domus Augustæ, fait remonter à tort cette institution jusqu’aux Antonins.

[39] Le chef du scrinium dispositionum s’appelait même Comes dispositionum.

[40] Tacite dit que le peuple élut les premiers Questeurs soixante-quatre ans après la fondation de la République, mais pense que longtemps avant, les Consuls et même les Rois les nommaient chaque année. Annales, XI, 22. — Cicéron, Ep. ad fam., VI, 30. Plutarque attribue l’établissement des Questeurs à une loi de Valerius Publicola, après l’expulsion des Rois. Ce fut vers l’an 333 qu’on ajouta aux deux Questeurs de la ville deux Questeurs pour accompagner les Consuls à la guerre. Tite-Live, IV, 43. Après la conquête de l’Italie, on en institua quatre autres. Sylla en porta le nombre à vingt.

[41] Dion, XLIII, 47.

[42] Cicéron, In Verres, I, 4 : primus gradus honoris.

[43] Suétone, Auguste, 36.

[44] Lips. Excurs. ad Tac., III, D. — Tacite, Annales, XXII, 29. Suétone, Claude, 2.1. — Dion, p. 696, 321. Pline, Ep. X, 20. Dans les provinces impériales les Questeurs furent remplacés par les procuratores ou nationales, mais ils subsistèrent dans les provinces du Sénat. — Dion, p. 707. Tacite, Agricola, 15. Histoire Auguste, 130 et 64. Selon Ulpien, les Questeurs, élus tous les ans ou tous les trois ans, furent abolis dans les provinces sous les Princes Syriens. Ulpien, Pandectes, I, 13

[45] Pline, Ep. X, 83, 84.

[46] Dion, LIV. 36. Tacite, XIII, 28, 29.

[47] Suétone, Auguste, 65. Diop. 353.

[48] La Notitia est moins complète en ce qui concerne les Comtes du Trésor que pour les autres Ministres.

[49] Strabon, Géographie, XII, p. 869. La sécularisation n’est pas d’invention moderne. Les chevaux nourris dans les plaines qu’arrose la rivière de Sarus au pied du mont Argée, étaient réservés pour le service du Palais et des jeux impériaux. La loi les déclarait sacrés et défendait de les vendre à un simple particulier. Cod Théodosien, X. G. De Grege Dominico.

[50] Justin, nov. 3. Ces quatre bureaux étaient : 1° Scrinium beneficiorum ; 2° Scrinium canonum ; 3° Scrinium decuritatum ; 4° Scrinium largitionum pirivatarum.

[51] Il y en avait quatre en Orient, un seul en Occident.

[52] Il y en avait onze en Occident. En Orient le plus important était le Comes Rationalis summarum Ægypti, qui surveillait le commerce de l’Inde.

[53] V. plus loin la liste des Spectabiles.

[54] C’est l’expression même d’un historien : In consulatu honos sine labore suscipitur. Mamert., Paneg. XI, 2.

[55] Ausone, Ad Gratianum. — Mam., Paneg. vet., IV, 16, 19.

[56] Lettre de Gratien à Ausone : Cum de consulibus in annum creandis solus mecum volutarem... te consulem et designavi et declaravi et priorem nuncupavi.

[57] Chronologie de Tillemont, t. IV et V.

[58] Gratien donna à Ausone une robe de cérémonie, Vestis palmata, où l’on avait brodé la figure de l’empereur Constance.

[59] Ammien Marcellin, XXII, 7.

[60] Claud. in VI consul. Honor. 611.

[61] Ausone, Ad. Grat.

[62] Procope, Hist. secr., 26.

[63] Selon Tacite (Ann., XI, 25), il restait à peine du temps de César quelques familles patriciennes et de tous les nobles que lui et Auguste créèrent, il n’en restait pas un seul au temps de Claude.

[64] On donnait le titre de Patricii aux Sénateurs qui formaient le consistorium principis, tandis que les autres Sénateurs n’étaient que Clarissimi. Plus tard le titre de Patrice est pris par les Barbares devenus souverains de Rome, par Odoacre, par Pépin le Bref, par Charlemagne.

[65] Gibbon, XVII. — Selon Tacite, en l’an de Rome 800, il restait un très petit nombre d’anciennes familles patriciennes et même de celles que César et Auguste avaient créées. Tacite, Ann., XI, 25. Valère Maxime et Aurelius Victor parlent de la pauvreté où était tombée la famille des Scaurus de la gens Æmilia. Valère Maxime, IV, 4. Aurelius Victor, in Scauro.

[66] Casaubon, ad Suet. Cæs., 42 : Comm. 220. Histoire Auguste, p. 103.

[67] Zozime, II, 118. Code Théodosien, VI, 6.

[68] Zozime, II, p. 109, 110. Par l’exemple de Mallius Théodore qui exerça deux des grandes charges de la Cour, celle de Questeur et celle de Comte des Largesses sacrées, et qui fut ensuite Préfet prétorien des Gaules et deux fois Préfet du Prétoire d’Italie, on peut croire que ce titre n’était inférieur à aucun dans l’Empire.

[69] A Præfectus Prætorii provocare non sinimus. Cod. Justinien, VII, 62. Charisius, jurisconsulte du temps de Constantin, compare le Préfet du Prétoire au Maître de la Cavalerie des anciens Dictateurs. Pandectes, I, 2.

[70] Cod. Théodosien, Liv. XIV. Cantelorius, de Præfecto Urbis.

[71] Il y avait aussi en Italie un Vicaire de Rome.

[72] Eunape — Pancirotus, 61.

[73] Cod. Justinien, XII, 56, 57.

[74] Cod. Théodosien, VIII, 15. Pandectes, XIII, 2.

[75] Dux, qui ducit. On comptait treize Ducs en Orient, douze en Occident.

[76] Comes, compagnon du Prince.

[77] Cod. Théodosien, VI, 12-20. Comment. de Godefroy.

[78] L’adjectif vestra est déjà en usage au lieu de tua.

[79] Le tribunal du Préfet d’e l’orient employait seul cent cinquante avocats, dont soixante-quatre jouissaient de privilèges particuliers. Deux recevaient annuellement soixante livres d’or pour plaider les causes du Fisc. Ils servaient souvent d’assesseurs aux magistrats.

[80] Lorsque la proportion de ceux qui recevaient excéda la proportion de ceux qui contribuaient, les provinces furent opprimées par le poids des tributs. Lactance, de mort. pers., 7.

[81] Lehuerou, Inst, mérov., VIII. — Le code Théodosien, tout en proclamant encore les maximes d’égalité, consacre le titre II du VIe livre aux privilèges des Sénateurs, le titre 15 aux privilèges de la milice palatine, le titre 3 du XIIIe livre aux medecins et aux professeurs ; le titre 2 du XVIe livre aux Evêques, aux Églises et aux Clercs, etc., etc.

[82] L’hérédité fut aussi établie pour les fils des vétérans auxquels on avait concédé des terres, pour les familles de la milice cohortale des municipes : mais ici la transmission héréditaire des immunités avait au moins pour excuse la nécessité d’assurer l’enrôlement.

[83] Nazar., Paneg. vet., X, 35 : Ex omnibus provinciis optimates viros curiæ tuæ pigneraveris ut Senatus dignitas ex totius orbis flore consisteret.

[84] Julien, Épist. XI.

[85] Julien, Ep. V, 14.

[86] A part les nations de l’Orient, soumises au régime despotique, on ne citait que les Athéniens, les Rhodiens et les Macédoniens, qui eussent soumis l’homme libre à la torture. Cicéron, part. orat., 34. Diodore, XVII, 604. Quinte-Curce, VII. Tacite raconte que dans la conspiration de Pison, l’affranchie Epicharis fut seule mise à la torture : il est vrai qu’elle donna aux autres conjurés l’exemple du courage.

[87] Hein., Elem. jur. civ., VII, 81.

[88] C’est le mot dont se sert Achille pour désigner Agamemnon, qui se vante d’être le plus fort, le plus redoutable des Grecs. Iliade, ch. I.

[89] Guizot, De la Civilisation en France, 2e leçon.

[90] Les Romains avaient été soumis d’abord à la capitation, au cens et à certaines taxes moins régulières. Mais après la conquête de la Macédoine par Paul-Émile les tributs annuels du peuple furent abolis. Cicéron, off., II, 22.

[91] Nous avons indiqué les magistrats chargés de ce soin par la hiérarchie impériale.

[92] C’était l’impôt appelé Chrysargyre, parce qu’il portait sur l’or et l’argent ou bien aurum lustrale parce qu’on le levait tous les cinq ans. Cod. Théodosien, XIII. Zozime, II, 115.

[93] C’était l’aurum coronarium, ainsi nommé parce qu’à l’origine les dons volontaires consistaient en couronnes d’or.

[94] On donna à cet impôt le nom d’indiction parce qu’un édit solennel, indictio, signé de la main de l’Empereur, en réglait la mesure et le paiement. Cet édit était renouvelé tous les quinze ans. De là l’ère des Indictions.

[95] Guizot, Essais sur l’histoire de France, I. Du régime municipal dans l’Empire romain.

[96] Peut-être le titre de Décurion désignait-il à l’origine le chef de dix hommes ou de dix familles. Mais il paraît avoir perdu ce sens pour désigner simplement le membre de la Curie.

[97] Ainsi le mal naissait du mal ; l’oppression assurait la ruine en s’efforçant de la retarder, et le régime municipal, devenu une vraie geôle pour une classe de citoyens, allait se détruisant chaque jour et détruisant la classe qui y était vouée. Guizot, Essais sur l’histoire de France, Ibid.

[98] La législation ne fut plus préoccupée bientôt que de retrouver les Curiales échappés. Cod. Théodosien, L. XII, L. XXII, L. LIX. Ils ne pouvaient entrer même dans le clergé qu’en laissant leurs biens à la Curie ou à quelqu’un qui voulût bien devenir curiale à leur place. Cod Théodosien, XII, 1. LXV, 1.

[99] Digeste, X, L. VIII, 19, 9. Cod. Justinien, IX, 51, 11.

[100] Roth., de Re Mun. rom., p. 85, n. 99.

[101] Outre la Curie le Municipe avait cependant, comme la Commune du moyen-âge, une assemblée publique composée de lotis les citoyens. Les principaux magistrats du Municipe étaient : Les Décemvirs, sorte de consuls, les Ediles et le Curator reipublicæ ; on y ajouta plus tard, le Defensor civitatis.

[102] Guizot, La Civilisation en France, leçon II.

[103] Guizot, ibid.