HISTOIRE DES CLASSES PRIVILÉGIÉES DANS LES TEMPS ANCIENS

 

CHAPITRE X. — Le Sénat et les Chevaliers.

 

 

En parcourant l’histoire de l’Aristocratie romaine, et des luttes qui l’ont constituée au-dedans et au-dehors, nous avons exposé comment l’organisation intérieure de cette aristocratie nouvelle était fondée à la fois sur les principes du droit domestique et sur les privilèges de la cité politique. Il nous reste à connaître dans leurs institutions spéciales les deux ordres qui l’ont représentée dans les vicissitudes si variées de sa longue existence, le Sénat et les Chevaliers.

I

Le nom seul du Sénat rappelle encore aujourd’hui les souvenirs du gouvernement le plus glorieux et le plus puissant des républiques anciennes et la majesté de l’institution la plus grande peut-être, qui fut jamais. A prendre le Sénat dans les bons temps de la République, dit Bossuet, il n’y eut jamais d’assemblée où les affaires fussent traitées plus mûrement ni avec plus de secret, ni avec une plus longue prévoyance, ni dans un plus grand concours et avec un plus grand zèle pour le bien public. C’était une chose surprenante dans la conduite de Rome d’y voir le peuple regarder le Sénat presque toujours avec jalousie, et néanmoins lui déférer tout, dans les grandes occasions et surtout dans les grands périls : alors on voyait tout le peuple tourner les yeux sur cette sage compagnie, et attendre ses résolutions comme autant d’oracles. Une longue expérience avait appris aux Romains que de là étaient sortis tous les conseils qui avaient sauvé l’État. C’était dans le Sénat que se conservaient les anciennes maximes et l’esprit, pour ainsi parler, de la République ; c’était là que se formaient les desseins qu’on voyait se soutenir par leur propre suite ; et ce qu’il y avait de plus grand dans la Sénat est qu’on n’y prenait jamais des résolutions plus vigoureuses que dans les plus grandes extrémités[1].

L’auteur de l’Esprit des Lois, dont le génie a pénétré si avant dans le secret de l’organisation des États sous toutes leurs formes, pense qu’un Sénat est toujours, nécessaire au gouvernement d’une aristocratie, et que cette institution explique la haute fortune des républiques aristocratiques de l’antiquité et des temps modernes[2]. Jamais pareille assemblée n’a mieux justifié cette opinion que le Sénat romain : la république lui a dû sa grandeur, et elle est tombée avec lui, lorsqu’à sa place on mit une assemblée qui n’en avait plus que le nom, et où entraient, non plus l’élite des citoyens, mais les vils instruments de la tyrannie.

Romulus institua le Sénat pour être le conseil perpétuel de la République[3]. C’était, dit Valère Maxime, l’âme de la République[4]. Le Sénat fut d’abord composé de cent Sénateurs, choisis uniquement parmi les Patriciens. Selon Denys d’Halicarnasse, trois furent nommés par chaque Curie et trois par chaque décurie, et le centième choisi par Romulus lui-même ; ce dernier présidait l’assemblée et gouvernait la ville en l’absence du Roi[5]. Après l’admission des Sabins dans la cité, les Curies choisirent parmi eux, dit-on, cent nouveaux Sénateurs. Toutefois, selon Tite-Live, cette augmentation n’aurait eu lieu que sous Tullus Hostilius, après la destruction d’Albe ; peut-être aussi les deux faits sont-ils également vrais[6]. C’est sous Tarquin l’Ancien que le nombre des Sénateurs apparaît porté à trois cents : mais une distinction sépare dès lors les anciens Sénateurs des nouveaux venus, et s’étend à leurs familles, premier signe de la noblesse héréditaire attachée à la dignité sénatoriale : c’est la distinction des gentes majores et minores, que nous avons déjà signalée[7]. Le nombre de trois cents fut maintenu jusqu’à Sylla, à part quelques variations peu importantes. Après Sylla, il paraît avoir été porté au-delà de quatre cents[8]. César, dictateur, l’éleva à neuf cents, et après sa mort les nominations faites par Antoine, en vertu de son testament, l’élevèrent à mille. Mais c’étaient déjà les abus et les exceptions : les élus du testament de César furent flétris du surnom d’Orcini[9]. Pendant les guerres civiles, le Sénat fut ouvert à tous les aventuriers, et Cicéron parle d’un Sénateur, qui s’était choisi lui-même. L’épuration accomplie par Auguste réduisit le nombre à six cents[10].

Les révolutions successives de la République modifièrent de façons diverses le mode d’élection des Sénateurs. Choisis d’abord par le Roi, ils le furent par les Consuls après l’expulsion des Rois. Cette prérogative passa même aux Tribuns militaires, pendant le court espace de temps où le Consulat fut supprimé. Enfin lorsque les Patriciens eurent été contraints d’ouvrir le Consulat aux Plébéiens, dans le démembrement qu’ils firent des attributions de cette magistrature, le soin d’écrire la liste des Sénateurs passa à la Censure. Mais les Plébéiens devaient envahir aussi cette dignité nouvelle. Après la bataille de Cannes on créa un Dictateur pour recomposer le Sénat. Dans l’anarchie des guerres civiles chaque chef de parti livra la Curie à ses créatures. Après la République, les Empereurs disposèrent Fleur gré de cette dignité, avilie dès qu’elle fut sans puissance.

De même, les Sénateurs avaient d’abord été choisis exclusivement parmi les Patriciens ; mais la Plèbe, si ardente à conquérir pour ses grandes familles les privilèges du Patriciat, sous prétexte d’arriver à l’égalité, devait naturellement franchir aussi les portes de la Curie : c’est ce qui arriva. Cependant les garanties survécurent dans les mœurs et dans les traditions. Le peuple garda son respect pour la majesté de cette assemblée, qui l’élevait au-dessus des autres peuples de la terre. Il importait d’ailleurs au Sénat romain de ne pas commettre la faute de ces aristocraties égoïstes, qui s’étaient éteintes d’elles-mêmes, pour n’avoir pas su régénérer leur sang épuisé.

De bonne heure on vit admis à Rome un principe qui révélait la profonde sagesse de son gouvernement. Le Sénat, loin de se condamner à l’immobilité d’une caste héréditaire, et tout en mettant son honneur à conserver dans son sein les descendants des héros qui l’avaient fondé, ne se sépara point de la source féconde d’où il était sorti. Les vides faits dans ses rangs, par, la décadence ou l’extinction des vieilles familles, durent être comblés par la, noblesse nouvelle, que créaient incessamment les dignités publiques, confiées aux plus dignes par l’élection populaire, les exploits, qui dans la vie d’un peuple presque exclusivement guerrier et conquérant, ajoutaient perpétuellement à l’illustration des ancêtres, enfin tous les services rendus à l’État, dans une constitution qui ne laissait plus subsister de privilèges absolus.

Il arriva même que ce recrutement de l’aristocratie sénatoriale par les hommes nouveaux acquit une sorte de régularité. Un ordre de l’État, l’ordre équestre, dont nous parlerons tout à l’heure plus amplement, put être un jour appelé le séminaire du Sénat. Les fils de Sénateurs restaient sans doute parmi les Chevaliers, jusqu’à l’âge où il leur était permis d’aspirer au rang de leurs pères. Ce fut aussi comme la classe intermédiaire, par laquelle devaient passer tous les citoyens élevés par leur .valeur personnelle au-dessus de la condition que leur avait faite leur naissance, et qui plus tard prenaient place dans cette aristocratie, créée et conservée par le mérite, non par le privilège. Tarquin l’Ancien passait pour avoir fait entrer dans le Sénat cent des riches Plébéiens. Mais cette tradition est fort obscure, et peut-être s’agissait-il, comme pour les Sabins ou les Albains, de l’émigration des grandes familles d’un peuple voisin, admises par une sorte de fraternité dans l’enceinte sacrée de l’aristocratie romaine. La première élection de nouveaux Sénateurs, dont les détails sont bien connus, est un véritable emprunt à l’ordre équestre ; dont cent membres entrent dans la Curie, pour y remplacer les victimes de Tarquin le Superbe ou ses partisans exilés. Quelques années après, quatre cents des plus riches Plébéiens sont appelés aussi à compléter les centuries équestres[11]. Le tribun Livius Drusus voulut de même ouvrir la Curie à trois cents Chevaliers, pour mettre fin à la rivalité du Sénat et de l’ordre équestre. Sylla en prit le même nombre, pour remplacer les Sénateurs proscrits ou qui avaient succombé dans les guerres civiles. Mais il fit voter le peuple, dans l’assemblée par Tribus, sur chacun des nouveaux élus : Et, quoique déjà le despotisme eut remplacé la légalité, on ne pardonna pas au Dictateur d’avoir complété la Curie en y introduisant des aventuriers des dernières Classes[12]. On ne pardonna pas non plus à César d’y avoir fait entrer ses Gaulois mercenaires, pour récompenser leur dévouement. Cette insulte rejaillit sur le corps tout entier, et le vainqueur de Pompée et du Sénat l’expia cruellement[13].

Le Peuple, qui vota la loi de Drusus et sanctionna les choix de Sylla, garda toujours, au moins dans les beaux temps de la République, une part indirecte dans ce recrutement du Sénat ; et cela ne contribua pas peu, à le maintenir dans un respect profond pour cette assemblée. Si l’ordre équestre paraît avoir eu le privilège de ces adoptions en masse, qui, à certaines époques, repeuplèrent la Curie épuisée, les magistratures publiques, qui pouvaient mettre les hommes nouveaux en évidence, préparaient aussi leur admission parmi les Sénateurs. Or, c’était le Peuple qui dans les Comices et par ses suffrages conférait les magistratures.

On a pu croire que les citoyens investis de certaines dignités devenaient de droit Sénateurs, et qu’ainsi les Sénateurs étaient élus par la volonté du peuple. Ce n’est que l’exagération d’un fait d’ailleurs incontestable[14]. Les magistratures curules ouvraient en effet l’entrée du Sénat à ceux qui en étaient revêtus, mais après l’expiration de leur charge ils ne gardaient plus, dans la Curie, que le droit de présence et de vote, à titre de Sénateurs pédaires. Pour jouir de toutes les prérogatives sénatoriales il fallait qu’ils fussent inscrits régulièrement sur la liste, à l’époque où cette liste était dressée de nouveau autrement : ils ne pouvaient être Sénateurs actifs et n’étaient pas toujours convoqués[15]. Les magistratures plébéiennes ne donnaient l’entrée de la Curie que pour leur durée et sans voix délibérative. Ainsi la dignité curule, et il s’agit surtout ici de la questure, celle des charges curules par lesquelles on devait passer d’abord, n’assurait, pas nécessairement l’admission viagère au Sénat. La Préture, le Consulat étaient plus rarement conférés à des citoyens qui n’étaient pas encore Sénateurs. Mais de fait, l’exercice de la Questure, de la Préture, du Consulat, était comme l’épreuve désignant au choix légal et les hommes des plus vieilles familles, qui allaient reprendre la place de leurs aïeux, et les hommes nouveaux, qui allaient marquer celle de leurs descendants.

Après la bataille de Cannes, le dictateur Fabius Buteo, pour remplir les vides que la guerre avait faits dans le Sénat, écrivit sur la liste, d’abord les anciens Sénateurs, puis ceux qui avaient exercé des magistratures curules depuis l’an 221, ceux qui avaient été Tribuns, Édiles, Questeurs, ceux enfin qui avaient obtenu des couronnes civiques ou remporté des trophées, sur les ennemis[16]. Tel est l’exemple le plus curieux de l’influence qu’eurent les honneurs publics dans le renouvellement toujours nécessaire du Sénat. En l’an de Rome 693, on vit aussi les Censeurs inscrire des magistrats sur le rôle du Sénat comme membres surnuméraires, sans une élection formelle[17].

II

Le dénombrement du Sénat avait lieu tous les cinq ans : c’était une sorte de revue, faite dans un Temple, pour qu’elle eût plus de solennité. L’un des deux Censeurs, désigné par le sort ; lisait à haute voix la liste nouvelle, en omettant les noms des membres jugés indignes de conserver leur place dans cette assemblée l’honneur de chaque membre appartenait comme au patrimoine commun. Dans les premiers temps, le Censeur flétrissait même les exclus, nominalement, en révélant les causes de leur exclusion, ou bien il marquait d’une note de blâme sur la liste les noms effacés. Peut-être le silence parut-il préférable lorsque les scandales furent devenus trop grands. Les causes d’exclusion pouvaient d’ailleurs avoir moins de gravité. Lorsqu’on- exigea une certaine fortune pour l’entrée au Sénat, la diminution de cette fortune put amener, à un nouveau lustre, la perte de la dignité sénatoriale. Auguste faisait effacer de la liste affichée dans la Curie les Sénateurs qui avaient encouru une condamnation judiciaire[18]. Au temps de la République, l’exclusion paraît même n’avoir pas été irrévocable : le Sénateur ; banni du Sénat, pouvait y -être rappelé par un autre Censeur, ou même y rentrer par une sorte d’élection populaire, en briguant les magistratures qui y donnaient droit de séance et de voté : ainsi, firent Lentulus Sura, Antonius, le collègue de Cicéron, et l’historien Salluste, que César nomma Préteur et ensuite gouverneur de Numidie.

Si les magistratures n’assuraient pas de droit l’entrée au Sénat, il est certain du moins qu’on ne pouvait l’obtenir sans avoir exercé l’une d’entre elles. Cette condition était admirable, remarque Bossuet, en rendant les places des conseillers et directeurs suprêmes de la République accessibles seulement à ceux qui avaient passé par les charges, on était sûr d’avoir des hommes éprouvés par la pratique des affaires, et capables d’apporter dans les délibérations la sagesse et la prudence, qui ont fait de tout temps la réputation du Sénat et porté si haut la fortune romaine.

Ce fait peut servir à éclairer une question secondaire. L’âge que les lois exigeaient pour l’entrée au Sénat n’est pas exactement connu. Il est peu probable, malgré le nom de Sénat, qui désigne une assemblée de vieillards, que cette assemblée ait été composée, même dans l’origine, à Rome comme à Sparte. Il suffit de dire que le Sénat romain, à sa naissance, comprit les chefs des principales familles, désignés par le nom de Patres ou même de Seniores, mais sans qu’on y attachât aucune idée d’âge très avancé[19]. Lorsque dans la suite il fallut, pour devenir Sénateur, avoir exercé une magistrature curule, les conditions d’âge se précisèrent, parce qu’elles étaient déterminées pour l’élection aux charges publiques. Selon Polybe, aucun citoyen ne pouvait obtenir une magistrature curule sans compter dix ans de service militaire[20] : or, on entrait à dix-sept ans dans la légion. On pouvait donc être candidat à la Questure dès vingt-sept ans ; il était même permis de briguer cette dignité à vingt-cinq ans. Mais il était rare d’y arriver à cet âge. Cicéron, qui se glorifie d’avoir été revêtu de toutes les dignités à l’âge légal, ne fut Questeur en Sicile qu’après trente ans. Quel était donc l’âge sénatorial ? On croit communément qu’il était fixé à trente ans ; il est probable qu’il a pu varier cependant depuis vingt-sept ans ou vingt-huit. Octave, à dix-huit ans, n’eut besoin que d’une dispense de dix ans, et lorsqu’il fut, Empereur, il réduisit cette limite à vingt-cinq ans. Mais déjà la fortune publique n’était plus attachée à la composition de cette assemblée.

On avait fixé aussi un cens sénatorial, afin que la dignité de Sénateur ne fût point avilie par la médiocrité de la fortune, et que les besoins particuliers des Sénateurs ne les détournassent pas du service dû à l’État[21]. Rien ne permet pourtant de faire remonter cet usage aux premiers siècles de la République : la pauvreté des héros de Rome jusqu’aux guerres puniques et la simplicité de leurs mœurs excluent toute idée de lois somptuaires autres que celles qui limitaient les dépenses. Les temps n’étaient pas venus encore où la richesse de l’État, après les grandes conquêtes, rendit nécessaire le luxe que les mœurs anciennes avaient proscrit. Le citoyen pouvait encore, comme Cincinnatus, ne posséder qu’un modeste champ, labouré de ses propres mains, et occuper la première place au conseil souverain de la République. A côté des Classes, qui rangeaient les citoyens selon leur fortune, subsistaient les Curies, où l’on ne comptait que les siècles et les services des races patriciennes.

On peut dire que la majesté du Sénat romain fut diminuée, lorsque la richesse fut une des conditions d’admission dans la Curie : c’est donc une institution de la décadence de Rome. Cicéron en parle le premier[22]. Suétone rappelle que la -fortune d’un Sénateur devait être de huit cent mille sesterces, au temps de la République, en rapportant qu’Auguste l’augmenta jusqu’à douze cent mille, et compléta, des dons de sa libéralité, le patrimoine des Sénateurs qui n’étaient plus assez riches[23]. C’est le temps où la faveur du prince est de fait le titre le plus sûr pour entrer dans cette Curie, jadis si sacrée,. et qui n’a plus que l’ombre de sa gloire et de sa majesté.

Alors disparaissent aussi les lois salutaires qui avaient protégé le Sénat contre des choix indignes, et le préservaient de la corruption où le peuple romain avait disparu. Le citoyen qui avait exercé un commerce honteux, ou -qui devait le jour à un esclave, le fils d’affranchi, fût-il devenu Chevalier, eût-il été élu Questeur, ne pouvaient pas prétendre jadis à la dignité sénatoriale. Et lorsque Appius Claudius Coccus avait osé inscrire dans la Curie des fils ou petits-fils d’affranchis[24], les Censeurs qui l’avaient remplacé s’étaient contentés de reprendre l’ancien rôle pour l’appel des Sénateurs. Mais dès la fin de 1a République les affranchis apparaissent au Sénat : un autre Appius, et Pison, beau-père de César, les en chassent vainement. Sous les Empereurs, ils en seront les maîtres.

Les pouvoirs et les attributions du Sénat ne varièrent pas moins que le forme de son élection. Il était à l’origine le véritable dépositaire de la souveraineté publique ; sous les Empereurs il ne fut pas même le conseil du prince, et il ne subsista que pour être avili. Ses réunions furent convoquées d’abord par les Rois, puis par les Consuls : ce fut l’ordre légal. Les Préteurs, en l’absence des Consuls, le Dictateur et le Maître de cavalerie, dont l’élection suspendait les autres magistratures, les Décemvirs et les Tribuns militaires, qui n’eurent qu’un pouvoir temporaire, l’Interroi et le Préfet de la ville, dans les cas extraordinaires, exercèrent aussi ce droit de convocation. Enfin, dans la lutte des Patriciens et des Plébéiens, les Tribuns du peuple, s’arrogèrent l’usage de la même initiative, malgré la présence et contre le gré des Consuls[25]. Les Empereurs, en réunissant dans leur main tous les pouvoirs jadis séparés, convoquèrent le Sénat au nom de l’autorité consulaire[26].

Les Sénateurs étaient appelés à l’assemblée soit par le viator, qui allait les chercher à la campagne, soit par un crieur public, dans les cas imprévus. Plus tard ce fût par un édit publié quelques jours avant la réunion, à Rome, et même dans les autres villes de l’Italie. Celui qui refusait ou négligeait de se rende à l’assemblée était puni par une amende, dont ses biens répondaient, à moins qu’il ne fournit une excuse légitime[27]. Toutefois, les Sénateurs âgés de plus de soixante ans gardèrent la faculté de ne pas assister aux réunions.

Quoique le Sénat eût besoin d’être convoqué par un des magistrats investis de cette initiative, ses réunions avaient cependant une certaine régularité. Il s’assemblait à des temps déterminés, aux Calendes, aux Nones et aux Ides de chaque mois, à part les jours néfastes. Il lui était, interdit de se réunir pendant que se tenaient les Comices Centuriates, à moins de quelque danger pressant, et alors ou retardait les Comices. Auguste réduisit les séances à deux par mois, aux Calendes et’ aux Ides, et dans les mois de septembre et d’octobre il n’obligea à s’y trouver que certains membres choisis par le sort : mais combien déjà était diminuée l’autorité de l’assemblée. Le Conseil particulier du Prince examinait d’avance tout ce qui devait lui être présenté.

La réunion la plus régulière du Sénat était celle du premier jour de l’année, pour l’entrée en charge des nouveaux Consuls. Le mois de février état de même ordinairement consacré à entendre les demandes et les députations des Provinces. L’assemblée ne pouvait arrêter aucun décret qu’en présence d’un nombre déterminé de Sénateurs. Mais quel était ce nombre légal ? Avant Sylla, il paraît avoir été de cent, et sous Auguste de quatre cents[28]. Ce serait la proportion d’un tiers, en comparant les variations du nombre total des Sénateurs.

Le Sénat s’assemblait toujours dans un temple, c’est-à-dire dans un lieu consacré par les Augures, pour rendre ses délibérations plus solennelles. A l’origine,trois temples seulement étaient consacrés à cet usage, et celui, de Bellone, situé en dehors de la ville, servait exclusivement à la réception des ambassadeurs d’un peuple ennemi, et aux audiences des généraux, qui ne pouvaient entrer dans la ville pendant la durée de leur commandement. Plus tard, les temples de Jupiter Stator, d’Apollon, de Mars, de Vulcain, de Vesta, de la Vertu, de la Fidélité, de la ; Concorde eurent le même privilège. On se servit même de certains édifices, comme la Curia Hostilia, la Curia Julia, la Curia Octavia, la Curia Pompeia, édifices consacrés par les Augures, mais sans être dédié à une divinité particulière, et où l’on plaçait la statue de ceux qui les avaient fondés. La Curia Pompeia fut fermée après le meurtre de César[29]. Lorsque Annibal s’approcha de Rome, le Sénat s’assembla dans le camp du Proconsul, entre les portes Colline et Esquiline, comme pour prendre part aux dangers de la cité[30]. Quelquefois même on tint le Sénat en plein air, en expiation de certains prodiges[31].

Le magistrat qui avait les faisceaux présidait l’assemblée et la consultait, d’abord sur la religion, sur les sacrifices à offrir aux dieux, les prodiges à expier, les jeux à célébrer, l’inspection des livrés sibyllins ; ensuite sur les affaires humaines, la levée des armées, les guerres, les provinces. Alors les Consuls prenaient l’avis du Sénat sur la république en général ; et non plus sur les affaires particulières. Toutefois il est à penser qu’il y avait ordinairement un objet plus précis aux délibérations, et ce qu’on appellerait aujourd’hui un ordre du jour : c’était l’affaire du moment déférée à la décision du Sénat, et l’on ne pouvait en interrompre la discussion, et le vote sans raison majeure[32].

Les attributions du Sénat, aux jours de sa puissance ; indiquent assez quels pouvaient être les objets de ses délibérations. Les Sénateurs étaient les véritables souverains de la République : leur autorité limitait à la fois celle du peuple et celle des magistrats. A l’origine, la sanction sénatoriale était nécessaire pour donner force de loi aux décisions des assemblées populaires, et aucun projet ne pouvait être présenté à ces assemblées sans avoir été d’abord soumis à l’examen du Sénat. Elles s’affranchissent trop tôt de ce contrôle salutaire. Les arrêts du Sénat avaient forcé de loi pendant un an par eux-mêmes ; s’ils étaient confirmés par les suffrages du peuple, qui avait la toute-puissance législative, ils devenaient perpétuels[33]. Le veto des Tribuns, institué contre des excès momentanés, protégea les fiertés publiques et rétablit l’équilibre, sans détruire le respect de cette autorité. Les Consuls, investis des attributions redoutables de l’imperium, demeuraient cependant les mandataires du Sénat comme du peuple.

Le Sénat discutait les plans de campagne des généraux, organisait les conquêtes, et pouvait, arrêter un général en lui refusant les vivres, les vêtements et la solde de l’armée, proroger son Consulat en le nommant Proconsul, ou le remplacer, en donnant son armée à un nouvel élu, enfin lui refuser le triomphe[34]. Dans certains cas, le Sénat pouvait même annuler les deux Consuls, en nommant un Dictateur. Les Censeurs, qui pouvaient frapper un Sénateur d’exclusion, rendaient leurs comptes au Sénat, et n’adjugeaient les enchères des fermes publiques que sous la surveillance. Enfin le Sénat, chargé de juger les différends des sujets de Rome, de poursuivre les crimes publics, de gouverner les Provinces, de traiter avec des étrangers, de diriger la célébration des jeux et des sacrifices, avait aussi la surveillance suprême de la religion, dont le respect fit longtemps la force de la République.

III

Les Sénateurs jouissaient, même aux temps de la République, de certaines distinctions que nous ne pouvons pas oublier ici ; les unes étaient personnelles, les autres attachées,à la dignité commune : Parmi les distinctions personnelles la plus glorieuse, était le titre de prince du Sénat. Le consul recueillait les suffrages, à commencer par le prince du Sénat, lequel était assis à la première place. Cette place était le comble des honneurs et le couronnement de toutes les dignités[35]. Son origine est aussi ancienne que celle du Sénat. Du moins semble-t-il qu’on doive la rapporter à la nomination que fit Romulus d’un Sénateur pour présider, en son absence, les quatre-vingt-dix-neuf autres. Dans le temps de la République, il était nommé par les Censeurs[36] ; et quoiqu’il fût ordinaire de nommer le plus ancien de ceux qui avaient exercé, la Censure[37], on se départait quelquefois de la règle en faveur d’un mérite éminent. Salluste, dans les temps dont il écrit l’histoire, cite Scaurus, Valerius Flaccus, Philippe et Catulus. Il paraît que la place n’était pas à vie, et quoiqu’elle fût, au temps de Salluste, toujours continuée à la même personne tant qu’elle vivait ; précédemment, selon quelque apparence, on y nommait à chaque dénombrement, puisque Scipion l’Africain fut nommé trois fois, et Marc-Émile Lépide six fois. Ce n’était point un titre de charge ou d’emploi, mais un simple titre de dignité. Anciennement on le conférait toujours au plus ancien des Censeurs. Sempronius s’écarta le premier de cet usage, malgré son collègue, et depuis les Censeurs en usèrent à leur volonté[38].

Le titre de prince du Sénat fut plus tard attribué aux premiers Empereurs, et servit à désigner du nom de Principatus, leur puissance indécise et mal définie : Les nouveaux souverains de l’État avaient encore besoin de ce titre, qui cachait le retour de la royauté, et le droit de voter le premier servait au prince pour indiquer sa volonté aux Sénateurs, devenus ses courtisans. Lorsque le Principat s’affranchit des formes républicaines et devint une véritable monarchie, cette dignité tomba dans la décadence commune.

Les Sénateurs se distinguaient du reste des citoyens par certaines marques ou insignes. Ils portaient le laticlave, tunique bordée sur le devant d’une bande de pourpre, semblable à un ruban, espèce de frange plus large que celle qui ornait également la robe des Chevaliers ; des cothurnes noirs, chaussure qui atteignait, le milieu de la jambe ; et qui était ornée de la lettre C[39] ou d’une sorte de croissant en argent sur le haut du pied[40]. Dans les fêtes solennelles, quand les magistrats offraient des sacrifices à Jupiter, les Sénateurs avaient seuls le droit de faire un repas public au Capitole, revêtus de leurs robes sénatoriales et des vêtements particuliers aux charges qu’ils avaient exercées dans la ville[41]. Pendant cinq siècles et demi, le Sénat était mêle avec le peuple dans les jeux publics. Scipion le premier Africain, étant Consul, suggéra aux Édiles, chargés de célébrer la fête de la Mère des Dieux, l’idée d’assigner aux Sénateurs des places particulières dans le théâtre[42]. Il n’y avait eu jusqu’alors de places réservées que pour les magistrats en fonctions, les anciens magistrats, les prêtres et les Vestales ; le grand Pontife et les ambassadeurs des peuples fidèles purent seuls, prendre place parmi les Sénateurs. Aux jeux du Cirque la même distinction ne fut établie, selon Suétone, que sous le règne de l’empereur Claude[43]. Mais Tite-Live fait remonter jusqu’à Tarquin l’Ancien cette assignation de places particulières, dans le grand Cirque, aux Sénateurs et aux Chevaliers[44].

Ces honneurs appartenaient exclusivement à la dignité sénatoriale. On rapporte qu’Auguste, par exception, en réduisant le nombre des Sénateurs, conserva aux exclus le droit de porter les insignes de leur ancienne dignité, le privilégié de s’asseoir à l’orchestre et celui d’assister aux repas publics du Capitole[45]. Ce furent comme des Sénateurs honoraires. Ce fut aussi Auguste qui permit aux enfants des Sénateurs, lorsqu’ils auraient pris la robe virile, de porter le laticlave et les cothurnes, et d’assister aux délibérations du Sénat[46]. Il ne s’agissait pas seulement d’inspirer aux enfants le respect et la dignité de leur naissance, ni de familiariser d’avance les fils des Sénateurs avec les affaires publiques. Auguste, fondateur d’une monarchie, aurait voulu appuyer soli ouvre sur une noblesse héréditaire et il préparait aux familles sénatoriales la situation que leur feront bientôt ses successeurs. Diminuer la puissance du Sénat au profit de l’autorité du maître, mais accroître ses honneurs extérieurs, pour en faire une institution toute monarchique, telle fut la politique des Princes, qui comprirent quels services le nom seul du Sénat pouvait rendre encore à l’Empire.

IV

Le Sénat romain, dans les vicissitudes de son histoire politique, eut surtout pour rival l’ordre des Chevaliers, qui, composé dès l’origine de l’élite de l’aristocratie patricienne et du peuple, devint par ses modifications successives une classe intermédiaire entre le Sénat et le Peuple, puis tomba à son tour dans la servitude commune. Les traditions de son histoire appartiennent aussi aux destinées de l’aristocratie romaine.

IL n’y à pas, à l’origine, d’ordre équestre proprement dit. Le nom d’equites ne désigne que le service particulier des cavaliers dans la légion, et le terme ordo est encore tout militaire[47]. Mais déjà ce service à une importance et comme une noblesse particulière ; et ce n’est pas la première fois que nous le remarquons : plus d’un peuple nous en a offert l’exemple avant les Romains. L’historien Denys d’Halicarnasse, remarque à diverses reprises, que les cavaliers élus par Romulus ne, furent pas choisis seulement parmi les citoyens les plus jeunes, les plus agiles, les plus braves et les plus riches, pour suffire aux fatigués et aux dépenses de ce service spécial, mais .surtout dans les familles les plus illustres ; la naissance était autant que la fortune le premier titre à cette élection honorable. Quand plus tard, par le progrès de l’égalité et par les besoins de la République, les riches Plébéiens furent admis dans les centuries équestres, on continua de distinguer par les titres d’Illustres, Speciosi, Splendidi, ceux des Chevaliers qui appartenaient aux familles patriciennes, et pour les Plébéiens eux-mêmes cette admission était, le commencement de leur noblesse domestique. Dans la constitution de Servius Tullius ; nous l’avons vu, lorsque le nombre des centuries équestres est élevé à dix-huit ; les six premières, celles qui sont liées, pour ainsi dire, de l’institution primitive, gardent un nom distinct, une place à part, certains privilèges. Niebuhr, le savant critique, a pu croire que peut-être, elles renfermaient exclusivement les Chevaliers Patriciens ou même tous les Patriciens[48].

Le nombre des Chevaliers fut d’abord de trois cents : chaque tribu en fournit cent. Leur Tribun fut après le Roi, le premier magistrat, de la cité, comme sous la république le Maître de la cavalerie sera le Lieutenant du Dictateur. On les appela Celeres, soit à cause de l’agilité qu’exigeait leur service, soit du nom de Celer, l’un des compagnons de Romulus, qui les commanda le premier. En temps de paix, ils étaient comme la garde du Roi, en temps de guerre, ils formaient la cavalerie des légions, et l’infériorité de leur nombre comparé à celui des légionnaires s’explique par la nature du sol italien, où la guerre n’est facile qu’à l’infanterie.

Ce nombre fut d’abord augmenté par Tullus Hostilius, qui y fit entrer trois cents Albains d’élite ; Tarquin l’Ancien le doubla ou même le tripla, selon Tite-Live[49]. Ces élections nouvelles paraissent se rapporter également à l’admission dans la cité de nouveaux peuples dont l’aristocratie entrait, en partage des privilèges patriciens. Aussi faudrait-il, même du temps de Romulus, réserver une place aux Sabins comme plus tard aux Albains et aux Etrusques. Servius Tullius le premier modifia l’organisation de l’ordre équestre, en prenant de nouveaux éléments dans la cité elle-même. Tarquin l’Ancien avait gardé les noms des premières centuries ; empruntés à ceux des trois tribus, Rhamnenses, Titienses, Luceres, mais en distinguant les trois centuries ajoutées par lui par la dénomination de posteriores. Servius laissa aux six centuries ainsi établies les avantages de leur origine, et en institua douze nouvelles, où entrèrent les plus riches et les plus distingués des Plébéiens : il assigna à chacune d’elles une dotation pour l’achat des chevaux. Et ce fut lui aussi qui donna à chaque cavalier une solde annuelle de deux mille as, dont les frais furent attribués à un impôt sur les veuves et les femmes non mariées[50]. Dès lors on ne devint plus Chevalier qu’en obtenant des magistrats un cheval entretenu aux frais de l’État[51] : sans cette condition la fortune ne suffisait pas la concession du cheval public était comme l’investiture du Chevalier[52].

A mesure que le nombre des légions s’augmenta, et il fut porté jusqu’à vingt-trois[53], on augmenta aussi le nombre des cavaliers. Mais une distinction ne tarda pas à s’établir entre le titre de Chevalier et le service de la cavalerie. C’est le moment où l’on put garder l’un sans, être astreint à l’autre : on n’appela pas Chevaliers tous ceux qui servaient dans la cavalerie, mais seulement ceux qui pour y servir avaient été choisis dans l’ordre équestre.

Les Chevaliers formèrent désormais un ordre[54]. Une certaine fortune obligea au service militaire de la cavalerie, mais sans donner encore un droit absolu à l’entrée de l’ordre équestre. Après la bataille de Cannes, selon Tite-Live, les Censeurs recherchèrent ceux qui, malgré leur âge et leur fortune, ne s’étaient pas présentés pour être enrôlés dans la cavalerie, et ils les reléguèrent dans la classe des œrarii. Le recrutement des cavaliers fut dès lors sa première préoccupation : Autrefois, dit Polybe, on ne pensait aux cavaliers qu’après avoir levé l’infanterie, et pour quatre mille fantassins on prenait deux cents cavaliers. Mais à présent on commence par eux, et le Censeur les choisit d’après leur revenu : à chaque légion on enjoint trois cents[55]. Si le nombre des cavaliers fut ainsi limité ; celui des Chevaliers ne paraît pas l’avoir été : l’âge d’admission paraît avoir été de dix-huit ans, après la robe virile et au début du service militaire[56]. La condition de fortune fut bientôt, comme nous le verrons, la seule limite posée au choix arbitraire des Consuls et plus tard des Censeurs ; bien plus elle devint une sorte de droit.

Les témoignages que nous avons interrogés déjà, prouvent qu’à l’origine même, on exigea une certaine fortune pour l’admission parmi les Chevaliers. Romulus parmi ses compagnons choisit les plus riches comme les plus illustres par leur naissance. Toutefois Servius Tullius paraît le premier avoir fixé une limite. à cette fortune ; que l’on appela le cens équestre. Les Chevaliers étaient compris dans la première Classe : ils devaient donc avoir certainement le cens exigé pour cette Classe et même au-delà ; et tous les historiens parlent de la même condition sous la République. Cependant le chiffre exact du cens équestre n’est donné qu’au temps d’Auguste, qui le fixe à quatre cent mille as[57]. On peut croire qu’il s’était élevé peu à peu avec la fortune de la République elle-même.

L’établissement du cens équestre est une des causes qui ouvrirent naturellement les rangs des Chevaliers à la noblesse plébéienne, et plus tard à quiconque sut faire fortune. Mais l’ordre se défendit toujours contre les intrusions, qui pouvaient diminuer sa dignité : les affranchis n’y furent introduits que par les Empereurs. La liberté, la noblesse de naissance resta donc indispensable pendant la durée de la République pour y être admis[58]. Selon Cicéron, une famille étrangère pouvait après deux générations voir un de ses membres au nombre, des Chevaliers. Il cite le fils d’un nouveau citoyen, Corvinius, de Tibur, qui devint membre de l’ordre. Mais c’était la conséquence de la loi même qui avait de tout temps ouvert la cité aux familles illustres de l’Italie[59]. Et il ne s’en suit pas, qu’à chaque lustre on inscrivit sur la liste tous les citoyens dont la fortune était arrivée au cens équestre. C’est fort tard, et au temps de la décadence de Rome, que les affranchis, enrichis par leurs patrons, purent laisser à leurs fils le droit d’entrer dans l’ordre équestre. Sylla introduisit ses créatures dans l’ordre équestre, comme au Sénat, dans la cité et en Italie. Mais les excès individuels suspendent les lois sans les détruire.

Il subsista, entre la cavalerie des légions romaines et l’ordre équestre proprement dit, une solidarité d’honneur et de noblesse que l’on pourrait peut être expliquer ainsi, au moins pour les premiers temps : tous les Chevaliers avaient servi dans la cavalerie, alors que tout citoyen devait payer de sa personne sa dette à l’État ; mais ils gardaient leur titre, leurs distinctions, leurs privilèges, même après avoir quitté les camps, et sans obligation d’y jamais retourner. Sous Servius Tullius, déjà les Chevaliers comme citoyens forment véritablement un ordre à part : dans la première classe leurs centuries se distinguent des centuries communes, et dans l’assemblée centuriate elles sont appelées les premières aux suffrages[60]. A l’avènement de la République, c’est parmi eux que Brutus recrute le Sénat décimé[61]. Dix ans après l’expulsion des Rois, le consul Sulpicius, averti d’une conspiration, confie la garde de la place publique aux Chevaliers comme aux citoyens les plus sûrs et les plus fidèles[62]. En l’année 343, dans une grande disette, un Sénateur et deux Chevaliers sont chargés d’aller acheter du blé chez les peuples voisins[63]. Les cavaliers des légions partagent ces honneurs : Tite Live ne les détermine que par les titres de primores, principes, proceres juventutis, et il prête au roi de Macédoine, Persée, après un léger avantage, le discours suivant : Le corps le plus brave de nos ennemis, la cavalerie romaine, ce corps qui se glorifiait d’être invincible, a été mis en fuite par vous ; vous avez vaincu ces cavaliers, princes de la jeunesse, séminaire du Sénat, parmi lesquels Rome choisit ses Pères conscrits, et crée ses généraux[64].

Un usage particulier aux mœurs et aux institutions romaines contribua surtout à entourer l’ordre équestre d’un nouveau prestige, et à lui créer une place distincte dans la République : ce fut la revue annuelle des Chevaliers. Les Censeurs Fabius Maxim mus et Decius, l’un, le plus illustre des Patriciens, l’autre, le chef de la noblesse plébéienne, instituèrent cette cérémonie, qui, dans les édits de leur magistrature, se rattachait à une réaction aristocratique contre les novateurs du parti populaire[65]. Cette revue eut toujours lieu avec une pompe toute guerrière : elle relevait l’éclat de la noblesse.

Voici la description qu’en donne un historien moderne, peintre ingénieux de l’époque où Auguste la rétablit[66] : Le matin, de bonne heure, les Chevaliers se rendirent isolément au temple de Mars Gradivus, situé sur une colline proche et à droite de la voie Appia, à un mille de la porte Capène. Là ils se partagèrent par tribus et par centuries, prirent leurs rangs, comme s’ils revenaient du combat, et se mirent en route pour Rome ; ils formaient une troupe de cinq mille hommes environ. Beaucoup portaient sur leur trabée de pourpre des insignes militaires, récompenses de leur valeur ; tous étaient couronnés de branches d’olivier et montés sur des chevaux blancs. Arrivés à la porte Capène, devant le temple de l’Honneur et de la Vertu, ils s’arrêtèrent pour reformer leurs rangs, puis entrèrent dans la ville. La cavalerie traversa le cirque Maximus, rempli de spectateurs accourus pour la voir, le Forum Boarium, le Tuscus Vicus, et vint déboucher sur le Forum Romanum, par la voie qui passe sur le flanc gauche du temple de Jules César. En entrant sur le Forum, près du bois de Vesta, chaque Chevalier mettait pied à terre, et venait défiler seul, devant les Censeurs, assis sous le portique du temple de Castor. Il conduisait par la bride son cheval sans housse et sans selle, afin que les magistrats pussent voir dans quel état il était. Des Scribes se tenaient derrière les Censeurs pour transcrire leurs décisions. Un peu avant un nomenclateur censorial, héraut ou crieur public, appelait chaque Chevalier par son nom. Le cité s’avançait : Emmène ton cheval, lui disaient les Censeurs, s’ils le croyaient pur de tout reproche, et il passait outre. Dans le cas contraire ils consultaient les rôles, provoquaient les dépositions des assistants, ou recevaient les accusations spontanées, interrogeaient le Chevalier sur sa conduite passée, et lorsque ses réponses n’étaient pas satisfaisantes, lui ordonnaient de vendre son cheval, le chassaient de sa centurie, l’inscrivaient parmi les Cœrites. Après que les Chevaliers avaient passé devant le Censeur, ils allaient se reformer un peu plus haut sur le Forum, et la cavalerie, continuant sa marche par le Clivus Capitolinus, montait au Capitole, où les Chevaliers allaient rendre des actions de grâces et offrir un sacrifice à Jupiter[67].

Telle était cette fête de la noblesse romaine, dont l’élite se montrait ainsi tous les ans, fière et glorieuse, aux yeux de la multitude. Elle avait lieu aux Ides de Quinctilis, c’est-à-dire le quinze juillet. Mais selon l’auteur des antiquités romaines, c’était seulement tous les cinq ans que les Chevaliers étaient soumis à l’inspection et au jugement sévère des Censeurs, chaque lustre ramenait pour l’ordre équestre comme pour le Sénat cette épreuve qui était la garantie de leur dignité. Après la revue, le Censeur lisait la liste des Chevaliers, en omettant les noms de ceux qui étaient exclus pour leurs fautes, leur conduite déréglée ou la diminution de leur fortune[68]. Il est probable que la revue purement militaire des Chevaliers avait lieu néanmoins tous les ans, et peut-être même deux fois par an, à la fête des Lupercales et aux ides de juillet[69].

L’ordre équestre garda toujours le caractère et les traces de son origine toute militaire. Le premier inscrit sur les tablettes des Censeurs recevait le titre de Princeps equestris ordinis[70] ; mais on l’appelait aussi quelquefois Princeps juventutis romanœ, parce que le nom de Juventus comprenait tous les citoyens en âge de porter les armes, et que la cavalerie en était l’élite[71]. Sous les Empereurs, le titre de Princes de la jeunesse fut donné aux héritiers du trône[72]. On ne saurait fixer l’époque précise où l’ordre équestre cessa d’être composé exclusivement des citoyens qui servaient dans la cavalerie des légions. Ce changement s’accomplit peu à peu : la discipline des États s’altère toujours par degrés ; les abus s’introduisent lentement, et on ne les reconnaît que lorsqu’il est trop tard pour les détruire.

A l’origine, aucun Chevalier, sauf le cas d’infirmité, ne pouvait être libéré du service sans compter dix années de campagne. Le service militaire cessait naturellement pour le Chevalier devenu Sénateur, après avoir exercé les grandes magistratures. Cependant, on cite Claudius Nero et Livius Salinator, comme maintenus, quoique Sénateurs et Consuls, dans les centuries équestres[73]. Plus tard, Cicéron, qui se vantait avec orgueil d’être issu de l’ordre équestre, servit à dix-huit ans dans la guerre des Marses, mais quitta presque aussitôt les camps pour le barreau et la philosophie[74]. Lorsqu’on établit comme récompense qu’un Chevalier pourrait être dispensé de servir dans l’armée et d’entretenir un cheval pour le service public ; quoique le peuple seul pût accorder cette exemption, c’était déjà un signe de décadence.

Depuis les Gracques jusqu’à César, tout contribua à séparer les Chevaliers du service militaire. Déjà en en avait exempté ceux qui dans les guerres puniques s’étaient chargés d’avancer à l’État les fournitures des armées. Les destinées nouvelles des Chevaliers, sous le nom de Publicains, et le rôle politique que leur assignent les Gracques, en leur confiant les Jugements, en font à la fois une classe de fermiers publics et de magistrats, qui n’ont plus rien de l’ordre équestre, fondé par les Rois et conservé par la République.

Peut-être faudrait-il dire que l’ordre, en se modifiant ainsi, ne fit que se diviser : une partie des Chevaliers, sans doute les plus jeunes, formèrent encore un ordre tout militaire et comme l’armée du parti dans les luttes politiques. Le tribun Sulpicius, instrument des violences de Marius, s’entoure d’une garde de trois cents Chevaliers, qu’il appelle Anti-Sénat. Rullus, en proposant une loi agraire, demande pour les Décemvirs, chargés de la mettre à exécution, une garde de deux cents Chevaliers. Cicéron, aux comices consulaires, est défendu contre l’audace de Catilina par une vaillante escorte de Chevaliers, qui entoure à main armée le temple de Jupiter Stator, pendant que le Consul prononce sa première Catilinaire, et le temple de la Concorde, pendant que le Sénat juge Lentulus et ses complices[75]. La revue même de l’ordre avait lieu encore, et, après la dictature de Sylla, on avait vu Pompée, consul, se présenter en simple Chevalier devant les Censeurs, menant son cheval par la bride ; il venait demander l’exemption du service militaire. C’était la coutume à Rome, dit Plutarque[76], que les Chevaliers, après avoir servi le temps prescrit par la loi, amenassent leur cheval sur la place publique, devant les deux magistrats que l’on n’appelle Censeurs : et là, après avoir nommé les généraux et les capitaines sous lesquels ils avaient servi, après avoir rendu compte des campagnes qu’ils avaient faites, ils obtenaient leur congé, et recevaient publiquement les éloges ou le blâme que chacun méritait par sa conduite. Les Censeurs Gellius et Lentulus étaient assis alors sur leur tribunal ; avec les ornements de leur dignité, et ils faisaient la revue des Chevaliers, lorsqu’on vit Pompée descendre vers la place, précédé de tout l’appareil de la dignité consulaire, et menant lui-même son cheval par la bride. Quand il fut assez près pour être reconnu des Censeurs, il ordonna à ses licteurs de s’ouvrir et fit lui-même approcher son cheval. Le peuple, saisi d’admiration, gardait un profond silence, et les Censeurs, à cette vue, montraient une joie mêlée de respect. Le plus ancien de ces magistrats lui adressa ainsi la parole : Pompée le Grand, avez-vous fait toutes les campagnes exigées par la loi ?Oui, je les ai toutes faites, répondit Pompée à haute voix, et je n’ai jamais eu que moi pour général. Plutarque nous montre ainsi que depuis longtemps l’ambition des Chevaliers, tournée vers un autre but, se hâtait d’échapper an service militaire, depuis surtout que Marius avait introduit les prolétaires .dans les légions, et que les armées appartenaient aux généraux et non plus à la République. Une dernière fois, la jeunesse patricienne apparaît avec le prestige de l’ancienne cavalerie des légions : c’est à Pharsale ; mais ce n’était plus qu’une jeunesse présomptueuse et dégénérée ; César les mit en fuite en ordonnant à ses rudes soldats de les frapper au visage : Ces jolis danseurs, dit-il, ne soutiendront pas de pareilles blessures[77].

V

Les Chevaliers n’ont guère commencé à former un ordre dans l’État que depuis qu’ils ont quitté le plus noble de tous les services[78]. Deux faits expliquent l’importance politique acquise par les Chevaliers, la formation des compagnies de Publicains et l’entrée des membres des centuries équestres dans les tribunaux, comme magistrats investis de la juridiction civile : ils forment dès lors un ordre dans l’État[79].

Pendant les guerres puniques, dans la détresse du trésor public, des compagnies se formèrent pour entretenir les armées et faire à l’État les avances qui devaient le mettre à même de soutenir la lutte. Après la guerre, ces compagnies furent conservées, et comme à Rome l’administration financière n’était guère qu’un système d’exploitation des provinces conquises et des peuples vaincus, on leur afferma les revenus provinciaux. Les fermes étaient mises à l’enchère : les plus riches citoyens avaient seuls assez de ressources pour s’en charger, et les profits énormes qu’ils y trouvèrent bientôt les attirèrent .en foule vers ces fonctions nouvelles. Comme le cens équestre était calculé sur les plus hautes fortunes, les Chevaliers purent plus facilement s’emparer de cette source de richesses, et ils ne tardèrent pas à se confondre avec les Publicains[80]. S’ils rencontrèrent d’abord quelques concurrents aux enchères, ils durent peu de peine à les écarter, grâce à la force que leur donnait leur union, et dans leur histoire il n’est pas rare que leurs brigues, après avoir par fraude surélevé l’adjudication, obtiennent de la connivence des Censeurs un rabais illégal. On trouva d’ailleurs utile à l’intérêt public que la perception des impôts, dans les provinces conquises, fût confiée à des hommes plus capables par leur rang de représenter la suprématie de Rome et le droit de conquête. On préféra toutefois ceux des Chevaliers qui n’étaient pas enrôlés dans la cavalerie, parce que ces fonctions curent- pour privilège de les exempter du service.

Les Promagistri ou Directeurs des compagnies tenaient un haut rang dans les provinces. Les villes les accueillaient solennellement. Les gouverneurs les traitaient avec respect. Rabirius prêtait aux Rois. Et comme dans les provinces les citoyens romains n’étaient pas justiciables de la juridiction proconsulaire, le moindre publicain était comme un souverain par droit de conquête, C’est là ce qui explique leurs excès et l’oppression dont ils accablèrent toutes les provinces.

Dès l’an de Rome cent soixante-quatorze, on ne peut déjà plus douter que les fonctions de publicains, qui jusqu’alors avaient été exercées plutôt par les citoyens des villes alliées, admis récemment dans la cité romaine, ne soient presque exclusivement aux mains des Chevaliers[81]. Les Censeurs Fulvius Flaccus et Posthumius Albinus favorisent leurs marchés scandaleux, et, cinq ans après, par réaction contre cette triste, complicité, les Censeurs Sempronius Gracchus et Claudius Pulcher dégradent un grand nombre de Chevaliers, et se montrent .sans pitié dans les transactions des Publicains avec l’État. L’ordre équestre tout entier se charge de venger les fermiers maltraités, et, dans le procès intenté à Claudius Pulcher, les centuries de Chevaliers appelées les premières aux suffrages votent contre l’ancien Censeur, qui n’est sauvé que par l’intervention du Sénat et du peuple[82]. Sans que tous les Chevaliers entrent dans les sociétés de publicains, tous les publicains sont Chevaliers, et l’ordre équestre fait cause commune avec ces fermiers généraux de la République[83]. Et les richesses acquises par eux permettent à l’ordre d’engager avec le Sénat et la noblesse la rivalité qui devait achever de perdre la République[84].

Pour faire contrepoids à la puissance du Sénat et des nobles, il fallait d’abord que les Chevaliers devinssent un ordre politique. Les publicains n’étaient encore qu’une corporation redoutable par ses richesses et par ses alliances. Les Chevaliers politiquement étaient compris dans le peuple[85] : c’était surtout dans leurs rangs qu’étaient les hommes nouveaux, élevés par leur fortune, et qui aspiraient aux premières dignités de l’État. Ils formaient la faction la plus importante du peuple, mais ils étaient du peuple ; la constitution ne les en séparait pas, quoiqu’elle eût fait place dans les Classes et les centuries à leur organisation spéciale. Lorsque Tite Live dit à l’époque de la seconde guerre punique : l’ordre équestre suivit l’avis du Sénat et la plèbe celui de l’ordre équestre, ce n’est pas que les Chevaliers fussent comme le Sénat une assemblée distincte : l’historien indique seulement qu’ils votaient les premiers à l’assemblée centuriate et que leur exemple, ce jour-là, entraîna la plèbe comme le plus souvent[86]. Mais l’idée vint de bonne heure aux Chevaliers d’acquérir plus d’importance qu’ils n’en avaient encore. Quoiqu’ils fussent liés à la politique du Sénat par leurs intérêts, ils étaient jaloux de sa puissance. Depuis les premières luttes intérieures, quoique la victoire fût en apparence restée au parti populaire, la friction des Grands semblait tenir une domination plus sûre que celle des anciens Patriciens[87]. Le peuple n’était plus qu’une ombre. Si les publicains, étaient maîtres des revenus provinciaux, les Grands l’étaient des terres publiques et même des héritages plébéiens[88], mais surtout des provinces.

Les Gracques, dans leur tentative pour relever le parti populaire et régénérer le peuple romain lui-même, comprirent les premiers que l’ordre équestre pouvait être un utile appui, et qu’en en faisant un ordre intermédiaire entre le Sénat et le peuple, l’équilibre de la cité serait rétabli. Ce qui donnait surtout aux Sénateurs une puissance irrésistible, c’est qu’ils étaient maîtres des tribunaux : les Juges étaient choisis parmi eux, et ils étaient ainsi appelés à punir les excès que chacun d’eux avait commis lui-même ou pouvait un jour commettre dans le gouvernement des provinces. Une honteuse connivence entre les Juges et les coupables laissait les opprimés sans recours et sans refuge. Tiberius Gracchus, pour dédommager les Chevaliers de ce qu’ils perdaient à sa loi agraire, proposa de partager les tribunaux entre trois cents juges pris dans leur ordre et trois cents dans le Sénat. Il périt le lendemain. Son frère Caïus reprit le même projet il périt à son tour, mais la loi avait passé, et les Chevaliers restèrent en possession des Jugements. C’en est fait, s’écria Caïus, de la puissance du Sénat ! Et comme si la souveraineté était désormais transportée au peuple, la tribune fût tournée vers le forum, et Caïus enleva en même temps au Sénat la distribution arbitraire des provinces.

Les Gracques, dit Florus, par leur loi sur les Jugements, détruisirent l’unité du peuple romain et firent une République à deux têtes[89]. Nous n’avons pas à suivre les vicissitudes ni les alternatives de cette longue querelle sur les Jugements qui dura jusqu’à la fin de la République. Montesquieu en a résumé l’histoire en quelques lignes : On prenait à Rome les Juges dans l’ordre des Sénateurs. Les Gracques transportèrent cette prérogative aux Chevaliers. Drusus la donna aux Sénateurs et aux Chevaliers ; Sylla aux Sénateurs à seuls ; Cotta aux Sénateurs, aux Chevaliers et aux Trésoriers de l’épargne[90]. César exclut ces derniers[91]. Antoine fit des décuries de Sénateurs, de Chevaliers et de Centurions. Quand une république est corrompue on ne peut remédier à aucun des maux qui naissent qu’en ôtant la corruption et en rappelant les principes : tout autre correction est ou inutile ou un nouveau mal. Pendant que Rome conserva ses principes, les jugements purent être sans abus entre les mains des Sénateurs ; mais quand elle fut corrompue, à quelque corps que ce fut qu’on transportât les jugements, aux Sénateurs, aux Chevaliers, aux Trésoriers de l’épargne, à deux de ces corps, à tous les trois ensemble, à quelque autre corps que ce fut, on était toujours mal. Les Chevaliers n’avaient pas plus de vertu que les Sénateurs, les Trésoriers de l’épargne pas plus que les Chevaliers, et ceux-ci aussi peu que les Centurions[92]. Malgré les variations de ces lois, les Chevaliers commencèrent à former un ordre politique du jour où ils furent en possession du pouvoir judiciaire ou désignés pour y prétendre. Les Gracques, selon Pline, avaient les premiers séparé l’ordre équestre des autres ordres sous le nom de Juges. Ce nom, dit-il, dont l’autorité fut si vivement disputée au milieu des vicissitudes des séditions, demeura enfin aux publicains, et ils furent pendant quelque temps une troisième puissance. Cicéron en dernier lieu affermit ce nouveau titre des Chevaliers. A partir de ce temps ce fut tout à fait un troisième corps dans la République, et l’on ajouta dès lors aux noms du Sénat et du peuple celui de l’ordre équestre. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui encore ce nom est écrit après celui du peuple, parce que l’on commença très tard à l’ajouter[93]. Cicéron, qui se vantait, après le procès de Catilina, d’avoir fondé l’union du Sénat et de l’ordre équestre, considère désormais lui-même les Chevaliers ou les publicains (les deux noms ne se distinguent plus) comme un ordre dans l’État ; C’est l’ordre que l’on peut appeler le soutien des autres ordres[94]. Veut-il distinguer les publicains des Chevaliers : La fleur des Chevaliers romains est, dit-il, dans l’ordre des publicains[95]. Sans doute lorsque l’union des deux ordres fut rompue, lorsque la vénalité des Chevaliers dans les tribunaux eut dépassé les scandales d’autrefois, l’âme honnête de Cicéron se révolta ; mais Clodius, qui avait acheté ses Juges, put chasser de Rome le grand citoyen dont l’éloquence avait vaincu Catilina.

Les caractères primitifs de l’ordre équestre semblaient disparaître dans ces révolutions successives qui changeaient tour à tour les Chevaliers en Publicains et en Juges. Cependant on continuait de distinguer dans l’ordre ceux qui avaient encore le cheval public et qui sans doute étaient en activité de service militaire. Ce sont eux sans doute qui paraissent aux funérailles de Sylla, dont les proscriptions avaient décimé leur ordre[96]. Ce sont eux qui devaient former la garde que l’on voulut donner à César. Ce sont eux peut-être pour qui Antoine demande des terres lorsqu’il négocie avec le Sénat[97]. Mais ce n’était plus qu’un débris de l’ancien ordre équestre : la force et l’autorité de ce nom était passée aux Juges et aux Publicains.

VI

Le moment était venu où il ne devait plus rester aux descendants des Chevaliers romains que des attributions purement honorifiques, et où leur ordre allait disparaître, comme le Sénat et le peuplé, dans la servitude impériale.

De tout temps les Chevaliers avaient été distingués par certains insignes et des Sénateurs et des Plébéiens. Ils portaient sous la toge une tunique bordée d’une bande de pourpre, moins large que celle des Sénateurs, et qu’on appelait augusticlave, par opposition au laticlave. La toge qu’ils mettaient, sur cette tunique portait le nom de trabée : elle était en pourpre marine, rayée de bandes d’écarlate, et courte comme il convient pour des cavaliers : elle s’agrafait sur l’épaule droite[98]. À l’armée, dans les camps, ils gardaient leur habillement ordinaire, pour être plus agiles ; dans la suite ils adoptèrent les usages des Grecs et se servirent de la plupart des armes employées par les fantassins[99]. Nous laissons à M. de Chateaubriand la responsabilité de la description poétique qu’il donne d’une troupe de cavaliers romains au siècle de Constantin : A l’aile opposée de l’armée se tenait immobile la troupe superbe des Chevaliers romains ; leur casque était d’argent, surmonté d’une louve de vermeil ; leur cuirasse étincelait d’or, et un large à baudrier d’azur suspendait à leur flanc une lourde épée ibérienne. Sous leurs selles ornées d’ivoire s’étendait une housse de pourpre, et leurs mains, »couvertes de gantelets, tenaient les rênes de soie qui leur servaient à guider de hautes cavales plus noires que la nuit[100].

Un autre insigne des Chevaliers était l’anneau d’or. Selon Pline, personne ne pouvait porter l’anneau d’or sans être ingénu et né de deux générations libres, et sans avoir le cens équestre et les privilèges des Chevaliers[101]. Les sénateurs le portaient aussi, avant que ce ne fût un insigne de l’ordre équestre, et ils le gardèrent. Peut-être, à l’origine, l’anneau d’or avait-il été particulier aux Patriciens, comme la tunique de pourpre. Mais il ne faudrait pas croire que les Chevaliers qui portaient l’anneau de fer étaient ceux d’origine plébéienne. La collation de l’anneau d’or était une sorte de nomination au titre de Chevalier ; mais elle ne suffisait pas. Sylla en donnant l’anneau d’or au comédien Roscius Balbus, aux jeux de Gadis, en faisant asseoir parmi les Chevaliers un bateleur avec le même insigne, Verrès en le conférant à son scribe, Octave en créant Chevalier Mœnas, affranchi de Sextus Pompée, parurent insulter l’ordre tout entier. On ne pardonna pas même à César de l’avoir conféré à Labienus, l’un des chefs de sa cavalerie.

Les Chevaliers obtinrent aussi comme les Sénateurs une place séparée au théâtre, mais cent trente ans après eux. Le tribun Roscius Othon leur assigna quatorze gradins garnis de coussins, dont le premier rang entourait l’orchestre des Sénateurs, et dont le dernier était séparé des bancs publics par un gradin plus haut et plus large, appelé prœcinctus ou ceinture[102]. Le peuple s’irrita de cette distinction donnée à une seconde aristocratie ; Roscius fut sifflé au théâtre, et il fallut pour apaiser l’émeute l’éloquence de. Cicéron, l’orateur ordinaire des Chevaliers. Mais le Privilège fut maintenu, et bientôt, sous Auguste ou sous Tibère, étendu du théâtre au grand cirque[103].

Les Chevaliers, réduits à se contenter d’honneurs extérieurs, en devinrent plus jaloux. Lorsque Laberius, l’un d’eux, eut été contraint par César de descendre sur le théâtre, quoique le dictateur lui eût rendu ensuite l’anneau d’or, les Chevaliers essayèrent de lui refuser place en serrant leurs rangs[104]. La plainte du vieillard lui-même, qui nous est parvenue, est éloquente de tristesse et d’honneur blessé : Sorti Chevalier romain de chez moi, après soixante ans sans reproche, j’y reviendrai mime : j’ai vécu trop d’un jour ! Au mariage de Julie et de Marcellus, on vit encore danser en public un Chevalier et une matrone de haut rang dans les jeux dirigés par Agrippa. Plus tard un sénatus-consulte défendit aux Chevaliers, aux fils de Sénateurs et aux femmes nobles de paraître sur la scène.

Auguste, fondateur de l’Empire, réorganise l’ordre équestre, moins pour lui rendre son importance politique que pour en faire une classe nobiliaire, ornement de la monarchie restaurée sous le nom de Principat. Investi de la Censure, comme des autres magistratures de l’ancienne République, il renouvelle la revue des Chevaliers : assisté de dix Sénateurs, il les fait comparaître devant lui, demande à chacun d’eux compte de sa vie ; punit les uns, dégrade les autres pour leur conduite ou pour usure illicite ; réprimande le plus grand nombre avec douceur. Aucun ne peut être dispensé de la revue, même pour répondre à une accusation. Les vieillards et les infirmes peuvent seuls y venir à pied[105]. Auguste ne paraît pas avoir été très sévère pour le cens équestre : il conserve aux Chevaliers ruinés, par les guerres civiles le droit de siéger sur les quatorze bancs. La faveur impériale pouvait désormais compléter la fortune de ceux qui n’étaient pas assez riches ; elle put aussi disposer du titre même.

Le service militaire resté encore une des obligations des Chevaliers, et l’on cite un exemple de la sévérité d’Auguste, qui fit vendre comme esclave un Chevalier pour avoir voulu soustraire ses deux fils au recrutement en leur coupant les pouces ; les publicains voulurent l’acheter pour le rendre à la liberté ; Auguste l’adjugea à un de ses affranchis et le fit reléguer aux travaux des champs. Ce rigide Censeur établit pourtant que les Chevaliers parvenus à l’âge de trente-cinq ans pourraient vendre leur cheval s’ils le jugeaient à propos. Pour un grand nombre de familles équestres le service militaire resta cependant la carrière la plus honorable ; et l’usage s’établit de choisir parmi les Chevaliers et parmi les Sénateurs les Tribuns militaires : aussi ces officiers portaient-ils les insignes de leur titre, la tunique bordée de pourpre et l’anneau d’or. De même le centurion de la première centurie, chargé de porter l’aigle de la légion, et siégeant au conseil de guerre avec le Consul et les Tribuns, devenait Chevalier[106]. Le nom d’Equites romani militares parait avoir désigné ces nouveaux Chevaliers ; mais les Chevaliers de naissance se distinguaient avec orgueil de ceux qui avaient acquis ce titre par leur fortune ou par leurs services dans les camps[107].

Les institutions administratives d’Auguste contribuèrent surtout à diminuer la puissance des Chevaliers en leur enlevant les fermes des revenus publics. Les procurateurs réprimèrent les excès des publicains et protégèrent les provinces la levée de certains impôts resta encore entre les mains de leurs sociétés, mais sous une surveillance activé et rigoureuse[108], et avec défense de rien exiger au-delà des sommes fixées par le Sénat ou par l’Empereur. Auguste se garda bien aussi de former un ordre judiciaire avec les Chevaliers ou avec les Sénateurs : la confusion des rangs était nécessaire au pouvoir absolu, et il ne fallait plus au-dessous de l’Empereur qu’une cour et des officiers.

Ainsi les Chevaliers subsistèrent, mais sans former désormais un ordre politique. Ce fut comme une noblesse de cour, et l’on vit reparaître le surnom de Trossuli, gagné jadis par eux au siège d’une ville, mais avec une signification moins glorieuse[109]. Les Chevaliers se montrent en corps aux funérailles d’Auguste, en tunique, sans ceinture et pieds nus, pour recueillir les cendres du nouveau dieu. Ils avaient demandé, par une députation solennelle, l’abolition de la loi contre le célibat. Sous Tibère, Séjan, l’un d’eux, malgré son crédit, parait de noblesse trop inférieure pour épouser la veuve de Drusus, belle-fille du prince. Aux funérailles de Germanicus, Tacite nomme les Equites trabeati. Enfin le titre de Chevalier crée désormais une sorte de noblesse héréditaire : des inscriptions de tombeaux le donnent à des enfants[110]. Ce sont les derniers souvenirs de cette histoire. Nous retrouverons les débris de l'ordre équestre, comme du Sénat, dans la hiérarchie impériale qui termine les temps anciens et commence les temps modernes.

 

 

 



[1] Bossuet, Histoire universelle, 3e partie : Les Empires.

[2] Montesquieu, Esprit des Lois, II, 3.

[3] Cicéron, pro Sext., 65.

[4] Fidum et altum Reip. pectus Curia. Valère Maxime, II, 21.

[5] Denys, II, 12, 47. Dans ce premier choix de quatre-vingt-dix-neuf Sénateurs, les Sergius, les Cornelius, les Julius se vantaient d’avoir eu un de leurs ancêtres.

[6] Tite-Live, I, 17, 30.

[7] Tacite, Ann., XI, 25.

[8] Cicéron, ad. Attic., I, 14.

[9] Orcus Pluton. Denys, XLIII, 47. On les appelait aussi Charoniles.

[10] Suétone, Auguste, 35. Denys, LIV. 14.

[11] Denys, VI, 43. Les nouveaux inscrits du Sénat prirent le nom de Patres conscripti, et ce titre ne tarda pas à désigner le Sénat tout entier. Tite-Live, II, 1, passim.

[12] Appien, De Bell. Civil., VI, 413. — L’assemblée par Tribus existait-elle encore ? Ce fait semble permettre de le croire. Mais elle devait être rarement convoquée ou ne garder aucune importance.

[13] Denys, XLVIII, 20, 22, 25.

[14] Le Flamen de Jupiter était le seul Prêtre qui eût place au Sénat par le droit de sa charge. Tite-Live, XXVII, 8.

[15] Tite-Live, II, 1. Cicéron, In Verr., V, 14.

[16] Midleton, Du Sénat romain.

[17] Denys, XXXVII, 46. — Tacite, Ann., III, 30.

[18] Denys, XV, 23. Tacite, Ann., IV, 42.

[19] Salluste, Catilina, 6. — Cicéron, de Sen., 6. — Florus, I, 15.

[20] Polybe, III, 17.

[21] Le Président des Brosses.

[22] Cicéron, ad fam., XIII, 15.

[23] Suétone, Auguste, 41.

[24] Tite-Live, IX, 29, 30, 49. — Suétone, Claude, 24.

[25] Tite-Live, I, 48. III, 9, 29. VIII, 33. Aulu-Gelle, XIV, 7.

[26] Pline, Ep. II. Panég. 76.

[27] Tite-Live, XXIX, 18. Denys, LV, 3.

[28] Tite-Live, III, 38. — Pline, Ep. IV, 29.

[29] Suétone, Jules César, 88.

[30] Tite-Live, XXVI, 10.

[31] Pline, Hist. nat., VIII, 15.

[32] C’était ce qu’on appelait relationem egredi, sortir de l’ordre du jour.

[33] Polybe, IV, fr. V. Cicéron, de Leg., III, 3.

[34] Le Consul ne pouvait prendre au Trésor sans l’autorisation du Sénat, l’argent nécessaire aux frais du triomphe.

[35] Plutarque, Caton l’Ancien.

[36] C’était le premier inscrit sur la liste.

[37] Tite-Live, XXVII, 11.

[38] Le Président des Brosses, Introduction.

[39] Curia.

[40] Horace, Satires, I, 6 ; Juvénal, VII, 197. Cet usage avait donné naissance à l’expression calceos mutare, devenir Sénateur.

[41] Aulu-Gelle, XII, 8. Denys, XLVII, 52.

[42] On donna aux bancs des Sénateurs le nom d’Orchestra. Cicéron, pro Cluent., 47. — Cent trente ans après les Chevaliers obtinrent le même privilège par la loi de Roscius Othon.

[43] Suétone, Claude, 21. Denys, LX.

[44] Loca divisa Patribus Equitibusque, ubi spectacula sibi quisque facerent : fori adpellati. Tite-Live, I, 55.

[45] Suétone, Auguste, 35.

[46] Suétone, Auguste, 38. Stace, Sylves, V, 2, 28.

[47] Ordo, rang de bataille.

[48] C’étaient les lex suffragia. Nous avons réfuté cette opinion de Niebuhr.

[49] Tite-Live, I, 50. Tarquin, dit-il, ajouta dix-huit cents Chevaliers aux trois Centuries primitives.

[50] Tite-Live, I, 43. Ad equos emendos dena millia æris ex publico data ; et, quibus equos alerent, viduæ attributæ, quæ bina millia æris penderent. Cet usage existait aussi à Corinthe. On appela cet impôt æs hordearium.

[51] C’est ce qu’on appela eqqus publicus ou legitimus.

[52] On raconte qu’au siège de Véies des citoyens qui avaient le cens équestre obtinrent l’autorisation de servir dans la cavalerie ; mais à leurs frais et sans devenir pour cela Chevaliers. Tite-Live, V, 7.

[53] A l’origine on levait deux légions pour chaque Consul. Les chiffres, cités plus tard par Tite-Live, varient de dix à vingt trois. Tite-Live, II, 30. VII, 35. XXIV, 14. XXVI, 28. XXVII, 24. XXVIII, 38. XXX, 2. Sous Tibère, le nombre en fut de vingt-cinq même en temps de paix et sous Adrien il monta jusqu’à trente. — Tacite, Ann., VI, 5. Spartien, 15. — Le nombre des soldats de chaque légion était de six mille hommes, mais les cadres furent bien rarement complets. A l’origine il avait été de trois mille.

[54] La langue française permet entre les chevaliers et les cavaliers une distinction, que l’histoire autorise, bien que la langue latine nous la refuse.

[55] Polybe, VI. — C’était ce qu’on appelait justus equitatus ou ala. Tite-Live, III, 62. Ce corps de cavalerie était divisé en dix escadrons, turmœ, et chaque escadron en trois décuries, chaque décurie avait un commandant, mais le premier élu commandait l’escadron. Polybe, VI, 23. Salluste, Jugurtha, 38.

[56] Denys, L. II. 20.

[57] Suétone, Auguste. — Horace, Ep. I, 57. Martial V. 26. Pline, Ep. I, 19. Tite-Live, III, 27.

[58] Pro Balbo, 21. Corvinius pater hujus equitis romani, optimi atque ornatissimi viri.

[59] La plupart des historiens constatent que les Italiens furent encouragés à demander le droit de cité en voyant les jeunes gens de leurs principales familles admis dans l’ordre équestre. C’est, ainsi que Marius, le paysan d’Arpinum, était fils d’un Publicain, et qu’on le vit siéger parmi les chevaliers dans les tribunaux. Cicéron sortait de même de l’ordre équestre.

[60] Equites enim vocabantur primi. Tite-Live, I, 43.

[61] Tite-Live, II, 1.

[62] Tite-Live, II, 20. Denys, V.

[63] Tite-Live, IV, 52.

[64] Tite-Live, XLII, 61. — Quand on campait, les cavaliers étaient exempts de travailler aux retranchements. Dans le camp, les triaires gardaient leurs chevaux. Végèce, III, 8. — Leur solde était triple de celle du fantassin ; dans les distributions, ils recevaient deux fois plus que les centurions ; dans les colonies leur part de terres était également double ou triple.

[65] Tite-Live, IX, 46.

[66] Denys fait remonter l’origine de cette revue à la bataille du lac Rhégille. Mais le témoignage de Tite-Live est confirmé par celui de Valère Maxime, de Suétone et d’Aurelius Victor. On distinguait aussi la probatio, qui était une véritable revue, de la transvectio, qui était une cavalcade.

[67] Dezobry, Rome au temps d’Auguste.

[68] Suétone, Caïus, 16. — Aulu-Gelle, IV, 20. — Ovide, Tristes, II, 89. — L’exclusion de l’ordre équestre ne paraît pas avoir été infamante : Claudius Asellus, dégradé par Scipion Emilien, devient Tribun et cite Scipion devant son tribunal.

[69] Adam, T. Ier, Les Chevaliers.

[70] Pline, Ep. I, 14.

[71] On était classé parmi les Juvenes jusqu’à 35 ans, et César à plus de 35 ans, était encore appelé adolescentulus. — Tite-Live, XLII, 61.

[72] Suétone, Caïus, 13.

[73] Propter robur ætatis. Valère Maxime.

[74] Plutarque, Cicéron, 3. — Cicéron, Philipp., XII, 2.

[75] Les chevaliers, à la sortie du temple, menacent de leurs glaives César qui avait défendu les coupables.

[76] Pompée, 21.

[77] Florus, IV, 2. Le casque romain, galea, cassis, descendait jusqu’aux épaules, mais laissait la figure découverte.

[78] Dezobry.

[79] L’ordre équestre est dès lors à la fois une classe analogue à celle des financiers modernes, et une noblesse, qui rappelle la noblesse de robe de nos temps.

[80] Il se forma successivement autant de sociétés de Publicains qu’il y eut de provinces. Les plus célèbres furent celles de Sicile, d’Asie, de Bithynie, de Cilicie. Cicéron, In Verr., II, 70, 71 — Ad. fam., XIII, 9.

[81] Tite-Live, XXIII, 49.

[82] Tite-Live, XXXIII, 6.

[83] Cicéron, In Verr., II, 71. Suétone, Auguste, 24.

[84] Cette faculté de s’enrichir continua de distinguer les Sénateurs des Chevaliers. Tout gain, dit Tite-Live, était regardé comme déshonorant pour les Sénateurs. Quœstus omnis Patribus indecorus visus. Tite-Live, XXIII. 63. — Une loi somptuaire avait détendu, en 525, aux Sénateurs et aux pères de Sénateurs d’employer pour le transport de leurs récoltes un bateau de plus de huit tonneaux. Sulpicius leur interdit d’emprunter au delà de deux mille deniers. Cicéron, In Verr., V, I8.

[85] Il ne faut pas prendre ici le peuple pour la plèbe : le mot populus embrassait tout ce qui était en dehors du Sénat. Les décrets publics portaient toujours en titre consensu senatus populique romani. Le mot quirites avait le même sens.

[86] Tite-Live, XXVI 36 : Consensum senatus equester ordo secutus est, equestris ordinis plebs.

[87] Lorsque les Plébéiens eurent tellement abaissé les Patriciens que cette distinction de familles devint vaine, et que les unes et tes autres furent indifféremment élevées aux honneurs, il y eut de nouvelles disputes entre le bas peuple agité par ses tribuns et les principales familles patriciennes et plébéiennes qu’on appela les nobles, et qui avaient pour elles le Sénat qui en était composé. Mais comme les mœurs anciennes n’étaient plus, que des particuliers avaient des richesses immenses, et qu’il est impossible que les richesses ne donnent du pouvoir, les nobles résistèrent avec plus de force que les patriciens n’avaient fait. Montesquieu, Grandeur et décadence des Romains, VIII.

[88] Salluste, Jugurtha, 41. Plutarque, Tiberius Gracchus, 8.

[89] Florus, III, 17.

[90] Tribuns du trésor.

[91] Suétone, César, 47.

[92] Montesquieu, Esprit des Lois, VIII, 12. — Montesquieu ne mentionne pas la tentative du consul Servilius Cœpion, qui, seize ans après les Gracques, voulut le premier concilier les deux ordres, ni celle de Plautius Sylvanus, qui, après la guerre sociale, soumit les Juges à l’élection des tribuns, ni celle de Pompée qui établit trois ordres de Juges, pris parmi les plus riches citoyens. La loi d’Aurelius Cotta fut portée après le jugement de Verrès, où Cicéron plaida moins pour les Siciliens que pour les Chevaliers : Certe huic homini spes nulla salutis esset si publicant, hoc est equites romani, judicarent, In Verr., III, 72. — La loi Aurelia, la loi Pompéia et la loi Julia donnaient accès aux Centurions dans les tribunaux, s’ils possédaient un cens déterminé. Cicéron, Phil., I, 8.

[93] Pline, XXXIII, 8 Cet ordre ne fut pas toujours observé, si l’on en croit une médaille citée par le père Hardouin et où on lit. : Consensu senatus et equestris ordinis populique romani.

[94] Eum ordinem qui exercet vectigalia, firmamentum cœterorum ordinum recte esse dicemus, Cicéron, Pro lege Manil.

[95] Flos equitum romanorum, ornantentum civitatis, firmamentum republicæ Publicanorum ordine continetur. Pro Plancio, 9.

[96] Seize cents chevaliers avaient été inscrits en un jour sur les listes fatales. Il en périt deux mille six cents. Deux mille furent proscrits par le second Triumvirat.

[97] Si legionibus meis, si equitibus agrum dederitis. Cicéron, Philip., VII.

[98] Horace, Satires, II, 7. — Pline, XV, 4. — Valère Maxime, II, 9.

[99] Pline composa, un traité sur l’art de lancer le javelot à cheval. On appelait loricati ou cataphracti les chevaliers armés de pied en cap. Tite-Live, XXXV, 48. XXXVII, 40.

[100] Les Martyrs, liv. VI. — Les cavaliers romains ne connurent probablement ni les selles ni les étriers avant les derniers temps.

[101] Pline, XXXIII, 2.

[102] L’expression sedere in quatuordecim désigna désormais le privilège des Chevaliers. — Suétone. — Juvénal. — Denys, XXXVII, 25.

[103] Tacite, Ann. XV. 32. Denys, LX. 22 — Auguste exagéra encore ces distinctions en assignant des places séparées aux plébéiens mariés, aux célibataires, aux soldats, aux pédagogues.

[104] César, en mettant à mort un de ses affranchis qui avait débauché la femme d’un Chevalier, protégeait mieux la dignité de l’ordre.

[105] Suétone, Auguste, 38, 39 ; 40, 13 ; Tacite, Ann. XII,-60.

[106] Pline, Ep. III, 9 ; IV, 4. Juvénal, VII, 8 ; XIV, 197. Ovide, Chevalier par sa naissance, dit qu’il n’alla jamais à la guerre ; mais il a fallu sa gloire de poète pour lui permettre cet aveu. Ovide, Tristes, IV, 1.

[107] Ovide, Tristes, IV, 10. Usque a proavis vetus ordinis hæres, non modo fortunæ munere factus eques.

[108] Tacite, Ann., 13, 50, 51.

[109] Pline, XXXIII, 9. Trossuli répond désormais à notre terme de Petits maîtres, donné à une faction de la noblesse pendant la Fronde.

[110] Gruter, Insc. Honorato equo pub. ab Imperatore Antonino Augusto, quum ageret ætatis annum V.