HISTOIRE DES CLASSES PRIVILÉGIÉES DANS LES TEMPS ANCIENS

 

CHAPITRE VIII. — Le Droit domestique à Rome.

 

 

Nous avons assisté à l’origine, aux progrès et à l’établissement de l’Aristocratie romaine. Nous avons montré comment, après des luttes diverses, elle avait pu renoncer aux privilèges de l’inégalité sociale, qui n’étaient plus nécessaires ni justes, mais sans laisser périr les traditions domestiques et héréditaires qui créent la noblesse. C’est ce que l’organisation intérieure de la famille romaine nous révèlera d’une manière plus éclatante.

I

Le premier fait qui nous apparaît ici est celui que nous avons rencontré à l’origine de tous les peuples : en Italie et à Rome, comme en Grèce, comme en Orient, comme en Égypte, la famille est le commencement de la société et l’autorité patriarcale le premier gouvernement. Le Père de famille n’est pas entouré seulement de ses enfants et des générations issues de son sang, mais aussi des serviteurs attachés à sa personne, des compagnons dévoués à sa fortune ; il est déjà le chef d’un petit État. Ces serviteurs, ces compagnons, ce sont les Clients[1]. Nous avons vu que la Clientèle et le Patronage avaient été les premières institutions de la cité et que toutes celles qui suivirent en conservèrent les formes et le caractère ; les chefs de l’État sont les Patres, la propriété est le patrimonium, et la puissance paternelle est la base du droit domestique et civil. Ajoutez à ces membres de la famille les esclaves qui la complètent, mais ne sont que les instruments de son action.

A Rome, le respect pour les Dieux, le dévoue ment à la patrie, le culte des ancêtres et de la famille ne se séparent point. Dans la religion italienne, le culte des Dii Manes est une sorte d’apothéose des traditions de chaque famille : Les aïeux semblent veiller par-delà le tombeau sur leurs descendants. Trois fois chaque année les Mânes quittaient les Enfers, et apparaissaient au digne héritier de leurs vertus. Ces Dieux particuliers, ces génies protecteurs de chaque famille étaient les Lares et les Pénates. Ces deux noms, dans plusieurs écrivains, semblent désigner les mêmes Dieux[2] ; mais il est probable cependant qu’il y avait entre les Pénates et les Lares une différence. Les Lares représentaient plus particulièrement les Mânes des ancêtres et avaient une origine purement humaine ; les Pénates avaient plutôt une origine divine[3], et leur nom est quelquefois donné aux grands Dieux. Ce sont alors les Pénates publics qu’Enée avait sauvés des ruines de Troie[4] ; on les adorait, dans la partie la plus reculée de la maison, dans l’Impluvium, comme Pénates privés, et au Capitole comme Pénates publics[5]. Les Lares étaient représentés dans la maison, autour du foyer, par de petites statues en cire que l’on revêtait de peaux de chien : les jours de fête on les couronnait de guirlandes et on leur offrait des sacrifices[6]. Le culte des Dieux Lares n’était pas d’ailleurs restreint au sanctuaire des familles : outre les Lares domestiques et familiers, les carrefours, les routes, les camps, la mer, avaient des divinités locales, auxquelles on rendait le même culte[7].

Le double caractère du culte des Pénates, appartenant ainsi en même temps à la famille et à la cité, explique peut-être pourquoi certaines familles étaient investies de sacerdoces héréditaires auprès de quelques divinités. Les deux associations les plus anciennes des Lupercales, fêtes instituées par Évandre en l’honneur du dieu Pan, portaient les noms de Fabiani et Quintiliani, sans doute à cause d’un privilège conservé par les gentes Fabia et Quintilia. L’anecdote du jeune Fabius, sortant du Capitole et traversant le camp des Gaulois, pour aller accomplir un sacrifice auquel sa famille n’avait jamais manqué, rappelle encore un fait analogue. Les Potitii et les Pinarii, que nous avons déjà nommés, étaient les plus célèbres de ces prêtres héréditaires : ils avaient été chargés des sacrifices établis par Évandre, en l’honneur d’Hercule, après la victoire de ce dieu sur le brigand Cacus. Hercule lui-même leur avait, disait-on, enseigné les rites sacrés[8]. On rapporte qu’un jour les Pinarii arrivèrent trop tard au sacrifice, lorsque les entrailles étaient déjà consumées : le dieu irrité leur interdit à jamais de toucher les entrailles, et désormais ils ne firent plus qu’assister à la célébration des rites sacrés[9]. Une autre tradition prouve encore l’importance que l’on attachait à ce culte héréditaire : lorsque le censeur Appius Claudius eut permis aux Pinarii de confier leur ministère à des esclaves publics toute leur race, composée de douze familles, s’éteignit dans l’espace d’une année. Le censeur Appius fut lui-même vivement accusé pour ces innovations dans le culte des dieux ; et comme il devint aveugle, la superstition populaire alla jusqu’à croire que c’était une punition divine[10].

II

L’organisation de la famille romaine, consacrée ainsi par la religion comme celle de l’État, a pour principe et pour fondement la puissance paternelle. Cette puissance est absolue sur la femme, sur les enfants ; sur les esclaves et sur la propriété ; enfin le patronage en étend les principes et les droits au-delà même de la famille naturelle. Devant le Père de famille, femmes, enfants, esclaves, serviteurs, clients ne sont que des choses, des instruments, des personnes sans volonté et sans nom. Il est à la fois souverain, juge et prêtre, seul il est en communication directe avec les dieux et accomplit les sacrifices domestiques.

Les Romains, dès l’origine, sont divisés en différentes races ou gentes. Chaque gens comprenait ordinairement plusieurs familles[11] ; ainsi la gens Cornelia comprenait les familles des Scipion, des Lentulus, des Cethegus, des Dolabella, des Cinria, des Sylla. On nommait gentiles les citoyens de la même gens, et agnati ceux de la même famille. On nommait aussi agnati les parents par alliance du côté paternel, et cognati ceux du côté maternel[12]. Nous avons vu que dans les premiers temps, le titre de gens avait été réservé exclusivement aux familles patriciennes, et que même à l’époque où de nouvelles familles avaient été admises parmi les fondateurs de la cité, la distinction des gentes majores et des gentes minores avait marqué et conservé cette différence l’ancienneté[13]. Lorsque les Plébéiens eurent conquis l’égalité ; leurs familles prirent le, titre de gentes[14], mais restèrent séparées des gentes patriciennes par le titre de gentes plébéiennes. Les alliances des deux Ordres ne firent que créer des familles mixtes, à la fois patriciennes et plébéiennes. A la fin même de la république on ne pouvait passer que par l’adoption d’une famille patricienne dans une famille plébéienne, et réciproquement[15].

Le droit de famille était le premier des droits privés du citoyen romain. Les termes par lesquels on désignait ceux qui n’en avaient pas la jouissance ou qui étaient nés en dehors de la loi, entraînaient une sorte de flétrissure[16].

Le mariage commençait la famille. Les Romains contractaient le mariage légal de trois manières différentes, usus, confarreatio, cœmptio. Lorsqu’une femme, avec le consentement de ses parents, habitait avec un citoyen, pendant une année entière et sans faire une absence de trois nuits, elle devenait son épouse légitime ou sa propriété par prescription : c’était le mariage par l’usus. Si ce séjour était interrompu par une absence de trois nuits, la prescription était nulle ; la femme était considérée comme rendue à la liberté, et le mariage n’avait pas lieu[17]. La cœmptio était une espèce de marché réciproque : l’homme et la femme qui voulaient se marier ainsi se donnaient mutuellement une petite pièce de monnaie en prononçant certaines paroles sacramentelles[18] ; l’homme demandait à la femme si elle voulait devenir la mère de sa famille ; celle-ci donnait son consentement, et adressait ensuite une demande semblable à son fiancé, qui lui donnait la même réponse[19].

Il faut remarquer que cette manière de contracter les mariages, sous la forme d’un contrat de vente, n’est pas particulière aux Romains ; on la retrouve chez les Hébreux, chez les Thraces, chez les Grecs, chez les Germains, chez les Cantabres, du temps d’Homère ; elle subsistait encore au temps de Virgile[20]. Voici comment s’accomplissait à Rome cette cérémonie : l’épouse apportait trois pièces de monnaie ; elle en donnait une à l’époux, comme arrhes du marché per œs et libram, selon l’usage de toutes les conventions importantes ; avec la seconde elle achetait les Lares et les Pénates de son mari ; afin de participer à son culte religieux, et avec la troisième elle s’ouvrait l’entrée de la maison[21].

Selon quelques jurisconsultes, qui s’appuient sur un passage de Cicéron, la cœmptio n’aurait été qu’un rite accessoire de la confarreatio resté en usage lorsque celle-ci eût disparu. Quoiqu’il en soit, la confarreatio était le mariage le plus solennel et le seul où la religion intervint. Le Grand-Pontife où le Flamine de Jupiter consacrait l’union devant dix témoins au moins en prononçant une formule particulière ; un mouton était sacrifié aux dieux ; les époux offraient à l’autel et goûtaient sans doute en commun un gâteau fait de sel, d’eau et de fleur de farine, qui donnait son nom à la cérémonie[22]. L’union conclue avec ces formalités ne pouvait se dissoudre que par un autre sacrifice appelé diffarreatio.

Les femmes mariées étaient appelées matronœ ou matres familias, par opposition aux dénominations flétrissantes qui désignaient les unions des esclaves et des étrangers et les unions, illégitimes[23]. Le mariage légal n’avait lieu qu’entre Romains ; il était interdit entre les Romains et les étrangers à moins d’une permission spéciale du peuple romain ou du sénat et plus tard des empereurs[24]. L’union d’un citoyen avec une esclave était flétrie par la loi. L’ancien usage ne permettait pas même à un citoyen romain d’épouser une affranchie ; Cicéron reproche à Antoine de s’être marié avec Fulvie, fille d’un affranchi, comme Horace liai reprochera plus tard son union avec Cléopâtre, reine d’Égypte[25]. La dignité du citoyen romain semblait au-dessus de la dignité royale ; Antoine était honni pour avoir dérogé. La crainte du même reproche arrêta, dit-on, l’empereur Titus, amant de la reine Bérénice. Ces unions n’étaient pas même considérées comme légitimes, et les enfants qui en naissaient restaient dans fine condition peu différente de celle des esclaves. La loi Pappia Poppæa accorda une plus grande liberté : elle restreignit aux Sénateurs, à leurs fils ou petits-fils, la défense d’épouser une affranchie, une actrice ou la fille d’un acteur[26]. Cette loi, d’ailleurs comme la loi Julia, avait uniquement pour but de favoriser les mariages et de s’opposer à d’extinction des familles[27]. Mais les alliances des Romains avec les étrangers ne devinrent réellement Communes qu’après le décret de Caracalla, qui accorda les droits et les prérogatives de la cité à toutes les nations de l’empire polir les soumettre toutes aux mêmes impôts.

Ces interdictions de mariages entre les familles de conditions différentes n’étaient du reste pas les seules. Elles ont toutes le même caractère que la loi qui avait si longtemps refusé le connubium aux Plébéiens, c’est-à-dire à la fois le droit de famille et le droit d’alliances avec les Patriciens. Il était mémo entré plus d’une fois dans la politiqué romaine d’interdire les mariages entre des provinces de l’empire ou différents districts d’un même territoire, par exemple en Epire et en Macédoine[28].

Les autres lois et les autres coutumes sur les mariages sont toutes particulières. Le consentement du père de famille ou du tuteur était nécessaire au mariage légal : c’était la conséquence du droit domestique, dont la puissance paternelle était le principe. Les unions à certains degrés de parenté, par exemple entre frère et sœur, oncle et nièce, ou l’union avec une Vestale, étaient considérées comme incestueuses. Ces prohibitions furent plus ou moisis étendues selon les temps[29].

Lorsqu’un mariage était convenu, une assemblée d’amis et de parents se réunissait dans la maison du père de la fiancée pour dresser un contrat, dont les tablettes étaient scellées aussitôt[30]. Le mari présentait à sa fiancée un anneau qu’elle mettait au dernier doigt de la main droite[31]. On fixait alors le jour de la célébration du mariage ; l’époque la plus propice était le milieu du mois de juin ; le mois de mai passait pour le temps le moins favorable. Le jour des noces, la fiancée se parait d’une longue robe blanche garnie d’une frange de pourpre ou ornée de bandelettes. Les auspices étaient consuls et un sacrifice offert à Junon, divinité protectrice des mariages sous le nom de Lucina[32]. La fête se célébrait dans la maison du père de l’épouse ou dans celle de son plus proche parent[33].

Une loi de Romulus permettait le divorce ; mais Romulus, comme Moïse, avait voulu que le mari seul pût en prendre l’initiative[34]. Toutefois sa volonté seule n’en décidait pas ; il fallait des motifs valables devant la loi et un jugement auquel assistaient les parents de la femme[35]. Celui qui divorçait injustement était puni par la perte de ses biens ; la femme en recevait la moitié, et le reste était consacré à Cérès. Le mari pouvait répudier sa femme si elle avait violé la foi conjugale, si elle avait empoisonné ses enfants, si elle avait introduit dans la maison des enfants étrangers à l’époux, si elle avait contrefait les clés particulières à son mari ou bu du vin à son insu. La loi du divorce fut sans doute admise par les Décemvirs dans les Douze Tables ; mais, malgré cette liberté, on ne vit aucun exemple de divorce pendant cinq cent vingt ans. Spurius Carvilius Ruga fut le premier qui renvoya sa femme, sous prétexte de stérilité et pour ne pas laisser éteindre sa race ; malgré ce motif, l’indignation publique ne lui pardonna pas. Dans les siècles suivants, les divorces devinrent très fréquents et sur les prétextes les plus frivoles. Les femmes, même dans les derniers temps, exercèrent également ce droit de séparation, et l’on sait combien elles en abusaient au temps de Pline et de Juvénal.

Les privilèges gardés par le mari n’attestent pas seuls la sujétion de la femme à la puissance paternelle. Par le mariage solennel, comme par le contrat mutuel de la cœmptio, elle tombe sous la main de son mari, elle devient comme sa fille et n’a plus d’autre nom que le sien[36] ; elle le reconnaît pour maître ; elle est associée à son existence et à ses rites sacrés ; si elle se rend coupable de quelque faute il la punit, après l’avoir jugée en présence de ses parents. On abandonnait quelquefois, même à la famille le châtiment des femmes condamnées par la justice publique[37]. Ainsi les femmes, par qui surtout, changent les mœurs et se mêlent les familles, les classes, les fortunes, chez les Romains restaient toute leur vie en tutelle ; elles n’avaient et ne conféraient aucun droit ; la parenté qu’elles créaient restait sans effets civils ; l’enfant suivait le père. Et en cela la loi romaine témoignait un sentiment profond des véritables principes d’une société aristocratique.

La puissance paternelle était également absolue sur les enfants, que la nature y soumet directement dans toutes les sociétés. Aucune loi ü’a donné, à ce principe plus de force que la, loi romaine. En. Orient le pouvoir patriarcal respectait la dignité du fils devenu à son tour chef de famille. Dans les Républiques grecques, le fils, devenu citoyen, ne dépendait plus que de lui-même et de l’État ; souvent même la cité, comme à Sparte, le réclamait dès sa naissante et le mettait comme citoyen au-dessus ou en dehors de la famille. A Rome, la puissance du père sur la vie et les biens de son fils est supérieure aux droits de la cité : la promotion même de son fils à une magistrature publique suspend l’exercice de l’autorité paternelle, mais ne l’éteint pas. Et dans les derniers temps de la république, malgré la décadence des mœurs ; on vit un père de famille poursuivre son fils Sénateur et le mettre à mort pour avoir été le complice de Catilina[38]. Il y avait dans cet acte quelque chose des sentiments de l’honneur moderne ; le crime du fils retombait sur la famille entière ; il appartenait d’en faire justice au chef commun, à celui que Suétone et Sénèque, sous les empereurs, appelaient encore le magistrat, le censeur de la maison[39].

La puissance du père commençait à la naissance de l’enfant. C’était à lui qu’était laissé le droit de vie et de mort exercé à Sparte par l’État sur le nouveau-né ; il pouvait l’exposer selon la coutume barbare de l’antiquité, que Romulus pourtant essaya de restreindre[40]. Et sans user de ce droit cruel, le père pouvait encore l’exclure de la famille ; car aucun enfant n’était légitimé avant l’accomplissement des formalités suivantes : le nouveau-né était déposé à terre, devant le père ou son représentant : relever l’enfant, c’était le reconnaître pour légitime[41]. La naissance, le sang n’étaient rien en quelque sorte sans cette sanction. Comme juge domestique, le père pouvait condamner ses enfants à la prison, au fouet, aux travaux de la campagne et même au dernier supplice, sans qu’aucune autorité pût intervenir. Si Manlius Imperiosus fut accusé par un tribun pour avoir traité son fils trop rudement, ce fut son fils même qui vint le défendre ; c’eût été un sacrilège à ses yeux que de douter du droit paternel ! Enfin cette puissance n’était pas même restreinte à la personne des enfants : elle atteignait leur postérité ; le petit-fils, ne devenait entièrement libre qu’après la mort de son père et de son grand-père. La fille en se mariant ne faisait que passer de la tutelle de son père à celle de son mari.

Tels étaient les principes rigoureux du gouvernement de la famille. On ne pouvait y être soustrait que par l’émancipation, et les formes de l’acte d’émancipation ne faisaient qu’attester la servitude des enfants. Le père n’avait pas seulement le droit de traiter son fils comme un esclave, il pouvait même le vendre, et le fils affranchi par un autre maître retombait encore sous l’autorité paternelle ; pour devenir maître de lui-même, il fallait qu’il eût été trois fois vendu et trois fois affranchi. Mais, du moins, il ne perdait pas à cette vente tous les droits de l’homme libre : sorti de l’esclavage, il était considéré comme ingénu et non pas comme affranchi[42]. La même loi protégeait l’esclave pour dettes rendu à la liberté. C’est là ce qui nous donne le secret des formalités de l’émancipation. Le père conduisait devant le préteur, ou quelque autre magistrat, le fils qu’il voulait émanciper : une vente fictive était faite, en présence de témoins, et répétée trois fois, ou le même jour ou à des époques différentes. L’acquéreur à chaque fois n’affranchissait pas lui-même l’esclave fictif ; en l’affranchissant il aurait acquis sur lui un droit de patronage ; mais il le revendait au père, qui le remettait aussitôt en liberté, selon les formules usitées pour les esclaves ; après-la troisième fois le fils était libre, quoique sans doute son père conservât sur lui quelques-uns des droits, que l’affranchissement assurait au patron[43]. Les mêmes usages réglaient l’émancipation du petit-fils, sauf que pour celui-ci une seule vente fictive était exigée. Dans la suite, ces formalités parurent importunes. L’empereur Anastase décida, qu’il suffirait de montrer au juge le rescrit impérial, qui autoriserait l’émancipation. Justinien ne demanda plus que le consentement du fils et la présence du père devant le juge compétent.

Si l’émancipation paraissait relâcher la sévérité du droit domestique en faveur de la liberté individuelle, d’autres institutions au contraire n’étaient que des garanties assurées aux traditions des familles, telle était l’adoption. Le citoyen sans enfant, ou sans héritier, désireux de sauver le nom, les souvenirs et les rites religieux de ses ancêtres pouvait par l’adoption choisir, dans une famille étrangère, un successeur électif, qui devenait le dépositaire de cet héritage sacré. Ce choix était soumis à diverses conditions. Si l’adopté était maître de lui-même[44], le consentement des Curies était nécessaire à l’adoption que l’on appelait alors arrogatio ; cette intervention de la vieille assemblée des Patriciens rappelait l’ancien culte des traditions domestiques, alors que la conservation d’une grande famille n’était pas indifférente à la République. Lorsque l’adopté était encore sous la puissance paternelle, l’acte qui le faisait passer dans une nouvelle famille devait avoir lieu devant le Préteur, le Président de la province ou un autre magistrat. C’était la simple adoption, et les formalités en étaient les mêmes que celles de l’émancipation. Elle assurait à l’adoptant toutes les prérogatives, de la puissance, paternelle, et à l’adopté tous les droits de la naissance.

III

La puissance du père de famille sur sa femme et sur ses enfants semblait participer de la rigueur des droits accordés par l’antiquité au maître sur ses esclaves. Nous venons de voir qu’il n’y avait pas de différence dans les formes entre l’affranchissement de l’esclave et l’émancipation du fils. L’état et les conditions de l’esclavage à Rome achèvent de nous faire connaître l’organisation de la famille romaine, incomplète sens les esclaves.

L’esclavage, dans la société romaine, fut de bonne heure renouvelé et entretenu par des sources fécondes ; jamais aussi les abus n’en furent plus grands. La guerre, la conquête du monde donna à Rome pour esclaves, comme pour sujets, des hommes de toutes les nations, de toutes les contrées, de toutes les races. Les ennemis qui se soumettaient volontairement conservaient leur liberté ; mais ceux qui avaient été pris dans la bataille ou après l’assaut étaient vendus à l’enchère. Les victoires continuelles de Rome auraient suffi à alimenter les marchés ; on sait ce qu’en fournirent les longues guerres contre les Gaulois d’Italie et contre les Sardes ; le nom de ces derniers avait fini par désigner les marchandises du plus vil prix. C’était la conséquence du droit impitoyable des vainqueurs sur les vaincus. En Grèce la rivalité de deux cités ne se terminait ordinairement que par la ruine de l’une ou l’autre et par la vente en masse de ses habitants. Sparte vendit ainsi les Eléens, Athènes les Chalcidiens, Sicyone les Pelléniens, Thèbes les Platéens ; Alexandre les Thébains, Démétrius les Mantinéens. On sait combien Alexandre irrita les Macédoniens en admettant, les Perses dans son armée et en les traitant comme ses sujets. Rome usa de ce droit rigoureux contre Capoue, Carthage, Corinthe, Numance. La première guerre punique avait livré aux généraux romains près de cent mille prisonniers. Paul Emile, Sempronius, Gracchus, Scipion Emilien ne furent pas moins heureux. Plus tard Marius mit à l’enchère cent quarante mille Cimbres et Ambrons. César et Pompée se vantaient d’avoir vendu ou- tué deux millions d’hommes. Cicéron, qui ne fut pas un conquérant, raconte pourtant que, dans son proconsulat de Cilicie, il fit une vente de plusieurs milliers de captifs d’une seule ville. Ajoutez à ces ventes celles qui étaient faites souvent dans les royaumes alliés, pour acquitter, les tributs exigés par Rome, et dans les provinces, pour satisfaire l’avarice des Publicains.

Avant même que les guerres ne fussent ralenties, le commerce des esclaves se régularisa et devint florissant en temps de paix ; il y eut un marché permanent à Rome ; il s’en établit en Italie et dans tout l’empire. Dans des sociétés si dédaigneuses pour les travaux manuels et l’industrie, l’homme était le principal moyen d’échange ; aucune denrée n’était d’acquisition plus facile, de débit plus assuré[45]. Nous avons vu Aristote justifier l’esclavage, par son utilité, et le déclarer légitime contre les philosophes qui y voyaient une violation des lois de la nature[46]. Le même principe avait amené les conséquences les plus odieuses : pour vendre un homme comme esclave, la possession équivalait au titre ; la violence faisait le droit. Les pirates, qui eurent l’idée d’exploiter en grand les mers et les rivages de l’empire, ne firent qu’imiter ce qu’avaient fait souvent les légions et les consuls ; on avait vu Popilius Lænas et Cassius dépeupler ainsi les Alpes. Des femmes, des enfants, des hommes étaient enlevés sur les routes, dans les maisons de campagne, et même au milieu des villes. La loi semblait consacrer, cet abus de la force : le citoyen ainsi privé de la liberté en gardait une tache, même après l’affranchissement, et pour rentrer dans ses biens et ses droits il fallait qu’il pénétrât dans sa maison ; sans être vu, par le toit ou par une porté secrète ; si sa femme était remariée cette nouvelle union était légitime. Il ne manquait à ce commerce d’esclaves que les fraudes ; elles ne tardèrent pas à se multiplier ; il fallut interdire la vente des personnes d’origine libre, et ordonner que celles qui seraient vendues de leur consentement, afin de partager le prix de la vente, resteraient dans l’esclavage. Les marchands se tournèrent alors vers le monde barbare : les petits chefs de la Gaule, de la Germanie, de la Scythie vendaient leurs prisonniers et au besoin leurs sujets. Les Germains, qui n’avaient pas encore eu de guerre avec Rome, se trouvèrent assez nombreux dans l’armée de Spartacus pour former une division à part. C’étaient les meilleurs gladiateurs. Les diverses parties du monde avaient leurs spécialités la Gaule donnait l’échanson pour la coupe, Utique et l’Égypte des Maures et des Ethiopiens, Alexandrie des grammairiens, la Grèce de beaux enfants et des philosophes, l’Épire et l’Illyrie de bons pâtres, la Germanie, la Gaule et la Thrace des gladiateurs, le marché de Chypre des Asiatiques, des Syriens dociles et corrompus. Les Espagnols avaient mauvaise réputation, on les disait enclins au meurtre et au suicide. Certaines provinces en vinrent à spéculer sur des besoins plus particuliers : Sicyone eut une école d’esclaves cuisiniers[47].

Enfin l’esclavage n’était pas seulement entretenu par la guerre et les marchés, il l’était aussi par les condamnations judiciaires. Les criminels étaient souvent punis par la perte de leur liberté. Les citoyens qui avaient négligé de se faire inscrire sur les registres du Cens, ou refusé de s’enrôler pour la guerre, étaient privés de leurs biens, battus de verges et vendus comme esclaves au-delà du Tibre. Ceux qui étaient condamnés aux mines, aux bêtes ou à la peine capitale, étaient d’abord privés de leur liberté ; le supplice infamant ne devait pas atteindre l’homme libre. Les débiteurs insolvables étaient adjugés a leurs créanciers, et pouvaient être vendus ou gardés comme esclaves. Les enfants étaient souvent traités de même par le père de famille pour payer l’impôt, surtout dans les provinces.

L’esclavage se recrutait d’ailleurs lui-même ; les enfants nés de femmes esclaves appartenaient, au maître de leur mère[48]. Les unions des esclaves entre eux n’étaient soumises à aucune loi, et l’on s’étonnait à Rome de l’usage qui, en Apulie, chez les Carthaginois et à Athènes, permettait aux esclaves de se marier[49]. La loi romaine, en appliquant aux enfants nés dans la servitude les règles de la propriété des animaux, favorisait les éleveurs d’esclaves. Caton et Crassus ne dédaignaient pas les bénéfices que pouvait procurer la vente des esclaves nourris et élevés chez eux[50]. Caton, voulant que rien ne fût perdu, recommandait de vendre même l’esclave trop vieux et lie pas le laisser mourir inutilement à la maison ; il l’assimilait aux vieux ustensiles dont on pouvait encore tirer quelque chose. Et l’on ne se contentait pas de vendre les esclaves ; on en tirait toute espèce de profit ; on les louait, principalement les gladiateurs, pour les fêtes publiques et pour les fêtes des particuliers. C’était un métier que d’entretenir de véritables armées de gladiateurs, à la disposition de tous les ambitieux qui voulaient briguer les faveurs populaires ; c’était d’ailleurs une vanité pour les grands d’avoir sur leur domaine des légions d’esclaves, auxquels on laissait des armes, pour se nourrir par le pillage autant que pour défendre chaque patrimoine[51]. Ce sont, à certaines conditions et au titre près, les serfs de notre moyen-âge.

Sept révoltes partielles, trois guerres serviles, une guerre des gladiateurs, la renommée sinistre d’Eunus, d’Athénion, de Spartacus, ne furent pas un avertissement suffisant. Les abus continuèrent. Le temps vint bientôt, au milieu, de l’anarchie, où chaque ambitieux voulut avoir des troupes d’esclaves ou de gladiateurs, pour dicter des lois sur la place publique ; c’est le temps où Sylla donna place en un seul jour à dix mille affranchis dans les tribus du’ peuple romain, où Milon et Claudius donnèrent le spectacle de leurs combats journaliers, où Pompée vint imprudemment menacer de son glaive les adversaires des lois de César consul, où César amena au forum et au Sénat ses Gaulois, étonnés de leur fortune et de leur maître. L’esclavage de la guerre, par la plus bizarre contradiction, livrait aux Barbares la cité romaine, grâce à l’affranchissement. Un jour la décadence des légions leur livrera la pourpre impériale, et enfin l’empire tout entier.

On donnait le nom de familia à la réunion de tons les esclaves d’une même maison. Leur maître portait le titre de dominus ou chef de la maison, qui répond, à peu près au nom moderne de seigneur[52]. La puissance absolue du maître sur les esclaves laissa à ce titre un caractère odieux, qu’il garda même sous les empereurs ; Auguste, fondateur de l’empire, refusa de le prendre, et ce n’est guère qu’au temps de Dioclétien qu’il passa dans le cérémonial officiel de la cour impériale. La puissance du maître sur l’esclave était la sanction et la garantie de cet état contre nature : le maître peut à son gré condamner l’esclave aux travaux humiliants de l’ergastidum, sorte de prison souterraine, au stigmate du fer chaud, à la meule qu’il tourne pour moudre le blé, à la fourche qu’il porte au cou comme un animal indompté, au poids qui l’empêche de remuer sous les coups redoublés du fouet, enfin au supplice de la croix[53]. Et à part ces droits cruels dont la loi elle-même dut souvent réprimer les abus, la vie ordinaire n’était pas toujours tolérable pour l’esclave. Aristote disait à Athènes : Il ne faut pas de loisir pour l’esclave. Caton n’est pas moins dur : L’esclave doit dormir ou travailler. Ce qu’on redoutait avant tout c’était qu’ils eussent le temps de penser.

Les sociétés avaient une sorte de pressentiraient de leur crime ; tout doit contribuer à retenir de force l’esclave dans l’état contre lequel la nature le soulève ; il faut que la faim l’épuise, il faut que le fouet et les verges ramènent son âme à l’esclavage[54]. On redoute celui qui sort d’une nation libre, parce qu’il n’est pas façonné à la servitude ; on craint d’en avoir plusieurs qui parlent la même langue, parce qu’ils pourraient s’entendre pour la révolte. Ils soit soupçonnés d’avance de haine pour celui qui les possède : si le maître est tué et que le meurtrier reste inconnu, tous les esclaves sont mis à la torture et même à mort. Si l’un d’eux avoue le meurtre, les autres sont encore coupables d’y avoir contribué d’intuition ou de ne pas s’y être opposés[55]. Ce que l’on craignait aussi c’était la fuite de l’esclave ; les précautions étaient atroces : la tête rasée d’un côté, les cicatrices du fouet sur le dos, les traces des entraves aux pieds, les marques du fer rouge sur le front, dénonçaient le fugitif, et il n’avait plus à attendre que le dernier supplice, les mines ou le moulin !

Tel était le triste code de l’esclavage romain. Il n’est pas besoin de dire que l’esclave, à qui il était interdit d’avoir une famille, ne pouvait ni tester, ni hériter, ni témoigner en justice. On lui donnait une certaine rétribution pour sa nourriture, ordinairement quatre boisseaux de blé par mois et cinq deniers ; il recevait en outre une distribution journalière. Ce qu’il pouvait mettre en réserve ou gagner, de l’aveu de son maître, formait son pécule. Mais ce pécule, laborieusement amassé, ne lui appartenait qu’à la condition que le caprice ou la cupidité du maître ne le lui reprenait pas ; c’était indulgence de le lui laisser, de lui permettre de se racheter, de l’autoriser à faire des legs. Aussi la condition des esclaves- variait-elle, selon les familles ; ils pouvaient souvent placer l’argent de leur pécule, ou s’en servir pour acheter uni esclave, dont le travail-leur profitait. Quelquefois le maître et l’esclave convenaient que l’un rendrait la liberté à l’autre après le paiement d’une certaine somme. Cicéron affirme qu’un esclave industrieux et sobre, comme l’étaient les prisonniers de guerre, pouvait se racheter après six ans[56]. Mais ceux dont la condition était le moins pénible, c’étaient les esclaves publics, nourris par une rétribution annuelle et attachés au service des magistrats.

Si la conduite plus généreuse de quelques maîtres, si quelques exemples de douceur, comme celui qui sauva la vie à la fille du riche Damophile, contrastaient avec la cruauté des grands, qui tuaient des esclaves ou des prisonniers, pour plaire à une courtisane, ou qui jetaient des esclaves vivants à leurs murènes[57], les mœurs avaient elles-mêmes admis une protestation annuelle de l’humanité : c’étaient les Saturnales, au mois de décembre et aux ides d’août : la liberté était rendue pour quelques instants aux esclaves ; leurs maîtres les servaient à table. Mais ce n’était qu’une dérision, une orgie inventée pour plaire à des hommes fatigués de tout, même de commander. L’esclave avait heureusement une autre consolation, l’espoir de l’affranchissement.

L’affranchissement avait été da bonne heure en usage ; mais c’était moins un allégement apporté a la servitude qu’un nouveau témoignage de la toute-puissance de l’homme libre sur sa famille. A l’origine l’affranchissement légal s’accomplissait de trois manières, soit en autorisant l’esclave à se faire inscrire par le censeur sur les registres de la Cité, soit en lui donnant la liberté devant le Préteur ou le Consul, après l’avoir frappé d’une baguette à la joue, soit enfin en lui donnant la liberté par testament, et alors il en jouissait après la mort de son maître[58]. Dans les derniers temps, il suffisait d’une lettre par laquelle le maître déclarait son esclave affranchi ; c’était même assez qu’il l’eût dit devant cinq témoins ou qu’il eût admis l’esclave à sa table[59]. Toutefois si la volonté du père de famille put ainsi modifier les formes de l’affranchissement, les formalités légales ne cessèrent pas d’être exigées pour l’admission de l’affranchi aux droits de citoyen[60]. Dans les premiers temps tous les affranchis obtenaient avec la liberté une part aux droits de la cité ; on les inscrivait dans les quatre tribus urbaines, et, quoique ces tribus fussent considérées comme inférieures, c’était là un éclatant hommage de la cité à la puissance du père de famille. Ce ne fut que bien plus tard, que l’on songea à s’opposer au danger qu’il y avait à introduire dans la cité un trop grand nombre d’affranchis, souillés ou corrompus par la servitude. On ne permit plus au père de famille d’affranchir qu’un certain nombre de ses esclaves, et jamais au-delà de cent, quand même il en possédait vingt raillé. Le dictateur Sylla en avait introduit dans la cité dix mille en une seule fois. C’était le plus sûr moyen d’avilir le peuple. Une loi d’Auguste interdit l’entrée de la cité comme bénéfice de l’affranchissement à tout esclave qui aurait été, pour châtiment d’un crime, fouetté publiquement, torturé ou marqué au visage[61]. Un autre édit du même Empereur frappa de la même interdiction les esclaves affranchis par lettre ou par la simple parole du maître devant témoins ; ceux-là lie recevaient que les droits des Latins envoyés en colonie[62].

L’affranchi, même en devenant citoyen romain, restait uni à son ancien maître par certains liens. L’affranchissement donnait naissante à une forme nouvelle du patronage et de la clientèle. L’affranchi se présentait avec son maître au temple de la Déesse des bois, revêtu d’une robe blanche et un anneau au doigt ; il se coupait les cheveux et recevait le pileum ou bonnet du citoyen-. Alors il choisissait un nom et y joignait ceux de son patron. S’il mourait sans testament ou sans héritier, le patron héritait de ses biens, et ce droit, qui survivait à l’esclavage, était quelquefois garanti au maître par un engagement que prenait l’affranchi de ne point se marier[63]. Il y avait d’ailleurs entre le patron et, son nouveau client des obligations réciproques : si le patron refusait d’aider ses affranchis dans l’indigence, il perdait ses droits de patronage. L’affranchi devait également à son patron, dans la misère, les soins et- les égards que prescrit la piété filiale. L’affranchi coupable d’ingratitude envers son patron pouvait être condamné aux mines, et une loi de l’Empereur Claude ordonnait même de le rendre à la servitude[64]. Il en fut de même des affranchis convaincus d’avoir introduit des délateurs auprès de leur maître[65].

Nous n’étudions ici que la famille romaine. Nous retrouverons ailleurs les conséquences qui résultèrent pour la cité de l’abus des affranchissements, lorsque le peuple romain, épuisé par tant de guerres, ne se recruta plus que dans l’esclavage. Depuis la fin de la première guerre punique jusqu’à la guerre sociale on ne forma pas une tribu nouvelle. Ce fut à l’affranchissement que l’on demanda la population qui devait remplacer l’ancien peuple romain, enseveli sur tant de champs de batailles. A en juger par les sommes énormes que l’impôt iris sur les affranchissements rapportait au trésor public, on n’estime pas à moins de trois mille le nombre des nouveaux citoyens que l’esclavage versait annuellement dans les tribus romaines. C’était un moyen d’influence dans les comices ; Sulpicius et Claudius essayèrent de les répandre dans toutes les tribus ; au temps de Cicéron ils dominaient même dans les tribus rustiques. Scipion Émilien ne voyait plus que des affranchis sur le Forum et osait leur dire : Taisez-vous, faux fils de l’Italie. Vous avez beau faire ; ceux que j’ai amenés garrottés à Rome ne me feront pas peur tout déliés qu’ils sont maintenant.

IV

Dans les sociétés antiques ni les mœurs ni les législations ne restreignent le droit domestique à la famille naturelle. Nous avons vu que la gens romaine ne se composait pas seulement d’hommes du même sang, mais admettait aussi dans son sein des étrangers, unis au père de famille par certaines obligations : c’étaient les clients. Si l’on ne comptait guère à l’origine que deux cents gentes et plus tard trois cents, si la population patricienne ne dépassait pas trois mille hommes au temps de Romulus, il ne faut pas juger par là de l’importance de l’État naissant, ni du nombre des habitants de la ville ou de la campagne, Les clients formaient un peuple à part, et si quelques familles en comptaient plusieurs milliers, il n’y a pas d’exagération, en attribuant aux trois cents gentes une moyenne de cent clients, à porter jusqu’à trente mille hommes le chiffre de cette population, qui allait bientôt entrer dans l’enceinte du Pomœrium. C’est le même nombre que celui des Périèques de Sparte qui étaient dans une situation analogue, entre la servitude et la liberté. Les clients romains descendaient pour la plupart des habitants de l’ancienne ville latine, que Rome avait remplacée, des vaincus transportés auprès de leurs vainqueurs, des étrangers attirés à Rome par le prestige de sa puissance, enfin des hommes pauvres ou faibles qui, à l’isolement et à une liberté sans garantie, avaient préféré la protection des puissants et des riches.

L’institution légale de la clientèle et du patronage était attribuée à Romulus : Romulus, dit Plutarque, établit une nouvelle division des grands et du peuple ; il appela les uns patrons ou protecteurs, et les autres clients, c’est-à-dire attachés à la personne. Il établit entre eux des rapports admirables de bienveillance, fondés sur des obligations réciproques. Les patrons expliquaient les lois à leurs clients ; ils plaidaient leurs causes devant les tribunaux, les éclairaient par leurs conseils, et les aidaient de leur crédit dans toutes les affaires. Les clients faisaient la cour à leur patron ; ils avaient pour lui le plus grand respect ; s’il était pauvre ils contribuaient à payer ses dettes et à doter ses filles[66]. L’historien Denys d’Halicarnasse, qui attribue cette institution à la Grèce, et rappelle qu’elle avait subsisté longtemps chez les Thessaliens, complète les données de Plutarque sur les obligations réciproques des patrons et des clients. Les clients, dit-il, devaient payer les frais des procès que perdait le patron, et contribuer, comme ses propres parents, aux dépenses qu’exigeaient s’on rang et ses fonctions publiques[67]. Il n’y avait point de loi, ajoute Plutarque, ni de magistrat qui pût contraindre un client à déposer contre son patron ni un patron contre son client[68].

Le patron donnait souvent au client une petite ferme, probablement aux conditions des fermes publiques[69]. Cette propriété du client ressemble déjà, au fief du moyen-âge. Des présents réciproques entretenaient en outre ces rapports journaliers. On donnait le nom particulier de munera aux dons obligatoires du client à son patron, de l’affranchi à son ancien maître, de l’esclave à son maître, des citoyens aux magistrats et plus tard à l’Empereur[70]. Dans la suite les grands regardèrent comme peu honorable de recevoir de l’argent des petits[71]. Cependant l’usage ne fut supprimé que pour les clients de Rome, mais non pour les étrangers. Les présents des patrons ne firent au contraire que prendre une forme plus régulière. Les clients allaient saluer leur patron dès le matin[72] : ils l’accompagnaient quelquefois toute la journée, revêtus d’une robe blanche. Ce cortége faisait l’honneur du Patricien, soit que ces nombreux clients lui eussent été laissés en héritage, soit qu’il les eût acquis par son mérite personnel[73]. Les jours de solennité, les clients étaient invités à souper et traités splendidement. Du temps des empereurs on s’habitua,’surtout pour les clients les plus pauvres, à substituer aux repas le don d’une certaine quantité de mets, à emporter dans une corbeille ou sportule. Néron donna l’exemple de remplacer un présent en nature par un présent en argent, évalué ordinairement à vingt-cinq as pour chaque client[74], et qui conserva le nom de sporule. Domitien rétablit l’usage des repas[75]. Cette préoccupation fréquente de la loi, cette intervention du pouvoir atteste, du reste, l’importance d’une coutume qui n’était pas seulement dans les mœurs privées.

Les historiens s’accordent à louer les heureux effets du patronage et de la clientèle. Cela fit naître entre les deux classes de la cité une émulation réciproque d’attachement et de fidélité. C’est à peine si pendant six cent vingt ans on vit s’élever aucune dispute entre les patrons et les clients. Mais après ce temps, selon Denys d’Halicarnasse, l’harmonie du gouvernement fut détruite. Le client ou le patron qui manquait à ses obligations tombait sous le coup de la loi Portée par Romulus contre les traîtres ; il était nais hors le droit commun et pouvait être tué par le premier venu[76]. Les clients accompagnaient le patron, même en exil ou dans une émigration volontaire. Appius Claudius était arrivé à Rome avec cinq mille clients. Fabius en emmena quatre mille contre les Véiens. Coriolan se fit une armée avec les siens. Si Camille partit seul, c’est que déjà -les liens de’ la clientèle étaient relâchés ; lorsque le même Camille avait été accusé, ses clients avaient réfuté de l’absoudre, tout en consentant à payer son amende.

Les institutions de Servius Tullius avaient commencé à diminuer l’influence que le patronage assurait aux Patriciens. Les Plébéiens, jusqu’alors, n’étaient rien que les clients des grandes familles. Servius leur ouvrait la cité chacun d’eux, aux comices, dut se séparer de son patron pour aller prendre la place que M’assignait sa fortune. Une autre loi de Servius donna aux affranchis, qui autrefois restaient les clients de leur ancien maître, le droit de retourner dans leur patrie on de se faire inscrire dans les tribus urbaines, en se choisissant un patron même parmi les Plébéiens ; c’était admettre les grandes familles plébéiennes à partager l’avantage réservé jusqu’alors aux Patriciens. Mais la clientèle s’avilit dès lors, et les familles sans clients peuplèrent la cité d’affranchis, pour s’en procurer. C’était un puissant moyen d’influence dans les comices ; Tite-Live affirme plus d’une fois que les Patriciens profitent pour les élections consulaires de la docilité de leurs clients. Mais la loi des Douze Tables ; qui donne une force nouvelle aux principes de la puissance paternelle, nous révèle l’affaiblissement du patronage : Si le patron fait du dommage à son client, qu’il soit dévoué. C’est le client que la loi protège ; de jour en jour les clients s’éloignent, et la .meilleure force de l’aristocratie passe au parti populaire.

Avec les conquêtes de la république le patronage s’étendit à des villes, à des peuples entiers. Les cités, les nations recherchaient la protection des familles les plus illustres et les plus puissantes ; c’était un refuge pour les provinciaux contre les abus de la conquête. Les Siciliens se mirent sous le patronage de Marcellus, l’Ile de Chypre et la Cappadoce sous celui de Caton, les Allobroges sous celui des Fabius ; les Antonins étaient patrons de Bologne, les Claudius de Lacédémone ; Cassius avait pour clients les habitants de Pouzzoles, et Brutus ceux de Brutium ; Capoue avait choisi Cicéron[77]. Dans les guerres civiles cet antique usage ne contribua pas peu à accroître les forces des chefs de parti. La plupart des grands de Rome usèrent du reste noblement de leur titre, en exécutant au profit des alliés, leurs clients, d’immenses travaux[78]. Chaque colonie avait ordinairement, à Rome, un patron qui veillait à ses intérêts[79].

V

Si l’institution du patronage et de la clientèle ne parvient pas à empêcher les discordes des Patriciens et des Plébéiens, elle resta cependant, après la lutte, un des plus fermes appuis de l’aristocratie. Ainsi la force des nobles reposait non seulement sur leurs privilèges politiques, mais sur l’organisation intérieure de la famille. Il nous reste encore à chercher si la puissance paternelle, qui était le principe suprême de ce droit domestique, s’étendait aussi à la propriété, à la richesse acquise ou héréditaire de chaque famille.

La plus grande puissance des aristocraties est dans la possession du sol. Posséder la terre est le signe de la puissance et la puissance même. Les Patriciens de Rome étaient-ils dans cette condition ? Dans une cité sans industrie et sans richesse mobilière, la terre est la vraie richesse, la seule honorable, la seule durable ; elle constitue le citoyen, comme nous la voyons au moyen-âge donner la noblesse. Aussi à l’origine les premières terres conquises sont-elles partagées régulièrement entre les gentes, et ce partage établit d’abord entre tous les citoyens, au moins entre les chefs des gentes, une égalité de fortune, qui rappelle la législation de Lycurgue. Chaque part était à peu près de vingt arpents, et la gens contractait en échange l’obligation de fournir à l’armée dix légionnaires et un cavalier. L’armée se trouva de la sorte élevée à trois mille hommes de pied et trois cents cavaliers. La possession du sol était soumise à l’obligation du service militaire, et le citoyen sans terre était exclu de la légion. C’est l’interdiction dont sera frappé au moyen-âge, sans l’host du roi, le Franc sans domaine, le Lombard sans cheval de guerre. Ne nous étonnons pas toutefois que les législateurs romains ne paraissent pas avoir songé à rendre inaliénables ces lots primitifs, et à prévenir la déchéance du citoyen : Rome n’a pas eu, à l’origine, de législateur philosophe, et plus tard le droit romain, si savant et si prévoyant, n’a pas cru devoir sacrifier la liberté à des intérêts particuliers. La propriété était saisie pour les dettes du propriétaire ; et le débiteur resté insolvable, même lorsque la loi eut aboli la contrainte par corps, fut exclu encore de sa tribu et privé de ses droits politiques.

Ce que firent et ce que pouvaient faire Romulus et Numa, ces génies tutélaires de Rome au berceau, c’était de protéger le droit de propriété contre le désordre des premiers temps. Aussi lui donnent-ils par la sanction religieuse un caractère sacré. La religion préside au, partage de la terre ; les Augures tracent les limites, et le dieu Terme les garde contre toute violation. Chaque lot devient la propriété héréditaire du Quirite[80], et l’attentat à cette propriété est l’uni comme sacrilège[81]. Nulle divinité, dit Varron, ne fut plus honore en Italie que le dieu des limites. Dans la tradition le dieu Terminus refuse de reculer, même pour faire place à Jupiter sur le Capitole. La loi des Douze Tables, qui conserva toute la sévérité des édits contre les débiteurs, maintint l’inviolabilité de la propriété : Que celui qui a porté atteinte au bien d’autrui soit dévoué à Cérès. Si quelqu’un surprend un voleur pendant la nuit, il pourra le tuer impunément. Celui qui aura mis le feu à un tas de blé sera lié, battu de verges et brûlé. Au témoignage de Pline, il semblait alors que couper la récolte d’autrui fût un crime plus grave que l’homicide. Cependant la loi Île Numa fut plus tard- adoucie : le déplacement des bornes ne fut plus qu’un délit, au lieu d’un crime capital, et finit même par ne plus être puni que d’une simple amende[82].

La propriété du sol était le plus souvent soumise à certaines obligations. Les terres du domaine public étaient données en fermage pour la dîme des produits. Les assignations données aux citoyens pauvres étaient assujetties à une redevance versée dans le trésor. Faut-il croire cependant qu’à l’origine les lots partagés ou peut-être tirés au sort entre tous les citoyens devenaient des propriétés indépendantes et sans servitude ? Cela est peu probable. Lorsque le droit romain se fut régularisé et embrassa tous les détails, les servitudes étaient sans nombre : droit de passage à pied, avec une bête de somme, un chariot non chargé, un chariot chargé ; droit d’aqueduc ; droit de prise d’eau ; passage du bétail pour aller à l’abreuvoir ; droit de pâturage ; droit de faire de la chaux ou de prendre du sable. On appelait fermes libres celles qui n’étaient pas astreintes à ces servitudes. Les maisons de ville devaient également contribuer à soutenir les maisons voisines, recevoir les gouttières et aider l’écoulement des eaux, laisser passer l’égout latéral, ne pas élever les murailles au-delà d’une certaine hauteur, n’y percer aucune fenêtre nouvelle.

La translation de la propriété s’accomplissait par un acte dans lequel on suivait toutes les formalités eu usage pour l’émancipation, sinon, que la vente n’avait pas besoin d’être réitérée[83]. Le droit d’aliéner, jus commercii, constituait la propriété quiritaire, réservée au citoyen romain. La propriété quiritaire, était ce qu’on appelait dominium ; elle ne se confondait jamais avec la possession pure et simple, dont l’étranger ne jouissait qu’en étant exposé toujours à être expulsé de son fonds ; car pour lui il n’y avait pas de prescription[84]. En dehors du droit d’aliéner il n’y avait que l’usufruit.

Tout citoyen libre pouvait tester, être témoin à un testament et hériter des legs qui lui étaient faits. Après les Décemvirs, l’usage était de rédiger les testaments en présence de cinq témoins, et d’après certaines formalités. Mais ces règles ne furent lias toujours rigoureusement observées, surtout dans les derniers temps. Le droit de tester était le dernier exercice de la puissance paternelle : le testateur désignait les parts diverses léguées à ses Héritiers, pouvait à défaut d’héritiers naturels choisir des légataires de son choix et même exclure de l’héritage tous ses enfants ou l’un d’entre eux. Il léguait son nom et sa fortune : ainsi fit César pour Octave. Le testament désignait aussi les tuteurs de la minorité. Faute de testament, lesbiens ou la tutelle appartenaient aux parents les plus proches.

Ainsi, dans cette législation, de la propriété privée, tous les droits dérivent de la puissance du père de famille. La femme et les enfants ne jouissent pas du droit de propriété. Les biens que la femme apporte en dot sont remis au mari[85]. Dans les premiers temps de la république les dots des femmes furent très modiques ; mais elles s’accrurent avec les fortunes privées. Pendant la seconde guerre punique, le sénat dota de onze mille as la fille de Cn. Scipion. Quelques années après la bataille de Zama, vingt-cinq talents ne suffisaient plus. Sénèque dit que de son temps la dot donnée à la fille de Scipion n’aurait pas payé le miroir d’une affranchie. Les femmes n’acquirent pas pour cela une puissance plus grande sur leur fortune dotale. Si elles recevaient une part de l’héritage paternel, elles ne pouvaient l’aliéner ni par vente ni par testament, sans le consentement du mari ou de leur tuteur naturel. L’épouse héritait de l’époux, faute d’enfants, parce qu’elle était devenue comme sa fille, mais aux mêmes conditions. A Sparte, elle avait le droit d’hériter et de tester, et ce fut une des causes qui ruinèrent l’aristocratie[86].

Les mœurs romaines, si sévères pour le maintien des femmes en tutelle, n’allèrent pas pourtant jusqu’à accepter cet autre principe du droit domestique des aristocraties, le privilège de l’aînesse, qui naîtra dans les temps modernes de l’indivisibilité du fief. L’antiquité ne connut pas ce besoin ou ne fit que le pressentir : le droit d’aînesse n’y exista que dans les royaumes héréditaires, et avec certaines restrictions. La Bible soumet Jacob à Esaü, et la mythologie grecque Hercule à Eurysthée. Aristote rappelle que les lots des Spartiates avaient été d’abord indivisibles et inaliénables[87]. La loi romaine, si respectueuse pour la liberté et la puissance du père de famille ne fait que lui permettre de léguer une part plus grande à son fils aîné : c’est déjà l’y engager, mais il y a loin de là à l’exemple du corinthien Démarate donnant tous ses biens, à son fils Lucumon et ne laissant rien aux autres[88]. Ce n’est pas que la loi romaine ne comprît le besoin de conserver les héritages, mais c’est avec timidité et respect qu’elle touche à la puissance paternelle : c’est bien tard qu’elle ose restreindre le droit de tester, et interdire les legs au-delà de cent mille as, surtout en faveur des femmes. L’abus des legs morcelait les propriétés et ruinait les vieilles familles ; en même temps le partage ordinaire de l’héritage entre tous les enfants aboutissait au même résultat, et ce n’était pas ce, qui contribuait le moins à affaiblir le Patriciat.

 

 

 



[1] Nous avons à peine besoin de faire remarquer la ressemblance de la Clientèle et du Patronage avec les institutions analogues de l’Orient, de la Grèce, de la Germanie, de l’Aquitaine, de l’Ecosse, de l’Irlande et avec la vassalité du moyen-âge, Les Tiatias javanaises et les Phars albanais ont aussi les mêmes principes. Duruy, Hist. des Rom., t. I.

[2] Cicéron, pr. Quint., 26, 27. Verrines, IV, 22.

[3] Tite-Live, I, 29 : Désespoir des Albains en quittant leurs maisons pour se transporter à Rome.

[4] Jupiter Optimus Maximus, Juno Regina, et Minerva, alii Dii Deæque obsidentur. Castra servorum publicos vestros Penates tenent. Et plus loin : Penates publicos privatosque. Tite-Live, III, 17.

[5] Plaute, Trin., I, 1. Juvénal, XII, 89. Suétone, Auguste, 31.

[6] Sacra suosque tibi commendat Troja Penates.

Virgile, Æneide, II, 298.

Tu, genitor, cape sacra manu patriosque Penates.

Me, bello e tanto digressum et cæde recenti,

Adtrectare nefas !

Id. Ibid., 717.

Effigies sacrœ Divum Phrygiique Penates.

Id. Ibid., 148.

La distinction est mieux marquée encore dans le passage suivant :

Per magnos, Nise, Penates.

Assaracigue Larem et Canœ penetralia Vestæ.

Æneide, IX, 258.

[7] Par une superstition que nous retrouvons dans toutes les sociétés primitives, les anciens croyaient que les familles, les villes et les pays avaient leur génie, particulier. Ils pensaient aussi que chaque mortel avait deux génies, l’un bon, l’autre mauvais, dont l’influence n’était pas étrangère à sa destinée et ne l’abandonnait jamais, depuis sa naissance jusqu’à ses derniers moments.

[8] Virgile, Æneide, VIII, 269

[9] Denys, I, 40.

[10] Tite-Live, IX, 29. Eodem Appio auctore Potitia gens, cujus ad aram maximam Herculis familiare sacerdotium fuerat, ministerii delegandi causa, solemnia hujus sacri servos publicos docuerat.

[11] Familiæ vel stirpes.

[12] Cicéron, Top. 6. — Festus. — L’agnat pouvait recevoir le titre de cognat, mais sans réciprocité. Patruus, le frère du père était à la fois agnatus et cognatus ; avunculus, le frère de la mère, était seulement cognatus. Digeste. Antiq. rom. d’Adam.

[13] La même distinction fut établie entre les Dieux : 1° Dii majorum gentium ou Dii selecti, les douze grands Dieux ; 2° Vii minorum gentium, les divinités inférieures. Cicéron, Tusculanes.

[14] Tite-Live, IV, 1 ; X, 8.

[15] Les adoptions ne pouvaient être autorisées autrefois que par les Curies. Clodius, l’ennemi de Cicéron, pour devenir tribun fut obligé de se faire adopter par un plébéien. Cicéron, Pr. Dom., 15.

[16] Suétone, Tibère, I. Horace, Satires, II, 5, 15. — Sine gente, non generosus sont des termes qui ont le même sens que sans nom, sans naissance. Le droit de famille s’appelait Jus gentilitatis.

[17] Aulu-Gelle, III, 3.

[18] Cicéron, Orat., I, 57.

[19] In Cicéron, Top. 3, Bœth.

[20] Genèse, XXIX, 18. I Samuel, XVIII, 25. Xénophon, Anabase, VII. Hérodote, Terps. Euripide, med. 232. Tacite, de mor. Gem., 18. Strabon, III, 165. Homère, Odyssée, III, 317. Virgile, Georg., I, 31.

[21] Note de la traduction allemande des antiquités romaines d’Adam.

[22] Flacc. 34. Ce gâteau s’appelait far ou panis farreus ou farreum libum. Denys, II, 25. Pline, XVIII, 2. Virgile, Georg., I, 31 ; Ænéide, IV, 104.

[23] Connubium est matrimonium inter cives ; inter servos autem aut inter civem et peregrinæ conditionis hominem aut servilis non est connubium sed contubernium. Bœth., in Cicéron, Top. 4.

[24] Tite-Live, XXXVIII, 36. Ulpien, fragm. V, 4.

[25] Cicéron, Philipp. — Horace, Odes, III, 55 : conjuge barbara turpis maritus vixit. — Pline, II, 2. III, 6. Plutarque, Antoine.

[26] Denys, LXV, 16. Ulpien, XIII. — Du temps d’Ulpien, il était défendu aux ingénus d’épouser des femmes qui avaient mené une mauvaise vie, qui étaient montées sur le théâtre ou qui avaient été condamnées par un jugement public.

[27] On sait quelles prérogatives furent attachées au mariage sous le nom de droit des maris. Le Consul qui avait le plus d’enfants prenait le premier les faisceaux et avait le choix des provinces. Le Sénateur, qui avait le plus d’enfants était inscrit et opinait le premier. Pour l’élection aux magistratures, chaque enfant donnait dispensé d’un au. Les célibataires ne recevaient que la moitié des legs étrangers.

[28] Tite-Live, VIII, 14. IX, 43, XL V, 29.

[29] Tite-Live, I, 42, 46. XLII, 34. — Tacite, Annales, XII, 4, 5, 6, 7. — Suétone, Auguste, 68. Claude, 26. Néron, 5.

[30] Juvénal, II, 119 ; VI, 25 ; X, 336.

[31] Velleius Paterculus, VIII, 15.

[32] Ovide, Ep. II, 116. Luc. II, 362. Juvénal, II, 124. Pline, VIII, 48.

[33] Cicéron, Div., I, 16. Suétone, Claude, 26. Tacite, Annales, XI, 27. Luc, II, 371.

[34] Deutéronome, XXIV, 1. Plutarque, Romulus.

[35] Denys, II, 25.

[36] Après le mariage, la femme prenait le nom du mari en l’ajoutant au sien. : Julia Pompeii ; Terenti Ciceronis, Marcia Catonis, Livia Augusti.

[37] Tite-Live, XXXIX, 18. Valère Maxime VI, 37.

[38] Salluste, Catilina, 39.

[39] Suétone, Claude, 16.

[40] Cicéron, de Leg., III, 8. Suétone, Octave, 63. — Tacite, Hist., IV, 5. Sénèque, de Ben., III, 13.

[41] De là ces expressions : Levare, tollere filium.

[42] Ingenuus, non libertus. Quintilien, V, 10, 60 ; VI, 3, 26.

[43] Il parait cependant que l’émancipation par les trois ventes simulées avait certaines conséquences légales peu favorables : le fils vendu trois fois subissait la capitis diminutio, qui entraînait certaines incapacités, par exemple, d’hériter de son père, d’être tuteur de ses neveux, etc. — Gaius, Instit., I, 162.

[44] Sui juris.

[45] Heeren, Politique et Comm. des Peupl. de l’antiq.

[46] Aristote, Politique, I, 2.

[47] Athénée, VII.

[48] On appelait vernœ ou vernaculi les enfants nés dans la maison.

[49] Plaute, Casin. prol.

[50] Crassus louait des esclaves comme cuisiniers, maçons ou scribes. Toute famille riche avait, parmi ses esclaves, des tisserands, des ciseleurs, des brodeurs, des peintres, des doreurs et jusqu’à des architectes, des médecins, des précepteurs. Varron, I, 2, 6. Ces ateliers d’esclaves étaient une source de revenus nouveaux pour les riches. L’homme libre ne trouvait pas de travail, si par hasard il en voulait. L’État lui même avait des esclaves pour les travaux publics.

[51] Caton d’Utique, renommé pour sa simplicité, avait quinze esclaves à la campagne. Un obscur propriétaire de Sicile, Damophile, victime de la première guerre servile, en avait quatre cents. Un affranchi, Démétrius, en avait une armée. La familia de César effrayait le Sénat. Pompée leva trois cents cavaliers parmi ses pâtres. Scaurus comptait huit mille esclaves. Claudius, Crassus, en avaient davantage encore. Les mines de Carthagène en employaient quarante mille. Il y avait des esclaves attachés au sol, glebœ adscripti. Les grandes propriétés étaient généralement cultivées ou gardées par des esclaves. Sénèque parle de vasta spatia terrarum per vinctos colenda, et Pline de légions d’esclaves telles que le maître avait besoin d’un nomenclator pour lui en dire les noms. Pline, XXXIII, 1, 6. Sénèque, de Beneficii, VIII, 10. — Plutarque, in Caton, 68. Crassus, 2. — Diodore, XXXVI, 3. — Suétone, César. — Sénèque, de Tranq. — Pline, XXXIII, 6, 10.

[52] Senior plus âgé, par suite le père, le chef de la famille.

[53] On trouve dans Plaute, dont la condition était peut-être la même que celle de Térence, affranchi de Scipion, un cri singulièrement éloquent jeté par un esclave : Scio crucem futuram mihi sepulchrum ; ibi mei majores sunt siti, pater, avi proavi, abavi. Mil. glor., V, 375.

[54] Platon, Les Lois, VI

[55] Lois de Silanus. Tacite, Annales, XIV, 63.

[56] Cicéron, Ph., VIII, 11.

[57] Sénèque, de Ira. — Plutarque. — Tite- Live.

[58] Per censum, per vindictam, per testamentum justa libertas.

[59] Per epistolam, inter amicos, etc.

[60] Pline, Ep. 16, 33 ; Denys, 22, 23.

[61] Les affranchis ainsi exclus restaient dans la classe des dedititii, qui n’avaient que la liberté. Lex Œtia Sentia. Denys, 14, 24.

[62] Lex Julia Norbana. Pline, X, 105.

[63] Ce serment fut défendu par Auguste. Denys, XXXIX, 24. L’affranchi rapportait même quelquefois à son patron une part de ce qu’il recevait dans les distributions gratuites.

[64] Suétone, Claude, 28.

[65] Digeste, de Jure Patron.

[66] Plutarque, Romulus, XV.

[67] Denys, II, 4.

[68] Romulus, XV.

[69] Agrorum partes attribuebant tenujoribus, Festus.

[70] Pline, Ep. V, 14. Térence, Phormion.

[71] Plutarque, Ibid.

[72] Juvénal I, 128. V. 19. Martial, II, 18. III, 36. IV, 8. Mane satutantum totis vomit ædibus undam, Virgile, Géorgiques.

[73] Horace, Ep. II, 1, 103. Juvénal, X, 44.

[74] Suétone, Néron, 16. Juvénal, I, 95, 120. Martial, I, 60. III, 7. XI, 75.

[75] Domitien, Suétone, 7.

[76] Denys, II, 4.

[77] Cicéron, Verr., 18. Ep. Famil. XV, 4. XVI, 2 Salluste, Catilina, 41. — Tite-Live, IX, 20. Suétone, Auguste, 17. Tibère, 6.

[78] Un patricien devint le patron de Réate, en creusant un canal dans le roc d’une montagne, pour jeter dans la Nera le trop plein du lac Velinus. Cicéron, Ad Att. IV, 15.

[79] Denys, II, 11.

[80] Jugera, quod a Romulo primum divisa viritim, quæ hæredem sequerentur, hæredium appellarunt. Varron, de Re rust., I, 10. — Cicéron, de Rep., 14.

[81] Numa Statuit cum qui Terminum exarasset et ipsum et boves sacros esse. — Varron, IV, 32.

[82] Giraud, Droit de propriété.

[83] Pline, Ep. VII, 8. X, 3, 11, Emancipare fundos.

[84] Adversus hostem æterna auctoritas.

[85] Ce sont les bona paraphernalia.

[86] Aristote, Politique. Denys, II, 23.

[87] Aristote, VI, 4.

[88] Denys, III, 47.