HISTOIRE DES CLASSES PRIVILÉGIÉES DANS LES TEMPS ANCIENS

 

CHAPITRE VI. — Les Macédoniens et l’Empire d’Alexandre.

 

 

Les Macédoniens ont gardé l’énergie et les vertus guerrières des nations barbares. Sur eux règne une dynastie dont l’origine remonte jusqu’aux Héraclides, qui semblaient avoir tout fondé en Grèce. Caranus, onzième descendant du héros d’Argos, exilé du Péloponnèse par un oracle, chef d’une émigration nombreuse de Grecs et d’Argiens, reçoit la Macédoine en récompense des services rendus par son courage au Roi des Emathiens. Trente années de victoire fondent le nouveau royaume. Perdiccas, arrière-petit-fils de Caranus, fixe le trône dans la famille des Héraclides en donnant un tombeau à ses aïeux et à ses descendants. Les Macédoniens eux-mêmes achèvent de consacrer cette loi d’hérédité par leur dévouement à un enfant, dernier rejeton de Caranus : ils le portent, encore au berceau, dans leurs rangs et inaugurent son règne par une victoire, Alexandre II, fait reconnaître par les Juges des Jeux Olympiques son origine grecque, premier titre à la domination de la Grène. Archélaüs Ier complète cet anoblissement de la Macédoine en donnant asile au poète Euripide, au peintre Xeuxis, au musicien Timothée. Les arts de la Grèce chantent cette gloire naissante. Un siècle après la Macédoine a conquis la Grèce et l’Orient sous la conduite de Philippe et d’Alexandre.

I

Ce qui avait manqué longtemps à la Macédoine, pour prendre le rang que ses forces pouvaient lui assurer, c’était l’ordre et la discipline. Philippe mérite le trône en lui donnant l’un et l’autre. La noblesse du royaume s’était amollie dans le repos ou habituée à une orgueilleuse indépendance. L’aristocratie toute dorienne de la Macédoine avait pris plus d’une fois les armes contre ses souverains, surtout contre Archélaüs, qui avait tenté le premier de rendre la royauté absolue. Philippe, pour en faire le plus solide appui de son trône, la ramène aux vertus de ses aïeux par la guerre et par l’honneur. Soldats et officiers sont contraints de renoncer à l’usage des voitures ; les cavaliers, n’ont plus qu’un valet par homme, les fantassins un pour dix. Un étranger, de noble naissance, est chassé pour avoir fait usage de bains chauds. Deux généraux sont dégradés pour avoir introduit une chanteuse dans le camp. Un jeune noble est condamné à un châtiment humiliant pour s’être écarté dans une marche afin de se désaltérer ; un autre mis à mort pour avoir violé l’ordre qui défendait de sortir des rangs. L’aristocratie vivait isolée sur ses terres : Philippe obtint que les familles nobles, enverraient désormais leurs enfants à la cour. Ce ne fut pas seulement une manière de se donner des étages ou d’adoucir les mœurs trop rudes des guerriers macédoniens. Cette coutume donna naissance à l’émulation ; la garde du Roi et la cavalerie furent exclusivement recrutées dans les grandes familles[1] et devinrent avec la phalange l’élite de l’armée nationale[2], portée bientôt de dix mille à trente mille hommes. La nation avait joui jusqu’alors de certaines prérogatives, par exemple du droit de juger les criminels d’Etat ; elle était, comme toute nation guerrière, une véritable aristocratie et ce jugement était un véritable jugement des pairs. Ces prérogatives passèrent à l’armée le jour où l’armée se distingua de la nation et oit le’ gouvernement devint tout militaire.

C’est avec ces ressources de la Macédoine arrachée à la barbarie que Philippe asservit le premier la race grecque. La liberté de la Grèce, dit un des derniers athéniens dignes de ce nom, est ensevelie dans le tombeau des vaincus de Chéronée[3]. Son dernier jour du moins n’avait pas manqué de gloire. Démosthènes qui, selon la belle expression de Plutarque, avait de son souffle puissant ranimé les courages et l’enthousiasme du devoir, Démosthènes, devenu à Thèbes comme à Athènes l’âme de toutes les assemblées populaires, Démosthènes’ avait combattu à pied parmi les Hoplites[4]. Et il devait un jour justifier éloquemment cet effort héroïque et malheureux : Non, Athéniens, s’écria-t-il en répondant à ses accusateurs, non, vous n’avez pas failli en courant à la mort pour le salut et la liberté de la Grèce ! non, j’en jure par vos ancêtres tombés à Marathon, à Salamine, à Platées[5]. Le vainqueur lui-même flatta les vaincus : il renvoya les prisonniers sans rançon, brûla les morts et rendit leurs restes glorieux à Athènes. C’est qu’Athènes vaincue disposait encore de la gloire par ses arts et ses lettres. La Grèce avait aux yeux du, conquérant le prestige du passé ; et l’ambition de Philippe semblait s’être bornée, après une première victoire, à être admis au Conseil Amphictyonique, après la dernière, à obtenir l’estime d’Athènes et l’hégémonie des Grecs contre les Perses. Pour ne pas paraître le maître de la Grèce il sollicitait à l’assemblée de Corinthe l’honneur de venger ses vieilles querelles par la conquête de l’Orient.

Philippe périt à quarante-sept ans au milieu de ses préparatifs contre la Perse. Mais la continuation de son œuvre passe aux mains de son fils Alexandre. Ce jeune roi de vingt ans, issu d’Hercule par ses aïeux paternels, d’Achille par sa mère Olympias, et qui devait paraître si grand que bientôt sa naissance comme celle des héros antiques allait être attribuée à Jupiter, étonne bientôt l’Occident et l’Orient de son audace et de son génie. L’éducation de son corps a été empruntée à la sévère discipline des Spartiates. Aristote lui a révélé les mystères de la science, et son esprit ne tonnait plus de bornés. Homère, Pindare, Stésichore, les poètes des héros, lui donnent des modèles et il les veut surpasser. Le jour où il fait ses premières armes il sauve la vie à son père au milieu de la mêlée. La gloire des Jeux Olympiques lui paraît trop peu de chose parce qu’il n’y aurait pas des rois pour rivaux. Le jour où il dompte ce cheval fougueux qui le portera jusqu’aux Indes[6], son père le saisit dans ses bras et s’écrie : Cherche un autre royaume, ô mon fils, le mien n’est pas assez grand pour toi !

II

Le premier acte d’Alexandre, à son avènement, constitue cette aristocratie guerrière de la Macédoine qu’il allait placer par ses conquêtes au-dessus de la Grèce et de l’Asie. Les Macédoniens sont exemptés de toutes charges et impôts : le service militaire reste leur privilège et leur premier devoir[7]. Les tributs des vaincus allaient bientôt suppléer aux revenus qu’Alexandre abandonnait. Les Barbares et les Grecs, qui se croyaient délivrés par la mort de Philippe, apprennent qu’ils ont encore un maître. Les coups du nouveau conquérant sont rapides et décisifs, et sa politique semble déjà dictée par l’expérience de son père. La destruction de Thèbes brise les révoltes, mais le respect montré pour la maison et la famille de Pindare et l’indulgence qui épargne Athènes sont un double hommage à la Grèce. C’est qu’il ne veut pas seulement soumettre la race grecque : il veut conquérir sa civilisation et la transporter en Orient ; avec elle son génie aspire à renouveler le monde. Il donnera à la Grèce réconciliée et pacifiée un rôle nouveau et sa plus grande gloire, et il régénérera l’Asie, que le despotisme et les vices d’une société décrépite avaient corrompue.

Alexandre est en effet l’expression la plus belle et la plus complète du génie grec[8]. Dès son avènement il s’était rendu à l’assemblée générale des Grecs et avait demandé à remplacer son père dans le commandement de l’expédition contre les Perses ; les Lacédémoniens seuls s’y étaient opposés eu disant fièrement qu’ils avaient appris de leurs ancêtres à commander et non pas à obéir, vain orgueil de paroles que les actions ne soutenaient plus. Plus tard c’était à regret qu’il avait recours à la rigueur[9]. Revenu de Thèbes il sacrifiait à Jupiter Olympien, et célébrait à Egée des jeux pareils à ceux d’Olympie et des fêtes en l’honneur des muses. Arrivé sur les bords de l’Hellespont son premier hommage était pour le tombeau de Protésilas, ce compagnon d’Agamemnon qui avait le premier touché la terre d’Asie. A Ilium, il prenait les armes des héros grecs consacrées dans le temple de Minerve et ordonnait aux Hoplites de les porter devant lui dans tous les combats. En même temps il sacrifiait au tombeau de Priam pour apaiser ses ressentiments contre la race d’Achille, dont il était l’héritier,-et au tombeau d’Achille, qu’il voulait imiter. Heureux Achille, dit-il, d’avoir eu un Homère pour chantre de ta gloire ! La Grèce ne devait lui donner ni un Homère ni un Xénophon, mais Plutarque et Arrien le célébreront dans la langue de la Grèce, par une sorte de protestation contre le triomphe de la langue et des armes de Rome.

Nous disons volontiers comme Montesquieu jugeant et défendant l’œuvre d’Alexandre : Parlons en tout à notre aise. C’est en effet le dernier et le plus grand titre de gloire de ces races helléniques que nous allons quitter pour aborder l’histoire du génie plus rude de l’aristocratie romaine. Le préjugé, disait un grave magistrat, s’est tellement obstiné à ne voir dans Alexandre qu’une ambition effrénée, conduite par une valeur téméraire et suivie d’une fortune aveugle, qu’on est tout étonné, en réfléchissant sur les faits de son histoire, de trouver en lui le conquérant le plus sensé, le plus sage, le plus modéré et le moins funeste à l’humanité[10]. Pour nous d’ailleurs il n’est pas sans intérêt de savoir comment Alexandre régla sa conquête, quelle part il fit aux vainqueurs et quelle part aux vaincus. Un tel empire est de ceux dont les destinées appartiennent à notre sujet : nous retournons pour quelque temps à l’Orient et nous suivons la marche et les destinées de la civilisation antique : le cours des .choses nous ramènera à l’Occident.

A sa première bataille, aux bords du Granique, Alexandre étonne et entraîne par son audace et sa résolution les vieux généraux de Philippe. Après avoir pris les dispositions d’un capitaine consommé et mis chacun à sa place, il se bat comme un héros d’Homère : sa lance se brise ; il en prend une autre des mains de l’un des hétaires[11], et pousse à Mithardate, gendre du Grand Roi, qui s’avance avec ses cavaliers. Au choc des deux champions, le Perse tombe ; un des siens Rœsaces veut le venger et d’un coup de cimeterre fend le casque d’Alexandre ; un autre va le frapper par derrière ; Clitus lui sauve la vie. La victoire est décidée. Vingt-cinq hétaires ont péri dans le premier choc : Alexandre leur fait élever à Dium des statues d’airain de la main de Lysippe, le seul des statuaires grecs auquel il permit de reproduire ses traits. Les parents et les enfants des morts sont exemptés de tout tribut. Le Roi lui-même visite, console et récompense les blessés. Les Grecs qui ont été faits prisonniers dans les rangs des Perses sont condamnés à l’esclavage pour avoir trahi la patrie[12] ; car c’est à la Grèce qu’Alexandre rapporte l’honneur de la victoire. Il envoya à Athènes trois cents trophées des dépouilles des Perses pour être consacrés dans le temple de Minerve avec cette inscription : Sur les Barbares de l’Asie, Alexandre et les Grecs, à l’exception des Lacédémoniens[13].

Le résultat de la victoire du Granique c’est la conquête de l’Asie-Mineure, de cette région plus grecque que barbare, où Alexandre retrouve partout les discordes et les passions de la Grèce elle-même. Pour la plupart de ces cités du rivage que les Perses avaient asservies, et qui tant de fois avaient invoqué Sparte et Athènes, Alexandre était plutôt un libérateur qu’un conquérant. Ce qu’avaient tenté Miltiade, Thémistocle, Cimon, Agésilas, le fils de Philippe venait l’accomplir. Pour les peuples de l’intérieur, auxquels la domination médique n’avait pas fait oublier les souvenirs d’une antique nationalité, Alexandre s’annonçait en maître plus modéré, plus sage que les despotes de l’Orient. C’est là qu’est l’explication de son succès autant que dans sa patience infatigable à vaincre tous les obstacles. Aux Grecs il rend leurs constitutions libres et apporte cette conciliation entre les factions politiques qui pouvait seule terminer leurs discordes si funestes. En même temps il les exempte du tribut qu’ils payaient aux Perses ; ce sera le privilège de la race hellénique[14]. Aux Barbares, aux Lydiens, aux Phrygiens, il laisse ou restitue leurs anciennes lois, se, contente de leur donner des gouverneurs de son choix, mais choisis parmi eux, et ne réserve aux Macédoniens que les postes militaires. Il conserve les tributs payés de tout temps en signe de dépendance, mais ne les augmente pas et en rend la perception plus tolérable.

L’Asie-Mineure ne semblait depuis longtemps qu’une annexe incertaine de l’Empire. Les Grecs y étaient toujours en révolte et les satrapes à peu près indépendants. Le Grand Roi accourt en personne aux portes de Cilicie : c’est là qu’est l’entrée de l’Empire, et ses courtisans lui ont persuadé sans peine que sa présence rendra son armée invincible. La bataille d’Issus est livrée. La victoire n’est disputée à l’armée macédonienne que par les Grecs mercenaires. Darius en avait encore trente mille. La cavalerie des Hétaires et des Thessaliens par ses charges brillantes met enfin Darius et ses six cent mille hommes en déroute. Le Grand Roi abandonne au vainqueur son camp, ses trésors, sa famille, ses armes mêmes, son char, son bouclier, son arc, et son manteau de pourpre.

Le lendemain Alexandre, quoique souffrant encore d’une blessure qu’il avait reçue à la cuisse, visite les blessés, fait inhumer les morts avec pompe, en présence de son armée rangée en bataille, dans le plus grand appareil. Il fait l’éloge des actions héroïques dont il a été témoin ou que publie la voix même de l’armée ; il honore ceux qui se sont ainsi illustrés par des récompenses conformes à leur mérite et à leur rang[15]. »

La victoire d’Issus et les travaux héroïques des sièges de Tyr et de Gaza[16] livrent à Alexandre les rivages de la Syrie et de la Phénicie. Les mercenaires sur lesquels Darius compte encore, et que doit soudoyer l’or donné aux Lacédémoniens, ne savent bientôt plus où débarquer. Alexandre a vaincu la flotte des Perses en la rendant inutile par l’occupation des rivages et de tous les ports.

Pendant que la Grèce s’obstinait à. fournir des soldats contre lui, il persiste de son côté à se présenter aux Perses comme le vengeur de la cause hellénique. Il répond aux reproches de Darius

Vos ancêtres entrèrent dans la Macédoine et dans la Grèce et les ravagèrent ; pourtant ils n’avaient reçu de nous aucun outrage. Généralissime des Grecs, j’ai passé dans l’Asie pour venger leur injure et la mienne... Vous avez envoyé des lettres ennemies dans la Grèce pour l’exciter à prendre les armes contre moi ; vous avez tâché de corrompre les Grecs par des distributions d’argent, que les Lacédémoniens seuls n’ont pas repoussées ; et, cherchant a ébranler, par les séductions de vos émissaires, la foi de mes alliés et de mes amis, vous avez voulu rompre la paix dont la Grèce m’est redevable. C’est pour venger ces injures, dont vous êtes l’auteur, que j’en ai appelé aux armes[17]. Après la victoire d’Issus il avait fait amener devant lui les députés grecs envoyés au Grand Roi et qui étaient au nombre des prisonniers ; les plus distingués étaient le spartiate Eutyclès, Iphicrate, fils du général athénien, et deux Thébains, Thessalus et Dyonisodore, le premier d’une haute naissance, tous deux célèbres par une victoire aux jeux olympiques. Il ne fut inflexible que contre Eutyclès qui resta prisonnier. Il rendit la liberté aux deux Thébains, excusant sans doute leur haine par le malheur de leur patrie. Il garda Iphicrate auprès de lui, et le traita avec honneur par estime pour son père[18].

Restait e occuper l’Égypte pour achever l’exécution de ce plan, qui assurait d’abord à, Alexandre la possession des rivages de l’Empire, afin qu’il fût sans inquiétude du coté de la Grèce au moment de marcher sur Babylone. L’Égypte toujours hostile aux Perses, accueille avec joie les vainqueurs de Darius et bientôt la fondation d’Alexandrie lui assure, dans les prévisions du génie d’Alexandre, l’héritage de Tyr et l’empire du commerce entre l’Orient et l’Occident. Après avoir traversé les déserts pour aller consulter, comme jadis Hercule et Persée, l’oracle de Jupiter Ammon, Alexandre revient organiser le gouvernement de l’Égypte. Il y établit deux Satrapes indigènes entre lesquels il partage le pays ; les autres officiers sont choisis parmi. les Macédoniens et les Grecs.

Alexandre tire des Hétaires Pantaléon de Pydna et Polémon de Pella, qu’il laisse avec une garnison, l’un à Memphis, l’autre à Péluse ; le commandement des étrangers soldés est confié à l’Étolien Lycidas ; Eugnostus, un des Hétaires, leur est adjoint pour la comptabilité. Eschyle et Echippus de Chalcédoine sont chargés de la surveillance ; Apollonius est nommé satrape de la Libye voisine, et Cléomène de l’Arabie, avec ordre de ne rien changer à l’administration des impôts qui, levés par les principaux du pays, seraient ensuite versés entre leurs mains. Le commandement des troupes laissées en Égypte est remis à Peucestas et à Balacre ; celui de la flotte à Polémon. Balacre qui était garde de la personne du Roi et général de l’infanterie des alliés, est remplacé dans le premier emploi par Léonatus[19] et dans le second par Calanus. Ombrion de Crète succède, après la mort d’Antiochus au commandement de la troupe des archers. Alexandre divise ainsi entre plusieurs le gouvernement de l’Égypte ; frappé des forces et de l’importance de ce pays il croyait dangereux de le mettre dans les mains d’un seul[20].

III

La conquête était préparée : une dernière bataille allait décider du sort de l’Empire persan et des destinées de l’Asie. La plaine d’Arbelles, sur les bords du Tigre, en est le théâtre. L’armée d’Alexandre et les auxiliaires déjà entraînés sur ses pas sont en présence de plus d’un million d’hommes : tous les peuples de l’Orient ont répondu à l’appel du Grand Roi, des rivages de l’Euxin aux montagnes de l’Inde et des bords de la mer Caspienne au golfe Arabique ; tous arrivent conduits par des chefs illustres et dont l’histoire a conservé les noms ; souvent ce sont les descendants des anciens rois de ces nations, alliées plutôt que sujettes des Perses[21]. Alexandre dans cette journée qui, disait-il, devait donner un maître à l’Asie, refuse de commencer l’attaque à la faveur de la nuit : Il serait honteux, s’écrie-t-il, de dérober la victoire ; c’est ouvertement et non par un détour que je veux vaincre. A l’armée innombrable du Grand Roi il ne pouvait opposer que sept mille cavaliers et quarante mille fantassins ; mais sa cavalerie, c’étaient les Hétaires conduits par Philotas et Clitus, c’étaient les Thessaliens avec Parménion et Philippe[22] ; son infanterie, c’était la redoutable phalange, si à l’aise dans les plaines que Darius avait préférées imprudemment pour cette lutte décisive. Darius prend la fuite au milieu de la bataille ; mais la journée n’est pas sans gloire pour la cavalerie des Perses, des Parthes, des Scythes et des Indiens qui combattent jusqu’au dernier moment. Les Hétaires avec Alexandre, les Thessaliens avec Parménion décident la victoire. Soixante Hétaires ont succombé dans la lutte : Ephestion, cet autre Alexandre, a été blessé.

Babylone et Suze sont le prix du vainqueur. Dans la seconde de ces deux villes il retrouve les dépouilles de la Grèce enlevées jadis par Xerxès, et entre antres les statues d’airain d’Harmodius et d’Aristogiton, qu’il renvoie aux Athéniens[23]. A Babylone il avait été reçu par les Mages et avait relevé le temple de Bel. A Pasargades, la ville sainte des Achéménides, il honore le tombeau de Cyrus[24].

Mais de nouvelles fatigues attendent encore le conquérant. Amyntas amène des renforts à son armée épuisée : les vides faits dans les rangs des Hétaires sont comblés. La guerre est poursuivie avec vigueur. La Perse est domptée. Darius s’était réfugié en Médie : l’arrivée subite d’Alexandre le force à la fuite ; Ecbatane est prise comme Persépolis, et aussitôt Alexandre, avec l’élite de ses troupes, s’élance sur les traces du Roi fugitif. La trahison de Bessus, parent de Darius et chef des Bactriens change tout à coup la situation : il assassine Darius au moment où Alexandre allait l’atteindre. Les brillantes funérailles faites à l’infortuné souverain honorent le vainqueur, que sa modération autant que le droit de la guerre fait désormais l’héritier légitime de l’Empire.

Restaient les provinces orientales, riches et puissantes, que Bessus soulevait en se faisant proclamer Roi sous le nom d’Artaxerxés. A mesure qu’Alexandre s’avance à l’intérieur de ces contrées à peine connues des Perses eux-mêmes, les obstacles semblent grandir comme son audace et son ambition. L’expédition semble n’avoir été jusque-là qu’une marche triomphale ou une course impétueuse si on la compare à ce qui suit. Dans les montagnes presque inaccessibles du Paropamisus, dans les vallées des fleuves difficiles qui en descendent, devant ces grandes villes fortifiées par la nature et réputées imprenables, devant ces populations belliqueuses et encore barbares, qui n’appartenaient que de nom à l’Empire de Darius, chaque pas d’Alexandre en-avant est un combat. Et aux dangers de la lutte, aux surprises, aux embuscades, aux assauts de chaque jour se joignent les conspirations des Macédoniens eux-mêmes, fatigués avant Alexandre et mécontents de la faveur qu’il accorde aux vaincus[25]. Les Parthes, les Hyrcaniens, les Mardes, les Ariens, les Drangiens sont domptés. Bessus, poursuivi à travers l’Arachosie, le pays des Arimaspes, la Bactriane, voit tomber tour à tour les forteresses, derrière lesquelles il se croyait à l’abri, et il expie par une mort ignominieuse le meurtre de Darius. Spitamène, qui l’a trahi pour le remplacer, appelle à lui les Scythes, les populations nomades de l’Asie du Nord, qui se vantaient d’avoir vaincu Cyrus. Les Scythes, malgré la fierté qu’ils montrèrent d’abord, apprirent à leur tour à connaître le bras invincible du héros macédonien. Poursuivis au-delà de l’Iaxarte ils échappèrent, mais quand leur tour ils vinrent se jeter sur la Sogdiane et la Bactriane, quatre fois ils se virent repoussés ; et bientôt une barrière de forteresses inexpugnables arrêta leurs invasions. Ils rendirent hommage au vainqueur en lui envoyant la tète de Spitamène. La lutte avait encore duré deux ans.

La gloire d’Alexandre allait sans cesse croissant. Sur les ruines des villes abattues, du Caucase au Paropamisus et de l’Oxus à l’Iaxarte, s’élevaient des villes nouvelles qui devaient transmettre son nom aux générations les plus reculées. La Sogdiane, la Bactriane, l’antique patrie de la civilisation des Mages et de Zoroastre, recevaient la civilisation de la Grèce et la devaient garder. Et Alexandre n’était pas seulement un conquérant heureux et bien servi : son courage, comme son génie, semblait dépasser les bornes des forces humaines. Partout il était au premier rang. Il conduisait lui-même ces troupes d’élite, dont la bravoure eût été téméraire si elle n’avait pas été irrésistible. Dans presque toutes les batailles, à presque tous les assauts, il avait été blessé. Dans une longue marche à pied, on l’avait vu refuser un peu d’eau, malgré une soif brillante, parce qu’il ne pouvait le partager avec ses soldats[26]. Dans une chasse, attaqué par un lion, il avait défendu à Lysimaque de le secourir, et il avait jeté le monstre à terre. Est-il étonnant que ses soldats aient pu croire aux fables répandues sur sa naissance ?

IV

La conquête de l’Empire des Perses était achevée ; mais déjà elle ne lui suffisait plus. Le monde inconnu des Indes, qui avait toujours frappé l’imagination des anciens, l’attirait par un prestige irrésistible. Imiter les héros de l’antique Asie, marcher sur les traces de Bacchus, d’Hercule, de Sémiramis, aller plus loin encore, atteindre les limites du monde, toucher les bords du fleuve Océan, que son poète Homère lui montrait entourant le disque de la terre, tel était son rêve. Et puis, à l’enthousiasme de son courage, s’ajoutaient les grandes conceptions de son génie. Dans les projets de civilisation où sa pensée embrassait le monde entier, pouvait-il oublier les Indes, qui avaient été de tout temps comme la source mystérieuse des richesses de l’Orient ? Ruelle région serait plus féconde pour les sciences, dont Aristote conduisait les progrès, pour le commerce dont Alexandrie devenait l’entrepôt, pour la civilisation,- dont la Grèce allait être l’école ?

Suivons-le encore dans cette marche nouvelle ; entrons avec lui chez les tribus de l’Inde ; nous n’avons pu jusqu’alors qui, les considérer de loin. L’Égypte, les Hébreux, les Perses nous entraînaient vers l’Occident. L’Inde a vécu longtemps depuis, mais elle n’a pas changé : le régime inflexible des castes et la fatalité religieuse y ont arrêté le mouvement et le progrès. Les Brahmanes ont gardé leur influence ; les Schatrias le privilège des armes : les autres castes sont dans une sorte d’esclavage.

Les débuts d’Alexandre dans les Indes, frappent d’étonnement les populations belliqueuses des abords de l’Inclus. Massaga, la capitale des Assacéuiens, est emportée après des efforts prodigieux ; ses guerriers posent les armes, mais refusent d’entrer dans l’armée du vainqueur. Aornos, le rocher qui, disait-on, avait arrêté Hercule, est pris d’assaut par Alexandre, arrivé le premier au sommet. A Nysa, la ville de Bacchus, une députation des nobles obtient l’amitié d’Alexandre et la conservation des franchises de la cité[27]. Trois cents chevaliers de Nysa entrent au service d’Alexandre avec le fils et le petit-fils d’Acuphis, le premier de la ville. Un seul des Rois indiens, Porus, digne adversaire d’Alexandre, s’apprête à le combattre de l’autre côté de l’Indus. Taxile s’est soumis. Abyssare a envoyé son frère et les premiers de sa cour. Doxaris apaise le conquérant par des présents. Porus et Alexandre se rencontrent sur l’Hydaspe, qu’Alexandre franchit encore le premier ; Malgré les éléphants, la victoire reste encore aux Macédoniens. Deux fils de Porus ont été tués ; lui-même combat jusqu’au dernier moment. Mais il est surtout vaincu par la générosité magnanime d’Alexandre, qui le traite en Roi, lui laisse ses Etats et bientôt les agrandit. L’Acésines, l’Hydraote, ces affluents de l’Indus plus grands que tous les fleuves connus des Grecs, sont franchis tour à tour. La journée de Sangala met en présence d’Alexandre les populations les plus belliqueuses de l’Inde, armées pour la liberté commune, les Cathéens, les Oxydraques, les Malliens. La phalange en triomphe encore, et Sangala a le soit de Massagti et d’Aornos. Les populations épouvantées s’enfuient pour ne pas se soumettre.

Alexandre, toujours infatigable, est tout à coup arrêté sur les bords de l’Hyphase par ses propres soldats, qui veulent un terme à leurs travaux. Il ne voulait s’arrêter que lorsqu’il ne trouverait plus de résistance ; les regrets qu’il exprime à ses compagnons révèlent cette âme héroïque : Il n’est sans doute, pour des cœurs généreux, de fin aux travaux que dans les travaux mêmes qui les immortalisent. Si quelqu’un d’entre vous en demande le terme, qu’il sache que nous n’avons pas loin d’ici au Gange et à la Mer orientale, qui se réunit par celle des Indes au golfe Persique et embrasse le monde[28]. Du golfe Persique, nous remontons jusqu’aux colonnes d’Hercule, et soumettant l’Afrique comme l’Asie, nous prendrons les bornes du monde pour celles de notre Empire... Il faut perdre tout le fruit de nos travaux ou les continuer. Courage, compagnons ! affermissez-vous dans la carrière des braves : elle est pénible, mais honorable. Cette vie du courage a ses charmes ; la mort même n’en est point exempte, quand elle consacre le guerrier à l’immortalité. Après trois jours de résistance, il donne enfin le signal du retour, laissant aux bords de l’Hyphase douze autels gigantesques pour monuments de ses victoires[29].

Alexandre veut du moins explorer les Indes et organiser sa conquête ; pour cela il entreprend de descendre le cours de l’Indus jusqu’à l’Océan et de reconnaître la route de la mer des Indes au golfe Persique. C’est comme la troisième et dernière partie des travaux héroïques d’une vie qui devait être trop courte et d’une armée digne d’un pareil général. Après les obsèques solennelles de Cœnus, l’un des Hétaires les plus intimes et celui-là même qui s’était fait auprès du Roi l’interprète des sentiments de l’armée aux bords de l’Hyphase, Alexandre confie à Porus les deux mille villes de l’Inde et commence sa glorieuse retraite, remettant à Cratère et à Ephestion la conduite de l’armée sur les deux rives de l’Hydaspe, à Néarque le commandement de la flotte. En ce moment solennel il sacrifie à Hercule, le père de sa race, à Jupiter Ammon, le Dieu suprême, et à tous les dieux de la Grèce et de l’Orient.

Les Malliens éprouvent les premiers la valeur indomptable du héros contre lequel ils se sont armés encore malgré le souvenir de Sangala. Surpris dans les déserts, forcés dans tous leurs postes, réfugiés dans leur dernière forteresse, ils le voient sauter le premier du haut des murailles qu’il a franchies et soutenir seul le choc des assaillants ; blessé, mourant, il est sauvé par la valeur de Léonatus, par l’égide de Minerve que porte Peucestas, et enfin par le dévouement des Macédoniens qui, faute de leurs échelles brisées, renversent le mur et accourent à ses côtés[30]. Le bruit de sa mort consterne l’armée ; sa vue la ranime ; on lui reproche d’avoir agi plutôt en soldat qu’en général ; il est sensible à cette plainte parce qu’il l’a méritée[31].

Les Malliens se soumettent à ce conquérant plus terrible que Bacchus et s’excusent d’avoir voulu garder leur liberté. Les Oxydraques, qui n’avaient pas eu le temps de se joindre à eux, imitent leur soumission. Un seul souverain, Musicanus, avait jusqu’alors affecté de n’envoyer au vainqueur de Darius et de Porus, ni députés, ni présents. L’arrivée subite des Macédoniens le déconcerte et le force à implorer un pardon humiliant. Les autres princes n’ont pas le temps de songer à la résistance. Musicanus essaie de reprendre les armes à la voix de Brahmanes ; il est mis en croix avec ses complices. Les Pataliens ne résistent qu’en abandonnant leur ville. Alexandre est arrivé aux bouches de l’Indus et les Macédoniens s’étonnent du flux et reflux de l’Océan, que les rivages du grand lac de la Méditerranée ne leur avait jamais montrés. Les sacrifices offerts aux Dieux en pleine mer sont à la fois une action de grâces pour le passé, une prière pour l’avenir.

Une nouvelle ville, Xylénopolis, est fondée à l’embouchure de l’Indus : elle sera le point de départ de ce commerce entre l’Orient et l’Occident, dont Alexandrie doit être l’entrepôt. Néarque dirigera la flotte chargée d’explorer les rivages de la mer Indienne jusqu’au golfe Persique. Alexandre conduira lui-même l’armée de terre, par la route des caravanes, à travers les déserts de la Gédrosie et de la Carmanie : Sémiramis, Cyrus Ont, dit-on, perdu jadis de puissantes armées dans ces contrées funestes ; mais qu’importe ? Alexandre doit faire plus que Cyrus et Sémiramis[32] !

Quelques mois après la double expédition est accomplie avec toute la gloire qu’on donnera plus tard aux grandes explorations modernes dans les régions inconnues de la Terre et de l’Océan. Alexandre est à Suze, Néarque à l’embouchure du Tigre ; le succès a fait oublier les souffrances et presque les obstacles.

C’est à ce retour qu’est complétée par l’admission de Peucestas la garde personnelle d’Alexandre : Il » inscrit Peucestas parmi les gardes de sa personne, qui n’étaient qu’au nombre de sept : c’étaient Léonatus, Ephestion, Lysimaque, Aristonus, tous quatre de Pella, Perdiccas de l’Orestide, Ptolémée et Python, Eordéens ; Peucestas, qui l’avait couvert de son bouclier chez les Malliens, fut le huitième[33]. Alexandre avait résolu de nommer Peucestas Satrape de la Perse, mais il voulait d’abord lui donner ce premier et honorable témoignage de sa reconnaissance[34].

L’imagination ardente d’Alexandre était déjà tout entière à de nouveaux projets. Il voulait visiter le golfe Persique et l’embouchure de l’Euphrate et du Tigre, comme il avait reconnu l’Indus et la Grande-Mer. Selon les uns il se proposait de côtoyer une grande partie de l’Arabie, l’Ethiopie, la Libye, la Numidie et le mont Atlas, de tourner par les colonnes d’Hercule, de franchir le détroit de Gadès et de rentrer dans la Méditerranée, après avoir soumis Carthage et toute l’Afrique. Alors il pourrait prendre le nom de Grand Roi à plus juste titre que les monarques Persans ou Mèdes, qui s’appelaient souverains suprêmes de l’Asie sans en posséder la millième partie. Selon d’autres il se serait dirigé par l’Euxin et les Palus-Méotides contre les Scythes. Quelques-uns même assurent qu’il pensait à descendre en Sicile et au promontoire d’Yapige, attiré par le grand nom des Romains. Je ne puis ni ne cherche à rien assurer sur ce point : j’affirmerai seulement qu’Alexandre ne concevait rien que d’extraordinaire ; qu’il ne se serait jamais reposé, ni après avoir réuni l’Europe à l’Asie, ni même quand il eût porté ses armes jusqu’au fond des îles Britanniques. Il s’élançait toujours au-delà de ce qui était connu, et à défaut de tout autre ennemi il en eût trouvé un dans son propre cœur[35].

La grande idée d’Alexandre c’était surtout d’accomplir la fusion des vainqueurs et des vaincus. Déjà il avait pris le diadème de Darius et la robe longue des Perses. En Bactriane il avait épousé la fille d’un noble Satrape : Peucestas, qui l’imitait en se conformant aux mœurs persanes, était comblé de faveurs. A Suze il épouse lui-même une des filles de Darius et donne l’autre à Ephestion ; ses principaux généraux et quatre-vingts des Hétaires épousent les filles des plus illustres familles de la Médie et de la Perse. Dix mille Macédoniens suivent bientôt cet exemple de leur Roi et de leurs chefs. Les fêtes de Suze servent aussi à relever l’éclat des .récompenses distribuées aux plus braves : des couronnes d’or sont données à Peucestas, à Léonatus, à Néarque, à Onésierite, à Ephestion, à tous les gardes de la personne royale. Beaucoup d’autres reçoivent des présents proportionnés à leurs grades ou à leur courage[36].

La fière noblesse de l’armée macédonienne n’avait pas vu sans colère Alexandre prendre la robe traînante des Mèdes et se faire adorer à la mode persane. Elle s’irrita surtout de l’enrôlement des vaincus. Déjà Alexandre avait admis dans l’armée les Sogdiens et les Bactriens avant l’expédition des Indes. Il avait offert le même honneur aux tribus les plus braves de l’Inde. Pendant les fêtes de Suze, les Satrapes des provinces conquises lui amenèrent trente mille jeunes gens, tous de même âge : on leur avait donné les armes et appris la discipline des Macédoniens et des Grecs. Alexandre les appelait ses Epigones, c’est-à-dire sa postérité. Les Macédoniens virent en eux des rivaux ou des successeurs. Leurs plaintes, rapportées par Arrien, rappellent ces sentiments d’orgueil et de supériorité que donnait dans les temps antiques le droit de conquête et qui fondaient les aristocraties : Alexandre ne cherche que les moyens de se passer de ses vieux soldats. Bactriens, Sogdiens, Arachosiens, Jarangues, Ariens, Parthes ou cavaliers persans qu’on appelle Evaques, tout ce qu’il y a de plus robuste et de plus distingué chez les Barbares grossit indifféremment la cavalerie des Hétaires, dont il vient de créer un cinquième corps, composé en grande partie d’étrangers. N’a-t-il pas admis dans l’agema Cophès, Hydarne, Artibole, Phradasmène et les fils de Phratapherne, satrape des Parthes et de l’Hyrcanie, Itanès, Roxanès, frère de son épouse, Agobarès et son frère Mithrobée, tous rangés sous le commandement du Bactrien Hydaspe et armés de piques macédoniennes au lieu de javelots ? Alexandre embrasse les mœurs des Barbares ; il a oublié, il méprise les institutions des Macédoniens[37]. »

Le renvoi des vétérans affaiblis par l’âge ou les blessures provoqua enfin une émeute. Mais Alexandre apaise les Macédoniens par sa fermeté. De nouvelles fêtes consacrent la réconciliation et l’union des peuples. Alexandre y prend place au milieu des Macédoniens, qui occupent le premier rang ; les Perses sont au second ; les guerriers des autres nations sont distribués par ordre de grades ou d’exploits. Une même coupe circule, on fait les libations : les prêtres des deux nations appellent sur elles la faveur des Dieux : Accordez-leur toute prospérité, que leur union soit inaltérable, leur empire éternel ! On comptait neuf mille convives ; tous, à un signal donné, firent la même libation et entonnèrent : Io ! Péan !

A Babylone, Alexandre consacre la prodigieuse activité de son génie à l’organisation de la conquête achevée si rapidement et à d’immenses projets pour en assurer la durée. L’exploration du golfe Persique est terminée, les côtes d’Arabie sont reconnues par Hiéron, digne émule de Néarque ; un nouveau lit est tracé à l’Euphrate et Babylone embellie. Les colonies grecques couvrent la Bactriane et la Sogdiane. La Grèce elle-même, après une dernière tentative de révolte provoquée par Harpalus, se résigne à la grandeur d’Alexandre ; ses députations vont lui offrir à Babylone des couronnes d’or et les honneurs divins, qu’elle prodiguera bientôt à de moins dignes.

V

Au moment de reprendre ses conquêtes et ses découvertes, Alexandre meurt avant la fin de sa trente-troisième année. Mourant, il a hésité devant les grandes questions que les peuples de son empire allaient avoir à résoudre, et prévu les funérailles sanglantes que les Macédoniens devaient lui faire. Lorsqu’on lui avait demandé à qui il laissait l’Empire, il s’était contenté de répondre : au plus digne.

Deux moyens se présentaient à l’esprit de tous : conserver l’Empire à la famille d’Alexandre ou le partager entre les généraux. Le souvenir d’Alexandre avait trop d’empire sur les Macédoniens pour que les droits de sa famille fussent méconnus. Le trône restait vide. dans la salle du conseil, et l’on y avait déposé seulement son diadème, sa robe royale et son armure ; de cette sorte son ombre régnait encore. Mais il n’avait pas laissé d’enfant légitime ; de Barsine, sa concubine, il avait eu Hercule, encore en bas âge ; seulement Roxane était enceinte. Pour les Macédoniens, Hercule et l’enfant qui pouvait naître de Roxane avaient dû sang barbare dans les veines ; l’infanterie, jalouse des prétentions aristocratiques de la cavalerie, mit en avant le frère d’Alexandre, Arrhidée, né de Philippe et d’une Thessalienne[38]. Après une querelle qui faillit devenir sanglante, on convint qu’Arrhidée partagerait le trône avec l’enfant de Roxane. Mais en gardant les droits de la famille royale, les généraux concilièrent ce respect avec leur ambition ; ils regardaient la conquête comme leur œuvre et ils se partagèrent les provinces de l’Empire. Chacun d’eux, comme les anciens Satrapes ; allait être véritablement Roi dans son gouvernement. L’unité de cet empire trop vaste pour les conditions sociales de tous les temps et composé d’éléments trop hostiles ou trop étrangers les uns aux autres, n’était conservée qu’en apparence.

Trente-quatre généraux furent admis au partage. On regarda comme équivalent à une satrapie le commandement des Hétaires, qui fut donné à Séleucus, plus tard gouverneur de Babylone. L’Empire, ainsi divisé, forma momentanément une sorte de féodalité. Les familles des généraux s’unissent par des mariages en attendant qu’elles fondent des dynasties.

L’histoire du démembrement de l’Empire d’Alexandre n’appartient pas à notre sujet. Nous n’avons à suivre ni les destinées de cette famille royale du sang de Philippe et d’Alexandre, vénérée par les Macédoniens, servie par Eumène[39], trahie et enfin détruite par l’ambition des généraux, ni les révolutions qui aboutissent à la séparation de l’Orient et de l’Occident. Nous laissons l’Inde et les provinces orientales retourner à leur indépendance ; nous laissons les Séleucides et les Ptolémées Lagides imposer à l’Asie ; occidentale et à l’Égypte des dynasties grecques qui subsisteront jusqu’à la conquête romaine ; nous laissons la Macédoine elle-même rentrer dans ses limites naturelles et se contenter d’une puissance moins grandiose sous les descendants d’Antigone et de son fils Démétrius,  les plus. illustres des successeurs d’Alexandre ; nous laissons l’Epire s’épuiser avec Pyrrhus, le dernier des Eacides, dans les efforts d’une ambition à laquelle manque le génie d’Alexandre et qu’arrête la fortune naissante de Rome. Nous revenons pour quelques instants à la Grèce, ne pouvant nous résigner à la quitter sans donner quelques regrets, ou, s’il est possible, quelques consolations à ses derniers jours.

Quelque temps avant la mort d’Alexandre, un décret apporté aux Jeux Olympiques par Nicanor de Stagyre avait singulièrement agité la Grèce : le Roi de Macédoine ordonnait à toutes les cités de laisser rentrer les bannis. Cette mesure de conciliation, qui semblait devoir mettre fin aux discordes, était bien difficile à appliquer. Il fallait aussi rendre aux bannis les droits dont ils avaient été dépouillés, les biens que l’on avait confisqués et distribués à la faction triomphante. Les Etoliens avaient chassé ainsi la puissante famille des Œniades, les Athéniens avaient distribué à, leurs colons les terres de Samos. La nouvelle de la mort d’Alexandre donna carrière aux mécontentements mal contenus. Athènes se mit encore à la tête de la guerre d’indépendance que Sparte dédaigna, n’espérant pas la conduire. Un décret du peuple fut porté par toute la Grèce, ainsi conçu : Les Athéniens sont disposés à combattre encore pour la liberté grecque ; ils aideront toute cité qui voudra chasser les Macédoniens. Presque toute la Grèce répondit à cet appel, moins Sparte et la Béotie. Les Thessaliens, dont la noblesse avait tant contribué aux premiers succès d’Alexandre, passèrent aux Grecs avec Ménon de Pharsale, leur chef, et aidèrent Léosthenès à gagner la victoire de Lamia. Rhodes et même les Illyriens et les Thraces s’étaient prononcés pour la même cause. Léosthenès, tué au siège de Damia, eut avec les compagnons de ce sort glorieux l’honneur d’un éloge funèbre prononcé par Hypéride, doublement l’émule de Démosthènes, comme orateur et comme citoyen.

Mais les espérances furent de courte durée. La défaite de Cranon perdit le fruit de la victoire de Lamia, et la liberté de la Grèce périt encore une fois par ses discordes. Athènes sacrifia Démosthènes et Hypéride, et reçut une garnison macédonienne. Antipater porta le dernier coup à sa démocratie en ôtant les droits à quiconque ne possédait pas au moins une fortune de deux mille drachmes. Le nombre des citoyens se trouva réduit à neuf mille. Ils furent, dit Diodore, déclarés maîtres de la ville et de son territoire, et ils adoptèrent un gouvernement conforme aux lois de Solon. C’était le souvenir auquel Athènes revenait toujours[40].

Les Athéniens gardaient pourtant leurs inspirations généreuses. Après avoir abandonné Démosthènes, qui fut réduit à s’empoisonner, ils rendirent à sa mémoire les honneurs qu’il méritait : le peuple lui fit dresser une statue de bronze, et ordonna que l’aîné de sa, famille serait à perpétuité nourri dans le prytanée aux dépens du trésor public. Tant que la Grèce eut souvenir du passé, dit Pausanias, elle honora Démosthènes presque à l’égal des anciens héros. On grava sur le piédestal de sa statue : Démosthènes, si ton pouvoir avait égalé ton éloquence, la Grèce ne serait pas enchaînée aujourd’hui.

Les beaux temps d’Athènes étaient finis ; elle allait désormais acclamer tous les vainqueurs, et renoncer à la gloire de son passé pour le bien-être matériel et pour un repos honteux. Le rétablissement de la démocratie par Polysperchon (l’initiative des révolutions venant désormais de l’étranger) ramène sur la place publique les esclaves, les étrangers, les hommes notés d’infamie. Le premier acte de cette assemblée est la condamnation de Phocion ; les juges vont jusqu’à se couronner de fleurs. Les Chevaliers seuls protestèrent contre cette iniquité servile : ils célébraient une procession à cheval en l’honneur de Jupiter ; ils s’arrêtèrent devant la prison de Phocion, et jetèrent leurs couronnes ; la plupart ne purent retenir leurs larmes. Et Phocion devait jouir de la même expiation que Démosthènes, son adversaire politique : les Athéniens ne savaient plus que se repentir de leurs fautes. Une femme de Mégare avait recueilli ses restes : les Athéniens les firent rapporter à Athènes au tombeau de ses ancêtres, et lui élevèrent une statue de bronze. Le principal de ses accusateurs fut condamné à mort ; deux autres périrent sous les coups de son fils.

Athènes passe peu après aux mains de Cassandre, qui lui donne pour chef Démétrius de Phalère, et rétablit l’aristocratie de son père Antipater, mais en abaissant à mille drachmes le cens exigé pour les droits politiques. Démétrius (le Phalère donne dix ans de paix à sa patrie adoptive, et le peuple lui élève des statues en nombre égal aux jours de l’année. Démétrius, fils d’Antigone, s’empare du Pirée : Athènes chasse l’ancien maître pour accueillir le nouveau, et ingénieuse dans la flatterie autant que jadis dans les arts, ajoute aux dix tribus anciennes deux tribus nouvelles désignées par les noms d’Antigone et de son fils, les proclame tous deux Dieux sauveurs, leur donne des autels, des prêtres, des sacrifices. Un peu plus tard le Parthénon même devient la demeure de Démétrius, et pour l’initier à la fois aux petits et aux grands mystères, célébrés à six mois de distance, le même mois change deux fois de nom en un jour. Les hymnes des derniers poètes athéniens lui donnent l’avantage sur les Dieux parce qu’il n’est pas un simulacre de bois et de pierre, mais un corps de chair et de sang. Du reste Démétrius est bientôt oublié à son tour.

Le dernier jour de gloire d’Athènes c’est le jour où elle obtient encore pour un de ses citoyens, Callippus, l’honneur de commander l’armée grecque contre l’invasion gauloise, pour la défense de Delphes. Elle fournit mille hoplites et cinq cents cavaliers. Quand la Ligue Achéenne essaie de relever la liberté commune et les mœurs antiques, elle se refuse trois fois à l’appel du généreux Aratus : Elle n’est plus, dit Polybe, qu’un vaisseau où personne ne commande, et qui, après avoir échappé aux plus furieuses tempêtes, se brise dans le calme contre les écueils les plus visibles[41]. Sparte, jalouse et égoïste, se fait l’ennemie du dernier peuple digne du nom grec, de cette Ligue Achéenne qui donne à la Grèce son dernier enfant et son dernier héros, Philopœmen. Thèbes, morte avec Epaminondas, interdit à ses citoyens par un décret public de s’occuper des affaires générales de la Grèce et déclare le patriotisme crime d’Etat. A Thèbes, écrit Polybe, on ne laisse plus sa fortune à ses enfants, mais à ses compagnons de table, à condition de la dépenser en orgie[42].

Les Romains arrivent de toutes parts et vont recueillir le profit des discordes et de la corruption de la Grèce. Après le dernier effort des Achéens, qui n’est pas sans grandeur ni sans gloire, la Grèce, qui s’est livrée elle-même et qui a cru au désintéressement de Rome, devient province romaine comme la Macédoine, dont elle n’a pas voulu se rapprocher contre l’ennemi commun.

Sous le joug de Rome et consolée seulement par l’hommage de ses rudes vainqueurs à ses arts, à ses lettres, à sa civilisation, la Grèce paraît s’oublier longtemps. Régénérée par le christianisme, elle se retrempe après le Moyen-Âge dans les souffrances du despotisme ottoman. Et elle s’est réveillée tout à coup pour enfanter de nouveaux héros. L’enthousiasme religieux a commencé la régénération ; mais, croyons-le bien, les traditions de l’antique liberté, la mémoire de glorieux ancêtres n’agissaient pas moins sur les cœurs. Le Grec nouveau, en se levant pour la vengeance et l’affranchissement, chantait avec une joie secrète les vers héroïques d’Homère, les odes de Tyrtée, de Simonide, de Pindare, les chœurs triomphants d’Æschyle. L’imagination populaire n’était pas indifférente aux légendes de la patrie. L’antiquité de la veille, la jeunesse du lendemain ajoutaient leur prestige à toutes choses. Les combattants de Missolonghi et de Navarin croyaient voir les ombres de leurs aïeux, vainqueurs de Marathon, de Salamine, de Platées, sortir de leur tombeau pour applaudir à l’indépendance reconquise et consacrer les espérances des générations nouvelles.

 

 

 



[1] Les Argyraspides ou gardes aux boucliers d’argent furent peut-être établis à cette, époque. Ils paraissent pour la première fois dans Arrien à la bataille du Granique, mais l’historien en parle comme d’un corps déjà connu. Les hétaires ou compagnons avaient été institués sur le modèle du bataillon sacré des Thébains.

[2] La phalange, imitée par Philippe du système militaire d’Epaminondas, présentait une masse d’hommes serrés les uns contre les autres, sur seize files de profondeur, armés d’une épée et de la sarisse. La sarisse était une longue pique de sept mètres, que les rangs de derrière, appuyaient sur ceux de devant. La phalange était, dit Plutarque, une bête monstrueuse et hérissée de fer. En plaine elle était irrésistible ; mais sur un terrain inégal, elle se rompait et devenait inutile.

[3] Lycurgue contre Léocrate.

[4] L’anecdote sur sa fuite est ridicule et odieuse. Il avait 48 ans.

[5] Démosthène, Sur la couronne.

[6] Bucéphale mourut dans l’expédition des Indes. Alexandre donna son nom à une des villes qu’il fonda près de l’Indus : ce fut Bucéphalie.

[7] Justin, XI, 1.

[8] Nul d’entre les mortels, dit Arrien, parmi les Grecs ou parmi les Barbares n’a marqué sa vie par des faits plus grands ni plus nombreux... Alexandre est au premier rang parmi les guerriers... Arrien est sans contredit le meilleur historien d’Alexandre. Honoré en même temps du titre de citoyen par Athènes et par Rome, élevé dans la philosophie d’Épictète et éprouvé par l’expérience des armes, gouverneur d’une province romaine qu’il défendit habilement contre les Barbares et où il mérita le consulat ; historien patient, impartial, éclairé, nul ne pouvait mieux juger le héros, qui éleva si haut la gloire du nom grec, et le conquérant que Rome enviait encore même après César. Plutarque a fait une biographie et Quinte-Curce un roman. Arrien était né à Nicomédie au temps des Antonins.

[9] Il campe près du bois sacré d’Iolas et laisse aux Thébains le temps du repentir. Arrien, I, 2. Les excès du sac de Thèbes doivent moins être attribués aux Macédoniens qu’il ceux de Platées, de la Phocide et autres de la Béotie. Id. ibid. Ce vaste massacre est exécuté par des compatriotes, par des Grecs, qui vengeaient d’anciennes injures... Id.

[10] Servan. On connaît les vers de Juvénal et ceux que Boileau en a imités ; la satire n’a jamais ou pour vertu d’être fidèle à l’histoire. Montesquieu, Voltaire, Robertson ont avec raison fait justice de ces préjugés toutes les fois qu’ils ont parlé d’Alexandre.

[11] Démarate, Corinthien, l’un des hétaires lui présente la sienne. Arrien. I. 4. La noblesse des cités grecques n’avait pas peu contribué à recruter les corps d’élite de l’armée macédonienne. Les Lacédémoniens seuls s’y refusèrent. La cavalerie thessalienne est souvent mentionnée par Arrien, et comme la meilleure. I, 5.

[12] Ils étaient, dit Arrien, au nombre de lieux mille. Parmi eux on trouva des Athéniens : une députation d’Athènes vint demander leur liberté ; Alexandre la refusa. Il n’y consentit qu’à son retour d’Égypte et sur une nouvelle demande.

[13] Arrien, I, 4.

[14] A Éphèse il offre de relever le temple de Diane à ses frais, à condition que son nom y serait gravé comme celui du fondateur. Les Ephésiens refusèrent.

[15] Arrien, II, 5.

[16] A Gaza, Néoptolème, un des hétaires, de la race des Eacides monte le premier à l’assaut. Arrien, II, 7.

[17] Arrien, II, 6.

[18] Arrien, id. ibid.

[19] Léonatus était un des Hétaires. C’était lui qu’Alexandre avait chargé de consoler la femme et la fille du Grand Roi après la bataille d’Issus.

[20] Les Romains, ajoute l’historien, ont suivi cette politique d’Alexandre, ne confiant jamais le proconsulat de l’Égypte à un sénateur, mais à un chevalier. Arrien, III. 3.

[21] Arrien, III, 4. 5. Darius, selon l’usage des Perses, était au centre de l’armée, entouré de sa famille et des nobles de son empire.

[22] Philotas, à l’aile droite, commandait en chef la cavalerie des Hétaires et Clitus la compagnie royale placée au premier rang. Parménion, à l’aile gauche, commandait la cavalerie du corps de Cratère ; il avait autour de lui les Pharsaliens, qui formaient l’élite des Thessaliens. Arrien, III, 5.

[23] Arrien, III, 6.

[24] L’incendie de Persépolis raconté comme une expiation de l’incendie d’Athènes n’a pas été prouvé. Persépolis, que Diodore appelait la plus riche de toutes les cités que le soleil éclaire, subsista, et plus tard on vit un satrape des Séleucides y sacrifier aux mânes de Philippe et d’Alexandre.

[25] Ici se placent dans les légendes du règne d’Alexandre le complot d’Hermolaüs qui voulait se venger d’une punition humiliante, le supplice de Philolas, l’assassinat de son père Parménien, accusés tous deux d’infidélité, le meurtre de Clitus et la persécution du philosophe Callisthène, coupables d’avoir blâmé trop librement le culte rendu à Alexandre par ses flatteurs et par les vaincus.

[26] Arrien place ce fait dans la marche à travers la Cédrosie.

[27] La constitution de Nysa était aristocratique, sous la direction d’un conseil de trois cents membres. Arrien donne, ce détail en passant, mais parle peu des institutions de l’Inde ; il avait l’intention d’en composer un ouvrage plus complet, V, 1, 2. Plus loin, Arrien dit seulement des peuples au-delà de l’Ilyphase, qu’ils vivaient en République aristocratique. Id. 5.

[28] Arrien prête sans doute ici à son héros ses connaissances géographiques. Alexandre s’en tenait encore à Hérodote ou à Homère, et trouvant des crocodiles dans l’Indus écrivait à sa trière qu’il avait découvert les sources du Nil. C’est Arrien lui-même qui l’avoue au commencement de son sixième livre. Alexandre, dit-il, fut détrompé par les Indiens.

[29] Arrien, V, 6.

[30] Ptolémée reçut, dit-on, dans cette circonstance, le surnom de Soter ou Sauveur ; mais il avouait lui-même, dit Arrien, qu’il était absent et occupé d’un autre côté.

[31] Arrien, VI, 4. Un vieux soldat béotien lui dit brusquement en le voyant contrarié : C’est le partage des héros de faire et de souffrir de grandes choses.

[32] Arrien, VI, 7.

[33] On les appelait ωματοφύλακες, Gardes du corps.

[34] Arrien, VI. 7. Ce retour fut signalé aussi par un nouvel hommage à la mémoire de Cyrus : le tombeau du fondateur de l’Empire des Perses, bien que gardé héréditairement par une famille des Mages, avait été violé et pillé ; Alexandre le fit restaurer.

[35] Arrien, VII, 1.

[36] Ces honneurs sont peu de chose si on les compare à ceux qu’Alexandre, peu de temps après, fit rendre à Ephestion, mort dans les fêtes d’Ecbatane. Il ordonna de sacrifier à Ephestion comme à un héros. Plusieurs des Hétaires consacrèrent leurs armes et leurs personnes sur le tombeau. Le rang de Chiliarque, que tenait Ephestion, resta vacant. La cavalerie des Hétaires qu’il commandait conserva soin nova et son étendard. Trois mille athlètes combattirent dans les jeux funèbres. Arrien, VII, 4.

[37] Arrien, VII, 2.

[38] Arrhidée était imbécile. Alexandra avait en outre deux sœurs, Cléopâtre et Thessalonice, et une nièce. Eurydice, née d’une autre sœur que Perdiccas fit périr. Arrhidée épousa Eurydice. Perdiccas voulut épouser Cléopâtre pour légitimer l’usurpation qu’il méditait. Cassandre épousa pour la même raison Thessalonice. Chacun des généraux voulait emprunter le prestige de ce grand roi.

[39] Eumène, d’origine barbare, et inférieur par sa naissance aux généraux macédoniens, dut son illustration au dévouement qu’il montra pour la famille d’Alexandre. Trahi par les Argyraspides, qu’il commandait, et livré à Antigone, il périt misérablement. Plutarque, Vie d’Eumène.

[40] Antipater acheva d’épuiser l’Attique en transportant dans la Thrace vingt deux mille des citoyens déchus. L’oligarchie des neuf mille dura jusqu’à l’édit de Polysperchon, qui rétablit la démocratie dans toute la Grèce.

[41] Polybe, V, 106.

[42] Polybe, XX, 4, 6.