HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848

TOME PREMIER

 

APPENDICE.

 

 

Pendant l'impression de ce premier volume de l'Histoire de la Révolution de 1848, quelques détails méritant d'être conservés nous ont été connus. Comme nous n'avons pu les placer dans l'ordre naturel qui leur était réservé, nous les consignons ici.

Le premier de ces faits, appuyé sur une proclamation lancée des barricades, le 23 février, par le citoyen Guillaume, au moment où l'on croyait vaincre l'insurrection républicaine par un simple changement de ministres, démontre de la manière la moins récusable que le mouvement était devenu démocratique-radical. Voici cette proclamation, qui fut imprimée le surlendemain dans une feuille volante que nous avons sous les yeux :

Citoyens,

Vous avez encore une fois, par votre héroïsme, mis le despotisme aux abois. Mais vous l'aviez déjà vaincu le 14 juillet 1789, le 10 août 1792, le 29 juillet 1830, et chaque fois l'on vous a ravi le bénéfice de voire victoire. Vous n'avez rien gagné pour avoir versé votre sang dans tous ces glorieux combats, et avoir vu assassiner vos femmes et vos enfants.

Que ces exemples vous instruisent enfin ! songez que, malgré le choix fait par le roi d'un ministère qui se dit patriote, vous perdrez tous les fruits de votre victoire, si vous ne vous rendez maîtres de son repaire et de celui de sa famille. Prenez don. ; à l'instant une résolution sublime et salutaire. Courez aux Tuileries, emparez-vous-en ; tenez le roi cl sa famille en bonne garde et en otages, et vous serez sauvés. N'acceptez point son abdication, qu'il ne manquera pas de donner, quand il se verra perdu. Il vous faut la déchéance de toute sa race.

Mais ayez soin ensuite de ne pas vous confier à des charlatans, à des hommes qui n'ont marqué que par leur lâcheté ou leur incapacité politique. Il ne suffit pas de vaincre, il faut profiter de la victoire ! Aux armes ! aux Tuileries ! vive la République !

 

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Le second de ces faits est relatif au déplorable événement du boulevard des Capucines : il prouve qu'avant la décharge meurtrière de la soirée, une manifestation avait déjà eu lieu devant l'hôtel de M. Guizot, sans que la troupe fit usage de ses armes ; d'où l'on peut conclure que l'ordre de faire feu sur les rassemblements de citoyens ne fut donné, à ce poste, qu'après huit heures du soir, lorsque le gouvernement croyait l'insurrection désarmée par les concessions annoncées à la Chambre des députés.

Voici cette pièce :

Paris, 27 février 1848.

Monsieur le rédacteur,

La charge meurtrière du ministère des affaires étrangères, dans la soirée du 23, charge qui a précipité ja glorieuse révolution accomplie en deux heures, par le peuple de Paris tout entier, a été précédée d'une manifestation dont l'honneur revient au 4e bataillon de la 2e légion, et à deux braves lieutenants, qui ont fait preuve, en, cette circonstance, d'un, grand courage.

Depuis le matin, le 4e bataillon, réuni à la mairie du deuxième arrondissement, faisait entendre les protestations les plus énergiques. Sans tenir aucun compté des appels tardifs à la prétendue légalité que leur adressait le colonel, M. Talabot, tous voulaient sortir, et toujours le colonel répétait qu'il n'avait reçu aucun ordre de ses supérieurs. Plusieurs détachements se précipitèrent alors dans les rues et les quartiers les plus, éloignés, en semant l'enthousiasme. Le soir, à huit heures et demie, même refus du colonel. Le bataillon, indigné, demande à grands pris des officiers pour le conduire. Le lieutenant Lefrançois, et un autre officier dont je nom doit être révélé, car c'est aussi un brave, se présentent, et, sous leur direction, cinquante hommes, formés en deux sections dont le front se développe sur la largeur des boulevards, s'avancent hardiment et en bon ordre devant la troupe de ligne, suivis d'une foule innombrable, ivre de patriotisme et de joie. Un officier de la ligne sort des rangs et demande le mot d'ordre. Point de mot d'ordre, répond fièrement notre courageux lieutenant ; nous venons faire ici une manifestation : A bas Guizot ! vive la réforme ! Et tous, peuple et gardes nationaux, de répéter ce cri patriotique. Interdit et frappé d'admiration, l'officier nous livre passage. L'ex-ministre Guizot, témoin peut-être de l'élan qu'imprimait au peuple le concours si puissant et si actif de la garde nationale, intima l'ordre d'écraser ceux qui renouvelleraient notre tentative ; et l'on sait comment ont été lâchement égorgés les généreux citoyens qui ont suivi notre exemple.

Votre dévoué concitoyen,

L. VUILLEMOT,

Chasseur de la 1re compagnie du 4e bataillon de la 2e légion.

 

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Un troisième fait, se rapportant à l'abolition de la peine de mort, mérite d'être constaté ; car il sert à prouver que, si le gouvernement provisoire eut l'insigne honneur d'avoir aboli la peine de mort, la nouvelle génération républicaine avait, immédiatement après la révolution de Février, provoqué cette grande mesure de toutes ses forces. Voici le document qui le prouve :

Nous apprenons que deux de nos confrères, disait la Gazette des hôpitaux du 29 février, ont pris l'initiative d'une pétition au gouvernement provisoire de la République pour l'abolition de la peine de mort.

Ce sont MM. les docteurs Alphonse Désirabode et Tavignot, qui ont remis, le 24 février dans la soirée, à l'Hôtel-de-Ville et entre les mains de leur ami, le citoyen Flocon, membre du gouvernement provisoire, la demande sur laquelle le pouvoir a délibéré d'une manière affirmative.

 

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Nous nous savons mauvais gré de n'avoir point préparé, dans ce premier volume, l'occasion de faire connaître les dernières paroles de Chateaubriand sur le rétablissement de la République en France ; nous les publions ici, afin que l'on puisse les y trouver lorsqu'on aura besoin d'opposer l'autorité d'un nom aristocratique aux calomnies des ennemis de la démocratie.

Si mes sympathies d'enfance sont acquises à une race de rois déchus, disait l'auteur des Essais sur les révolutions, ma raison de penseur et mon cœur de citoyen appartenaient à la République, cette reine de l'avenir.