Au peuple de Milan seul appartient la victoire. — Triste rôle que joue le roi de Piémont. — Mot de la municipalité de Gênes. — Charles-Albert marche sur Milan le lendemain de la bataille. — Mouvements du peuple de l'Allemagne. — Insurrections en Bohème, en Hongrie et dans toutes les capitales des Etats allemands. — Projet de constituer une République allemande. — Insurrection de Vienne. — Concessions de l'empereur. — Les étudiants et les Hongrois commencent la Révolution. — Caractère démocratique de cette révolution. — Combats sanglants dans les rues de Vienne. — Nouvelles concessions de l'empereur. — Esprit réactionnaire de l'aristocratie viennoise. — Armement de la bourgeoisie. — Attitude des partis à Vienne. — Révolution à Berlin. — Combats des rues pendant toute la semaine. — Le roi essaye de désarmer le peuple par quelques concessions. — Terrible nuit du dix-huit. — Attitude victorieuse des Berlinois. — Ils portent les cadavres des victimes devant le Palais et forcent le roi à se découvrir. — Proclamation mielleuse. — Changement de ministère. — Délivrance des Polonais prisonniers à Berlin. — Paroles de Mierolawski. — Bruits répandus sur la troupe. — On refait les barricades. — Le roi de Prusse et l'empereur d'Autriche cherchent à diviser le peuple allemand.Comme dans toutes les grandes révolutions déterminées par le patriotisme et l'amour de la liberté, le rôle actif appartint, à Milan, au peuple seul, c'est-à-dire aux hommes de cœur et de dévouement ; le peuple de Milan, de même que celui de Paris, se montra sublime d'abnégation, d'intrépidité et d'intelligence pendant le combat, de modération et d'humanité après la victoire. Patriotes lombards, vénitiens, piémontais, génois, suisses, parmesans, modenois, toscans, romains, tout ce qui était Italien par le cœur prit part à la lutte du peuple, soit activement, soit par ses vœux : aucune ville, aucune commune, aucun citoyen ne fit défaut. Un seul homme parmi tous, celui qui eût pu abréger la sanglante bataille engagée sous ses yeux, celui qui pouvait la prévenir, resta tranquille spectateur des efforts du patriotisme contre l'oppression, et retint, l'arme au bras, une armée impatiente de concourir à la libération de la patrie commune. Cet homme fut Charles-Albert, roi de Piémont. Et pourtant la nation et l'armée piémontaise s'étaient prononcées avec une unanimité qui ne permettait guère à celui qui marchait à leur tête de s'abstenir. La responsabilité de cette impopulaire inaction ne devait peser que sur lui et sur sa cour rétrograde : il aurait donc du dévorer ses remords et sa honte lorsqu'il apprit que les Lombards s'étaient délivrés eux-mêmes : il pouvait trouver quelques moyens de justifier sa conduite politique, sinon aux yeux des Italiens, du moins aux yeux de ses amis. Mais voilà que ce roi sans pudeur se présente tout à coup dans la lice : il marche par la route que lui ont frayée les patriotes lombards ; il court se jeter sur un ennemi que d'autres que lui ont mis en fuite ; et, après avoir été du parti de Y ordres que Radetzki représentait en Italie, il arrive après le danger, pour se placer à la tête d'une révolution à laquelle il n'a nullement contribué. Oh ! qu'il connaissait bien le cœur de ce roi, ce membre de la municipalité de Gênes qui, dans la salle du Conseil, et s'adressant au gouverneur pâlissant en face de la vérité, s'écriait : Si la République n'avait point été proclamée à Paris, nous étions trahis pour la troisième fois ! Et, en effet, sans la grande ombre de la République française qui planait alors sur les destinées futures de l'Italie, quel homme perspicace pourrait douter aujourd'hui que le cabinet de Turin n'eût fait marcher ses soldats au secours des troupes autrichiennes, contre les rebelles de Milan ! Cette conduite eût-elle été moins odieuse que celle tenue par ce même cabinet, un an après, envers l'Italie en général et envers les Génois en particulier ? Le journal de Turin l'Opinion, enregistrant le mauvais vouloir de la cour de Charles-Albert, avait bien raison lorsqu'il disait : L'instinct national a triomphé de la légalité et des ruses de la diplomatie ; l'ASTUCE de Charles-Albert a paru au grand jour ! Quel est le patriote italien qui, en présence de l'inaction calculée du chef de l'armée piémontaise, lorsque toutes les populations accouraient en masse sous les murs de Milan, ne se soit dit : On n'est pas plus incapable et plus lâche ! Le 23 mars, ce prince des codini, voulant donner le change à l'opinion publique, faisait annoncer, dans ses feuilles officielles, que le mouvement des troupes piémontaises sur la frontière n'avait d'autre objet que de tranquilliser les esprits sur la crainte d'une invasion. Et, le même jour, il annonçait qu'un colonel autrichien, sortant de Pavie, avait eu l'audace de pousser une reconnaissance sur le territoire sarde ! La formation d'une armée d'observation sur les frontières de la Lombardie était justifiée ainsi par les organes du cabinet sarde. Mais dans la soirée, Charles-Albert apprend le triomphe de l'insurrection milanaise ; il apprend à la fois que les Vénitiens ont chassé les troupes autrichiennes ; que Brescia, Mantoue, Pizzighitone et les autres places fortes de la Lombardie sont entre les mains des patriotes italiens ; il apprend encore que Modène, Parme, Plaisance ont chassé leurs princes, vassaux de l'Autriche ; Charles-Albert apprend enfin que les soldats de Radetzki sont errants dans les campagnes de la Lombardie, et que probablement ils seront obligés de déposer les armes ; Charles-Albert voit ainsi l'aire déblayée par les efforts du peuple lombard, et aussitôt il métamorphose, du matin au soir, son armée d'observation en une armée active ; il accourt à Milan pour transformer la guerre du peuple en une guerre royale ! Ce n'est pas tout : faisant doubler les étapes à ses régiments, il veut arriver assez vite pour être considéré comme le libérateur de la patrie. En habile spéculateur, il sème l'or pour récolter un royaume, se fait appeler l'épée de l'Italie, et cet enfonceur de portes ouvertes entre à Milan, précédé par des partisans qui le saluent roi de Lombardie ! Arrêtons-nous ici. L'indignation nous empêcherait de continuer d'un seul trait l'histoire de la coopération de Charles-Albert à l'affranchissement de l'Italie. Nous retrouverons bientôt à l'œuvre ce roi des codini. Détournons un moment nos regards pour suivre sur la carte de l'Europe la marche majestueuse de l'opinion républicaine et des idées françaises. Ici, l'historien de la Révolution de 1848 est embarrassé pour suivre les commotions que chaque Etat monarchique reçoit de ce tremblement de terre universel. Par quelle fatalité, heureuse pour les peuples, la monarchie autrichienne se trouva-t-elle atteinte gravement, et tout à la fois, en Italie et en Autriche, à Milan et à Vienne ? C'est que partout les peuples de 1848 n'étaient plus ceux de 1814. En Allemagne surtout, l'opinion publique avait, depuis bien des années, cessé d'être stationnaire. La Bohême et la Hongrie revendiquaient hautement les droits antérieurs de leur nationalité, au moment où des insurrections contre le despotisme éclatèrent presque à la fois à Vienne, à Berlin, à Munich et dans toutes les autres capitales des Etats secondaires de l'Allemagne. Ici, la multiplicité et la simultanéité de ces mouvements insurrectionnels sont telles, que l'historien ne sait plus par où commencer sa narration. En effet, pour être vrai en même temps que succinct, il faudrait répéter ce qu'écrivait un correspondant allemand au rédacteur d'un journal de Paris : La commotion de Paris s'est fait sentir partout. Les pétitions, les réunions, les résolutions se multiplient non-seulement dans les grandes villes, mais encore jusque dans les plus petites localités. Partout le peuple s'arme et se constitue lui-même. Les gouvernements des grands Etats de l'Autriche et de la Prusse ne sont plus maîtres du mouvement, et leurs concessions sont repoussées comme insuffisantes aussitôt qu'elles sont accordées. Le mot d'ordre : République allemande ! est donné ; il exerce son effet magique... Le cri Aux armes ! est le mot de ralliement... Les réunions de Neustadt et de Hambach ont pris la résolution de proclamer immédiatement la République. — Notre capitale est tout à fait changée depuis les graves événements de France et d'Allemagne, écrivait-on de Vienne ; on n'a rien vu de semblable depuis 1808 et 1809... — Partout le gouvernement est méconnu, disait-on en date de Berlin. On s'organise sans son concours... La situation est d'autant plus grave, qu'elle se propage dans les provinces et gagne la Pologne... — Dans le Wurtemberg, les habitants se méfient de la présence des troupes impériales. Nous sommes les amis de la France républicaine, disent-ils ; nous ne voulons pas ouvrir le passage à nos véritables, à nos seuls ennemis ! — Dans le grand-duché de Bade, dans la Bavière, dans le Wurtemberg, tous les paysans sont sous les armes. Quant aux petits princes, ils supplient, promettent tout dans leurs principautés ; mais les Allemands sont convaincus qu'ils n'auront que ce qu'ils sauront prendre. — La Bohême se lève comme la Hongrie. Le 11, il y avait une grande agitation dans les rues de Prague... Il a fallu employer la force pour empêcher une proclamation à l'Hôtel-de-Ville..., probablement la République. Il était difficile qu'en présence d'une pareille situation il n'éclatât pas des insurrections sérieuses. Elles ne se firent pas attendre. Le 13 mars, la jeunesse des Ecoles de Vienne et les députés de Presbourg, électrisés par ce qui se passait en Allemagne, se levèrent en masse, non-seulement contre l'oppression exercée par la police, mais aussi contre le gouvernement de François et de Metternich. La famille impériale était devenue odieuse ; le profond crétinisme de l'empereur, le système d'impôt ruineux établi par Metternich, et les infamies de la police, avaient rendu tout rapprochement impossible, et aucune concession ne pouvait plus empêcher ce qui arrivait. Aussi le Conseil aulique le guerre avait-il pris les mesures jugées propres à contenir tout mouvement populaire. Les portes avaient été fermées, afin de séparer la ville intérieure des faubourgs. Les troupes étaient sur pied, et c'étaient précisément des régiments croates, qui ne parlaient point l'allemand : on comptait sur ces troupes étrangères au pays pour combattre toute insurrection. Mais ce mouvement fut si général parmi les habitants et même parmi la garde bourgeoise, que toutes ces précautions furent inefficaces. Le peuple se porta d'abord sur la villa de Metternich, située sur le Renneway, et la saccagea de fond en comble. Après cet acte de vengeance populaire, la foule des étudiants, suivie de toute la population, se rendit devant la Chancellerie d'Etat. Là, les cris de Vive la constitution ! vive la liberté de la presse ! retentirent jusqu'à ce qu'un personnage inconnu parût sur le balcon. Il déclara que l'empereur satisferait, dans peu de temps, les vœux du pays, et que le peuple serait agréablement surpris. Mais, pendant que François II assurait qu'il mettait toute sa confiance dans la fidélité des Viennois, ses soldats se déployaient, et, par des feux de peloton bien nourris, ils chassaient le peuple de l'Hindenplatz. Six citoyens restaient sur le carreau, et plusieurs blessés allaient montrer leur sang dans tous les carrefours. Là, des jeunes gens, à qui l'indignation donnait l'éloquence, haranguaient le peuple. Les ouvriers, entraînés par ces discours énergiques, ne tardèrent pas à donner à l'insurrection un caractère de gravité propre à effrayer tous les agents du gouvernement. Metternich et Lediniski crurent prudent de sortir de Vienne. La nuit approchait, et la terreur avec elle. Tous les magasins se fermaient. La foule devenait plus compacte sur tous les points, et l'insurrection s'annonçait menaçante contre l'autorité. Dans plusieurs quartiers, les soldats étaient hués, siffles : un fort détachement de l'artillerie avait dû, sur l'ordre du peuple, retirer ses baïonnettes. Bientôt l'apparition de la milice bourgeoise, musique en tête, fit éclater la joie la plus bruyante parmi la population ; et en même temps que le peuple criait : Vive la constitution ! vive la liberté de la presse ! des pétitions, rédigées dans ce sens, se couvraient de signatures. Ainsi, si l'insurrection des Viennois était démocratique aux yeux des étudiants et des jeunes gens des Ecoles des beaux-arts, elle apparaissait aussi sous les formes constitutionnelles aux yeux de la milice et du commerce. C'était le Quatre-Vingt-Neuf de l'Autriche. Dans la soirée, la révolution se dessina mieux encore : le peuple se porta successivement contre l'hôtel de la police et contre la douane. Près du Prater, des combats sanglants s'engagèrent entre la troupe et les bourgeois ; ces derniers essuyèrent plusieurs feux de peloton, qui firent bien des victimes. Des charges de cavalerie auraient pu faire beaucoup de mal, si les masses populaires ne les eussent contenues. A dix heures, les étudiants étaient généralement armés avec les fusils de l'arsenal, et les troupes sortaient de la ville, dont tous les édifices publics furent occupés par des étudiants et des bourgeois. Le calme se rétablit insensiblement ; le peuple était resté maître de la capitale. On ne doutait pas que ses demandes ne fussent prises en grande considération dès le lendemain matin. En effet, le 14, à une heure, le gouvernement fit publier le décret d'organisation de la garde nationale, qui était mise sous les ordres du comte Hoyero. Un peu plus tard, le président des Etats de la basse Autriche annonça, de la part du roi, que la censure était abolie, et qu'une loi sur la liberté de la presse serait prochainement publiée[1]. La bourgeoisie laissait éclater la plus grande joie. Mais les étudiants, mais les hommes habitués à se méfier des promesses des rois, remarquèrent avec peine que l'ordonnance de convocation des Etats, appelés à donner leurs conseils sur les questions législatives et administratives, n'annonçait cette réunion que pour le 3 juillet, et plus tard, si elle ne pouvait avoir lieu avant. Ils durent naturellement supposer que ce délai cachait une arrière-pensée, qui pouvait bien être celle de compter sur le secours de l'empereur de Russie. D'un autre côté, on commentait le sens réel de l'ordonnance de l'organisation de la garde nationale, et l'on y découvrait facilement l'intention de diviser la population, en privilégiant une classe moyenne, distincte du peuple, à laquelle seulement on allait donner des armes. Le peuple, les combattants de la veille, savaient bien qu'ils avaient forcé l'empereur à changer son cabinet ; mais ils voulaient des ministres responsables, et rien n'annonçait que le nouveau ministère fût constitué dans ces conditions. A tous ces motifs de défiance, se joignait encore la présence, aux portes de Vienne, de toutes les troupes sorties de la capitale, auxquelles, assurait-on, s'étaient réunis d'autres régiments appelés des environs. Or, il ne s'agissait pas de moins de 16 à 18.000 hommes, infanterie, cavalerie et artillerie, c'est-à-dire d'une armée entière, laquelle armée venait d'être placée, par la volonté de l'empereur, sous les ordres du feld-maréchal Windischgraëtz, le grand bombardeur des villes rebelles, et l'autorité du général s'étendait aussi sur le civil. Ainsi, c'était l'état de siège, déguisé sous un autre nom, avec la dictature entre les mains d'un soldat, ayant à sa disposition une armée ; car l'ordonnance d'investiture de son commandement plaçait Windischgraëtz à la tête de toutes les autorités civiles et militaires, et lui conférait tous les pouvoirs nécessaires. Si Metternich n'était plus présent au Conseil de l'empereur ; si l'impératrice mère, la princesse Metternich et d'autres courtisans, qui s'étaient montrés les plus irrités contre la Révolution française, avaient quitté la cour[2] ; si les rédemptoristes et les jésuites avaient cru prudent de s'éloigner de Vienne ; si tous les princes de la famille impériale, qui s'étaient rendus impopulaires au suprême degré, étaient censés rentrés dans la vie privée ; si enfin les hommes qui conseillèrent les massacres de Tarnow et ceux de la Lombardie[3] s'étaient enfuis chargés des malédictions du bon peuple allemand, l'esprit du cabinet autrichien n'avait point changé par cet éloignement des chefs d'école ; de sorte que, le lendemain même de la révolution opérée par la population viennoise, les doublures des Metternich et des Bellinghausen rêvaient une Saint-Barthélemy de patriotes, plus ou moins prochaine. Les étudiants et tous les hommes dévoués à la cause de la liberté ne tardèrent pas à faire tous les rapprochements qui pouvaient leur donner la clef de ces conspirations de la peur ; et, au lieu de se conformer aux injonctions du gouvernement par lesquelles on prescrivait à tous les pères de famille, chefs de maisons, de fabriques et d'ateliers de retenir dans leur intérieur les personnes sous leur dépendance, ils conseillèrent hautement aux jeunes gens et ouvriers de ne point quitter leurs armes, ou de s'armer au plus tôt. Ce fut ainsi que, dès le 15 mars, on comptait à Vienne cinquante mille citoyens sous les armes : bourgeois, commerçants, étudiants, jeunes gens des écoles des arts, ouvriers des faubourgs, etc., se montrèrent le fusil à la main. Au milieu de tous ces Allemands, on remarquait beaucoup de Hongrois en costume national, et également armés. Nous sommes des Hongrois, il est vrai, disaient-ils aux Viennois ; mais il s'agit de l'Autriche ; il s'agit de la liberté ; vous êtes de braves gens ; nous vous soutiendrons : pas de Russes ! L'empereur d'Autriche n'avait pas de Russes, il est vrai ; mais n'avait-il pas sous la main ses régiments de la Croatie ; et ces Croates n'étaient-ils pas commandés par Windischgraëtz ! et que ne devait-on pas redouter d'un monarque abruti sous la tutelle de son ministre, et depuis longtemps dans une espèce d'enfance, d'un monarque qui pleurait comme un idiot, en présence d'événements si au-dessus de la portée de son intelligence ! Le peuple de Vienne avait donc raison de se tenir sur la défensive, car deux jours après son insurrection, une partie des troupes sorties de Vienne y était rentrée, sous prétexte de garder le palais impérial, et les autres corps campaient sur les glacis. Aussi l'avenir de l'Autriche semblait-il être à l'orage. D'un côté, les amis de la liberté, les partisans des idées françaises, demandant la véritable représentation du peuple, la véritable liberté de la presse, une véritable garde nationale, et en apparence obtenant tout de l'empereur ; de l'autre côté, la vieille société, la vieille aristocratie se révoltant contre ces concessions ; puis les tronçons du système tombé avec Metternich, cherchant à se reconstituer, et usant, à cet effet, de tous les moyens, même de la ruse, à défaut de la force qui leur échappait ; appelant à leur secours et les militaires, tous ou presque tous aristocrates, et les anciens privilégiés, et jusqu'aux rivalités provinciales et nationales ; ne reculant enfin devant l'emploi d'aucun moyen pour laisser l'Autriche en arrière de toutes les nations, en fermant la porte à toute réforme. Cette vieille aristocratie s'appuyait sur l'armée, en même temps qu'elle comptait sur la Russie et sur la Prusse. Mais elle se trouvait en présence de toute l'Allemagne lancée dans la voie du progrès, et menaçant de franchir d'un seul bond toute la distance qui séparait les monarchies absolues des républiques démocratiques ; elle avait sur ses flancs et la Bohême, qui réclamait des institutions libérales, et la Hongrie, qui demandait impérieusement une constitution particulière, qu'on lui promettait vainement depuis longues années[4]. L'Autriche était donc menacée à la fois dans ses plus belles provinces et dans ses possessions au delà des Alpes noriques. Metternich, ayant combattu sans relâche et sans modération les justes prétentions des peuples trompés tant de fois, avait fini par laisser accumuler à l'horizon de l'empire toutes les calamités qui pouvaient menacer un État ; et ces calamités fondaient tout à la fois sur l'Autriche, sur ce pays considéré comme le plus stable du monde. A peine revenu de sa première frayeur, le gouvernement autrichien apprenait qu'une sanglante révolution venait d'éclater à Berlin. Ce fut un second coup de foudre qui dérangeait bien des vues, bien des projets, mais qui ne découragea pas les incorrigibles réactionnaires de Vienne. A Berlin, comme dans tous les Etats de l'Allemagne, le peuple demandait depuis longtemps une Constitution qui consacrât les libertés publiques, et le gouvernement ne se pressait guère d'accéder à ces vœux. La population s'assemblait, pétitionnait, et faisait même entendre des menaces. Mais les troupes et les gendarmes étaient toujours là pour réprimer toute velléité d'insurrection. Le 10 mars, les délégués de la ville n'ayant pas cru devoir accepter une pétition signée depuis quelques jours, indiquèrent une nouvelle réunion pour la soirée du 13. Dans l'intervalle, le bruit se répandit que le gouvernement avait fait arrêter quelques patriotes considérés comme les provocateurs de ces pétitions : on disait aussi qu'en cas de besoin le pouvoir s'opposerait par la force à toute délibération. Ce fut un motif de plus pour stimuler la population, exaltée par ce qui se passait en France ; aussi la réunion du 13 au soir fut-elle des plus nombreuses : toute la ville y prit part. Ceux qui ne purent pas assister au club se réunirent sur les places publiques, où plus d'une collision éclata entre la troupe et les citoyens. Suivant une version très-probable, la présence d'un gendarme dans la principale réunion fut la cause déterminante des événements de cette soirée, prélude d'une insurrection sérieuse. Ce gendarme ayant été hué et poursuivi, se réfugia au poste de la place de Brandebourg ; ce poste ne tarda pas a être entouré et menacé par une multitude de citoyens. Des renforts de gardes du corps, de dragons, de cuirassiers arrivèrent, en même temps que des détachements d'infanterie : le peuple fut refoulé jusqu'aux Sept-Tilleuls, non sans quelque résistance : il y eut des citoyens blessés. En même temps, les soldats firent des charges sur la population du côté du château ; et là aussi le sang coula pendant toute la soirée. La collision fut très-tenace de la part du peuple, prés du château et du côté de la place Saint-Pierre, d'où les soldats le chassèrent le long de la Grunstrasse. Mais déjà le pont était barricadé. Comme toutes les révolutions populaires qui commencent sans armes, sans organisation et sans but arrêté, celle du 13 au soir fut vaincue par la troupe, le peuple n'ayant d'autres armes que des pierres, ni d'autres points de défense que des barricades ébauchées. Les soldats restèrent les maîtres des avenues du château, de l'arsenal, de la Banque, et firent de nombreuses arrestations. Mais le lendemain, la population virile, indignée de la conduite brutale des soldats et de leurs chefs, jura de prendre sa revanche et de venger le sang qui avait coulé. En effet, la journée du 14 eut encore ses nombreuses réunions, ses luttes et ses victimes. L'exemple de Paris, que tous les peuples brûlaient de suivre, le besoin de réformes, l'irritation excitée, par les charges et les coups de fusil de la veille, et enfin l'indécision même du roi, qui promettait toujours et ne tenait jamais, avaient exalté la population de Berlin au delà de tout ce qui s'était vu jusqu'alors. Ce jour-là, le roi rendit un décret par lequel il convoquait ses fidèles Etats pour le 3 juillet, afin, disait-il, d'arrêter, avec eux, les mesures que la régénération de l'Allemagne rendait aussi nécessaires pour la Prusse. Le peuple de Berlin fut loin de se montrer satisfait. Il demandait de grandes et immédiates réformes, et on lui répondait par une convocation, dans quatre mois, des Etats du royaume. C'était ne faire aucun cas de l'opinion publique ; et cette opinion s'exprima nettement, dans la soirée et le lendemain, en demandant à grands cris : la liberté de la presse immédiatement, et une assemblée nationale le plus tôt possible. Or, comme le peuple savait très-bien que le Conseil du roi était contraire à toute concession, il demanda aussi le changement du ministère, et son remplacement par des hommes dont les noms fussent une garantie pour la cause des libertés publiques. Les noms de MM. d'Alvensle, Schwerin, Auerswald et Camphausen furent prononcés par les bourgeois qui, eux aussi, voulaient un changement de système complet, comme les Parisiens. Ce fut dans ces pourparlers, sans succès, que s'écoulèrent la journée du 15 et une partie de celle du 16, pendant lesquelles les collisions ne cessèrent pas sur beaucoup de points entre les soldats et le peuple ; de sorte que chacune de ces journées eut encore ses victimes. Le 16 mars, quatrième jour des troubles qui agitaient Berlin, on chercha à former des Commissions de sûreté pour chaque quartier ; mais les Berlinois ne voulurent point faire partie de ces patrouilles de l'ordre, parce qu'ils voulaient autre chose que le sommeil du peuple : ils demandaient des armes ; on leur en promit. Quelques affiches parurent avoir rétabli une sorte de tranquillité ; on vit même des citoyens se promener paisiblement aux environs du château. Mais dans la soirée, la foule s'étant de nouveau portée sur la place, les soldats de la garnison prirent les armes : l'infanterie occupa le château et son voisinage ; d'autres troupes se placèrent aux Tilleuls, et la cavalerie commença à vouloir disperser les citoyens, dont les cris recommencèrent. L'hôtel du prince de Prusse fut menacé ce soir-là : des coups de fusil se firent entendre de ce côté. La cavalerie sabra les masses : il y eut encore des citoyens tués ou blessés. Cependant, comme toute l'Allemagne était alors à peu près en insurrection contre ses princes, les jeunes gens des écoles de Halle, de Breslau, de Leipsick, auxquels s'étaient joints une foule de citoyens, marchaient tous ensemble sur Berlin, où ils arrivaient le 17. Dès lors la révolution prit un caractère plus grave. Des milliers d'individus se mirent à parcourir les rues, s'arrêtant toujours devant le palais du prince de Prusse et devant l'Université, pour jeter le défi à ceux qu'ils considéraient comme représentant le parti antipopulaire. Ces individus arrachaient toutes les affiches où l'on exhortait le peuple à se montrer confiant dans les promesses du roi : ils ne cessaient de demander la liberté de la presse et une Constitution libérale. La soirée fut plus orageuse encore que celles des jours précédents : les commissaires de sûreté se montrèrent au milieu du peuple ; ils furent hués et durent se retirer. Mais les troupes se présentèrent aussi ; les roulements des tambours se firent entendre, et les soldats, poussés par leurs chefs, firent feu. Plusieurs citoyens restèrent sur la place. L'effervescence était arrivée à son comble, et l'irritation contre la troupe ne permettait plus l'espoir de voir le calme rétabli, lorsque parut, dans la matinée du 18, une proclamation du roi, longuement motivée, dans laquelle il exposait ses vues d'avenir. Avant tout, disait-il, nous demandons que l'Allemagne soit transformée d'une confédération d'Etats en un Etat fédéré. Nous reconnaissons que cela suppose une réorganisation de la Constitution fédérale, qui ne peut être mise à exécution que par l'union des princes avec les peuples ; que par conséquent, une représentation fédérale préalable soit formée de tous les Etats des pays allemands, et convoquée immédiatement. Suivait le programme de cette réorganisation allemande, dans lequel le roi de Prusse demandait : Un système militaire de défense générale pour l'Allemagne ; Un seul pavillon de l'unité allemande ; Un tribunal fédéral allemand ; Un droit commun d'indigénat allemand ; La suppression de toutes les entraves apportées au commerce et à l'industrie, en Allemagne, par les barrières. Le roi de Prusse demandait en outre : Un zollverein général, dans lequel les mêmes mesures, les mêmes poids, les mêmes droits de commerce allemand resserreraient l'union matérielle. Enfin, il proposait la liberté de la presse, avec les mêmes garanties contre l'abus, dans toute la patrie allemande. Tels sont nos vœux, ajoutait le roi ; nous chercherons de tous nos efforts à en obtenir la réalisation. Nous comptons à cet égard sur la coopération de tous nos. Confédérés allemands et de tout le peuple allemand : nous le fortifierons par l'incorporation dans nos Etats des provinces qui n'en font pas partie... Nous espérons que la réalisation de nos intentions, et même que la voie frayée feront cesser l'anxiété qui, à notre grand regret, agite en ce moment l'Allemagne, paralyse le commerce et l'industrie, divise le pays et menace de le livrer à l'anarchie. Et pour que l'accomplissement de ses intentions n'éprouvât point de retard, le roi abrogeait le décret de convocation de la Diète pour le 3 juillet, et chargeait son ministre d'Etat de faire cette convocation pour le 2 avril. Comme on le voit, c'était le renversement complet de l'ancien système : on s'apercevait que les hommes opposés aux concessions avaient cédé devant l'insurrection. Et, en effet, à la suite de cette proclamation, parut une loi qui abolissait la censure, ainsi que toutes les dispositions législatives applicables à cette censure ; mais les lois pénales en vigueur devaient être appliquées. Au surplus, ce décret confirmait les dispositions concernant le cautionnement, les déclarations et toutes les formalités ayant pour objet de donner des garanties à l'Etat. Ce n'était pas là la liberté de la presse. Néanmoins, ces concessions avaient rempli de joie les habitants de Berlin, qui se proposaient de la témoigner en illuminant le soir. Malheureusement, la journée devait aussi avoir ses terribles incidents. La foule s'étant portée sur la place du Palais pour remercier le roi, Frédéric parut au balcon et fut salué avec enthousiasme. Mais la population ne voulait point que les soldats intervinssent entre elle et le gouvernement ; elle se mit à crier en arrière ! en voyant les dragons, leur colonel en tête, se ranger sur la place du Château. Ces dragons voulurent, par une charge, faire évacuer la place : ils furent repoussés. Un instant après, ils tombaient sur le peuple, le sabre à la main. En même temps, des piquets d'infanterie placés aux portes faisaient feu sur la foule, qui se mit à crier aux armes ! Les étudiants, les bourgeois se dispersèrent dans toutes les directions et soulevèrent la ville de Berlin tout entière, comme l'avait été celle de Paris, après la fusillade du boulevard des Capucines. En un instant le peuple fut armé ; des barricades s'élevèrent partout, et le combat le plus acharné dont les rues de Berlin eussent été témoins, commença dans celte soirée, pour ne finir qu'avec le jour. La lutte des bourgeois contre la troupe, rapporte une correspondance, datée du 19, quatre heures du matin, a duré treize heures, sans qu'il fût possible d'en apercevoir la fin. Non-seulement on se battit sur la place du Château, mais partout. Il y avait vingt mille hommes de troupes engagées. Le peuple n'avait pas d'armes d'abord ; mais il s'en procura, et alors ce fut une véritable bataille. Le peuple se défendit derrière les barricades et du haut des toits. La Frédérichs et la Kœnigstadt ont été le théâtre principal de la lutte, ainsi que les quartiers entre ces deux parties de la ville. Le sang a coulé, surtout dans la Frédérichs, Leipsiger et Kœnigstrasse : là étaient les plus fortes barricades. On employa le canon à mitraille. Pendant la moitié de la nuit, la ville fut illuminée, bien qu'il fit le plus beau clair de lune... Les troupes ont perdu beaucoup d'officiers supérieurs, parce qu'on visait surtout sur eux du haut des maisons. Le tocsin a sonné toute la nuit. Un incendie a éclaté à la Fonderie royale. On dit que l'ordre était donné aux troupes de se rendre maîtresses de la ville à cinq heures. Nous craignons qu'il n'en résulte de grands malheurs. Maintenant (cinq heures) le combat paraît suspendu dans toute la ville... Cette correspondance ajoutait encore que, pendant ce dernier combat, les étudiants marchaient partout à la tête du peuple, et que les chasseurs de la garde s'étaient rangés de ce côté. Dans la matinée du 19, le peuple persista à occuper les barricades, et se tint, en armes, sur la défensive. En même temps, il remplissait la place du Château, pour demander l'éloignement des troupes. La Fonderie royale et la caserne de l'artillerie devant la porte d'Oréanenbourg étaient réduites en cendres : le peuple avait saccagé la maison du directeur des contributions, M. Kuhne, ministre des finances par intérim, ainsi que la boutique d'un gantier, nommé Wernick, qui avait livré aux soldats quelques étudiants polonais. Aucun autre excès ne fut commis ; on avait même écrit sur les portes des maisons et des boutiques : Respect à la propriété des citoyens ! Rien n'annonçant encore que les troupes sortiraient de la ville, le peuple prit la résolution de porter au palais du roi les morts et les blessés tombés dans cette nuit de deuil. Frédéric parut alors sur le balcon ; mais le peuple exigea qu'il descendît ; ce qu'il fit, accompagné de quelques-uns des hommes populaires qu'il venait de faire entrer au ministère[5]. Là, le roi fut contraint de se découvrir devant les victimes et de saluer les citoyens morts en défendant la cause du peuple, celle de la liberté. Le roi de Prusse, quoique entouré encore de ses soldats, se sentit vaincu. Une heure après, parut une proclamation mielleuse, dans laquelle il appelait les citoyens ses chers Berlinois, et les priait d'oublier ce qui venait de se passer. Il faut lire ces misérables excuses pour se faire une idée du degré de lâcheté auquel descendent les rois vaincus, lors même qu'ils nourrissent au fond de leur cœur l'espoir de la vengeance ! Cette proclamation se terminait par cette phrase : C'est à vous, habitants de ma chère ville natale, de prévenir de plus grands malheurs. Votre roi et votre ami vous en conjure par ce que vous avez de plus sacré. Reconnaissez une funeste erreur : rentrez dans le calme, enlevez vos barricades, et envoyez-moi des hommes animés de l'esprit berlinois, avec des paroles telles qu'elles conviennent vis-à-vis de votre roi, et je vous donne ma parole royale que les troupes évacueront à l'instant même toutes les rues et places, et la garnison se bornera aux bâtiments nécessaires du Château, de l'Arsenal et de quelques autres édifices, et même seulement pour un temps. Ecoutez la voix paternelle de votre roi, habitants de ma ville belle et fidèle de Berlin : oubliez ce qui s'est passé, comme je veux l'oublier moi-même, dans l'intérêt de l'avenir qui va s'ouvrir, sous la bénédiction du Ciel, pour la Prusse et, par la Prusse, pour l'Allemagne. Votre aimable reine et vraiment fidèle mère et amie, qui est très-souffrante, joint ses prières ferventes et accompagnées de larmes aux miennes. Ecrit dans la nuit du 18 au 19 mars. FRÉDÉRIC-GUILLAUME. C'était ainsi que le roi de Prusse parlait des terreurs de sa femme, et cherchait à exciter la compassion publique en faveur de la reine souffrante, en présence de tant de veuves et d'orphelins, dont les maris et les pères étaient tombés sous les balles et sous la mitraille des sicaires, lancés par lui contre son peuple bien-aimé, en vue de soutenir une domination despotique, bien chancelante, que le peuple détestait ! Le peuple, ne voyant dans la proclamation du roi autre chose que des promesses non encore exécutées à. l'égard de la sortie des troupes de la ville, ne déposa pas les armes et ne défit point les barricades. Dans l'après-midi, Frédéric-Guillaume fit annoncer qu'il avait accepté la démission de ses ministres, et que le comte d'Arnim était chargé de former un nouveau ministère, avec la présidence du Conseil. Le roi faisait connaître qu'il avait nommé le comte Schwerin ministre des cultes, M. d'Auerswald, ministre de l'intérieur. Mais il conservait les anciens ministres Stolberg et de Rohr, et donnait par intérim le portefeuille des finances à ce même Kuhne, dont les insurgés venaient de saccager la maison. Ainsi, ces changements n'étaient guère qu'un replâtrage ministériel, qui ne pouvait satisfaire l'opinion publique. Mais, le soir, on sut que le docteur Bornemann était nommé ministre de la justice : ce qui fit plaisir aux combattants. Le premier acte de ce ministère remanié fut une mesure applaudie par la population de Berlin, comme par tous les hommes de cœur de l'Europe : le roi accorda une amnistie pleine et entière à tous les individus poursuivis ou condamnés pour délits politiques ou de presse. Aussitôt les citoyens de Berlin se rendirent en foule à la prison, et portèrent en triomphe jusqu'au château le brave Mierolawski et ses compagnons d'infortune. Ce chef des victimes du despotisme tenait à la main le drapeau de l'unité allemande, noir, rouge et or, qui fut salué avec enthousiasme par la population. L'Allemagne entière ayant demandé l'unité nationale d'une patrie allemande, grande, libre et puissante, la tentative des Polonais, condamnés pour avoir voulu une patrie polonaise, unie, indépendante et libre, ne pouvait plus être considérée comme un crime de haute trahison, dirent les Polonais délivrés, dans une adresse de gratitude au peuple de Berlin... Généreux habitants de Berlin, et vous étudiants de l'Université, vous vivrez éternellement dans le souvenir, l'amour et l'estime de tous les Polonais ; car vous avez compris les premiers votre intérêt et notre intérêt national politique, et les premiers vous avez librement et énergiquement exprimé vos sentiments et vos pensées. Le 20, le nouveau ministre Schwerin, ayant réuni les étudiants armés dans la salle de l'Université, leur fit part de tout ce que le roi se proposait de faire. Le roi, dit le ministre des cultes, veut se mettre à la tête de l'Allemagne constitutionnelle ; il veut la liberté et la constitution. En conséquence, il a décidé qu'un parlement allemand serait formé sans délai. Le roi se mettra à la tête du progrès. Il compte sur la protection du peuple. Le roi, paré des couleurs allemandes, va paraître dans les rues : il compte que la jeunesse académique se groupera autour de lui. Messieurs, Vive le roi allemand ! Nous sommes les ministres responsables du roi ; mais notre âme est le roi et le progrès, la liberté est sa pensée. Vive le roi allemand ! Les étudiants se montrèrent très-froids en écoutant ce panégyrique de Frédéric-Guillaume ; ils ne parurent pas fort édifiés sur la soudaine conversion à la liberté de celui qui avait toujours repoussé le progrès. Il leur importait peu d'ailleurs que le roi de Prusse, par nécessité, se montrât paré des couleurs de l'unité allemande, et que le drapeau de l'Allemagne flottât sur son palais : ils ne lui devaient aucune reconnaissance de ce qu'il ambitionnait de devenir le chef de toute l'Allemagne. Ce que les étudiants voulaient avant tout, c'était la liberté la plus entière pour les Prussiens, comme pour le reste de l'Allemagne. Or, cette liberté, conquise par le peuple de Berlin, ne leur semblait encore ni bien définie, ni bien assurée, tant que les soldats de la royauté resteraient au sein de la ville. Ils insistèrent donc pour J'éloignement des soldats ; ce qui leur fut promis. En effet, quelques régiments sortirent de Berlin pour rentrer dans leurs garnisons, aux environs de la ville. Mais les officiers et la troupe se montraient très-aigris de leur renvoi, et l'on prévoyait, dans un avenir qui ne serait pas éloigné, que l'armée prussienne ferait la guerre au nouvel ordre de choses, quelque favorable qu'il fût pour elle. Aussi restait-on sur la défensive dans la ville de Berlin, et vivait-on au milieu d'appréhensions continuelles. Le bruit s'étant répandu tout à coup que le prince de Prusse s'était mis à la tête des troupes de la garnison, et qu'il marchait sur la capitale, le peuple rétablit en un instant toutes les barricades : Nous sommes trahis, s'écriait-on, nous avons des armes, mais point de munitions. Et aussitôt le peuple demanda que la garde des munitions fût confiée aux habitants. En attendant, de fortes patrouilles bourgeoises se rendirent de la porte de Halle au Schœnhauser-Thor pour s'assurer de ce qu'il y avait de vrai dans ces bruits alarmants, qui se trouvèrent dénués de vérité. Les bourgeois rentrèrent, et les barricades furent une seconde fois défaites. Mais le peuple continuant à se montrer méfiant, le prince de Prusse prit le parti de s'éloigner. Il fut néanmoins facile aux esprits éclairés de voir que les efforts du roi de Prusse, comme ceux de l'empereur d'Autriche, avaient dès lors pour objet de mettre à exécution le plan adopté par les réactionnaires de la France, à savoir, de grouper la bourgeoisie autour de la vieille aristocratie, afin de créer un contre-poids à la classe des travailleurs, la seule qui, avec les jeunes gens et les hommes de dévouement, fût sincèrement attachée à la cause du progrès et à la sainte devise : Liberté, égalité, fraternité ! |
[1] L'empereur a fait droit aux demandes qui lui ont été adressées hier, était-il dit dans la proclamation du président des Etats de la basse Autriche ; mais dans la ferme confiance que l'ordre et la tranquillité seront rétablis, sans qu'il soit besoin d'employer de nouveau les armes. Les mêmes assurances sont données aujourd'hui, quoique tout prenne une apparence plus inquiétante.
La solidité du trône serait ébranlée si l'empereur voulait encore s'abandonner à des espérances illusoires. Il est impossible de délibérer dans un tel moment sur ce qu'il y a à faire. Il est dans l'intérêt des pétitionnaires eux-mêmes de rétablir l'ordre. L'empereur a mis le feld-maréchal Alfred de Windischgraëtz à la tête de toutes les autorités civiles et militaires, et l'a investi de tous les pouvoirs nécessaires. S. M. espère que toute la bourgeoisie coopérera au maintien de l'ordre public.
[2] Ces deux dames et beaucoup d'autres faisaient journellement dire des messes pour préserver l'Autriche du poison révolutionnaire.
[3] Les conseillers des révoltants massacres de la Gallicie et de l'Italie étaient, assure-t-on, l'archiduc Louis, Metternich, Fiquelmont et le prince Munich-Bellinghausen.
[4] Au moment de la première révolution de Vienne, cent cinquante magnats hongrois arrivaient en députation auprès de l'empereur. Présentés à François II, l'orateur, qui portait la parole pour demander une constitution appropriée à la marche du siècle, se serait exprimé de manière à faire comprendre à l'empereur que s'il refusait, les Hongrois sauraient aider le peuple autrichien par tous les moyens en leur pouvoir.
[5] Le comte Schwerin, le comte d'Arnim et M. d'Auerswald.