HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848

TOME PREMIER

 

CHAPITRE XI.

 

 

Détails de la cérémonie funèbre consacrée aux victimes des journées de Février. — Les journaux démocrates et les clubs se liguent contre les hommes du passé. — Consistance que prennent les clubs et les Sociétés patriotiques. — But qu'ils se proposent. — Programme de la Société démocratique centrale. — Clubs des citoyens des départements et des étrangers. — Circonstances difficiles dans lesquelles les clubs débutent. — Spectacle qu'ils offrent. — Appui qu'ils trouvent dans le ministre de l'intérieur et le préfet de police. — Ledru-Rollin devient l'objet de la haine et des calomnies de tous les réactionnaires. — Effet produit par ses circulaires et ses instructions aux commissaires. — Mesures contre les compagnies d'élite de l'ancienne garde nationale. — Les chefs de la réaction poussent à un soulèvement. — Désaveu des circulaires du ministre. — Manifestation des gardes nationaux dite des bonnets a poil. — Proclamation du gouvernement provisoire. — Contre-manifestation du peuple. — Vœux qu'il exprime. — Réponse de Louis Blanc. — Réplique des délégués. — Le peuple veut soutenir le gouvernement provisoire. — Il salue ses membres de ses acclamations. — Coup d'œil général sur cette contre-manifestation. — C'est la grande revue de la République.

 

Avant de raconter les premières tentatives patentes des réactionnaires contre la République, nous devons mentionner ici la grande cérémonie funèbre consacrée aux victimes des 22, 23 et 24 Février, cérémonie dont le souvenir restera ineffaçable dans la mémoire des six cent mille personnes qui y figurèrent ou qui y assistèrent.

Les monarchies, disait à ce sujet un journal de la veille, laissent toujours derrière elles une traînée de sang, et toute victoire a son jour des morts. Telle est la loi fatale des sociétés que la force gouverne et que le glaive seul peut affranchir.

C'est demain qu'auront lieu les funérailles des derniers martyrs de la liberté. Que tous les citoyens s'en souviennent ; qu'ils fassent cortège à ces grands soldats qui nous ont laissé la République. Il faut que la mémoire des héros reste vivante au cœur des peuples !

 

Cet appel fut entendu, chaque citoyen s'empressa d'aller payer le dernier tribut de la reconnaissance publique aux mânes des hommes de cœur morts en combattant l'infâme royauté qui pesait sur la France.

Dès dix heures du matin, les boulevards, les environs du temple de la Madeleine, la place de la Concorde et celle de la Bastille se couvraient de troupes à pied et à cheval, de gardes nationaux, d'associations politiques et de corporations ouvrières, ayant chacune leur bannière aux trois couleurs. Pas un municipal, pas un sergent de ville, pas un agent de police ne gênait la circulation : le peuple n'était pas brutalement refoulé, comme sous la monarchie ; il put jouir de la plénitude de sa liberté ; et, par cela même, aucun désordre, aucune collision ne troubla cette admirable journée !

L'extérieur du temple de la Madeleine, jusqu'à mi-hauteur des colonnes, était tendu de noir, ainsi que la porte principale, au-dessus de laquelle on lisait, au milieu des décorations de drapeaux et d'immortelles, ces mots indiquant l'objet de la cérémonie funèbre :

AUX CITOYENS MORTS POUR LA LIBERTÉ.

L'intérieur était entièrement tendu de noir, liséré de blanc ; les chaises avaient été enlevées et remplacées par des bancs couverts de draperies noires.

Un superbe catafalque, de quinze mètres de longueur sur six mètres de largeur, s'élevait en avant du chœur : on y arrivait par sept marches. Ce catafalque, de dix mètres de hauteur, figurait un temple funéraire antique. Une croix grecque, en or, rayonnait au-dessus de la porte de bronze et au sommet du fronton. Six trépieds funèbres étaient placés autour du catafalque. Sur chacun des côtés on lisait : Morts pour la liberté. Enfin seize lustres d'argent brillaient suspendus à la voûte de l'église.

A midi, le gouvernement provisoire, tous les corps constitués, ainsi que. les députations générales étant arrivés, le service commença.

Pendant que le clergé de la Madeleine officiait, les nombreux artistes chargés de l'exécution des chants funèbres et nationaux firent entendre successivement : la Marche funèbre de Chérubini ; le Chœur de Rameau ; le Serment de Guillaume Tell de Rossini ; le Chœur d'Hayden ; la Prière de Moïse de Rossini, et la Marseillaise.

A une heure et demie, le cortège commença à défiler pour la Bastille. L'aspect de cette marche grave, imposante et solennelle, dans laquelle figuraient deux cent mille citoyens faisant retentir l'air de chants nationaux et salués par cinq cent mille spectateurs aux cris de Vive la République ! serait impossible à décrire, sans recourir au programme officie} qui fut exécuté.

Nous y voyons, dans l'ordre suivant : la garde nationale à cheval, musique en tête ; dragons et cuirassiers ; 1re légion, avec sa musique ; le commandant et le chef de la garde nationale avec son nombreux état-major ; deuxième partie de la 1re légion ; 29e régiment de ligne, mêlé et s'alternant avec la garde nationale et la garde mobile, armée ; 2e légion de la garde nationale, s'alternant avec le 16e léger et les bataillons de la mobile ; la 2e légion, tambours, musique et état-major en tête ; garde mobile sans armes ; 4e légion de la garde nationale et garde mobile.

Ici se trouvait la place assignée aux chœurs de l'Opéra ; mais ils durent prendre le devant pour aller s'organiser autour delà colonne de Juillet.

Après venait encore un bataillon de la garde mobile, sans armes, suivi delà 6°légion, qui avait à sa suite un autre bataillon de mobiles. Les facteurs de la poste aux lettres, entourés d'un nouveau bataillon de gardes mobiles, sans armes, marchaient après la 6e légion. Puis on voyait défiler l'Association des patriotes, drapeau en tête et chantant la Marseillaise, suivie d'un escadron de la garde nationale à cheval, d'une députation des teinturiers, qu'accompagnait la garde nationale à cheval de la banlieue. Les employés des Pompes Funèbres, et les parents des victimes. Venaient ensuite, suivant cinq voitures de deuil, quatre corbillards pavoises, simulant chacun trois cercueils, recouverts d'un linceul de soie aux trois couleurs nationales. Marchaient après les sapeurs-pompiers, sans armes, la 7e légion de la garde nationale ; les Orphéonistes, au nombre de deux mille ; la Société des Enfants de Paris ; des citoyens faisant partie du cortège ; les maîtres des cérémonies des Pompes Funèbres, en manteau de deuil ; un escadron de la garde nationale à cheval ; la musique de la 1re légion ; les élèves de Saint-Cyr et de l'École Polytechnique ; les fonctionnaires et magistrats ; un martyr (Hubert) en cabriolet ; les décorés de Juillet, formant quatorze compagnies avec quatorze drapeaux ; l'Association des relieurs ; un bataillon de la mobile ; les employés des Chemins de fer ; les élèves de plusieurs Ecoles ; les peintres en bâtiments ; les ferblantiers ; un bataillon de la mobile ; la Cour de cassation ; la Cour des comptes ; le Conseil d'Etat ; la Cour d'appel ; les Tribunaux ; les Juges de paix ; les Académies ; les Professeurs des écoles et des collèges ; un bataillon de la mobile ; les employés de l'Imprimerie nationale ; les typographes parisiens ; les porteurs des halles et marchés ; la Société de l'Accord ; la 1re légion de la banlieue ; l'École d'Alfort ; l'École Normale ; les fondeurs en cuivre ; les journalistes ; le service de santé de la Ville ; les chefs des corps de passage ou isolés ; les faisceaux de la République ; les blessés des trois jours, portant deux étendards à leur tête.

Au milieu de cette immense partie du cortège, défilant sur toute la largeur de la chaussée du boulevard, dont les contre-allées étaient, de distance en distance, garnies de mâts, au bout desquels flottaient de longues banderoles aux trois couleurs, s'enroulant aux candélabres du gaz et aux arbres, était le char symbolique, richement décoré. Ce char gigantesque, dont la hauteur atteignait celle d'un troisième étage, était traîné par huit chevaux, blancs comme neige, couverts de beaux caparaçons ; aux angles avaient été placés quatre faisceaux de drapeaux tricolores ; une masse de branches de laurier et de chêne le couvraient, et la statue de la République lui servait de couronnement. Sur le devant, on lisait, en lettres d'or, Vive la République ! et sur les côtés : Liberté, Egalité, Fraternité. Deux mains en bronze, jointes et serrées, symbolisaient l'union de la nation.

Les membres du gouvernement provisoire suivaient immédiatement ce char colossal : ils avaient au milieu d'eux le poète national Béranger. De gros pelotons de la garde nationale marchaient derrière le gouvernement provisoire, qui était encore suivi d'une foule de journalistes et de francs-maçons. Un bataillon de jeunes gens de la garde mobile venait après ; puis les marbriers, puis un chœur d'enfants chantant la Marseillaise, puis encore les cinq à six cents émigrés polonais résidant à Paris, ayant au milieu d'eux les enfants de l'Ecole polonaise ; puis les imprimeurs sur étoffe, la 9e légion, un bataillon de la mobile, un nouvel escadron de la garde nationale à cheval, la 3e légion de la banlieue ; le 3e régiment de ligne, un grand nombre de corporations diverses, la 11e légion, des corporations, de la garde mobile, des dragons, des artilleurs sans canons, etc., etc., fermaient la marche, dont le défilé dura trois heures et demie, au milieu de deux immenses haies vivantes, qui s'étendaient, sans interruption, depuis la Madeleine jusqu'à la Bastille, c'est-à-dire sur une longueur de six kilomètres.

La place de la Bastille était occupée par la 8e légion de la garde nationale, avec mission de réserver, au pourtour de la colonne, l'espace nécessaire au gouvernement provisoire, aux fonctionnaires et aux parents des victimes. Le cortège devait se développer soit sur les deux parties latérales du canal, soit dans la rue du Faubourg-Saint-Antoine, soit sur le reste de la place même.

Au milieu de cette vaste place, et au sommet de la colonne de Juillet, sur laquelle plane le Génie de la liberté, étaient deux grandes oriflammes, l'une noire, étoilée d'argent ; l'autre aux couleurs nationales. Tout à l'entour du monument avaient été placés vingt trépieds antiques, brûlant en jetant des flammes vertes et bleues. En avant était une espèce de portique formé de deux grandes pyramides et de trépieds. Une estrade était ménagée pour le gouvernement provisoire. Tout le pourtour était ceint de la triple banderole aux trois couleurs.

Au moment où le dernier corbillard arriva près de la colonne, les parents des victimes se précipitèrent en foule vers les caveaux et occupèrent ainsi la place réservée au gouvernement provisoire, malgré les efforts de la garde nationale. Mais il suffit de quelques paroles adressées à cette foule par le secrétaire général du gouvernement chargé de la direction de la fête, pour que l'estrade fût évacuée, et les membres de ce gouvernement se placèrent sur le terre-plein, aux cris répétés de Vive la République ! vive le gouvernement provisoire !

Le vénérable président, Dupont (de l'Eure), ayant témoigné tout le regret qu'il éprouvait d'être trahi par ses forces épuisées, se borna à déposer une couronne de lauriers et d'immortelles sur les cercueils des citoyens intrépides qui allaient bientôt reposer auprès de leurs frères, morts en 1830, également pour la cause de la liberté.

De vives et unanimes acclamations éclatèrent pendant que M. Dupont (de l'Eure) posait ces couronnes, elle cri de Vive la République ! poussé par cent mille hommes, retentit longtemps autour de la colonne.

M. Crémieux fit alors un discours analogue à la circonstance qui réunissait autour des tombeaux la population active de la capitale. Rappelant que le gouvernement déchu n'avait vécu qu'en froissant toutes les sympathies nationales et qu'en corrompant tout ce qu'il touchait :

Notre fière France, s'écria l'orateur du gouvernement, a poussé contre lui un cri unanime de réprobation, et il a disparu.

Sur ces ruines, que le temps ne relèvera pas, le peuple prit pour symbole le symbole éternel de la Révolution : Liberté, égalité, fraternité.

Liberté, égalité, fraternité ! C'est là, citoyens, la condamnation du passé et l'œuvre du présent, de l'avenir. Prenons, à tout jamais, pour but, pour unique moyen de gouvernement, la morale et la justice. Vive la République !

 

Et ce cri fut unanimement répété par tout le cortège.

Honneur à tout jamais aux glorieuses victimes de notre Révolution ! reprit Dupont (de l'Eure).

Et comme en ce moment on entendit le cri de Vive Dupont (de l'Eure) ! Mes amis, dit le président du gouvernement provisoire, criez, crions tous : Vive la République !

Ainsi se termina cette grande cérémonie funèbre, qui peut être considérée comme la première convocation faite par la République à ce peuple de Paris qui l'avait fondée ; convocation à laquelle cette immense population assista fraternellement et sans aucune arrière-pensée de vengeance.

Quelques jours après, on lisait dans le journal anglais le Morning Advertiser, le rapport suivant, fait au meeting du 8 mars par M. Linton, l'un des membres de la députation envoyée à Paris pour féliciter le peuple français d'avoir reconquis la République :

J'ai été témoin oculaire de la cérémonie des funérailles des victimes de Février, dit cet orateur, après avoir rapporté au meeting les remerciements du peuple français et de la République ; j'ai assisté à cette grande cérémonie, et jamais plus imposant spectacle n'a captivé les regards des hommes. L'ordre le plus parfait a régné dans cette fête touchante...

Les classes moyennes, en France, paraissent bien décidées à soutenir le gouvernement provisoire. Je me suis volontairement mêlé parmi les ouvriers français, et je puis dire que parmi eux règne le sentiment le plus amical pour les ouvriers anglais.

 

Oh, certes ! les ouvriers français, comme tous les citoyens exerçant des professions libérales, comme tous les hommes instruits, ne rêvaient autre chose que l'alliance des peuples et la fraternité entre tous les hommes. Mais il existait encore en France, de même qu'ailleurs, cette incorrigible aristocratie du privilège, qui regrettait le passé et qui travaillait à en rendre le retour possible.

Ce fut contre ces hommes du passé, ayant leurs organes particuliers dans la presse elle-même, que durent se liguer et les journaux démocrates, et la plupart des clubs qui s'étaient organisés spontanément, et en grand nombre, tant à Paris que dans les autres villes de la République.

Les clubs surtout, dont quelques-uns prirent immédiatement une grande consistance, furent le rempart où vinrent se briser tous les efforts occultes et patents de la réaction.

Généralement, ces clubs, ces sociétés populaires, protestaient de leur dévouement au gouvernement provisoire ; mais c'était à la condition que ce gouvernement, à l'exemple de son parjure devancier, ne remettrait pas en place de chaque pavé une loi de compression. Dans cette conviction, ajoutaient les membres de ce club, nous venons offrir au gouvernement provisoire notre concours pour la réalisation sérieuse de la belle devise : Liberté, égalité, fraternité ![1].

Et ils publiaient leur programme eu ces termes :

Prêter un appui franc et énergique au gouvernement provisoire ; — lui présenter des observations, lui offrir des conseils, lui fournir des renseignements ; — défendre à tout jamais les vrais principes de la démocratie ; — arracher le masque dont se couvriraient des hommes d'un patriotisme suspect ; — désigner, au contraire, pour toutes les fonctions publiques, les citoyens qui n'ont pas attendu le triomphe de la République pour se dévouer à elle ; — imprimer aux corps électoraux une impulsion essentiellement démocratique ; — apporter sa part de lumière dans la discussion des réformes sociales dont l'Assemblée nationale va être saisie. — Tel est le but que poursuit la Société démocratique centrale, sous l'invocation des grands principes suivants :

1° Souveraineté du peuple, exercée par le suffrage direct et universel ; 2° la République française, une et indivisible, avec la devise : Liberté, égalité, fraternité ; 3° éducation nationale, commune, gratuite et obligatoire pour tous ; — 4° liberté des cultes ; — 5° organisation progressive du travail industriel et agricole ; — 6° abolition de l'esclavage ; — 7° répartition plus équitable de l'impôt ; — 8° liberté absolue d'association ; — 9° liberté de la presse et de tous les modes de manifestation de la pensée, sauf répression légitime par un jury populaire ; — 10° incorporation de tous les citoyens dans la garde nationale, désormais chargée, à l'exclusion de l'armée, du maintien de la paix dans la cité ; — 11° la justice gratuite ; — 12° le principe électif introduit partout où il pourra être appliqué, etc., etc.

 

A très-peu de chose près, ce programme fut généralement celui de tous les clubs démocratiques, qui surgirent, comme par enchantement, dans ces premiers jours de liberté pratique.

Le club des Amis fraternels, rue Saint-Honoré, principalement composé de travailleurs, déclara que la mission qu'il se donnait était celle de défendre la révolution sociale et politique ;

La Société des droits et des devoirs, siégeant à l'Ecole de Médecine, fit une déclaration analogue ;

Le Comité central du 3e arrondissement se forma dans le même but de soutenir les principes du gouvernement républicain, et de lui donner son appui en l'éclairant ;

La section des Quinze-Vingts, si célèbre dans notre première Révolution, ouvrit ses séances en déclarant qu'elle viendrait en aide au nouveau gouvernement qui portait le poids du jour ; qu'elle appuierait énergiquement l'Hôtel-de-Ville ; mais, ajoutait-elle, à la manière des hommes libres, en surveillant sa marche.

Bientôt, tous les quartiers de Paris se couvrirent de sociétés populaires, la plupart franchement démocratiques : chaque grand local, chaque salle de concert, chaque manège servit à l'une de ces réunions de citoyens. Il y en eut dans chacun des arrondissements de la capitale, dans chaque commune tant soit peu populeuse de la banlieue.

La Société unitaire de propagande démocratique de Passy fit prêter à ses membres le serment suivant :

Je déclare que j'adhère au gouvernement républicain ; que je repousserai de toutes mes forces un retour, quel qu'il soit, à la forme monarchique, et notamment à la régence, et enfin que je veux le développement large et sincère des principes démocratiques.

Il n'y avait pas quinze jours que la royauté avait été chassée du sol de la France, et déjà ce sol se couvrait de Sociétés patriotiques fonctionnant dans l'intérêt de la République. Chaque corporation eut la sienne, à Paris comme dans les grandes villes, et chacune de ces Sociétés s'empressa de donner son adhésion ou de faire sa manifestation. Les rues de Paris étaient journellement sillonnées par une foule de citoyens de tous les états, se rendant processionnellement à l'Hôtel-de-Ville pour assurer le gouvernement provisoire de leurs sympathies et lui présenter des pétitions.

Les départements eurent, à Paris même, leurs Sociétés patriotiques particulières : il y eut la réunion des citoyens de la Drôme, des citoyens de Vaucluse, des citoyens de l'Allier, des citoyens de la Sarthe, etc., etc.

A l'exemple des Français, les étrangers qui habitaient Paris voulurent aussi avoir leurs réunions nationales : on vit se former la Société des démocrates allemands, celle des démocrates belges, celle des démocrates italiens, polonais, etc. Chacun voulut apporter sa pierre pour édifier la nouvelle République française.

Celui qui n'aurait considéré la capitale et la France que sous l'aspect rassurant qu'offrait alors le concours de tous ces hommes de cœur et de dévouement ; celui qui n'aurait pas aperçu les manœuvres occultes de la mauvaise queue des royautés, eût pu croire que le peuple français tout entier n'avait jamais eu que des aspirations républicaines, tant la propagande des clubs et des apôtres de la démocratie avait contribué, en peu. de jours, à faire des partisans au système démocratique.

Malheureusement pour ces clubs et pour ces Sociétés populaires, leur nombre nuisit peut-être, sous quelques rapports, à la cause qu'ils voulaient servir. Tous ne prirent pas le même chemin pour arriver au but commun, et ce but ne fut pas aperçu distinctement ni par tous les bureaux ni par tous les orateurs : il y eut et il devait y avoir quelques nuances qui divisèrent, sur quelques questions, les principaux de ces foyers du républicanisme. Ce fut un malheur pour la Révolution de 1848 qu'il n'eût pas surgi un club prépondérant, une société-mère, comme le fut, de 1790 à 1794, celle des Jacobins. Tous les démocrates eussent alors marché sous le même drapeau, celui de la République ; adopté les mêmes principes démocratiques ; tandis que bien des clubs républicains de 1848 semblèrent ne marcher que sous les drapeaux de quelques hommes, et suivirent chacun la ligne politique qu'ils se traçaient isolément.

Plus malheureusement encore, les clubs s'ouvrirent dans des circonstances très-défavorables, qui nuisirent au bien qu'ils étaient appelés à faire. A peine commençaient-ils à fonctionner qu'ils eurent à s'occuper, non pas de ces graves et utiles questions de principes qui firent la réputation des Sociétés populaires de notre première Révolution, en donnant tant d'attrait à leurs débats, mais d'élections soit pour les grades de la garde nationale, soit pour le choix de candidats à la représentation du peuple. De pareilles séances, consacrées exclusivement à des affaires personnelles, durent être et furent en effet très-agitées ; car des discussions où l'amour-propre individuel est constamment en jeu sont toujours irritantes, et contribuent à former deux camps ; tandis que celles consacrées à l'éducation politique des masses tendent constamment à faire converger tous les esprits vers le même but.

Ajoutons que les séances qui remplirent les courts intervalles des élections multipliées de cette époque furent absorbées par des questions brûlantes et non moins passionnées, telles que celles du droit au travail, du secours fraternel que les peuples de la Pologne et de l'Italie réclamaient de la France, étende sorte que, pendant les deux à trois premiers mois de leur existence, les clubs furent loin de remplir la mission pacifique d'éducateurs du peuple, et ne purent guère se livrer à la discussion calme et éclairée des principes politiques et sociaux qu'ils étaient appelés à faire comprendre et apprécier aux citoyens arriérés que la révolution de Février avait surpris.

Malgré tous les désavantages de ces débuts, le peuple comprit que les luttes de la parole le prépareraient bientôt à l'exercice de ses droits ; aussi les progrès des clubs furent-ils immenses : les salles, ouvertes par quelques citoyens d'élite dévoués à la cause de la révolution, se remplirent bientôt de nombreux spectateurs attentifs : des hommes puissants par la logique parurent aux diverses tribunes qui, pour la première fois, s'ouvraient devant eux. Les citoyens timorés, qui n'avaient fait acte que d'une simple curiosité en entrant une première fois dans les clubs, y retournèrent le lendemain, et devinrent même les habitués les plus assidus de ces sociétés populaires, malgré les anathèmes que la queue de la monarchie lançait contre elles et contre ceux qui s'y montraient. C'est que l'homme qui a vécu de ces communions, si propres à l'initier à l'évangile de la liberté, de l'égalité, de la fraternité, n'y renonce que forcément.

C'était un magnifique spectacle, dit l'auteur du Prologue d'une révolution, que de voir ces hommes qui, la veille, demandaient au vin ou à la littérature pourrie du théâtre les délassements de leurs travaux, s'assembler, le soir, pour entendre la bonne nouvelle, l'évangile de la justice, et boire la parole de vie qui tombait des lèvres des initiateurs. La plupart des présidents de clubs étaient les prisonniers politiques de la monarchie ; c'étaient les confesseurs de la foi républicaine : leur vieillesse précoce, leur pâleur, les ravages ineffaçables de leur captivité rappelaient au peuple qu'ils avaient offert leur sang en témoignage de la vérité, et donnaient à leurs paroles l'autorité du martyre. Depuis, presque tous sont retournés dans les prisons qu'ils avaient quittées un instant !

 

En parlant des clubs de 1848, il ne faut pas oublier de dire que, si bien des membres du gouvernement provisoire ne tardèrent pas à redouter ces tribunes, d'où des surveillants incommodes dénonçaient journellement la tendance antirévolutionnaire de cette portion de l'autorité supérieure, et si ces membres commencèrent dès lors à faire aux sociétés patriotiques cette guerre sourde qui devait aboutir à la loi compressive dont le pasteur Coquerel se rendit le complaisant rapporteur ; si la calomnie entreprit dès alors de pousser la partie ignorante de la population contre ces redoutables foyers de lumière, deux des hommes arrivés au pouvoir par l'acclamation du peuple, Ledru-Rollin, ministre de l'intérieur, et Caussidière, préfet de police, facilitèrent de tout leur pouvoir l'établissement de ces grandes écoles de grands enfants. Dans les premiers moments, le liquidateur de l'ancienne liste civile et le ministre des travaux publics s'empressèrent de mettre à la disposition des bureaux des clubs tous les locaux qui purent leur convenir. C'est ainsi que l'on vit longtemps des sociétés populaires tenir leurs séances à l'orangerie du Louvre, à l'ancien état-major de la garde nationale, dans divers monuments publics, et jusque dans le palais de la famille d'Orléans, devenu le Palais-National. Le ministre de l'intérieur n'eut pas de peine à comprendre que les clubs seraient de puissants auxiliaires pour la République, et qu'ils pouvaient être fort utiles au moment des élections, en éclairant les citoyens. Il ne se borna donc pas à prendre sous sa protection ceux ouverts à Paris[2] : des agents actifs de propagande démocratique furent envoyés dans les départements pour y organiser les sociétés populaires et leur donner la première impulsion, celle que le peuple eût reçue partout comme étant en harmonie avec ses instincts, si la calomnie ne se fût attachée aux pas de ces apôtres de la liberté.

Depuis que Louis Blanc et Albert avaient été relégués au Luxembourg, le ministre de l'intérieur, Ledru-Rollin, et l'ancien journaliste Flocon, étaient restés presque seuls au sein du gouvernement provisoire pour représenter la véritable démocratie. Aussi Ledru-Rollin devint-il bientôt l'objet de la haine la plus violente des réactionnaires, qui, sentant trèsbien que l'ancien chef de l'opposition républicaine résumait en lui le principe révolutionnaire dans son énergie, cherchèrent dès lors à le perdre dans l'opinion publique, en l'accusant des plus graves méfaits. Il y eut, en ce moment, un accord parfait entre tous les contre-révolutionnaires de la France pour déverser sur l'homme de la Révolution les calomnies les plus poignantes : on s'empara de chacun de ses actes ministériels pour le peindre sous les couleurs les plus odieuses, afin de le faire tomber.

Dans une première circulaire adressée aux maires, le ministre leur avait tracé lé devoir facile que leur imposait la République, celui de s'unir dans une pensée commune de patriotisme et de fraternité, de travailler franchement à la constitution d'un état social qui garantît à tous et à chacun le bonheur, la sécurité, le libre exercice de ses facultés naturelles.

Appeler tous les habitants d'une même patrie à nommer leurs magistrats, imposer à ceux-ci l'obligation d'être justes et modérés, et de s'occuper sans relâche du sort du peuple ; faire circuler l'argent dans les campagnes, au moyen de bonnes lois de crédit ; associer les travailleurs aux bénéfices des capitalistes ; apprendre à tous les hommes qu'ils sont frères, les initier au bienfait de l'éducation, amener entre eux une répartition de richesses proportionnée à l'intelligence et à l'activité ; assurer à tous le travail et le bien-être, voilà, leur disait le ministre de l'intérieur, voilà la République. Quel est celui d'entre nous qui ne sera pas fier d'appartenir à une nation assez forte, assez éclairée pour choisir cette forme de gouvernement ?

Pénétrez-vous de ces vérités, citoyen maire ; expliquez-les à vos administrés. Dites-leur bien que la République ne persécute personne ; qu'elle honore tous les cultes, respecte toutes les opinions, et qu'elle augmente la prospérité et garantit la liberté de chacun. Elle n'est impitoyable que vis-à-vis les fripons et les égoïstes. Mais qui l'en accusera ? Leur règne a été assez long : il est temps que celui des honnêtes gens commence et s'affermisse...

 

Certes, ce langage, au sortir d'une révolution ayant mission de tout changer, était des plus modérés ; et pourtant la réaction, qui s'attachait à tous les pas du ministre de l'intérieur, commença à lui faire un crime d'avoir dit que le règne des fripons et des égoïstes était fini. Les hommes de la monarchie ne pouvaient se résoudre à être mis de côté par la République : sortis par une porte, on les voyait reparaître sur la scène par une autre issue ; les faire renoncer à être quelque chose dans le nouveau gouvernement, c'était leur donner la mort ; car ces gens-là.ne pouvaient vivre qu'à l'ombre du pouvoir et attachés au budget.

Bientôt parut une première lettre adressée par le même ministre aux commissaires envoyés dans les départements. Elle leur traçait la marche qu'ils devaient suivre pour faire adopter et aimer la République par ceux-là même qui avaient si longtemps repoussé cette forme de gouvernement.

Votre premier soin, leur disait-il, aura donc été de faire comprendre que la République est exempte de toute idée de vengeance.

Toutefois, que cette générosité ne dégénère pas en faiblesse. En vous abstenant de toutes recherches contre les opinions et les actes politiques antérieurs, prenez comme règle que les fonctions politiques, à quelque degré de la hiérarchie que ce soit, ne peuvent être confiées qu'à des républicains éprouvés. Le pouvoir méprisable que le souffle populaire a fait disparaître avait infecté de sa corruption tous les rouages de l'administration. Les hommes qui ont obéi à ses instructions ne peuvent servir le peuple. Au moment solennel où, recouvrant la plénitude de sa puissance, il va descendre dans ses comices pour y désigner ses élus, il faut que ses magistrats soient profondément pénétrés de son esprit et dévoués de cœur à sa cause. Le salut de la patrie est à ce prix. Si nous marchons avec fermeté dans la voie de la Révolution, aucune limite ne peut être assignée à sa grandeur, à sa prospérité ; si nous nous attiédissons, tout est à craindre. A la tête de chaque arrondissement, de chaque municipalité, placez des hommes sympathiques et résolus. Ne leur ménagez pas les instructions ; animez-les de votre zèle. Par les élections qui vont s'accomplir, ils tiennent dans leurs mains les destinées de la France : qu'ils donnent une Assemblée nationale capable de comprendre et d'achever l'œuvre du peuple ; en un mot, tous les hommes de la veille et pas du lendemain.

 

Puis le ministre ajoutait ces mots, qui complétaient sa pensée : Moins de rigueur à l'égard des fonctionnaires dont le rôle est purement administratif. Vous devez maintenir ceux qui, étrangers à toute action politique, ont conquis leur position par des services utiles...

En examinant sans préventions les prescriptions du ministre de l'intérieur aux commissaires du gouvernement, il eût été difficile de ne pas convenir que le langage qu'il leur tenait était non-seulement nécessaire, mais légitime, mais juste même ; car enfin, il avait la mission de fonder et d'affermir la République, et certes, il ne pouvait croire qu'elle pût être fortifiée et défendue par les hommes qui l'avaient, toute leur vie, repoussée comme une utopie aussi dangereuse qu'impraticable. Et d'ailleurs, les hommes du lendemain, eussent-ils été sincères dans leur subite conversion, professaient-ils les principes sur lesquels se fondent les Etats vraiment démocratiques ? Il était permis d'en douter ; et en recommandant aux commissaires de les éloigner des élections générales jusqu'à ce que leur éducation politique eût été refaite, le ministre ne prescrivait qu'un acte de prudence tout simple et tout naturel.

Mais ces hommes du lendemain, habitués à se considérer comme indispensables, devaient trouver la circulaire de Ledru-Rollin inique à leur égard : ils lui en gardèrent une mortelle rancune.

Ce fut bien pis lorsque, deux jours après, le même ministre, transmettant des instructions détaillées et plus précises dans les départements, disait aux commissaires :

Vos pouvoirs sont illimités. Agents d'une autorité révolutionnaire, vous êtes révolutionnaires aussi. La victoire du peuple vous a imposé le mandat de faire proclamer, de consolider son œuvre. Pour l'accomplissement de cette tâche, vous êtes investis de sa souveraineté ; vous ne relevez que de votre conscience ; vous devez faire ce que les circonstances exigent pour le salut public.

Grâce à nos mœurs, ajoutait le ministre, cette mission n'a rien de terrible. Jusqu'ici vous n'avez eu à briser aucune résistance sérieuse, et vous avez pu demeurer calmes dans votre force. Mais il ne faut pas vous faire illusion sur l'état du pays : les sentiments républicains y doivent être vivement excités, et pour cela il faut confier toutes les fonctions politiques à des hommes sûrs et sympathiques. Partout, les préfets et sous-préfets doivent être changés... Si les Conseils municipaux sont hostiles, vous les dissoudrez, et, de concert avec les maires de votre choix, vous constituerez une municipalité provisoire ; mais vous n'aurez recours à cette mesure que dans un cas de rigoureuse nécessité...

 

Passant ensuite au grand objet de sa sollicitude, qui était les élections à l'Assemblée nationale, le ministre s'exprimait ainsi :

Les élections sont votre grande œuvre : elles doivent être le salut du pays. C'est de la composition de l'Assemblée nationale que dépendent nos destinées. Il faut qu'elle soit animée de l'esprit révolutionnaire, sinon nous marchons à la guerre civile, à l'anarchie[3]. A ce sujet mettez-vous en garde contre les intrigues des hommes à double visage qui, après avoir servi la royauté, se disent les serviteurs du peuple. Ceux-là vous trompent, et vous devez leur refuser votre appui. Sachez bien que, pour briguer l'honneur de siéger à l'Assemblée nationale, il faut être pur des traditions du passé. Que votre mot d'ordre soit partout : des hommes nouveaux, et autant que possible sortant du peuple... N'écartez pas les jeunes gens : l'ardeur et la générosité sont le privilège de cet âge, et la République a besoin de ces belles qualités... Eclairez les électeurs, et répétez-leur sans cesse que le règne des hommes de la monarchie est fini.

Vous comprendrez combien ici votre tâche est grande, concluait le ministre au sujet des élections. L'éducation du pays n'est pas faite : c'est à vous de le guider. Provoquez sur tous les points de votre département la réunion de Comités électoraux ; examinez sévèrement les titres des candidats. Arrêtez-vous à ceux-là seulement qui paraissent présenter le plus de garanties à l'opinion républicaine, le plus de chances de succès. Pas de transactions, pas de complaisances ; que le jour de l'élection soit le triomphe de la révolution.

 

Il n'y avait pas dans ces instructions une pensée qui ne fût en harmonie avec la position où se trouvait la République, pas une phrase que ne pût avouer la plus rigoureuse logique, pas un mot qui ne fût dicté par l'idée suprême de la consécration de la République, pas un moyen indiqué qui pût effrayer les hommes les plus timorés ; et pourtant la réaction s'en empara avec une unanimité et une violence qui annonçaient un parti pris contre le ministre de l'intérieur.

Nous dirons cependant, comme preuve que les réactionnaires n'avaient pas été spontanément soulevés par les termes de la circulaire et des instructions de ce ministre, que le mouvement de réprobation factice contre ces instructions n'éclata ni le jour, ni le lendemain de leur publication. Bien des républicains ralliés les avaient probablement lues, sans y apercevoir ces tendances à la dictature d'une époque sanglante ; ce ne fut que sur les excitations postérieures des journaux antirévolutionnaires que, dans la soirée du 14 mars, une partie de la bourgeoisie se souleva, et cria haro contre l'homme de la Révolution. Il y eut ce soir-là, soit dans le jardin du Palais-National, soit sur les boulevards, et même dans quelques clubs, des motions violentes contre le ministre coupable d'avoir dit qu'il fallait éloigner des élections les intrigants à double visage ; coupable d'avoir écrit que, pour s'asseoir aux Conseils de la République, il était nécessaire d'être pur des traditions du passé ; contre ce ministre de la République, qui avait eu la témérité de déclarer qu'il ne fallait pas de transaction avec les hommes de la monarchie, si on voulait sérieusement asseoir la Révolution.

Ces paroles du ministre de l'intérieur, disait un journal républicain, en répondant aux feuilles de la réaction, ont irrité au dernier point la fibre dynastique, ou plutôt, elles ont fourni aux républicains par nécessité l'occasion d'éclater contre l'homme qui veut les éloigner des élections. Les journaux de MM. Thiers et Barrot semblent ne pas comprendre que la France s'est à jamais débarrassée des langes qui l'empêchaient de se mouvoir, et proclament que nous marchons à l'abomination de la désolation, parce que nous ne voulons plus de leurs patrons. Ces piteuses lamentations nous trouvent complètement insensibles... Le citoyen Ledru-Rollin a eu raison de dire à la France républicaine, que pour briguer l'honneur de siéger à l'Assemblée nationale, il faut être pur des traditions du passé, et qu'il faut que les élections soient animées de l'esprit révolutionnaire, sinon nous marchons à la guerre civile. Les ambitions s'en plaignent, les petits hommes des petits partis qui ont disparu devant le géant populaire trouvent cela fort dur, fort intolérable ; c'est ce qui doit nous prouver encore davantage que le ministre de l'intérieur a eu raison de dire ce qu'il a dit.

— Ils se sont tous ligués contre cette instruction révolutionnaire, la seule qui Jusqu'ici, porte l'empreinte d'un grand devoir, ajouta la Réforme.

Constituants de petite légalité, dynastiques de la régence, royalistes parlementaires et royalistes purs, tous les hommes et toutes les feuilles du Sonderbund bourgeois et conservateur, s'entendent à merveille pour attaquer directement ou par insinuation la très-nette et très-vigoureuse circulaire du ministre de l'intérieur. Ce premier verset a fait crier tous les aristocrates et tous les endormeurs : ils s'élèvent, les uns et les autres, contre cette condamnation vigoureuse qui met en dehors, non pas du droit, mais du service républicain les intrigants à double visage, les serviteurs de la monarchie transformés en courtisans du peuple... Et les voilà qui pointent les principes de la révolution contre la révolution même, encore sanglante et meurtrie ! Honnêtes gens ! consciences candides ! il y a longtemps que nous vous connaissons, et vos feintes larmes sur la souveraineté du peuple ne nous touchent guère !

 

Ce hourra général des contre-révolutionnaires et des républicains du lendemain aurait probablement été étouffé par la grande voix de la Révolution, qui criait au ministre démocrate : Marche ! marche toujours ! l'opinion des hommes de l'avenir te soutiendra ! si, par une coïncidence toute naturelle, puisqu'elle dérivait des dates elles-mêmes, ce soir-là, les anciens gardes nationaux de toutes les royautés ne se fussent aussi montrés fort mécontents des récentes déterminations de ce même ministre de l'intérieur à leur égard.

Par un arrêté du gouvernement provisoire, qu'avait provoqué ce ministre, les compagnies de grenadiers et de voltigeurs de la garde nationale venaient d'être supprimées, et les citoyens qui en faisaient partie devaient être inscrits immédiatement sur le contrôle de la compagnie au territoire de laquelle ils appartenaient par leur domicile.

Ce décret, rendu en conformité du principe d'égalité inscrit sur le drapeau de la garde nationale elle-même, avait en outre été motivé par des troubles et des désordres graves provenant de jalousies entre les compagnies du centre et celles dites d'élite. Il était tout naturel qu'au moment d'une réorganisation générale qui allait permettre à des milliers de travailleurs de prendre leur place dans les rangs de la garde nationale, on proscrivît des distinctions qui seraient devenues encore plus choquantes entre les anciens et les nouveaux soldats-citoyens.

Mais les grenadiers et les voltigeurs de la monarchie tenaient à leurs bonnets à poil et à leurs pompons, comme les anciens Strélitz moscovites à leur barbe : vouloir les en priver, c'était courir les chances d'une révolte.

Les habiles du parti crurent qu'ils devaient intimider le gouvernement, afin de le faire revenir sur ses décisions. Mettant à profit toutes les causes réunies de mécontentement qui venaient de surgir : les circulaires, la panique de la Banque, la détresse du commerce, l'impôt de quarante-cinq centimes, la résolution prise à l'égard des Caisses d'épargne, la réforme des bonnets à poils, etc., qui, toutes, avaient frappé plus ou moins quelques citoyens dans leur amour-propre, dans leurs transactions commerciales ou dans leurs intérêts pécuniaires ; ces habiles, qui ne paraissent jamais dans la crainte de se compromettre, mais qui tiennent tous les fils propres à faire mouvoir les partis, agirent dans l'ombre, pendant toute la soirée, dans le but de suggérer aux gardes nationaux une manifestation assez imposante pour permettre aux réactionnaires de se compter et d'essayer leurs forces. La liberté des élections, à leurs yeux compromise par les circulaires du ministre de l'intérieur, et la mesure relative aux compagnies d'élite, furent les prétextes apparents de cette levée de boucliers, qui s'organisa sous les auspices du journal la Presse ; le renvoi du ministre Ledru-Rollin en fut le but. Les contre-révolutionnaires se croyaient tellement sûrs d'obtenir ce renvoi, qu'ils en firent courir la nouvelle par avance, et que la Bourse en tressaillit de joie, comme d'une victoire remportée sur l'esprit de la Révolution. Ce soir-là, la ville fut remplie de fausses alarmes et de calomnies, dont les clubs modérés se rendirent les fougueux échos.

Profitant de ce moment d'exaltation, l'un de ces clubs chargea son bureau, composé de ce qu'il y avait naguère de plus juste-milieu[4], d'aller exprimer au gouvernement provisoire les craintes des bons citoyens sur la portée des circulaires, à l'égard de la liberté des élections.

Le gouvernement provisoire n'a chargé personne de parler en son nom à la nation, et surtout de parler un langage supérieur aux lois, répondit M. Lamartine. Ce droit, il ne l'a donné à personne, car il n'a pas voulu le prendre pour lui-même, au moment où il sortait comme une acclamation du peuple pour remplir momentanément la place pénible qu'il occupe. Il ne l'a pas voulu ; il ne l'a pas fait ; il ne le fera jamais. Croyez-en les noms des hommes qui le composent.

Soyez certains qu'avant peu de jours, le gouvernement provisoire prendra lui-même la parole ; que ce qui a pu, dans les termes, et non certes dans les intentions de ce document, blesser, inquiéter la liberté et la conscience du pays, sera expliqué, commenté, rétabli par la voix même du gouvernement tout entier.

Citoyens ! de tous les dogmes qui ont survécu aux grandes chutes de trônes et d'empires dont nous sommes témoins depuis un demi-siècle, il n'y a qu'un dogme impérissable à nos yeux, c'est celui de la souveraineté nationale, à laquelle nous ne nous permettrons jamais d'attenter nous-mêmes, et à laquelle nous ne permettrons jamais non plus qu'on attente en notre nom ou au vôtre...

 

On comprend la joie que durent éprouver les délégués de ce club de modérés en entendant ces paroles de blâme, de la bouche de M. Lamartine, contre les circulaires de Ledru-Rollin : ils les saluèrent de leurs longs applaudissements, comme l'augure d'une victoire sur l'homme qui s'était identifié avec la Révolution. Ce que les modérés voulaient avant tout, c'était la chute de Ledru-Rollin. Le langage de M. Lamartine le leur laissait pressentir. Ils coururent répandre cette grande nouvelle.

Quant aux craintes que ces modérés avaient manifestées à l'égard de la liberté des élections, ces gens-là savaient à quoi s'en tenir lorsqu'ils invoquaient le droit absolu contre un ministre de la République qui recommandait à ses agents de surveiller les conspirations du privilège. N'étaient-ils pas ces mêmes hommes qui lançaient contre les républicains de la veille un concert de malédictions, quand ces républicains défendaient, sous la monarchie, la souveraineté du peuple et le libre arbitre chez les électeurs ? La pudeur publique aurait dû leur fermer la bouche, si l'anathème lancé par le ministre démocrate contre les hommes à double visage ne les eût atteints au cœur.

La réaction s'emporte trop tôt, disait, en parlant de cette explosion, un journal qui connaissait bien les hommes du lendemain : elle n'est pas habile ; elle eût mieux fait d'attendre.

Et pourquoi aurait-elle différé d'éclater ? N'était-elle pas sûre de la chute de Ledru-Rollin ? Elle pouvait donc démasquer ses batteries et se démasquer elle-même. Qu'on lise les journaux réactionnaires de cette même soirée, et l'on sera édifié sur les moyens employés pour achever d'abattre un ennemi que ses collègues semblaient livrer pieds et poings liés.

Les mêmes manœuvres se renouvelèrent dans la matinée du 16 mars. On vit alors une foule de gardes nationaux, en uniforme, mais sans fusil, se diriger, par pelotons, vers la place de l'Hôtel-de-Ville. Ces gardes nationaux venaient principalement des quartiers ouest de la ville et des banlieues. Le peuple, étonné de ces promenades, les suivit par bandes nombreuses jusque sous les fenêtres du gouvernement provisoire.

Vers les deux heures, les gardes nationaux formaient, sur la place de Grève, une colonne de trois à quatre mille individus, s'apprêtant à aller porter leurs réclamations à l'Hôtel-de-Ville, lorsque le général en chef de la garde nationale, Cour tais, arriva, suivi de son état-major. La plupart de ces gardes nationaux réunis, s'étant laissé entraîner à cette démonstration aristocratique et réactionnaire sans en juger le caractère, il ne fut pas difficile au général de les engager à se retirer : ce qu'ils firent, aux applaudissements du peuple, qui semblait les observer.

Mais à peine la première colonne de protestants s'était-elle dissoute, qu'une seconde colonne, composée principalement de gardes nationaux de la 2e légion, arriva sur le quai de Gèvres : elle ne put pas pénétrer plus loin. Le peuple qui, lui aussi, s'était réuni en masses profondes autour de l'Hôtel-de-Ville, ne permit pas à la partie aristocratique de la garde citoyenne de peser sur les délibérations du gouvernement provisoire. Le peuple, raconte la Démocratie pacifique, se sentit le premier défenseur de l'ordre oublié par quelques milliers de gardes nationaux : il fit la police avec autant de fermeté que de modération. La colonne fut obligée de rebrousser chemin, escortée par les cris : En arrière ! Pas d'inégalité l Pas de bonnets à poil ! Et comme le peuple avait deviné le but caché de cette manifestation réactionnaire, il fit entendre le cri de : Vive Ledru-Rollin ! Le général Courtais, revenu sur les lieux, harangua de nouveau la colonne de la 2e légion, et obtint d'elle qu'elle se dissoudrait et se retirerait.

La manifestation projetée par l'ancienne garde nationale avait donc échoué.

Elle a manqué, disait un journal républicain de la veille, par la volonté calme et imposante du peuple, ce grand soldat de Paris ; des pelotons échelonnés éclairaient les avenues de la place de la Maison commune où étaient les membres du gouvernement provisoire... L'intelligence de ce peuple tant calomnié a été plus complète que celle des simples gardes nationaux, qui, naguère, se proclamaient baïonnettes intelligentes...

Un fait entre tous prouvera que cette prétendue manifestation est le résultat de quelques intrigues conduites par les meneurs : on nous cite parmi eux un secrétaire de feu l'intendant de l'ancienne liste civile, et lui-même ancien rédacteur du bureau de l'Esprit public...

— Quand même la réclamation de ces gardes nationaux eût été aussi bien fondée qu'elle était étroite, illibérale, ou plutôt irréfléchie, ajoutait la Démocratie pacifique, des hommes chargés de maintenir l'ordre public ne devaient pas donner l'exemple de la pression exercée sur le gouvernement par des promenades dans les rues. Est-ce ainsi qu'on fera renaître la confiance et le crédit ?

Au surplus, si la démarche inconsidérée de 6 à 8.000 gardes nationaux pouvait semer des inquiétudes dans la ville, le bon sens déployé dans cette occasion par le peuple et la fermeté du gouvernement vont rassurer tous les esprits, et donner à la République française une force nouvelle.

 

Le soir, parut une proclamation du gouvernement provisoire dans laquelle il déclarait que le décret sur la masse générale de la garde nationale n'avait été porté qu'après une mûre délibération par le gouvernement tout entier, et après avoir pris l'avis de l'état-major.

Le sentiment de l'égalité, ajoutait-il, a motivé cette mesure, qui se justifie, du reste, par les considérations les plus hautes d'ordre public.

Accorder à telle ou telle compagnie la faculté de se recruter elle-même et de conserver ses anciens cadres, ce serait l'accorder à toutes. On établirait ainsi un germe d'inégalité parmi les citoyens ; on aurait plusieurs familles dans une famille : l'unité et la fraternité en souffriraient... Le bon sens des citoyens reconnaîtra que le gouvernement républicain ne saurait admettre une institution fondée sur de telles bases.

 

Le gouvernement rappelait qu'il était accessible à toutes les réclamations ; mais qu'il entendait délibérer dans la plénitude de sa liberté. Il regrettait qu'une mesure mal comprise eût excité, dans la garde nationale, des manifestations contraires à l'ordre public.

Tout se serait donc borné à cette réprimande bénigne adressée aux anciens gardes nationaux par le gouvernement provisoire et par le général en chef, si les démocrates parisiens de toutes les professions ne se fussent émus de l'audace des réactionnaires ; car, le bon sens du peuple lui avait révélé aussitôt la portée de cet acte d'insubordination et de ces vœux contre-révolutionnaires. Avant de quitter les abords de l'Hôtel-de-Ville, les chefs républicains et les ouvriers s'écrièrent qu'il était indispensable qu'il y eût une contre-manifestation démocratique, afin d'en imposer à la réaction, et l'on vit Sobrier monter sur les bornes pour la prêcher de toutes ses forces.

Le soir, tous les clubs républicains de Paris et des banlieues s'organisèrent pour aller, à leur tour, féliciter le gouvernement provisoire de sa fermeté à l'égard des anciennes compagnies d'élite ; toutes les corporations furent engagées à se rendre à cette nouvelle manifestation, qu'une simple affiche mit sur pied et organisa comme par enchantement.

Dans la matinée du 17, toutes les corporations se réunirent successivement dans l'a contre-allée sud de la grande avenue aux Champs-Elysées. Bientôt une colonne immense, qui commençait aux chevaux de Marly et s'étendait jusqu'au-delà de la barrière, de l'Etoile, se forma dans un ordre admirable. Les pelotons d'ouvriers se déployèrent sur dix, douze et jusqu'à vingt hommes de front ; chaque corporation, chaque club avait son drapeau, son étendard ou sa bannière tricolore en tête.

A onze heures, cette innombrable colonne s'ébranla et se mit en marche, en chantant avec ensemble tous nos chants patriotiques. Successivement elle traversa la place de la Révolution et longea les quais de la rive droite, se dirigeant vers l'Hôtel-de-Ville, dans le meilleur ordre, avec le plus grand calme, et sans pousser un seul cri de haine ou de menace. Une foule immense de curieux, conviés par un temps superbe, bordait les quais, et couvrait à la fois tous les ponts. Les croisées de toutes les maisons donnant sur les deux quais étaient, comme aux jours des grandes fêtes, encombrées de femmes et d'enfants. A l'Hôtel-de-Ville et sur le quai de la rive gauche, on voyait du monde jusque sur les toits.

Lorsque la tête de la colonne fut arrivée sur la place de l'Hôtel-de-Ville, elle se replia plusieurs fois sur elle-même pour former un massif vivant et compact devant le siège du gouvernement ; en ce moment, la queue de la colonne n'était encore qu'au Louvre, et de nouvelles corporations, arrivant de tous les côtés, venaient prendre place dans ce cortège de deux cent mille citoyens, salués par une haie vivante. Au-dessus de cette masse, on voyait flotter des centaines de drapeaux aux trois couleurs, sur lesquels on lisait, avec le nom de chaque corporation, ces mots sacrés pour le peuple : Vive la République ! — liberté, égalité, fraternité !

Les ouvriers n'avaient qu'un but : faire acte de leur concours absolu au gouvernement provisoire pour la défense des principes démocratiques : leur manifestation fut une, complète, magnifique.

Les délégués, étant montés à l'Hôtel-de-Ville pour y lire leur adresse, y furent reçus fraternellement par le gouvernement provisoire tout entier, réuni pour écouter les vœux du peuple.

Citoyens du gouvernement provisoire, dit l'un de ces délégués, le citoyen Gérard, vous avez proclamé que vous vouliez la révolution, la souveraineté du peuple, la démocratie, la République, une constitution faite par une Assemblée nationale. Vous avez déclaré que tous les citoyens étaient gardes nationaux, et que tous devaient concourir aux élections de la garde nationale.

Vous avez encore déclaré que vous vouliez de véritables élections, une véritable garde nationale, une véritable Assemblée nationale ; c'est pourquoi nous nous sommes ralliés autour de vous et vous avons donné notre appui...

 

Puis, établissant que le défaut de temps et de préparâtes empêcherait le peuple de s'éclairer sur ses choix, et qu'il ne pourrait voter avec une entière indépendance et une parfaite connaissance de cause, les délégués, apportant le vœu du peuple de Paris, demandaient en son nom :

1° L'éloignement des troupes de Paris, non pas pour repousser des frères, mais afin de maintenir le principe démocratique, qu'il ne devait y avoir que des citoyens là où le peuple et ses représentants avaient à délibérer ;

2° L'ajournement au 5 avril des élections de la garde nationale ;

3° L'ajournement au 31 mai des élections pour l'Assemblée nationale.

Citoyens du gouvernement provisoire, ajoutaient les délégués du peuple, nous ne pouvons nous le dissimuler, des manœuvres contre-révolutionnaires pourraient mettre en danger la paix publique et la Révolution, si votre patriotisme et votre dévouement ne venaient nous sauver tous.

Hier, une manifestation menaçante avait pour but de vous ébranler ; nous y répondons aujourd'hui par une manifestation pacifique, pour vous défendre et nous défendre avec vous.

Que le gouvernement s'appuie résolument sur un peuple franc et généreux ; qu'il lui donne l'exemple de l'union, de l'unité, de la confiance et de la fermeté, et l'ordre sera solide ; comme la liberté, le commerce, le travail et l'industrie reprendront leur cours ; la République triomphera ; elle fera l'honneur de la France et accomplira le bonheur de l'humanité.

 

Louis Blanc, chargé de répondre au vœu du peuple de Paris, le fit en ces termes, après avoir remercié les délégués des paroles pleines de sympathie et de dévouement qu'ils venaient d'adresser au gouvernement provisoire :

Le gouvernement de la République est fondé sur l'opinion : il ne l'oubliera jamais. Notre force, nous le savons, est dans la force du peuple ; notre volonté doit toujours être en harmonie avec la sienne...

Les pensées d'ordre que vous avez manifestées sont la consécration de la liberté en France. Il faut que la force du peuple se montre sous l'apparence du calme : le calme est la majesté de la force.

Vous avez exprimé des vœux qui feront l'objet de nos délibérations. Vous-mêmes, citoyens, vous ne voudriez pas que le gouvernement qui est appelé à vous représenter cédât à une menace... Nous délibérerons sur les vœux que vous avez émis, et soyez sûrs que le plus ferme désir du gouvernement provisoire est de marcher avec le peuple, de vivre pour lui, et, s'il le fallait, de mourir pour lui.

Les applaudissements ayant ici interrompu l'orateur du gouvernement, un délégué en profita pour déclarer que le peuple travailleur saurait mourir pour son gouvernement provisoire, tant que celui-ci défendrait les droits et les libertés publiques.

Le vœu que vous exprimez reprit Louis Blanc, est-il le vœu général ?

— Nous avons convoqué toutes les corporations, répondit un délégué ; nous leur avons soumis ce que nous nous proposions de faire : elles ont toutes adhéré, et nous ont envoyés vers vous pour vous présenter les vœux que nous venons de vous exprimer... Quelle réponse rapporterons-nous au peuple ?

— Dites au peuple qui vous a envoyés, répondit le même membre du gouvernement provisoire, que nous ne pouvons avoir une volonté qui ne soit la sienne, et que nous ne faisons ici que garder sa propre souveraineté... Maintenant, citoyens, laissez-nous délibérer sur ces vœux, afin qu'il soit bien entendu que le gouvernement de la République ne délibère pas sous l'empire d'une menace.

— Nous ne voulons pas influencer et encore moins faire violence au gouvernement provisoire, s'écria le délégué Sobrier ; nous avons confiance en lui.

— Nous sommes venus exprimer des vœux, reprit tin autre délégué, le citoyen Cabet. Le gouvernement provisoire ne peut pas ignorer la situation du pays : il a, comme nous avons tous, besoin d'énergie pour sauver la chose publique. Nous espérons, citoyens membres du gouvernement provisoire, que voire patriotisme et votre dévouement au peuple, à la liberté, à la Révolution, trouveront les moyens de dissiper toutes les inquiétudes, et de donner à la marche révolutionnaire le caractère d'ordre, de liberté, d'union, de confiance universelle qui lui est nécessaire pour assurer le triomphe de la République et consolider ses destinées. Le gouvernement est trop sage pour ne pas vouloir délibérer, et nous, nous sommes trop amis de l'ordre et de la liberté pour ne pas lui laisser la faculté de délibérer en effet.

 

La tâche des délégués semblait être terminée, quand un autre membre du gouvernement provisoire, Ledru-Rollin[5], crut devoir prendre la parole pour dire que les commissaires dans les départements ayant été consultés sur l'ajournement des élections, on ne pouvait délibérer sur cet objet qu'autant qu'on serait éclairé sur l'état général de la France.

Nous prenons en considération les vœux de celte cité, conclut le ministre de l'intérieur, de cette cité qui donne l'initiative et l'impulsion ; mais attendez que les départements se soient prononcés : ne laissons pas dire que Paris est tout, et que le reste de la France est, pour ainsi dire, abandonné. Quand nous aurons connaissance des vœux de la France entière, par l'intermédiaire de nos commissaires, nous prendrons une résolution, à savoir, l'ajournement des élections, si cela est indispensable ; mais ce que nous voulons, ce que vous voulez tous, c'est l'établissement sérieux et pour la dernière fois de la République que nous avons proclamée sur les barricades.

— Citoyens membres du gouvernement provisoire, répondit avec beaucoup de sens le délégué Cabet, nous n'avons rien à exprimer que des opinions, que des vœux ; nous savons tous, et vous devez savoir mieux que nous la situation du pays, quelles sont les agitations des départements, quelle est l'influence des ennemis de la Révolution, de la République et du peuple.

La manifestation d'hier aurait complété votre enseignement, s'il ne l'était déjà ; et les manœuvres qu'on a eu l'audace de venir manifester jusque dans le sein de la capitale, quand les barricades ne sont pas encore effacées, ces manœuvres nous donnent à tous la conviction qu'elles se répètent et qu'elles se développent avec beaucoup plus d'énergie encore loin des yeux du gouvernement, loin de Paris. Nous avons pour nous la conviction que la République et que la Révolution sont en danger, si les élections générales ne sont pas faites avec une pleine et entière liberté de la part des citoyens, avec des délibérations assez mûres et assez réfléchies pour que nous ayons le véritable vœu du peuple et une véritable Assemblée nationale. Le gouvernement doit être ferme dans sa marche...

Citoyens du gouvernement provisoire, vous avez la plus magnifique des missions, celle de fermer à tout jamais le gouffre des révolutions... Nous vous avons exprimé un vœu ; nous vous conjurons de veiller au salut public. Maintenant nous n'avons qu'à nous retirer et à laisser délibérer le gouvernement...

— Il y a deux questions sur lesquelles on peut donner une réponse immédiate, dit alors un autre délégué ; elles ne concernent que Paris : c'est le renvoi de toute troupe soldée, et l'ajournement des élections de la garde nationale.

 

Louis Blanc répondit alors que, quoique ces deux questions pussent être résolues sans faire appel à l'opinion des départements, comme pour les élections, il n'en demandait pas moins, au nom du gouvernement provisoire, le temps de les examiner librement. Pour que nous soyons dignes de maintenir votre liberté, de travailler pour elle, ajouta-t-il, il faut avant tout que la nôtre soit respectée... Nous allons étudier profondément la question, avec le désir sincère de faire ce que le peuple demande, mais en conservant notre liberté, parce que la liberté est un devoir de conscience que vous ne voudriez pas méconnaître.

— Les délégués du peuple n'ont nullement l'intention de faire violence au gouvernement provisoire, s'écria de nouveau Sobrier, qui entendait avec peine parler toujours de pression morale, de violence ; nous avons une confiance entière au gouvernement provisoire. Nous l'avons soutenu jusqu'à présent ; nous le soutiendrons jusqu'à l'Assemblée nationale. (Oui ! oui ! toujours ! ajoutèrent les délégués.)

La circulaire du citoyen Ledru-Rollin a été approuvée par le peuple ; les départements l'approuveront comme Paris, quand ils seront éclairés.

Le peuple, vous le savez, a été héroïque pendant le combat, généreux après la victoire, magnanime assez pour ne pas punir et tout oublier. Il est calme, parce qu'il est fort. Que les mauvaises passions, que les intérêts blessés se gardent de le provoquer !

Le peuple est appelé aujourd'hui à donner la haute direction morale et sociale. Il est de son devoir de rappeler fraternellement à l'ordre ces hommes égarés, qui tenteraient encore de se maintenir en corps privilégiés dans le sein de notre égalité. Il voit d'un œil sévère ces manifestations contre celui des ministres qui a donné tant de gages à la Révolution. Le peuple vient aujourd'hui exprimer sa volonté... Que le gouvernement provisoire se rappelle à tout moment que le travail manque, et qu'il doit pourvoir à la subsistance de tous les citoyens, par le travail.

A cette heure, ceux qui marchent contre la Révolution ouvertement et sourdement, commettent un crime de lèse-humanité. Le peuple comprend ses droits et ses devoirs. Voyez, citoyens représentants du peuple, voyez ces deux cent mille citoyens qui sont là, près de vous, qui vous entourent, qui vous couvrent de leur sollicitude ! Ils vous soutiendront, soyez-en convaincus, dans toutes les mesures d'ordre, d'unité et de salut public. En ce moment, nos âmes ne forment qu'une âme : c'est la consécration du grand principe de souveraineté du peuple !...

 

Après l'improvisation du citoyen Sobrier, quelques délégués crurent nécessaire de demander si le gouvernement tout entier -approuvait la circulaire du ministre de l'intérieur. Se sentant ainsi personnellement interpellé, M. Lamartine prit la parole ; et, tout en annonçant qu'il n'ajouterait rien à ce qu'avait répondu aux délégués du peuple, avec autant de dignité que de convenance, son collègue Louis Blanc, l'éloquent orateur du gouvernement provisoire crut devoir parler longuement sur les trois demandes du peuple et sur la nécessité de laisser au gouvernement toute son autorité morale : ce fut le moyen d'éluder toute réponse à la dernière interpellation des délégués.

Comprenez donc votre pouvoir dans le nôtre, votre dignité dans la nôtre, votre indépendance dans la nôtre, dit Lamartine en terminant son argumentation, et laissez-nous, dans l'intérêt même de ce peuple, réfléchir et délibérer de sang-froid, adopter ou repousser les vœux dont vous êtes l'organe auprès de nous. Nous ne vous promettons, je ne vous promets, quant à moi, que de les peser dans notre conscience, sans peur comme sans préventions, et de décider ce qui nous paraîtra, non pas la volonté seulement du peuple de Paris, mais le droit et la volonté de toute la République !

Très-bien ! très-bien ! s'écrièrent les délégués. — Soyez sûr, monsieur Lamartine, ajouta l'un d'eux, que le peuple n'est là que pour appuyer le gouvernement provisoire. — J'en suis convaincu, répondit M. Lamartine ; mais la nation pourrait s'y tromper. Prenez garde à des réunions de ce genre, quelque belles qu'elles soient[6] : les dix-huit brumaire du peuple pourraient amener, contre son gré, les dix-huit brumaire du despotisme ; et nous ne voulons ni de l'un ni de l'autre !

La députation se retira, en protestant de nouveau que le peuple n'avait nullement pensé à un dix-huit brumaire quelconque.

La foule le prouva en demandant à grands cris à voir les membres du gouvernement provisoire. Ceux-ci, accédant au désir de ce peuple, si facile à contenter, descendirent et se placèrent sur une estrade élevée à la hâte devant la porte du milieu de l'Hôtel-de-Ville. Une immense acclamation se fît entendre alors ; toutes les têtes se découvrirent, les chapeaux, les casquettes, les mouchoirs furent agités, et les cris de Vive la République ! vive le gouvernement provisoire ! saluèrent les délégués de cette République si chère à tous ces hommes de cœur et de conviction.

Sur un signe que fit Louis Blanc pour annoncer qu'il voulait parler, le plus grand silence s'établit, et l'orateur du gouvernement put faire entendre ces paroles.

Au nom du gouvernement provisoire de la République, je vous remercie, citoyens, de nous avoir exprimé vos vœux ; car le gouvernement étant sorti du peuple, entend s'appuyer sur la volonté du peuple, sans lequel il ne serait rien. Vous avez compris qu'il fallait laisser la violence à ceux qui ne sont pas forts. Votre attitude a ménagé notre indépendance ; grâces vous en soient rendues. Maintenant, citoyens, et au moment de délibérer, nous vous prions de vous retirer dans le plus grand calme. Ayez confiance en nous : croyez que le jour où nous ne pourrions plus faire le bien, nous nous retirerions, et si nous retirer ne suffisait pas, nous saurions mourir.

Les cris de Vive le gouvernement provisoire ! vive la République ! accueillirent les paroles du citoyen que le peuple aimait, et la manifestation se mit à défiler dans un ordre admirable.

C'est ainsi qu'elle arriva à la Bastille, où elle fit le tour de la colonne sous laquelle reposent les glorieux martyrs de 1830 et de 1848 ; c'est ainsi qu'elle parcourut ensuite les boulevards jusqu'à son point de départ aux Champs-Elysées, où les corporations et les clubs se séparèrent, aux cris de : Vive la République !

Dans la soirée, les fenêtres des maisons furent spontanément illuminées, et la ville de Paris, éclairée par des millions de lampions et de verres de couleur, offrit le spectacle le plus féerique qu'il eût encore été donné à sa population d'admirer.

Je viens d'être témoin d'un de ces spectacles qu'il n'est pas donné à une génération de voir deux fois, écrivait, le soir même, le correspondant d'un journal des départements.

Hier la ville était triste : une partie des boutiques fermées ; les contre-révolutionnaires, les hypocrites disaient hautement qu'il y aurait des malheurs, du sang.

Aujourd'hui tout est changé. La ville présente un air de fête ; les boutiques sont ouvertes ; tout le monde est dans la rue ou aux fenêtres ; on attendait l'événement d'un air joyeux et sans crainte : le peuple était debout.

Dès le matin, de nombreux groupes d'ouvriers, de jeunes gens de tous les états traversaient Paris, drapeaux en tête, et se dirigeaient vers les Champs-Elysées, en chantant des airs patriotiques.

Peu après, les ouvriers des ateliers nationaux, venant du Champ-de-Mars, avec leurs outils, bêches, pioches, brouettes, etc., longeaient les boulevards en faisant retentir les airs de la Marseillaise et des cris de : À bas les carlistes ! à bas le torchon[7] ! Ceux-ci prenaient la direction de la Bastille, dans un ordre admirable.

Aux Champs-Elysées, cent cinquante mille hommes au moins, se trouvaient réunis par corps d'état ; citoyens en blouses, en redingotes, en habits, tout était confondu. Vers ; midi, ils s'ébranlent lentement et prennent la route des quais de la rive droite : le cortège se développe ; les mille drapeaux flottent dans les airs, et au bout d'une heure, les larges quais des Tuileries, du Louvre, de l'Ecole, etc., jusqu'à l'Hôtel-de-Ville, se couvrent d'une masse noire et compacte, mai-chant lentement, avec beaucoup d'ordre. Chaque fraction de cette longue chaîne vivante entonne les airs patriotiques, qu'elle ne cesse, de temps à autre, que pour crier : Vive la République ! vive le gouvernement provisoire ! à bas les carlistes ! à bas les factieux !

Il est impossible de décrire le coup d'œil imposant et attendrissant que ce spectacle offrait, l'ordre, la dignité observés par le peuple, qui se rangeait de temps en temps afin de laisser passer les voitures et de ne pas même interrompre la circulation. Lorsque le cortège eut littéralement couvert la place de l'Hôtel-de-Ville, les cris de Vive le gouvernement provisoire ! vive la République ! redoublèrent. On m'a dit que le peuple avait demandé les membres du gouvernement, et qu'ils étaient descendus ; placé trop loin, je n'ai pu voir qu'un immense mouvement et une acclamation qui est montée jusqu'au ciel.

Un moment après, la manifestation défilait par la rue des Coquilles, et lorsque la tête du cortège était déjà bien loin, la queue se trouvait encore au Pont-Neuf.

Un épisode étrange est venu égayer cette scène émouvante, qui faisait verser des larmes de joie et d'enthousiasme à bien des spectateurs. Vers le milieu du défilé, un essaim d'hommes habillés de noir débouchaient sur le pont d'Arcole et se rendaient, en courant, sur la place de l'Hôtel-de-Ville ; c'étaient les jeunes séminaristes irlandais, en soutane, chapeaux ronds et dans leurs habits de fête. Le cortège s'est ouvert pour les' recevoir ; lès jeunes lévites y ont pris leur place, et ont défilé avec les ouvriers et les clubs, qui venaient de les accueillir fraternellement.

Comme on le voit, la journée des oursons a eu son lendemain !

Enfin, les journaux de Paris, s'extasiant sur le coup d'une baguette magique qui avait réuni spontanément, au moyen d'une simple affiche, cent cinquante ou deux cent mille hommes, prêts à faire triompher la République démocratique, si elle eût été sérieusement mise en cause, laissaient échapper cette exclamation :

Ah ! nous avions déploré d'abord ce pauvre incident dé pompons et de petite aristocratie soulevé par les compagnies dites d'élite ! Nous avions redouté qu'une scission fatale ne s'ouvrît dans la grande famille, et que la République et la patrie n'eussent à souffrir de ce débat subalterne, indigne d'un aussi grand peuple que le nôtre.

Maintenant nos alarmes sont tombées ! Nous avons vu passer la Révolution tout entière ; nous l'avons vue s'épandre comme la mer qui va caresser le phare de ses vagues tranquilles, et nous avons compris que le droit serait désormais invincible et souverain, puisqu'il était servi, défendu par la plus formidable des armées, par tout un peuple !...

Que ceux-là qui ont fait cette journée soient bénis ! nous ne leur en voulons plus, car la République vient de passer sa grande revue, comme aux jours sacrés de notre première Révolution, et la République est immortelle, car ses phalanges se sont multipliées et son cœur s'est agrandi. La force a reçu le baptême des idées !

Si le gouvernement provisoire sait comprendre, il verra que tout est sauvé, puisque la conscience est vivante, et que le droit est fondé dans l'âme publique.

Quant au citoyen ministre de l'intérieur, les acclamations du peuple l'ont assez vengé de la coalition des calomnies et des rages aveugles de la contre-révolution !

 

 

 



[1] Adresse de la Société centrale républicaine, au gouvernement provisoire, signée Blanqui, Durrieu, Raisant, Hervé, N. Chancel, Sobrier, Grassin, Bonnier, etc.

[2] Liste des clubs existant à Paris, quinze jours après la Révolution :

Club du 10e arrondissement, salle de l'Institut.

Club siégeant aux Arts-et-.Métiers (tous les jours).

Club du Café du Nord (David), faubourg Saint-Denis (tous les jours).

Club des Travailleurs Républicains, salle Chabrol (mercredis).

Club de la Fraternité, rue des Deux-Boules (lundis).

Société Républicaine centrale, rue des Deux-Boules (tous les jours).

Club du journal l'Atelier, Maçons-Sorbonne, 3 (trois fois par semaine).

Club des Icariens (lundis et vendredis).

Club de l'Union, rue de Condé, 16 (les mardis, jeudis et samedis).

Club de la Porte-Montmartre, faubourg Montmartre, 60.

Club des Gravilliers.

Club de la Sorbonne, rue des Grès.

Club du Progrès Démocratique.

Club des Prévoyants du 1er arrondissement, rue de l'Arcade, 60.

Société des Droits et des Devoirs de l'homme, Ecole de Médecine. (Cette Société des et des Devoirs de l'homme n'était pas la même que celle des Droits de l'homme présidée par Barbes.)

Société de la rue Popincourt-Saint-Ambroise.

Société Démocratique du 3e arrondissement, rue des Vinaigriers, 27.

Club du Deux Mars, amphithéâtre du cours de chimie, à la Sorbonne (trois fois par semaine).

Club du vingt-neuf Février.

Société des Droits de l'homme (Arts-et-Métiers).

Club patriotique du 7e arrondissement, salle Molière.

Il faut ajouter h cette note très-incomplète les divers clubs d'arrondissements, les nombreuses réunions électorales, les sociétés départementales, les sociétés d'étrangers, celles des corporations, etc. Un peu plus tard, de nouveaux clubs s'ouvrirent, et quelques-uns acquirent une certaine importance, tels que le club Barbes, le club Raspail, le club Sobrier, le club Blanqui, etc.

[3] Il était facile de prévoir les malheurs qu'entraîneraient des élections propres à amener une Assemblée ou généralement contre-révolutionnaire, ou seulement composée d'éléments divers et opposés. Ne sont-ce pas les déplorables élections du mois d'avril qui ont amené et la ridicule journée du 15 mai et les journées néfastes du mois de juin ?

[4] L'orateur qui porta la parole s'appelait M. de La Valette.

[5] A cette séance solennelle assistaient tous les membres du gouvernement provisoire ; et pourtant, il n'y en eut que trois, ceux que l'on considérait comme ayant les sympathies du peuple, qui parlèrent. Les autres gardèrent un silence prudent, approbateur de tout ce qui se disait. Pourquoi ont-ils été incriminer cette belle journée dans leurs dépositions devant la haute Cour de Bourges ? C'est que le peuple n'était pas là pour leur donner un démenti.

[6] Hélas ! les traditions du règne de la démocratie étaient tellement étrangères à la plupart des membres du gouvernement provisoire de la République française de 1848, qu'au lieu de provoquer eux-mêmes ces grandes manifestations, ces beaux mouvements d'un peuple dévoué, ils les redoutaient, comme si le peuple pouvait chercher à détruire ce qu'il avait fondé lui-même et scellé de son sang, ce qui était l'objet de son culte ! Les hommes de notre première Révolution se seraient bien gardés d'empêcher les grands élans du peuple : ils avaient pour précepte qu'une surabondance de sève offrait plus de ressources que les cadavres.

[7] Pour se rendre compte de ces cris, il faut se rappeler que, dans les deux jours précédents, les légitimistes avaient fait acte de présence sur la scène politique, en arborant, pendant la nuit, bien entendu, un ou deux drapeaux blancs dans des quartiers isolés.