VI. — Protection aux lettres et aux arts. - Nouvelle génération littéraire. - Bâtiments royaux. - Plaisirs et fêtes. - Mœurs du roi et de la cour. S'il est vrai que Louis XIV se cherchât lui-même et sa
propre gloire dans les actes et les établissements les plus favorables au
bien public, rien ne justifie mieux ce reproche que son empressement à
protéger les lettres et les arts, tel qu'il nous est franchement expliqué par
Colbert. Il est sorti de ces libéralités un grand éclat littéraire,
couronnement du sigle inauguré par Richelieu ; mais elles n'en avaient pas
moins pour premier mobile l'intérêt du roi, et pour but l'organisation d'un
service de louanges perpétuelles. Il est bon,
écrit Colbert[1],
de remarquer tout ce que Sa Majesté a fait, cette
année (1662 ou 1663), pour faire fleurir les sciences et les arts libéraux
dans son royaume. Elle a fait payer des pensions à tous les savants en
quelque sorte que ce soit, dont elle a fait elle-même le choix sur la liste
de tous les gens de lettres du royaume. Elle a même voulu étendre ses
libéralités jusque dans les pays étrangers, afin de convier, par de si bons
moyens, non-seulement ceux qui sont savants à cultiver avec plus de soin les
sciences dans lesquelles ils excellent, mais même d'y attirer tous ceux qui
ont quelque talent et quelque disposition naturelle. Ces grands hommes,
charmés de se voir dans une si haute protection, et qui estiment la
reconnaissance comme la première de toutes les vertus, ont déjà formé le
dessein de faire l'histoire de ce prince en toutes façons, savoir : celle de
son règne en latin, en français, en pièces de poésie de toute sorte, en
panégyriques et autres pièces d'éloquence, et en médailles ; celle de sa vie
privée où seront en détail tous les mouvements si réglés de son esprit, et
toutes les choses qu'il a dites et faites dans lesquelles son sens admirable
parait pareillement en toute manière. Chapelain fut le grand directeur de cette fabrication. Cet homme conservait encore, malgré la Pucelle, une grande autorité parmi les lettrés. Les jeunes auteurs venaient à lui comme à l'arbitre du goût, et se félicitaient de la sagesse de ses critiques ou de son approbation. Racine, à vingt et un ans, corrigeait sur ses remarques l'Ode aux Nymphes de la Seine[2] ; le jeune abbé Fléchier refaisait, dans son Genethliacon pour la naissance du Dauphin, le portrait de la Renommée[3]. Cette importance était si invétérée que, quatre ans plus tard (1665), les magistrats des Grands Jours de Clermont interdisaient, comme un attentat aux bonnes 'meurs, la représentation d'une pièce satirique faite contre Chapelain, c'est-à-dire contre un homme d'honneur et un auteur de réputation[4]. L'éternel, l'inévitable Chapelain, comme dit un écrivain moderne[5], fut donc appelé par Colbert à étudier les moyens les plus capables de mettre en lumière la gloire du roi, médailles, vers, histoire. Il approuva l'emploi des médailles, en laissant au prince le chois entre le genre antique qui est simple, et le genre moderne qui admet les jeux d'esprit. Il. approuva l'emploi des vers, de toutes les choses durables celle qui se défend le mieux de l'injure du temps, lorsqu'une bonne main s'en mêle ; mais, à la place du poème narratif où ne peut entrer que la réalité, il conseilla le panégyrique, parce qu'il admet la fiction, et même le sonnet qui n'est pas à dédaigner quand il part d'un bon ouvrier. Quant à l'histoire, elle offrait de grandes difficultés, ou de livrer au public les secrets de la politique contemporaine, ce qui serait un danger, ou de ne pas dire ces secrets, ce qui la laisserait sans force et sans dignité, ou de ne pas rencontrer un interprète pourvu de toutes les hautes qualités qu'elle exige, à moins que M. Colbert se chargeât de cette tâche ; on y pourrait suppléer par les panégyriques à la façon de celui de Trajan[6] ; Chapelain s'empressait de découvrir et d'adresser au ministre les capacités de ce genre. Pour l'exécution de ce plan, Colbert adjoignit à Chapelain des collaborateurs. Charles Perrault, Bourzéis et Cassagne ayant été convoqués chez lui avec Chapelain (3 février 1663), après leur avoir demandé le secret sur ce qu'il allait leur dire, il leur déclara qu'il avait l'intention de former un petit conseil qu'il pût consulter sur toutes les choses qui regardent les bâtiments et où il pût entrer de l'esprit et de l'érudition. Il les invita à s'assembler chez lui deux fois par semaine, le mardi et le vendredi[7], ce qui se pratiqua dès lors régulièrement. Telle est l'origine de la petite Académie, qui devint peu à peu l'Académie des médailles et inscriptions, en attendant qu'on y joignît le nom de belles-lettres. Les bâtiments ne furent pas le seul objet des délibérations. On y travailla aux médailles, non-seulement à en trouver le dessin, mais encore à les expliquer. Le roi avait choisi le genre moderne[8], car chaque médaille eut une devise avec un corps et une âme, symboles emphatiques de l'événement ou de la vertu royale qu'elle était destinée à exalter ; on y joignit aussi l'histoire métallique ou collection des médailles reproduites par la gravure et de textes placés en regard, et exprimant par la parole le sujet de chacune. On composa par ordre, des écrits à la louange du roi, on en rassembla du dehors pour enrichir et grossir l'éloge royal. Chapelain, parlant de ce recueil, l'appelle avec son bonheur particulier d'expression : notre amas. Les auxiliaires extérieurs arrivant avec beaucoup d'empressement, on les épluchait, on les passait à l'étamine, on les induisait à retoucher ce qui était défectueux pour se rendre dignes de la publicité aux frais du roi[9]. Quand il n'y avait pas d'ouvrage de commande, dit Perrault[10], l'Académie travaillait à revoir et à corriger les ouvrages, soit de prose, soit de vers qui se composaient à la louange du roi pour les mettre en état d'être imprimés à l'imprimerie du Louvre. Mais l'honneur pouvait ne pas suffire à tous les enthousiasmes. Colbert ajouta l'appât de l'argent. Il demanda à Chapelain les noms de tous les hommes célèbres en France et à l'étranger, qui étaient dignes de recevoir des gratifications du roi[11]. C'est le commencement de ces pensions si recherchées et si vantées comme un des mérites du grand règne. Il voulait, à côté de chaque nom, l'appréciation des talents de l'homme, afin que les bienfaits du roi fussent convenablement mesurés. La littérature et la science se trouvèrent ainsi placées dans la dépendance de Chapelain. Il est vrai qu'il était bon homme, un vrai mouton, l'excuseur de toutes les fautes, comme l'appelait Voiture, et peu difficile sur le vrai talent. S'il était capable d'une partialité, c'était plutôt d'assurer les meilleures sommes à ses amis que d'exclure systématiquement personne. Il désigna à peu près tous les écrivains connus, sauf La Fontaine, depuis Corneille, Mézeray et Molière, jusqu'à Quinault, Boyer et l'abbé de Pure. Préoccupé toujours d'avoir plusieurs trompettes des vertus du roi[12], il indiqua les hommes de bonne volonté en ce genre qui méritaient des encouragements, et ceux d'une fortune médiocre qu'on obligerait à travailler beaucoup si on les excitait par les libéralités du prince : Duperrier et les deux Valois qui venaient de célébrer en latin la convalescence du roi, Lamothe-Levayer et Boyer qui faisaient la même chose en français, Fléchier le chantre de la naissance du Dauphin et des fêtes du carrousel, Cotin, auteur d'un élégant discours et d'un joli madrigal, un conseiller de Bretagne, de ses amis, pour 1.200 vers latins sur la naissance du Dauphin. A leur suite, il nommait Huet de Caen, très-bon orateur et très-bon poète latin, et un jeune homme, appelé Racine qui avait, sur ses avis, repoli une ode française[13]. Par là s'expliquent les rapprochements singuliers qui frappent les yeux dans les listes des gratifiés. Un des plus obscurs, Vion d'Hérouval, y figure en considération du travail et de l'application qu'il donne à la recherche et conservation des droits de la couronne. Douvrier est porté pour 3.000 livres, parce qu'il est chargé de trouver les devises pour immortaliser les actes du règne. Il désigna des étrangers dont la plupart n'ont laissé en France aucun souvenir : Wagenseil et Bœklerus, de Strasbourg ; Gevœrtius, historiographe à Anvers ; Hevelius, astronome à Dantzick ; Allatius, bibliothécaire du Vatican ; Heinsius, résident des Provinces-Unies à Stockholm ; Vossius, historiographe des Provinces-Unies à Windsor ; les Italiens Viviani, Borelli, Carlo Dati. Des lettres élogieuses dressées par Chapelain, signées par Colbert[14], leur furent expédiées avec accompagnement de lettres de change (fin de 1663) : Quoique le roi ne soit pas votre souverain, écrivait Colbert à Vossius, il veut être votre bienfaiteur. A quoi tendaient ces avances ? Peut-être à encourager, par toute l'Europe, le progrès de l'esprit humain dans les travaux de ces savants ? C'était surtout pour les attirer en France, comme plus tard Huyghens et Cassini, et en même temps pour en faire, dans les langues étrangères, les interprètes de l'admiration due au roi. Ainsi Wagenseil traduisit en allemand le discours, les articles et la déclaration pour le commerce au moment où la foire de Francfort offrait une heureuse occasion de répandre au loin la renommée des travaux entrepris par le roi et par Colbert[15]. Ainsi Carlo Dati se porta avec chaleur à composer en italien le panégyrique de Louis XIV ; il réclamait les mémoires les plus complets, afin de ne rien omettre des actions et des paroles du héros ; la plume la plus éloquente d'Italie allait répandre au delà des monts l'odeur des vertus de Sa Majesté[16]. Ainsi, un peu plus tard, l'Allemand Grutmeier traduira en sa langue les droits de la reine et le manifeste pour la guerre de dévolution. L'intention était si évidente qu'elle porta ombrage aux souverains étrangers ; ils y virent une critique de leur parcimonie, ou une entreprise sur la fidélité de leurs sujets. Le grand-duc de Toscane seul se sentit flatté des honneurs de Viviani. Mais Allatius, par ordre du pape (c'était le temps de l'affaire des Corses), dut refuser la gratification envoyée ; Gevœrtius fit connaître que le marquis de Castel-Rodrigo, gouverneur des Pays-Bas espagnols, regardait ces libéralités comme dangereuses au service de son prince. L'Empereur, pour ne pas paraître inférieur au roi de France, doubla la gratification de Bœklerus[17]. On a toutes les listes des gratifiés depuis 1664 jusqu'à 1683[18]. Il ressort de leur examen plusieurs remarques curieuses. Les deux mieux rentés des beaux esprits furent Mézeray : 4.000 livres, et Chapelain : 3.000 livres ; Corneille reçoit jusqu'en 1674 2.000 livres ; il disparaît à partir de 1674, réclame en 1678, et rentre en 1682. Les plus favorablement traités ensuite sont : Ménage (2.000 livres), Benserade, Huet, Charpentier, Perrault, Cassagne, Perrot d'Ablancourt, Conrart (1.500 livres). Racine commence par 600 livres en 1664, puis s'élève, en proportion de ses succès, à 800, 1.200, 1.500, enfin en 1679 à 2.000 livres. Boileau, admis en 1665 au chiffre de 1.200 livres pour lui donner le moyen de continuer son application aux belles-lettres, les garde en 1666, puis reste dix ans sans reparaître ; évidemment l'antipathie de Chapelain, après les premières satires, l'avait écarté ; la mort de Chapelain lui rouvre en 1676 l'entrée à une pension de 2.000 livres. La Fontaine ne figure sur aucune liste. Les étrangers sont régulièrement payés jusqu'en 1672 ; leur nombre est dès lors réduit à quatre ; il n'en reste aucun à partir de 1673. On peut sourire de ces variations et de ces inégalités. Mais une considération supérieure domine les détails secondaires de préférence ou de coterie. Tous les travaux intéressants ont part aux libéralités royales. On ne rencontre pas seulement sur les listes les poètes éminents ou les savants de premier ordre, tels que Cassini. Il y a place pour les érudits, Varillas, Godefroy, Baluze, Le Laboureur ; pour les hommes versés dans la théologie et l'histoire ecclésiastique, tels qu'un abbé Olier et Lecointe ; pour les grammairiens tels que Lefevre recteur en grec en l'Académie de Saumur. Ainsi toutes les facultés, toutes les activités de l'esprit humain sont mises en mouvement et soutenues par la possession ou l'espoir de la récompense. Une vive impulsion est donnée pour le contentement de l'orgueil du roi, qui va tout droit au développement le plus complet des lettres, des sciences et des arts. Voilà l'effet utile et le grand mérite des gratifications de Louis XIV. Elles furent accueillies, dès le commencement, avec une joie qui faisait pressentir leur fécondité ; on en peut juger par le remercîment de Perrot d'Ablancourt à Colbert : Sans dire que d'une épargne épuisée, vous en avez fait une plantureuse, et d'un roi qui ne vivait que d'emprunts, vous en avez fait un opulent qui fait du bien même aux inconnus, et répand ses trésors par toute la terre, il y a encore ceci de particulier et qui est digne d'admiration, c'est que, sous l'administration de ceux qui ont manié les finances auparavant, on donnait des pensions mais on ne les payait pas, au lieu que, sous la vôtre, on en paye non-seulement à ceux qui n'en ont pas, mais à ceux à qui l'on n'en a pas promis[19]. Enfin Colbert voulut essayer s'il n'y aurait pas, dans une publicité régulière, un moyen d'éveiller l'attention publique et l'activité des esprits. Il institua le Journal des Savants (1664). Denis Sallo, conseiller au Parlement, en fut le fondateur ; Chapelain y contribua, puisqu'il appelle cette publication notre journal. Le but était d'informer le public de tout ce qu'il arrivait de nouveau dans la république des lettres. Tout naturellement on joindrait à l'annonce des ouvrages une analyse pour les faire connaître, et, par une conséquence inévitable, un jugement renfermant l'éloge ou le Mime. Ce dessein, si l'on en croit Sallo, fut approuvé de tout le monde ; mais soit que les collaborateurs aient failli dans l'exécution, soit plutôt (Pie la critique ait vivement irrité des auteurs tels que Ménage et Guy Patin, soit même qu'un article sur les libertés gallicanes ayant blessé la cour de Rome, on ait jugé convenable d'accorder une satisfaction au Saint-Siège, le journal, après plusieurs livraisons, annonça, dans le courant de 1665, qu'il ne reparaîtrait plus. Ce n'était pas le compte de Colbert, d'abandonner si vite, et pour de petites difficultés, un projet qu'il croyait utile. Dès l'année suivante, il rétablit le Journal des Savants, et le confia à l'abbé Gallois, son docteur particulier, qui, disait-on malicieusement, lui enseignait le grec et le latin dans son carrosse. Gallois était mathématicien, astronome, physicien, jurisconsulte, linguiste. Il réunissait toutes les aptitudes nécessaires pour comprendre et apprécier le mouvement des esprits, dans un siècle qui ne devait dédaigner aucune branche des connaissances humaines. Au début du gouvernement de Louis XIV, le personnel de la littérature est à peu près le même que sous Mazarin. Il y manque Scarron, dont la mort (1660) n'est remarquable que parce qu'elle fut le commencement de la fortune de sa femme. La reine mère se laissa intéresser à une veuve jeune, et trop belle pour que la pauvreté ne lui fût pas un péril, et fit rétablir et même augmenter à son profit la pension retirée au mari après la Mazarinade[20]. Tout à l'heure Pascal va disparaître à trente-huit ans (1662), mais le grand écrivain renaîtra dans quelques années par la publication de ses papiers inédits, ou Pensées comme les ont nommés ses amis. Les illustrations diverses, les genres opposés sont toujours en présence, sans qu'aucune école ait encore prévalu. A côté de Chapelain, tous ses alliés continuent leur carrière. Le roman n'a pas abdiqué. Le Calprenède met en route Faramond ou l'Histoire de France, mais une mort prématurée l'arrête au septième volume. Le guerrier avait failli périr de l'explosion de son fusil dans un amusement donné aux dames ; le brillant cavalier, frappé au front d'un coup violent de tête par son cheval, succomba à cet accident (1663). Les Scudéry ne sont pas épuisés. En 1661, Alméhide ou l'Esclave reine, en 1665, les Femmes illustres ou les Harangues héroïques, témoignent de leur fécondité. L'indestructible Madeleine de Scudéry traversera toutes les splendeurs du règne, en se mêlant aux luttes littéraires, pour ne mourir qu'en 1701, à l'âge de quatre-vingt-quatorze ans. Le théâtre regorge d'auteurs de tragédies, de comédies qui ne laissent pas respirer le public. Boyer, toujours intrépide pendant cinquante ans malgré la médiocrité du succès, donne l'un sur l'autre Fédéric, la Mort de Démétrius, Policrite, Oropaste (1660-1663). Quinault, jeune auteur que les Précieuses ont mis au monde, ne se laisse pas intimider par les moqueries de Somaise[21]. Il a trouvé moyen de rendre Cyrus plus précieux que n'avait fait Scudéry, et de s'illustrer par les tablettes amoureuses de Thomyris[22] ; il continue, dans le Faux Tyberinus (1660), l'emploi des imbroglios espagnols, et dans l'Astrate (1664) il mêle à une réminiscence du Cid, très-inconvenante dans la situation, ces insupportables conversations élégiaques, ces théories d'amour dont le moindre défaut est de substituer le bavardage aux actes[23]. Thomas Corneille dépasse Quinault même par la rapidité et le nombre de ses productions. Depuis le succès de Timocrate que les acteurs se sont lassés de représenter avant que le public se lassât de le voir, il ne sait plus se contenir. Il donne quelquefois deux tragédies dans une seule année. On compte de lui vingt-six pièces avant Ariane (1672), la première de ses œuvres qui doive laisser un souvenir durable. On vante Stilicon (1660), Camma (1663) ; le grand Corneille, dit-on, voudrait les avoir faites. Nous déclarons, après une lecture attentive, que, à l'exception de quelques vers de Camma, nous n'avons rien trouvé dans l'œuvre du cadet où l'aîné pût reconnaître sa force et son élévation. Le jugement de La harpe est encore le meilleur : Il n'y a ni passions, ni mouvement, ni caractères, les héros et les scélérats sont également sans physionomie, ils dissertent et ils combinent, voilà tout[24]. Le grand Corneille seul, à cette époque, domine toujours par des restes magnifiques de ses incomparables qualités. Il était rentré au théâtre (1659), à la demande de Fouquet, par Œdipe, c'est-à-dire par une faute ; car c'était une faute que de toucher au chef-d'œuvre de Sophocle, et une plus grande de mêler un amour français à la sombre fatalité de cette tradition grecque. Mais il garde son rang incontestable par la belle scène de Sertorius (1662), par la fierté de Sophonisbe (1663), et même par le premier acte d'Othon (1665). Il vieillit, quoiqu'il s'obstine à ne pas l'avouer ; mais sa vieillesse a de beaux accès de virilité et de verdeur : cruda deo viridisque senectus. Cependant une nouvelle génération apparait qui va se substituer à l'ancienne école, remplacer le goût espagnol par le goût français, le grandiose par le naturel, l'emphase par la réalité. Ses premiers représentants sont : Molière, Racine, La Fontaine, Boileau, La Rochefoucauld. Molière s'est déjà emparé de la comédie ; il la transforme en cherchant la force comique et le rire là où ils sont vraiment, non plus seulement dans les aventures inattendues et bouffonnes, mais dans les caractères, les travers permanents de l'humanité — Ecole des maris, les Fâcheux, 1661, École des femmes, 1662, Festin de Pierre, 1664 —. Nous avons changé de méthode, dit un de ses admirateurs[25], Jodelet n'est plus à la mode Et maintenant il ne faut pas Quitter la nature d'un pas. Racine, encouragé par Molière, après avoir, dans la Thébaïde (1664), parlé un langage nouveau, libre du fatras de ses concurrents, s'impose à l'attention, et même à l'admiration, par Alexandre (1665), malgré l'insuffisance du portrait de son héros. On sent naître une tragédie où les hommes seront peints tels qu'ils sont. L'émotion commence chez les partisans de Corneille. Saint-Évremond écrit d'Angleterre[26] pour rassurer Corneille ; mais il ne peut méconnaître les qualités du jeune auteur. Corneille, déjà troublé, quoi qu'il en dise, de ces vains trophées qu'on prétend établir sur les débris imaginaires des siens, remercie avec attendrissement l'exilé qui l'honore encore de son estime[27]. Le grand homme est jaloux, disons le mot, d'un débutant heureux ; il l'est même de Molière qui vient faire concurrence au Menteur[28]. Ses amis ne consentent pas davantage à modifier leur ancien et premier jugement ; ils n'entendent pas, comme dit Horace[29], céder à leurs cadets, et renoncer, dans l'autre moitié de leur vie, à la foi de leur jeunesse ; et ils se mettent à expliquer la renommée rivale par les raisons que Fontenelle résumera un jour dans la Vie de son oncle[30]. La Fontaine, qui débute, hélas ! par un livre de contes dont le premier est Joconde (fin de 1664), en même temps qu'il flatte le goût du jour, donne aussi par sa manière l'exemple d'un genre de composition plus conforme aux allures de l'esprit français[31]. Au point de vue moral, l'excuse qu'il apporte de la licence de son œuvre ne fait honneur ni au public ni à lui-même. L'extrême pudeur, dit-il, et la bienséance sont deux choses fort différentes. Cicéron fait consister la dernière à dire ce qu'il est à propos qu'on dise eu égard au lieu, au temps et aux personnes qu'on entretient. Ce principe une fois posé, ce n'est pas une faute de jugement que d'entretenir les gens d'aujourd'hui de contes un peu libres. Ainsi il dénonce les tendances libertines chez le lecteur, et chez lui-même un jugement ou calcul des chances de succès, qui sacrifie sans gêne les devoirs de la conscience. Dans l'ordre littéraire, il est évidemment en progrès, il crée l'art de conter. A ces histoires interminables, confuses, languissantes, des romans, il substitue une narration bien ordonnée, piquante et vive, dont la conclusion ne se fait pas attendre mais ne se précipite pas, une œuvre complète en quelques pages, quelquefois en une seule page, comme plus tard dans ses fables, qui satisfait la curiosité par le choix des détails, l'impatience par une marche rapide, la mémoire par la brièveté. Boileau montre à ses amis et laisse publier quelques échantillons de ses vers faits de génie, quoique travaillés avec art, où la raison s'élève souvent, par delà le nombre et la correction, jusqu'à la poésie[32]. Tout y respire le régulateur qui ne connaît de loi que le bon sens, qui le veut dans la conduite de la vie, comme dans la composition littéraire, dans la pensée, dans l'expression, dans les vers et dans la prose. La méthode y apparaît avec l'art de donner à chaque chose sa place et ses proportions, avec cette clarté, éminemment française, capable de faire d'un sujet emprunté un livre original ou nouveau. Il n'aspire pas aux grands poèmes ; en attendant que l'âge ait mûri sa muse, il se borne à gourmander les travers de la société ; mais il est facile de prévoir que la satire des mœurs se réduira bientôt à la satire des lettres, et que le correcteur des vices sera le législateur de la littérature. Le Livre des Maximes de La Rochefoucauld est enfin livré au public en 1665, après avoir été souvent retouché, dans le salon de la marquise de Sablé, par l'auteur et par ses amis[33]. Il ne s'agit pas ici d'apprécier le fond de l'ouvrage, cette dissection froide et morose du cœur humain ramenant tous nos sentiments à l'égoïsme, et imputant à l'amitié elle-même[34] les calculs que l'auteur portait dans l'amour comme il l'avoue ailleurs à propos de la duchesse de Longueville[35]. J'estime peu l'homme et le philosophe, dit Victor Cousin de La Rochefoucauld, mais je mets très-haut l'écrivain. Les Maximes en effet inaugurent une nouvelle beauté de style, le style précis qui fortifie la pensée en la resserrant[36], qui dit vite sans obscurité, et, par le talent d'éveiller dans le lecteur les pensées accessoires, lui laisse le plaisir de les deviner. La Rochefoucauld est le précurseur de La Bruyère. Un caractère essentiel de la nouvelle école, c'est de créer la critique littéraire, et d'affermir le crédit de cette critique sur le talent évidemment supérieur de ceux qui l'exercent. Le dévergondage des beaux esprits et des livres, jusque-là impuni, trouve son maître comme les agitateurs politiques. La censure, par l'épuration et la discipline, garantit au grand siècle sa grandeur intellectuelle. Molière a commencé par les Précieuses ridicules, il continue par la Critique de l'École des femmes et l'Impromptu de Versailles (1663) ; il prélude aux attaques plus directes et plus pénétrantes du Misanthrope et des Femmes savantes. La Fontaine ne cache pas son antipathie pour les travers des Précieuses et la ferveur de leurs partisans. Ce qu'il écrit à sa femme, il l'applique à toutes[37] : Il n'y a que les romans qui vous divertissent, c'est un fonds bien épuisé..... Si en badinant, je vous avais accoutumée à l'histoire soit des lieux, soit des personnes, vous auriez de quoi vous désennuyer toute votre vie, pourvu que ce soit sans intention de rien retenir, moins encore de rien citer. Ce n'est pas une bonne qualité pour une femme d'être savante, et c'en est une très-mauvaise d'affecter de paraître telle. Dans la préface de ses contes, il les déclare, pour les justifier, beaucoup moins dangereux que les romans : Je ne pèche pas contre la morale. S'il y a quelque chose dans mes écrits qui puisse faire impression sur les âmes, ce n'est pas la gaieté de ces contes, elle passe légèrement. Je craindrais plutôt une douce mélancolie où les romans les plus chastes et les plus modestes sont très-capables de nous plonger, ce qui est une grande préparation pour l'amour. L'excuse est bien faible pour Joconde et tant d'autres ; au moins le coup porté aux romans est sûr et incurable. Mais le principal conducteur de cette guerre aux sots livres, c'est Boileau ; la critique vigilante, inflexible, audacieuse, est tout le génie de ce réformateur. Dès qu'il prend la plume (1663, 1664, 1665), il marche droit aux ennemis, il les nomme, il les force à douter de la valeur de leur gloire, et le public à les examiner et à les juger enfin. Ses allures toutes nouvelles commandent l'attention. Ce n'est pas l'esprit de coterie qui l'anime, car s'il drape Scudéry, Chapelain, Quinault, il révère le vieux Corneille, il encourage et défend Molière ; ce n'est pas l'injure à défaut de raisons, comme chez les insulteurs de bas étage, c'est au contraire le raisonnement qui confronte les accusés avec les principes éternels du beau violés par eux ; ce n'est pas davantage le cri de l'impuissance jalouse, car il compose, il versifie lui-même avec la perfection qu'il réclame, et donne l'exemple de ce qu'il prescrit. Aussi on peut lui résister d'abord, on finira par accepter sa domination. Et. ce qui est vrai de son siècle, le sera encore des siècles suivants. Que de fois l'amour du nouveau, l'impatience du frein essaieront de renverser cette autorité ! et comme elle survivra à ces caprices ! rejetée, bafouée même quelque temps par les emportements de la jeunesse, par les passions ennemies de la règle, et remise en honneur quand l'âge plus min' ou l'expérience auront fait reconnaitre les droits de la raison et du bon sens ! Entre les services rendus par la critique, il y en a un surtout qui consacre son autorité, parce qu'il lui assure la protection du roi. Cette liberté, qui vient, après tant d'années de possession, disputer, leur gloire aux auteurs ridicules, s'en prend également à tous les travers de la société, et de la société la plus haute. La comédie, la satire, entrent dans le domaine de la politique. Molière a joué, dans les Précieuses ridicules, les gentilshommes qui savent tout sans avoir rien appris. Dans l'Impromptu de Versailles, il joue les marquis qui ne sont pas gens à tenir leur personne dans un petit espace, les lâches courtisans qui pour leurs services ne peuvent conter que des importunités, et qui veulent qu'on les récompense d'avoir obsédé le souverain dix ans durant. Dans le Festin de Pierre[38], il avertit la jeune noblesse qu'il ne suffit pas, pour être gentilhomme, d'en porter le nom et les armes, que la vertu est le premier signe de noblesse, qu'un gentilhomme qui vit mal est un monstre dans la nature, que le fils d'un crocheteur honnête homme vaut mieux que le fils d'un monarque débauché, et que le souverain se lasse de pardonner aux insolents qui abusent de sa bonté. Boileau ne frappe pas moins fort, dans la satire à Dangeau, sur les nobles dégénérés, brillants de luxe et accablés de dettes (1665), ou sur les financiers, issus de laquais et roulant carrosse, au moment même où leur procès partage l'opinion entre la justice du roi et les doléances de leurs complices[39]. Le Paysan et son Seigneur, de La Fontaine[40], est également une satire de la tyrannie des hobereaux de la campagne, qui annonce bien d'autres attaques dans les contes et dans les fables. Évidemment la royauté trouve ici un auxiliaire utile ; elle prend plaisir. à voir accabler par le rire, flétrir par l'élévation du langage, les adversaires qu'elle a le plus à cœur d'abattre. En même temps, par une opposition naturelle, la dérision de ses rivaux tourne à l'éloge brillant du prince. Racine vient lui dire dans une préface, que, à l'âge d'Alexandre, il a déjà fait paraître la sagesse d'Auguste, et commencé sa carrière par où les plus grands princes ont tâché d'achever la leur. Boileau, en se défendant de le louer, lui adresse, sans discerner dans ses actes les violences des bienfaits, le compliment le plus habile qu'il ait encore reçu[41]. Colbert atteint son but : la glorification du roi par les lettres reconnaissantes. Colbert la cherchait encore dans le développement des beaux-arts. Former des artistes français, et ici. comme en toutes choses, ne pas dédaigner le concours de maîtres étrangers, rassembler, dans le cabinet des tableaux du roi, les chefs-d'œuvre des divers pays, ou, quand on ne pouvait les acquérir, faire copier les tableaux et les sculptures, lever les plans des monuments les plus célèbres comme autant de modèles, voilà toutes les pensées qui reviennent à toutes les pages de ses mémoires ou de ses instructions. Son premier acte fut de donner une impulsion décisive à l'Académie de peinture (8 février 1663). Créée en 1648, pour réunir en corps les maîtres les plus habiles, entretenir entre eux une émulation salutaire, et former la jeunesse à l'étude des arts par des leçons régulières, cette institution était restée stérile par la faute d'artistes qui en auraient volontiers accepté les honneurs, mais non les obligations. Un édit royal, sur le rapport du sieur Colbert, intendant des finances, signifia que tous ceux qui se qualifiaient peintres et sculpteurs de Sa Majesté seraient tenus de s'unir et incorporer incessamment au corps de ladite académie royale. Des statuts organiques (24 décembre 1663), confirmés par des lettres patentes (1664), et enregistrés au parlement sur les vives instances de Colbert, malgré l'opposition des maîtres-peintres, fixèrent les fonctions des officiers et les exercices des académiciens. Une donation de 4.000 livres de rente fut affectée aux dépenses annuelles. Lebrun fut nommé directeur (1er janvier 1664). Colbert traça lui-même aux maitres le plan des conférences à faire aux élèves et qui consistaient à leur exposer les ouvrages des plus savants peintres, et à leur faire connaitre, tableau par tableau, ce qui contribuait le plus à la beauté et à la perfection[42]. Pour multiplier le nombre de ces modèles, on le voit déjà occupé d'acquérir les tableaux de Paul Véronèse et du Titien qui étaient à Venise[43] ; mais comme on ne pouvait avoir la prétention d'acquérir tous les chefs-d'œuvre répandus en Europe, on commença à envoyer à Rome les élèves les plus habiles, un ou deux par chacun des arts, pour y étudier aux frais du roi pendant deux ans[44]. C'est l'origine de l'académie française de Rome qui recevra plus tard tune organisation définitive. Entre les grands arts, le plus capable d'immortaliser le nom des rois, c'était, selon Colbert, l'architecture. Votre Majesté, disait-il à Louis XIV[45], sait qu'au défaut des actions éclatantes de la guerre, rien ne marque davantage la grandeur et l'esprit des princes que les bâtiments, et toute la postérité les mesure à l'aune de ces superbes maisons qu'ils ont élevées pendant leur vie. On peut donc en croire Claude Perrault[46], lorsqu'il rapporte aux excitations de Colbert le goût de bâtir qui a entrainé si loin un monarque glorieux. Mais Colbert se proposait avant tout la vraie gloire de protecteur des arts. Impatient d'achever le Louvre commencé par François Ier et qu'il appelait le plus superbe palais qu'il y eût au monde et le plus digne de la grandeur du roi, il demandait partout des plans, à Levau, à Claude Perrault ; il en avait sollicité jusqu'à Rome du cavalier Bernin, l'architecte de la colonnade de Saint-Pierre. Bernin lui-même ne l'ayant pas satisfait, après deux ans de discussions par lettres, il se décida à le faire venir en France. Louis XIV écrivit de sa main au grand étranger pour l'inviter au voyage (11 avril 1665), il pria le pape de se priver pour quelque temps des travaux d'un sujet si utile[47]. En France, les plus grands honneurs et les soins les plus minutieux furent prodigués au Bernin. Partout les officiers municipaux eurent ordre d'aller le complimenter et de lui offrir les présents des villes ; Lyon même lui rendit cet hommage qu'elle ne devait qu'aux princes du sang. On mit en réquisition toutes les glacières qui se trouvaient sur sa route, dans la crainte qu'il ne manquât de glace un seul jour. Il n'était pas possible d'élever plus haut l'importance d'un artiste. Tant d'éclat tourna à la confusion du Bernin. On n'en put tirer un conseil satisfaisant ; il refusa même de faire en France une statue du roi, et celle qu'il envoya plus tard de Rome fut jugée peu digne de sa réputation. Néanmoins ces discussions stériles en apparence mirent fin aux hésitations de Colbert ; il accepta le plan de Perrault et lui en confia l'exécution, et pendant plusieurs aimées il obtint, dans la répartition des dépenses, une préférence marquée pour le Louvre sur les constructions qui plaisaient davantage à Louis XIV. Le roi se portait plus volontiers à bâtir pour la vanité et pour le divertissement. De là les raccommodements de Saint-Germain, avec les parterres, qui occupaient 500 ouvriers (1663), et une dépense de 339.000 livres pour Fontainebleau en une seule année (1664). Mais il s'était surtout épris de Versailles, où tout manquait jusqu'à l'eau, et à qui il voulait tout donner. Il y consacra en 1062 et 1663 une portion notable des bénéfices réalisés par Colbert ; il y jeta, les deux années suivantes, plus de 500.000 écus (1.617.000 livres). Il eut ainsi, pour commencer, une maison plus petite que quelques antres de ses palais, mais un séjour enchanté où l'on admirait l'éclat du bronze et du marbre, la richesse des meubles, la beauté des promenades, le nombre des fleurs et des orangers, les ménageries de bêtes diverses et les viviers pour les animaux aquatiques. Tout y rit au dehors et au dedans, dit une relation contemporaine (1664)[48] ; toutes choses sont si polies, si bien entendues, si bien achevées, que rien ne le peut égaler. C'était déjà le théâtre le plus favorable pour des fêtes qui devaient surpasser la magnificence de Fouquet. Louis XIV, qui raisonnait tous ses actes, avait sa théorie
des divertissements : son confident Pellisson nous l'a transmise. Les
divertissements sont utiles à tous les hommes pour
délasser du travail, fournir de nouvelles forces, servir à la santé, calmer
les troubles de l'âme, et l'inquiétude des passions, inspirer l'humanité,
pour l'esprit, ôter à la vertu une trempe trop aigre qui la rend quelquefois
moins sociable et moins utile. Ils sont utiles à un roi pour montrer
aux étrangers la prospérité de son État, pour faire voir à ses sujets son
adresse en tous les exercices du corps, et leur donner, par ce qu'on voit,
une idée avantageuse de ce qu'on ne voit pas. Ils conviennent
particulièrement au roi de France, parce qu'ils ne
sont pas tant ceux des rois que ceux de la Cour et des peuples, et que le
caractère singulier de cette monarchie, c'est l'accès libre et facile des
sujets au prince. Ils convenaient surtout après la répression de la
Fronde, et le retranchement des excès de liberté, pour convaincre les peuples
et les gens de qualité, que le rétablissement de l'autorité royale n'avait
pas brisé les liens d'affection entre le roi et eux, et
que ce n'était ni aversion, ni sévérité affectée, ni rudesse d'esprit qui le
rendaient en d'autres choses plus réservé et plus exact à leur égard[49]. Après la naissance du dauphin (novembre 1661), il avait institué d'un seul coup soixante et un chevaliers du Saint-Esprit, à la tête desquels figuraient le prince de Condé et son fils le due d'Enghien. Cette promotion est surtout célèbre par le noble refus que fit le maréchal Fabert de recevoir le cordon bleu, ou plutôt de s'attribuer, en faussant sa généalogie, les titres de noblesse nécessaires, et par la réponse non moins noble du roi qualifiant d'ornement de son règne ce rare exemple de probité[50]. L'élévation de ces favoris renouvela en quelque sorte l'éclat de la cour, et fut le signal des fêtes. Il y eut, en 1662, devant les Tuileries, un carrousel qui a laissé son nom à la place. La magnificence en pouvait paraitre d'autant plias forte que c'était l'année même de cette famine atténuée, il est vrai, par la prévoyance royale. L'orgueil du prince s'y épanouissait dans l'inscription latine mise au-dessus de la barrière. On lui donnait le titre d'Empereur des Français, on comptait ses victoires plus nombreuses que ses années, on l'appelait l'honneur des rois, les délices du genre humain, l'amour et le désir de ses sujets, l'admiration du monde[51]. La richesse des costumes éblouit tous les yeux. Cinq quadrilles y parurent ; le roi commandait les Romains, Monsieur les Persans, Condé les Turcs, Enghien les Indiens, Guise les Américains. On y admira l'adresse et la grâce du roi et sa générosité sans égale ; le comte de Sault, vainqueur à la course de bague, reçut en prix un diamant considérable[52]. On ne s'y ennuya pas, dit la grave Motteville ; ce sentiment partagé et exprimé par le grand nombre fut à un roi, avide de louanges ; un stimulant à recommencer. On le surprend quelquefois occupé à préparer lui-même les détails a les incidents de fêtes semblables, non sans en calculer la dépense, et cherchant à concilier l'éclat avec l'économie. Un jour (2 mai 1664), il écrivait à Colbert : Il m'est venu une pensée qui me coûtera un peu cher, mais elle fera plaisir à bien des gens, dont les reines sont les premières. Je voudrais faire une loterie comme celle que fit M. le cardinal, c'est-à-dire qu'il n'en coûte rien à personne qu'à moi. Je serai bien aise de surprendre le monde. Je ne veux pas qu'elle soit de plus de trois mille pistoles, lesquelles étant bien employées me feront avoir bien des bijoux ; car des hardes, je n'en veux pas. Songez-y aussitôt que vous recevrez ce billet ; et essayez de trouver en peu de temps tout ce qu'il aura de joli et d'agréable dans Paris. Comme personne n'en saura rien, vous aurez plus de facilité et à meilleur marché[53]. Quatre jours après commençait, à Versailles, la fête restée célèbre sous le nom de Plaisirs de l'ile enchantée. Cette fête, dont on a conservé la description officielle, égala au moins ce qu'on raconte des scènes féeriques, du machinisme surprenant, des éblouissants costumes, des repas gigantesques de la cour de Bourgogne si considérable au XVe siècle par sa richesse. Elle dura huit jours. Plus de 600 personnes furent traitées aux frais du roi, sans compter une infinité de gens nécessaires à la comédie et d'artisans de tentes sortes venus de Paris. Toute partit merveille dès la première entrée. Aux trompettes des habits de satin, et des soleils d'or à leurs banderoles, aux chevaliers des habits de toile d'argent, et des broderies d'or et de jais, au roi une cuirasse de lames d'argent, et des broderies d'or er de diamants. Au défilé qui précéda la course de bagues, un char de 18 pieds de haut, de 24 de long, de 15 de large, éclatant d'or et de diverses couleurs ; Apollon assis au plus haut du char avec les quatre Ages à ses pieds, sur les côtés les douze Heures et les douze Sr ;tins du Zodiaque. Au ballet du soir, le Printemps sur un cheval d'Espagne, l'Été sur un éléphant, l'Automne sur un chameau, l'Hiver sur un ours ; derrière eux quatre groupes de jardiniers, de moissonneurs, de vendangeurs, de vieillards gelés sous leurs fourrures, représentant par ses attributs chaque saison ; enfin Pan et Diane sur une montagne ombragée d'arbres qui se soutenait en l'air et s'avançait toute seule. Au banquet des dames, un nombre infini de chandeliers, peints d'argent et de vert, de 24 bougies chacun, et 200 autres flambeaux de cire blanche tenus par autant, de personnes vêtues en masque, pendant que les chevaliers avec leurs casques couverts de plumes de différentes couleurs et leurs habits de la course étaient appuyés sur la barrière. Le ravissement était général. Le roi, pour sa part, en ressentait le plaisir cherché de proclamer et de faire reconnaître par tous le rétablissement de l'autorité souveraine. Sa propre devise : un soleil en pierreries avec les mots Nec cesso, nec erro, signifiait que sa vigilance ne se lassait pas, que sa sagesse ne s'égarait jamais. D'autres, comme celle du comte de Lutte : un tournesol et Splendor ab obsequio, voulaient dire qu'il n'y avait désormais de gloire que dans l'obéissance. Les petits vers récités à la reine par la suite d'Apollon, ou par les quatre Saisons, exaltaient l'heureux effet de l'arrivée de cette princesse, les efforts du héros qui ramenait l'âge d'or, les délices promises au monde par la naissance du dauphin. L'éloge de la reine-mère prononcé par les nymphes de la magicienne Aleine, de cette grande reine qui Des flots les plus mutins méprisa l'insolence, et a remis l'autorité à son fils, donnait un avertissement solennel à quiconque serait encore tenté de renouveler la Fronde. Les trois premiers jours furent vraiment les plaisirs de l'île enchantée. Roger (le roi) et ses chevaliers, captifs des charmes d'Aleine et mis par elle à la disposition des deux reines, avaient commencé par courre la bague pour l'amusement de Leurs Majestés ; le lendemain, ils jouèrent la Princesse d'Élide de Molière; le troisième jour, ils attaquèrent le château d'Alvine construit au milieu du grand étang, et, après une lutte incertaine contre les géants et les nains, au moment où Roger armé de la bague libératrice décidait la victoire, un coup de tonnerre annonça la ruine du palais qui éclata en feu d'artifice. La hauteur et le nombre des fusées volantes, celles qui roulaient sur le rivage, et celles qui ressortaient de l'eau après s'y être enfoncées, faisaient un spectacle si grand et si magnifique, que rien ne pouvait mieux terminer les enchantements. Personne n'était fatigué ni des défilés, ni des ballets, ni des batailles. Le 10 mai, le roi voulut courre les têtes[54] ; il y remporta le prix : une bague de diamants d'une grande valeur donnée par la reine; il la redonna libéralement à courre aux autres chevaliers. Les jours suivants furent remplis par une visite à la ménagerie des oiseaux dont le roi fit les honneurs aux daines, par la comédie des Fâcheux, par la loterie, composée de pierreries, d'ameublements, d'argenterie, etc., par les trois premiers actes du Tartuffe. Une première représentation du Mariage forcé termina les réjouissances le 13 mai[55]. M. Colbert, dit la relation, s'était employé en tous ces divertissements malgré ses importantes affaires. On pourrait ajouter : malgré l'impatience et les inquiétudes que ces goûts du roi commençaient à lui donner. Il les supporta encore quelque temps en silence, puis il se décida à parler. Ces représentations lui font trop d'honneur Pour que nous n'en citions pas au moins une partie ; nous les empruntons à deux mémoires adressés au roi contre les magnificences de Versailles, et contre les dépenses extraordinaires[56]. L'ordre de Votre Majesté, sa
haute vertu, mon cœur qui n'est plein que d'amour et de zèle pour la personne
et la gloire de Votre Majesté, me donnent la hardiesse de parler. Il faut de
nécessité que je me charge des choses les plus difficiles et de quelque
nature qu'elles soient. Je me confie en la bonté de Votre Majesté, en sa
haute vertu, en l'ordre qu'elle nous a souvent donné et réitéré de l'avertir
au cas qu'elle allât trop vite, et en la liberté qu'elle m'a souvent donnée
de lui dire mes sentiments. Il est d'abord impitoyable pour Versailles. Cette maison, dit-il, regarde
bien davantage le plaisir et le divertissement de Votre Majesté que sa gloire.
Il ne nie pas que cette forte application, que le roi donne aux affaires,
mérite qu'il accorde aussi quelque chose à ses plaisirs, mais il faut prendre garde que les plaisirs ne
préjudicient à sa gloire. — Si V. M. veut
bien chercher dans Versailles les 500.000 écus qui y ont été dépensés depuis
deux ans, elle aura certainement peine à les trouver..... et pendant qu'elle a dépensé de si grandes sommes dans
cette maison, elle a négligé le Louvre. O quelle pitié que le plus grand roi,
et le plus vertueux, de la véritable vertu qui fait les grands princes, fût
mesuré à l'aune de Versailles, et pourtant il y a lieu de craindre ce
malheur. Pour moi, j'avoue à V. M. que nonobstant la répugnance qu'elle a
d'augmenter les comptants[57], si j'avais pu prévoir que cette dépense eût été si grande,
j'aurais été d'avis de la régler en des ordonnances de comptant pour en ôter
la connaissance. Pour conclusion, il demande qu'on termine promptement
les comptes de Versailles, qu'on fixe pour
lui une somme annuelle, et qu'on la sépare entièrement des fonds des autres
bâtiments. Un peu plus tard, il revient à cette question des plaisirs. Après avoir divisé les dépenses en quatre parties dont la dernière doit comprendre les divertissements, il ajoute : La quatrième dépense doit souffrir toute la rigueur des retranchements et de toute l'économie possible, par cette belle maxime qu'il faut épargner cinq sous aux choses non nécessaires, et jeter les millions quand il est question de votre gloire. Je déclare à Votre Majesté qu'un repas inutile de mille écus me fait une peine incroyable, et que lorsqu'il est question de millions d'or pour la Pologne, je vendrais tout mon bien, j'engagerais ma femme et mes enfants, et j'irais à pied toute ma vie pour y fournir, si cela était nécessaire. Votre Majesté excusera, s'il lui plaît, ce petit transport..... Si Votre Majesté veut bien examiner ces détails, combien de dépenses inutiles elle a faites, elle verra que si elles étaient toutes retranchées, elle ne serait pas réduite à la nécessité où elle est..... Si Votre Majesté considère son jeu, celui de la reine, toutes les fêtes, repas extraordinaires, elle trouvera que cet article monte encore à plus de 300.000 livres (1.800.000 francs), et que les rois ses prédécesseurs n'ont jamais fait cette dépense, et qu'elle n'est pas du tout nécessaire. Louis XIV n'était pas indigne d'entendre ce langage. Il paraît même en avoir tenu compte ; car, à la suite du premier mémoire, la dépense pour Versailles fut notablement réduite pendant deux ans[58]. Mais il retombera dans son péché, et Colbert lui-même sera obligé à y consentir et à y pourvoir. C'est que Colbert n'avait pas mis le doigt sur le véritable siège du mal, ni ordonné le remède efficace. Cet amour du plaisir était le fruit de la volupté dont le jeune roi avait l'instinct en lui-même et l'exemple dans sa cour ; et rien ne pouvait le réformer que la correction des mœurs. Voilà la cause de ces rechutes et de ces prodigalités qui disputeront souvent les revenus publics aux institutions de la paix et même aux nécessités plus pressantes de la guerre. Que les mœurs publiques fussent loin d'être pures à cette époque, on peut l'affirmer tout d'abord par le succès que La Fontaine se promettait pour ses contes (voir plus haut), par le genre de plaisanterie qui réussissait à Molière dans Sganarelle, par son système d'éducation des filles dans l'École des maris, par la résignation qu'il conseillait aux maris trompés dans l'École des femmes, et par cette sortie contre les Dragons de vertu, les Honnêtes diablesses, qui ne semble attaquer les excès de la pruderie que pour excuser l'infidélité. La province, sur ce point, ne le cédait pas à Paris. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire quelques lignes des Grands Jours d'Auvergne par Fléchier. On se pressait, dit-il, aux comédiens ambulants, les seuls qu'on pût avoir, on y allait pour y trouver de la compagnie, et il s'y passait bien d'autres amours que ceux qui étaient représentés sur le théâtre. Les dames et les conseillers se rencontraient à des bals fréquents qui souvent tournaient au désordre ; une fois, les flambeaux ayant été enlevés, la joie se changea en divertissements fort indécents. La danse à la mode n'était pas seulement la bourrée, mais encore la gognade[59], la plus dissolue de toutes, et le principal exercice du soir pour le petit peuple dès l'arrivée du printemps. A la cour, la licence avait divers degrés. Avec Bussy-Rabutin et son Histoire amoureuse des Gaules, c'était l'obscénité. Ce hideux factum réunissait d'immondes couplets contre la plupart des personnes de la cour, composés dans une orgie, un vendredi saint, sous le refrain invariable : alleluia, un roman des aventures de deux grandes dames dont la plus connue était la duchesse de Châtillon, et un portrait plus que médisant de Ma' de Sévigné, inspiré par une basse vengeance[60]. Lu d'abord à quelques confidents, puis livré aux libraires par la marquise de La Baume et la connivence de l'auteur, il était imprimé à Liège (1662), passait dans toutes les mains et devenait le divertissement des provinces. La comtesse de Soissons, Olympe Mancini, exerçait un autre métier, celui d'entremetteuse, combinant pour elle et pour autrui ou rompant des amours, par ambition, cupidité ou jalousie, et travaillant à éloigner de la cour les femmes dont la probité la gênait. Les belles manières, dont elle avait, selon Saint-Simon, donné le goût et l'habitude à Louis XIV, servaient à couvrir ces turpitudes ou en accréditaient l'usage. Les coquetteries de la jeune duchesse d'Orléans, belle-sœur de Louis XIV, pour n'avoir pas ce caractère méprisable, n'en étaient pas moins une tentation fort dangereuse. Possédée d'un grand désir de plaire, elle ne haïssait pas ceux qui la regardaient tendrement. On voit d'abord un comte de Guiche exilé pour un méfait de ce genre (1661) ; mais ce crime n'avait pas beaucoup offensé celle qui en était la cause (2)[61]. Il revint, recommença, fut écouté, et, pour la satisfaction due au mari, exilé une seconde fois jusqu'en Pologne. Bientôt on soupçonna la duchesse d'une passion pour le roi, et ce soupçon devint un livre imprimé en Hollande sous le titre d'Amours du Palais-Royal. Elle fut particulièrement sensible à cette grave inculpation que beaucoup d'imprudences rendaient vraisemblable. Elle envoya en Hollande un ami fidèle pour rassembler tous les exemplaires, les détruire et acheter, au prix de 2.000 pistoles, la parole du libraire qu'il ne ferait pas de seconde édition[62]. Au milieu d'un pareil monde, quel moyen pour Louis XIV d'être chaste ? Il y aurait sans doute dans ces entraînements une circonstance atténuante, si lui-même n'avait pas affecté la volonté formelle de s'y abandonner, et repoussé rudement l'influence contraire, les conseils, les représentations qui tentaient de le contenir dans le devoir. La duchesse de Navailles ayant gêné ses poursuites auprès des filles d'honneur de la reine dont elle avait la garde, et fermé par des grilles les passages commodes à ses visites clandestines, il conçut pour cette femme de bien une rancune qui se traduisit plus tard en un ordre d'exil. Ses privautés avec la duchesse d'Orléans, leurs promenades nocturnes dans les bois jusqu'au delà de minuit, donnant beaucoup à parler et suscitant les inquiétudes de la jeune reine, Anne d'Autriche voulut y mettre ordre, et chargea Mme de Motteville de porter à la duchesse un avertissement salutaire : le roi trouva mauvais que Mme de Motteville s'opposât à ses divertissements. Il fixa enfin ses préférences sur La Vallière : aussitôt la duchesse d'Orléans et la comtesse de Soissons, en qui la jeune reine voyait des rivales, saisirent cette occasion de se décharger des soupçons de l'épouse outragée, et contribuèrent de leur complaisance au succès du nouvel amour du mari. Mais Anne d'Autriche ne se résigna pas si facilement à laisser offenser sa belle-fille, sa nièce, qu'elle avait appelée au trône de France plus encore par sentiment de famille que par calcul politique. Le roi dédaignait ouvertement sa femme pour sa maîtresse ; il emmenait La Vallière à des parties de masques, ou à Villers-Cotterêts, pendant qu'il confinait Marie-Thérèse dans sa maison. Anne d'Autriche voulut réclamer ; la brouille éclata entre le fils et la mère ; ils ne se parlaient plus ; un jour qu'ils restèrent seuls ensemble dans un cabinet, ils ne se dirent pas un seul mot. Un autre jour qu'elle pleurait de l'impuissance de ses plaintes, il se contenta de lui dire, pour la consoler, que, quand il aurait trente ans — il en avait alors vingt-cinq —, il cesserait d'être galant pour redevenir bon mari[63]. Il y eut un moment où, inquiète de l'opposition de la reine mère, La Vallière alla se réfugier dans un couvent à Saint-Cloud. Le roi, ne la voyant pas au sermon, se douta de cette fuite et de ses causes ; il sortit de l'église et monta à cheval pour courir à sa recherche. Sa mère voulut lui faire honte de ce qu'il était si peu maitre de lui : En tous cas, répondit-il, je ne souffrirai pas que personne entreprenne de me maîtriser. Il arriva au couvent, se fit reconnaître, reprit sa maîtresse et la ramena à la cour[64]. Il ne s'obstina pas moins à réclamer de la cour pour La Vallière une déférence et des honneurs qui étaient une insulte publique à la morale. Il entendait lui faire une suite et une compagnie des femmes de qualité. Il avait résolu que cela serait, et il pria sa mère de ne pas s'y opposer. Anne d'Autriche résista encore cette prière ; mais les adorateurs de la fortune n'hésitèrent pas à courtiser une favorite à qui l'attachement exalté du maître permettait d'attribuer une grande puissance. Ils tournaient même en dérision le rigorisme de la reine mère, et parmi ces censeurs on distingue, avec quelque étonnement, le duc de Montausier si vanté pour son austérité, et sa femme, l'ancienne Grâce de l'hôtel de Rambouillet, la prude Julie d'Angennes. Ils reprochaient à la reine mère de ne pas comprendre le bon parti qu'elle eût tiré pour elle-même des amours de son fils en les favorisant[65]. C'est qu'il devenait dangereux de les combattre. Une lettre anonyme ayant été adressée à la jeune reine pour lui dénoncer les infidélités de son mari, le roi furieux avait cru sans peine, sur les calomnies du marquis de Vardes, que l'auteur était la duchesse de Navailles, et il avait exilé cette dame à qui il en voulait déjà. Il découvrit plus tard que le vrai coupable était Vardes lui-même, agent infect et amant de la comtesse de Soissons, et complaisant de la duchesse d'Orléans. La comtesse de Soissons fut exilée ; Vardes, d'abord enfermé à la Bastille (1664), fut ensuite transféré à Montpellier ; il ne devait sortir de prison que pour rester en exil près de vingt ans. L'année suivante, Bussy-Rabutin fut arrêté à son tour (avril 1665) pour son Histoire amoureuse des Gaules. Était-ce bien l'écrivain obscène que le roi voulait punir ? N'était-ce pas plutôt l'auteur des couplets contenus dans le livre et commençant par les amours du roi ? Louis XIV ne se contraignait plus ; il est pourtant juste de reconnaitre que, au fond de l'âme, il n'était pas tranquille. Il a laissé une théorie des amours royaux, que nous retrouvons dans des projets de mémoires et de réflexions morales, inspirés par la chute du roi de Portugal, Alfonse VI, et destinés comme les autres mémoires à l'éducation de son fils. À la manière dont il règle la conduite des rois vis-à-vis des femmes, on a la preuve que les passions n'étouffaient pas chez lui les sentiments chrétiens : Je vous dirai premièrement que, comme le prince devrait être un parfait modèle de vertu, il serait bon qu'il se garantit des faiblesses communes au reste des hommes, d'autant qu'il est assuré qu'elles ne sauraient demeurer cachées. Et néanmoins s'il arrive que nous tombions malgré nous dans quelqu'un de ces égarements, il faut du moins, pour en diminuer la conséquence, observer deux précautions que j'ai toujours pratiquées : la première, que le temps que nous donnons à notre amour ne soit jamais au préjudice de nos affaires ; la seconde, qui est la plus délicate et la plus difficile à pratiquer, c'est qu'en abandonnant notre cœur il faut demeurer maître absolu de notre esprit, que la beauté qui fait nos plaisirs n'ait jamais la liberté de nous parler de nos affaires ni des gens qui nous y servent. Ces précautions satisferont en quelque façon à votre état comme prince : mais pour rendre à Dieu ce que vous lui devez comme chrétien, il est bon de s'abstenir de tous ces commerces illicites qui ne sont presque jamais innocents. Et dans ce dernier moment où nous arriverons peut-être plus tôt que nous ne pensons, Dieu ne nous demandera pas si nous avons vécu en honnête homme, mais si nous avons gardé ses commandements[66]. Comme dans le roi, on trouve à cette époque, chez les personnages de la cour, et en général dans la société française, ces deux volontés, ces deux hommes dont parle saint Paul, qui se disputent et s'enlèvent tour à tour le libre arbitre et le choix de l'âme. Au milieu des dissipations et des désordres, la foi chrétienne survit, et son légitime empire n'est pas encore méconnu sérieusement. La religion est honorée de ceux même qui l'offensent par leur manière de vivre, ses prédicateurs sont écoutés, ses institutions les plus sévères entourées de respect. Les années dont nous achevons l'histoire sont l'époque la plus brillante des sermons de Bossuet, de ce prêtre aux mœurs antiques dès sa jeunesse, à la doctrine rigoureuse dans toutes les chaires, de ce missionnaire de la mort qui ne se lasse pas de troubler, par l'épouvantement des fins dernières, les illusions des mondains, des libertins, des orgueilleux. Il prêche dans les paroisses de Paris et dans les provinces, dans les couvents pour des professions de religieuses, devant les reines qui viennent chercher sa parole aux Carmélites ou au Val-de-Grâce, enfin à la cour dans la chapelle du Louvre ou dans celle de Saint-Germain. Les hommes les plus instruits et les plus célèbres se rassemblaient, après l'avoir entendu, pour s'entretenir et raisonner sur ce qu'il avait dit ; les maîtres et les disciples les plus fameux de Port-Royal, dont il ne fut jamais l'adhérent, se mêlaient à ses auditeurs et à l'admiration commune. Colbert lui-même, l'impassible calculateur de la valeur réelle des hommes, s'occupait de Bossuet, dans la prévision d'un précepteur à choisir pour le dauphin, et, après enquête, recevait ce témoignage confidentiel que l'abbé Bossuet vivait comme il prêchait, et qu'on ne voyait rien en lui que de bon[67]. Déjà cher à Aune d'Autriche avant la mort de Mazarin, Bossuet était bien vite devenu le prédicateur préféré de Louis XIV (avent de 1661 et 1665, carême de 1662, 1663, 1666) : à peine le roi commençait-il à le connaître, que, frappé de cette incomparable supériorité, il fit écrire à son père pour le féliciter d'avoir tin tel fils. Compliment d'autant moins suspect qu'il n'était pas le prix de la complaisance ou de la flatterie. Car si l'orateur prêchait aux sujets l'obéissance envers le roi, il ne prêchait pas moins au roi l'obéissance envers Dieu. Il disait aux reines : C'est trop flatter les grands que de leur persuader qu'ils sont impeccables ; au contraire, il faut qu'ils entendent que leur condition leur apporte ce mal nécessaire, que leurs fautes ne peuvent être médiocres. Dans la vue de tant de périls, Vos Majestés doivent s'humilier profondément[68]. Il disait au roi : Grand roi, que nous voyons infatigablement occupé aux affaires de votre État, je propose à ce grand génie un ouvrage plus important et plus digne de son attention, c'est le service de Dieu et votre salut. Puis il énumérait, comme autant de vanités, les œuvres qui plaisaient le plus à l'orgueil du monarque, et les jugeait par leur fin dernière : Ne voyez-vous pas ce feu dévorant qui précède la face du juge terrible, qui abolira en un même jour et les villes, et les forteresses, et les citadelles, et les palais, et les maisons de plaisance, et les arsenaux, et les marbres, et les inscriptions, et les titres, et les histoires, et ne fera qu'un grand feu et peu après qu'un amas de cendres de tous les monuments des rois. Peut-on s'imaginer de la grandeur en ce qui ne sera un jour que de la poussière ? Il faut remplir d'autres fastes et d'autres annales[69]. S'il y avait d'actifs principes de dissolution dans le luxe, dans l'amour des plaisirs, dans les exemples d'en haut, il y avait aussi de justes espérances de rénovation dans les réformes opérées par Vincent de Paul et ses émules, et dans l'influence continue de ces réformes sur les séculiers et jusque sur les familles de la cour. En bien des lieux, comme Fléchier le constate pour le diocèse de Clermont, à l'époque des Grands Jours d'Auvergne, le clergé revenait à la régularité. D'illustres monastères, comme celui des carmélites de Paris, où l'on retrouve l'action toute particulière de Bossuet, répandaient autour d'eux la bonne odeur des vertus chrétiennes, et en propageaient la pratique dans le monde. Le Carmel se recrutait dans les plus illustres familles ; Bossuet y prêchait la vêture de mademoiselle de Bouillon, nièce de Turenne, et celle de la comtesse douairière de Rochefort (1664). Moyen de préservation pour un grand nombre d'âmes, il était encore pour d'autres un lieu de réparation, un refuge pour des repentirs éclatants bien capables de donner à penser à ceux qui vivaient mal sans avoir cessé de croire. En outre, tout près de ses murs, s'élevaient des maisons de retraite, bâties par des personnes du rang et de la naissance la plus distinguée qui venaient s'y retremper dans les pensées de la religion, et reportaient au sein de la société plus de zèle pour le soulagement des malheureux, plus de fermeté pour la conservation des mœurs publiques. En même temps l'abbé de Rancé entrait à la Trappe (1664) ; après avoir donné l'exemple de renoncer aux honneurs du monde et au profit anti-monastique des commendes, il entreprenait une réforme dont les effets devaient dépasser la clôture de sa maison, et même les limites de la France. Le zèle pour la propagation de la foi ne se ralentissait pas. Un nouvel ordre de missionnaires naissait dans l'Église, la Société des missions étrangères, et Bossuet en prêchait le sermon d'inauguration (décembre 1663). Ainsi, il restait encore au XVIIe siècle, malgré ses fautes, une grande ressource morale dans les croyances religieuses universellement respectées. La foi n'était pas toujours accompagnée des œuvres qu'elle prescrit ; mais la foi atténuait l'effet des œuvres mauvaises et finissait souvent par ranimer et propager les bonnes. Si l'on vivait mal, au moins on mourait bien, en laissant un exemple consacré par la leçon que la mort donne aux survivants. Malheur aux temps qui n'ont pas conservé ou qui repoussent cet appui de la vie pratique, cette garantie de l'ordre dans la société ; et fasse Dieu que ces temps ne soient pas arrivés pour notre pauvre génération ! |
[1] Mémoire pour servir à l'histoire, 1663.
[2] Racine à Levasseur, septembre 1660 : M. Chapelain a donc reçu l'ode avec la plus grande bonté du monde ; tout malade qu'il était, il l'a retenue trois jours et a fait des remarques que j'ai fort bien suivies. M. Vitart n'a jamais été si aise qu'après cette visite.... Voici les paroles de M. Chapelain : L'ode est fort belle, et il y a beaucoup de stances qui ne se peuvent mieux. Si l'on repasse ce peu d'endroits marqués, on en fera une fort belle pièce.
[3] Chapelain se défendait d'abord de juger le Genethliacon, poème latin. Il alléguait son peu de capacité. Il fit cependant une critique assez judicieuse. Il ne voulait pas que la Renommée prédit l'avenir, comme Fléchier lui en attribuait le pouvoir, mais seulement qu'elle répétât les événements passés. Fléchier tint compte de l'observation.
[4] Fléchier, Histoire des Grands Jours.
[5] Sainte-Beuve, Avant-propos d'une édition de l'Histoire des Grands Jours.
[6] Lettre de Chapelain à Colbert, 13 novembre 1662. Cette lettre et celles quo nous citons plus bas font partie d'une collection de lettres de Chapelain à Colbert, communiquée par Sainte-louve à Pierre Clément qui l'a imprimée dans sa grande Collection, au volume des lettres et arts.
[7] Mémoires de Charles Perrault. On voit que Perrault n'a pas toujours gardé le secret demandé. Chapelain parle de son côté, mais à Colbert, de nos assemblées chez vous, et du désir qu'on y a de répondre ù ce que vous attendez de nous. Lettre du 18 mars 1664.
[8] Voir plus haut, chapitre I, le plaisir que prit Louis XIV à la médaille qui avait pour devise le Soleil, et pour légende Nec pluribus impar.
[9] Lettre de Chapelain, 1663, après la convalescence du roi. Est-il besoin de dire que les mots soulignés sont de Chapelain ?
[10] Mémoires de Perrault.
[11] D'Olivet, Histoire de l'Académie.
[12] Lettre de Chapelain, 1663.
[13] Lettre de Chapelain à Colbert, 23 juin 1663.
[14] Voir ces lettres dans la Collection Clément.
[15] Chapelain à Colbert, 13 février 1665.
[16] Chapelain à Colbert, 18 juin 1665, 23 mai 1666.
[17] Lettres de Chapelain à Colbert, janvier 1664, octobre 1665, janvier 1666.
[18] Voir ces listes dans la Collection Clément.
[19] Lettre de Perrot d'Ablancourt à Colbert (7 juillet 1664).
[20] On raconte que, à la mort de Scarron, on dit à la reine qu'il laissait une jeune femme fort belle, vertueuse et de beaucoup d'esprit, que la pauvreté pouvait réduire à de grandes extrémités, et quo Sa Majesté ne pouvait pas faire une plus grande charité que de faire rétablir la pension qu'elle avait ôtée à son mari. La reine demanda de combien était la pension. On lui dit qu'elle était de 500 écus, un autre dit qu'elle était de 2.000 livres. La reine ordonna le rétablissement de le pension sur le pied de 2.000 livres. (Vie de Scarron.)
Mémoires de Mme de Caylus : La reine lui fit donner une pension de 2.000 livres, avec quoi elle se retira chez les hospitalières du faubourg Saint-Marceau. Ses habits étaient d'étamine du lude, linge uni, chaussures propres, belles jupes. Elle avait de l'argent de reste au bout de l'année.
[21] Somaise, Dictionnaire des Précieuses, IIe partie : C'est un jeune auteur dont je ne dirai pas grand'chose, parce que je ne crois pas qu'il y ait beaucoup à dire de lui, tout le monde commençant à savoir quel il est, que les précieuses l'ont mis au monde, et que tant qu'il a trouvé jour à débiter la bagatelle, il a eu une approbation plus générale qu'elle n'a été de longue durée ; il pille si adroitement les vers et les incidents de ceux qui l'ont devancé, qu'on l'a cru souvent auteur de ce qu'il s'était adapté.
[22] La Mort de Cyrus, de Quinault, avait paru en 1654. Néanmoins, nous avons trouvé plus raisonnable de n'en parler qu'ici, c'est-à-dire à l'époque où commencent les satires de Boileau, afin de mieux grouper les divers objets de sa critique.
La scène s'ouvre par un dialogue entre deux courtisans qui ont trouvé les tablettes de Thomyris, où ils lisent qu'elle a fait un serment téméraire en promettant de ne pas se remarier. Elle est amoureuse de Cyrus, son prisonnier. Cyrus, de son côté, est amoureux de Thomyris. Il explique longuement qu'il n'y a que les objets animés qui puissent s'emparer du cœur :
L'objet le plus charmant que l'art puisse produire
Jusqu'au delà des sens ne peut avoir d'empire,
Et pour faire passer son charme plus avant
Ce qu'il a de plus beau n'a rien d'assez vivant ;
Tout ce qu'en l'univers l'ordre du ciel assemble
S'attache par nature à ce qui lui ressemble,
Et notre âme, qui suit le cours accoutumé,
Veut, pour être charmée, un objet animé.
Des ouvrages de l'art la beauté la plus pure
Ne vaut pas un défaut qu'aurait fait la nature ;
Ses beautés touchent l'âme aussi bien que les yeux
Et toujours la nature est la même en tous lieux.
Il raconte ensuite que, dans la bataille, la vue de Thomyris l'a vaincu d'avance :
Je cessai, l'observant, de me croire invincible,
Et reconnus d'abord, en voyant ses appas,
Mille ennemis secrets que je n'attendais pas.
Ensuite, quand Thomyris lui avoue qu'elle l'aime, il s'écrie :
Vous, mes sens, qui m'osez annoncer tant de gloire,
N'êtes-vous pas suspects. . . . .
Oh ! que mon sort est doux et ma gloire parfaite
D'être encore vainqueur jusqu'après ma défaite !
Mais il y a rivalité d'amour pour Thomyris entre Cyrus et des courtisans scythes. Thomyris est obligée d'épouser un rival de Cyrus ; Cyrus tue ce rival ; les Scythes soulevés tuent Cyrus, et Thomyris désespérée s'empoisonne.
[23] Dans l'Astrate (1664), qui eut beaucoup de succès, une amoureuse débite cette sentence que Bélise ne désavouerait pas :
Il m'aime, ce n'est pas qu'il me l'ait osé dire ;
Pour contraindre sa flamme il n'a rien épargné,
Le silence toujours sur sa bouche a régné.
Mais un cœur pour parler n'a-t-il qu'un interprète ?
Ne dit-on rien des yeux quand la bouche est muette ?
En vain pour se contraindre on prend un soin extrême :
Tout parle dans l'amour, jusqu'au silence même.
Ici encore la reine de Tyr, qui aime Astrate et en est aimée, est convoitée par un de ses officiers, Agénor, qu'elle fait semblant d'accepter pour époux et à qui elle donne l'anneau royal. Puis, Agénor, pour se délivrer d'un rival, ayant fait arrêter Astrale, elle lui redemande l'anneau. Mais alors on découvre qu'Astrale est le fils du roi de Tyr, détrôné par la reine actuelle, que cette reine, meurtrière raffinée, a tué le père et les deux frères d'Astrale pour affermir son pouvoir. Il semble qu'Astrate, après une pareille découverte, ne pût plus avoir que de l'horreur pour un amour qui a surpris sa bonne foi. Pas du tout, il n'en est que plus passionné. On a beau lui dire : Écoutez votre sang, il répond :
Ses cris sont superflus :
J'écoute mon amour et n'entends rien de plus.
Ses amis, les fidèles serviteurs de son père, se soulèvent contre la reine ; il veut la défendre ; mais elle périt malgré ses efforts, et il tombe évanoui. Ainsi finit la comédie.
On comprend ce que cette réminiscence du Cid a d'intolérable. Chimène peut bien dire à Rodrigue : Je ne te hais pas, parce que Rodrigue n'est pas criminel par calcul ni même par sa volonté : il n'est que malheureux. Au contraire, la reine de Tyr est une criminelle odieuse que rien n'excuse, et Astrate doit d'autant plus la détester qu'elle l'a déshonoré en le trompant. Il nous semble que Boileau n'avait pas tort de tourner ce sujet en ridicule, malgré l'engouement d'une partie du public et l'augmentation du prix des places.
[24] Sinatus, roi de Tyr, a été empoisonné par Sinorix, qui à pris sa place. Comme sa veuve est pressée d'épouser l'usurpateur, elle répond :
Usurpes sans remords la grandeur souveraine,
Veuve de Sinatus, je sais que je suis reine.
Mais si je m'abaissais à vous donner ma foi,
Femme de Sinorix, le serais-je d'un roi ?
(Acte I, scène II.)
Hésione, fille de Sinatus, est presque sommée d'épouser un favori de l'usurpateur, et d'appuyer par ce consentement l'autorité du nouveau maître. Elle dit à Sinorix :
Mérite d'y périr comme font les tyrans.
Rendre par mon hymen ta grandeur affermie
Ce serait de leur sort t'épargner l'infamie,
Et d'un rang où t'élève un indigne attentat
Prendre sur moi la honte et t'assurer l'éclat.
(Acte II, scène Ire.)
[25] La Fontaine, Lettre à Maucroix, après la représentation des Fâcheux.
[26] Saint-Évremond, Dissertation sur l'Alexandre de Racine.
[27] Corneille, Lettre à Saint-Évremond.
[28] Ce n'est pas seulement l'abbé d'Aubignac qui l'en accuse, c'est encore Segrais : Corneille sentait bien que Molière avait sur lui cet avantage (d'être toujours comique) ; c'est pour cela qu'il en avait de la jalousie, ne pouvant s'empêcher de le témoigner, mais il avait tort. (Segraisiana.)
[29] Horace, Épit., liv. II, épit. I :
Vel quia nil rectum, nisi quod placuit sibi, ducunt,
Vel quia turpe putant parere minoribus, et, quœ
Imberbes didicere, senes perdenda fateri.
[30] Fontenelle, Vie de P. Corneille : En ce temps-là, des pièces d'un caractère fort différent des siennes parurent avec éclat sur le théâtre. Elles étaient pleines de tendresse et de sentiments aimables. Si elles n'allaient pas jusqu'aux beautés sublimes, elles étaient bien éloignées de tomber dans des défauts choquants. Une élévation qui n'était pas du premier degré, beaucoup d'amour, un style très-agréable et qui ne se démentait pas, une infinité de traits vifs et naturels, un jeune auteur, voilà ce qu'il fallait aux femmes dont le jugement a tant d'autorité au Théâtre-Français. Aussi furent-elles charmées, et Corneille ne fut plus chez elles que le vieux Corneille. J'en excepte quelques femmes qui valaient des hommes... Le goût du siècle se tourna donc entièrement du côté d'un genre de tendresse moins noble et dont le modèle se retrouvait plus aisément dans la plupart des cœurs.
[31] Le premier livre des contes est annoncé et analysé dans le numéro du Journal des Savants, de janvier 1665. La seconde édition est achevée d'imprimer à la fin de janvier 1685.
[32] La satire de la rime, où se trouve le fameux vers contre Quinault, fut composée en 1664. En 1665, le discours au roi était inséré avec des productions d'autres auteurs dans un recueil de poésies.
[33] Cousin, Vie de Mme de Sablé.
[34] La Rochefoucauld, maxime 81 : Ce que les hommes ont nommé amitié n'est qu'une société, un ménagement réciproque d'intérêts, un échange de bons offices ; ce n'est enfin qu'un commerce où l'amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner.
[35] La Rochefoucauld, Mémoires. Il expose sans vergogne les calculs qui firent rechercher par le prince de Marsillac (sic) l'amour coupable de la duchesse.
[36] La Harpe, Cours de littérature, siècle de Louis XIV, livre III, chapitre III, section II.
[37] Œuvres de La Fontaine, édition Walkenar, tome VI.
[38] Festin de Pierre, acte IV, scène II, tirade de don Louis à don Juan.
[39] Boileau, Satire I.
[40] La Fontaine, Contes, livre I :
C'est grand'pitié quand on fâche son maitre !
Ce paysan eut beau s'humilier ;
Et pour un fait assez léger peut-être
Il se sentit enflammer le gosier,
Vider la bourse, émoucher les épaules,
Sans qu'il lui tilt, dessus les cent écus,
Ni pour les aulx, ni pour les coule, de gaules,
Fait seulement grâce d'un carolus.
[41] Boileau, Discours au roi.
Mais lorsque je te vois, d'une si noble ardeur
T'appliquer sans relâche aux soins de ta grandeur,
Faire honte à ces rois que le travail étonne,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Fouler aux pieds l'orgueil et du Tage et du Tibre,
Nous faire de la mer une campagne libre,
Et tes braves guerriers secondant ton grand cœur
Rendre à l'aigle éperdu sa première vigueur,
Mors, sans consulter si Phébus l'en avoue,
Ma muse tout on feu me prévient et le loue.
[42] Félibien, Conférences de l'Académie de peinture et de sculpture. Cet exercice, disait Colbert, serait aussi utile que glorieux à leur corps, puisqu'en traitant de l'art de la peinture d'une manière qui n'a jamais été pratiquée ailleurs, on verrait un jour que, s'ils n'ont pas été les premiers à le découvrir, ils auront au moins eu l'honneur d'être les premiers qui en auront mis les règles à leur dernière perfection.
[43] Lettres de Colbert à Bonzi, ambassadeur à Venise, 15 juin et 20 juillet 1663. L'achat ne peut être immédiat parce quo la dépense est excessive en France. Mais l'ambassadeur est invité à laisser, s'il le peut, couler le temps pendant cinq ou six mois pour entretenir les particuliers dans l'espérance que l'on s'en accommodera ; alors on lui fera remettre l'argent nécessaire.
[44] Mémoire de Colbert pour servir à l'histoire.
[45] Mémoire de Colbert à Louis XIV, 23 septembre 1665.
[46] Comme M. Colbert avait une passion démesurée pour la gloire de son maitre, il fit aussi dessein de lui faire élever tous les monuments qu'il croirait les plus considérables et les plus propres pour transmettre à la postérité la mémoire de ses grandes actions.
[47] Œuvres de Louis XIV, Lettre à Alexandre VII, un an après le traité de Pise : Il s'agit d'un édifice qui, depuis plusieurs siècles, est la demeure des princes les plus zélés pour le Saint-Siège qu'il y ait dans la chrétienté. Votre Sainteté ne pourrait m'accorder une plus grande faveur dans la conjoncture présente.
[48] Relation des plaisirs de l'île enchantée, 1664.
[49] Mémoires de Louis XIV, pour 1662, texte de Pellisson.
[50] Œuvres de Louis XIV, tome V : Mon cousin, je ne saurais dire si c'est avec plus d'estime ou bien avec plus de plaisir que j'ai vu, par votre lettre du 11 de ce mois, l'exclusion que vous vous donnez vous-même pour le cordon bleu dont j'avais résolu de VO0 honorer. Ce rare exemple de probité me parait si admirable, que je le regarde comme un ornement de mon règne. Mais j'ai un triste regret de voir qu'un homme qui, par sa valeur et sa fidélité, di parvenu si dignement aux premières charges de ma couronne. se prive lui-même de cette nouvelle marque d'honneur par un obstacle qui me lie les mains. Ne pouvant faire davantage pour rendre justice à votre vertu. je vous assurerai au moins par ces lignes que jamais il n'y aurait eu dispense accordée avec plus de joie que celle que je vous enverrais de mon propre mouvement, si je le pouvais sans renverser le fondement de mes ordres, et que ceux à qui je vais es attribuer le collier ne sauraient jamais en recevoir plus de lustre dans le monde que le refus que vous en faites, par un principe si généreux, vous en donne auprès de moi.
[51] Mémoires de Vizé, panégyrique déjà cité, où l'on ne doit voir que des merveilles.
[52] Motteville, Mémoires, Ve partie.
[53] Œuvres de Louis XIV, tome V.
[54] Les chevaliers entrent en lice l'un après l'autre, la lance à la main, et un dard sous la cuisse droite, et après que l'un d'eux a couru et emporté une tête de gros carton peint et de la forme de celle d'un Turc, il donne sa lance à un page, et faisant la demi-volte, il revient à toute bride à la seconde tête qui a la couleur et la forme d'un More, et l'emporte avec le dard qu'il rejette en passant, puis, reprenant une javeline peu différente de la forme du dard, dans une troisième passade, il la darde dans un bouclier où est peinte une tête de Méduse, et achevant la demi-volte il tire l'épée dont il emporte en passant toujours à toute bride une tête élevée à un demi-pied de terre ; alors il fait place à un autre. Celui qui en ces courses en a emporté le plus gagne le prix.
[55] Relation des plaisirs de l'ile enchantée. Plusieurs passages guillemetés, et en particulier la note ci-dessus, sont empruntés textuellement à cette relation.
[56] Mémoires de Colbert au roi du 28 septembre 1665 et de 22 juillet 1666.
[57] Les comptants étaient des ordonnances de payement sans indication de l'objet de la dépense, avec cette formule : Je sais ce que c'est. Rien ne déplaisait plus à Colbert et même au roi, parce que rien n'était plus favorable aux malversations.
[58] En 1664 et 1665, Versailles avait coûté 1.617.000 livres. En 1666 et 1667, il n'en coûta que 741.000, moins que la moitié.
[59] Histoire des Grands Jours d'Auvergne : Vous voyez partir la dame et le cavalier avec un mouvement de tête qu'accompagne celui des pieds, et qui est suivi de celui des épaules et de toutes les autres parties du corps qui se démontrent d'une manière très-indécente. Ils tournent sur un pied, sur les genoux, fort agilement ; ils s'approchent, se rencontrent, se joignent l'un l'autre si immodestement que je ne doute pas que ce soit une imitation des bacchantes. Mgr l'évêque d'Aleth excommunie dans son diocèse ceux qui dansent de cette façon. Nous avons eu trop peu d'occasions d'approuver Nicolas Pavillon, pour ne pu nous empresser d'être ici de son avis.
[60] Voir les lettres de Sévigné, année 1668, et la correspondance échangée entre elle et son cousin à propos de ce portrait.
[61] Motteville, Mémoires, Ve partie.
[62] Mémoires de Choisy, livre III.
[63] Motteville, Ve partie.
[64] Mémoires de Mlle de Montpensier.
[65] Voici les paroles du duc de Montausier rapportées par Mme de Motteville : Ah ! vraiment la reine-mère est bien plaisante d'avoir trouvé mauvais que Mme de Brancas ait eu de la complaisance pour le roi, en tenant compagnie à Mlle de La Vallière. Si elle était habile et sage, elle devrait être bien aise que le roi fût amoureux de Mlle de Brancas : car étant fille d'un homme qui est à elle et son premier domestique (Brancas était chevalier d'honneur d'Anne d'Autriche), lui, sa femme et sa fille, lui rendraient de bons offices auprès du roi.
Nous ne croyons pas pouvoir citer, pour toutes ces misères, un témoignage plus autorisé, plus digne de foi, que celui de Mme de Motteville ; aussi lui avons-nous fait, dans ces dernières pages, de nombreux emprunts. Malheureusement, ce guide précieux nous manquera désormais. Son récit va se terminer à la mort d'Anne d'Autriche (janvier 1666). Ne la quittons pas du moins, sans rendre un dernier hommage à l'abondance et à l'exactitude de ses récits, à la solidité de son jugement, et au charme de sa conversation avec le lecteur.
[66] Voir, non pas dans les mémoires définitifs, mais dans des projets de mémoires et de réflexions morales, ce morceau plusieurs fois retouché, et destiné à faire connaître la pensée intime de Louis XIV sur la question des mœurs d'un roi : Mémoires de Louis XIV, édition de Ch. Dreyss.
[67] Réponse de l'évêque de Luçon à Colbert, son frère (1605) : L'abbé Bossuet, docteur de la maison de Navarre, fait paraître son esprit dans sa manière de prêcher qui en demande beaucoup pour être soutenue comme il la soutient. Il prêche une morale austère, mais qui est bien chrétienne ; ceux qui le connaissent disent qu'il vit comme il prêche. Il m'a paru en toutes occasions avoir beaucoup d'esprit, et je sais qu'il a bien de la vertu. Sa physionomie ne trompe pas, car elle eut spirituelle. Il a l'air modeste, gai et revenant. Enfin, je n'ai rien vu en lui que de bon. Collection Clément.
[68] Sermon pour la vêture de Mlle de Bouillon (1660).
[69] Bossuet, Premier sermon pour le 1er dimanche de l'Avent, prêché devant le roi.