IV. — Premières réformes militaires. - Réorganisation de la marine. - Petites guerres d'essai : Gigeri, Saint-Gotthard, Erfurt. - Commencement de l'importance militaire de la France. Un levain de guerre prochaine fermentait sous cette politique. Si les puissances voisines eu avaient le pressentiment et la crainte, le roi, qui en attendait impatiemment l'occasion, s'y préparait avec ardeur par terre et par mer. Ce n'est pourtant pas encore l'époque des grandes réformes militaires. Louvois, nouveau-venu et toujours subordonné à son père jusqu'en 1668, n'a pas dès le premier jour toute son expérience ni toute sa liberté d'action. La marine elle-même, quoique déjà aux mains de Colbert, a besoin de trop d'argent pour qu'il soit possible de lui rendre immédiatement tout ce qui lui manque : personnel, matériel, ports et ateliers. Toutefois ces débuts ont un sens clair et fécond : le roi et ses ministres embrassent déjà tous les détails de ces vastes services, les abus à supprimer, les règles à établir. Dans les essais de ces commencements, on distingue nettement les grands traits de l'organisation militaire que la France doit à Louis XIV. Par son premier acte, le roi avait annoncé qu'il entendait à l'as cuir mettre l'armée dans sa dépendance immédiate. La suppression de la charge de colonel général de l'infanterie (1661, voir ch. XV) lui avait restitué à lui-même un pouvoir qu'il n'était pas bon de laisser exercer par un autre. Jusque-là le colonel général nommait tous les officiers, commandait à chaque régiment, avait dans chaque régiment sa compagnie. Un sujet se substituait au roi par l'étendue de son autorité, par le droit de se faire de chaque subalterne une créature attachée à sa fortune. Le roi régla que tous les officiers d'infanterie, depuis le colonel jusqu'à l'enseigne, seraient nommés et agréés par le roi, tous les brevets dressés et signés par le secrétaire d'État de la guerre[1]. Il laissa subsister la charge de colonel général de la cavalerie, parce qu'elle était occupée par Turenne, et celle de grand maitre de l'artillerie dont se parait le duc de Mazarin. Mais ce n'était qu'une tolérance accordée à un grand homme, et à l'héritier d'un favori obstinément respecté même après sa mort. Peu à peu les deux emplois, successivement dépouillés de leur importance réelle, devaient être réduits à l'éclat, brillant mais vain, de leur titre[2]. Il eût fallu modifier de fond en comble le système des revenus et des dépenses publiques, pour enlever aux colonels et aux capitaines le pouvoir de former les régiments et les compagnies, et le soin de veiller à leur entretien. Pour ne pas imposer à l'État une charge qui eût paru intolérable, il était nécessaire d'en laisser une part à l'industrie de ces officiers eu leur abandonnant en retour certains profits. Mais il convenait de leur montrer, par une pratique irrécusable, ce qu'ils avaient à observer pour la composition de leurs corps, l'entretien de leurs hommes, et la régularité de l'instruction militaire. Dans cette pensée, le roi créa (1662), comme modèle de l'infanterie, le régiment du roi qui fut porté d'abord jusqu'à cinquante-quatre compagnies. Tous les officiers, nobles et riches, sortaient des mousquetaires. Martinet, simple bourgeois, mais un des meilleurs instruments des réformes de Louvois, un des hommes les plus fermes dans le maintien de la règle et de la discipline, en fut véritablement le chef, même lorsqu'un autre que le roi en fut officiellement le colonel. Là, il y eut bien plus de régularité à tenir les compagnies au complet, à faire les exercices, à rendre un compte fidèle de ce qui se passait dans les places. Quelques années après, Martinet, chargé d'inspecter les autres régiments, les façonnera vite et Vigoureusement à imiter, à égaler même, le régiment modèle. Le roi voulut aussi que les troupes de sa maison fussent, au lieu de soldats de parade, des corps d'élite engagés à donner l'exemple, et à justifier, par leur place dans les périls, l'honneur du premier rang. Il y avait deux compagnies de mousquetaires, exclusivement composées de jeunes nobles. Il y avait des compagnies de gardes du corps, fils de bourgeois ou de fermiers qui s'engageaient volontiers pour échapper à l'impôt de la taille, et mener la vie facile de gardiens à l'intérieur d'un palais. En 1664, Louis XIV réforma énergiquement les gardes du corps. Sans en exclure ceux qui n'étaient pas nobles, il sembla cependant préférer les gentilshommes, moins pour leur constituer un privilège que pour les tenir sous sa main et rattacher à son service personnel leur importance et leur valeur. La vénalité des charges en fut bannie ; les capitaines étaient des seigneurs de haute noblesse et quelquefois des maréchaux, les officiers subalternes égalaient en rang les officiers supérieurs de l'armée. Mais la condition essentielle pour être admis fut d'avoir servi, au moins deux ans, dans les troupes, et de s'engager à servir, au moins pendant quatre ans, dans les gardes du corps. Le roi ne voulait plus autour de sa personne que des hommes aguerris et dignes, par des services connus, de la considération publique[3]. Il se mêla bien à ces sages mesures quelques imperfections qui s'expliquent par l'fige du prince naturellement sensible à l'éclat extérieur, et par cet amour de la gloire empressé à frapper, à éblouir les yeux de ses sujets et des étrangers. Une remontrance de Colbert, un des plus grands actes de fermeté de ce ministre, nous apprend que, pour équiper et solder les troupes de sa maison, gardes du corps et mousquetaires, les gendarmes et les chevau-légers écossais du dauphin et de la reine mère, Louis XIV ne réglait pas assez la dépense sur ses ressources ; que chaque compagnie de gendarmes, qui coûtait 100.000 livres de solde par an, aurait pu être réduite à 30 ou 40.000 ; et qu'en absorbant 100.000 livres de dépense extraordinaire pour chaque compagnie de mousquetaires, on sacrifiait la construction de plusieurs vaisseaux. Quoique Colbert n'eût pas à intervenir dans les détails de l'organisation militaire, il avait, en qualité de contrôleur général, à en paver les frais. Il se sentait, en outre, autorisé par l'ordre que Sa Majesté lui avait donné et réitéré de l'avertir au cas qu'Elle allât trop vite. Il ose donc, dans ce mémoire, très-fort de faits et de chiffres, apprécier la nouvelle organisation, non pas seulement sous le rapport de la dépense, mais encore dans ses conséquences morales et politiques. Il blâme l'exagération dans la beauté des habits et ajustements des soldats : On a toujours cru, dit-il, qu'un soldat et demi ou un soldat un quart valait mieux qu'un soldat richement habillé. César regardait cette richesse comme une cause d'amollissement ; tous les grands capitaines ont été de l'avis de César. Il dénonce, comme un danger, la préférence accordée aux troupes de la maison du roi. La prodigieuse différence qui se trouvera entre ces troupes et celles des armées, abattra le cœur des officiers et des soldats de celles-ci, et les ruinera, parce que, dès qu'il y aura un bon officier où un bon soldat dans les troupes des armées, il fera tous ses efforts pour entrer dans celles de la maison[4]. Plusieurs expériences, depuis deux siècles, en confirmant la justesse de ces observations, ont prouvé que le mérite de Colbert n'était pas tout entier dans l'énergie de la franchise. A part ce défaut de modération, la réforme annonçait des progrès véritables. Les fraudes dans la levée des troupes, les désordres familiers aux soldats, commençaient à être efficacement réprimés. L'abus des passe-volants, un des fléaux les plus vivaces de l'armée, fut poursuivi avec une persévérance non moins inflexible. Dès 1663, le passe-volant convaincu était immédiatement puni de la fustigation, et promené devant les troupes avec un écriteau par devant et par derrière portant son nom de passe-volant. En 1665, à la fustigation s'ajoute l'impression de la fleur de lis au fer rouge sur le front et la joue du coupable. Deux ans après la peine montera jusqu'à la mort[5]. Même vigueur contre les violences que les populations n'étaient que trop habituées à craindre du soldat. Dans cette malencontreuse entreprise d'une guerre contre le pape pour l'honneur de Créqui (1663), le roi ne se lasse pas de rappeler à ses généraux les droits et les devoirs de la discipline. Il écrit à Bellefonds : J'ai appris que mes troupes avaient fait quelques désordres, et c'est ce que vous devez empêcher par toutes sortes de moyens. Il n'y a rien de plus important à mon service, aussi n'ai-je rien plus à cœur. Un cavalier était accusé de vol sur le grand chemin. Pour assurer le châtiment, le roi va jusqu'à accepter ait besoin la justice d'un prince étranger : Le mieux, écrit-il, est de le faire juger par un conseil de guerre ; si néanmoins cela se trouvait impraticable, j'aimerais mieux qu'on le fit juger par la justice du pays (Parme), que de laisser le crime impuni. Il savait bien que cette fermeté était à la fois profitable aux populations et à sa propre renommée, comme on le voit dans sa lettre à Lafeuillade où il lui répète l'injonction de contenir les troupes dans la discipline : Continuez d'y apporter toute votre application, non-seulement dans le séjour qu'il leur reste à faire où vous êtes, mais aussi dans leur retour, afin qu'elles m'attirent les bénédictions des peuples dans tous les lieux de leur passage[6]. Sa vigilance n'était pas moins remarquable à prévenir ou à réprimer les querelles et les duels entre officiers, ou à garantir le bien-être du soldat en marche ou blessé. Tout à l'heure, dans les petites guerres d'Allemagne et des mers Barbaresques, nous verrons à leur place plusieurs faits de ce genre qui sont comme autant d'essais des grandes institutions régularisées plus tard après expérience. Un intérêt plus pressant encore sollicitait l'attention et les efforts de Louis XIV. L'armée ne demandait que des réformes, et malgré ses insuffisances elle était déjà la première de l'Europe. Mais la marine, dont il ne subsistait que des débris, attendait une restauration entière, et comme une résurrection. Là était l'infériorité flagrante de la France vis-à-vis des puissances occidentales. Tandis que l'Angleterre montrait dans ses ports et sur les mers 130 vaisseaux de guerre, la Hollande près de 150, la France ne comptait (1661) que 18 vaisseaux, 4 flûtes, 8 brûlots, presque tous en mauvais état, et 6 méchants corps de galères[7]. Voilà ce qui survivait de l'œuvre glorieuse de Richelieu abandonnée après lui. La querelle du pavillon suscitée par Charles II d'Angleterre[8], et les insultes des Barbaresques, avertirent le roi qu'il lui fallait une flotte en état de se faire respecter et de protéger le commerce. Il y pourvut sans hésitation sous l'ascendant et avec le concours de Colbert. L'argent revenant aux mains de ce financier honnête, trois millions furent assignés à la marine pour 1662. Ordre fut donné de radouber tous les vaisseaux qui achevaient de dépérir dans les ports, et de construire de nouvelles galères, dont le besoin se faisait le premier sentir, parce qu'on n'avait encore à combattre que les Barbaresques et surtout dans la Méditerranée. On fit venir de hollande et de Suède les matériaux qui manquaient en France, entre autres 200 milliers de cuivre pour fondre des canons. On obtint vite des résultats qui valent beaucoup par la comparaison avec le passé, et que Colbert a raison d'énumérer avec complaisance : en 1662, 14 vaisseaux à la mer pendant les six premiers mois, et 6 autres jusqu'au mois d'octobre avec quelques galères ; en 1663, 9 vaisseaux en trois escadres, une dans l'Océan, deux dans la Méditerranée avec 6 galères pendant l'été ; en 1664, 12 vaisseaux en quatre escadres, la première de Dunkerque au Finistère, la seconde du Finistère au détroit, la troisième du détroit aux îles de Corse et de Sardaigne, la quatrième de ces îles jusqu'au Levant, plus 8 galères dans la Méditerranée[9]. Il faut bien avouer que le zèle du roi pour la marine se ralentit bientôt, et n'approcha jamais de son empressement pour l'armée de terre. On le sent aux inquiétudes de Colbert, et à ses efforts répétés pour vaincre sur ce point la défiance de son maitre[10]. La lenteur inévitable des résultats brillants dans cette nécessité de tout créer, le retard des exploits décisifs par l'obligation de ne pas compromettre des forces naissantes, satisfaisait peu l'impatience de Louis XIV et lui rendait suspects des sacrifices d'argent en apparence stériles. Il se fera prier pendant vingt ans pour visiter un port de mer, lui qui était si avide de camps et de revues, et ce n'est qu'en 1680, après un voyage à Dunkerque, qu'il dira le mot si longtemps désiré par son ministre : Je suis content[11]. Mais au moins il laissa agir Colbert. Celui-ci, qui a plusieurs fois exprimé que, de toutes ses attributions, la marine était à ses veux la plus belle et la plus honorable, se porta à cette vaste organisation avec toute sa vigilance, sa rigidité, sa passion pour la grandeur de la France. Dès les premiers travaux, il récompense l'habileté, il réprimande le gaspillage. Il envoie une médaille d'or à un habile constructeur de galères pour l'encourager à presser extraordinairement les galères commencées et à en faire toujours de bonnes et de belles (nov. 1662) ; c'est le premier acte d'un système de récompenses honorifiques qu'il appliquera souvent avec à-propos et utilité. Il n'entend pas tolérer la maladresse dans l'emploi de l'argent, et il n'est pas plus doux aux administrateurs imprévoyants qu'aux financiers concussionnaires. Cent mille livres jetées dans des réparations pour un séjour de quatre mois à la mer, l'exaspèrent d'autant plus que, au délit de prodigalité, se joint le danger d'être ridicule aux yeux des nations rivales. Il vaudrait mieux, écrit-il, abandonner tout à fait le dessein de la marine que de s'engager à des dépenses exorbitantes, et s'exposer en même temps à la raillerie des étrangers qui se moquent de ce que nous employons si inutilement des sommes immenses... On a reçu des lettres d'Angleterre, où, ce désordre étant connu, on nous traite comme des ridicules et des gens incapables des affaires de la mer. Il est constant que le roi d'Angleterre ne dépensera que 3.500.000 livres par an pour entretenir à la mer 153 vaisseaux de guerre, et que nous en avons dépensé presque autant depuis une année sans aucun fruit (septembre 1662). Les hommes manquaient sur les vaisseaux et sur les galères. Colbert s'appliqua sans relâche à en trouver. Pour les vaisseaux, il essaya successivement de plusieurs systèmes. Mazarin avait laissé tomber le règlement de Richelieu qui prescrivait que tout homme ayant servi une fois dans les armées navales appartenait au roi pour toute sa vie. D'abord Colbert tenta d'accorder la charge du recrutement avec le consentement volontaire des populations. Les communautés (communes) du littoral furent invitées à fournir pour la flotte un nombre d'hommes proportionné à leur importance. La proposition ne fut pas mal accueillie, mais bientôt la plupart des communautés offrirent une prestation en argent au lieu d'hommes ; et Colbert, au milieu des besoins du début, ne repoussa pas ce moyen de couvrir les dépenses d'une installation écrasante. Cet expédient ne pouvait suffire que tant qu'il avait peu de vaisseaux. Dès que le nombre augmenta sérieusement, il fut nécessaire d'en assurer par des voies plus régulières le personnel. Alors il ordonna, dans l'Aunis, le Poitou, la Saintonge, enfin dans la France entière, d'établir un rôle général des marins. Ou les partagea, ici en trois classes, là en quatre, ailleurs en cinq. Chaque homme appartenait à l'État pendant une année sur trois, ou sur quatre ou sur cinq, selon le nombre de classes de sa localité, et devait six mois de service pendant son année. Tel est le système des classes de la marine française, fort différent du système actuel malgré la ressemblance des noms. Essayé en 1665, il sera régularisé par ordonnance en 1668. Disons tout de suite que le temps ne l'a pas consacré ; suspect ou odieux aux populations par lui-même, il le devint davantage par l'impossibilité de tenir ses promesses, par la nécessité, en cas de guerre, de prolonger le service au delà du terme annoncé ; il dura à peine autant que la vie de son auteur. Les galères demandaient des forçats, des hommes assujettis par la force au rude labeur de la rame, à l'épreuve terrible de l'immobilité pendant le combat, au danger constant des premiers coups de l'ennemi. Aussi n'y employait-on que des criminels ou au moins des condamnés. Le nombre des forçats était fort insuffisant quand Colbert se chargea de refaire la marine. Pour compléter et maintenir la chiourme en bon état, il ne recula pas devant une rigueur qui pouvait souvent être inique, non pas seulement dure. Ce n'est pas, il faut bien l'avouer, le beau côté de son administration. Il entendit qu'on lui fit, selon ses besoins, des galériens. Une sédition avait éclaté dans le Boulonnais contre les impôts ; quatre cents paysans de la contrée furent immédiatement envoyés aux galères (1662), et bientôt suivis de coupables semblables, ou de faux-sauniers, ramassés en Poitou, Auvergne et Limousin. Une lettre du 11 avril 1662 invita les présidents des parlements à faire condamner aux galères le plus grand nombre de criminels qu'il se pourrait, en convertissant même la peine de mort en celle des galères. Il y eut un premier président, celui de Dijon, qui hésita, réclamant une déclaration ou du moins une lettre de cachet ordonnât aux juges, pour les crimes qui n'étaient pas noirs, d'abaisser ainsi la peine[12]. Mais un grand nombre de magistrats se portèrent avec empressement à satisfaire sur ce point la volonté et le besoin du roi. Plusieurs se firent un titre de leur succès en ce genre, triste succès, puisque, à côté du droit d'abaisser la peine, il y avait trop souvent pour le zèle la tentation de l'élever. Il est vrai que, une fois à la chaine, Colbert voulait qu'on ménageât les forçats, qu'on les nourrit bien, qu'on les vêtit avec soin, que par un traitement doux dans les commencements on les endurcit peu à peu au travail et à lit fatigue. Il envoya à Toulon un fabricant de pain, dont il venait d'éprouver à Paris, pendant la famine, la fidélité et l'exactitude, capable de ménager la dépense et de fournir toujours du pain bien conditionné et de bonne qualité. Il Va même jusqu'à prononcer le nom de la charité ; il eu ordonne l'exercice envers les malades ; et l'intendant de la marine, pour le rassurer, lui répond qu'il se croirait indigne de la miséricorde de Dieu, s'il connivait avec quelqu'un pour une diminution de la vie et du pain quotidien de ces malheureux[13]. On voudrait louer sans réserve ces sentiment très-estimables en eux-mêmes ; mais ils sont trop mêlés de calcul égoïste. C'est surtout quand les faux-sauniers meurent d'un mal qu'on juge procéder d'ennui et d'affliction, que l'autorité s'émeut de leur misère, comme un maitre qui craint de perdre sa bête de somme ou son esclave, et se radoucit en leur faveur par cupidité[14]. L'esclavage même, quand il s'agit de la marine, ne répugne ni à Colbert ni à Louis XIV. Ils en parlent comme d'un usage tout simple ; ils ne paraissent pas se douter qu'il y ait là une barbarie antichrétienne. Des forçats par autorité, ou complaisance judiciaire, restaient. ou retombaient souvent au-dessous du chiffre désiré. La ressource des rameurs volontaires, ou bonne-voglies, comme on en trouvait alors dans la Méditerranée, n'était ni assez assurée, ni assez favorable à la discipline et, à l'économie ; ces volontaires ne consentaient pas à subir la chaîne, ils exigeaient de plus une meilleure nourriture et un salaire. Rien ne parut plus naturel que d'y substituer des esclaves achetés ou conquis. La première mission donnée au duc de Beaufort (mai 1662) avait pour objet une descente en Afrique pour y faire des esclaves. Le roi y voyait un double bénéfice, le rétablissement de la chiourme de ses galères, et l'avantage de faciliter le rachat de ses sujets esclaves eux-mêmes entre les mains des Barbares[15]. Au moins Louis XIV se fondait sur un droit de représailles d'autant plus spécieux que l'agression ne venait pas de lui. Colbert n'y met pas tant de façons. A la nouvelle que l'intendant de Toulon a acheté trois esclaves tures, il le félicite de ce premier succès, et le presse de ne perdre aucune occasion d'en acheter d'autres, et de s'entendre pour cela avec les consuls de la nation française à Alicante, Cagliari et Majorque... Il n'y a rien de si important, écrit-il un peu plus tard[16], pour le rétablissement de la chiourme, que d'avoir des Turcs pour y mêler ; il faut, dès à présent, examiner les moyens de faire des descentes en Barbarie pour faire des esclaves. On ne suivit que trop ces prescriptions que le ministre ne cessa d'ailleurs de répéter. Cette obstination lui donne parfois un air cruel ; le besoin d'avoir des esclaves en bon état lui inspire à l'égard de ces malheureux un langage qui froisse l'humanité. C'est Colbert qui a écrit les mots suivants : Quantité de gens expérimentés en fait de galères disent ici que votre chiourme ne peut pas être bonne, parce que vous donnez trop de liberté aux esclaves, et que vous les nourrissez trop bien, d'autant qu'il n'y a rien de plus contraire à la bonté d'un esclave que la graisse et l'embonpoint. Vous devez y faire réflexion[17]. On se retourne avec plaisir, de ces erreurs d'un grand esprit, vers des entreprises plus dignes de son intelligence et du but qu'il poursuivait. Aux vaisseaux qui reprenaient la mer, aux matelots qui revenaient à l'appel régulier de l'autorité, il convenait d'ajouter les ports et les ateliers nécessaires à la construction et à la sûreté des flottes. Aussi voit-on apparaitre, en peu d'années, les grandes fondations navales, l'honneur du XVIe siècle, qui sont restées les principales stations de la marine française : Toulon, Rochefort, le Havre, Brest. La vie de Colbert est dominée par l'idée fixe d'affranchir la France de la dépendance de ses voisins. Contraint, pendant trop longtemps à son gré, d'aller chercher au dehors des exemples, des maitres pour ses ouvriers, des matériaux pour ses constructions, il ne vise qu'à nous empêcher de passer par les mains des étrangers. Cette ardeur attira tout d'abord son attention sur Toulon. Dans les premiers achats faits en Hollande, il avait remarqué des mâts de mauvaise qualité, et du cordage moins bon que celui qu'on aurait pu trouver en Provence[18]. En conséquence il ordonna des coupes de bois dans les forêts de Provence et de Bretagne pour bâtir des vaisseaux, et l'établissement de nouvelles corderies. Un particulier se chargea de l'exploitation en Provence : moyennant un payement en bois qu'il revendrait aux particuliers, il promettait d'amener à Toulon 150 mâts tout prêts, par des chemins construits à ses frais. Il faut, écrivait Colbert, tâcher par toutes sortes de moyens que l'entreprise du sieur Lalonde réussisse, et prendre des mesures pour faire du cordage sur les lieux (1662). Depuis ce moment, Toulon devint un centre de travail maritime, qui reçut avec les années des accroissements considérables. Bientôt (1663) sur les bords de la Charente, à quelques lieues de la mer, et autour d'une forteresse, il commençait Rochefort pour en faire un second Saardam de Hollande. Tout était à créer, l'enceinte, les rues, les habitants, aussi bien que l'arsenal, le port, les formes de radoub et la corderie ; ce ne sera pas le moins brillant de ses succès que la rapidité de l'exécution accomplie en six ans. Sur la Manche, la situation du havre pouvait, par la nature autant que par l'industrie des hommes, offrir une retraite sûre aux vaisseaux contre la mer et contre l'ennemi. La ville de François Ier n'en avait pas moins été délaissée. Des travaux furent entrepris (1664) pour vider le bassin des vases qui l'encombraient, en réparer les murs et les écluses, rétablir la communication avec le port, et conduire par un canal dans le port la rivière de Harfleur. Brest n'avait encore qu'un petit arsenal, et tout dégarni. Nul ne s'était jamais douté de la valeur de cette rade fermée, d'une circonférence de neuf lieues, et de cette rivière tombant perpendiculairement dans la rade. Les gentilshommes de la province refusant de vendre leurs bois, la matière manquait pour les constructions ; pas d'ouvriers que ceux des villes voisines qui s'en retournaient après chaque campagne ; et pour toute population fixe, cinquante habitants, si l'on en croit un document officiel[19]. On n'assignait d'ailleurs aux travaux du port que 16.000 livres par an. En 1665 les choses changèrent. Duquesne, chef d'escadre du Ponant (Occident), fut envoyé à Brest avec l'autorité administrative et militaire. On mit à sa disposition une allocation de 300.000 livres qui devait s'accroître chaque année ; et une compagnie d'ingénieurs arrêta les travaux à entreprendre. Le temps seul pouvait mener à bonne fin ces opérations gigantesques qui consistaient à écarter les montagnes pour laisser passer les vaisseaux, à changer la rivière en un port d'une lieue de long, et la rade en citadelle des flottes de l'Océan. Cependant l'année 1665 est célèbre dans l'histoire de la marine ; les contemporains eux-mêmes en ont fait une époque par la médaille frappée à cette date avec la devise : Navigatio instaurata. L'armée, la marine surtout, était encore à l'état d'essai, lorsque l'occasion se présenta pour Louis XIV d'essayer de la guerre même. Par un rare bonheur, cette prise d'armes ne pouvait lui être imputée ni à ambition, ni à dessein contre l'indépendance de ses voisins ; tout au contraire il n'apparaissait encore que comme un allié secourable répondant à l'appel des peuples menacés, comme le vengeur de la chrétienté contre les infidèles, l'ennemi commun. Les provocations des Barbaresques justifiaient, de la part de toutes les nations commerçantes, des représailles et des mesures préventives contre ces corsaires avides d'esclaves chrétiens et des richesses de l'Europe. Cette nécessité avait inspiré tout d'abord à Louis XIV la pensée de fonder un établissement en Afrique : Ce que je désirerais le plus, écrivait-il au duc de Beaufort (19 mars 1662), ce serait que vous pussiez prendre quelque poste fixe en Afrique, soit qu'il fût fortifié, soit qu'il fût dans une assiette à le pouvoir être facilement. Beaufort n'avait pas obtenu du premier coup, et avec les ressources du début, des avantages assez marqués pour satisfaire l'ardeur de Colbert. Mais en 1663, il eut le bonheur de contenir la flotte d'Alger et de la refouler dans ses ports (10 septembre). Afin de continuer cette première victoire, le roi décida (1664) une expédition composée de vaisseaux, de galères et de six mille hommes d'infanterie. Beaufort, commandant en chef, Vivonne, général des galères, Gadagne, chef des troupes de débarquement, étaient chargés d'exécuter enfin la conquête désirée. Sur d'autres points, les menaces des Turcs tenaient la chrétienté en grand péril. L'alarme en retentissait jusque dans la chaire par la voix de Bossuet. Les Infidèles diminuaient tous les jours la chrétienté par des armes si fortunées[20]. Depuis 1645, ils envahissaient pied à pied l'île de Candie, et en cernaient la capitale : siège célèbre pour avoir duré vingt-cinq ans. En prenant en main les affaires, le roi avait promis contre eux son secours aux Vénitiens[21]. Du côté du Danube, deux compétiteurs se disputant la principauté de Transylvanie, l'un avec la protection des Turcs, l'autre avec la protection de l'Empereur, le grand vizir en avait profité pour occuper Waradin (1661). L'incapacité du ministre de Léopold, le comte de Portia, qui voulait à tout prix éviter la guerre[22], les encouragea à oser davantage. En 1663, Achmet Kuprugli, dont le nom ouvre comme une nouvelle période dans l'histoire des invasions ottomanes, laissant derrière lui la Theiss, poussa dans la Haute-Hongrie, dépassa de bien loin la hauteur de Bude, et parut à vingt-six lieues de Vienne, devant Neuhausel. Quinze mille hommes sacrifiés en trois assauts le rendirent maître de cette ville : Neutra, Lewentz, Neograd succombèrent ensuite, pendant que le protégé du Sultan achevait de soumettre la Transylvanie. L'hiver seul ramena le vainqueur en arrière et sauva Vienne. Devant une telle évidence, l'Empereur, réduit à accepter la lutte, demanda des secours à la diète germanique ; il en obtint, mais à la condition humiliante que les troupes des Cercles auraient leur général particulier. Il s'engageait en outre à faire des levées dans ses États héréditaires ; mais, craignant de n'y pouvoir suffire, il recourut au roi de France, qui lui accorda sans hésiter six mille auxiliaires. Louis XIV entrait ainsi en Allemagne pour le salut de l'empire, à la sollicitation de son chef. L'expédition de Barbarie et la guerre de Hongrie, comme on affecta de la nommer en France, sont simultanées et connexes. Commencées dans le même mois, elles atteignent leur but principal à huit jours de distance l'une de l'autre. Le roi en suit tous les mouvements avec une égale vigilance, semaine par semaine, recueille avec empressement les rapports favorables, et les communique de ceux-ci à ceux-là, comme autant d'encouragements. Des deux côtés il se préoccupe d'aguerrir ses troupes, et de révéler par elles son importance à ses amis et à ses ennemis ; en même temps il expérimente sur les officiers et les soldats ses principes de discipline et d'organisation militaire. Ce sont, en un mot, deux applications de sa politique vis-à-vis de l'étranger, de sa régularité vis-à-vis des siens. L'expédition de Barbarie a quelques jours de priorité. Le roi commença par montrer qu'il en était le véritable chef. Ne pouvant ôter le commandement à Beaufort, à qui les dernières transactions de la Fronde avaient laissé le titre d'amiral, il le mit du moins sous la garde de Vivonne et de Gadagne. Il entendit que le général des galères, comme le chef des troupes de terre, lui rendit compte séparément de tout ce qui se passerait, et qu'aucune résolution ne fût prise qu'en conseil de guerre ; car il avait plus de confiance en la valeur qu'en la sagesse de Beaufort. Si Beaufort y résistait, c'était au nom du roi qu'on lui représenterait la nécessité d'écouter ses collègues[23]. Les galères, parties les premières, allèrent à Port-Mahon rallier celles de Malte. La jonction produisit un bon effet ; il fut évident que l'armée navale de France, tout récemment formée, n'était pas effacée par la vieille marine des chevaliers de Saint-Jean. Le roi, justement satisfait, en prit occasion d'inspirer aux siens le désir de ne pas se laisser surpasser par leurs alliés. Il n'y a pas de mal, écrivait-il, d'exciter un peu d'émulation entre elles — les galères des deux nations —, afin que dans les rencontres elles tâchent de se signaler à l'envi les unes des autres. Enfin la flotte sortit de Toulon le 2 juillet, et quelques jours après l'armée débarquait à Gigeri, près d'Alger. Malgré la résistance des Barbares, Gigeri fut prise le 23 juillet. Le roi en éprouva d'autant plus de joie, que cette victoire dissipait le préjugé de terreur qui protégeait encore les Turcs. Il la proposa comme exemple à son armée d'Allemagne, il écrivit à Coligny[24] : Ce bon succès ne fera pas mauvais effet parmi les troupes, puisqu'il prouve que les Turcs sont faits comme d'autres hommes. Immédiatement il s'occupa d'en assurer les conséquences. Il commanda des travaux pour garantir la conquête par des fortifications, et créer un bon port à Gigeri. Déjà même il demandait qu'on étudiât le moyen d'apprivoiser les Maures, de leur faire accepter l'occupation française comme une protection, et de tirer des chevaux de Sicile, de Sardaigne et de Barbarie, pour les haras que Colbert venait de rétablir[25]. La guerre de Hongrie, avec plus de difficultés, rapporta presque le même jour une gloire bien plus retentissante. Ici encore le roi avait fait comprendre par le choix du commandant qu'il n'entendait pas se mettre à la merci des grandes illustrations. Des propos bruyants, en Allemagne, proposaient un généralissime des troupes impériales, allemandes et françaises, et désignaient le prince de Condé, Turenne ou Wrangel le Suédois. Louis XIV, sous des formes polies et une affectation de bienveillance, éconduisit le grand Condé, dont il se défiait toujours[26], et nomma le comte de Coligny commandant particulier de ses troupes, avec Lafeuillade et Podwitz pour maréchaux de camp. Coligny, brave et ferme, ami du soldat et de la discipline, avait en outre le mérite d'être mortellement brouillé avec le prince dont naguère il avait été l'ami et le complice ; sa nomination laissait voir assez clairement les sentiments véritables du roi. Mais là n'était pas le plus grand embarras. L'Allemagne, qui appelait les Français, en avait peur ; comme les Grecs du Bas-Empire en face de Godefroy de Bouillon et de Louis le Jeune, elle croyait sentir, dans la croisade si vite accordée, une menace de domination. Louis XIV fit preuve d'une sagesse et d'une modération consommées. Au lieu d'une seule armée, l'Empire en avait trois : celle de l'Empereur, celle des Cercles, celle de l'Alliance du Rhin. Le roi déclara qu'il ne voulait être considéré que comme un membre de la paix, c'est-à-dire de l'Alliance. Si ce titre rappelait un souvenir pénible à l'orgueil de Léopold, les princes devaient être flattés qu'un roi puissant consentit à ne paraître que l'un d'entre eux. Il ordonna à Coligny d'obéir au comte de Holach, général des alliés du Rhin, parce que, disait-il, tout le corps des alliés lui doit obéir, et que le mien en fait partie du moment qu'il y est joint. Il se contenta de donner à ses troupes des drapeaux particuliers pour les faire reconnaître[27]. L'armée française, partie de Metz, et arrivée au Rhin le 31 mai, s'avançait à travers les États de Bade et de Wurtemberg. Malgré les ménagements dont elle usait envers les princes, les Allemands trouvèrent son passage onéreux, et insistèrent pour qu'elle s'embarquât sur le Danube et pavât 60.000 livres pour ce transport : Je m'étonne, écrivait Louis XIV, de la répugnance qu'on a de souffrir leur passage, puisqu'elles payent partout ; mais, quoique le prix lui parût excessif, il envoya les 60.000 livres[28]. Les Allemands n'étaient pas encore rassurés. Quand les Français arrivèrent devant Vienne, les magistrats firent doubler la garde et fermer les portes de la ville, comme l'historien Nicétas reproche aux Grecs d'Asie-Mineure d'avoir agi dans la seconde croisade. Il y avait entre les Allemands eux-mêmes des jalousies de nationalités et de commandements. Le corps de l'Alliance manquait d'argent et se fondait, pour ainsi dire, à vue d'œil ; le général des Cercles s'entendait mal avec Montécuculli, général de l'Empereur ; les Hongrois conservaient au milieu du danger leur vieille antipathie pour les Autrichiens. Loin de faire tourner ces rivalités au profit de son importance personnelle, le roi recommandait à Coligny de contribuer, par tout ce qui lui serait possible, à maintenir le concert et l'union parfaite dans toute l'armée chrétienne[29]. Ce qui entretenait la persévérance de Louis XIV, c'était la pensée des services qu'il allait rendre à la chrétienté, des avantages qu'il s'en promettait pour la gloire de ses armes et l'honneur de toute la nation. Le bel aspect de ses troupes ayant donné aux Allemands, malgré leurs antipathies, une grande assurance de victoire, il recueillait cet espoir avec empressement, et il en faisait aux officiers, aux moindres soldats, au général lui-même, une obligation de le justifier. L'Empereur devant passer à Lintz la revue de l'infanterie française, il regrettait que sa cavalerie ne s'y trouvât pas encore. En vous voyant tous réunis, écrivait-il, l'Empereur aurait d'autant mieux connu la valeur de ce secours. Il ne doutait pas que le prestige du nom de janissaire, encore tout-puissant en Europe, ne fût une vaine terreur. Elle se dissiperait dans ses troupes par le souvenir des avantages que la nation française avait toujours eus sur ces gens-là[30] ; et dès que les Français auraient commencé d'agir contre cet ennemi, ils feraient reprendre cœur aux soldats de l'Empereur et de l'Empire[31]. Les événements lui donnèrent satisfaction. A peine les troupes françaises eurent rejoint l'armée allemande près de Saint-Gotthard, sur le Raab (24 juillet), que les Ottomans, après avoir emporté le fort de Serinwar, parurent sur le bord opposé de la rivière. Ils furent repoussés une première fois (26 juillet) près de Kermend, où ils tentaient le passage à la faveur d'un pont et de plusieurs gués. La cavalerie de l'armée chrétienne était à ce moment en reconnaissance de ce côté. Douze cents chevau-légers français et les volontaires eurent tout l'honneur de cette journée. Ils arrivèrent les premiers sur les agresseurs ; par ordre de Coligny, la moitié mit pied à terre pour faire office d'infanterie. Leur résistance impénétrable donna aux escadrons allemands le temps d'accourir ; les Turcs, surpris de ce grand nombre, se retirèrent sans continuer la lutte. Ce fut le prélude d'une victoire bien plus rude et bien plus complète. Le grand vizir ayant transporté son camp en face de Saint-Gotthard même ; Montécuculli lui opposa toutes ses forces en trois corps ; à gauche, les Français appuyés au monastère de Saint-Gotthard, et à quelque distance les débris des troupes de l'Alliance ; au centre, l'armée des Cercles ; à droite, l'armée de l'Empereur. D'assez larges espaces séparant ces trois corps devaient rendre plus lente la jonction de l'un à l'autre, mais il y avait nécessité de garder sur ces trois points des gués importants. Le 1er août, dès l'aube, Coligny s'aperçut que les Tures se préparaient à passer la rivière en face du centre. Il courut en avertir le margrave de Bade, général des Cercles. Celui-ci était encore couché, et il ne se montra pas pressé de se mettre en garde. Mais bientôt le centre fut si vigoureusement assailli, que l'infanterie accablée retomba sur la cavalerie, qu'elle mit en désordre ; et, quoiqu'un moment ralliée par un effort désespéré de son chef, l'armée des Cercles disparut en une heure. Montécuculli n'avait pu la soutenir par trois de ses régiments. Il essaya aussi vainement de la remplacer par les régiments du due de Lorraine, et les contingents allemands de l'Alliance. La distance empêcha la jonction de ces renforts, et les Turcs continuaient à grossir effroyablement sur la rive conquise. Dans cette extrémité, Montécuculli recourut aux Français. Coligny avait dit jusque-là demeurer à son poste devant le gué confié à sa garde, qu'une masse d'ennemis menaçaient incessamment de franchir. A l'appel du général en chef, les Français s'élancèrent vers le champ principal de la bataille. Il y avait parmi eux cent vingt volontaires, gentilshommes et courtisans, qui avaient voulu voir le Turc, et qui gardaient à l'armée toute l'élégance enfantine de leurs costumes de cour. En apercevant ces hommes chamarrés de rubans, le grand vizir demanda, dit-on, ce que c'était que cette troupe de jeunes filles. Il ne savait pas quel entrain de courage s'agitait sous cette apparence de mollesse, ni que ces efféminés ne le cédaient à aucun soldat. Alors commença une mêlée furieuse. D'abord vainqueurs, puis tout à coup découverts par un désastre de la cavalerie allemande, séparés un moment de Coligny qu'une fausse alerte obligeait de courir à la défense de son premier poste, les volontaires et les cavaliers, mettant pied à terre avec Lafeuillade, parvinrent à ouvrir quelques brèches dans les rangs ennemis ; bientôt les brèches s'élargirent, et, toute l'armée s'y précipitant, les Turcs, après sept heures de lutte acharnée, s'enfuirent en confusion vers la rivière, où un grand nombre furent engloutis[32]. Le but de Louis XIV était atteint : la chrétienté était sauvée par l'héroïsme de ses soldats. Dans le premier moment, qui est toujours le plus favorable à la sincérité, l'Autriche ne refusa pas de le reconnaitre. Les ministres de l'Empereur écrivirent, par ses ordres, que la victoire était en grande partie — non modice — l'œuvre de la nation française. Des relations glorieuses à la France se vendirent à Bruxelles et à Madrid, avec l'autorisation du gouvernement espagnol. A Vienne, dans la cour du palais impérial, on satura de vin, à la manière tudesque, les hommes à qui, le mois précédent, on avait fermé les portes. Les Français avaient pris cinquante drapeaux aux Turcs : l'Empereur voulut en faire hommage à Louis XIV ; mais le triomphateur, fidèle à la modestie qu'il s'était imposée dans cette guerre, ne crut pas devoir les accepter. Quoique ce soient des marques assez honorables pour les garder, dit-il, je les renverrai à l'Empereur, parce que mes troupes, qui les ont gagnés, font partie de son armée, et qu'elles n'agissent pas sous mes ordres, mais sous ceux de ses généraux, et pour le seul secours de l'Empire[33]. C'était couronner un grand service par la grâce et la délicatesse. Sans doute, la réflexion ne tarda pas à changer le cœur des obligés. Pour échapper au besoin de ces auxiliaires supérieurs, Léopold aima mieux ne pas poursuivre les conséquences de la victoire ; il s'empressa de faire avec les Turcs une paix moins avantageuse qu'humiliante. L'amour-propre se ravisant par jalousie, on essaya, après quelques semaines, de revenir sur les premières relations par des récits et des images menteuses de la bataille de Saint-Gotthard, où l'on rendait le premier rang et toute la gloire aux armées allemandes. On ne rougit même pas de laisser dépérir, faute de vivres et des soins nécessaires, les troupes de Coligny, ce qui força Louis XIV de les rappeler en France pour les refaire. Mais l'effet principal ne pouvait être détruit. La considération du roi de France était telle, en Allemagne, qu'il lui fut possible, le mois suivant (septembre 1664), de prendre parti pour l'archevêque de Mayence contre la ville protestante d'Erfurth, de soumettre celle-ci par les armes et de conclure la querelle par un accommodement qui baissa l'archevêque satisfait et les protestants' sans inquiétude. Le prestige de la valeur française et de sa supériorité s'imposait à lotis les esprits ; une poignée de Français avait été plus forte que tous les soldats de la Germanie. Le grand vizir lui-même en exprimait des regrets, qui étaient le témoignage le plus avantageux de la gloire acquise. Louis XIV pouvait désormais compter sur son armée. Il écrivait à Coligny : Je ne doute pas que nos troupes, après cette expédition où elles ont eu tant de fatigues et d'occasions périlleuses d'où elles sont sorties avec honneur, ne reviennent encore plus fières et plus aguerries, et qu'il n'y ait un grand avantage à entreprendre quelque chose avec de si braves gens[34]. Une contradiction subite vint l'avertir des inconstances de la gloire et de l'impuissance des volontés humaines. Maitre de Gigeri, sur la côte d'Afrique, il espérait y fonder un établissement durable. Gadagne aurait préféré la position de Bougie ; mais le roi repoussa un projet qui venait trop tard et signifia qu'il n'entendait pas souffrir de résistance au sien[35]. Cependant, Beaufort était parti par ses ordres, avec toute la flotte, moins deux vaisseaux, pour continuer la chasse aux corsaires. Pendant cette absence, qui affaiblissait le corps d'occupation, les Maures du voisinage s'enhardirent à attaquer leurs vainqueurs, et d'abord les détachements qui allaient au dehors chercher des matériaux. De regrettables dissentiments entre les officiers de terre et ceux de mer arrêtaient le travail des fortifications de Gigeri ; les Maures s'approchèrent du camp, mal défendu, et commencèrent à le ravager à coups de canons ; bientôt, renforcés de 11.000 Turcs d'Alger et même de Constantinople, ils prirent de tels avantages, qu'un assaut irrésistible semblait imminent. Devant ce danger, lei Français se troublèrent ; ils demandèrent en tumulte à quitter une place où la maladie les décimait autant que le feu de l'ennemi. Gadagne eut hein leur promettre des secours prochains, déjà partis de France ; les officiers eux-mêmes, entrainés par les soldats, imposèrent au général l'évacuation. Dans la nuit du 29 au 30 octobre, on se rembarqua en désordre, laissant aux mains des Tures presque tout le matériel et le canon. Pour comble de malheur, un des vaisseaux — la Lune — qui ramenaient les fugitifs périt en vue de la Provence, corps et troupes, environ 1.200 hommes. L'émoi fut grand dans le public. Le roi ordonna une enquête sévère ; on crut la vie de Gadagne en danger (1). Mais, dans le cas présent, l'exercice de la justice militaire importait moins au roi que la répression de L'orgueil des Barbaresques. Il faut, disait-il, les traiter de telle sorte qu'ils ne se vantent plus de l'échec de Gigeri. Il défendit à Beaufort de rentrer à Toulon à la lin de la campagne, il lui envoya un supplément de vaisseaux et de vivres pour tenir et dominer la mer sans interruption. Des commerçants européens n'avaient pas honte de trafiquer avec les pirates et de leur vendre même les moyens de faire la guerre aux Chrétiens. Beaufort eut ordre de saisir, sur quelque vaisseau que ce fin, les mâts, les cordages et autres marchandises qui seraient portés aux corsaires. La mesure, d'ailleurs très-conforme aux traités, fut signifiée à l'Angleterre et à la Hollande. Avec ces renforts et ces talions, Beaufort parcourut la Méditerranée en vainqueur pendant toute l'année 1665. En avril, il battait les Tunisiens, et brûlait leurs vaisseaux sous le fort de la Goulette ; en juin c'était le tour d'Alger : en août, nouveaux vaisseaux pris ou brûlés sous les forteresses de Sercelles (Cherchell). L'affront de Gigeri fut ainsi effacé. Le roi, se croyant maitre de la Méditerranée, se départit du système de modération qu'il avait si adroitement pratiqué vis-à-vis de l'Allemagne. Il prescrivit à Beaufort et à Vivonne de forcer dorénavant les vaisseaux et galères d'Espagne, excepté dans leurs propres ports, à saluer le pavillon français[36]. Les Tunisiens sollicitaient la paix, il traita avec eux à des conditions qui lui décernaient la supériorité sur les autres peuples (novembre 1665). Les Tunisiens rendirent les esclaves français et s'engagèrent à n'en plus capturer d'autres. ils promirent honneur et respect au consul de France résidant chez eux, avec la liberté de faire dire la messe dans sa maison. Il fut en outre réglé que toutes les nations, négociant à Tunis ou dans l'étendue de ce royaume, reconnaîtraient le consul de France et lui payeraient les droits dudit consulat, excepté la nation anglaise et la flamande qui avaient déjà un consul dans la ville. Était-ce là un acte de protection en retour duquel il était permis de réclamer quelques dédommagements ? Un autre article ne laissait aucun doute sur les intentions du roi ; car il stipulait que le consul de France aurait la prééminence sur tous autres consuls[37]. Si le roi avait eu, dans ces deux guerres, la satisfaction de montrer avec avantage ses forces militaires à ses voisins, ses troupes avaient dû apprendre en même temps sous quel régime de régularité et de bon traitement il entendait les faire vivre désormais. Son zèle pour la discipline et pour le soin du soldat éclate journellement dans ses recommandations réitérées à Coligny et à Beaufort. La première instruction à Coligny, quand il prend le commandement (25 avril 1664), est pour lui dire : Voulant absolument que mes troupes gardent une exacte discipline, principalement dans leur marche, je vous écris cette lettre pour vous ordonner d'y tenir la main. Plus tard (13 juillet), il le remercie d'avoir bien exécuté cette mission : Rien ne m'est plus agréable, ni plus honorable pour vous, que l'ordre et la discipline avec laquelle mes troupes ont vécu dans tous les lieux de leur route. Coligny avait en effet la main ferme. Quelques désertions s'étant produites par la peur qu'inspirait le Turc, il fit pendre onze déserteurs ; le roi approuva sans phrase ce châtiment exemplaire (1er juin 1664). L'infanterie ayant commis quelques désordres auprès de Vienne, Coligny condamna les coupables à paver le dommage sur leur solde ; le roi consacra le système en prescrivant de suivre toujours cette maxime en pareille occasion (15 août). Le mauvais exemple des autres nations n'était pas une raison pour se relâcher de la régularité. Il est bon, écrit le roi, que les Hongrois connaissent de plus en phis qu'il n'y a pas moins de différence entre les Français et eux dans les quartiers qu'à la campagne, et chez leurs hôtes que dans les combats (19 sept.). Pas d'exception pour les volontaires, pas de faveur pour les importances personnelles ; s'ils se plaignent d'être traités tous également et sans différence, il n'y a pas à s'en mettre en peine (15 août). Pas diligence pour les officiers négligents ; s'ils n'ont pas soin de leur compagnie, cela ne peut aller dans la suite qu'à une entière cassation (20 mai). Point de querelles entre les officiers tant généraux que particuliers. Beaufort, qui avait eu maille à partir avec Gadagne, fut vertement invité à commencer par son exemple cette heureuse réunion, et tous les officiers avertis officiellement que sans une concorde parfaite ils ne pouvaient contenter le roi (18 août). Surtout point d'insubordination, ni même de plaintes, quel que fût le rang des personnes. Lafeuillade, jaloux de Coligny, son supérieur, profitait, pour exhaler son opposition, de l'état de pénurie où l'Empereur laissait à dessein le corps français. Une lettre très-explicite lui interdit les doléances : En de semblables rencontres, vous devez vous appliquer à inspirer la patience, réglant toujours vos sentiments sur ceux du comte de Coligny qui ne peuvent être que conformes aux miens (30 août). Le duel, ce fléau de la noblesse et des armées, qui s'obstinait à narguer çà et là les défenses royales, ne fut pas moins inflexiblement poursuivi. Parmi les jeunes gens remarqués pour leurs exploits à la bataille de Saint-Gotthard, on avait vu quelques-tins de ceux qui s'étaient battus en duel. Les édits leur interdisaient de figurer parmi les troupes ; Coligny ne les y souffrira pas plus longtemps, et il dira que c'est par ordre du roi ; un d'entre eux, plus particulièrement coupable, sera arrêté à l'arrivée de la lettre (22 août). Deux autres, de l'Estrange et du Toure, sont sortis du camp pour se battre. Le roi leur fera voir que, même hors de son royaume et des lieux de son autorité, nul n'échappe au châtiment pour infraction de ses édits (30 octobre). Les marquis d'Étampes et d'Aubeterre se sont querellés en mer. Vivonne leur défendra de se rien demander l'un à l'autre ; aussitôt après le débarquement, à peine de l'indignation du roi, ils se rendront devant les maréchaux de France. Pour plus grande précaution, Vivonne ne les laissera pas partir seuls ; chacun viendra en compagnie de quelqu'un de ses amis, qui se sera engagé à ne pas le quitter durant tout le cours du voyage. (Lettres à Vivonne, 18 et 20 sept. 1665.) Il n'y avait que justice dans cette rigidité. Voici maintenant l'équité dans la bienveillance. Le roi ne voulait pas que la peine, même méritée, excédât jamais la gravité de la faute. Un soldat ayant été bâtonné cruellement sur un vaisseau, pour insubordination notoire, mais sans jugement, Louvois protesta, et parce que l'affaire n'avait pas été soumise au conseil de guerre, et parce qu'un pareil traitement était indigne d'un soldat et d'un homme libre[38]. Lorsque le roi faisait respecter dans un coupable la dignité de l'homme, à bien plus forte raison devait-il de grands égards aux services fidèles et désintéressés. Il proclamait donc que bien nourrir le soldat, pourvoir à tous ses besoins, compatir aux blessés, tenir compte à chacun des épreuves douloureuses, était un mérite sans égal à ses veux. Quand la mauvaise volonté de l'Empereur accrut les difficultés du séjour en Allemagne, Coligny reçut l'ordre pressant de pourvoir aux vivres, de les ménager avec grand soin, et, tout en inspirant aux troupes le courage et la patience, de les faire subsister à quelque prix que ce fût (15 août). Après la prise de Gigeri, dans la pensée de maintenir en Afrique le corps d'occupation pendant l'hiver, le roi se préoccupait, dès le mois d'août, de leur envoyer des armes, des habits et des souliers, et les planches nécessaires pour les mettre à l'abri des maladies par de bons logements. Il accordait à chacun une augmentation d'un sou par jour, outre la solde sur laquelle on devait leur fournir les vivres, et, par une spéculation profitable à tous les intérêts, il ordonnait qu'on les employât aux travaux des fortifications et qu'on les payât à part pour ces travaux[39]. Son attention pour les blessés n'est pas moins digne d'éloge ; il veille avec une égale sollicitude sur ceux d'Afrique et sur ceux d'Allemagne. Il écrit à Beaufort : Ayez grand soin des blessés et des malades ; témoignez-leur le sentiment que j'ai de ce qu'ils souffrent, et les assurez que leurs blessures seront en tout temps de puissantes recommandations auprès de moi. Il écrit à Coligny : Parmi tous ces sujets de joie, ce m'a été un grand déplaisir de voir le rôle que vous m'avez envoyé des morts et des blessés, quoique ce soit une chose qu'il est nécessaire que je sache. Il faut assister les blessés avec des soins extraordinaires, les voir de ma part et leur témoigner que je les compatis fort. J'ai ordonné que l'on paye aux officiers blessés, savoir : aux capitaines de cavalerie, 400 livres chacun, à leurs lieutenants 400 livres, et 300 aux cornettes, et pour ceux d'infanterie deux montres à chacun, espérant qu'avec cette assistance j'aurai la consolation de les savoir bientôt remis en état de pouvoir agir[40]. De telles paroles méritent d'être citées. Elles appartiennent à l'histoire parce qu'elles sont des faits. Il y a ici le germe et comme le premier essai des magasins de vivres, des hôpitaux militaires, et de l'hôtel des invalides. |
[1] Roussel, Histoire de Louvois, chapitre III.
[2] Roussel, Histoire de Louvois, chapitre III.
[3] Roussel, Histoire de Louvois, chapitre III.
[4] Mémoires de Colbert à Louis XIV, du 22 juillet 1866 ; Collection Clément, volume des finances. C'est avec un autre Mémoire du 28 septembre 1665, un des plus beaux titres de Colbert à l'estime publique. Nous reviendrons sur l'un et sur l'autre, un peu plus bas, paragraphe VI de ce chapitre, à propos des fétu et divertissements du roi.
[5] Ordonnances de 1663, 1665, 1667, citées par Rousset, Histoire de Louvois.
[6] Œuvres de Louis XIV, Lettres à Bellefonds et à Lafeuillade, décembre 1663, janvier et mars 1664.
[7] Mémoires de Seignelay à son père, en 1671. Tableau dressé par Colbert pour la comparaison de la marine française avec elle-même, en 1661 et 1677.
[8] Voir la lettre de Louis XIV à d'Estrades, plus haut, § 3.
[9] Colbert, Mémoire pour servir à l'histoire.
[10] Colbert, Lettres, 7 juillet 1682 : Sa Majesté témoigne être fort dégoûtée des affaires de la marine, voyant que ses vaisseaux ont rendu le bord sans avoir exécuté ni même tenté la moindre chose ; — 8 septembre 1662 : Le roi pourrait par un petit succès prendre plus de goût aux affaires de la marine : je n'al pas osé faire voir votre état au roi, parce que je sais que Sa Majesté en serait sans doute plus étonnée que moi, et que cela lui pourrait peut-être faire perdre entièrement la pensée d'avoir des forces maritimes.
Il dira la même chose en 1671 : Le roi voit que sa marine languit depuis sept ou huit ans, et commence à se dégoûter des grandes dépenses qu'il fait, et que ses vaisseaux n'aient fait aucune action d'éclat pendant que les Hollandais, en six mois, ont remporté des avantages considérables sur les corsaires d'Alger.
[11] Nous verrons plus loin les efforts inutiles de Colbert pour attirer Louis XIV à Rochefort, en 1671, à Toulon et à Brest, en 1678.
[12] Lettres et Instructions de Colbert, tome de la marine.
[13] Collection Clément, tome de la marine. Lettres de Colbert, 1662 : Prendre grand soin de la conservation des forçats, prenant garde que le pain et les fèves qu'on leur donne soient fort bons... J'ai été très-aise de voir le détail que vous m'avez envoyé de la manière dont les forçats sont traités, vous conjurant toujours de ne rien diminuer de votre zèle et de votre soin pour cela, et d'exercer votre charité envers ceux qui seront malades.
L'Intendant de marine à Toulon écrit (septembre 1662) : Je vous proteste, Dieu vivant, qu'ils mangent de bon pain, de bonnes fèves dans lesquelles je fais, de fois à autres, mettre de la viande pour rendre le bouillon meilleur ; et ils sont plus soigneusement secourus et mieux nourris que ne l'ont jamais été aucuns forçats. Je croirais être indigne de la miséricorde de Dieu... etc.
[14] Lettre de Colbert : Je suis bien marri que la mortalité soit si grande parmi les faux-sauniers.
[15] Lettre de Louis XIV à Beaufort, 19 mai 1662.
[16] Lettre de Colbert à l'intendant de Toulon, 28 août et 8 décembre 1662.
[17] Lettre de Colbert à Arnoul, 29 mars 1669. La date de cette lettre fait mieux ressortir, par la distance des temps, l'opiniâtreté des idées de Colbert.
[18] Il se plaignait de ce fait à Courtin, résident en Suède, chargé d'acquérir dans ce pays des planches, des mâts, des boulets et du cuivre : Les étrangers, lui disait-il, nous accommodent de ce qu'ils ont de plus mauvais, à moins qu'on ne s'en défende par de grandes précautions, ce que nous avons éprouvé en dernier lieu en Hollande. — Lettres à Courtin, 18 et 22 août 1882.
[19] Lettre de Seignelay à Louis XIV, où il compare l'état de Brest en 1665 avec 1681.
[20] Bossuet, Sermon sur la Providence prêché à la cour : Quand je vois cet ennemi déclaré du nom chrétien soutenir avec tant d'armées les blasphèmes de Mahomet contre l'Évangile, et diminuer tous les jours la chrétienté par des armes si fortunées, et que je considère que, tout déclaré qu'il est contre Jésus-Christ, ce sage distributeur des couronnes le voit, du plus haut des cieux, assis sur le trône du grand Constantin, et ne craint pas de lui abandonner un si grand empire, comme un présent de peu d'importance : ah ! qu'il m'est aisé de comprendre qu'il fait peu d'état de telles faveurs !
On retrouve la même pensée, et presque les mêmes mots, dans un autre sermon sur la justice qui est évidemment de la même époque. Les éditeurs se trompent en le rapportant à 1879, à cause de l'allusion qui s'y trouve à l'édit de Louis XIV contre les duels. Mais l'édit de 1679 avait été précédé d'un édit semblable en 1881. Ce qui prouve que le sermon n'est pas d'une époque déjà avancée du grand règne, c'est que l'orateur, au lieu de célébrer les gloires acquises, les annonce seulement comme un effet que le roi est en droit d'attendre des bénédictions de Dieu.
[21] Mémoires de Louis XIV, pour 1661.
[22] Portia, pour détourner Léopold de la guerre, et le rassurer sur les conséquences de la perte de Waradin, lui disait que cette ville n'était qu'une étable à cochons.
[23] Œuvres de Louis XIV, tome V. Lettre à Vivonne, 28 avril : J'entends que dans les occasions importantes..., où il s'agira d'employer mes troupes, on ne résolve rien sans l'avoir examiné en conseil de guerre et qu'on y fasse beaucoup de considération des avis des sieurs de Gadagne, de la Guilletière, et chevalier de Clerville... J'ai bien plus de confiance en la valeur de mondit cousin qu'en plusieurs résolutions où elle pourrait le porter, décidant les choses lui seul.... Je vous ordonne de lui déclarer... qu'autrement j'aurais grand sujet de le rendre garant du succès.
A Vivonne, 10 juillet 1864 : Vivonne, voulant être informé de tout, et même par plus d'une voie, afin de connaître la vérité plus distinctement et pitié à fond, je désire que, préférant ma satisfaction et mon service aux considérations particulières que vous pourriez avoir, vous me mandiez tout ce qui se passera dans la descente de mes troupes et dans les autres occasions. Outre que le secret vous sera exactement gardé, vous pouvez vous assurer que cette ponctualité me sera fort agréable.
A Gadagne, 10 juillet : Vous continuerez avec soin à me mander à moi-même tout ce qui se passera, soit dans la descente à terre ou dans les autres occasions, et il n'y a point de scrupule qui doive vous en empêcher ; car je veux avoir connaissance du détail de toute chose, et, afin que vous puissiez librement me satisfaire, je vous réponds du secret.
[24] Œuvres de Louis XIV, Lettre à Coligny, 13 août 1664.
[25] Lettre à Beaufort, 18 août 1664.
[26] Lettre de Louis XIV à Gravel, citée par Rousset, 9 février 1664 : Je ne serais pas bien aise que le premier prince de mon sang allât essuyer les périls d'un emploi de cette nature, où il serait d'ailleurs fort difficile de réussir et particulièrement à un Français ; aussi la bonne volonté que j'ai pour mondit cousin ne me permettrait pas de lui donner la permission de l'accepter s'il lui était offert.
Or, nous avons vu plus haut, d'après Motteville, quelle était la bonne volonté de Louis XIV pour son cousin Condé, et que, au contraire, il le regardait comme un homme dangereux.
[27] Œuvres de Louis XIV, Lettre à Coligny, 15 août 1664.
[28] Œuvres de Louis XIV, Lettre à Coligny, 15 août 1664. — Lettre à Coligny, 12 juin : Vous avez bien fait d'user de la manière que vous me marquez avec le duc de Wurtemberg ; et quand vous aurez occasion d'obliger les autres princes et particulièrement ceux qui sont mes alliés, j'aurai plaisir de savoir que vous en ayez profité.
[29] Œuvres de Louis XIV, Lettre à Coligny, 7 août.
[30] Lettres à Coligny, 20 juin, 17 juillet, 7 août.
[31] Lettre de Louvois à Coligny, 8 août, citée par Musset.
[32] Voir dans Rousset, Histoire de Louvois, chap. I, les détails de la bataille de Saint-Gotthard ; nous lui avons emprunté les traits essentiels. Nous devons, et par respect pour le bien d'autrui, et par fidélité à notre plan, lui laisser l'honneur des détails qu'il a le premier mis en lumière.
Nous ne disons rien de la dispute de gloire entre Coligny et Lafeuillade, à propos de la bataille de Saint-Gotthard, parce que ce sont là des faits biographiques qui surchargeraient sans raison une histoire générale. On sait que Lafeuillade, par des moyens rapportés dans les Mémoires de Bussy et de Choisy, parvint à se faire attribuer tout le mérite du succès. Rousset a fait justice de ce vol, et démontré en particulier que, si Coligny disparut un moment de la grande mêlée, ce n'était qu'après avoir donné tous les ordres pour la faire réussir, et par la nécessité de pourvoir à la défense d'un autre poste qu'on croyait sérieusement menacé.
[33] Lettre à Coligny, 22 août.
[34] Œuvres de Louis XIV, Lettres à Coligny, 27 septembre et 30 octobre 1664.
[35] Lettre à Gadagne, 12 septembre 1684 : J'y suis fort résolu, et je prétends en venir à bout a quelque prix que ce soit. C'est pourquoi et vous et tous les officiers se doivent mettre dans l'esprit que la chose réussira.
[36] Œuvres de Louis XIV, Lettres à Beaufort et à Vivonne, 21 novembre 1664, 27 février, 24 avril, 16 juin, 11 septembre 1665.
[37] Dumont, Corps diplomatique, tome VI.
[38] Lettre de Louvois, au commissaire Delaguette, citée par Rousset.
[39] Œuvres de Louis XIV, Lettre à Beaufort, 13 août 1664.
[40] Œuvres de Louis XIV, Lettre à Coligny, 22 août 1664.