II. — Dernier apaisement des anciennes résistances. - Démission au cardinal de Retz ; les parlements réduits à l'autorité judiciaire. - Sévérités envers les jansénistes et les religieuses de Port-Royal. - Chambre de justice contre les traitants ; procès de Fouquet. - Châtiment des crimes de la noblesse ; Grands Jours d'Auvergne. Si la réforme des finances rendait au gouvernement le moyen d'agir, le roi ne trouvait pas moins nécessaire la suppression absolue des obstacles qui pouvaient entraver les effets utiles de son action. Il en voulait à cet esprit de résistance que la paix des Pyrénées avait fait taire sans l'étouffer, à ces traitants dont la fortune mal acquise osait concourir avec sa splendeur, à ces nobles des provinces dont l'impunité avait encouragé les tyrannies. Dompter les récalcitrants, punir les coupables, et prévenir par la crainte le retour des désordres, lui semblaient la plus complète garantie de sa souveraineté et de la prospérité publique. Le cardinal de Retz fut le premier abattu. Ce déplorable vagabond, avec quelques complices épars, des accointances dans le Parlement, et la plume des jansénistes à son service, avait troublé, par de nouvelles menaces, les derniers jours de Mazarin[1]. La mort du favori de la reine-mère lui ôta son arme la plus populaire, le prétexte de la haine de l'étranger, ce grand grief des frondeurs. Mais, si l'on en croit son confident Joly, Le Tellier et Fouquet se disputant l'avantage de le décider à traiter, leurs offres lui donnèrent l'espoir d'obtenir d'assez grands dédommagements, et l'audace de marchander sa démission. L'arrestation de Fouquet le surprit péniblement ; ses agents les plus actifs l'avertirent que sa dernière ressource était une soumission complète aux volontés du roi. Vainement il essaya de stipuler de grosses conditions pécuniaires pour un marquis de Chandenier, une abolition complète pour d'Annecy, le complice des sabotiers, pour lui-même une compensation plus large que celle que le roi consentait à lui faire entrevoir. Convaincu enfin de l'inutilité de la lutte, il revint à Commercy, et de là envoya sa démission dans la forme exigée par la cour (février 1662). De Marat, archevêque de Toulouse, fut nommé à l'archevêché de Paris, et, comme il mourut quelques jours après l'arrivée de ses bulles, Hardouin de Péréfixe lui fut substitué immédiatement. Retz ne pouvait donc plus attendre sa réinstallation dans l'archevêché, même par la grâce du roi. Il reçut pour dédommagement l'abbaye de Saint-Denis, riche, il est vrai, d'un revenu de 40.000 écus, et la petite abbaye de la Chaume, dans le duché de Retz, qui ne rapportait que 2.000 livres de rente. Désormais il vivra à Commercy, occupé de bâtir, de se meubler, et même d2 payer une partie de ses dettes. Résigné au moins en apparence à sa défaite, par une juste contradiction avec tout son passé, il se fera le serviteur empressé du maitre, soit pour indiquer, dans l'affaire de la garde corse, les humiliations les plus sensibles à infliger au pape, soit pour défendre, dans les élections des souverains pontifes, ce qu'on est convenu d'appeler l'intérêt de la France. Il lui reste quelques amis, Sévigné, La Rochefoucauld, Longueville, petite société secrète qui exhale encore dans les conversations privées, et quelquefois dans ses lettres, un dernier souffle de la Fronde, et qualifie l'ancien agitateur de bon cardinal. Ce sera là toute son importance. Laissons donc dans ce rôle abaissé ce triste personnage, qui nous a occupés trop longtemps, et cependant, pour être juste même envers lui, ne lui refusons pas cette circonstance atténuante, invoquée également au lit de la mort par un apostat fameux de notre temps : que toute sa jeunesse avait été dirigée, par une industrie de famille, vers une carrière pour laquelle il n'était pas né. Louis XIV nous a exposé, sans aucune gêne, les raisons de son antipathie pour les parlements. Perturbateurs de sa minorité, ils avaient en outre le tort de passer pour une autorité opposée à la sienne. Cours souveraines, jugeant en dernier ressort, il voyait dans ce nom un titre de rivalité avec le souverain unique, et, dans ces juridictions séparées et indépendantes, un morcellement de l'unité royale. L'autorité que je leur avais confiée, dit-il, n'était que pour faire justice à mes sujets, et non pas pour se faire justice à elles-mêmes. Il convenait donc de les remettre à leur place. Si désormais ils savaient se renfermer dans leurs fonctions légitimes, il serait bon de les traiter avec considération, de donner à leurs enfants une part dans la distribution des fermes et des bénéfices, de les accoutumer, par de bons traitements et des paroles honnêtes, à voir quelquefois le roi, au lieu que, au siècle passé, une partie de leur intégrité était de ne pas approcher du Louvre, autre forme d'indépendance qu'il était sage de leur ôter[2]. Colbert exprime la même défiance, et prend les mêmes sûretés contre les oppositions à venir, lorsque, dans l'enquête de 1663, il prescrit d'examiner, dans le général et dans le particulier, la composition du personnel des cours souveraines, quelle a été leur conduite pendant la minorité de Sa Majesté, par quels mouvements elle a été réglée, de quels moyens se sont servis les principaux qui l'ont conduite à bien ou à mal. Si elle est mauvaise, il faut savoir si les raisons qui ont pu la faire changer depuis sont assez fortes pour croire qu'en temps pareil elle demeurerait ferme, ou s'il y aurait à craindre qu'elle ne retombait dans la même faute[3]. A toute tentative de contradiction, le roi répondit par des ordres inflexibles d'obéissance. Le parlement de Bordeaux, ait temps de la famine (1662), avait pris une délibération pour retenir trente mille setiers de blé sur les quarante achetés par le roi. J'entends, écrivit Louis XIV, que, nonobstant cette délibération, la quantité de blé achetée par mes ordres sorte incessamment de la province. Vous témoignerez donc, une fois pour toutes, à mondit parlement, que je veux être obéi sans réplique ni délai. Le parlement de Dijon était agité de dissentiments qui nuisaient à la régularité du service (1663). Le prince de Condé, gouverneur de Bourgogne, reçut l'injonction de faire cesser absolument toutes ces aigreurs et de rétablir dans la compagnie l'intelligence et la concorde nécessaires au bien de la justice ils. Au parlement de Paris, un débat s'émut sur une question de préséance. Les présidents à mortier soutenaient pour eux le droit d'opiner avant les pairs, dans les séances solennelles des lits de justice (1664). Ils alléguaient, outre la possession, l'exemple de ce qui se passait à l'armée, où les pairs servaient sous les maréchaux, la préférence que les rois avaient entendu donner aux présidents sur les pairs, pour abaisser l'orgueil de ceux-ci, les marques même de royauté accordées aux magistrats dans la robe rouge, qui était celle du souverain. Il était difficile de présenter à un prince aussi ombrageux un argument plus maladroit. Louis XIV ne manqua pas de leur faire sentir qu'il entendait les abaisser à leur tour. Il reconnut que les présidents avaient pour eux l'usage, puis il prononça que, contrairement à cet usage, les pairs opineraient avant les présidents. Un coup plus sensible leur fut porté l'année suivante. En octobre 1665, le roi enleva aux parlements le nom de Cours souveraines et le remplaça par celui de Cours supérieures. Mais cette diminution d'honneurs n'était que le prélude d'un coup de massue[4] préparé contre leur puissance. Les magistrats s'étaient immiscés dans la question des rentes, où ils avaient, on le savait bien, un autre intérêt que celui de l'État. Un édit nouveau, qui fixait le prix des charges et prévenait les commerces suspects dont ces mutations étaient trop souvent l'objet, avait rencontré de l'opposition. Le roi alla au parlement de Paris tenir un lit de justice (22 décembre) pour faire enregistrer en sa présence des déclarations relatives au prix des charges, au jugement des financiers, à la réduction des rentes. Il laissa parler les opposants ; quelques présidents osèrent dire qu'ils n'avaient pas assez de lumières pour donner leur avis immédiatement. Mais la froideur du roi ne permettait pas d'exprimer une conclusion contraire à ce qu'il avait édicté. Enfin il se leva, et ne dit qu'un mot au premier président. Là-dessus, le chancelier déclara que le roi entendait que sa volonté fia exécutée, et qu'il défendait d'en délibérer. On se sépara en silence. Quelques jours après, plusieurs conseillers demandèrent l'assemblée des chambres pour examiner s'il n'y avait pas de réformes à faire aux déclarations. Le roi les attendait à cette tentative pour témoigner sa colère contre la compagnie. Pendant que le premier président tâchait d'interdire l'assemblée, comme si elle eût eu encore quelque chose de dangereux, le roi voulut faire voir que, dans son esprit, cette menace passait pour peu de chose. Il ordonna à Lamoignon d'assembler le parlement et de dire à ces messieurs qu'il n'entendait pas qu'on parlât des édits vérifiés en sa présence ; il verrait bien si on oserait lui désobéir. Cette signification les atterra comme un coup de foudre. Tous gardèrent le silence ; puis le président Le Cogneux se leva, Le Cogneux, habitué, depuis 1647, à contredire quand il ne trouvait pas à vendre son adhésion ; il se leva pour sortir, et chacun le suivant l'un après l'autre, la compagnie tout entière se sépara sans qu'il se fût dit une seule parole. Il n'y a point d'exemple d'une chose pareille dans le parlement[5]. Le roi se considéra dès lors comme affranchi de toutes les vieilles oppositions. Il le dit avec ce dédain solennel qui lui était familier, surtout dans sa jeunesse : L'obéissance qu'elle (la compagnie) me témoigna, en se séparant sans rien entreprendre, fut imitée bientôt après par les parlements les plus éloignés, et fit voir que ces sortes de corps ne sont fâcheux que pour ceux qui les redoutent. Dans la conviction de Louis XIV, le jansénisme était un allié du cardinal de Retz et des frondeurs. Le plus candide historien de Port-Royal n'hésite pas à reconnaitre que les apparences au moins justifiaient ce soupçon[6]. Quelques grands principes qu'on eût à Port-Royal sur la fidélité et l'obéissance qu'on doit aux puissances légitimes, quelque persuadé qu'on y fût qu'un sujet ne peut jamais avoir de justes raisons de s'élever contre son prince, le roi était prévenu que les jansénistes n'étaient pas bien intentionnés pour sa personne et pour son État, et ils avaient eux-mêmes, sans y penser, donné occasion à lui inspirer ces sentiments par le commerce, quoique innocent, qu'ils avaient eu avec le cardinal de Retz, et par leur facilité, plus chrétienne que judicieuse, à recevoir beaucoup de personnes, ou dégoûtées de la cour, ou tombées dans la disgrâce, qui venaient chercher chez eux des consolations, quelquefois même se jeter dans la pénitence. Joignez à cela qu'encore que les principaux d'entre eux fussent fort réservés à parler et à se plaindre, ils avaient des amis moins réservés et indiscrets qui tenaient quelquefois des discours très-peu excusables. Ces discours, quoique avancés souvent par un seul particulier, étaient réputés des discours de tout le corps. On a pu apprécier, par tous les faits racontés plus haut, si la complicité n'était que spécieuse ; les amis modernes de Port-Royal, qui n'ont plus rien à dissimuler, la croient réelle et la dénoncent expressément. Sainte-Beuve affirme que le dernier manifeste de Retz, qui fit prendre au roi la résolution d'anéantir le jansénisme, était certainement, comme les autres, d'une main janséniste. Au point de vue de la doctrine, Louis XIV a fait preuve d'impartialité et de connaissance de la cause quand il a dit que les communautés jansénistes étaient bien intentionnées peut-être, mais qu'elles ignoraient ou voulaient ignorer les dangereuses suites que leur esprit pouvait avoir. Lorsque la duchesse de Longueville, sous la conduite des jansénistes, se croyait obligée à réparer publiquement, par des restitutions, ses désordres publics ; lorsque le prince de Conti donnait jusqu'à 1.600.000 livres pour les dégâts causés par lui dans la guerre de Bordeaux, on pouvait applaudir à cette sévérité pour des fautes capitales, à cette proportion entre la pénitence et le péché, à cet exemple, venu de si haut, qui ne permettait de réplique il personne. Mais il n'en était pas de même des exagérations de certains évêques, bien plutôt faites pour éloigner de la religion que pour y ramener, pour troubler l'Église que pour l'édifier. Un Gondrin de Sens, un Pavillon d'Alet, rétablissaient la pénitence publique ou prononçaient l'excommunication pour les péchés les plus secrets, interdisaient aux ordres religieux l'exercice du ministère[7], réclamaient des ecclésiastiques l'obéissance qui convient à des moines, prétendant faire à volonté d'un curé un vicaire comme d'un vicaire un curé. Il y avait là opposition aux droits des bénéficiers reconnus avec beaucoup de raison par l'Église, à la sagesse qui a créé dans l'ordre monastique un auxiliaire précieux, à cette charité qui, en abaissant l'orgueil de l'homme par la confession, ménage sa dignité et ses intérêts mêmes par le secret. Si, de nos jours, un évêque ou un curé s'avisait de prêcher quelqu'une de ces rigueurs, que ne dirait pas l'esprit libéral contre une si impitoyable intolérance ? Comme cette morale avait son principe dans l'erreur de Jansénius sur la déchéance humaine et la grâce divine, il paraissait indispensable de supprimer l'enseignement de la doctrine pour prévenir les dangers de son application. De là, cette question du formulaire, déjà soulevée en 1657, mais toujours ajournée par les manœuvres du parti. Elle fut reprise, à la fin de 1660, au moment où le dernier manifeste de Retz porta le roi à en finir. L'assemblée du clergé arrêta que le formulaire d'adhésion à la bulle serait signé, non-seulement des ecclésiastiques, mais des religieux et religieuses, des principaux et régents des collèges, et des maîtres d'écoles. En même temps un arrêt d'en haut interdit les assemblées aux deux couvents de Port-Royal ; le lieutenant civil alla porter au monastère de Paris et à celui des Champs, l'ordre de renvoyer les pensionnaires et l'interdiction de recevoir des novices. Les solitaires furent aussitôt dispersés. La volonté du roi semblait tout près d'être exécutée, lorsqu'une fraude, qui ranima le souvenir de Retz, fortifia le soupçon de la complicité des jansénistes avec les ennemis de la paix publique. Les grands vicaires de Paris, créatures de l'exilé, rédigèrent un formulaire captieux, dont les ambiguïtés réservaient la question du fait, et que la plupart des religieuses de Port-Royal consentirent à signer[8]. Mais l'assemblée du clergé dénonça la manœuvre ; Retz lui-même, pour assurer son accommodement, la désavoua ; le formulaire, faux et menteur, fut cassé par le conseil du roi et par le pape ; les grands vicaires réduits à se rétracter dans un nouveau mandement. Il n'y avait plus d'échappatoire. Alors commença la résistance si célèbre des religieuses de Port-Royal. Angélique Arnauld, au lit de la mort (août 1661), avait écrit à la reine-mère pour attester l'intégrité de leur foi, leur soumission au Saint-Siège, et (flagrant mensonge) leur entière ignorance touchant les matières contestées. Mises en demeure de se prononcer sur le fait comme sur le droit, elles refusèrent de répondre directement aux questions de l'autorité ecclésiastique ; elles protestèrent contre une signature qu'il n'était pas raisonnable de leur demander. Le roi s'anima de plus en plus à avoir raison : Cela, dit-il, ne s'arrêtera pas là. Au mois de mai 1662, l'assemblée du clergé rédigea un nouveau formulaire, que la Sorbonne adopta, invita les ordinaires à infliger les censures et autres peines ecclésiastiques aux récalcitrants, et invoqua l'autorité du roi, pour l'exécution des sentences[9]. Deux incidents suspendirent l'effet des menaces royales. L'affaire de la garde corse, à Rome, rompit la bonne intelligence entre la France et le Saint-Siège. A Paris, un débat assez ardent sur l'infaillibilité pontificale rendit aux défenseurs du jansénisme l'espoir d'enlever à leurs adversaires la protection du roi. Cette question de l'infaillibilité avait, au XVIIe siècle comme au nôtre, le privilège d'être jugée par une foule de gens qui n'y entendaient absolument rien, et d'être combattue par plusieurs, qui, la comprenant très-bien, la dénaturaient dans le but de la rendre odieuse. Deux fois, il avait été soutenu, au collège des jésuites, des thèses qui établissaient que le pape était infaillible en matière de foi, et pouvait rendre des décisions dogmatiques obligatoires sans l'assistance des conciles. Les jansénistes et le parlement en firent grand bruit, comme d'un attentat, non-seulement au droit des conciles, mais à l'indépendance des couronnes ; à les eu croire, si le pape était infaillible, il n'y avait rien, pas même la puissance temporelle, qui ne relevât de lui. En vain le Père Annat avait expliqué bien nettement qu'il ne s'agissait que des matières de foi ; le roi, inquiet de la prétention pontificale qu'on lui dénonçait, provoqua de la Sorbonne une déclaration qui a évidemment prépare celle de 1682. Il ne voyait pas dans quel piège il se laissait attirer, et comment pour sauver son autorité temporelle que personne n'attaquait, il compromettait son droit d'évêque extérieur dans les affaires de l'Église. Si le pape n'était pas infaillible, la condamnation des jansénistes n'était pas définitive, puisque le pape seul l'avait prononcée ; et, si elle n'était pas définitive, de quel droit le roi en poursuivait-il si rigoureusement l'exécution ? Les jansénistes, qui sentaient bien la force de ce raisonnement, s'acharnaient d'autant plus contre l'infaillibilité, qu'en paraissant sauvegarder l'indépendance du roi, ils détournaient d'eux l'exercice de son autorité. Il s-eut en effet un répit dont profitèrent les évêques d'Alet, de Châlons, d'Angers, de Vence, pour écrire contre le formulaire, et Agnès Arnauld pour adresser au prince une longue lettre renouvelée de la dernière éloquence de sa sœur Angélique. A la faveur de ce temps d'arrêt, le docteur Arnauld, infatigable au fond de sa cachette, composait pour les religieuses de Port-Royal une théorie complète de désobéissance, en cas de reprise de la bitte. Il leur enseigne, dans ces instructions minutieuses, ce qu'il faut faire si le roi enlève l'abbesse, ou en nomme une autre, si l'on introduit des religieuses étrangères pour gouverner le monastère, si l'on impose des confesseurs nouveaux. Tous les cas sont prévus, tous les subterfuges préparés. C'est là qu'on apprend à lutter pied à pied, à pratiquer l'isolement, à ne pas obéir par l'esprit en se soumettant extérieurement à tout ce qu'on ne peut empêcher (Sainte-Beuve). Quand on lit, dans les histoires favorables au jansénisme, tous les détails de ce petit complot, il faut en vérité une simplicité singulière ou une bien grande mauvaise foi, pour admettre encore ou pour défendre la simplicité et la bonne foi des religieuses de Port-Royal. En 1664, le traité de Pise réconcilia Alexandre VII et Louis XIV. Le nouvel archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe, reçut ses bulles attendues depuis dix-huit mois. Il en usa sans délai pour soumettre les religieuses de Port-Royal à la signature du formulaire. D'abord il voulut employer les moyens de persuasion ; mais il se heurta contre des esprits bien résolus à ne pas se laisser persuader. Elles ne savaient rien, disaient-elles, des matières controversées ; elles ne pouvaient en conséquence adhérer à la décision portée sur ces matières ; et cependant ces ignorantes opposaient aux questions de l'archevêque tous les arguments qui couraient dans les feuilles volantes et les paperasses du parti. Mais enfin, puisqu'elles ne savaient rien, il leur offrait, pour les éclairer, les lumières de l'autorité ecclésiastique ; il les invitait à lui exposer leurs difficultés et leurs scrupules, à se faire indiquer la voie à suivre[10]. Bien loin d'accepter ce secours, elles ne recueillaient ses paroles que pour en rire ; elles répandaient au dehors des procès-verbaux de ses interrogatoires pour le rendre ridicule et dénoncer sa bonhomie ou les impatiences qui lui échappaient quelquefois. Il ne gagnait rien non plus à opposer à l'autorité de leurs docteurs celle du pape, des évêques, et en particulier de leur archevêque, leur supérieur immédiat et légitime ; il n'en pouvait rien tirer que l'expression certaine d'un parti pris de ne pas obéir. Il finit par leur amener Bossuet[11] dont l'éloquence et le savoir inspiraient déjà tant de respect. Le grand controversiste les embarrassa beaucoup, une de leurs relations en convient : elles reconnurent en lui une personne savante, et c'était à leurs yeux un grand titre ; mais comme elles se défiaient et se tenaient toujours sur leurs gardes, elles demeurèrent indomptables dans leur refus de signer. Bossuet les condamna d'un mot qui résume toute leur conduite et toutes leurs intentions. Si vous ne voulez pas prendre part aux décisions, leur dit-il, c'est que vous en avez trop pris aux contestations. L'archevêque, poussé à bout, leur lança un jour à la face cette parole, qui est restée le jugement impartial de l'histoire : Pures comme des anges, orgueilleuses comme des démons. La douceur ayant échoué, l'archevêque recourut aux sévérités ecclésiastiques. Après les avoir déclarées désobéissantes et exclues des sacrements, il s'occupa de transférer dans d'autres couvents les plus récalcitrantes. Il vint à Port-Royal de Paris (26 août 1664) avec le lieutenant civil, deux cents exempts et archers et sept ou huit carrosses. Il fit appeler douze religieuses qu'il entendait emmener ; parmi elles Agnès, et sa nièce Angélique de Saint-Jean, fille d'Arnauld d'Andilly, la seconde Angélique célèbre dans la communauté. L'appareil de la force ne tes intimida pas plus que le raisonnement ne les avait déconcertées. Elles signifièrent à l'archevêque un appel comme d'abus de toute sa conduite à leur égard. Le vieil Arnauld d'Andilly se trouva là pour affermir le courage de sa sœur et de ses filles. Angélique de Saint-Jean s'est vantée plus tard d'avoir fièrement regardé en face l'autorité : Quand le lieutenant civil me demanda mon nom de tiraille, je le dis bien haut et sans rougir, cardans une telle rencontre, c'est quasi confesser le nom de Dieu que de confesser le nôtre, quand on veut le déshonorer à cause de lui. Ô humilité des Arnauld ! Taisez-vous péronnelles[12], leur aurait répondu Molière. L'archevêque, qui en avait appelé une pimbêche et petite sotte, les fit monter en voiture et les conduisit les unes à la Visitation, les autres chez les Ursulines et chez les Célestes ou Filles-Bleues. Quelque temps après, il en transporta encore trois des plus exaltées et des plus capables, et ne laissa dans la maison que le médiocre. Une mère Eugénie, de la Visitation, fort estimée de Mme de Chantal, fut mise à la tête de Port-Royal de Paris avec quelques-unes de ses religieuses, pour gouverner les restes de la communauté. En novembre, ce fut le tour de Port-Royal-des-Champs : l'archevêque interdit les sacrements aux religieuses ; une lettre de cachet expulsa les confesseurs, le sacristain et le médecin Hamon. Au mois de juillet suivant (1665), comme plusieurs des exclues se plaignaient de leur dispersion, l'archevêque leur offrit de les interner à Port-Royal-des-Champs. Agnès le désirait et invitait ses sœurs à y consentir pour l'amour d'elle. On y réunit, au nombre de soixante-douze, les transportées et les plus opiniâtres à refuser la signature, sous la direction d'ecclésiastiques choisis par l'archevêque, et sous la garde du lieutenant civil. Le mur de clôture fut relevé ; un exempt fut préposé à la surveillance de tout ce qui entrerait ou sortirait ; et la garde fut si exacte — car l'exempt devait répondre sur sa tête de ce qui se passerait contre l'ordre du roi — que ces pauvres filles se sentirent plus gênées et plus prisonnières que jamais (René Rapin). Nous dirons franchement notre pensée. Nous n'aimons pas, dans une controverse religieuse, l'intervention du pouvoir temporel, par ce déploiement d'exempts et d'archers, et ces formes d'emprisonnement. Ces peines, quoique peu afflictives en réalité, avaient quelque chose de la persécution qui rend toujours aux accusés l'intérêt de la foule, surtout si elle tire de la faiblesse naturelle des victimes une apparence plus odieuse. Saint-Cvran avait bien calculé cet effet, lorsque, malgré Jansénius, il avait voulu un monastère de femmes pour adeptes ; et les meneurs ne pouvaient espérer une plus favorable mise en scène. Quant aux peines spirituelles, censures et excommunications, il faudrait, pour les blâmer, n'avoir aucune notion de la discipline ecclésiastique et monastique. Tout chrétien qui n'obéit pas à l'autorité de l'Église, doit s'attendre à être retranché de la communion des fidèles ; toute personne, entrée dans le cloître par le vœu d'obéissance librement prononcé, accepte par avance les rigueurs qu'entraine la violation de son vœu. Or, le pape, l'Église, ayant condamné Jansénius, c'était cesser d'être chrétien que de ne pas le condamner ; les religieuses de Port-Royal avant fait vœu d'obéissance, c'était surtout à l'égard des supérieurs ecclésiastiques qu'elles étaient tenues d'obéir, dans une question de doctrine, décidée par un jugement solennel du chef de l'Église, acceptée par le corps des évêques, et munie du sceau de l'autorité royale[13] ; ainsi parlent les gallicans eux-mêmes. On objecterait en vain que c'étaient de faibles femmes, ignorantes, qu'il eût été plus raisonnable de dédaigner et de laisser dans leur obscurité, personne ne prendra au sérieux les protestations d'ignorance de ces filles savantes qui avaient oser mépriser dans Vincent de Paul ce qu'elles appelaient un zèle sans science. On n'admettra pas davantage qu'elles fussent neutres dans la propagation de la doctrine, lorsqu'elles étaient dirigées et opiniâtrement défendues par les partisans les plus déclarés du jansénisme, lorsque, dans leurs interrogatoires et leur correspondance, elles faisaient un si habile emploi de tous les arguments, de toutes les subtilités du parti. La vérité réelle, c'est qu'elles ne voulaient pas que Jansénius se fût trompé, parce que Jansénius avait été l'ami de Saint-Cyran, que Saint-Cyran avait été leur maitre, et que, dans leur coterie de perfection, il fallait que tout fût pur et infaillible comme elles. La sévérité dont elles étaient l'objet atteignit également leurs défenseurs. Arnauld et Nicole durent demeurer blottis pendant cinq ans chez la duchesse de Longueville. Saci, découvert un peu plus tard (1666), fut enfermé à la Bastille. Quelques évêques qui prétendirent justifier le parti encoururent de leur côté la colère du roi. Pendant que tous les autres signaient le formulaire et le faisaient signer par leur clergé, Pavillon d'Alet, Caulet de Pamiers, Buzenval de Beauvais, Arnauld d'Angers, résistaient à l'accomplissement de ce devoir, par des mandements irrespectueux envers les deux puissances. Pavillon, le type de l'entêtement, était plus particulièrement désigné comme le chef du jansénisme. Toute la noblesse de son diocèse le dénonçait pour des sévérités extravagantes qui troublaient l'union des familles, épouvantaient les consciences, et poussaient ses diocésains à émigrer jusqu'en Espagne[14]. Une lettre par laquelle il s'excusait de signer le formulaire blessa si fort le roi, qu'il menaça de la faire brûler par la main du bourreau si on la rendait publique. On l'imprima cependant ; elle fut aussitôt déférée au parlement ; la même sentence, qui la flétrit et la supprima, déclara ceux qui résistaient au formulaire perturbateurs du repos public (12 décembre 1664). Les quatre opposants n'en ayant pas paru effrayés, le roi, finit par prendre le parti de les mettre en jugement et de les faire déposer. Nous verrons plus tard par quels événements cette résolution fut entravée. Le procès des financiers, prémédité depuis deux ans par Colbert, était bien vite devenu la pensée du roi, comme un moyen de popularité et de bonne administration. Quelques jours après la chute de Fouquet, le conseil des finances examinant s'il était opportun de déférer à une chambre de justice spéciale les usurpateurs des revenus publics, divers avis s'ouvrirent, non peut-être sans connivence avec les coupables, pour représenter qu'un tel acte d'autorité ferait cesser le commerce en ruinant le crédit, compromettrait le payement des rentes, et chasserait du royaume l'argent des étrangers. A quoi bon, d'ailleurs, créer une juridiction spéciale, lorsque les gens d'affairés, pour éviter les poursuites, offraient tout d'abord vingt millions, somme égale au moins à celles qu'on pourrait tirer des procédures. Mais le roi signifia qu'il devait procéder judiciairement pour deux raisons. Il avait une satisfaction à donner aux plaintes de ses peuples qui réclamaient justice de tant de violences et concussions commises contre eux. Il importait à la sécurité de l'avenir de purger le siècle par des punitions, convertir les esprits, imposer aux hommes de finances une conduite toute contraire à celle du passé, et leur apprendre, non-seulement pendant son règne, mais encore cent ans après, à se contenter de gains honnêtes et légitimes[15]. Cette chambre si redoutée fut créée en novembre 1661, et composée de membres des parlements, de la chambre des comptes, du grand conseil, sous la présidence du chancelier. Le préambule de l'édit, qui la constitue, annonce avec éclat les intentions du roi, à la fois bienveillantes pour les tins, impitoyables pour les autres. Le roi veut décharger ses sujets d'une partie des impositions et bannir le luxe de son royaume, retrancher les désordres des finances d'où sont sortis en si grand nombre les maux des peuples ; et faire disparaitre ces fortunes prodigieuses et subites, résultat de manœuvres illégitimes et fatal exemple de faste et d'opulence, capable de corrompre les mœurs et toutes les maximes de l'honnêteté publique[16]. Dès la première séance, cette double pensée du maitre fut répétée et retournée sous toutes les formes dans les discours d'apparat du chancelier, de Lamoignon, le premier président de Paris, de Talon, chargé des fonctions de procureur général. Le pays désolé, disent-ils, abandonné au pillage, gémit sous la main de l'exacteur ; toute sa substance et tout son sang n'a pu suffire à la soif ardente du partisan. Mais le roi a l'amour des pauvres gens, et la haine de cette sorte d'hommes qui font tout leur bien du mal des autres ; il va réparer les calamités que ses peuples ont ressenties, tant de ces iniquités que de la cherté et de la disette presque inouïe des deux dernières années. Pour faire bonne justice, l'édit promettait de restituer à qui de droit les sommes de deniers indument extorquées. Pour arriver à la connaissance complète de tous les crimes, il provoquait, il encourageait par des récompenses la dénonciation : au complice qui dénoncerait spontanément ceux dont il avait été le ministre, abolition de la peine encourue par la complicité ; au coupable qui s'accuserait lui-même avant d'être recherché, obligation de restituer ce qui aurait été mal pris, mais remise de la peine due au crime ; aux bons sujets du roi, qui aideraient à éclaircir la vérité des faits, le sixième des amendes et des confiscations adjugées au prince par suite de leur témoignage. De son côté, la Chambre citait devant elle tous ceux qui, depuis 1635, avaient pris à ferme les impôts. Eux-mêmes, ou leurs veuves et héritiers, étaient tenus d'apporter leurs baux au greffe de la Chambre, et de faire connaître les personnes qui, directement ou indirectement, avaient été leurs associés, ou avaient reçu des pensions sur les fermes. A l'enthousiasme qui respire dans ces promesses, on pouvait craindre que la persévérance manquât pour leur exécution complète. Et il est vrai que la Chambre de justice n'a pas tenu tout ce qu'elle faisait espérer. La difficulté de rassembler toutes les preuves nécessaires dans une si grande multiplicité d'opérations criminelles, le nombre des coupables, l'influence latente ou avouée de leurs défenseurs, les revirements capricieux et tout français de l'opinion publique, la crainte enfin de trop révéler la profondeur et l'étendue de la corruption, ont amené les juges, sans excepter le roi et Colbert, à de ménagements pour les personnes, des transactions dans l'application des peines, des indulgences même, qui sentent plus le calcul intéressé que l'intégrité impassible de la justice. Cependant la leçon n'a pas été sans profit. Ce n'a pas été impunément que, pendant huit années, les coupables sont restés sous l'appréhension de poursuites toujours possibles. Des condamnations solennelles, des restitutions ruineuses pour les familles atteintes, de grandes humiliations dans les plus hauts rangs de la société, ont laissé un souvenir qui a contenu bien des convoitises et prévenu bien des prévarications. par crainte au moins, sinon par conscience. Dès le début, la Chambre donna des arrêts de prise de corps coutre les agents lés plus connus de Fouquet, Boylève, Bruant, Catelan, Gourville. Ce dernier, qui conte assez franchement son histoire, avait déjà pourvu à la sûreté de plusieurs de ses compères. Il avait donné à de Lyonne l'assurance de lui garder le secret sur la part que ce ministre du roi avait eue aux libéralités du surintendant. Les Duplessis-Guénégaud lui devant 150.000 livres, il avait brûlé l'obligation, afin qu'ils pussent dire en toute conscience qu'ils ne devaient rien à Gourville. Il avait facilité la fuite de Saint-Évremond, menacé de poursuites pour sa diatribe contre la paix des Pyrénées. Obligé de se sauver à son tour, il retrouva, en débarquant en Angleterre, Saint-Évremond, qui lui offrit l'hospitalité dans un bon cabaret tenu par un cordelier apostat, enfui avec une religieuse[17]. Il n'en fut pas moins condamné à être pendu, ainsi que Bruant. La bassesse de son origine, sa servitude abjecte, dans la maison de La Rochefoucauld, figurent au réquisitoire, avec son changement de fortune, parmi les preuves de sa culpabilité. Mais ce n'était pas aux petits parvenus seuls que la Chambre s'en prenait. Elle cita devant elle les trésoriers de l'Épargne, la Basinière, Jeannin de Castille, Claude de Guénégaud, frère du ministre ; ils furent mis en accusation, dépossédés de leurs charges, et leurs registres saisis. L'évêque d'Avranches, fils d'un ancien partisan, fut appelé à rendre compte de la richesse que son père lui avait laissée, et condamné plus tard à une forte restitution. En même temps commença l'examen des rentes, des titres de leurs détenteurs, et cette suite d'arrêts dont Colbert a fait si intrépidement usage pour libérer le roi de créances justement suspectes (Voir plus haut, paragraphe I, p. 65). Le coupable le plus fameux, le plus impopulaire, était Fouquet. Personne ne se doutait que des incidents imprévus allaient rappeler sur lui l'intérêt public, en faire, sinon un innocent, du moins un persécuté, et compromettre en partie l'effet salutaire que le peuple attendait de la justice du roi sur tous ces concussionnaires. La Chambre commença, en mars 1662, à instruire l'affaire de Fouquet ; en juin, deux des juges se rendirent à Vincennes pour l'interroger. Mais tout à coup il leur suscita un embarras considérable en protestant contre l'institution de la Chambre, et refusant de répondre. La Chambre, réduite à le juger comme muet, et sur pièces, se trouva en présence d'un travail accablant et presque sans issue. Il y avait à examiner plus de soixante mille pièces concernant les baux des fermes et les prêts faits à l'État. Il y avait à compulser les registres de l'Épargne, à les comparer avec les ordonnances du surintendant, à démêler si les billets avaient été payés, ou s'ils n'étaient que fictifs. Que de temps cette recherche demandait au rapporteur ! Il fallait, en outre, par respect pour la régularité, transmettre à l'accusé toutes les pièces, tous les actes nécessaires à la préparation de sa défense. Que de répits lui étaient laissés pour trouver des moyens et des amis, tourner l'accusation s'il ne pouvait l'aborder en face, et embarrasser l'opinion comme les juges ! Ces délais durèrent trente mois. Fouquet en profita pour parler par écrit du fond de sa prison. Ses défenses s'imprimaient rue de Sèvres, à Montreuil, au faubourg Saint-Antoine, Nogent-l'Artaud en Champagne. Quelle que fût la surveillance de l'autorité, une seule de ces presses clandestines fut saisie. Pellisson, enfermé à la Bastille, ne se lassait pas de plaider pour son bienfaiteur : Discours au roi par un de ses fidèles sujets. Défense de M. Fouquet, Considérations sommaires sur le procès de M. Fouquet, Élégie sur la disgrâce de M. Fouquet, prose ou vers, toutes les formes de langage ou de raisonnement lui étaient bonnes ; quand il ne pouvait convenablement réclamer la justice, il invoquait la clémence pour avoir le droit d'égaler l'histoire du roi à celle de César. Entre leurs arguments, il y en avait un qui saisissait d'autant plus la raison publique qu'il devait davantage gêner Louis XIV, c'était la comparaison du surintendant avec Mazarin. La plupart des traités de finances avaient été passés du consentement ou même par les ordres du cardinal ; si le premier ministre y avait pu employer impunément son autorité absolue, un subalterne, qui n'avait fait qu'obéir, pouvait-il justement être rendu seul responsable ? On imputait à crime au surintendant son immense fortune et ses prodigalités ; on en faisait la preuve morale et flagrante de ses concussions ; mais que fallait-il penser de la richesse du cardinal, qui, de l'extrême nécessité en 1653, était arrivé si vite à l'extrême opulence, comme il paraissait bien par les mariages de ses nièces, et par ce mystérieux testament tenu caché contre tout ordre et raison[18] ? Fouquet avait beaucoup d'amis, par complicité ou par esprit d'opposition. Dans la liste de ses pensionnaires, dressée d'après les pièces trouvées chez lui, on remarque, outre de Lyonne, une Mme d'Huxelles qui réclame contre l'insuffisance de sa pension, Mlle de Vertus, chère à Port-Royal, le Val-de-Grâce, cher à la reine-mère, et d'autres personnages obscurs ou célèbres à divers titres, tels que Bartet ou M. de la Croisette[19]. Plusieurs des chefs jansénistes lui voulaient beaucoup de bien. On a, par des lettres, la preuve que le marquis de Pomponne, Simon Arnauld, sympathisait à cet égard avec madame Duplessis-Bellière[20] ; son père, le vieux d'Andilly, était ami de Mme de Guénégaud dont le mari figurait parmi les inculpés ; il se portait et agissait, dans l'affaire de Fouquet, avec un feu admirable[21]. On connait le zèle de Mme de Sévigné ; c'est par son ardeur à défendre Fouquet que commence l'importance historique de ses lettres. Qu'on joigne à cela les beaux vers de La Fontaine faisant du malheur un titre d'innocence, l'intervention de Corneille qui n'oublie pas non plus la magnificence du disgracié, et l'on comprendra que, pour peu que le pouvoir se donne de torts dans la conduite du procès, il ne manquera pas de voix pour relever ce moyen de résistance, ni d'influences pour grossir par ces raisons le nombre des partisans du coupable. Ces torts furent réels. D'abord, au moment de l'inventaire, une partie des papiers du surintendant fut réclamée par le roi qui refusa de les rendre, sous prétexte qu'un surintendant avant manié les affaires les plus délicates, le roi avait le droit de saisir et de retenir ses papiers. Il se commit ensuite plusieurs falsifications, dans les pièces qui restèrent au procès, par le fait de Berryer, un commis de Colbert, dont le nom en a gardé une flétrissure qui ne petit remonter jusqu'à son maître, mais qu'il est difficile d'effacer. Les longueurs de la procédure impatientant le roi, il intervint ouvertement, et Colbert avec lui, auprès de plusieurs juges qui lui paraissaient trop peu zélés ; sa mauvaise humeur manifeste, qui s'est traduite plus tard par des disgrâces, inspira alors à Séguier et à Pussort une partialité contre l'accusé dont leur dignité souffre encore devant l'histoire. Enfin, un grief plus décisif, quoique bien moins légitime, fut le règlement des rentes (1664) qui atteignait beaucoup de particuliers et quelques-uns des juges. Les réformes de Colbert exaspérant la cupidité, il n'était pas difficile, dans une société capricieuse, qui change d'amour ou de haine, non par jugement mais par impressions, de ranimer les regrets et la bienveillance pour la prodigalité du prédécesseur. Un contemporain, un de juges, résume en quelques mots les causes de cette évolution des esprits : Des fautes importantes dans les inventaires, les coups de haine et d'autorité, les faussetés de Berryer, et le mauvais traitement que tout le monde et même les juges recevaient dans leur fortune particulière, ont été de grands motifs pour sauver M. Fouquet de la peine capitale[22]. Quoi qu'il en soit, il n'était pas innocent. Aucun des juges, pas même Olivier d'Ormesson, qui l'a sauvé de la mort, n'aurait osé conclure à l'acquittement. Outre le crime de péculat, Fouquet était accusé, d'après un papier découvert dans sa maison de Saint-Mandé, d'un projet de résistance et de révolte, conjointement avec ses amis, pour le cas où il serait arrêté, et pour le cas plus grave où il serait mis en jugement. Par des combinaisons largement développées, il se ménageait la coopération de plusieurs gouverneurs de provinces ou de villes fortes, même de plusieurs maréchaux. Par son frère l'évêque d'Agde, il soulèverait les parlements ; par son autre frère, l'archevêque de Narbonne, il soulèverait le clergé ; par Arnauld d'Andilly, les moins échauffés de ses partisans ; par les manifestes de Pellisson l'opinion publique. Il eut beau dire que ce projet n'avait rien de sérieux, que c'était une boutade de mauvaise humeur contre Mazarin, qui remontait en 1657, et à laquelle il avait renoncé. On lui prouva que ce plan, écrit tout entier de sa main, avait été remanié, surchargé de ratures et de corrections également de sa main, à diverses époques, et témoignait d'un dessein suivi dont les moyens, les agents et les lieux changeaient avec les accroissements de sa fortune[23]. Des lettres bien plus récentes établissent, en outre, qu'après la mort de Mazarin (1661), il traitait avec un capitaine suisse de l'entretien de cinquante soldats de cette nation dans la forteresse de Belle-Isle, et que six jours avant son arrestation (août 1661), un de ses agents faisait à Bordeaux, pour son compte, des achats de poudre, de biscuit et de chanvre, et lui promettait, avec une inaltérable fidélité, le triomphe sur ses ennemis. Donc, le surintendant avait gardé, jusqu'à la dernière heure, l'espoir de se maintenir par le grand nombre de ses alliances, la volonté de résister à la disgrâce et au châtiment par la force. Le péculat n'était pas moins démontré. Les récriminations contre l'impunité accordée par le roi à l'héritage de Mazarin, ne prouvaient nullement que les actes de Fouquet fussent honnêtes. En 1650, il avait eu besoin, pour acheter sa charge de procureur général, d'emprunter la moitié du prix ; comment, en dix années, était-il arrivé à l'immense fortune qu'il étalait à tous les yeux[24] ? Pour expliquer sa pension de 120.000 livres sur les gabelles, il alléguait une concession du cardinal ; il résultait de pièces authentiques qu'il tenait cette pension d'un arrangement passé en 1656 avec les fermiers. Il ne niait pas qu'une pension de 140.000 livres sur les Aides fût inscrite au nom de Gourville et de Bruant, qu'une autre de 110.000 livres sur le convoi de Bordeaux fût répartie entre ses amis, hommes et femmes ; quel titre, autre que sa connivence, avaient ces gens-là à bénéficier sur les revenus publics ? La question du marc d'or[25], inscrit sous le nom de Duché, était insoluble parce que toutes les pièces avaient disparu ; était-ce une main désintéressée ou ennemie qui avait commis, si à propos, une soustraction aussi complète ? La ferme des sucres et cires de Rouen constituait contre lui un grief redoutable ; il y répondait par des impatiences, et une manière dédaigneuse qui n'était pas bonne, de l'aveu de ses amis. Quant aux octrois, c'était, dit Sévigné, un des endroits les plus glissants de la cause ; avec plus d'attention et d'habileté, on aurait pu le pousser et l'embarrasser beaucoup ; mais il eut le petit bonheur d'avoir affaire au chancelier qui sommeillait doucement[26]. Singulier petit bonheur, qui, par la joie même des avocats, devient une pièce de conviction irréfutable contre l'accusé. Le procès public ne commença que le 14 novembre 1664 ; il dura près de quarante jours. Ces débats contribuèrent encore à fortifier la faveur que l'antipathie pour les réformes de Colbert rendait peu à peu à Fouquet. Le chancelier par ses rudesses, Pussort par ses gros mots, manifestèrent trop le parti pris de condamner ; les amis de l'accusé eurent beau jeu à commenter, à grossir tout ce qui semblait infirmer les imputations, tout ce qui incriminait les juges de passion aveugle. C'était un manège de sensibilité, d'applaudissements ou de dérision, qui réussissait à merveille. Les dames se trouvaient sur le passage du prisonnier quand on le conduisait de la Bastille à l'Arsenal où siégeait la Chambre. A la vue de ce pauvre ami, à l'air gracieux de son salut, le cœur de M. de Sévigné se déchirait. Comme il était éloquent, lorsqu'il embarrassait le chancelier par des arguments personnels, et le faisait taire en lui rappelant son passé dans la Fronde. Que M. d'Andilly avait d'esprit, quand il métamorphosa Pierrot (Pierre Séguier) en Tartufe ! Quelle netteté, quelle intelligence, quelle capacité extraordinaire dans M. d'Ormesson qui résistait au chancelier et à Pussort ! Tant de menées eurent leur effet sur les juges comme au dehors. Le procureur général avait conclu à la peine de mort par la potence, et à la confiscation de toutes les sommes diverties par Fouquet, ou par ses commis, de son aveu et sous son autorité. D'Ormesson, le rapporteur, proposa le bannissement au lieu de la mort. Treize juges contre neuf se rangèrent à cet avis (20 décembre 1664). La vie de Fouquet était sauve, ses amis triomphèrent ; Mme de Sévigné reconnut la protection de Dieu, d'Andilly fit mille embrassades à d'Ormesson. Le roi, d'autant plus mécontent, trouva du danger à laisser vivre hors de France un homme qui avait organisé tant d'intrigues dans le royaume, et qui avait connu les secrets de l'État. Il changea le bannissement en captivité perpétuelle dans la citadelle de Pignerol. Une séquestration impitoyable fut infligée au condamné. Sa mère et sa femme eurent ordre de s'en aller toutes deux à Montluçon, en Auvergne, son gendre et sa fille à Ancenis, son plus jeune frère à Joinville, en Champagne. Lui-même, privé de son valet de chambre et de son médecin, ne put avoir qu'un serviteur choisi par le capitaine Saint-Mars, et privé également de toute communication extérieure. Une instruction spéciale, signée Louis et Le Tellier défendit que le dit Fouquet eût communication avec qui que ce fût, de vive voix ou par écrit, et qu'il fût visité de personne pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce pût être, pas même pour se promener. Le roi lui fournirait des habits et du linge, mais lui refusait absolument des plumes, de l'encre et du papier ; le capitaine pouvait lui faire donner des livres, observent néanmoins de ne lui en faire donner qu'un à la fois, et de prendre soigneusement garde en retirant ceux qu'il aura eus à sa disposition, s'il n'y a rien d'écrit ou de marqué dedans[27]. Il est évident que Louis XIV poursuivait encore plus le conspirateur que le maltôtier. Son plus grand grief était celui dont la chambre avait tenu le moins de compte, le projet de révolte et les nombreux complices organisés pour soutenir l'infidélité du ministre. On avait de fortes raisons de croire que le gouvernement de toute la Bretagne était aux mains de Fouquet sous des noms supposés, comme ses pensions étaient inscrites sous le nom de ses commis. Maitre de Belle-Isle par lui-même, il l'était du duché de Penthièvre, de Concarneau, du mont Saint-Michel, du Croisic, de Guérande, par les serments ou les promesses qu'il avait reçus des gouverneurs apparents[28]. Le mettre hors d'état de s'entendre avec ces gens-là, paraissait une nécessité d'ordre public. Cependant, la rigueur du roi fut traitée par plusieurs de vengeance rude et basse. Quoique Louis XIV n'ait jamais consenti à s'en départir, ces plaintes lui inspirèrent peut-être le parti qu'il prit, quelques mois après, de tempérer vis-à-vis des traitants la justice par la miséricorde, et de leur faire sentir le châtiment dans leurs biens plutôt que dans leurs personnes. Soit difficulté de convaincre les coupables tout en découvrant le mal, soit crainte d'avoir trop de familles à flétrir, tant la concussion comptait de participants, il accorda (juillet 1665) une amnistie partielle qui a donné au procès des financiers une apparence moins digne que les promesses et les espérances du commencement. L'édit convertissait en taxes pécuniaires, proportionnelles aux crimes, les peines corporelles que les inculpés auraient eu à subir ; le prince se félicitait de retirer par là, des mains des financiers, pour le soulagement du peuple, ce que leurs abus et malversations en avaient exigé. Moyennant le payement de ces taxes, pardon et abolition était accordé aux officiers comptables, traitants et prêteurs, de tous les crimes, abus et malversations par eux commis ; eux-mêmes, leurs enfants et alliés, pourraient être admis à toutes les charges, tant d'épée, de judicature, de finances, qu'autres, même en celles des premières compagnies du royaume. Il n'y avait d'exceptés de cette grâce que Nicolas Fouquet, Bruant, Gourville, les autres particuliers déjà condamnés, et Claude de Guénégaud sur le procès duquel il serait pourvu ainsi qu'il appartiendrait[29]. Ce système d'effacer l'indignité, de rendre l'honneur pour de l'argent, n'était pas irréprochable ; Boileau lui-même l'a flétri dans de beaux vers[30]. Il fut pourtant pénible à plus d'un coupable. Jeannin de Castille fut taxé à huit millions, et, faute de pouvoir payer, fut enfermé à la Bastille ; l'évêque d'Avranches rendit 1.200.000 livres au lieu et place de son père. Pellisson, le lendemain de sa mise en liberté, reçut la signification de payer 200.000 livres. On signifie tous les jours, dit Guy Patin, des taxes qui sont si extraordinairement grosses, qu'elles emportent au moins tous les biens des taxés, et il parait impossible qu'elles soient acquittées. C'est une plainte générale contre la rigueur de ces taxes. Le roi déclara de plus qu'il aurait privilège sur les autres créanciers.des traitants et serait payé le premier : sans cela, de l'avis de Colbert, les taxes auraient été inutiles. A côté de cette ruine des uns se plaça l'humiliation des autres. Claude de Guénégaud, frère du ministre, jugé conformément à l'édit, n'obtint une commutation qu'au prix de tous les abaissements d'une amende honorable publique. Amené à la chambre de justice vêtu de noir, il leva la main et jura de dire la vérité. Sur l'avis du greffier il s'agenouilla. Comme il ne fléchissait qu'un genou le chancelier lui dit qu'il fallait les deux ; il se mit à deux genoux. Dans cette posture, il déclara qu'il avait des lettres d'abolition et qu'il avait la volonté de s'en servir. Les lettres furent hies ; elles contenaient la confession de tous les chefs d'accusation ; entendre cette lecture, c'était pour le gracié, avouer de nouveau toutes les faussetés dont il était inculpé. Les lettres finissaient par cette sentence : Sa Majesté se réservant de le taxer à telle somme qu'elle avisera, indépendamment de dix mille livres d'amende. Les conclusions furent suivies. Après quoi, le chancelier dit que les comédies finissaient par le mariage, et la chambre de justice par la clémence (18 décembre 1665). Les taxes rapportèrent 110 millions ; c'est peu, si l'on
considère l'énormité des détournements commis par les financiers. Tous les
taxés ne subirent pas leur sentence ; le cours du temps, des convenances
politiques ou administratives, valurent à plusieurs des adoucissements, à
quelques-uns la grâce complète. Gourville lui-même, quoique condamné mort,
reparaitra bientôt auprès du roi ou des ministres comme un intrigant expert
et utile en matière politique ou financière. Cependant, nous le répétons, le
procès laissa des traces profondes. La chambre de justice dura encore quatre
ans, jusqu'en 1669, poursuivant ses recherches, et tenant beaucoup de familles dans l'appréhension, dans une inquiétude
continuelle par l'incertitude de l'état de leur fortune et de leurs biens.
Le désarroi fut grand chez les gens d'affaires ; la crainte de l'autorité du
roi demeura longtemps dans l'esprit de ceux qui avaient été frappés par
eux-mêmes ou dans leurs amis. Beaucoup purent, comme Mme de Sévigné, sentir
la sévérité jusque sous les manières aimables du maître, et lui appliquer
avec elle ces vers du Tasse : Goffrodu
ascolta, e in rigida sembianza Purge pin di timor che di speranza. Le procès de la noblesse est parallèle à celui des maltôtiers. Commencé à la même époque (1662), continué par des poursuites partielles sur divers points du territoire, il devait aboutir à une démonstration solennelle de la justice royale dont l'effet, justement populaire, ranima et consacra, pour quelque temps encore, l'antique alliance du roi et des classes moyenne et inférieure. C'est un curieux tableau que celui des attentats des nobles de province, révélés par ces débats. On y trouve la meilleure explication de cette haine des petits pour les grands ; qui a longtemps attendu son jour de vengeance, puis a éclaté en violences et en révolutions dont nous portons encore la peine. Dès 1662, le prince de Conti, gouverneur du Languedoc, et instrument de la pensée du roi, se rendait furieusement redoutable dans toute la province. Il fait rechercher les vieux crimes qui y sont en grand nombre, disait Racine[31] ; il a fait emprisonner plusieurs gentilshommes, ou en a écarté beaucoup d'autres. On dit qu'il n'y a que des missionnaires et des archers à sa queue. Les gens du Languedoc ne sont pas accoutumés à telle réforme, mais pourtant il faut plier. L'année suivante, en réponse à l'enquête générale ordonnée par Colbert, son frère Charles (de Croissy), commissaire en Poitou, Anjou et Touraine, accusait les nobles de molester le peuple, d'aider à l'enlèvement des filles riches refusées en mariage par leurs pères, de protéger les assassins. Les plus riches et les plus puissants, disait-il, s'exemptent des charges publiques, et l'ont modérer leurs taxes à la foule et oppression des plus pauvres. Il dénonçait en même temps la connivence des officiers de justice, fripons qui traitaient le peuple comme une vache à lait, les prévôts des maréchaux qui ne condamnaient jamais un criminel capable de leur donner de l'argent. Pour conclusion, il demandait une session de Grands Jours, en Poitou, afin de punir les nobles et ensemble de réformer les magistrats[32]. Mais c'était surtout dans les provinces du centre, dans les montagnes d'Auvergne, que ces crimes se multipliaient par la facilité d'échapper à la correction et au châtiment. Le crime, dit Fléchier, qui est toujours accompagné de honte, et qui cherche naturellement les ténèbres, n'a point trouvé de retraite ni plus sûre ni plus secrète que ces rochers escarpés que la nature semble n'avoir pas faits pour des personnes raisonnables, et n'avoir désignés que pour l'habitation des animaux... C'était la maxime des gentilshommes qui demeuraient dans ces quartiers isolés, de se servir indifféremment de tout ce qui leur était propre. Le peu d'égards qu'ils ont pour la religion, la grande avidité d'avoir du bien, l'autorité qu'ils ont parmi les habitants des campagnes, et l'éloignement de toute sorte de justice, leur font prendre impunément toutes sortes de libertés. Ils oppriment l'Église après avoir opprimé les pauvres, et tyrannisent les prêtres après avoir tyrannisé les peuples[33]. La famille des Canillac était la plus fameuse en ce genre. Le plus innocent d'entre eux, de Lamotte-Canillac, put très-justement être exécuté pour duel et autres crimes. Beaufort-Canillac levait dans ses terres, outre la taille pour le roi, la taille de monsieur, la taille de madame, la taille de chacun de ses enfants. Il entretenait à ses ordres douze scélérats, dévoués à toute sorte d'excès, baptisés des noms menaçants de sans-fiance, brise-tout, etc., qu'il appelait ses douze apôtres ; il s'en servait pour catéchiser par le bâton et par l'épée ceux qui lui résistaient. Le comte d'Apchier avait dix-neuf apôtres, de même vocation, qui levaient les tailles pour lui, assiégeaient les maisons, traitaient indignement les femmes, donnaient les étrivières aux bourgeois. D'Espinchal empoisonnait sa femme sur un faux soupçon d'infidélité, mutilait, suspendait en l'air et laissait mourir de faim un page qu'il lui plaisait de croire complice. Déjà condamné par le présidial de Riom, pour exactions sur ses vassaux, à perdre la tête, et à payer de grosses réparations, il s'était réfugié à Paris ; et là même il trouvait moyen de faire séquestrer par de faux archers un de ses rivaux d'amour, et, par l'audace de soldats à ses ordres, il échappait à la police du roi. Les moins coupables avaient au moins sur la conscience une violence contre les mœurs, ou quelque attentat manqué à la vie humaine. Montvallat couvrait de l'autorité de sa justice, moyennant une somme, les entreprises contre l'honnêteté de ses vassales. Il entendait exercer dans toute son étendue le droit de noces, et particulièrement le droit de mettre la jambe dans le lit de la mariée, et vendait fort cher la dispense. Lamothe-Tintry, n'ayant pu forcer un paysan d'aller faucher son pré, lui avait tiré un coup de pistolet et porté quelques coups d'épée. Le baron de Senégas avait démoli une chapelle de la sainte Vierge pour en tirer les matériaux nécessaires à ses constructions, fait lever les dimes d'un prieur sur ses terres, et emprisonner un de ses justiciables dans une armoire humide où il ne pouvait se tenir ni debout ni assis, et ne recevait qu'une nourriture insuffisante[34]. Une chanson populaire, le Noël des Grands Jours, composée, à cette époque, en patois d'Auvergne, dépeint avec vivacité, et non sans esprit, la rapacité de ces hobereaux. En voici quelques couplets traduits dans l'ordre des mots et la forme des vers : L'homme du château Au métayer arrache Ce qui le soutient, Et sans droit retient Son lard, son chanteau. Le cochon Il prend avec l'oison, Le cabri, l'agneau et la vache ; Encore, si l'autre se fâche, Il prend la charrue et le bœuf ; Et puis il lui donne sur la joue, Et les coups sont siens. A parler français, Chaque gentilhomme Du matin au soir Fait croître ses cens Et d'un liard on a six. Il vit sans foi, Prend le pré, le foin, Le champ et les choux du bonhomme ; Puis fait l'économe De ses pois, de son salé, Bat celui qui lui déplait, Et comme un roi dans son royaume Dit que cela lui plaît. Le roi, déterminé, dit-on, par les dernières audaces du sire d'Espinchal, et par l'insuffisant des justices ordinaires, décréta (31 août 1645), la tenue de Grands Jours, à Clermont, pour la haute et basse Auvergne, Bourbonnais, Nivernais, Forez, Beaujolais, Lyonnais, pays de Combraille, haute et basse Marche, et Berry. Président, conseillers, procureur général, tous étaient empruntés au parlement de Paris auquel toutes ces provinces ressortissaient. Le procureur général était autorisé à requérir des monitoires des évêques pour obliger les diocésains, sous peine de prévarication, de dénoncer les crimes et les criminels dont ils pouvaient avoir connaissance. Aux coupables déjà condamnés, et à ceux que leur conscience menaçait de poursuites possibles, il était interdit de fuir, sous peine d'occupation de leurs châteaux et de consommation de leurs biens par des garnisaires ; aux autres gentilshommes et bourgeois, interdiction de recevoir, même par hospitalité, les contumaces et de les assister d'armes ou de vivres. A la nouvelle d'un si heureux événement, l'impression fut immense chez les offenseurs et chez les offensés. Elle dut redoubler à l'ouverture des séances, quand le procureur général, Denis Talon, développa les intentions bienfaisantes du roi et les résultats salutaires qu'il était permis d'en attendre. Digne héritier de son père, et d'ailleurs fidèle à la devise du prince, il compara Louis XIV au soleil dont la chaleur, également favorable à toutes les choses qui lui sont inférieures, redouble toutefois son activité quand il faut percer les nuages ; ainsi le roi, après tant de prodiges et de miracles consacrés à la gloire et à la réformation de son État, venait faire part de son irradiation aux provinces éloignées du siège de l'Empire, dans celles où le mal était plus grand et le secours plus nécessaire. Par l'institution de ce tribunal, il rendait la voix à ceux dans la bouche de qui elle semblait étouffée, redonnait la liberté enchaînée jusque-là par les menaces et la crainte de l'oppression, et rétablissait l'ancienne splendeur dans les trois ordres du royaume. Telle était depuis quatre ans l'habitude de poser le roi devant l'admiration et la reconnaissance de ses sujets. Ce faire-valoir des vertus royales et des progrès du bien-être populaire par les soins du prince, se retrouve inévitablement dans les préambules édits, dans les circulaires des ministres, dans les harangues des avocats royaux. Il n'était pas encore tombé dans la monotonie ; en Auvergne, il eut un succès admirable. La terreur fut générale dans la noblesse. Le plus grand nombre prit la fuite ; plusieurs, convertis moins par la grâce de Dieu que par la crainte de la justice des hommes, devinrent les suppliants de leurs opprimés pour prévenir leurs plaintes ; il se fit, sans jugement, plus de restitutions qu'il ne s'en fait au grand jubilé de l'année sainte. Dans le peuple, dans les paysans, la joie fut au comble. Comme on chansonnait le vaurien, le coupe-jarret, le meurtrier, le filou, qui avait heurté l'un, heurté l'autre, et maintenant avait à craindre un coup de talon ! Noël descendait pour tout refaire ; le roi avait la volonté de faire des saints de tous les hommes : Pour tout terminer, Il veut que les gens tarés Et les méchants Puissent cette fois se défaire De tous leurs péchés[35]. Quelques paysans avaient acheté des gants ; ils croyaient qu'ils ne seraient plus obligés à travailler. Si on ne leur parlait avec honneur, si on manquait à les saluer civilement, ils en appelaient aux Grands Jours. Un gentilhomme, assailli par un d'eux d'une réclamation injuste, lui abattit son chapeau ; le paysan furieux lui ordonna de le ramasser, en invoquant la justice du roi, et le seigneur ramassa parce que, en temps pareil, il n'était pas prudent de mériter un reproche. Il y avait donc un refuge contre la violence. Si le roi le savait : Ce cri de l'opprimé en appelant au souverain n'était pas une espérance vaine. Malheureusement un temps viendra où ce ne sera plus qu'un mot, où l'on éprouvera que le roi sait et qu'il laisse faire ; alors avec la confiance s'évanouiront les anciennes fidélités. La Chambre des Grands Jours et ses agents répondirent à la confiance du moment par une activité infatigable, par la plus exacte impartialité. Ils ne reculèrent pas devant l'énorme besogne de douze mille plaintes à juger. Le commissaire Le Pelletier, visiteur de la haute Auvergne, se distingua entre ceux qui avaient la mission de rechercher et d'appréhender les coupables. Il entra dans les châteaux les plus fortifiés, fit ouvrir les cabinets les plus secrets, et envoya les plus fiers et les plus puissants de la province, sous la garde d'un exempt, à Clermont. Il reporta la terreur dans les montagnes d'où elle était si souvent sortie contre les faibles. Les juges s'attachèrent à ne faire aucune acception de personne, à ne tenir compte ni du caractère, ni des fonctions, ni de l'importance de famille. Un neveu de Turenne avait, quoique huguenot, usurpé une cure pour en appliquer le revenu à ses usages particuliers. Quelque considération que ces messieurs eussent pour M. de Turenne, ils condamnèrent son parent à une ample amende et à une restitution de 18.000 livres. Un curé, surpris en flagrant délit d'adultère, avait tué le témoin dont il redoutait la déposition. Le crime remontait à trois ans ; la justice ecclésiastique avait dégradé le coupable ; la justice du roi l'envoya à la potence : exécution considérable, dit l'historien, à cause de la qualité de la personne. Un lieutenant du roi, en Bourbonnais, avait excédé ses pouvoirs contre un prévôt ; il avait, de plus, émis de la fausse monnaie ; le grand prévôt de cette province, convaincu du même abus d'autorité, avait en outre, par manière de jeu, excité la bataille entre ses archers et son exempt, e laquelle l'exempt avait été tué : ils furent tous deux condamnés à des réparations pécuniaires, à la perle de leurs charges et au bannissement. La cour pouvait donc, sans encourir le soupçon de préférence, frapper fort sur les nobles criminels : elle ne les ménagea pas. Elle condamna à mort la plupart des Canillac, d'Espinchal, Apchier et de Latour, son complice ; le baron de Blot, meurtrier en duel de Puy-Guilhaume ; le baron de Cussi, assassin d'un plaideur avec qui il avait un démêlé : le comte du Palais et son fils, pour avoir, avec leurs valets, repoussé par la force et tué les archers envoyés contre eux par la justice. Lamothe-Tintry eut trois ans de galères. Les mieux traités eurent à paver de lourdes amendes. Canillac de Pont-Château, accusé par la voix publique, échappait au supplice par le défaut de preuves ; la cour, néanmoins, ne prétendit pas lui épargner la flétrissure. Le président lui adressa une réprimande solennelle, lui reprocha tous les déréglementa de sa vie passée, lui signifia que les juges le croyaient coupable ; que, selon toutes les apparences, il avait écarté les preuves et corrompu les témoins. Dans l'impuissance de prononcer, mais par forme de satisfaction au sentiment général, on lui imposa 500 livres d'amende, afin qu'il ne pût pas se vanter d'être absous. A ces peines corporelles et pécuniaires, la cour ajouta un supplément conforme à la politique du roi et au vif désir des populations. Elle enleva aux condamnés ce qu'ils avaient de plus redoutable pour l'ordre public : leur puissance féodale et judiciaire. Chaque arrêt ordonna le rarement des bois du criminel à trois pieds au-dessus du sol, la démolition de ses forteresses, la suppression de ses droits de justice, la réunion de ce droit à la justice royale. La sentence du comte d'Apchier emportait pour ses emphytéotes, censitaires et redevables, la décharge de toutes sortes de droits, bonades, vinades, manœuvres, charrois et autres servitudes, et, pour les habitants de ses paroisses, la rentrée en jouissance de toutes communes, prés, bois et droits de chauffage usurpés par lui. Celle du sieur de Latour plaçait les habitants de sa seigneurie et les témoins au procès sous la protection et sauvegarde de la cour et du roi. Enfin cette sévérité étendit son action, par droit de prévoyance, sur ceux même qui n'avaient pas été mis en jugement, afin d'épargner à l'avenir les crimes et les souffrances du passé. Le peuple et le roi s'accordaient, par des instincts divers, contre l'exercice de la justice féodale ; on ne pouvait cependant déposséder de leurs droits judiciaires ceux qui n'étaient pas encore atteints et convaincus d'en avoir abusé. La cour de Clermont entreprit, au moins, de les renfermer désormais dans des bornes assez étroites pour rassurer les justiciables. Elle fit un règlement destiné à prévenir les abus les plus criants dé ces juridictions. Par cet arrêt, tout seigneur haut justicier était rendu responsable de l'improbité ou de l'ignorance des juges choisis par lui. Aucun juge ne pouvait refuser de faire les procès de sa compétence ou de les instruire gratuitement et sans épices, quand il n'y avait pas de partie ch ile ou quand cette partie était trop pauvre pour suffire aux frais. Le seigneur, assez hardi pour refuser de faire punir les crimes commis dans son territoire, perdrait son droit de justice, et ses juges leur emploi. Tout haut justicier aurait une prison forte en bon état et un geôlier pour la garder. Il aurait également un lieu sûr pour le dépôt des greffes, un dépôt public où l'on pût toujours retrouver les minutes des procès[36]. Par là étaient supprimés l'incapacité des juges, les refus de justice par complicité, les évasions par connivence, les manœuvres de la cupidité. La justice seigneuriale, obligée à tenir ses comptes toujours prêts, dans cette crainte d'un contrôle désormais facile, respecterait davantage les intérêts de ses subordonnés. Louis XIV écrivait à Potier de Novion, président des Grands Jours (1er décembre 1665)[37] : Il ne se peut rien ajouter au contentement que j'ai de l'émulation avec laquelle chacun s'applique, dans les Grands Jours, à bien faire son devoir. Il faut achever de bannir l'oppression et la violence des provinces de votre ressort ; et vous, et ceux que vous présidez, avez trop bien commencé pour n'en pas venir à bout. Le zèle des juges, et la faveur qui avait si bien accueilli la justice royale, l'encouragèrent à faire l'année suivante la même chose en Languedoc. D'autres Grands Jours, composés de magistrats du parlement de Toulouse, s'ouvrirent au Puy en Velay, pour les provinces de Vivarais, de Velay, de Gévaudan, haut et bas Languedoc, Quercy et Rouergue. Là, comme à Clermont, les magistrats n'omirent rien pour faire reconnaître les lois dans un pays où elles étaient entièrement oubliées[38]. Les violences et les assassinats furent punis, les usurpations des seigneurs réprimées. Ils perdirent, entre autres, le droit de changer à leur gré en prestations pécuniaires les corvées dues par leurs vassaux ; il leur fallut renoncer à la jouissance de péages illicites, et de divers droits injustes, funestes à la circulation, au commerce, à la prospérité des populations laborieuses[39]. Ainsi, par une heureuse connexité, en Languedoc comme en Auvergne, l'intérêt du roi se rencontrait avec celui de ses sujets : sa puissance recevait une consécration nouvelle des effets bienfaisants de sa protection. Tant d'actes d'autorité accomplis depuis quatre ans contre tant de résistances diverses, ceux même qui, comme la condamnation de Fouquet, avaient trouvé d'actifs contradicteurs, disciplinaient lai ment les esprits, et faisaient de la soumission l'habitude de la société française. Il resta bien toujours au fond de certains cœurs et dans les hauts rangs, de ces rancunes, dépits, jalousies, qui ne se soumettent jamais, et qui s'épanchaient sans doute dans les conversations intimes, comme on le sent dans quelques correspondances. Mais le ton général était la dépendance et l'admiration ; les disgraciés, eux-mêmes, et les plus enclins à blâmer, n'en connaissaient pas d'autre. Saint-Évremond, sollicitant son rappel après cinq ans d'exil, ne faisait valoir comme titre à la grâce du roi que sa complète résignation (1665)[40]. J'attends qu'il lui plaise d'ordonner de ma destinée, et je me prépare à la reconnaissance de la grâce ou à la patience du châtiment. Quand il faut obéir, les ordres du roi ne trouvent aucun sentiment dans mon âme qui ne les prévienne par inclination, ou ne se soumette sans contrainte par devoir. Quelque rigueur que j'éprouve, je cherche la consolation de mes maux dans le bonheur de celui qui les fait naitre. J'adoucis la dureté de ma condition par la félicité de la sienne, et rien ne saurait me rendre malheureux, puisqu'il ne saurait arriver aucun changement dans la prospérité de ses affaires. |
[1] Voir notre second volume, chap. XIII.
[2] Mémoires de Louis XIV, p. 1666, ou, à propos d'un acte décisif contre le parlement de Paris, il explique ses sentiments à l'égard des cours souveraines.
[3] Colbert, Enquête de 1663, Collection Clément. Nous avons déjà dit que, si nous citions souvent Colbert comme autorité authentique, nous ne le recommandions pas comme écrivain.
[4] Journal d'Olivier d'Ormesson.
[5] Journal d'Olivier d'Ormesson.
[6] Racine, Histoire de Port-Royal, deuxième partie.
[7] Mémoires de Feydeau.
[8] Non sans peine, il est vrai, Jacqueline Pascal en mourut de douleur. Sur quoi son historien moderne, Victor Cousin, fait cette réflexion assez raisonnable : Contrainte, pour obéir à ses supérieurs, de signer le formulaire qui désavoue la grâce invincible, Jacqueline meurt de douleur et de remords, incertaine si cette fatale signature, même avec les réserves et les explications qui la réduisaient presqu'à rien, lui sera pardonnée, et si, pour sauver Port-Royal, elle n'aura pas perdu son âme. Ô misère des plus grandes choses, d petitesse des plus grands esprits !
[9] Racine, Histoire de Port-Royal. — Mémoires de René Rapin. Sainte-Beuve, Port-Royal.
[10] Nous ne pouvons résister à la tentation de citer cette page de M. Sainte-Beuve, c'est-à-dire d'un ami chaud de Port-Royal, que la vérité force à porter sur ces filles entêtées d'orgueil un jugement qui serait suspect dans la bouche d'un ennemi :
Quand il (l'archevêque) tenait de ces discours familiers à des personnes de goût et armées en guerre sous le voile, qui ne se croyaient pas des nonnes ordinaires, des filles de Sainte-Ursule ou de Sainte-Marie (fi donc !), mais qui étaient de Port-Royal, c'est-à-dire da lieu du monde où l'on savait le mieux ce que c'est que grâce, et où l'on avait là-dessus, de tout temps, dos directions de première main et des notions de première qualité, il paraissait, tout archevêque qu'il était, aussi ridicule et aussi mal avisé que le bonhomme Gorgibus de Molière, ou, si l'on veut, le bonhomme Chrysale parlant à une précieuse. Il avait à faire à des esprits infatués tout bas d'ans excellence et d'une aristocratie de dévotion, et qui se disaient de lui : Le bonhomme, l'archevêque de cour, il n'y entend rien, il ne comprend rien.
[11] Beausset, Histoire de Bossuet, tome I, livre II.
[12] Molière, Femmes savantes, act. IV, sc. VIII.
[13] Cardinal de Beausset, Vie de Fénelon, pièces justificatives de livre V.
Sainte-Beuve a plusieurs fois exprimé le même jugement : Franchement, et à voir les choses par le dehors, des yeux du simple bon sens, lorsqu'une bulle sollicitée par le roi était arrivée en France, y avait été reçue par l'assemblée générale du clergé, enregistrée sans difficulté par le parlement, acceptée avec de grands témoignages de soumission par la faculté de théologie, publiée avec mandement par tous les évêques du royaume, il était singulier et ridicule que, seules, une vingtaine de filles... qui se disaient avec cela les plus humbles et les plus soumises en matière de foi, vinssent faire acte de méfiance, et protester indirectement en interprétant une clause restrictive.....
[14] On l'accusait... d'obliger les femmes à se retirer de leurs maris, d'où il naissait de grands scandales par des séparations forcées... de laisser plusieurs églises de son diocèse sans prêtres... d'excommunier pour avoir dansé modestement dans les place publiques... d'exercer des violences sur des corps morts en les privant d'inhumation par de pures fantaisies... d'avoir, par ses interdits et autres violences, obligé plusieurs gentilshommes à déserter le diocèse, à se retirer en Espagne, ou à se mettre à couvert à Toulouse sous l'autorité du parlement. On avait trouvé des femmes pendues de désespoir, épouvantées par les prédicateurs. On ne faisait pas de scrupule de diffamer, aux prônes des paroisses, des filles, des femmes, des hommes, au grand scandale des assistants. Voir Mémoires de Rapin, tome III, livre XVIII. Ces détails sont extraits des cahiers apportés à Paris par le syndic de la noblesse d'Alet ; ils étaient justifiés par un grand nombre des faits particuliers.
[15] Colbert, Mémoire pour servir à l'histoire.
[16] Texte de l'édit.
[17] Mémoires de Gourville.
[18] Défense de Fouquet.
[19] Chéruel, Histoire de la vie et du procès de Nicolas Fouquet. Je suis heureux de rendre ici un témoignage de justice autant que d'amitié au travail si estimable d'un vieux camarade de quarante-six ans. — Nous recommandons particulièrement le chapitre relatif à la correspondance de Fouquet.
[20] Mme Duplessis-Bellière écrivait à Pomponne, le 19 sept. 1661, quinze jours après l'arrestation de Fouquet : Vous pouvez croire que je n'ai pas douté de vos bontés pour tout ce qui nous regarde. Je vous connais trop pour n'être pas persuadé de votre générosité, et vous me connaissez assez pour savoir ce que je souffre d'un si grand coup. (Prob Pudor !) Ce n'est pas que je n'aie assez prévu qu'il pourrait arriver du mal à M. le surintendant, mais je ne l'avais pas prévu de cette sorte, et je nie consolais qu'on l'ôtât de la place où il était, voyant qu'il le désirait lui-même pour songer à son salut (hypocrites !) Mais, mon pauvre monsieur, le savoir en l'état où il est, et ne pouvoir lui donner aucune consolation !
[21] Journal d'Olivier d'Ormesson.
[22] Olivier d'Ormesson.
[23] Ainsi, en 1657, il indique Ham comme lieu de réunion pour ses amis, et le maréchal d'Hocquincourt comme un appui sur qui il peut compter. Mais en 1658, il achète Belle-Isle, et se fait prêter un serment de fidélité inviolable et exclusive par Deslandes, gouverneur de Concarneau. Alors le projet est modifié. Belle-Isle et Concarneau sont substitués à Ham, et le nom de Deslandes à celui de d'Hocquincourt. Pourquoi, d'ailleurs, quand d'Artagnan mit la main sur lui, s'écria-t-il : Mme Duplessis, Saint-Mandé, sinon parce qu'il savait bien tout le parti qu'on pouvait tirer contre lui du fameux papier caché derrière une glace dans sa maison de Saint-Mandé ?
[24] Rapport du conseiller d'État Lafosse.
[25] Le Convoi de Bordeaux était une compagnie établie pour escorter les navires de commerce. Le droit de faire payer les marchands intéressés était affermé par l'État.
Le marc d'or était une taxe payée par les titulaires d'offices afin d'en prendre possession. La fiscalité du temps eu avait fait une ferme.
[26] Lettres de Sévigné à Pomponne.
[27] Œuvres de Louis XIV, tome VI. Voir Lettres de Sévigné, Journal d'Olivier d'Ormesson.
[28] Voir Chéruel, Vie et Procès de Fouquet, tome II.
[29] Texte de l'édit, voir Collection Clément.
[30] Boileau, Satire I :
Mais en vain pour un temps une taxe l'exile.
On le verra bientôt, pompeux, en cette ville,
Marcher encor chargé des dépouilles d'autrui
Et jouir du ciel même irrité contre lui.
[31] Racine, à Vitart, 25 juillet 1662 ; daté d'Uzès.
[32] Lettres et Instructions de Colbert, Collection Clément, tome de l'administration provinciale.
[33] Histoire des Grands Jours d'Auvergne, ouvrage plein d'esprit, de vivacité, de traits heureux, le plus remarquable sans contredit de tous ceux de Fléchier. Malheureusement, le ton badin, les allures mondaines, une singulière facilité à traiter plaisamment les délits de mœurs, donnent une apparence regrettable au jeune prêtre qui devait un jour être évêque, et qu'une certaine habitude littéraire range encore parmi les grands évêques du XVIIe siècle.
[34] Voir ces faits et beaucoup d'autres dans le récit de Fléchier. Ce récit est sans cesse confirmé par le Journal de Dongois, greffier des Grands Jours, comme le démontrent les citations de ce dernier ouvrage, insérées par Chéruel dans son édition de l'Histoire des Grands Jours d'Auvergne.
[35] Noël des Grands Jours.
[36] Recueil des arrêts, et déclarations de la cour des Grands Jours — Clermont, 1860.
[37] Œuvres de Louis XIV, tome V.
[38] Lettre du premier président de Toulouse au chancelier.
[39] Mémoire de Tubeuf, maitre des requêtes.
[40] Saint-Évremond, Lettre à de Lyonne, 1665.