II. — Mademoiselle de Scudéry et son cercle. - Triomphe de la préciosité. - Découverte du Tendre. - Type de la femme savante dans Sapho. - Le Cyrus, la Clélie : histoire et appréciation de ces romans. Avant de revenir au roman, cette forme secondaire du pomme épique, il est utile de visiter le grand arsenal littéraire où s'élaboraient les plus illustres monuments du genre, et de considérer pendant quelques instants la société galante qui tour à tour inspirait ces productions et s'admirait en elles. Madeleine de Scudéry avait brillé à l'hôtel de Rambouillet par son savoir et sa facilité. Elle faisait de petits vers, quelquefois heureux, comme ceux qu'elle consacra aux fleurs du grand Condé, à Vincennes[1]. Elle participait aux grandes entreprises de son frère. On raconte que, vers 1649, revenant ensemble de Marseille, ils furent arrêtés dans une auberge comme suspects de projet d'homicide, parce qu'on les entendait discuter s'il fallait tuer le prince Mazare, un des héros du Cyrus ; on les relâcha quand on eut compris qu'il ne s'agissait que d'un meurtre sur le papier. Il n'était donc pas étonnant qu'elle fit école, et que l'importance de la noble marquise lui revint comme un héritage naturel. Nous avons déjà indiqué les principaux hôtes du samedi. Pellisson fut certainement le plus illustre. Récemment arrivé à Paris, et pourvu d'une charge de secrétaire du roi, il venait de fonder sa réputation par une Histoire de l'Académie française (1652), dont la simplicité et le bon goût contrastaient avec la mode précieuse, et qui lui valut bientôt le titre d'académicien. Il connut mademoiselle de Scudéry chez Conrart, il la retrouvait sans cesse chez son frère ; il ne tarda pas à devenir son ami, et sans doute le premier de ses tendres amis, selon la distinction qu'elle établit elle-même entre les degrés de l'amitié. Il brilla dans son salon par les agréments de son commerce et les charmes de son esprit ; mais il ne fut pas le seul agréable à la maîtresse de la maison. Sarrazin, esprit moqueur, parfois sceptique, y fut accueilli comme le rieur aimable, le contradicteur piquant, qui apportait dans les conversations tout l'enjouement de sa belle humeur[2]. Conrart, écrivain discret, n'y fut pas moins vanté pour la grandeur de son esprit, la solidité de son jugement, sa capacité, sa politesse, sa galanterie et sa générosité[3]. Autour d'eux, Ménage, Chapelain, Izarn, compatriote de Pellisson, un grand nombre de femmes, telles que l'abbesse de Malnoue, sœur de la duchesse de Chevreuse, y conservèrent leur réputation, ou en cherchèrent une qui est restée aussi mystérieuse que les allégories sous lesquelles leur génie aimait à se produire. On a avancé que, dans ces réunions, on affectait de dire
avec prétention les plus petites choses, qu'on affectait le bon ton parce
qu'on ne l'avait pas naturellement[4] ; c'était
l'effort du bourgeois pour se hausser au niveau du grand seigneur. En sa
qualité de savante, Madeleine de Scudéry aimait en effet à en prendre les
airs. Elle tenait des assemblées où elle faisait des
discours en reine qui a lu Tite-Live[5]. Comme on en peut
juger par les tableaux qu'elle a tracés elle-même de sa société, elle
proposait des questions graves ou subtiles,
philosophiques ou galantes, raisonnables ou sophistiques, qui mettaient en
jeu les qualités, les passions, l'esprit de
ses habitués[6].
Mais, par-dessus tout, s'exerçait sous sa conduite le goût dominant du grand
nombre, la littérature de société. Jamais il ne se fit une plus grande
quantité de sonnets, rondeaux et madrigaux.
Il n'était pas d'aventure qui ne se dût raconter en vers, pas de petit
événement qui n'endossât la forme poétique, pas de cadeau qui ne méritât un remercîment
rimé.-Pellisson nous en donne un échantillon joyeux dans son récit de la
journée des madrigaux, le 20 décembre 1653 : Ce
jour-là, dit-il, les inspirations d'Apollon
vinrent, toute la troupe s'en ressentit. La poésie, passant l'antichambre,
les salles et les garde-robes, descendit jusqu'à l'office. Un écuyer, qui
était bel esprit et qui avait pris la nouvelle maladie de la cour, acheva un
sonnet de bouts-rimés sans suer que médiocrement, et un grand laquais fit
pour le moins six douzaines de vers burlesques. Mais nos héros et nos
héroïnes ne s'attachèrent qu'aux madrigaux. A peine celui-ci venait-il d'en
prononcer un, que celui-là en sentait un autre qui lui fourmillait dans la tête.
Ici on écrivait quatre vers, là on en écrivait douze. Tout s'y faisait
gaiement et sans grimace. Ce n'étaient que défis, que réponses, que
répliques, qu'attaques, que ripostes. La plume passait de main en main, et la
main ne pouvait suffire à l'esprit. On fit des vers pour toutes les dames présentes.
J'en sais même qui pensèrent à Doralise, quoique absente, et peut-être avec
un peu plus d'amitié qu'elle n'en avait pour eux.... L'historien moderne de Pellisson a rassemblé agréablement
quelques autres traits que nous citons avec plaisir[7]. On ne se donnait pas une corbeille sans y cacher des vers,
pas un oiseau sans lui faire dire des vers.... On chanta en détail toute la volière de mademoiselle de Scudéry ; sa
fidèle pigeonne eut des vers de Pellisson et un mot de Louis XIV ; autour de
sa bavarde fauvette, qui célébra jusqu'au doge de Venise, il se fit un
concert de tous les oiseaux et de tous les poètes, et Pellisson la chanta si
bien, que le rossignol vint lui demander justice. En 1654, il survint
parmi ce peuple un événement funèbre ; le perroquet de madame
Duplessis-Bellière mourut : un homme, bien moins illustre par ses grandes
charges que par ses grandes qualités, voulut célébrer cette douleur. Il remit
en honneur les bouts-rimés, qui commençaient à tomber en désuétude, et dont
Sarrazin avait célébré plaisamment la défaite ; appliquant ce genre de poésie
à son véritable usage, il composa un sonnet en bouts-rimés sur la mort du
précieux oiseau. Alors on fit des sonnets de toute part, et sur le perroquet,
et sur la conquête de Sainte-Menehould, que les Français venaient de prendre.
C'est Pellisson qui raconte ces choses[8], et l'on sent
bien dans son langage un goût d'ironie ; et pourtant il était lui-même un de
ces auteurs féconds, intarissables, prêts, à toute heure, à tous les sujets.
Mademoiselle de Scudéry (Clélie) exalte
avec satisfaction ce génie varié de son ami (Herminius)
: Il fait en un même jour des harangues, des lettres
d'affaires, des billets galants, des chansons, des vers héroïques, des vers
d'amour. Il en fait à l'improviste, il en fait dans le tumulte d'une grande
compagnie. Un jour, lui et moi, nous nous répondîmes si longtemps en vers
chez des dames de Capoue, que tous ceux qui nous entendirent en furent si épouvantés,
qu'ils crurent que cela ne se pouvait faire sans enchantement[9]. Il ne parait pas
que mademoiselle de Scudéry ait jamais eu de remords de cette apparence de
sorcière qui effrayait ses auditeurs. Pour être juste, il faut reconnaître
que Pellisson souffrait plutôt qu'il ne se glorifiait d'une manie que
l'amitié lui avait imposée. Il a ses moments d'indocilité où il peste contre cette sotte mesure des vers galants qui le
fait enrager[10]. Cette profusion n'était pas le seul travers du samedi. Les
précieux et précieuses y affluaient, et de perfection en perfection,
atteignaient en plein le ridicule, qui est demeuré leur dernier nom. Toute femme d'esprit n'est pas précieuse, dit Somaise[11], qui distingue
sagement les femmes simples, judicieuses et spirituelles, de celles qui se mêlent d'écrire ou de corriger ce que les
autres écrivent, et qui inventent des façons de parler extravagantes dans
leur signification. Le même critique partage encore les précieuses en
deux catégories ; les premières, qui ayant un peu plus de beauté ou de bien que les autres, tâchent
de se tenir hors du commun, lisent les romans, reçoivent toutes sortes de
gens, des vers de toute main, et disent quelquefois des mots nouveaux ; les
secondes, qui sont devenues aussi savantes que les hommes de leur siècle,
parlent plusieurs belles langues, font des vers et de la prose. Le
samedi était la grande école, la règle de ces goûts. On y méprisait la
province, on la plaignait de son infériorité en habits, en langage, en action[12] ; Clélie
redoutait d'y rencontrer des gens dont elle fût incommodée[13], si bien que les
dames de province finirent par se piquer d'émulation, et que les provinciaux
sensés réclamèrent, par les vers burlesques de Somaise, la suppression du
corps des précieuses[14]. Clélie était
également la maîtresse du beau langage. Il ne faut pas parler comme le peuple, dit-elle ; il faut parler le langage des honnêtes gens du pays où
l'on est, et fuir également celui du peuple, qui est bas et grossier, celui des
sots beaux-esprits, et celui qui tenant un peu de la cour, un peu du peuple,
un peu du siècle présent et beaucoup de la ville, est le plus bizarre de tous[15]. Un homme qui ne dit jamais rien qui n'ait été dit, est
bon tout au plus à faire un mari, non
un amant[16]. A l'abri d'une
aussi grande autorité, et même au delà des intentions de leur reine, les
précieuses arrivèrent à se tenir si bien au-dessus du peuple, qu'elles
renonçaient même à être comprises des honnêtes gens. Elles eurent leur
dictionnaire en concurrence avec celui de l'Académie ; malheureusement pour
elles, il fut rédigé et publié par leurs ennemis, Molière et Somaise, qui les
accablèrent par cette révélation. L'homme y est changé de la tête aux pieds.
Les cheveux s'appellent la petite oie de la tête,
le cerveau le sublime, les yeux le miroir de l'âme, les oreilles les portes de l'entendement, le nez les écluses du cerveau, les joues les trônes de la pudeur, les dents l'ameublement de la bouche, la langue l'interprète de l'âme ou la friponne, la main la belle mouvante, l'ongle le
plaisir innocent de la chair, les pieds les chers souffrants[17]. La nature extérieure s'enrichit de périphrases
analogues : le flambeau du jour ou l'aimable éclairant pour le soleil, le flambeau des nuits ou du silence pour la lune. Les habitudes
ordinaires de la vie se voilent sous des figures, qui imposent une réflexion
à chacun des actes les plus simples. Au lieu de pain, on dira le soutien de la vie, au lieu de boire le cher nécessaire, au lieu d'un verre d'eau un bain intérieur, au lieu de dîner, prendre les nécessités méridionales ; au lieu
de chandelle, le supplément du soleil
; au lieu de moucher la chandelle, ôter le
superflu de cet ardent ; au lieu de laquais inutile, au lieu de suivante commune, au lieu d'éventail un zéphyr, au lieu de cabinet un précieux, au lieu de porteurs des mulets baptisés. Puis, à force de vouloir
la distinction, à force de fuir toute idée capable d'embarrasser la pudeur,
on tombera de la pruderie dans la crudité, et plutôt que d'exprimer
simplement et sommairement qu'une femme est en couches, on tournera la
difficulté par cette ironie prolongée et peu décente qu'elle ressent les contre-coups de l'amour permis[18]. Comme les noms communs de la langue, les noms propres des familles étaient dédaignés à leur tour. Les personnes avaient sans doute, autant et plus que les choses, droit à l'anoblissement. Les grands même, les nobles dames, malgré la fierté de la race, aimaient à se retrancher, sous le mystère de ces désignations inconnues, dans un monde impénétrable au vulgaire. Les précieuses figurent en grand nombre dans le dictionnaire historique, poétique, cosmographique, chronologique et armoirique de Somaise ; l'auteur s'engage à y faire voir leur antiquité, leurs coutumes, devises, guerres et hérésies, et les mots inventés par elles ; mais chacune ne porte que le nom d'emprunt auquel la cabale la reconnaît. L'exemple venu d'Arthésnice, peu imité pendant longtemps, gagne partout sous le règne de Sapho. De vrai, ce n'est quelquefois qu'un déguisement sans gloire, qu'un changement de syllabe, qu'un rapprochement entre deux sons, l'un ancien, l'autre moderne, que l'adoucissement d'un mot rude : Persandre pour Persan, Calpurnie pour madame de La Calprenède, Bérélise pour mademoiselle de Brienne. Ailleurs, c'est le désir d'appliquer une qualité, un souvenir poétique à une illustration : Aristée pour Chapelain. Ailleurs, c'est le besoin de relever ce qui risque de ne pas paraître assez noble. Sarrazin s'appellera Amilcar, par cette liaison d'idées que Sarrazin est un nom qui rappelle l'Afrique, que l'Afrique n'a rien de plus illustre que Carthage, et qu'entre les noms carthaginois Amilcar n'est pas le dernier. Pellisson s'appellera Herminius, sans doute parce qu'on pourrait tirer son nom de Pellis, et que, l'idée de peau toute seule étant un peu triviale, il convient de la relever, tout en la conservant, par le nom d'une fourrure élégante, l'hermine. Conrart devient Cléodamas. Il habite Athis pendant l'été ; le domaine n'est pas très-illustre, mais cette maison est le rendez-vous des esprits, des dames de bon ton, le séjour des grâces ; elle aura nom Charisatis. Décidément les critiques du samedi pourraient bien avoir raison ; on y cherche, on y affecte la noblesse, parce qu'on craint de ne pas l'avoir. De toutes les renommées du samedi, celle qui revient de préférence au plus grand nombre des mémoires, c'est la découverte du Tendre, et la carte de ce royaume dessinée par mademoiselle de Scudéry. La reine des précieuses passe pour avoir formulé la plus parfaite, la dernière des théories de l'amour. L'amour était encore, dans ce mondé raffiné, le grand sujet des conversations comme le plus noble but des efforts humains. Sarrazin a composé un dialogue entre Ménage et Chapelain, sur la question de savoir s'il est avantageux à un jeune homme d'être amoureux. Ménage dit non, et il tire ses arguments de la mythologie, de l'histoire, des romans de chevalerie, et surtout du tableau des libertins désœuvrés et impies de son temps. Mais Chapelain dit oui, et il s'échauffe dans la lutte jusqu'à faire croire qu'il parle de l'abondance d'un sentiment personnel. A son sens, l'amour n'est dangereux que par le mauvais usage que nous en faisons, par l'empressement d'aimer avant d'estimer, avant d'avoir choisi un objet digne d'un amour constant. Quand les femmes sont fortes comme les merveilles du siècle présent, quand elles n'ont pas l'âme moins parfaite que le visage, et qu'elles se montrent capables de grandes actions dans la politique et dans la guerre, on ne peut soutenir qu'un homme se perde pour en être devenu amoureux, pour aspirer à plaire à ces excellentes personnes. L'amour donne la valeur, comme à ces guerriers des romanceros à qui on n'eut pas besoin de rappeler la religion et la patrie, et qui furent vainqueurs parce qu'ils avaient promis à leurs belles de l'être. L'amour inspire les meilleurs sentiments de bienveillance ; inspire le goût des lettres et des arts, comme on le voit par Quentin Messis. La raison conseille donc aux jeunes gens de n'éviter pas l'amour, et que, quand il s'approchera d'eux, ils en usent bien. Le samedi est une école d'amour. Les gros livres qui en sont sortis, pour expliquer son histoire, nous font assister aux questions érotiques qui s'y agitaient. On y retrouve d'abord la doctrine de Chapelain. L'amour, lorsqu'il est innocent, est plutôt une vertu qu'une faiblesse, puisqu'il porte l'âme aux grandes choses ; et qu'il est la source des actions les plus héroïques[19]. L'amour, le mariage, doit être libre et indépendant de la volonté des parents ; le père, ni de son vivant, ni par testament après sa mort, ne doit forcer le choix de ses enfants[20]. Cette protestation, renouvelée de l'Astrée, revient si fréquemment qu'elle dénonce évidemment une industrie, une tyrannie domestique fort à la mode au XVIIe siècle, et non encore abandonnée tout à fait de nos jours. La fidélité de la femme à l'honneur est un devoir si naturel, qu'il ne faut pas plus lui en faire un mérite, qu'on ne tient compte à un homme de n'être ni un voleur ni un assassin[21]. La femme, trahie par son mari, repoussera toute proposition de vengeance : C'est bien assez d'avoir un mari infidèle sans avoir encore un ami peu respectueux ; elle est vertueuse par respect d'elle-même et non par amour pour son mari[22]. De son côté, un homme d'honneur ne peut, sans cesser de l'être, recevoir quelques marques d'affection de la femme d'un homme dont il serait aimé et qu'il aimerait[23]. Un homme peut usurper un royaume par la force et par la trahison ; mais qu'un amant commence de découvrir son amour par un enlèvement, c'est ce qui met à bout la patience d'un homme de cœur[24]. Jusque-là tout va à peu près bien, et il y a beaucoup plus à louer qu'à blâmer dans ces admonestations honnêtes dont avait grand besoin une société aussi vicieuse qu'élégante. C'est là, nous l'avons dit, le bon côté des précieux. Mais ils ne savent pas s'en tenir longtemps à la raison ; ils retombent à chaque pas dans des exagérations qui rendent l'amour ridicule ou impossible. La femme qui aime et qui se sent aimée ne doit pas souffrir les aveux ni la présence de l'amant ; elle ne doit pas avouer aux autres ni s'avouer à elle-même la réalité de ses sentiments[25] ; elle peut tout au plus donner des assignations d'esprit, des entrevues en imagination à heure fixe, où l'on songe de loin l'un à l'autre[26]. Il y a une grande gloire dans l'amour heureux, même secret, quand, au milieu d'une nombreuse compagnie, on se sait préféré aux plus honnêtes gens du monde par une personne qu'on préfère à toute la terre[27]. L'amant doit être plus soumis que la mal-tresse. Il y a un grand bonheur pour l'amant à obéir, et, quand sa maîtresse désire de lui quelque chose, il fait une grande différence entre les termes qu'elle emploie, entre prier, ordonner et commander ; il aime mieux ordonner que prier, et mieux commander qu'ordonner ; parce que le commandement indique une souveraineté plus complète[28]. Ces incertitudes du cœur, ces contemplations muettes, ces échanges de pensées, ces protestations de dévouement infatigable, deviennent un genre, un signe de reconnaissance, et constituent le peuple des pousseurs et pousseuses de beaux sentiments. Au milieu de tous ces débats, mademoiselle de Scudéry
avait introduit la question de la tendresse. Il faut
empêcher, disait-elle, que le mot de
tendresse qui signifie une chose si douce, si rare et ai agréable ne soit
profané : et elle la définissait ; une
certaine sensibilité de cœur qui ne se trouve presque jamais qu'en des
personnes qui ont l'âme noble, les inclinations vertueuses, et l'esprit bien
tourné, et qui fait que, lorsqu'elles ont de l'amitié, elles l'ont sincère et
ardente, et qu'elles sentent si vivement toutes les joies et toutes les
douleurs de ceux qu'elles aiment, qu'elles ne sentent pas tant les leurs
propres. La tendresse oblige à mieux aimer la société des amis
malheureux que les lieux de divertissement ; elle fait excuser leurs fautes
et leurs défauts, et louer avec exagération leurs vertus ; elle pousse à
rendre avec joie les grands services, et empêche de négliger les petits soins
; elle entretient la confiance, apaise les petites discordes et unit
absolument les volontés. Pellisson lui ayant demandé quel était le point de départ
de la tendresse, elle répondit que c'était la
nouvelle amitié, et comme il insistait pour savoir quelle était la
distance de nouvelle amitié à Tendre,
elle voulut bien lui tracer la carte de ces régions jusque-là mal connues. On
peut avoir de la tendresse pour trois causes différentes, par inclination,
par estime, par reconnaissance ; il y a par conséquent trois villes de
Tendre, et trois fleuves qui y conduisent. Il y a Tendre
sur inclination ; la rivière d'inclination y mène sans station. Il
y a Tendre sur estime ; l'estime y
conduit à travers les villages de grand esprit,
jolis vers, billets galants, billets doux, sincérité, grand cœur, probité,
générosité, respect, exactitude et bonté. Il y a Tendre sur reconnaissance ; la reconnaissance
traverse complaisance, soumission, petits soins,
assiduité, empressement, grands services — un bien petit village,
car bien petit est le nombre de ceux qui rendent de grands services —, sensibilité, constante amitié. Mais il y a des
bifurcations perfides dont on ne peut trop se défier. Ainsi, en partant de
nouvelle amitié, si l'on tourne trop à droite, on tombe sur négligence, inégalité, tiédeur, oubli, et au
lieu d'arriver à Tendre sur estime, on
se perd dans le lac d'indifférence. De même, si l'on tourne trop à gauche, on
s'égare dans indiscrétion, perfidie, orgueil,
médisance, méchanceté, et au lieu d'arriver à Tendre sur reconnaissance, on fait naufrage
dans la mer d'inimitié où tous les vaisseaux périssent. Il ne faut pas moins
prendre garde à la rivière d'inclination, car elle se jette dans la mer
dangereuse, ainsi appelée parce qu'il est dangereux à une femme d'aller un
peu au delà des dernières bornes de l'amitié ; et derrière la mer dangereuse
sont les terres inconnues, qui veulent
dire que nous ne savons pas ce qu'il y a en ces extrémités[29]. La carte de Tendre eut un succès d'enthousiasme parmi les initiés du samedi ; ils poussèrent énergiquement, et le judicieux Chapelain en tête, à la publication qui en fut faite dans le premier volume de Clélie, sous le nom de cette Romaine (1654). Mademoiselle de Scudéry devint la reine de Tendre, elle en reçut, elle en prit le nom. La découverte de Tendre fut une ère nouvelle à partir de laquelle la reine datait, par années, ses actes et ses lettres : les adversaires, à leur tour, en ont fait le titre le plus éclatant de l'auteur à leurs moqueries et à leurs interprétations malignes. Car enfin que signifiait le Tendre ? Était-ce la théorie de l'amour ou celle de l'amitié ? Un guide des amoureux dans leurs entreprises galantes, ou une invitation à se tenir à distance de la mer dangereuse ? Clélie dit expressément qu'elle n'a jamais eu d'amour, qu'elle n'aura jamais que de l'amitié, et que c'est là ce qu'elle a voulu exprimer par sa carte. Elle distingue les amis en plusieurs catégories, amis nouveaux, amis d'habitude, amis solides, amis particuliers, tendres amis qui sont les plus avancés dans son cœur. Et pourtant quelques pages plus bas, elle écoute l'amour d'Aronce, lui engage le sien, et brave, pour rester fidèle à cet amant, toute la colère de Tarquin, toutes les entreprises d'Horace, toutes les résistances de Porsenna. Une résolution de Précieuse n'était donc pas plus solide que tant d'autres serments célèbres par leur peu de consistance et de durée ; en vérité, il était permis d'en sourire. Peut-être aussi mademoiselle de Scudéry avait-elle voulu parler d'elle-même. Laide à peu de chose près, et fort mécontente des hommes qui ne permettent pas à une femme de n'être pas belle, elle se vantait de rejeter le mariage comme une chaîne d'esclave[30], et elle n'en avait pas moins un sentiment très-passionné pour Pellisson qui le lui rendait ; leurs intimes en avaient la confidence, qu'ils trahissaient quelquefois, et elle-même en a fait plus d'un aveu dans ses petits vers. Mais Pellisson était en pouvoir d'une mère jalouse qui n'aurait pu souffrir une belle-fille ; il lui fallait se résigner à aimer toujours et à ne posséder pas, comme dit Genséric. N'était-ce pas cette nécessité qui décidait l'auteur du Tendre à affecter le choix volontaire d'une privation forcée, et à inventer la tendre amitié supérieure à l'amour, comme la preuve d'une dignité d'âme supérieure aux tendresses matérielles ? Les contemporains pouvaient bien avoir ce soupçon et en plaisanter sans être trop téméraires. Il est vrai que Clélie est tantôt mademoiselle de Scudéry, et tantôt une autre personne, et qu'à travers ces changements de masques, on n'est jamais sûr de deviner les visages. Aussi laisserons-nous le soin de démêler ces amphigouris à ceux qui en auraient le goût et le loisir. Mademoiselle de Scudéry est plus facile à reconnaître dans le type de la femme savante, inséré évidemment pour elle dans le Cyrus. Le portrait de Sapho, qui est le sien, et qui vient au moins de la main de son frère, explique comment elle entendait les droits et les devoirs de la femme, le mérite que la femme a le droit d'acquérir, la discrétion qu'elle a le devoir de garder, ce qu'il lui appartient d'être, ce qu'il lui convient de paraitre. Sapho n'aime pas les femmes savantes, mais elle ne laisse pas de trouver l'autre extrémité très-condamnable. Il faut laisser aux femmes le droit d'apprendre ce qui peut leur servir toujours ; il n'est pas défendu à une femme de savoir cent choses, d'avoir l'esprit fort éclairé, de connaître finement les beaux ouvrages, d'écrire juste et de savoir le monde. Sa conversation doit être plus souvent des choses ordinaires et galantes que de grandes choses, mais il n'est rien qui ne puisse y entrer ; les sciences même, en certaines occasions, y auront bonne grâce. Les ennemis de Sapho se condamnent eux-mêmes par les motifs trop visibles de leur opposition. Ce sont : 1° des jeunes gens et des étourdis qui se vantent de ne pas savoir lire ; 2° des femmes qui croient qu'elles ne doivent jamais rien savoir sinon qu'elles sont belles, de ces femmes qui veulent qu'une femme ne soit que la femme de son mari, la mère de ses enfants, la mat-tresse de sa maison et de ses esclaves ; 3° des hommes qui ne regardent les femmes que comme les premières esclaves de leur maison, qui défendent à leurs filles de lire d'autres livres que ceux qui leur servent à prier les dieux, et ne veulent pas même leur laisser chanter les chansons de Sapho. Ce qui nuit à Sapho, ce sont des savantes qui ne parlent que dé livres, toujours en style de livres, qui ne disent jamais les choses simplement, et que l'on confond avec elle. Sapho ne permet pas à la femme instruite de se vanter de ce qu'elle sait ; elle lui recommande de bien user de son esprit, et de cacher adroitement ce que d'autres montrent mal à propos. Aussi veut-elle un portrait où elle soit représentée en bergère, et elle se moque de Damophile qui a prétendu se faire peindre avec des livres, des lyres et tout l'attirail d'une savante[31]. Tel est le rôle que mademoiselle de Scudéry compose pour la femme savante. Sans accepter la part trop congrue qu'elle fait à la mère de famille, qui est avant tout la vraie femme, on peut reconnaître que ce rôle était assez adroitement mêlé de théories raisonnables pour dissimuler les défauts du personnage ; mais l'auteur elle-même l'a-t-elle toujours joué avec succès ? Sans rappeler ces démonstrations de savoir dans les discours que nous citons plus haut, les deux gros livres dont- il nous reste à faire l'analyse, Cyrus et Clélie, sont-ils d'une femme qui cache ce qu'elle sait ? Il est vrai que le nom de Georges Scudéry y parait seul, même en tête de Clélie ; Scudéry seul fait les préfaces, les dédicaces, se vante du travail, avec ce ton de hauteur qui lui est propre. Il y a de plus, dans beaucoup d'endroits du Cyrus, des allures viriles et martiales, un goût de batailles et de questions politiques qui dénotent visiblement la main et la fatuité d'un homme. Mais Clélie tout entière appartient à la sœur ; on le sent au style perpétuellement flasque, à ces si bien que, à ces de sorte que, qui lient entre elles d'interminables périodes, et surtout à la multiplicité et à la futilité des questions qui y sont débattues. On la retrouve également dans le Cyrus, au moins comme auxiliaire ; l'opinion publique, qui lui attribue quelquefois l'ouvrage entier, a rencontré juste pour bien des parties et des détails qui ont la touche féminine. Or l'érudition historique, philosophique littéraire, souvent fausse, qui s'étale avec complaisance dans ces deux romans, est un démenti flagrant à cette discrétion que Sapho prétend recommander par son exemple. Cyrus et Clélie, les deux plus célèbres romans du XVIIe siècle, ont mis douze ans à paraître. Cyrus porte, au privilège du premier volume, la date de 1648 ; Clélie porte, au dixième, celle de 1660. Ces vingt volumes se succédaient, par une fécondité régulière, à quelques mois d'intervalle. Ils sont compactes, imprimés, surtout Cyrus, en caractères fins, sans autre alinéa que la fin de chaque partie ou de chaque livre, sans aucun titre de chapitre, sans aucune table des matières ; l'ensemble forme dix-huit mille pages. Celui qui les lit d'un bout à l'autre, pour n'en parler qu'en pleine connaissance de cause, a sans doute l'humble mérite de la patience ; nous le disons pour nous excuser. Le lecteur a déjà vu que, depuis l'Astrée, le roman se compose d'une action principale, à laquelle se ne-lent, comme épisodes, d'autres actions qui n'y ont quelquefois aucun rapport. Chaque nouveau personnage raconte à son tour une histoire qui est au fond celle de tous les autres, histoire d'amour malheureux ou contrarié, de maux incroyables endurés par ces Limes tendres. On y habille les héros et les héroïnes à la moderne, comme on peut le voir par l'équipement chevaleresque d'Orondate dans Cassandre ; on y traite des questions d'amour, quelquefois même un peu brutalement, comme ce personnage de Cléopâtre, qui donne le conseil de contraindre une princesse à céder. L'érudition y tient une large place à côté de la fiction ; d'Urfé avait importé, au milieu des bergeries du Forez, les violences de Valentinien III et les malheurs de sa veuve ; La Calprenède prenait pour théâtre le monde entier au temps d'Auguste, et pour base de ses récits l'histoire de tous les peuples soumis aux Romains, et des peuples barbares. Enfin les noms anciens ou fictifs semblaient cacher des célébrités contemporaines. On avait voulu reconnaître Gabrielle d'Estrées dans la Daphnide d'Astrée ; on expliquait par la duchesse de Chevreuse la Candace de Cléopâtre. Les Scudéry annoncent, dans la préface du Cyrus, qu'ils prennent pour modèle l'immortel Héliodore et le grand Urfé ; mais ils amplifient largement l'original. Leur érudition d'abord est bien plus vaste. Dans Cyrus figurent tous les peuples de l'Orient, et quelques-uns de l'Occident : tentes royales des Scythes, murailles d'Ecbatane, tour de Bélus à Babylone, culte de Vénus Uranie à Cypre, anneau de Gygès à Sarcles, rois et crocodiles d'Égypte, Phocéens à Marseille, Juifs revenant de Babylone à Jérusalem, lois de Solon et tyrannie de Pisistrate ; les sept sages, Anacharsis et Ésope, Hippocrate et Pythagore. La chronologie aurait bien souvent à réclamer contre d'étonnantes bévues ; mais, grâce à ce pouvoir de tout oser que les anciens ont reconnu aux poètes (et le roman est un poème), une masse de faits des temps antiques s'amoncellent dans un interminable récit de voyages dans toutes les directions. Le théâtre de Clélie, restreint forcément à l'Italie, s'étend cependant quelquefois jusqu'à Carthage d'un côté, jusqu'à la Grèce de l'autre. A l'énumération des monuments de Rome, se joint une description de la vallée de Tempé, de l'Élide et d'Olympie. Un séjour fantastique d'Anacréon à Rome amène une longue liste et l'éloge des poètes grecs et romains, et, par une prédiction de Calliope, un défilé des poètes modernes italiens et français, qui s'arrête à Théophile et aux burlesques, et dont Corneille est exclu[32]. Ici les péchés contre l'histoire réelle sont encore plus saillants que dans le Cyrus; car on y apprend que Brutus a institué à Rome les censeurs, les préteurs, les édiles, les questeurs et les tribuns[33], et que Lycurgue, le législateur de Sparte, a fait élever des statues à Eschyle et à Sophocle[34]. Mais, en revanche, la femme savante a fait voir qu'elle sait le nom de toutes les portes de Rome, et qu'elle a entendu parler de Mimnerme et de Lycophron, aussi bien que d'Homère, de Caro et de Guarini, aussi bien que de l'Arioste et du Tasse. L'amour et son triomphe est le principal sujet des deux poèmes, parce qu'il est le grand, l'unique mobile de toutes les actions des héros de tous rangs. Il s'agit de savoir si Cyrus, d'abord déguisé sous le nom d'Artamène, épousera Mandane, fille de son oncle Cyaxare, et si Aronce, fils de Porsenna, d'abord inconnu à tous et à lui-même, épousera Clélie. Ni les résistances paternelles, ni les huit enlèvements de Mandane, ni les enlèvements de Clélie par Horatius Coclès, ou sa captivité entre les mains de Tarquin ou dans le camp Porsenna, ne lasseront, ne vaincront la persévérance des amants. Écoutez le système de Cyrus : Ma raison me dit que cette belle passion est la plus noble cause de toutes les actions héroïques, qu'elle trouve place dans le cœur de tous les héros, que l'illustre Persée, le premier roi de ma race, s'en laissa vaincre tout vaillant qu'il était, dès qu'il eut vu son Andromède... Suivons donc cet amour qui nous emporte malgré nous, et ne résistons pas davantage à un ennemi que nous ne pourrions jamais vaincre, et que nous serions même bien marris d'avoir surmonté[35]. Et comme il tient cet engagent, comme il se dévoue à ce glorieux esclavage ! C'est pour délivrer Mandane ravie par le roi d'Assyrie, qu'il va prendre Babylone en détournant le cours de l'Euphrate. C'est pour avoir des nouvelles de Mandane ravie par le roi de Pont, qu'il institue les postes[36], afin d'être averti en moins de temps de tout ce qu'on pourrait apprendre de la princesse. C'est toujours pour la délivrer qu'il assiège et prend Sardes et gagne la taille de Thymbrée[37], qu'il va s'exposer à la mort en combattant Thomyris, amante jalouse et furieuse, qui croit le tuer, et ne tue que Spitridate dont la ressemblance avec Cyrus égare la main du meurtrier[38]. Les amoureux romains ne sont pas moins héroïques dans Clélie. Brutus avait aimé Lucrèce, mais, parla volonté de son père, Lucrèce avait dû épouser Collatin malgré elle. Quand elle est morte, Brutus ne songe à la liberté de Rome que pour venger cette victime de la pureté. Il oublie la mort de son père et de son frère. Lucrèce était le seul objet de son grand et hardi dessein. S'il eût pu ressusciter Lucrèce, il l'eût fait avec joie, quand même il aurait fallu relever de ses mains le trône qu'il venait d'abattre[39]. Les fils de Brutus ne conspirent contre la liberté de Rome que parce qu'ils aiment ; leur père est tout prêt à les excuser en les accusant, parce qu'ils ont péché par amour[40]. Mutius Scévola ne prend la résolution de tuer Porsenna que pour gagner un cœur qui lui est rebelle ; il n'aurait pas autant osé pour le simple amour de la patrie[41]. Par un effet contraire, ce même amour qui fait les libérateurs, pousse aussi quelquefois à l'oppression des peuples. Pisistrate ne s'est fait tyran que pour obtenir l'objet de sa tendresse ; c'est ainsi que le Cyrus rectifie l'histoire d'Athènes, et émonde les mœurs de Pisistrate[42]. La pureté dans l'amour est encore en progrès sensible chez les deux Scudéry. Sauf quelques détails toujours un peu lascifs dans la description de la beauté des femmes, ils entendent décidément se tenir au-dessus de ces appétits sensuels dont Astrée offre trop d'exemples et dont La Calprenède ne s'affranchit pas toujours. Selon les préceptes de Vénus Uranie, les amours permises sont des amours si pures, si innocentes, si détachées des sens, et si éloignées du crime, qu'il semble qu'elle n'ait permis d'aimer les autres que pour se rendre plus aimable soi-même par les soins que l'on prend à mériter la véritable gloire, à acquérir la politesse, et à tâcher d'avoir cet air galant et agréable dans la conversation que l'amour seulement peut inspirer[43]. Aussi quelle innocence dans cette déclaration de Cyrus à Mandane : Si je m'étais surpris dans une pensée criminelle, je n'aurais jamais eu la hardiesse de vous parler de mon amour. Je ne veux rien de vous que la seule permission de vous aimer et de vous le dire[44]. Ses rivaux de leur côté lui font en ce genre une vive concurrence. Le premier ravisseur de Mandane, Philidaspe, roi déguisé d'Assyrie, quand il la tient captive à Babylone, ne l'entoure que de personnes vertueuses, et multiplie près d'elle les marques d'estime et de respect. Le roi de Pont, à son tour, proteste que, pour la vaincre, il n'emploiera jamais que ses larmes, ses soupirs, ses prières et sa persévérance. Les héroïnes de Clélie n'ont pas moins de résolution, et commandent le même respect. Lucrèce, ravie à Brutus par un mariage forcé, refuse de le voir désormais, même par ordre de son mari, et se confine dans Collatie où il n'a aucun prétexte de venir[45]. Lysonice, privée du rang de princesse par un mariage moins brillant, ne peut entendre parler de l'amour dont la menace le prince qu'elle aimait, et va s'enfermer derrière de hautes murailles pour montrer qu'elle sait vaincre ses inclinations[46]. L'amante d'Hésiode refuse de le suivre pour l'épouser. Elle est maîtresse d'elle-même par la mort de son père et de sa mère ; elle n'a que des frères dont les torts la dispensent de tout respect envers eux. Mais pour une personne qui aime si scrupuleusement sa réputation, il y a quelque chose de fâcheux à se dérober de ses parents pour suivre hors du lieu de sa naissance la fortune d'un homme, quoiqu'elle l'épouse[47]. On croirait entendre l'Aricie de Racine si le langage égalait la délicatesse des sentiments. Mais la grande importance du Cyrus, et surtout de Clélie, ce qui les a mis bien au-dessus de leurs concurrents, c'est le caractère d'actualité qu'ils présentent, c'est le secret d'être le livre du moment par les questions qui s'y discutent, et qui sont le sujet ordinaire des conversations dans la cabale et au dehors, par des allusions bien transparentes aux événements du jour, par la mise en scène des contemporains eux-mêmes sous des noms faciles à deviner, et dans des conditions flatteuses pour l'amour-propre ; le lecteur se retrouvait souvent dans ces pages, et répandait le livre pour propager son propre éloge. Il y a dans le Cyrus quelques questions intéressantes qui font reconnaître la pensée d'un batailleur et d'un politique. Lequel vaut le mieux de remporter une victoire en plaine ou de prendre une ville ? Il vaut mieux prendre une ville ; car le preneur de ville est à la fois vainqueur et conquérant, l'autre est vainqueur tout court et reste les mains vides. Est-ce pour cela que Louis XIV aimait particulièrement la guerre des sièges[48] ? Ailleurs, il s'agit de tolérance religieuse à propos de l'arrivée des Phocéens à Marseille. L'auteur soutient le principe de la tolérance par un raisonnement qui ressemble fort à l'indifférence en matière de doctrine ; de ce que les dieux souffrent tant de cultes différents, il en conclut que les dieux ne regardent qu'à l'intention et ne tiennent pas à la forme[49]. Il existait donc en ce temps un certain monde qui allait au delà de la tolérance des personnes par un commencement d'incrédulité. Cependant, par calcul d'intérêt, et aussi par un sentiment de frondeur, et un souvenir des bons offices du cardinal de Retz, on tenait grand compte de l'influence du clergé. On lit dans Clélie que Brutus était d'accord contre Tarquin avec la grande vestale, car en matière de soulèvement, il faut autant qu'on peut mettre ceux qui sont les maîtres de la religion dans son parti[50]. Le roman essayait d'émanciper les lettres en les conduisant çà et là sur le terrain des affaires publiques. Toutefois les questions de civilité, de galanterie, y dominent, parce qu'elles étaient l'entretien préféré de ces sociétés légères, la matière la plus propice aux traits d'esprit, aux petites rivalités, aux sophismes brillants de ces désœuvrés. La nomenclature seule des problèmes de ce genre, résolus dans Clélie, risquerait fort de paraître bien longue : Est-il permis d'ouvrir des lettres par curiosité ? Lequel vaut le mieux d'être femme ou d'être homme ? L'amour est-elle un passion plus illustre que l'ambition ? De l'avantage ou du désagrément d'aimer une enjouée ou une mélancolique. Diversités des caractères des femmes, et comment doit-on agir avec les sérieuses, les enjouées, les belles, les laides ; etc. Qu'il ne faut pas se mettre en colère sous peine de perdre sa beauté. La jalousie peut-elle exister dans l'amitié comme dans l'amour ? Différence entre l'inconstance et l'infidélité. Des diverses espèces d'amitié. Des complaisances. Dans quelles conditions doit-on faire des vers ? Des feintes douleurs. De la paresse et de l'activité, de l'ingratitude, de l'espérance[51]. Qui vaut le mieux de parler trop ou de parler trop peu ? De l'exactitude. Du mensonge. Comment on peut faire la guerre à ses amis ? Des songes. Des désirs. Nous en passons et non des moins futiles. Mais ceux-là suffisent à faire apprécier quel était l'emploi du temps au Samedi, et dans bien d'autres cercles qui lui ressemblaient. Les allusions directes aux personnes avaient encore bien plus de charme pour la vanité des uns, pour la malignité des autres. On a déjà vu comment Cyrus était Condé, et Mandane madame de Longueville. On trouvait en outre dans le Cyrus bien d'autres portraits contemporains, sous des noms grecs, mais avec les traits exacts de chaque original. Tout l'hôtel de Rambouillet y figure, sauf Corneille[52]. On y reconnait la jeune marquise de Sévigné dans cette Philoxène, belle, jeune, riche, veuve, dont la vertu n'est ni sauvage ni austère, mais au contraire douce et sociable[53]. Scarron, que l'on redoute, y est présenté sous la forme d'Ésope plus agréable par son esprit que par sa personne[54]. Les choses elles-mêmes, quand elles sont populaires, ont leur éloge destiné à leur auteur. La comédie à machines, la grande nouveauté dramatique, fait partie d'une fête donnée en Phénicie. La mer était si bien représentée qu'il y avait lieu de craindre que ses eaux ne s'épanchassent sur la compagnie[55]. Clélie renchérit sur Cyrus ; il y eut place pour tous et pour chacun, pour tout et pour chaque chose, dans cette histoire romaine ; non-seulement pour les personnages saillants dans les lettres ou dans la politique, mais encore pour des amis particuliers, des voisins, des inconnus, gens de peu de conséquence, comme dit Boileau, qu'il est bien impossible de reconnaître aujourd'hui ; non-seulement pour la beauté des femmes, et le caractère des hommes, mais encore pour leurs maisons et pour leurs jardins. Clélie publiée en six ans, de 1651 à 1660, semble être un annuaire des événements importants au moins pour la cabale. L'éloge des solitaires, voisins de Syracuse, parut à l'époque de l'enregistrement de la bulle d'Innocent X contre les jansénistes. L'éloge d'Alcandre, pseudonyme de Louis XIV, attribue à ce prince dix-neuf ans, précisément en 1657 lorsque le jeune roi venait d'accomplir sa dix-neuvième année. La critique doucereuse du genre Portraits se range dans le volume qui vit le jour immédiatement après le premier bruit des portraits de Mademoiselle (1659) ; l'apothéose de Fouquet répond à l'époque de la plus grande splendeur de ce surintendant ; et.ile résumé des mérites de Mazarin, longtemps laissé dans l'oubli, marque le moment du triomphe définitif du ministre, entre la paix des Pyrénées et les noces de Louis XIV (mars 1660). Nous ne fatiguerons pas le lecteur à lui montrer sous leurs noms d'emprunt tant de personnages qu'il connaît déjà, tels que Herminius-Pellisson, Cléodamas-Conrart, Aristée-Chapelain, Amilcar-Sarrazin, ni à retrouver madame de Sévigné dans Clorinte, et Ménage dans l'ami savant de la belle veuve, ni madame Duplessis-Guénegaud dans Amalthée, ni même Scarron dans le fameux Scaurus, avec sa femme la belle Lyriane. Nous terminons par quelques traits qui accusent la flexibilité des Scudéry, comme de tant d'autres littérateurs, à se partager entre l'opposition et la dépendance, et à subir résolument l'autorité quand elle est, à n'en plus douter, maîtresse de la situation. Les jansénistes étaient en lutte contre le roi ; il y avait quelque apparence de courage à les défendre. Mademoiselle de Scudéry vante donc les solitaires de Sicile pour leur amour de l'égalité, leurs occupations continuelles, la paix toujours observée parmi eux, et leur chef Timante (Arnaud d'Andilly), aussi bon jardinier que bon ami, aussi bon poile que sensible aux bons ouvrages des autres. Elle représente leur maison comme le refuge des disgraciés, et la sagesse de Timante comme le remède des ressentiments[56]. Cependant les dépositaires de l'autorité avaient en main des faveurs qu'il n'était pas nécessaire de dédaigner. Le surintendant faisait sentir aux lettrés d'heureux effets de sa richesse : mademoiselle de Scudéry en avait reçu, comme Pellisson, de beaux témoignages. Clélie paie la dette. Cléonime (Fouquet) et Valterre (Terre de Vaux), les qualités éminentes de l'homme et la magnificence incomparable de ses salons et de ses jardins, sont déroulés au Ve volume, dans plus de cinquante pages d'admiration[57]. La flatterie y monte jusqu'à l'audace dans l'interprétation des peintures, des emblèmes dont ce palais d'or éclate de toutes parts. Ce n'est pas assez que l'écureuil soit un astre nouveau auquel Saturne donne l'éternité de la gloire, Jupiter une couronne d'or, Mars un casque et un lion, Mercure son éloquence et son savoir ; il faut encore que le surintendant soit un dieu, et même un roi. Le soleil, ce dieu tout lumineux, revêtu d'un manteau d'or, et couronné d'un laurier immortel, représente Cléonime qui, selon l'étendue de ses grands emplois, fait tout, luit partout, fait du bien à tout, et travaille continuellement pour l'utilité et l'embellissement de l'univers. Les quatre saisons figurent les divers États de l'Étrurie qui payent des tributs, et qui donnent à Cléonime l'avantage de recevoir tout et de rendre tout, parce qu'il est le dépositaire des trésors du prince. Ainsi a-t-il trouvé par sa justice, son humanité et sa magnificence, l'art d'obliger les heureux et les malheureux, et d'être le protecteur de tous les gens de vertu que la fortune a maltraités, aussi bien que celui des sciences et des arts. L'outrecuidance de ces louanges était bien capable de rendre Mazarin jaloux ; peut-être, à une autre époque, eût-on mis de la malice à vanter le subalterne seul, et à garder encore sur le compte du premier ministre un silence évidemment calculé. Mais la fortune venait de prononcer ; le triomphe décisif de Mazarin en France et en Europe ne permettait plus les bravades. Mademoiselle de Scudéry se résigne et fait le sacrifice de bonne grâce, à en juger par l'abondance des offrandes. Sous l'emblème d'un souhait supérieur à tout ce que les hommes peuvent souhaiter, elle passe en revue toutes les circonstances de la vie de Mazarin, et reconnaît en lui une fortune et un génie auxquels nul autre n'a jamais atteint. Il est grand par sa naissance, parce que, au lieu de succéder comme un roi à son père, il a été l'artisan de sa propre fortune. Il est grand par son air noble et son esprit capable de conseiller les rois et de triompher dans les négociations. Il a été grand, lorsque, à son début, par sa seule apparition, il faisait tomber les armes des mains de deux nations, quand il était jugé digne de succéder à un ministre illustre ; grand dans la guerre conduite par sa politique, dans l'exil d'où il gouvernait de loin pour montrer qu'il avait en lui-même le principe de sa grandeur et de sa félicité. Il est grand quand il fait la paix dans une petite île sur laquelle il attire les pensées des peuples, des princes et des rois, quand il marie le jeune roi à la fille du roi ennemi, quand il rattache aux intérêts de l'État un illustre héros. Il ne lui manque plus que d'exercer la souveraineté dans un État électif dont l'autorité morale s'étend sur les rois eux-mêmes, et où l'on est appelé par le choix des plus grands et des plus sages (la Papauté). Mais les destins ont prédit qu'un jour Rome serait gouvernée par un homme du nom de Jules, sorti d'une illustre famille de Sicile. A ces mots, toute la compagnie de Clélie s'incline, et confesse qu'il n'est pas possible de rien souhaiter de plus grand et de plus glorieux, et que tous les souhaits des hommes ensemble ne méritent pas d'être comparés au destin de ce grand homme[58]. Clélie finit donc, comme le Parlement, comme la Fronde, comme le grand Condé, par l'éloge de Mazarin. C'est la fin de l'opposition littéraire comme de l'opposition politique. |
[1] Les visiteurs admirant à Vincennes des œillets cultivés par le prince pendant sa captivité, Mademoiselle de Scudéry improvisa le quatrain suivant :
En voyant ces œillets qu'un illustre guerrier
Cultivait d'une main qui gagna des batailles,
Souviens-toi qu'Apollon a bâti des murailles,
Et ne t'étonne plus que Mars soit jardinier.
[2] Clélie, Ire partie, liv. Ier.
[3] Clélie, IIe partie, liv. II, p. 738.
[4] Cousin, Vie de madame de Sablé.
[5] Marcou, Histoire de Pellisson.
[6] V. plus bas la série des questions traitées dans Clélie.
[7] Oui c'est avec plaisir que nous empruntons ces lignes à M. Marcou, notre ancien élève, aujourd'hui et depuis longtemps notre collègue et notre ami. Son travail sur Pellisson est assurément un des plus curieux, des plus savants, et des plus agréables, qui aient été publiés de nos jours sur cette partie de l'histoire du XVIIe siècle.
[8] Pellisson, Discours sur les œuvres de Sarrazin.
[9] Clélie, IIIe partie, liv. Ier, p. 158, 159.
[10] Marcou, Pellisson.
[11] Somaise, secrétaire de la connétable Colonne, Préface du grand Dictionnaire des Précieuses.
[12] Cyrus, Ire partie, liv. III, dans l'histoire d'Aglatidas et d'Amestris : Je m'étonnais de voir qu'une personne nourrie dans une province, et dans une province aussi éloignée, n'eût rien qui la pût faire distinguer d'avec les personnes de la cour les mieux faites, ni en son action, ni en son habit, ni en son langage, et je la considérais comme un miracle.
[13] Clélie : Ce qui me fait haïr le séjour de la province n'est pas tant la crainte de n'y voir personne que la peur d'y voir des gens qui m'incommodent. Ve partie, liv. II, p. 693.
[14] Procès des Précieuses, par Somaise, 1660.
Depuis six ans le monde en cause,
Je n'entends rien dire autre chose.
Ce mot en province a grand cours
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
J'en veux aux Précieuses,
A ces femmes pernicieuses
Qui troublent le repos public,
Qui causent dans le trafic,
Par des mots inintelligibles
Des révolutions terribles,
Et je demande là-dessus
Que leur langage ne soit plus.
C'est la requête d'un Provincial.
[15] Clélie, IIe partie, liv. III, p. 1125 ; IVe partie, liv. II, p. 665, 672.
[16] Clélie, IIe partie, liv. Ier, p. 466, 467 : Portrait de Collatin.
[17] Nous mettons en note, comme moins en évidence, les périphrases suivantes :
Le c.l : le rusé inferieur ;
La chaise-percée : la soucoupe inférieure ;
Les lieux communs : la lucarne des Antipodes ;
Un lavement : un agrément ou le bouillon des deux sœurs ;
Un chien qui satisfait ses besoins : un chien qui s'ouvre furieusement.
[18] Nous avons cru inutile de citer beaucoup d'autres formules précieuses qui sont suffisamment connues par les Précieuses ridicules de Molière.
[19] Préface de Cyrus.
[20] Cyrus, IIe partie, liv. II. Résistance du fils de Nitocris sa choix de sa mère. Ibid., VIIe partie, liv. Ier. Décision de Cyrus.
[21] Cyrus, VIIe partie, liv. III. Décision de Mandane.
[22] Clélie, IIe partie, liv. III, p. 1300.
[23] Clélie, IIIe partie, liv. II, p. 1068.
[24] Cyrus, IIe partie, liv. Ier.
[25] Est-il possible de comprendre quelque chose à ces sentiments de Mandane et de Lucrèce ? — Cyrus, IIe partie, Mandane dit à sa confidente : Je ne voudrais pas qu'il crût que je le haïsse, je serais bien aise aussi qu'il ne s'imaginât pas que je l'aime, et je souhaiterais qu'il le désirât sans y croire, et même sans l'espérer, et qu'enfin il se contentât d'une fort grande estime et de beaucoup de reconnaissance. Clélie, IIe partie, liv. Ier, p. 413, Lucrèce dit de Brutus : Je veux que Brutus m'aime, peut-être même le veux-je aimer, et parmi tout cela je sens des mouvements de crainte, de honte et de repentir. Je voudrais lui avoir écrit rudement ; je voudrais ne lui avoir pas répondu ; je voudrais qu'il ne m'eût pas écrit ; je voudrais qu'il m'écrivit tous les jours, je voudrais qu'il ne m'eût jamais aimé.
[26] Clélie, IIe partie, liv. Ier : Ils convinrent d'une heure chaque jour pendant laquelle ils se promirent de penser l'un à l'autre, et ce qu'il y a d'admirable, c'est qu'effectivement Brutus attendait aussi impatiemment cette heure-là que s'il eût dû voir Lucrèce.
[27] Clélie, IIe partie, liv. Ier, p. 484.
[28] Clélie, IIe partie, liv. II, p. 706.
[29] Clélie, Ire partie, liv. Ier, p. 210, 223, 399.
[30] Cyrus, Xe partie, liv. II : Portrait de Sapho.
[31] Cyrus, Xe partie, liv. II. Nous avons conservé presque partout le mot-à-mot de Scudéry.
[32] Clélie, IVe partie, liv. II, p. 723.
[33] Clélie, IIe partie, liv. Ier, p. 45.
[34] Clélie, IVe partie, liv. II, déjà cité.
[35] Cyrus, Ire partie, liv. II.
[36] Cyrus, IIIe partie, liv. III.
[37] Cyrus, IIIe partie, liv. I, II, III.
[38] Cyrus, Xe partie, liv. II.
[39] Clélie, IIIe partie, liv. Ier, p. 36.
[40] Clélie, Ve partie, liv. Ier, p. 144.
[41] IIIe partie, liv. II, p. 612.
[42] Cyrus, IXe partie, liv. III.
[43] Cyrus, IIe partie, liv. III.
[44] Cyrus, IIe partie, liv. Ier.
[45] Clélie, IIe partie, liv. Ier, p. 585.
[46] Clélie, Ve partie, liv. II, p. 847.
[47] Clélie, IVe partie, liv. II, p. 1058.
[48] Cyrus, Ve partie, liv. II. Ailleurs, dans Alaric, Scudéry se rencontre encore avec un goût, on pourrait dire un entêtement bien tenace de Louis XIV. Dans le, conseil où Alaric discute son projet d'invasion en Italie, le grand amiral essaye de l'en dissuader :
Comment passer de la cavalerie
Du rivage Baltique aux bords de Ligurie ?
La distance des lieux ne vous le permet pas ;
Et sans cavalerie où sont les grands combats ?
(Alaric, liv. I.)
Or Louis XIV préférait ouvertement la cavalerie à l'infanterie. Peu à peu ébranlé par l'avis de ses généraux, il reprit son sentiment après le combat de Leuze, et ne le perdit tout à fait que pendant la guerre d'Espagne.
[49] Cyrus, VIIIe partie, liv. II. Selon le sentiment le plus universel de tous les Sarronides, ce n'est pas aux hommes à juger souverainement de ce qui passe leur connaissance, et c'est à eux à croire que, puisque les dieux souffrent qu'en un lieu on leur offre des victimes innocentes, qu'en un autre on leur sacrifie des hommes, qu'en d'autres lieux encore on ne mette sur leurs autels que des fleurs, des fruits et de l'encens... c'est qu'ils se plaisent d'être adorés de cent manières différentes. Car enfin, après avoir examiné la chose, il faut conclure de toute nécessité que tous les peuples adorent une même divinité sous des noms différents Pt par des manières différentes, et que, comme il n'y a qu'un soleil au monde, il n'y a aussi qu'une seule puissance qui soit adorée par toute la terre.
[50] Clélie, IIe partie, liv. Ier, p. 136.
[51] La définition de l'espérance est une des plus heureuses que nous ayons relevées dans cette multitude : L'espérance est comme une jeune étourdie qui croit tout ce qu'on lui dit, pourvu qu'il lui plaise, qui n'a que de l'imagination et pas de jugement, que des chimères divertissent, qui prend le vrai pour le faux et le faux pour le vrai, qui sur de légères apparences prévoit une multitude de plaisirs qui ne peuvent être, et qui, encore qu'elle soit hardie à se promettre tout de l'avenir, ne laisse pas d'être timide. Clélie, IVe partie, livre Ier, p. 434, 447.
[52] Cyrus, VIIe partie, liv. Ier.
[53] Cyrus, VIIe partie, liv. III.
[54] Cyrus, IXe partie, liv. II.
[55] Cyrus, VIIe partie, liv. Ier.
[56] Clélie, IIIe partie, liv. II, p. 1138 : Histoire de Thémiste.
[57] Clélie, Ve partie, liv. III, p. 1091-1142.
[58] Clélie, Ve partie, liv. III, p. 1191, 1204 : Souhait d'Amilcar.