ÉTUDE SUR LA PROPRIÉTÉ À SPARTE

 

CHAPITRE VIII. — DE L'INÉGALITE DES FORTUNES ET DES CAUSES QUI ONT FAIT DISPARAÎTRE LA PETITE PROPRIÉTÉ.

 

 

Si l'on s'en rapportait au passage de Platon qui rappelle le partage primitif entre les Dorions vainqueurs, les parts auraient été à peu près égales entre tous. Plutarque aussi, parlant de la nouvelle distribution du sol qui aurait été faite par Lycurgue, affirme cette égalité : Il y eut, dit-il, 9.000 lots pour les 9.000 Spartiates ; chaque lot produisait environ 80 médimnes de grains et de fruits, si bien qu'au temps de la moisson tous ces lots portaient des tas de gerbes de même nombre et de même hauteur[1].

On peut douter qu'une égalité si parfaite ait jamais pu être établie. On en doutera surtout si l'on fait attention qu'elle ne nous est signalée ni par Hérodote, ni par Thucydide, ni par Xénophon, ni par Aristote. Toutefois, nous ne rejetterons pas tout à fait cette légende et ces chiffres qu'une ancienne tradition, altérée parle temps ou mal comprise, avait pu transmettre à Plutarque. Si nous ne pouvons pas y voir la preuve d'un régime d'égalité absolue, nous y voyons, du moins, l'indice d'un régime de petite propriété. Le sol de la Laconie était divisé en lots très-nombreux dont l'étendue moyenne ne devait pas dépasser sept ou huit hectares ; voilà le fait historique que nous croyons pouvoir admettre pour l'époque de Lycurgue.

Si maintenant nous passons du temps de Lycurgue à celui d'Aristote, le tableau est tout différent. La propriété est absolument inégale ; parmi les Spartiates, les uns possèdent des domaines d'une étendue démesurée, les autres n'ont presque rien ; toutes les terres sont aux mains d'un petit nombre d'hommes[2].

Ainsi Sparte présente cette singularité entre toutes les cités grecques, qu'elle a eu la petite propriété au commencement et la grande propriété à la fin. Il s'est donc produit, dans cet espace de cinq siècles, un changement complet dans la répartition du soi. La longue existence de Sparte, que l'on se figure si unie et si exempte de révolutions, a été remplie, au contraire, par une de ces révolutions radicales qui déplacent la propriété et qui transforment, par là, tout un gouvernement. Seulement, cette révolution n'a pas été du genre de celles qui arrachent le sol à quelques-uns pour le distribuer à tous, mais du genre de celles qui peu à pieu enlèvent la terre au grand nombre pour l'accumuler aux mains de quelques-uns.

Ce résultat est d'autant plus surprenant que la vieille législation semblait avoir pris toutes les mesures pour l'empêcher. En effet, l'ancien droit civil de Sparte voulait que le petit domaine restât toujours attaché à la même famille ; il prescrivait que la propriété fût, non seulement héréditaire, mais encore inaliénable ; il repoussait le testament ; il n'admettait même pas la vente. Visiblement, ce vieux droit tendait à maintenir à jamais le régime de la petite propriété. Comment donc s'est-il fait qu'en dépit des lois la grande propriété ait prévalu ? Il n'est pas permis à l'homme d'étude de passer à côté de ce difficile problème sans essayer de le résoudre.

Pour arriver à une solution pleinement satisfaisante, il nous faudrait plus de documents que nous n'en possédons. Nous voudrions avoir des textes de lois, des inscriptions, des plaidoyers, comme nous en avons pour Athènes. Du moins, si nous observons attentivement quelques faits connus de l'histoire de Sparte et ce que nous savons de son Droit, si nous regardons de près la vie intime des Spartiates et certains traits de leur caractère, nous pourrons entrevoir quelques-unes des causes qui ont amené insensiblement cette transformation de la propriété foncière.

Nous devons songer tout d'abord à une règle de droit public qui était autant en vigueur à Sparte qu'à Athènes et à Rome ; c'est que le citoyen seul pouvait posséder en propre le sol de la cité. La terre Spartiate ne pouvait être la propriété que des citoyens Spartiates[3]. Ni un esclave, ni un hilote, ni un Laconien périèque, ni un étranger, ni même un homme de sang Spartiate qui se serait trouvé, pour quelque motif, exclu de l'ordre des citoyens, ne pouvait être propriétaire[4]. D'où il résulte que, si nous voyons diminuer le nombre des citoyens, nous pourrons être assurés que le nombre des propriétaires a diminué dans la même proportion. C'est donc de ce côté qu'il faut d'abord diriger nos recherches.

Il existait au temps de Lycurgue 9.000 citoyens suivant Plutarque, 10.000 suivant Aristote[5]. Quel que fût le chiffre primitif, il y avait plusieurs raisons pour que ce chiffre diminuât avec le temps. La première de toutes était la guerre. Sparte fut toujours en lutte avec ses voisins de Messénie, d'Arcadie et d'Argolide, et il n'est pas douteux que ces guerres presque annuelles n'aient décimé sa population. Il est vrai que Sparte pouvait réparer ces pertes, ainsi que le faisaient toutes les anciennes cités, par l'adjonction de citoyens nouveaux. Dans les premiers siècles, elle ne se fit pas faute d'admettre des étrangers ; sous les anciens rois, dit Aristote, le droit de cité était souvent accordé, en sorte que les Lacédémoniens pouvaient faire de longues guerres sans que leur nombre décrût[6]. Mais cette concession du droit de cité ne fut pratiquée que dans les premiers siècles ; Sparte y renonça dans la suite et se ferma aux étrangers.

Une seconde cause de la diminution du nombre des citoyens se trouvait dans cette règle du droit civil qui n'autorisait le mariage qu'entre membres de la cité. L'enfant qui naissait d'un Spartiate et d'une étrangère était réputé illégitime, νόθος, et, par suite, ne comptait pas parmi les citoyens. A plus forte raison, le concubinage et l'adultère produisaient-ils les mêmes effets[7]. Pour être citoyen, pour posséder les droits civils, il fallait être né d'un mariage régulier et avoir été reconnu par le père comme légitime[8]. Il suffisait donc qu'un enfant fût né du concubinage ou fût réputé adultérin pour que lui-même et toute sa descendance après lui fussent rayés à tout jamais du nombre des citoyens Spartiates. On voit bien, à plusieurs traits de l'histoire de Sparte, que les diverses catégories de νόθοι, παρθένιτοι, έπεύνακτες, étaient nombreuses, et l'on y voit aussi que ces classes étaient déshéritées et sans droits. Dans des cas très-rares où Sparte manquait de bras, elle fit de ces hommes des citoyens ; mais ces exceptions mêmes prouvent que la règle générale était qu'ils ne le fussent pas. C'étaient des milliers d'êtres humains qui, de père en fils, pouvaient bien vivre dans la ville, mais n'étaient jamais dans la cité. Placés ainsi en dehors du droit civil, ils n'héritaient ni ne contractaient ; il ne semble donc pas qu'ils puissent être propriétaires du sol.

Il y avait une troisième raison pour que le nombre des citoyens fût incessamment réduit ; c'est que le droit de cité pouvait être perdu par une condamnation judiciaire. Cette peine s'appelait άτιμία, Elle était très-dure. Les historiens nous font connaître quelques-unes des conséquences qu'elle entraînait. L'homme frappé d'atimie ne perdait pas seulement les droits politiques, il perdait du même coup les droits civils, du moins quand l'atimie était complète[9] ; il ne pouvait contracter ni un achat ni une vente[10] ; réputé étranger, il ne pouvait plus épouser une femme Spartiate et aucun Spartiate ne pouvait épouser sa fille[11]. Il était même exclu de la société religieuse ; nul de ses concitoyens ne lui communiquait le feu sacré, ni ne lui adressait la parole[12]. Comme les lois de la cité ne le protégeaient plus, il n'existait plus de justice : pour lui et le premier venu pouvait le frapper impunément[13].

L'atimie était donc à Sparte ce qu'elle était à Athènes, c'est-à-dire la privation de tous les droits civils, politiques, religieux[14]. L'homme qui en était frappé ne comptait plus dans la cité. Entraînait-elle la confiscation des biens ? aucun texte formel ne nous l'indique pour Sparte ; mais on ne conçoit pas comment l'homme qui avait perdu tous les droits du citoyen, aurait pu être légalement propriétaire du sol. Il est difficile d'admettre que l'hérédité légitime existât pour un tel homme. Quant à l'achat, nous venons de voir qu'il lui était formellement interdit. Ce qu'il avait possédé avant la déclaration d'atimie ne lui était peut-être pas enlevé formellement, mais la conservation lui en devenait fort difficile puisque nous savons qu'il n'existait plus de justice pour lui. Cet homme, que l'on pouvait frapper impunément, pouvait bien aussi être dépouillé et dépossédé ; il n'avait aucune garantie contre l'éviction. Aussi pouvons-nous penser que la conséquence inévitable de chaque condamnation d'atimie était de faire disparaître toute une famille de citoyens et du même coup toute une famille de propriétaires.

Or cette peine qui était prodiguée à Athènes, l'était encore bien plus à Sparte. Non seulement elle punissait les crimes tels que le meurtre, l'impiété, la trahison envers l'État, mais encore elle était prononcée contre des délits qui, aux yeux des modernes, seraient beaucoup moins graves. L'homme qui dans un combat avait eu peur, ou même qui, en se montrant brave, avait été vaincu et fait prisonnier, encourait l'atimie[15]. Celui qui restait célibataire, subissait la même peine[16]. La pauvreté elle-même entraînait une sorte, d'atimie, puisque, comme l'assure Aristote, l'homme qui était trop pauvre pour fournir sa part aux repas communs perdait le droit de cité[17]. Ainsi, par l'effet des lois elles-mêmes, le nombre des citoyens devait aller en diminuant.

Il me semble que la pratique de l'atimie a eu, dans l'existence de Sparte, une importance considérable. Plutarque dit que tout homme qui, étant né de parents citoyens, n'avait pas reçu l'éducation prescrite par les lois, était pour ce seul motif déchu des droits et du rang de citoyen[18]. C'est que, pour être citoyen, il ne suffisait pas d'être de sang Spartiate ; la vraie condition était qu'on se fût toujours soumis à toutes les règles de discipline que la loi imposait. Xénophon énonce ce principe d'une manière très-nette : Le législateur a imposé l'obligation absolue de pratiquer toute la vertu civique ; ceux qui en remplissent tous les devoirs, il les reconnaît pour citoyens ; ceux qui n'ont pas le courage de les remplir, il ne veut pas qu'ils soient comptés parmi les citoyens égaux entre eux[19]. Ces passages de Plutarque et de Xénophon ne sont pas des phrases vagues ; ils révèlent un fait important, à savoir que, même étant né Spartiate, on cessait de compter parmi les citoyens de Sparte par ce seul motif que l'on ne pouvait ou que l'on ne voulait pas se plier à la discipline de la cité.

Or cette discipline était fort dure. Il fallait, dès l'âge de sept ans, passer par une sévère éducation, puis être soldat toute sa vie, manger à une table commune, porter les vêtements prescrits par la loi, se marier à l'âge indiqué, toujours obéir, n,être jamais à soi. Cependant, la nature humaine n'était pas différente à Sparte de ce qu'elle est partout. Elle avait ses besoins et ses faiblesses. Les écrivains anciens ont remarqué le goût des Spartiates pour les douceurs de la vie, pour la mollesse, pour les plaisirs des sens[20]. Platon et Aristote ont signalé la liberté et même la licence des femmes Spartiates[21] ; or il est difficile de croire que les hommes soient bien austères dans leur conduite quand les femmes ne le sont pas. Plutarque et Xénophon, si favorables qu'ils soient à Sparte, disent expressément que les Spartiates se livrèrent aux plaisirs et au luxe aussitôt qu'ils eurent la richesse qui les procure[22]. Ils ajoutent, à la vérité, que cette richesse ne se serait introduite à Sparte qu'après la prise d'Athènes ; mais nous avons vu des faits qui montrent qu'elle y était plus ancienne, et il y a apparence que le goût des plaisirs était plus ancien aussi. Le vieux roi Agis II, à qui l'on disait que ses contemporains abandonnaient les vieilles mœurs, aurait répliqué : Lorsque j'étais enfant, mon père me disait la même chose ; et quand mon père était petit, on lui en disait déjà autant[23]. Il est bien possible que ces mots expriment une vérité, et que, bien longtemps avant la prise d'Athènes, il y ait eu dans Sparte un luxe et une mollesse qui choquaient les esprits austères ; surtout il est possible que de tout temps il y ait eu quelque désaccord entre les lois et les mœurs, entre l'idéal de discipline prescrit par le législateur et la pratique de la vie réelle. Aristote fait cette remarque : Les éphores, qui n'ont personne au-dessus d'eux et sont exempts de toute surveillance, ne s'astreignent nullement à observer les règles de la cité et ils mènent un genre de vie très-relâché. Quant aux autres hommes, ces règles s'imposent à eux avec une dureté qui dépasse toute mesure, d'où il résulte que les Spartiates ne peuvent vraiment pas endurer une telle vie, et que, dès qu'ils peuvent échapper à la loi et se dérober à la surveillance, ils se livrent à toutes les jouissances et à tous les plaisirs du corps[24].

Nous pouvons donc considérer comme certain qu'il y avait une grande distance entre la discipline de Sparte et les inclinations naturelles des Spartiates. Parmi eux, il s'en trouvait sans nul doute qui acceptaient courageusement les règles de la cité, qui y pliaient toute leur vie et qui pouvaient devenir des héros ; mais il n'est pas douteux non plus que beaucoup d'autres n'eussent le désir de s'y soustraire. Les natures vulgaires cherchaient à y échapper, et nous pouvons croire que plus d'un Spartiate n'avait d'autre pensée que de se dérober, par quelque moyen, aux intolérables exigences de la loi.

Or, l'atimie qui était prononcée contre quiconque n'avait pas le courage d'endurer tous les travaux exigés par les lois, offrait précisément cet expédient que beaucoup d'hommes cherchaient. Si sévère que fût la peine, ils pouvaient la trouver moins dure que le devoir. On est donc en droit de supposer qu'à l'esprit de tout artiste se présentait cette alternative : ou bien porter le joug de la sévère discipline, ou bien s'en affranchir en sortant des rangs de la cité. Les âmes vaillantes ou ambitieuses prenaient le premier parti et marchaient la tête haute dans cette rude carrière de vertu civique[25], au bout de laquelle se trouvaient les magistratures et la dignité de sénateur[26]. Mais les âmes faibles, les corps maladifs, les caractères avides de plaisirs ou avides d'indépendance pouvaient préférer le second parti et accepter sans trop de répugnance une dégradation civique qui les rendait libres.

Une anecdote de la vie d'Agésilas donne à penser que le nombre des hommes frappés d'atimie pour avoir eu peur ne laissait pas d'être assez grand à Sparte, au IVe siècle ; et la même anecdote montre qu'il suffisait de se faire mettre au nombre de ceux qui avaient eu peur pour être exempté ensuite du service militaire[27]. Il est vrai qu'on cessait alors d'être citoyen, mais on cessait aussi d'être soldat.

Un trait du caractère Spartiate était l'amour de l'argent ; nous avons vu plus haut les témoignages qui le signalent. Les Spartiates aimaient à s'enrichir comme tous les hommes. Mais comment faire pour s'enrichir à Sparte ? Les lois interdisaient au citoyen de faire le commerce, d'exercer un métier, même de cultiver la terre. Au contraire, dès qu'on cessait d'être citoyen, on pouvait travailler, trafiquer, voyager, acquérir de l'argent[28]. Tout était défendu au citoyen, tout était permis à ceux qui ne l'étaient pas.

Il n'est pas dit dans nos documents s'il y avait des Spartiates qui allaient au devant de la condamnation d'atimie et qui renonçaient d'eux-mêmes au rang de citoyen pour acquérir l'indépendance de la vie ou la richesse ; aussi ne l'affirmons-nous pas. Deux vérités, du moins, apparaissent avec certitude : l'une, qu'il y avait quelque intérêt à n'être pas citoyen, l'autre, que le nombre des citoyens diminua avec une étonnante rapidité.

A la bataille de Platée, Hérodote compte encore 5.000 hoplites Spartiates. Thucydide ne donne pas de chiffres qui puissent faire apprécier leur nombre, mais il montre que la prise de cent vingt Spartiates dans l'ile de Sphactérie fut une perte assez sensible pour que Sparte crût devoir traiter de la paix[29] ; puis, lorsque ces cent vingt citoyens rentrèrent dans la ville, on craignit que leur retour ne portât le trouble dans le gouvernement[30] ; tout cela donne l'idée d'un corps de citoyens bien peu nombreux. Un siècle plus tard, Aristote annonce que Sparte dépérit faute d'hommes ; cela ne veut pas dire que Sparte manquât d'êtres humains ; c'est de citoyens qu'elle manquait[31]. Au siècle suivant, c'est-à-dire au temps d'Agis IV, Plutarque assure que les citoyens n'étaient pas plus de sept cents[32]. Ce n'est pas la guerre seule qui a produit ce résultat, car nous pouvons calculer qu'elle a coûté moins d'hommes à Sparte qu'à Athènes ; c'est le droit civil, c'est l'atimie, c'est la sévérité de la discipline, ce sont enfin les lois elles-mêmes qui ont épuisé le sang des citoyens.

Il nous reste à observer quelques faits de l'ordre économique ; nous y trouverons encore une des causes qui ont fait insensiblement de la société spartiate une étroite aristocratie. Nous avons vu plus haut, en examinant le mode d'exploitation du sol, que le citoyen de Sparte était un propriétaire, sans être jamais un agriculteur. Nous avons vu d'autre part, en étudiant le droit de Sparte, que la propriété était nécessairement héréditaire et que la vente était interdite. Il semble qu'il y avait là deux raisons pour que l'ancienne égalité se conservât toujours. A regarder de près, on s'aperçoit au contraire que ce sont ces vieilles règles qui ont le plus contribué à la ruine de la petite propriété.

Le lot primitif, celui que Plutarque appelle κλήρος et Héraclide άρχαΐα μοΐρα, était de peu d'étendue. Il produisait, suivant Plutarque, un peu plus de quatre-vingts médimnes de grains. Ce champ aurait suffi à une famille qui l'aurait cultivé de ses mains ; mais la loi défendait au citoyen de cultiver. Nous devons donc nous représenter le Spartiate comme un petit propriétaire de campagne, mais un propriétaire qui ne touche pas à son champ, qui est réduit au fermage invariable que l'hilote lui apporte chaque année, et qui, enfin, de père en fils vit à la ville.

Or, la vie ne laissait pas d'être assez chère à Sparte. Essayons de nous en faire une idée. Il fallait d'abord fournir, pour les repas communs, un minimum de douze médimnes de farine et de quatre-vingt-seize congés de vin, chaque année, sans compter les fruits et l'argent pour la viande. Il y avait, en outre, à pourvoir à la nourriture de la famille, à toutes les dépenses intérieures, à la toilette de la femme, au loyer ou à l'entretien de la maison. Le vêtement de l'homme coûtait peu, mais l'armure de guerre coûtait beaucoup, et il n'est guère douteux qu'elle ne fût, à Sparte comme partout, à la charge du guerrier. Il fallait ensuite payer l'impôt ; or, comme Hérodote et Aristote ne mentionnent l'impôt que pour dire qu'on était souvent en retard pour le payer, noua n'en pouvons pas conclure que cet impôt fut très-léger[33]. Ajoutons les fêtes religieuses qui étaient en grand nombre et qui entraînaient de grandes dépenses[34], les processions dans lesquelles les familles rivalisaient de luxe[35], les chœurs et les représentations théâtrales qui ne laissaient pas d'avoir de l'éclat. Il fallait bien faire les frais de tout cela ; les faisait-on par un système de liturgies, comme à Athènes[36], ou de quelque autre manière, nous l'ignorons ; mais on sait bien que dans toutes les villes anciennes, les fêtes et les jeux sacrés coûtaient fort cher aux citoyens.

Si nous tenons compte de toutes ces dépenses, nous ne serons pas surpris que beaucoup de Spartiates, même en étant propriétaires d'un κλήρος, se trouvassent trop pauvres pour supporter ces frais[37]. Aristote fait entendre clairement que si un Spartiate avait plusieurs enfants, c'étaient autant de pauvres qu'il laissait dans le monde[38]. Il fallait d'ailleurs vivre sans rien faire ; aucune occupation lucrative n'était permise au citoyen. Si l'agriculture fit des progrès avec le temps[39], ils furent surtout au profit de l'hilote et le propriétaire y gagna peu. Le luxe grandit et les besoins s'accrurent, mais non les revenus.

Il y avait, à la vérité, quelques privilégiés ; les textes montrent bien que le Spartiate, outre le lot primitif, pouvait posséder d'autres terres[40]. Les terres de cette nature étaient-elles situées dans les districts laconiens, ou bien, après la conquête de la Messénie, avait-on constitué dans ce pays de grands domaines, nous ne saurions le dire. Ce qui est certain, c'est qu'il exista de tout temps des hommes très-riches à Sparte ; mais il est certain aussi que ceux des Spartiates qui étaient réduits au κλήρος antique étaient inévitablement dans la misère.

Vendre ce petit champ qui rapportait si peu et pour lequel le cœur ne pouvait avoir aucun attachement, puisqu'on ne le cultivait pas et qu'à peine le connaissait-on, devait être une tentation générale. Mais la loi défendait de vendre. La propriété, dans de telles conditions, devait être souvent un embarras et une chaîne. Pour vivre, il fallait emprunter. Plutarque, qui n'a pas toujours compris les mœurs de Sparte, mais qui a eu dans les mains tant de renseignements et de livres sur cette ville, parle souvent de débiteurs, de créanciers, d'usuriers. Nous avons vu plus haut que les valeurs mobilières ne manquaient pas et que le commerce de l'argent n'était pas inconnu. Par malheur, ce genre de commerce était interdit par la loi ; il était donc réduit à se dissimuler et à procéder par des détours, ce qui ne peut se faire qu'au détriment des emprunteurs, c'est-à-dire des pauvres. Lorsque la loi interdit le prêt régulier, elle fait naître l'usure. Plutarque nous dit que la question des dettes troublait déjà l'existence de Sparte au temps de Lycurgue ; au moins est-il certain qu'elle l'a fort agitée plus tard. Il est bien vrai que les dettes ne deviennent un véritable péril pour une société que lorsque la liberté du travail fait défaut ; mais c'est justement ce qui avait lieu à Sparte. Comme tout travail était interdit, le citoyen, une fois devenu débiteur, n'avait plus aucun moyen légitime de s'acquitter.

Remarquons bien ces deux faits que la législation de Sparte mettait en présence : propriété qu'on ne pouvait pas vendre, dette qu'on ne pouvait pas éteindre. Ces deux faits étaient, par la loi, associés et enchaînés l'un à l'autre. Le propriétaire était en même temps, presque toujours, un débiteur. Plutarque nous dit, en effet, que la classe des propriétaires était endettée à un tel point que si on leur offrait l'abolition des dettes, ils souffraient sans se plaindre l'abolition des propriétés[41].

Que devenait donc ce petit propriétaire endetté, ce propriétaire malgré lui, qui ne pouvait ni se débarrasser de son bien ni se libérer de sa dette ? Nous ne connaissons pas assez le droit civil de Sparte pour dire quelle était la législation sur les créances, ni même s'il y en avait une. Les documents nous laissent, sur ce point si important, dans une ignorance absolue. L'hypothèque ne pouvait pas exister, du moins sous la forme que nous lui donnons aujourd'hui, puisque la vente de la terre était interdite. Il fallait alors de deux choses l'une : ou que le créancier prît gage sur la redevance annuelle, ou bien qu'il prît gage, comme à Rome et dans le plus ancien droit attique, sur la personne même du débiteur. Examinons l'une et l'autre hypothèse.

Supposerons-nous le premier cas, voici ce qui se produisait. Le débiteur restait propriétaire sans jouir du revenu, lequel était porté par l'hilote cultivateur au créancier. Il n'était donc plus, lui et ses enfants après lui, qu'un propriétaire légal, un propriétaire de nom ; mais le créancier avait la jouissance de fait. Ainsi, la vente étant interdite, l'emprunt donnait à peu près le même résultat en pratique qu'aurait donné la vente. Il y a plus ; cette créance, qu'il était très-rare qu'on pût éteindre, pouvait passer des mains du premier créancier dans celles d'un tiers et devenir un objet de commerce. On ne pouvait pas vendre la terre, mais on pouvait vendre le contrat ou l'obligation qui reposait sur cette terre et qui en représentait le revenu. Plutarque nous apprend que dans la langue de Sparte le lot de terre s'appelait κλάρος et la créance s'appelait κλάριον[42]. Le mot est le même et il donne à penser que cette sorte de créance n'était pas autre chose que l'image mobilisée d'un immeuble invendable. Par là, le champ du Spartiate, ce κλήρος qui produisait toujours une même redevance invariable, se transformait en une sorte de titre de rente, et, sous cette forme, il circulait. Il se transmettait de main en main par toute sorte de transfert, quoique le propriétaire nominal du champ fût toujours le même.

Supposerons-nous le second cas et penserons-nous qu'à Sparte, comme à Athènes avant Selon, la personne du débiteur répondait de la dette ? Alors, le résultat inévitable était que le citoyen perdît, au bout d'un certain temps, sa liberté personnelle. Un passage de Plutarque, d'ailleurs assez vague, appuierait cette conjecture ; il parle d'une femme qui avait beaucoup de pouvoir dans Sparte par le nombre de ses serviteurs et de ses débiteurs[43]. Il semblerait, d'après cela, que l'emprunt établît un lien personnel entre le débiteur et le créancier, lien qui n'était probablement pas l'esclavage proprement dit, mais qui pouvait être une sorte de clientèle et qui, tout en laissant au débiteur le titre d'homme libre, le plaçait dans la dépendance absolue du créancier. Si dans de telles conditions il conservait sa terre, il est assez évident qu'il n'était encore propriétaire que de nom. Il ne la conservait que parce qu'elle ne pouvait pas se détacher de lui ; elle le suivait donc dans sa sujétion au créancier. Le droit que celui ci avait sur sa personne, il l'avait par cette voie indirecte sur sa terre. Lui .et sa terre appartenaient au créancier.

Dans une hypothèse comme dans l'autre, la propriété changeait de mains, quoique la loi voulût qu'elle ne changeât pas. Ajoutons même que, pour arriver à ce résultat, les voies de contrainte n'étaient pas nécessaires. Il n'était pas rigoureusement obligatoire que dans cette opération dont nous parlons, il y eût d'un côté un emprunteur misérable et de l'autre un cruel usurier. Il pouvait bien arriver quelquefois que l'emprunt ne fût qu'un détour et qu'une fiction légale. L'homme qui voulait se défaire de son champ prenait le biais d'un emprunt. Il dissimulait sa vente sous la forme d'une dette et le créancier n'était alors qu'un acheteur déguisé.

Nous ne présentons tout cela que comme hypothèse ; mais nous ne voyons pas d'autre moyen d'expliquer un fait qui, lui, est bien avéré et qui est attesté par Aristote : les deux cinquièmes de la terre étaient entre les mains des femmes[44]. Comment comprendre cela ? Dans l'ancien droit, les femmes ne pouvaient pas hériter, nous l'avons montré plus haut en parlant de la législation sur les filles épiclères ; elles ne pouvaient pas non plus acheter, puisque la terre ne se vendait pas, et ce n'est pas dans le court intervalle entre la loi d'Épitadée et le temps où Aristote écrivait qu'elles ont pu attirer à elles tant de richesses. Mais c'est que l'ancienne loi ne leur défendait ni de recevoir des dots en valeurs mobilières[45], ni de posséder de l'argent. Riches d'argent, elles pouvaient en prêter. Plutarque signale des femmes qui ont des débiteurs, et Aristote reproche aux femmes de Sparte, non pas leur goût pour la parure, mais leur amour pour l'argent, φελοχρηματία[46]. Il est vraisemblable que le commerce d'argent, qui était interdit au citoyen, dût être, pour la plus grande partie, soit dans les mains des non-citoyens soit dans les mains des femmes. A cela se rattache la grande liberté dont les femmes jouissaient ; la loi ne leur interdisait rien et ne s'occupait pas de l'intérieur de leurs maisons[47]. Rien ne les empêchait de s'enrichir ; aussi en vinrent-elles à posséder la plus grande partie des richesses de Lacédémone[48]. Elles détenaient surtout les valeurs mobilières et la richesse circulante ; mais la terre aussi arrivait dans leurs mains, sinon directement par des ventes, du moins par le détour de l'emprunt. Aristote et Plutarque ont remarqué que les femmes de Sparte avaient un grand pouvoir sur leurs maris[49], c'est peut-être que ceux-ci, à qui la loi interdisait toute occupation lucrative, ne pouvaient s'enrichir que par leurs femmes. Aristote ajoute que les femmes avaient une grande influence dans le gouvernement[50], c'est qu'elles étaient la classe riche et qu'en tout pays le gouvernement doit compter avec ceux qui possèdent les capitaux.

Tout cela, il est vrai, n'est que conjecture et vraisemblance ; nous n'avons pas le droit de formuler une affirmation. Ce que nous pouvons dire, c'est qu'il y a eu dans l'existence de Sparte une série de faits et d'usages extralégaux que les documents ne sauraient nous montrer, et que nous ne pouvons que deviner et entrevoir.

Après que les faits de cette nature se furent, durant plusieurs siècles, insensiblement et obscurément développés en dépit des lois, il vint un jour où un changement visible s'introduisit enfin dans les lois elles-mêmes. Peu d'années après la guerre du Péloponnèse, le droit civil fut modifié. Sur la proposition d'un éphore nommé Épitadée, le testament fut autorisé ; la donation entre-vifs fut également permise, quoique la vente de la terre restât défendue[51] ; en même temps les lois relatives à la fille épicière furent abrogées et son mariage ne fut soumis à aucune restriction[52] ; mariée librement, ce fut elle qui devint véritablement héritière. Tout cela était le renversement du droit antique. La législation de Sparte faisait autant et plus de chemin en un jour que celle d'Athènes en avait fait en plusieurs siècles.

Les conséquences de ce changement durent être considérables ; mais on est surpris de voir qu'elles aient été aussi rapides que le dit Plutarque. Il affirme qu'aussitôt que la nouvelle loi eut été promulguée, les riches acquirent des biens sans mesure et qu'ils dépouillèrent de leurs successions les héritiers naturels[53]. Voilà une assertion qui ne se comprend pas à première vue ; on ne se figure pas que tous les pères viennent à user tout à coup de la faculté qui leur est accordée de déshériter leurs fils pour faire passer leurs biens à des étrangers. Pourtant l'affirmation de Plutarque ne peut pas être rejetée, car elle est confirmée par Aristote et par Isocrate qui n'étaient pas très-éloignés de l'époque d'Épitadée. Tous les deux assurent que les conséquences de sa loi se firent sentir immédiatement et que le déplacement des propriétés s'opéra tout à coup[54]. Il n'y a qu'un moyen d'expliquer cela ; c'est que ce déplacement était préparé de longue date. Il s'était fait sourdement, depuis plusieurs générations, à l'aide des détours et des expédients dont nous avons parlé. La loi d'Épitadée dispensa les hommes de ces détours. Elle permit de faire au grand jour ce qui s'était jusqu'alors dissimulé sous des formes diverses. Grâce à elle, on put transmettre, non plus seulement la jouissance, mais la propriété, non plus seulement le κλάριον, image du sol, mais le sol même, le κλήρος. On conçoit en effet, que les propriétaires endettés, à qui l'on permettait de tester et de donner, ne purent, dans la pratique, léguer et donner qu'aux créanciers. Le testament et la donation furent un moyen d'éteindre enfin la créance. On comprend ainsi que Plutarque ait dit qu'aussitôt la loi faite, on vit les riches exclure les héritiers naturels. Ces riches étaient déjà les détenteurs des valeurs mobilières, c'est-à-dire des titres de créance qui depuis de longues années représentaient les biens fonciers. Ils avaient déjà dans leurs mains la valeur des terres, ils eurent désormais les terres elles-mêmes en se les faisant léguer ou donner entre vifs. C'est ainsi, suivant toute vraisemblance, que la plupart des lots de terre se trouvèrent brusquement détachés des familles auxquelles ils appartenaient depuis des siècles et passèrent, en un moment, aux mains d'un petit nombre de propriétaires. Ce résultat, qui a tant frappé Aristote, Isocrate et Plutarque, n'aurait été ni si complet ni si rapide, s'il n'avait répondu à un état de choses déjà ancien. Il y avait longtemps que le petit propriétaire n'était plus propriétaire que de nom, et que le sol ne lui appartenait plus que par une fiction légale. La loi d'Épitadée fit disparaître cette fiction.

On s'explique ainsi une singularité de l'histoire de Sparte. Ordinairement, la mise en circulation des terres par la faculté de les léguer ou de les donner, est favorable à la division des fortunes. Comment donc se fait-il que la loi d'Épitadée ait pu avoir, au contraire, pour conséquence de faire disparaître immédiatement la petite propriété, et que, contrairement à tout ce qu'on voit dans l'histoire, elle ait été le signal de la création de grandes fortunes aristocratiques ? C'est que cette loi n'est venue qu'après une longue période de temps durant laquelle, par des moyens détournés, la petite propriété avait déjà disparu et la terre s'était accumulée sous forme de créances en un petit nombre de mains. La loi nouvelle ne fit que mettre au grand jour ce qui jusque-là avait été dissimulé. Elle révéla le petit nombre des vrais propriétaires. Voilà pourquoi ce qui avait échappé à Thucydide et à Xénophon éclate aux yeux d'Aristote : La terre est allée à peu d'hommes, dit-il, είς όλίγους ήκεν ή χώρα. Plutarque assure que, soixante ans plus tard, il n'y avait plus que cent propriétaires[55] ; au-dessous d.'eux végétait une foule d'hommes qui étaient de sang spartiate, mais qui ne possédaient rien, tourbe sans propriétés et sans droits, όχλος άπορος καί άτιμος.

On peut voir dans ces faits un exemple de ce que les législations produisent quand elles ne sont pas conformes à la nature humaine. Le législateur de Sparte avait voulu établir à tout jamais une rigoureuse discipline et un certain mode d'égalité. La discipline, il avait cru l'assurer par l'éducation commune, les repas communs, les exercices militaires de tous les jours ; mais le Spartiate avait trouvé bien des moyens d'éluder la loi et il s'était fait remarquer au milieu des autres Grecs par son amour de l'argent et son goût pour les jouissances de la vie[56]. L'égalité, le législateur avait cru l'assurer par un régime de petite propriété et par des lois qui interdisaient de tester et de vendre ; précautions inutiles, les pauvres avaient trouvé des détours pour vendre et les riches pour acheter. C'était même L'absence de liberté dans les transactions qui avait le plus contribué à ruiner les pauvres et à enrichir une centaine de familles. Non seulement l'inégalité a pénétré dans Sparte, mais Sparte est même, parmi toutes les villes grecques, celle où il y a eu le plus de disproportion dans la richesse άνωμαλία κτήσεως, dit Aristote. Elle est la seule qui nous offre le spectacle de la richesse se concentrant de plus en plus dans les mêmes mains. Plus le législateur avait fait effort pour faire régner l'égalité, plus l'inégalité est devenue profonde.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Plutarque, Lycurgue, 8. — Platon, Lois, III, p. 684, 685.

[2] Aristote, Politique, II, 6, 10, éd. Didot, p. 512. — Cf. ibidem, V, 6, 7.

[3] Nous entendons par terre Spartiate, non pas toute la Laconie, mais seulement le district qui dépendait de la ville de Sparte, et où se trouvaient les 9000 κλήροι des Spartiates ; (Plutarque, Lycurgue, 8 ; cf. Éphore, dans Strabon, VIII, v. 4). Les 30.000 lots des périèques étaient en dehors.

[4] Il est vrai que Plutarque parle d'étrangers à qui Lycurgue aurait assigné des lots de terre (Plutarque, Instituta laconica, 22) ; mais il faut entendre qu'il avait commencé par les faire citoyens, ce qui, suivant Aristote, était conforme aux vieux usages de Sparte (Aristote, Politique, II, 6, 12).

[5] Plutarque, Lycurgue, 8 ; encore l'historien rappelle-t-il une opinion suivant laquelle ils n'auraient été que 6.000 ou 4.500. — Aristote, Politique, II, VI, 12, éd. Didot, p. 512. — Hérodote, VII, 234, semble croire qu'il y avait encore, au temps des guerres médiques, 8.000 Spartiates citoyens et hoplites.

[6] Aristote, Politique, II, VI, 12. — Cf. Plutarque, Instituta laconica, 22 ; Élien, XII, 43. On connaît quelques familles étrangères qui furent admises dans la cité et qui y eurent de l'importance ; par exemple, les Ægides, de race cadméenne (Aristote, fragments, éd. Didot, t. IV, p. 269, et Hérodote, IV, 149), les Minyens (Hérodote, IV, 145), les Talthybiades qui étaient de race Achéenne et qui restèrent une des familles les plus vénérées parmi les Spartiates (Hérodote, VI, 60 et VII, 134). — Hérodote dit, il est vrai, que l'Elien Tisamène fut le premier étranger à qui Sparte ait accordé le plein droit de cité (IX, 35) ; mais cela est en contradiction avec plusieurs faits.

[7] Plutarque, Agésilas, 3 et 4. Strabon, VI, III, 3 : τος Παρθενας οχ μοως τος λλοις τμων ς οκ κ γμου γεγοντας. Dans cette phrase, le terme τμων a le même sens qui se retrouve dans les mots έπίτιμος et άτιμος ; il implique la reconnaissance du plein droit de cité.

[8] Léotychide fut exclu de la succession paternelle, quoiqu'il fût fils unique, parce que son père avait refusé de le reconnaître comme légitime (Plutarque, Agésilas, 4.)

[9] On sait qu'à Athènes, en dehors de l'atimie complète, il y avait une atimie partielle et adoucie. Le passage de Thucydide, V, 34, semble indiquer qu'à Sparte aussi il y avait des degrés dans l'atimie.

[10] Thucydide, V, 34.

[11] Plutarque, Agésilas, 30. Il est possible qu'un tel mariage ne fût pas formellement interdit par la loi, mais il entraînait des conséquences telles pour les enfants qu'aucun citoyen ne devait se résoudre à le contracter.

[12] Hérodote, VII, 231.

[13] Plutarque, Agésilas, 30.

[14] Comparer Démosthène, In Midiam, 92 ; Lysias, In Andocidem, 24 ; Eschine, In Timarchum, 21 ; Andocide, De mysteriis, 73-80, éd. Didot, p. 60.

[15] Hérodote, VII, 231. Thucydide, V, 34 ; V, 72. Plutarque, Agésilas, 30 ; Apopht. Laced., Demarati. Il paraît que la même disposition existait dans la loi athénienne (Lysias, in Alcibiadem, I, 9.)

[16] Plutarque, Lycurgue, 15 ; Lysandre, 30 ; Apopht. Laced., Lycurgi, 14.

[17] Aristote, Politique, II, 6, 21, éd. Didot, p. 514.

[18] Plutarque, Instituta laconica, 21. Cette règle est encore attestée par un apophtegme qui est trop singulier pour que Plutarque l'ait inventé : Antipater, après une victoire, voulait que 50 enfants Spartiates lui fussent livrés comme otages ; un éphore lui répliqua qu'on donnerait plutôt le double de vieillards, mais qu'il était impossible de livrer des enfants, parce que ces enfants, étant éloignés de Sparte, ne recevraient plus l'éducation prescrite par les lois et qu'alors ils ne pourraient plus devenir citoyens. (Plutarque, apopht. Lacedœmoniorum ignotorum, 51).

[19] Xénophon, Resp. Laced., X, 7. L'expression toute Spartiate εΐναι τών όμοιων correspond à όμοίως τήν πόλιν έχειν que Xénophon emploie dans la même phrase, et désigne la même chose ; étaient όμοιοι à notre avis, ceux qui étaient citoyens complets, cives optimo jure.

[20] Plutarque, Apopht Lac., Lycurgi, 1. — Aristote, Politique, II, VI, 16. — Sur le luxe de la table, voir Phylarque, Fragm. Hist. grœcorum, t. I, p. 346. Élien, XIV, 7, mentionne un Spartiate περσαρκοντα κα πρπαχυν δι τρυφν γενμενον. Il était donc possible à Sparte de se livrer à la mollesse.

[21] Aristote, Politique, II, VI, 6. Cf. Platon, Lois, I, p. 637 ; VI, p. 786.

[22] Plutarque, Agis, 3. Xénophon, Resp. Lac., 14. Cf. Athénée, XII, 51.

[23] Plutarque, Apopht. Agidis, 14.

[24] Aristote, Politique, II, 6, 16.

[25] Xénophon, Resp. Lac., X.

[26] Nous dirons ailleurs que la vertu était une institution à Sparte ; il y avait des concours de vertu aux différents âges de la vie ; la vertu avait ses récompenses, et un grand prix (Plutarque, Lycurgue, 24, 26). La dignité de γέρων s'appelait un prix de vertu (Aristote, Politique, II, VI, 15).

[27] Plutarque, Agésilas, 30, et Apopht. laconica, Agesilai ; l'historien dit que ce fut par une exception formelle et contraire aux lois que, dans un besoin pressant, on enrôla les δειλιάσαντες.

[28] L'interdiction légale d'acheter et de vendre, dont parle Thucydide, V, 34, doit s'entendre dans le même sens que la privation du jus commercii chez les Romains ; elle ne s'appliquait pas aux objets mobiliers.

[29] Thucydide, IV, 38 et 108.

[30] Thucydide, V, 34.

[31] Aristote, Politique, II, 6, 12. La pensée du philosophe apparaît bien clairement quand on lit le passage entier ; parlant des suites de la bataille de Leuctres, il montre qu'en ce moment la terre était aux mains d'un très-petit nombre de propriétaires, et il ajoute : aussi, tandis que ce pays aurait pu (si les anciennes règles de la petite propriété s'étaient maintenues) entretenir 1.600 cavaliers et 30.000 hoplites, ils n'étaient pas même mille ; Sparte a donc été perdu par manque d'hommes. Pour bien entendre ce passage, il faut se rappeler que dans les cités anciennes le service militaire était en rapport avec la propriété ; être propriétaire et être hoplite étaient deux choses qui allaient toujours ensemble. Aussi Aristote veut-il dire que Sparte fut perdue parce qu'elle manquait à la fois de propriétaires et d'hoplites, c'est-à-dire de citoyens. D'ailleurs si on lit le récit de la conspiration de Cinadon (Xénophon, Helléniques, III, 3) on y voit bien que la population était considérable et que c'étaient les vrais citoyens qui étaient peu nombreux.

[32] Plutarque, Agis, 5.

[33] Hérodote, VI, 59. Aristote, Politique, II, VI, 23. L'impôt est mentionné aussi par l'auteur du Premier Alcibiade et par Plutarque, Agis, 16.

[34] Xénophon, Mémorables, I, II, 61 ; Plutarque, Cimon, 10 ; Athénée, IV, 139, 140.

[35] Plutarque, Agésilas, 19, 20.

[36] Aristote parle du chorège à Lacédémone (Aristote, VIII, 6, 6, éd. Didot, p. 631).

[37] Aristote, Politique, II, 6, 21.

[38] Aristote, Politique, II, 6, 13.

[39] Polybe, V, 19, vante la richesse agricole des environs de Sparte.

[40] Héraclide, Fragmenta, éd. Didot, t. II, p. 211.

[41] Plutarque, Agis, 13.

[42] Plutarque, Agis, 13.

[43] Plutarque, Agis, 6. Comparez un trait analogue des mœurs sociales chez les Gaulois : cœgit omnes clientes obaratosque (César, I, 4).

[44] Aristote, Politique, II, 6, 11.

[45] Aristote, Politique, II, 6, 11.

[46] Aristote, Politique, II, 6, 9.

[47] Aristote, Politique, II, VI, 8 ; Denys d'Halicarnasse, Antiq. romaines, II, 24.

[48] Plutarque, Agis, 7.

[49] Aristote, Politique, II, 6, 6.

[50] Aristote, Politique, II, 6, 7.

[51] Plutarque, Agis, 6. Aristote, Politique, II, 6, 10, éd. Didot, p. 512.

[52] Aristote, Politique, II, 6, 11.

[53] Plutarque, Agis, 5.

[54] Aristote, Politique, II, VI, 10. Isocrate, De pace, 96.

[55] Plutarque, Agis, 5.

[56] Aristote, Politique, II, VI, 16 et 23. Isocrate, Busiris, 20.