Livre cinquième — Le régime municipal disparaît
On a vu dans ce qui précède comment le régime municipal
s'était constitué chez les anciens. Une religion très antique avait fondé,
d'abord la famille, puis la cité ; elle avait établi d'abord le droit
domestique et le gouvernement de la gens, ensuite les lois civiles et le
gouvernement municipal. L'État était étroitement lié à la religion ; il
venait d'elle et se confondait avec elle. C'est pour cela que dans la cité
primitive, toutes les institutions politiques avaient été des institutions
religieuses, les fêtes des cérémonies du culte, les lois des formules
sacrées, les rois et les magistrats des prêtres. C'est pour cela encore que
la liberté individuelle avait été inconnue, et que l'homme n'avait pas pu
soustraire sa conscience elle-même à l'omnipotence de la cité. C'est pour
cela enfin que l'État était resté borné aux limites d'une ville, et n'avait
jamais pu franchir l'enceinte que ses dieux nationaux lui avaient tracée à
l'origine. Chaque cité avait non seulement son indépendance politique, mais
aussi son culte et son code. La religion, le droit, le gouvernement, tout
était municipal. La cité était la seule force vive ; rien au-dessus, rien
au-dessous ; ni unité nationale ni liberté individuelle. Il nous reste à dire comment ce régime a disparu,
c'est-à-dire comment, le principe de l'association humaine étant changé, le
gouvernement, la religion, le droit ont dépouillé ce caractère municipal
qu'ils avaient eu dans l'antiquité. La ruine du régime politique que La religion primitive, dont les symboles étaient la pierre
immobile du foyer et le tombeau des ancêtres, religion qui avait constitué la
famille antique et organisé ensuite la cité, s'altéra avec le temps et
vieillit. L'esprit humain grandit en force et se fit de nouvelles croyances.
On commença à avoir l'idée de la nature immatérielle ; la notion de l'âme
humaine se précisa, et presque en même temps celle d'une intelligence divine
surgit dans les esprits. Que dut-on penser alors des divinités du premier âge, de
ces morts qui vivaient dans le tombeau, de ces dieux Lares qui avaient été
des hommes, de ces ancêtres sacrés qu'il fallait continuer à nourrir
d'aliments ? Une telle foi devint impossible. De pareilles croyances
n'étaient plus au niveau de l'esprit humain. Il est bien vrai que ces
préjugés, si grossiers qu'ils fussent, ne furent pas aisément arrachés de
l'esprit du vulgaire; ils y régnèrent longtemps encore ; mais dès le
cinquième siècle avant notre ère, les hommes qui réfléchissaient s'étaient
affranchis de ces erreurs. Ils comprenaient autrement la mort. Les uns
croyaient à l'anéantissement, les autres à une seconde existence toute
spirituelle dans un monde des âmes; dans tous les cas ils n'admettaient plus
que le mort vécût dans la tombe ; se nourrissant d'offrandes. On commençait
aussi à se faire une idée trop haute du divin pour qu'on pût persister à
croire que les morts fussent des dieux. On se figurait au contraire l'âme
humaine allant chercher dans les Champs-Élysées sa récompense ou allant payer
la peine de ses fautes ; et par un notable progrès, on ne divinisait plus
parmi les hommes que ceux que la reconnaissance ou la flatterie faisait
mettre au-dessus de l'humanité. L'idée de la divinité se transformait peu à peu, par
l'effet naturel de la puissance plus grande de l'esprit. Cette idée, que
l'homme avait d'abord appliquée à la force invisible qu'il sentait en
lui-même, il la transporta aux puissances incomparablement plus grandes qu'il
voyait dans la nature, en attendant qu'il s'élevât jusqu'à la conception d'un
être qui fût en dehors et au-dessus de la nature. Alors les dieux Lares et
les Héros perdirent l'adoration de tout ce qui pensait. Quant au foyer, qui ne paraît avoir eu de sens qu'autant
qu'il se rattachait au culte des morts, il perdit aussi son prestige. On
continua à avoir dans la maison un foyer domestiqué, à le saluer, à l'adorer,
à lui offrir la libation ; mais ce n'était plus qu'un culte d'habitude,
qu'aucune foi ne vivifiait plus. Le foyer des villes ou prytanée fut entraîné
insensiblement dans le discrédit où tombait le foyer domestique. On ne savait
plus ce qu'il signifiait ; on avait oublié que le feu toujours vivant du prytanée
représentait la vie invisible des ancêtres, des fondateurs, des Héros
nationaux. On continuait à entretenir ce feu, à faire les repas publics, à
chanter les vieux hymnes : vaines cérémonies, dont on n'osait pas se
débarrasser, mais dont nul ne comprenait plus le sens. Même les divinités de la nature, qu'on avait associées aux
foyers, changèrent de caractère. Après avoir commencé par être des divinités
domestiques, après être devenues des divinités de cité, elles se
transformèrent encore. Les hommes finirent par s'apercevoir que les êtres
différents qu'ils appelaient du nom de Jupiter, pouvaient bien n'être qu'un
seul et même être ; et ainsi des autres dieux. L'esprit fut embarrassé de la
multitude des divinités, et il sentit le besoin d'en réduire le nombre. On
comprit que les dieux n'appartenaient plus chacun à une famille ou à une
ville, mais qu'ils appartenaient tous au genre humain et veillaient sur
l'univers. Les poètes allaient de ville en ville et enseignaient aux hommes,
au lieu des vieux hymnes de la cité, des chants nouveaux où il n'était parlé
ni des dieux Lares ni des divinités poliades, et où se disaient les légendes
des grands dieux de la terre et du ciel ; et le peuple grec oubliait ses
vieux hymnes domestiques ou nationaux pour cette poésie nouvelle, qui n'était
pas fille de la religion, mais de l'art et de l'imagination libre. En même
temps, quelques grands sanctuaires, comme ceux de Delphes et de Délos,
attiraient les hommes et leur faisaient oublier les cultes locaux. Les
Mystères et la doctrine qu'ils contenaient, les habituaient à dédaigner la
religion vide et insignifiante de la cité. Ainsi une révolution intellectuelle s'opéra lentement et
obscurément. Les prêtres mêmes ne lui opposaient pas de résistance ; car dès
que tes sacrifices continuaient à être accomplis aux jours marqués, il leur
semblait que l'ancienne religion était sauve ; les idées pouvaient changer
et' la foi périr, pourvu que les rites ne reçussent aucune atteinte. Il
arriva donc que, sans que les pratiques fussent modifiées, les croyances se
transformèrent, et que la religion domestique et municipale perdit tout
empire sur les âmes. Puis la philosophie parut, et elle renversa toutes les
règles de la vieille politique. Il était impossible de toucher aux opinions
des hommes sans toucher aussi aux principes fondamentaux de leur
gouvernement. Pythagore, ayant la conception vague de l'Être suprême,
dédaigna les cultes locaux, et c'en fut assez pour qu'il. rejetât les vieux
modes de gouvernement et essayât de fonder une société nouvelle. Anaxagore comprit le Dieu-Intelligence qui règne sur tous
les hommes et sur tous les êtres. En s'écartant des croyances anciennes, il
s'éloigna aussi de l'ancienne politique. Comme il ne croyait pas aux dieux du
prytanée, il ne remplissait pas non plus tous ses devoirs de citoyen ; il
fuyait les assemblées et ne voulait pas être magistrat. Sa doctrine portait
atteinte à la cité ; les Athéniens le frappèrent d'une sentence de mort. Les Sophistes vinrent ensuite et ils exercèrent plus
d'action que ces deux grands esprits. C'étaient des hommes ardents à
combattre les vieilles erreurs. Dans la lutte qu'ils engagèrent contre tout
ce qui tenait au passé, ils ne ménagèrent pas plus les institutions de la
cité que les préjugés de la religion. Ils examinèrent et discutèrent
hardiment les lois qui régissaient encore l'État et la famille. Ils allaient
de ville en ville, prêchant des principes nouveaux, enseignant non pas
précisément l'indifférence au juste et à l'injuste, mais une nouvelle
justice, moins étroite et moins exclusive que l'ancienne, plus humaine, plus
rationnelle, et dégagée des formules des âges antérieurs. Ce fut une
entreprise hardie, qui souleva une tempête de haines et de rancunes. On les
accusa de n'avoir ni religion, ni morale, ni patriotisme. La vérité est que
sur toutes ces choses ils n'avaient pas une doctrine bien arrêtée, et qu'ils
croyaient avoir assez fait quand ils avaient combattu des préjugés. Ils
remuaient, comme dit Platon, ce qui jusqu'alors avait été immobile. Ils
plaçaient la règle du sentiment religieux et celle de la politique dans la
conscience humaine, et non pas dans les coutumes des ancêtres, dans
l'immuable tradition. Ils enseignaient aux Grecs que, pour gouverner un État,
il ne suffisait plus d'invoquer les vieux usages et les lois sacrées, mais
qu'il fallait persuader les hommes et agir sur des volontés libres. A la
connaissance des antiques coutumes ils substituaient l'art de raisonner et de
parler, la dialectique et la rhétorique. Leurs adversaires avaient pour eux
la tradition ; eux, ils eurent l'éloquence et l'esprit. Une fois que la réflexion eut été ainsi éveillée, l'homme
ne voulut plus croire sans se rendre compte de ses croyances, ni se laisser
gouverner sans discuter ses institutions. Il douta de la justice de ses vieilles lois sociales, et
d'autres principes lui apparurent. Platon met dans la bouche d'un sophiste
ces belles paroles : Vous tous qui êtes ici, je vous
regarde comme parents entre vous. La nature, à défaut de la loi, vous a faits
concitoyens. Mais la loi, ce tyran de l'homme, fait violence à la nature en
bien des occasions. Opposer ainsi la nature à la loi et à la coutume,
c'était s'attaquer au fondement même de la politique ancienne. En vain les
Athéniens chassèrent Protagoras et brûlèrent ses écrits ; le coup était porté
; le résultat de l'enseignement des Sophistes avait été immense. L'autorité
des institutions disparaissait avec l'autorité des dieux nationaux, et
l'habitude du libre examen s'établissait dans les maisons et sur la place publique. Socrate, tout en réprouvant l'abus que les Sophistes
faisaient du droit de douter, était pourtant de leur école. Comme eux, il
repoussait l'empire de la tradition, et croyait que les règles de la conduite
étaient gravées dans la conscience humaine. Une différait d'eux qu'en ce
qu'il étudiait cette conscience religieusement et avec le ferme désir d'y
trouver l'obligation d'être juste et de faire le bien. Il mettait la vérité
au-dessus de la coutume, la justice au-dessus de la loi. Il dégageait la morale
de la religion ; avant lui, on ne concevait le devoir que comme un arrêt des
anciens dieux ; il montra que le principe du devoir est dans l'âme de
l'homme. En tout cela, qu'il le voulût ou non, il faisait la guerre aux
cultes de la cité. En vain prenait-il soin d'assister à toutes les fêtes et
de prendre part aux sacrifices ; ses croyances et ses paroles démentaient sa
conduite. Il fondait une religion nouvelle, qui était le contraire de la
religion de la cité. On l'accusa avec vérité de ne
pas adorer les dieux que l'État adorait. On le fit périr pour avoir
attaqué les coutumes et les croyances des ancêtres, ou, comme on disait, pour
avoir corrompu la génération présente. L'impopularité de Socrate et les
violentes colères de ses concitoyens s'expliquent, si l'on songe aux
habitudes religieuses de cette société athénienne, où il y avait tant de
prêtres, et où ils étaient si puissants. Mais la révolution que les Sophistes
avaient commencée, et que Socrate avait reprise avec plus de mesure, ne fut
pas arrêtée par la mort d'un vieillard. La société grecque s'affranchit de
jour en jour davantage de l'empire des vieilles croyances et des vieilles
institutions. Après lui, les philosophes discutèrent en toute liberté
les principes et les règles de l'association humaine. Platon, Criton,
Antisthènes, Speusippe, Aristote, Théophraste et beaucoup d'autres,
écrivirent des traités sur la politique. On chercha, on examina les grands
problèmes de l'organisation de l'État, de l'autorité et de l'obéissance, des
obligations et des droits, se posèrent à tous les esprits. Sans doute la pensée ne peut pas se dégager aisément des
liens que lui a faits l'habitude. Platon subit encore, en certains points,
l'empire des vieilles idées. L'État qu'il imagine, c'est encore la cité antique
; il est étroit ; il ne doit contenir que 5.000 membres. Le gouvernement y
est encore réglé par les anciens principes ; la liberté y est inconnue; le
but que le législateur se propose est moins le perfectionnement de l'homme
que la sûreté et la grandeur de l'association. La famille même est presque
étouffée, pour qu'elle ne fasse pas concurrence à la cité ; l'État seul est
propriétaire; seul il est libre ; seul il a une volonté ; seul il a une
religion et des croyances, et quiconque ne pense pas comme lui doit périr.
Pourtant au milieu de tout cela, les idées nouvelles se font jour. Platon
proclame, comme Socrate et comme les Sophistes, que la règle de la morale et
de la politique est en nous-mêmes, que la tradition n'est rien, que c'est la
raison qu'il faut consulter, et que les lois ne sont justes qu'autant
qu'elles sont conformes à la nature humaine. Ces idées sont encore plus précises chez Aristote. La loi, dit-il, c'est la
raison. Il enseigne qu'il faut chercher, non pas ce qui est conforme à
la coutume des pères, mais ce qui est bon en soi. Il ajoute qu'à mesure que
le temps marche, il faut modifier les institutions. Il met de côté le respect
des ancêtres : Nos premiers pères, dit-il, qu'ils soient nés du sein de la terre ou qu'ils aient
survécu à quelque déluge, ressemblaient suivant toute apparence à ce qu'il y
a aujourd'hui de plus vulgaire et de plus ignorant parmi les hommes. Il y
aurait une évidente absurdité à s'en tenir à l'opinion de ces gens-là.
Aristote, comme tous les philosophes, méconnaissait absolument l'origine
religieuse de la société humaine ; il ne parle pas des prytanées ; il ignore
que ces cultes locaux aient été le fondement de l'État. L'État, dit-il, n'est pas
autre chose qu'une association d'êtres égaux recherchant en commun une
existence heureuse et facile. Ainsi la philosophie rejette les vieux
principes des sociétés, et cherche un fondement nouveau sur lequel elle
puisse appuyer les lois sociales et l'idée de patrie[1]. L'école cynique va plus loin. Elle nie la patrie
elle-même. Diogène se vantait de n'avoir droit de cité nulle part, et Cratès
disait que sa patrie à lui c'était le mépris de l'opinion des autres. Les
cyniques ajoutaient cette vérité alors bien nouvelle, que l'homme est citoyen
de l'univers et que la patrie n'est pas l'étroite enceinte d'une ville. Ils
considéraient le patriotisme municipal comme un préjugé, et supprimaient du
nombre des sentiments l'amour de la cité. Par dégoût ou par dédain, les philosophes s'éloignaient de
plus en plus des affaires publiques. Socrate avait encore rempli les devoirs
du citoyen ; Platon avait essayé de travailler pour l'État en le réformant.
Aristote, déjà plus indifférent, se borna au rôle d'observateur et fit de
l'État un objet d'étude scientifique. Les épicuriens laissèrent de côté les
affaires publiques ; n'y mettez pas la main, disait
Épicure, à moins que quelque puissance supérieure ne vous y contraigne.
Les cyniques ne voulaient même pas être citoyens. Les stoïciens revinrent à la politique. Zénon, Cléanthe, Chrysippe
écrivirent de nombreux traités sur le gouvernement des États. Mais leurs
principes étaient fort éloignés de la vieille politique municipale. Voici en
quels termes un ancien nous renseigne sur les doctrines que contenaient leurs
écrits. Zénon, dans son traité sur le gouvernement,
s'est proposé de nous montrer que nous ne sommes pas les habitants de tel
dème ou de telle ville, séparés les uns des autres par un droit particulier
et des lois exclusives, mais que nous devons voir dans tous les hommes des
concitoyens, comme si nous appartenions tous au même dème et à la même cité[2]. On voit par là
quel chemin les idées avaient parcouru de Socrate à Zénon. Socrate se croyait
encore tenu d'adorer, autant qu'il pouvait, les dieux de l'État. Platon ne concevait
pas encore d'autre gouvernement que celui d'une cité. Zénon passe par-dessus
ces étroites limites de l'association humaine. Il dédaigne les divisions que
la religion des vieux âges a établies. Comme il conçoit le Dieu de l'univers,
il a aussi l'idée d'un État où entrerait le genre humain tout entier[3]. Mais voici un principe encore plus nouveau. Le stoïcisme,
en élargissant l'association humaine, émancipe l'individu. Comme il repousse
la religion de la cité, il repousse aussi la servitude du citoyen. Il ne veut
plus que la personne humaine soit sacrifiée à l'État. Il distingue et sépare
nettement ce qui doit rester libre dans l'homme, et il affranchit au moins la
conscience. Il dit à l'homme qu'il doit se renfermer en lui-même, trouver en
lui le devoir, la vertu, la récompense. Il ne lui défend pas de s'occuper des
affaires publiques ; il l'y invite même, mais en l'avertissant que son
principal travail doit avoir pour objet son amélioration individuelle, et
que, quel que soit le gouvernement, sa conscience doit rester indépendante.
Grand principe, que la cité antique avait toujours méconnu, mais qui devait
un jour devenir l'une des règles les plus saintes de la politique. On commence alors à comprendre qu'il y a d'autres devoirs
que les devoirs envers l'État, d'autres vertus que les vertus civiques. L'âme
s'attache à d'autres objets qu'à la patrie. La cité ancienne avait été si
puissante et si tyrannique, que l'homme en avait fait le but de tout son
travail et de toutes ses vertus ; elle avait été la règle du beau et du bien,
et il n'y avait eu d'héroïsme que pour elle. Mais voici que Zénon enseigne à
l'homme qu'il a une dignité, non de citoyen, mais d'homme ; qu'outre ses
devoirs envers la loi, il en a envers lui-même, et que le suprême mérite n'est
pas de vivre au de mourir pour l'Etat, mais d'être vertueux et de plaire à la
divinité. Vertus un peu égoïstes et qui laissèrent tomber l'indépendance
nationale et la liberté, mais par lesquelles l'individu grandit. Les vertus
publiques allèrent dépérissant, mais les vertus personnelles se dégagèrent et
apparurent dans le monde. Elles eurent d'abord à lutter, soit contre la
corruption générale, soit contre le despotisme. Mais elles s'enracinèrent peu
à peu dans l'humanité ; à la longue elles devinrent une puissance avec
laquelle tout gouvernement dut compter, et il fallut bien que les règles de
la politique fussent modifiées pour qu'une place libre leur fût faite. Ainsi se transformèrent peu à peu les croyances ; la religion municipale, fondement de la cité, s'éteignit ; le régime municipal, tel que les anciens l'avaient conçu, dut tomber avec elle. On se détachait insensiblement de ces règles rigoureuses et de ces formes étroites du gouvernement. Des idées plus hautes sollicitaient les hommes à former des sociétés plus grandes. On était entraîné vers l'unité ; ce fut l'aspiration générale des deux siècles qui précédèrent notre ère. Il est vrai que les fruits que portent ces révolutions de l'intelligence, sont très lents à mûrir. Mais nous allons voir, en étudiant la conquête romaine, que les événements marchaient dans le même sens que les idées, qu'ils tendaient comme elles à la ruine du vieux régime municipal, et qu'ils préparaient de nouveaux modes de gouvernement. |
[1] Aristote, Politique, II, 5, 12 ; IV, 5 ; IV, 7, 2 ; VII, 4 (VI, 4).
[2] Pseudo-Plutarque, fortune d'Alexandre, 1.
[3] L'idée de la cité universelle est exprimée par Sénèque, ad Marc., 4 ; De tranquill., 14 ; par Plutarque, De l'exil ; par Marc-Aurèle : Comme Antonin, j'ai Rome pour patrie : comme homme, le monde.