LE CARACTÈRE DE LOUIS XV

 

— XIII —

 

 

L'abbé Georgel a dit de Louis XV qu'un penchant habituel le portait à la vertu[1],  et d'Argenson prétend que le fond du tempérament du roi le portait à la dévotion[2]. On pourrait dire qu'il y eut contre lui comme une conspiration perpétuelle. Conspiration contre son caractère : Villeroy lui fit perdre certaines qualités et contracter plus d'un défaut ; Fleury le condamna à une longue enfance et l'empêcha de devenir un homme, à plus forte raison un roi ; ses maîtresses le flattèrent, l'étourdirent, et développèrent ses mauvais penchants. Conspiration contre ses mœurs[3] : familiers, courtisans, précepteur[4], femme[5], maîtresses, et jusqu'aux médecins, — s'il faut en croire un bruit que nous avons recueilli, — tous semblent s'être donné le mot pour faire de lui ce qu'il a été. Conspiration contre ses croyances : que n'a-t-on pas fait pour détruire la religion dans son cœur, et pour le rendre un esprit fort ?[6] Mais ici on échoua. Le vide d'une existence désœuvrée avait bien pu, au début, plonger le roi dans l'abus des plaisirs ; son caractère d'indécision[7] avait pu le rendre l'esclave de ses sens : jamais les principes religieux ne disparurent chez Louis XV. Dans un temps où des rois catholiques persécutaient la religion, où des rois protestants faisaient profession publique d'athéisme, il faut rendre au roi très chrétien cette justice qu'il resta le fils dévoué de l'Eglise. Clément XIV, dans son allocution prononcée dans le consistoire du 6 juin 1774, a célébré l'ardeur admirable que montrait ce prince pour la défense de la religion catholique, son zèle pour l'Eglise et la défense du Saint-Siège[8].

Comme roi, Louis XV a eu des torts non moins graves que comme chrétien : si le chrétien connaissait ses devoirs et ne les pratiquait pas, le roi voyait le mal, voulait parfois appliquer le remède ; mais, soit ignorance du secret de ses propres forces, soit insouciance[9], il ne faisait rien pour corriger les abus. Un rare bon sens, un jugement très sûr[10], une grande perspicacité[11], une justesse de coup d'œil célébrée par tous ses ministres[12], ne l'empêchèrent pas de commettre de grandes fautes et de laisser l'État courir à sa perte. Mais ici il faut dire, selon l'expression de M. de Maistre, que Dieu n'a donné qu'une tête aux souverains, et que s'il en faudrait trente, toutes infaillibles, pour se tirer sans erreur de l'immensité des affaires et des difficultés[13], Louis XV a droit à quelque indulgence. Il est des temps où les situations sont plus fortes que les hommes. D'ailleurs, comme l'a dit avec raison M. Boutaric, on a plutôt flétri l'homme que le roi : on n'a fait attention qu'à son immoralité, au funeste exemple qu'il donna ; on n'a pas recherché si le gouvernant fut aussi coupable ou aussi négligent qu'il le parait au premier abord. Ce jugement a été porté à la fin du siècle dernier, alors que le souvenir récent de ses vices, la faiblesse de son successeur, la catastrophe qui fit tomber dans le sang la dynastie des Bourbons, étaient autant de causes qui empêchaient d'apporter dans l'appréciation de ce règne une impartialité suffisante[14]. Aujourd'hui, à la lumière des documents nouveaux, après une étude plus calme et plus approfondie, on peut, non réhabiliter un roi justement condamné, mais mieux pénétrer un caractère en partie mal connu[15]. Comme l'ont dit deux écrivains qui ont récemment apprécié le caractère de Louis XV, la sentence définitive restera sévère, mais les motifs du jugement seront plus nettement exprimés, et quelques restrictions en adouciront la rigueur[16] ; en un mot, l'on peut invoquer pour Louis XV le bénéfice des circonstances atténuantes[17].

Louis XV n'a point été, du commencement de son long règne à la fin, un roi fainéant[18]. Son vrai tort fut, en sachant tout voir, de n'avoir su rien empêcher[19]. Rien de plus faux que de penser qu'il voulut systématiquement s'endormir dans l'illusion et s'étourdir dans le plaisir[20]. C'était à lui-même, encore plus qu'aux événements[21], qu'il voulait s'arracher; c'était à l'ennui mortel qui ne cessa de le ronger. Homme d'habitude, comme tous les Bourbons[22], il était resté ce que l'avait fait cette longue inaction à laquelle Fleury l'avait condamné, et l'on a pu dire avec justesse que chez lui l'habitude était véritablement une seconde nature[23]. Né avec d'heureuses dispositions, pouvant faire le bonheur de son peuple, il resta l'homme du plaisir et ne devint jamais l'homme du devoir. L'œil et l'oreille sans cesse ouverts, remarquant tout avec perspicacité, écoulant tout avec une patience aimable[24], il envisageait le mal et entendait la vérité[25], sans sortir de son apparente indifférence et de son habituelle inertie. Comme le marquis d'Argenson l'a bien jugé dans ces lignes, qui peuvent s'appliquer à l'homme tout entier, indépendamment des diverses phases de sa vie, parce qu'elles peignent le fond même du caractère !

Oh ! que ce terme de faiblesses exprime bien les passions de certains hommes doués de bonté et de facilité ; ils ne pèchent qu'en manquant de force pour résister; ils voient, ils approuvent le mieux et suivent ce qu'il y a de plus mauvais ; leur virilité n'est qu'une enfance prolongée ; ils prennent souvent l'ombre du plaisir pour le plaisir même ; jeunesse, enfantillage, amour-propre sans orgueil, leurs actes de fermeté ne sont qu'entêtement et mutinerie ; ils pensent sans réfléchir : ils tirent des conséquences sans les appliquer ni agir, opinion sans volonté ni désirs : le calme trompeur leur fait oublier tous dangers connus.

Avec ce triste caractère, un prince croit gouverner quand il ne gouverne seulement pas ; tout le trompe, et il est le premier de ses séducteurs ; il a des favoris sans prédilection pour eux, et des ministres absolus sans confiance…

Voulez-vous des détails de caractère ? L'on y trouvera tout celui des Français, si connu des étrangers : contrastes partout, effets d'une imagination trop légère et trop maîtresse du jugement ; des talents perdus, un bon goût qu'on ne peut fixer ; de l'exactitude dans les petites choses, l'inconstance et le manque de plans dans les grands objets ; grand géographe, sans application politique ni militaire ; le talent de dessiner et le goût dans l'architecture pour les petites commodités, sans rien accorder au grand ; l'esprit de jeu avec l'imprudence dans les affaires ; diseur de bons mots et de bêtises ; de la mémoire sans souvenir ; patience et colère ; promptitude et bonté ; habitude et inconstance ; mystère et indiscrétion ; avidité des plaisirs nouveaux ; dégoût et ennui ; sensibilité du moment, apathie générale et absolue qui lui succède ; désespoir de la perte d'une maîtresse, infidélité qui l'outrage ; des favoris sans amitié ; de l'estime sans confiance ; bon maître sans humanité ![26]

Un autre témoin oculaire, Leroy, lieutenant des chasses du parc de Versailles, nous a laissé un portrait dans lequel, avec une rare finesse d'observation et une grande justesse de coup d'œil, il nous montre Louis XV dans la dernière période de sa vie[27].

Il est vraisemblable que la postérité, qui ne recueille que l'ensemble des faits principaux, ne sera jamais bien instruite sur les qualités personnelles de ce prince. Né avec la plus heureuse mémoire, un discernement juste et prompt, un grand fond de bonté, il ne lai a manqué, pour être un grand Roi, que plus d'activité et de con¬fiance en lui-même. Il est vraisemblable que, s'il eût été placé de bonne heure dans des circonstances qui l'eussent forcé d'exercer les facultés dont il était doué, elles auraient acquis une énergie qui en aurait fait un autre homme ; il sentait, et il l'a dit, qu'étant né sur le trône, il lui était impossible d'être frappé des objets comme l'étaient les autres hommes, parce qu'il les avait toujours regardés d'un autre point de vue... Le dégoût naturel qu'ont les hommes pour l'action de l'esprit, s'augmente par la facilité des jouissances ; bientôt il devient, par l'habitude, une impuissance totale de s'appliquer, malgré l'ennui qui en est le résultat et la peine c'est ce que Louis XV ne tarda pas à éprouver. De là, le besoin qu'il eut de se livrer aux distractions, de changer continuellement de lieu, et de remplacer par le mouvement, l'application qui l'eut servi beaucoup mieux, mais dont l'effort lui était devenu impossible. On ne saurait croire combien cette force d'inertie avait acquis d'empire avec le temps, ni combien elle influa sur les événements de son règne… Né avec un goût vif pour les femmes, des principes de religion et plus encore beaucoup de timidité naturelle, l'avaient tenu attaché à la Reine, dont il avait eu déjà huit ou dix enfants. Le cardinal de Fleury craignit trop peut-être que l'ennui ne lui fit chercher des distractions ailleurs. Il redoutait le moment où il pourrait échapper à sa dépendance, s'il rencontrait quelque maîtresse qui eût du caractère et le désir de se mêler des affaires. On prétend qu'il fit choix lui-même de la comtesse de Mailly, qu'il jugea propre à remplir ses vues… Tout le monde sait quel empire le goût pour les femmes exerça sur Louis XV, combien la variété lui devint nécessaire, et combien peu la délicatesse et toutes les jouissances des âmes sensibles entrèrent dans ses amusements multipliés.

Ce prince avait naturellement quelque goût pour les sciences positives: l'astronomie, l'anatomie, la chimie[28], ne lui étaient pas étrangères. Sans chercher les savants, il aimait à les rencontrer, et en savait assez pour les questionner avec intelligence sur les différents objets de leurs travaux. Il était fort instruit sur la géographie et n'était pas sans connaissances sur l'histoire moderne. La poésie, la peinture, la musique, tous les arts d'imagination n'avaient aucun attrait pour lui...

Sa familiarité était toujours obligeante, et il avait une intention générale de plaire aux personnes avec lesquelles il vivait, ce qui, chez un prince, suppose toujours un grand fond de bonté. Ce qui le prouve encore mieux, c'est qu'il avait su réprimer les saillies de l'humeur qui, malgré son apathie, lui auraient quelquefois échappé. S'il était indifférent sur les grands objets qu'il s'était accoutumé à regarder comme éloignés de lui, les petites contradictions l'auraient facilement irrité, comme elles irritent les enfants ; mais il évitait avec soin les occasions d'être mécontent, pour être sûr de ne le pas paraître ; aussi son service intime était-il très facile et très agréableCet homme toujours subjugué était toujours tourmenté par la crainte de l'être ; cette disposition influa constamment sur la conduite qu'il eut avec ses ministres. Son indolence le portait à céder facilement à tout ce qu'ils lui proposaient, sans prendre la peine de l'examiner, encore moins de le contredire ; son jugement sain et l'expérience qu'il avait des affaires lui faisaient souvent désapprouver en secret leur conduite et leurs mesures ; rarement il se permettait des représentations, il n'y insistait jamaisUne chose inquiétait beaucoup ses ministres, c'est la connaissance qu'ils avaient de la défiance et de la profonde dissimulation de ce prince : on ne sait si elles lui étaient naturelles, ou si elles lui avaient été de bonne heure inspirées par le cardinal ; mais il en était venu à regarder la dissimulation comme une qualité qui lui était absolument nécessaire, et c'est à dissimuler que se bornait pour lui l'art de gouvernerCette défiance, malheureusement justifiée par un grand nombre de faits, avait donné, dans les derniers temps, de l'immoralité à son caractère, et mis le comble à son apathie ; elle avait fait des progrès rapides depuis qu'on avait attenté à sa vie. Comme jusqu'alors ses intentions avaient été droites, il désespéra de pouvoir jamais faire le bien, parce qu'on est toujours plus disposé à regarder comme impossible en soi ce qu'on n'a pas le courage de faire, que de s'avouer à soi-même son impuissance personnelle. C'est à ce point qu'était parvenu par degrés, un prince qui, s'il fût né particulier, aurait été jugé, par son intelligence et son caractère, au dessus du commun, et ce qu'on appelle proprement un galant homme. Si, étant né prince, il eut reçu une bonne éducation, s'il se fut trouvé surtout dans des circonstances qui l'eussent obligé à employer avec un peu d'énergie les facultés que la nature lui avait données, il est vraisemblable que peu de princes eussent mieux mérité du genre humain, par la bonté qui aurait sûrement dirigé ses actions si ses actions avaient été à lui[29].

Nous croyons être en droit de le dire en terminant : Louis XV a été trop sévèrement jugé. Ceux qui nous le dépeignent comme le plus nul, le plus vil, le plus lâche des cœurs de roi[30] le connaissent mal, ou le jugent d'une façon trop exclusive. On doit se garder de ne considérer ce prince qu'à une seule époque de sa vie et de n'envisager qu'un des côtés de son caractère. Il y a plusieurs hommes en Louis XV, et chez lui tout est contrastes et contradictions. S'il a eu ses heures d'inaction et d'insouciance, il a eu ses moments d'activité et de labeur. Avec des années de honte, il a en quelques jours de gloire. S'il n'a pas toujours obtenu d'heureux résultats dans sa politique intérieure et extérieure, il a souvent cherché consciencieusement à bien faire, et s'est plus qu'on ne l'a cru appliqué à ses devoirs. Avec une froideur et une indifférence apparentes, il fut bon pour les inférieurs[31], aimable pour ses familiers[32], sensible aux services rendus [33], et touché des malheurs publics[34]. Ce roi qui laissait faire et se résignait à un mal qu'il croyait ne pouvoir empêcher, eut ses jours de fermeté[35] ; avec moins de pouvoir au milieu de sa cour qu'un avocat au Châtelet[36], comme l'écrivait le chevalier d'Éon, il ne craignît pas d'attester, dans un langage qui ne faisait que mieux ressortir la faiblesse de son autorité, la souveraineté absolue de sa couronne[37]. Mais il fallait, pour l'arracher ainsi à lui-même, que l'on s'attaquât à son trône, et les parlements furent presque seuls à ressentir les effets de sa violence. L'indécision et la défiance étaient les traits habituels de son caractère[38]. Ce qu'il y a de sûr, écrivait-il un jour au maréchal de Noailles, c'est que je suis très patient, peut-être trop, et que j'aime à voir clair dans les choses : après quoi je sais prendre mon parti. Si Louis XV, comme l'a remarqué avec justesse M. Rousset, voulait dire qu'il savait prendre un parti, se décider, il se flattait ; il ne savait que prendre son parti des événements. Cette insouciance, ce laisser-aller qui mettaient dans une perpétuelle contradiction les desseins et les actes, eut sa source dans le vice de la première éducation, et dans ces habitudes d'effacement et d'oisiveté contractées pendant le long ministère du cardinal de Fleury. Il y avait certes en Louis XV tout ce qu'il fallait pour faire un honnête homme et un bon roi[39] : il possédait de la justesse et même de la finesse dans l'esprit, un jugement droit et sain, l'intelligence politique ; il avait un grand fond de bonté, de l'indulgence et de la cordialité, une vraie sensibilité, un sincère amour du bien ; il était clairvoyant par nature, équitable par tempérament, bienveillant par caractère[40]. Mais toutes ces bonnes qualités furent paralysées, et le plus souvent demeurèrent stériles.

En constatant que Louis XV était heureusement doué et en rendant justice sur certains points à ce caractère trop décrié, on doit d'autant plus regretter que ces dons aient été inutiles à l'État et témoigner plus de sévérité pour le prince qui ne sut pas s'élever à la hauteur de sa mission. Mais ne l'oublions pas d'autres partagent avec lui la responsabilité, et tout le poids du blâme ne doit pas retomber sur lui. Rendons donc à chacun ce qui lui appartient ; n'oublions pas comment Louis XV fut élevé et quel fut son entourage pendant toute sa vie. Faisons en lui la part du bien et du mal, et, sans prétendre l'absoudre, ne le condamnons pas sans appel.

 

 

 



[1] Mémoires de l'abbé Georgel, t. I, p. 39.

[2] D'Argenson, t. III, p. 362.

[3] Ce ne fut pas sans peine, a dit Leroy, lieutenant des chasses du parc de Versailles, dont nous citons plus loin le portrait de Louis XV, qu'on parvint à établir une familiarité complète entre un prince excessivement timide, et une femme (Mme de Mailly), à laquelle sa naissance du moins imposait quelques bienséances, quoique sa pétulance exercée tendît à les lui épargner. Portrait hist. de Louis XV, p. 8-9.

[4] Nous avons mentionné l'accusation portée par plusieurs contemporains contre Fleury. Si le cardinal ne choisit pas Mme de Mailly, il est au moins probable qu'il laissa faire sans opposition.

[5] Voir la très curieuse page de d'Argenson sur les habitudes de la reine, et sa conduite dans l'intimité à l'égard de son époux (t. III, p, 192-194).

[6] Quelques petits favoris travaillent à faire perdre la religion au Roi, et à le rendre ce qu'on appelle un esprit fort, écrit d'Argenson en 1740 (t. III, p. 161).

[7] Expressions de l'abbé Georgel, t. I, p. 39.

[8] Hist. du pontificat de Clément XIV, par le père Theiner, t. II, p. 449.

[9] L'abbé Georgel, t. I, p. 171.

[10] C'est ce que reconnaît le nonce du pape, dans une dépêche secrète du 17 décembre 1770. Hist. du pontificat de Clément XIV, par le P. Theiner, t. I, p. 559. Cf. le duc de Luynes, t. X, p. 51 ; d'Argenson, t, IX, p. 99 ; Soulavie, Mém. du maréchal duc de Richelieu, t. VIII, p. 289 ; le président Hénault, p 213, 288.

[11] On a dit et répété que Louis XV ne savait pas dire une parole, et M. Dussieux, l'un des éditeurs des Mémoires du duc de Luynes, s'est fait l'écho de cette assertion (Biogr. Michaud, note dans la deuxième édition, article Louis XV). Les Mémoires qu'il allègue sont loin, nous l'avons montré, de prouver la vérité de cette assertion, démentie par de nombreux témoignages. On nous permettra de citer ici un passage de Soulavie, qu'on ne saurait accuser de partialité pour Louis XV. Louis XV, à la vérité, dit-il, a été quelquefois muet ou dans l'embarras, et nous en avons donné des exemples ; encore l'histoire de sa vie publique à l'armée est-elle pleine de reparties de bonté et de dignité pour les officiers et pour les soldats, et nous savons tous que ce prince était aimable et délicat, dans les comités particuliers, avec quelques seigneurs qui avaient des lumières et des grâces ; nous savons qu'il était familier et intéressant avec les personnes attachées à son service qui, ayant presque toutes fait des études et reçu de l'éducation, en avaient mieux profité que ses courtisans; nous savons que si le roi n'aimait pas en général les littérateurs et les philosophes, le P. Griffet et le président Hénault, etc., avaient, comme hommes de lettres, de fréquentes conférences avec ce prince ; et que ses premiers médecins et chirurgiens, qui la plupart eurent un esprit distingué et tous beaucoup de connaissances, avaient de fréquentes conférences avec lui. Tous s'accordent à reconnaître dans ce prince un esprit juste, de la prudence, du jugement et des lumières. Mém. du maréchal duc de Richelieu, t. VIII, p. 16, note. — Le duc de Luynes dit en 1745, à propos de la réception de Charles-Edouard : Le roi, toujours embarrassé avec gens qu'il ne connaît pas, fut quelque temps sans répondre ; cependant il prît la parole, et parla en très bons termes et très dignement sur la justice de la cause du prince Edouard. (t. VII, p. 106).

[12] Il n'est pas sans intérêt de faire voir Louis XV signalant dès 1769 des événements qui ne devaient s'accomplir que longtemps après lui : Prenons garde, écrivait-il le 16 mai au comte de Broglie, qu'en voulant faire trop fleurir nos îles, nous ne leur donnions les moyens un jour, et peut-être promptement, de se soustraire à la France ; car cela arrivera sûrement un jour de toute cette partie du monde. Correspondance secrète, t. I, p. 107.

[13] Correspondance diplomatique de Joseph de Maistre, publiée par Albert Blanc (1861), t. II, p. 171.

[14] Étude sur Louis XV, en tête de la Correspondance secrète, t. I, p 1-2.

[15] M. Ch. Aubertin. L'histoire de Louis XV selon M. Michelet. — Revue des Deux-Mondes, du 1er octobre 1866.

[16] M. Ch. Aubertin, l. c.

[17] M. Boutaric, t. I, p. 3.

[18] M. Camille Bousset, dans l'introduction de la Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, t. I, p. 3.

[19] Il convenait lui-même de l'impossibilité de faire cesser les voleries. (Mém. de Besenval, t. II, p. 207). Luynes a dit qu'il remarquait les abus, mais ne disait rien pour les empêcher (t. VI, p. 487).

[20] Quelques apparences trompeuses et quelquefois trop vraisemblables, a dit la comte de Broglie, ont pu laisser croire au public que le feu roi restait constamment plongé dans l'illusion, qu'il la chérissait, qu'il n'en voulait point sortir… Correspondance secrète, t. II, p. 473. — Ce serait se tromper, a dit M. Boutaric, que de le représenter comme un voluptueux insouciant, méconnaissant les services qu'on lui rendait; on trouve dans ses lettres des preuves nombreuses de sa bonté et même de sa patience ; mais il avait trop d'esprit pour être dupe de son cœur, ce qui n'aurait pas manqué d'arriver s'il s'était montré confiant, dans le milieu corrompu oh il vivait. Livré à lui-même, il était bienveillant et reconnaissant. Etude sur Louis XV, en tête de la Correspondance secrète, t. I, p. 69. — Ajoutons que toute sa vie Louis XV voulut tout savoir et se faire rendre compte de tout. Dans ses dernières années, il alla jusqu'à pensionner la femme du directeur des postes pour être tenu au courant de ce qui s'écrivait sur lui, sur la cour, sur ses ministres et sa maîtresse. Correspondance inédite du comte de Creutz, ambassadeur suédois à Paris citée par M Geffroy, Gustave III et la cour de France, t. I, p. 209-10.

[21] D'Argenson nous montre en ces termes le Roi en présence des événements ou des affaires : Les premières nuits qui suivent un événement contraire à ses vues, il ne dort pas, il s'agite ; puis il n'y songe pas quelques heures après. Ainsi est-il les jours qu'il a quelque réponse à faire au Parlement. Quand elle est rendue, il va à ses campagnes faire planter des bosquets (t. IX, p. 375).

[22] D'Argenson, t. II, p. 289.

[23] Mém. du prince de Montbarey, t. I, p. 363.

[24] D'Argenson, t. IV, p. 265.

[25] Le roi aime les gens vrais, mais souffre les gens faux, a dit d'Argenson (t. IV, p. 80).

[26] Mémoires sur mon ministère, par le marquis d'Argenson, écrits vers 1747 (t. IV, p. 166-168).

[27] Le lieutenant des chasses fait précéder ce portrait moral d'un portrait physique qui vaut la peine d'être reproduit : La figure de Louis XV, dit-il, était véritablement belle ; il avait les cheveux noirs et bien plantés ; le front majestueux et serein, ses yeux étaient grands, son nez bien formé, sa bouche était petite et agréable ; il n'avait pas les dents belles, mais elles n'étaient pas assez mal pour défigurer son sourire, qui était charmant. Un air de grandeur très remarquable était empreint sur sa physionomie, qui était encore rehaussée par la manière dont il s'était fait l'habitude de porter sa tête. Cette manière était noble sans être exagérée, et quoique ce prince fût naturellement timide, il avait assez travaillé sur son extérieur pour que sa contenance ordinaire fût ferme sans la moindre apparence de morgue ; en public, son regard était assuré, peut-être un peu sévère, mais sans autre expression ; en particulier, et surtout lorsqu'il adressait la parole à quelqu'un qu'il voulait bien traiter, ses yeux prenaient un singulier caractère de bienveillance, et il avait l'air de solliciter l'affection de ceux auxquels il parlait. La taille de ce prince, quoiqu'un peu au-dessus de la médiocre, était sans noblesse ; ses épaules étaient rondes et un peu ravalées, ses hanches renflées et ses jambes trop grêles : une partie de ses défauts était peut-être due à l'excès avec lequel il se livrait à l'exercice du cheval (p. 1-3).

[28] En 1752, le roi s'était mis à cultiver la botanique. Voir d'Argenson, t. VII, p. 118.

[29] Portraits historiques de Louis XV et de Mme de Pompadour, faisant partie des œuvres posthumes de Charles-Georges Leroy, pour servir à l'histoire du siècle de Louis XV, Paris, Valade, 1802, in-8° de 31 pages, (p. 3 à 18). — Comparer avec le portrait tracé par du Gas de Bois Saint-Just, dans Paris, Versailles et les Provinces, t, I, p. 394-95.

[30] M. Sainte-Beuve, dans ses Portraits littéraires, t. III, p. 513.

[31] On dit que le roi a fait cette partie, écrit quelque part Barbier, pour donner la liberté à ses officiers de quartier d'aller, les jours gras, où ils voudraient. C'est bien dans son caractère. (T. VI, p. 271)

[32] Nous en avons déjà donné plus d'une preuve. Voir en particulier la Vie privée de Louis XV, t. IV, p. 138 et 227, où se trouve citée cette lettre au duc de la Vrillière, qui avait eu une main emportée à la chasse : Tu n'as perdu qu'une main, et tu en trouveras toujours deux en moi à ton service. — Du Gas de Bois Saint-Just rapporte un mot remarquable de Louis XV, sur un trait d'héroïsme de M. de La Ferronnays (Paris, Versailles et les provinces) ; mais il le fait inexactement M. de La Ferronnays était alors évêque à Saint-Brieuc et non évêque de Bayonne, siège qu'il n'occupa qu'après la mort de Louis XV, et le mot doit être rectifié ainsi : Je reconnais bien là les La Ferronnays ; celui-ci se jette à l'eau comme ses frères courent au feu. (Notice sur Jules-Basile Ferron de La Ferronnays, évêque et comte de Lisieux. Lisieux, 1829, p. 7-9)

[33] Voir la lettre que le Roi écrivit au maréchal de Noailles en accordant la survivance de la charge de capitaine des gardes à son petit-fils le comte d'Ayen (Rousset, t. II, p. 417) ; la lettre au comte de Broglie sur Tercier (Boutaric, t. I, p. 352), etc. Tout ceci confirme ce qu'a dit Luynes : Il sent ce que l'on fait pour lui, mais ne peut l'exprimer que par écrit (t. VI, p. 115-116).

[34] C'est ce dont convient Lacretelle, t. IV, p. 243.

[35] Il ose et il craint légèrement et témérairement, a dit d'Argenson, puis il s'ennuie et il craint ; jamais il n'y a eu d'homme moins courageux d'esprit que ce prince. (T. VIII, p. 469).

[36] Mémoires sur la chevalière d'Éon, par M. Gallardet, p. 197.

[37] Je connais tous les droits de l'autorité que je tiens de Dieu, avait répondu Louis XV au Parlement en 1755. Il n'appartient à aucun de mes sujets d'en limiter ou décider l'étendue. (Barbier, t. VI, p. 158.) — Il faut qu'il n'y ait plus de roi, disait-il en 1757, s'il subsiste encore un Parlement comme il était avant le lit de justice que j'ai tenu le 13 décembre. (D'Argenson, t. IX, p. 377) — Dans le discours qu'il prononça lors du lit de justice du 3 mars 1766, le Roi, après avoir fait ressortir les empiétements des Parlements, continuait en ces termes : Entreprendre d'ériger en principes des nouveautés si pernicieuses, c'est faire à la magistrature démentir son institution, trahir ses intérêts, et méconnaître les véritables lois fondamentales de l'État. Comme s'il était permis d'oublier que c'est en ma personne seule que réside la puissance souveraine, dont le caractère propre est l'esprit de conseil, de justice et de raison ; que c'est de moi seul que vos cours tiennent leur existence et leur autorité ; que la plénitude de cette autorité, qu'elles n'exercent qu'en mon nom, demeure toujours en moi ; que c'est à moi seul qu'appartient le pouvoir législatif, sans dépendance et sans partage… ; que l'ordre public tout entier émane de moi ; que j'en suis le gardien suprême ; que mon peuple n'est qu'un avec moi, et que les droits et les intérêts de la nation, dont on ose faire un corps séparé du monarque, sont nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu'en mes mains. On connaît le langage du Roi dans son édit du 7 décembre 1770, et lors de la dissolution du Parlement en 1771.

[38] Plus on connaît le roi, a dit le duc de Luynes, plus on est affligé qu'il ne veuille pas, en pareil cas, écouter les raisons de part et d'autre, et déclarer ses volontés. Il rassemble des qualités aimables et rares dans un souverain ; il est facile à servir ; il estime la vertu et la probité ; il connaît ceux qui lui sont véritablement attachés et est touché de leurs sentiments et de leur zèle pour son service ; il leur marque même de la confiance. (T. XIII, p. 430).

[39] M. Boutaric, Étude sur Louis XV, en tête de la Correspondance secrète, t. I, p. 3.

[40] C'est ce que reconnaît M. Boutaric, dans son excellente et remarquable Étude, l. c., p. 3, 15 et passim.