Les Barbares (de 117 à 395 ap. J.-C.)

 

CHAPITRE XVII (suite)

 

 

Mœurs des Goths. - Vandales. - Histoire et mœurs des Ibériens. - Ligures. - Iones de Marseille. - La Germanie aux Alamans. - L’œuvre aryenne. - L’invasion. - Aristocratie chrétienne. - Rome et Constantinople. - Sarmates et Goths en Scythie. - La famille européenne divisée. - Influence de la Bible hébraïque. - Christianisme gouvernemental. - Pape et Empereur. - Jésus, Jéhovah et Odin. - Les Barbares, armée de l’Église. - Bois sacrés et cathédrales

 

CHEZ les Goths, au sud-est de l’Europe, une mythologie scandinave aboutissait à un olympe de classement hellénique, — Odin (Wotan), Tyr (Zio), Thor (Donar), Frigga (Freya), — hiérarchisé, modifié, cependant, par des influences diverses. Le clergé de cette religion était centralisé en Scandinavie, à Upsal. L’écriture sacrée — les runes — et la transmission de chants héroïques, témoignaient d’une civilisation à la fois aryenne et anaryenne. Ces Barbares avaient rapporté du Nord le féroce et répugnant symbolisme de la Coupe glorieuse, crâne d’un ennemi vaincu ; le châtiment terrible infligé aux femmes adultères, que l’on attachait à des chevaux fougueux, surexcités, libres ; la naturelle subordination des faibles aux puissants ; l’abaissement caractéristique des femmes, exclues du Walhalla.

Les Goths demeuraient aryens, au contraire, en la forme de leurs bijoux et la distribution de leurs ornements, avec une nuance toutefois de goût scandinave ; leur conception de divinités agissantes, providentielles, de héros vivants révérés comme des dieux ; la pratique d’une justice équitable ; une soif de connaître les choses, assez vive pour que cette velléité scientifique eût une supériorité marquée, chez eux, sur les manifestations de la force ; leur culte des ancêtres, que célébraient des chants antiques, où la poésie était de l’histoire, dont les joueurs de cithare accompagnaient les récits ; leur beauté blanche enfin, qui donna tant de prix aux esclaves de leur race.

Ce fut l’opinion de Trogue-Pompée, et celle de Jornandès aussi, que les Parthes avaient été de même sang que les Goths. Mais, ainsi que les légions romaines devenaient progressivement barbares par le continuel recrutement de Germains, d’Alamans, la nation gothique, scythique, de plus en plus grossie d’hommes arrivés du nord, de Scandinaves, de Finnois, perdait son originalité, tendait à résumer son type en celui des Vandales, pourtant spécial.

Abandonnant les côtes de la Baltique, entre la Vistule et l’Oder, en Lusace, au IIe siècle, entre l’Oder et l’Elbe, les Vandales, — Wendes, Vindili, Vandali, — vivant parmi des Hermundures et des Quades, descendirent plus bas encore, s’installèrent en Dacie Trajane, à l’est du Tibisque inférieur. Jornandès dira leurs cruautés effroyables, leur teint d’une horrible noirceur, la masse informe de leur chair, leur face percée de trous plutôt que d’yeux, leur usage de taillader à l’aide du fer les joues des enfants mâles, de telle sorte qu’avant de sucer le lait ils se soient accoutumés aux blessures ? Tels étaient ces Vandales, Finnois hideux, que l’on introduira dans la nationalité gothique de l’est de l’Europe, et dont on fera, un instant, le type déterminant du Goth.

A l’autre extrémité de l’Europe, au sud-ouest, l’Ibérie — Celtibérie, depuis l’invasion celte, — se formait en unité nationale, tout en conservant les stigmates indélébiles d’une histoire déjà vieille, et tourmentée. Phéniciens d’Asie, Phocéens de Marseille, Carthaginois d’Afrique et Romains y étaient venus, et y demeuraient, cantonnés en des villes ou disséminés sur des territoires vastes. Auguste avait divisé l’Hispanie en Tarraconaise, Lusitanie et Bétique ; il y eut ensuite, au IIIe siècle, la Gallicie et la Carthaginoise ; au IVe siècle, par adjonction, la Maurétanie Tingitane et les Baléares.

Malgré ces démarcations — purement administratives d’ailleurs, — l’Hispanie, ou Ibérie, garda, grâce à ses éléments disparates, les caractères contradictoires de civilisations diverses. On put donc, à la fois, et exactement, vanter l’esprit studieux de la docte Ibérie et la sauvagerie indomptable de certains de ses habitants, tel le Concanien d’Horace, par exemple, qui boit avec délices le sang du cheval. Près de Gibraltar, les colonies libyco-phéniciennes, mélange d’Africains et de Chananéens, reliaient encore le pays des Tartesses à cette Afrique que le détroit d’Hercule ne sépara pas toujours du continent. La Sicile, que les Sicanes avaient jadis peuplée, tenait à l’Ibérie par cette origine.

Les Pyrénées — et c’est le privilège des montagnes, — conservaient sur leurs deux versants le type pur des Eusques, ensuite nommés Ibères, — appellation que leur valut le voisinage de l’Èbre, accidentellement, — et assez répandus en Aquitaine pour en faire comme le prolongement de l’Ibérie en Gaule. L’Ibère se distinguait par la petitesse relative de sa taille, le brun mat de sa peau et de ses cheveux, la vigueur accentuée de sa musculature, la prédominance de la couleur noire dans le ton de ses vêtements courts. Il y avait entre les Galli, ou Galls, et les Ibères, ou Sicanes, assez d’affinités pour qu’on les crût positivement issus d’une même race première, aryenne, — la Seine (Sêquana) nommée par les Sicanes ? — et assez de différences pour qu’on recherchât le point de départ des Ibères tantôt en Afrique, tantôt en Amérique, où l’on pensa trouver le langage se rapprochant le mieux de la langue particulière et obscure des Eusques, des Basques ?

De l’autre côté des Pyrénées, le long dès côtes méditerranéennes, au moins jusqu’à Antibes ; et sans doute beaucoup plus loin, jusqu’en Étrurie, un peuple indéfinissable déconcertait : Les Ligures, écrit Florus, retranchés au fond des Alpes, entre le Var et la Macra, et cachés au milieu de buissons sauvages, étaient plus difficiles à dépister qu’à vaincre. Leurs retraites et la promptitude de leur fuite faisaient la sûreté de ces hommes, race infatigable et agile, adonnée plutôt an brigandage qu’à la guerre. Étaient-ce là ces habitants sauvages de la Gaule que Jules César rencontra sur les bords du Var, du Rhône et de l’Isère, et qui, à l’aide de grands hameçons de fer, péchaient les thons entre Marseille et Antibes ?

Les Ligures, — type mystérieux, déconcertant, — anaryens, pourraient être des Finnois venus des contrées baignées par la Baltique et la mer du Nord, en descendant le Rhin, puis le Rhône, ayant donc suivi — aux temps préhelléniques — la route d’eau, commerciale, par laquelle les Hyperboréens apportaient l’ambre aux Grecs et aux Orientaux ?

Les Ligures occupèrent surtout les côtes du nord de l’Italie et la Sicile ; ils ne furent en Gaule, au sud et dans l’intérieur, — le long des fleuves, — que des pirates. Au IIIe siècle avant J.-C. vivaient encore, dans les Basses-Alpes et la Drôme, de ces Ligures indépendants des Gaulois ; les Phocéens, pour fonder Marseille (600 av. J.-C.), les avaient écartés des rivages de la mer. Hécatée de Milet place Marseille (500 av. J.-C.) en Ligurie sans hésitation ; Scylax (350 av. J.-C.), et Timée après lui, confirment cette géographie traditionnelle. Le Rhône séparait les Ibères des Ligures. Rhodanos serait une appellation ligure, et peut-être aussi Sêquana ? Dans cette hypothèse, les Sicanes de Sicile n’auraient pas été des Ibériens, mais des Ligures.

La Gaule, alors, c’est-à-dire avant l’arrivée des Celtes, aurait été habitée (du XIIe au Xe siècle av. J.-C.), des Pyrénées aux Alpes, principalement sur les rives de la Méditerranée, par des Ibères et des Ligures : les Ibères y représentant les hommes du sud, les Ligures, les hommes du nord (Northmans futurs), les Hyperboréens. Les dolmens, les cromlechs et les vestiges d’habitations lacustres, qu’on retrouve, identiques, de l’extrême Europe occidentale jusques à la mer Caspienne, seraient, de l’est à l’ouest, les témoignages de la voie d’exode suivie par ces populations primitives ?

Les Celtes, venus ensuite, marchant également de l’est à l’ouest, auraient supplanté les Ibères et les Ligures en Gaule. Festus Aviénus établit, par un document, cette substitution des Celtes aux Ligures, réputés indomptables, et l’expansion des vainqueurs au delà des Pyrénées, fondant en Hispanie la Celtibérie historique. Au IIIe siècle, la Celtique gauloise est faite : les mœurs simples et libres de la vie celtique y ont définitivement prévalu sur le brigandage.

Des bois sacrés, celtiques, se rencontreront désormais en Irlande, en Gaule, en Germanie, en Galatie, et les dolmens demeureront, de l’Océan à l’Indus, au Gange, comme les monuments d’une civilisation anaryenne. En Gaule toutefois, et en Italie, les races subjuguées laisseront des groupes en quelques districts, épargnés. On remarqua longtemps, parmi les Gaulois, des centres d’Ibères et d’Iones.

Des Iones conservèrent assez d’autonomie à Marseille pour qu’au temps de Claude, Pomponius Mela pût encore les féliciter de n’avoir pas abandonné la langue, le costume, les manières, les meurs et les lois des Grecs, bien que les Marseillais eussent déjà subi l’influence de la Gaule celtique. On vantait leurs grammairiens commentant l’Iliade et l’Odyssée, la grâce de leur statuaire, la fine gravure de leur monnaie, que les Gaulois imiteront, d’une main hésitante. Leur temple de Diane, élevé sur un promontoire, était un temple de renommée et en grande religion.

En détruisant le Royaume celtique, au milieu de l’Europe, les Barbares germains avaient arrêté net le développement de la civilisation aryenne, dispersé son trésor de sentiments, d’idées et de souvenirs. Les Hyperboréens d’Orphée — arrivés du pays où gémit la mer pernicieuse, — les Finnois, grossis d’Asiatiques, avaient , comme jadis les Touraniens en Iran et les Spartiates en Grèce, troublé pour des siècles les destinées de la race blanche, pure, en la refoulant, vaincue, au delà du Rhin et du Danube. Au Ier siècle de Jésus-Christ l’œuvre néfaste était consommée : la Germanie appartenait aux Alamans, aux hommes de toutes races survenus, parmi lesquels les Finnois dominaient, en grand nombre ; quoique — l’histoire va le montrer, surtout chez les Goths — des Aryas y perpétuassent une aristocratie latente, dépositaire des supériorités intellectuelles et morales, capable de diriger encore vers l’ordre et l’harmonie, par instinct de race, ces hordes sauvages que commandaient, presque uniquement, d’insatiables appétits.

C’est dans ce recul de civilisation , dans ces mouvements désordonnés de peuples, réunis au hasard des convoitises et des besoins, dans cette expansion incohérente de barbarie inondant l’Europe, qu’il faut chercher et reconnaître l’œuvre aryenne s’accomplissant malgré tout, comme par l’effet d’une loi inéluctable, souveraine. L’ardeur juvénile, la confiante audace et l’aptitude au changement et au progrès, qui sont les ressorts inusables de la race aryenne européenne, l’emporteront finalement sur toute la sauvagerie égoïste du Nord, avec ses dieux cruels ou stupides, ses guerriers ivrognes et voleurs, ses hordes aveugles, à la suite, gloutonnes et dévergondées.

L’armée d’invasion entrera — c’est la tactique barbare maintenant — en faisant une trouée, au moyen de la phalange en carré, coin ou losange. L’unité romaine, isolée, — la légion, — ne résistera pas, et ce sera la chute irrémédiable de l’Empire romain.

Mais sur le territoire conquis, les colons barbares s’attacheront au sol qu’ils auront cultivé ; les bénéficiaires deviendront ces possesseurs de fiefs dont l’indépendance et l’autorité s’affirmèrent ; tandis que des municipalités — communes aryennes, complètes, — se gouverneront elles-mêmes dans cette grande confusion, prêtes à recevoir de l’Église, avec le lien social, là formule des hiérarchies nécessaires, du pacte d’union basé sur le monothéisme.

En effet, la défense d’un Dieu retrouvé, un et bon, après les incertitudes de tant d’olympes, de divinités multipliées, bizarres, odieuses, ou ridicules, devait passionner glorieusement ces hommes, qui s’imaginaient sans doute créer un monde nouveau, alors qu’en réalité ils ne faisaient que revenir à la simplicité des origines aryennes, où la plupart se reconnaissaient. En outre, .l’administration impériale, qu’ils méprisaient, mais dont ils seront contraints d’adopter, d’admirer la logique et formelle théorie, leur arriverait sous la forme respectable des institutions chrétiennes : l’Empereur, épée de Dieu ; l’évêque, intermédiaire entre l’Empereur et l’unique divinité, Providence.

L’Église, trop imitatrice de l’ordre romain, et s’emparant de sa succession, attroupait autour du siège de Pierre une aristocratie dirigeante, enrichie, opposée à l’esprit évangélique. Ce scandale n’éclatant pas aux yeux des foules converties, les sectateurs du Christ, fidèlement, concoururent à l’établissement du despotisme clérical romain. C’est merveille de voir comment, à la fois, les qualités et les défauts de l’Arya servirent, contrairement à son génie, à la formation, puis à la consolidation d’un catholicisme autoritaire, impérial, presque asiatique.

Cicéron avait découvert le fond arya des premiers Barbares, en relevant leurs superstitions semblables à celles des Grecs. Le culte des eaux jaillissantes et fraîches, pour lesquelles les Celtes avaient une dévotion toute particulière, les reliait directement aux Aryas du Pendjab ; leurs ornements et leurs bijoux préférés trahissaient leur origine hindoue, et le paupérisme, chez eux, l’eût rapidement emporté, — grâce à l’importance de chacun dans la masse agissante, et le partage des terres sans distinction, pratique brutalement égalitaire, — si, par leur conversion au Christianisme, les Barbares, vainqueurs, ne s’étaient soumis et dévoués au dogme de l’inégalité en cette vie, formulée et glorifiée par l’Église du Christ. L’avènement de l’Europe aryenne, que les Barbares devaient inaugurer, que les Alamans compromirent, en fut retardée de mille ans.

Et pendant que l’Église universelle recrutait partout des soldats, principalement chez les Barbares, pour défendre l’autorité ecclésiastique centralisée à Rome, le gouvernement impérial — dédaignant l’apparente force des Barbares, qui, pensait-on, ne pouvaient rien organiser de stable, — continuait le morcellement de l’Empire, entamé par Dioclétien, pour aboutir, sous Constantin, au transfert, de Rome à Constantinople, du trône impérial. La corruption romaine allait se compliquer de corruption asiatique.

Rome, du moins, était au milieu de l’Europe ; Constantinople choisie, c’était l’installation du pouvoir en dehors, au-dessus du courant civilisateur nouveau, du mouvement chrétien irrésistible, utilisé par l’Empereur. L’Asie immédiate échappait à l’Empire rapproché de l’Orient. L’Asie Mineure, en effet, peuplée de Phrygiens et de Galates crédules, aryens, devait se rallier aux antagonistes de l’Empire déchu, transporté. Les Arméniens — que l’on pourrait croire venus d’Europe en Asie, comme les Galates, — se joindront aux fidèles de l’Asie Mineure. Les Phryges, sous diverses dénominations, — suivant les hérésies dominantes, ou les controverses en activité passionnelle, — et qui se qualifiaient de purs, ou pneumatiques, étaient une démocratie rebelle à la conception de l’Empire.

Or, par Éphèse, l’Asie Mineure trafiquait avec l’Europe de marchandises et de sentiments ; les corporations y entretenaient un esprit contraire à la domination intronisée à Constantinople ; les églises mères de Phrygie et d’Asie, enfin, correspondaient avec les Chrétiens de Lyon et de Vienne. Quant aux Galates, ils étaient la Gaule même. Saint Jérôme constatera que les Galates d’Asie Mineure — la Galacie, île celtique, — parlaient à peu près la même langue que les Trévères.

Des groupes celtiques, des groupes aryens, parfaitement déterminés, s’échelonnaient donc, presque sans discontinuité, — Hindous, Perses, Phryges, Galates, Scythes, Sarmates, Boïens, Helvètes, Gaulois, Gaëls de la Grande-Bretagne, Irlandais, — du Gange à l’extrême occident de l’Europe. Si les Perses sont guerriers, dit Ammien Marcellin, c’est que le sang scythe originairement a coulé dans leurs veines. Le costume des Gaulois était scythe par la brâca. La parenté ethnique des Sarmates et des Perses, ou Iraniens, semble indiquer le trait d’union. La Sarmatie fut divisée en Sarmatie européenne, entre la Vistule et le Tanaïs, et Sarmatie asiatique, du Tanaïs à la mer Caspienne. On divisait encore les Sarmates, en Sarmates Iazyges, indépendants, et en Sarmates royaux, gouvernés. Les Goths les ayant traités en ennemis, jusqu’à l’asservissement, dès le IIIe siècle, nous verrons les Sarmates aider les Huns à renverser l’Empire gothique.

Cette hostilité violente des Goths contre les Sarmates, en Scythie, incident historique qui eut une influence décisive sur les destinées de l’Europe, fut une des raisons qui amenèrent à considérer les Goths comme anaryens, alors que les Goths et les Sarmates ne furent d’abord que des frères ennemis, des adversaires de même race. Une superficielle observation conduisit à une erreur de même nature relativement aux Goths : L’adoption du dieu Odin par le peuple gothique suffit pour leur faire attribuer une origine scandinave ? Et l’emploi qu’ils firent de vocables scandinaves, saxons, — Visigoths, Ostrogoths, Wessex, Sussex, Essex, — parut justifier leur expulsion de la race celte. La facile conversion des Goths au Christianisme montre cependant le lien étroit qui attachait ce groupe, scythique au fond — au moins en son aristocratie gouvernementale, — à la famille européenne.

La famille indo-européenne a pu s’appeler famille scythique, la langue originale, identique, étant le sanscrit. Éphore plaçait les Scythes entre les Celtes, qui s’étendent au nord, jusqu’au couchant d’été, et les Indiens, qui s’avancent au nord, jusqu’au levant d’été, couvrant toutes les régions septentrionales. Les Scythes d’Éphore, devenus historiquement les Goths, étaient plus Celtes que les Alamans destructeurs de la Germanie celtique ; ils ne furent pas plus rebelles au Christianisme que ne l’avaient été, dès le Ier siècle, les Slovènes d’Aquilée, que la tradition faisait convertir par saint Marc, et les Dalmates évangélisés par saint Luc, Sirmium ayant eu pour évêque Andronic, l’un des soixante-dix Disciples de Jésus. Le monde aryen, prêt à recevoir l’Évangile, peuplait maintenant presque toute la largeur de l’Europe.

La fondation de Constantinople et le schisme d’Arius allaient bientôt diviser les Hindous, les Perses, les Scythes et les Celtes, et retarder, pour des siècles et des siècles, l’union de race, l’union européenne que, politiquement, les Alamans avaient compromise de leur côté, en occupant la Germanie.

La Rome chrétienne, qui aurait pu, appuyée des Barbares aryens, et au nom de la religion nouvelle, renouer le lien ethnique européen, rompu par l’invasion des Finnois ou Scandinaves et le transfert du gouvernement de l’Empereur à Byzance, s’obstina dans l’œuvre contraire, qu’elle avait entreprise, de domination absolue inspirée par la Bible hébraïque, sanctionnée d’une administration hiérarchique impériale : la scission des Aryens de l’est et des Aryens de l’ouest s’en accentua. Il sera bientôt déclaré que quiconque est hors de l’Église est hors de l’État. Le Christianisme étant désormais un instrument de règne, il fallait que le pape fût empereur ; et comme Constantin, loin de Rome, ne pouvait succéder à Pierre, l’antagonisme des deux Puissances — le Pape et l’Empereur — inaugura la longue guerre religieuse où l’aryanisme devait succomber. Le dieu aryen, dieu du ciel et de la lumière, bon, Père, Diéus Pater, distributeur, Providence, prit l’attitude d’une divinité de combat, la divinité biblique, et les Barbares furent ainsi la milice du Dieu des armées.

Délivrées de l’exploitation romaine, les populations du continent européen subissaient l’invasion désordonnée des Alamans, brutale, mal définie, incompréhensible. Ammien Marcellin, dans son récit des premiers succès de julien en Gaule (356), nomme les envahisseurs, Alamans, Germains et Francs, à la fois, dans la même phrase. Le mot Barbare, qui s’appliquait jadis à tout homme ne parlant ni le grec ni le latin, s’était réparti en désignations confuses ; un sentiment général de mépris et de crainte ne permettait pas de rechercher, parmi les peuples nouveaux, un groupe sympathique ; encore moins distinguait-on, dans l’ensemble du mouvement, une idée commune agréable.

Et voici, par surcroît, que la façon dont les Barbares connurent le Christianisme fit d’eux — pourtant Aryens en majorité — des guerriers imbus de l’esprit asiatique, armés pour le triomphe d’Israël et non de Jésus, excités par la lecture du Vieux Testament, ignorant les Évangiles et le vrai Christ. Un Jéhovah malfaisant prenait, dans leur mythologie, la place d’Odin, simplement. Cela, au même moment, d’ailleurs, où l’on représentait, à Rome, l’Apôtre Pierre sous les traits de Moïse. Chez les Francs, qui croyaient à l’au-delà et comptaient sur les joies de l’autre vie, promesse consolatrice de la mort terrible, croyance qui adoucissait les douloureuses séparations, — car le survivant mettait dans la main rigide du mort la moitié d’une pièce de monnaie coupée, conservant l’autre moitié pour aider à la reconnaissance future, — chez les Francs, on ne devait rien comprendre à cette Bible désespérante terminant tout à la cessation de la dure existence des humains.

Et l’Église, appelant les Barbares, dans tous les cas désirant les voir venir, les considérant comme son peuple, — en imitation du peuple d’Israël, — comptant sur eux comme sur son armée, acceptait cette contradiction, d’une religion de mansuétude et d’amour s’appuyant des exploits d’une horde capable de tous les excès, de toutes les haines. L’Église ne repoussait pas la responsabilité des déchaînements d’une guerre atroce, d’une exaltation du courage militaire — seule vertu ouvrant aux mortels le Walhalla scandinave ! — prêchée par des sacerdotes obligés, cependant, de redire et de commenter la redoutable parole de Jésus : Qui se servira de l’épée périra par l’épée.

Les Celtes apporteront, avec leur bravoure, le fond de superstition naïve qui les caractérise, et l’Église du Christ se verra contrainte d’adopter, pour complaire à ses défenseurs, des pratiques sacrilèges. Les Finnois dépasseront en cruautés les Israélites victorieux, dont ils auront lu les saintes abominations dans la Bible... Mais l’Église est maintenant une puissance ; elle est un gouvernement, et comme tel, il ne lui est plus permis de négliger l’appoint d’aucune énergie, d’en discuter la valeur, d’en éviter le marché, d’en éluder les conséquences. Elle pouvait seulement, avec un art subtil, approprier à ses œuvres les usages, les mœurs et les exigences des peuples appelés à servir ses ambitions. C’est pourquoi, dans les forêts de pierre des cathédrales, des orgues rediront les majestueuses harmonies des bois sacrés, tandis que — la poésie biblique inspirant désormais les sacerdotes — les âpres prophéties d’Israël, rééditées, feront oublier les vellédas.