Lettre inédite de Bonaparte. — J'intrigue pour son compte auprès des directeurs. — Je lui gagne Rewbell et La Révellière, — Barras résiste par instinct. — Joséphine royaliste. — Ce que lui dit là-dessus madame de Staël. — Détails sur Joséphine. — Ce que Bonaparte pense de madame de Staël. — Conversation diplomatique avec celle-ci. — M. de Talleyrand approuve ma conduite envers elle. — Arrestation de Charrette. — Détails curieux sur ce fait.Ainsi que je l'ai dit au chapitre précédent, j'écrivis à Bonaparte relativement aux plaintes de Carnot ; je lui représentai ce directeur furieux de son indépendance, et lui reprochant de loin de ne pas tenir ce qu'il lui avait promis. Je ne m'amusai pas à lui donner des conseils, me contentant de l'engager a ménager un peu un personnage qui pouvait, sinon lui nuire complètement, du moins le contrecarrer dans ses opérations. Bonaparte écrivait rarement la réponse pourtant cette fois ne se fit pas attendre ; elle disait Ainsi, mon ami, lorsque je fais la guerre dans l'Italie, il faut que je livre encore bataille à Paris. Je ne saurais être en deux endroits à la fois, n'ayant pas l'honneur d'être dieu, quoique je travaille de mon mieux à décider un jour mon apothéose. Carnot se plaint : tant pis pour lui. S'imagine-t-il que les mouvements du terrain, que la disposition des lieux, que la marche des armées, que les agitations des peuples, et les mille cas fortuits qui se reproduisent tous les jours, peuvent être devinés, prévus, accommodés à trois cents lieues, en face d'une carte topographique, et un compas à la main ? Le croire serait une sotte erreur. On ne peut bien faire la guerre si on n'a pas toute autorité ; le général qui accepte un plan de campagne tracé à l'avance, et qui l'exécute au pied de la lettre, se fera toujours battre nécessairement. Quant à moi, je renoncerais à toute gloire militaire, plutôt que de me laisser guider par qui que ce soit. Il me semble avoir assez bien conduit l'affaire jusque là pour mériter la confiance du directoire ; il me la faut tout entière et, si je n'ai carte blanche, je ne ferai rien de bon. Carnot, je le vois, tient à prolonger son règne. Il veut passer pour le premier tacticien de l'Europe, et faire pour la guerre ce que Buffon a fait pour l'histoire naturelle, la dicter sans être sorti de son cabinet. Il me reproche de ne pas tenir mes promesses. Prend-il au pied de la lettre les politesses qu'on ne refuse à personne ? Je lui ai demandé ses conseils en partant ; je lui ai fait les compliments d'usage ? Cela constitue-t-il son droit ? II est bien léger. Je ne veux relever de personne : j'entends être moi, et non autrui ; faire la guerre pour mon avantage, et non pour celui d'un directeur. J’ai l'orgueil que je peux me suffire, et je me suffirai. Rapportez ce que je vous mande à qui vous voudrez ; ne dites rien à Carnot : l'amour-propre bouche les oreilles en même temps qu'il pose un bandeau sur les yeux ; mais faites auprès des autres directeurs les démarches que votre amitié vous suggérera. Comptez sur la mienne. Adieu. Signé BUONAPARTE. Je me conformai à son désir : ce fut Rewbell et La Révellière que j'attaquai les premiers. Ces bonnes gens, peu tacticiens, et jaloux beaucoup plus de leur collègue que du général en chef de l'armée d'Italie, tombèrent d'accord avec moi qu'il était convenable de remettre ta conduite exclusive de la guerre à celui qui s'en démêlait si bien. Ils s'engagèrent à parler dans ce sens au conseil. Barras fut moins facile à manier. Un instinct secret, quelque chose dont il ne se rendait pas compte, le portait à redouter ce jeune héros ; il voyait en lui un rival dans un avenir très-prochain. Cependant un autre sentiment plus impétueux l'excitait à cette heure, la haine de Carnot, de cet homme qu'il ne pouvait souffrir à cause de sa vertu stoïque, de son désintéressement, de ses mœurs sévères, et de cette haute réputation de probité dont il jouissait aux yeux de tous. Carnot, profitant de ces avantages, en mésusait parfois, se donnant une importance et des airs qui déplaisaient à Barras : aussi leur animosité réciproque alla toujours croissant jusqu'au jour du 18 fructidor, où- Carnot tomba, victime de la malice de son ennemi. Barras donc, préférant contrarier son adversaire présent à son adversaire à venir, s'engagea aussi à soutenir Bonaparte contre les attaques de Carnot ; d'ailleurs il ne pouvait dans ce moment rien refuser à Joséphine, qui prenait sur lui d'autant plus d'ascendant qu'elle grandissait dans l'opinion publique en raison des victoires de son mari. Cette dame, à cette époque, femme d'un général de la république, affichait des opinions royalistes poussées à l'excès. C'était une chose plaisante que de la voir comploter à sa manière pour parvenir au renversement d'un pouvoir. que son mari soutenait par de grandes actions et dont son ami était l'un des dépositaires. Il est certain que l'on faisait 4e la contre-révolution dans le salon de madame Bonaparte ; chacun s'en apercevait. Madame de Staël lui dit un jour à ce sujet : Est-ce que vous vous êtes divisé les rôles avec votre fier époux ? lui, républicain, vous, aristocrate ; lui, conquêtant pour le directoire, et vous, recrutant pour le roi ? — Ah ! madame, répondit Joséphine, je serais trop heureuse si je voyais jamais Louis XVIII sur le trône de ses pères. Joséphine certes alors ne s'imaginait pas que, avant que son désir fût accompli, elle, d'abord, prendrait place sur ce trône glorieux, et que ce serait personnellement à elle que la rentrée du roi de France serait douloureuse. Bizarres jeux de la destinée et au-dessus de la prévision humaine ! Mes querelles à cette époque avec madame Bonaparte provenaient de notre division d'opinions. Je ne croyais pas les Bourbons nécessaires à notre bonheur, je nie contentais de la république, et elle, qui en profitait tant, ne pouvait la supporter. Nous avions là-dessus des prises continuelles ; elle m'appelait jacobin, je l'appelais fanatique, et nous nous grondions à belle colère. Cependant elle reconnaissait la sincérité de mon attachement pour son seigneur et maitre ; ceci la touchait quelque peu ; d'ailleurs j'avais assez bonne mine, je me mettais bien, je comptais dans le monde, et ces avantages extérieurs étaient tout à ses yeux. Son excessive frivolité, en ce temps surtout, lui faisait attacher plus de prix à ce qui frappait les yeux qu'à autre chose. La fortune commençait à lui sourire, et, dès qu'elle cessa d'être malheureuse, Joséphine se mit à faire des dettes. Il lui semblait plus simple de prendre à crédit que de payer ; l'argent pourtant ne demeurait pas dans sa bourse, il en sortait de vingt façons, mais toutes inutiles, et sans que ce fût pour payer ce qui avait été acheté précédemment ; elle donnait des à-comptes, et aussitôt reprenait des marchandises pour une plus forte somme. Ainsi elle alla jusqu'à son dernier moment. J'ai dit au chapitre précédent que madame de Staël avait cherché à me convaincre de son admiration pour le héros de l'époque, et que, persuadé de lui plaire en le communiquant celui-ci, j'en avais fait l'objet du paragraphe particulier d'une de mes lettres. Bonaparte, je ne sais pourquoi, n'y fit pas d'abord grande attention ; il laissa passer quelque temps sans me répondre à ce sujet. Je revins à la charge, et alors il me dit dans la première missive que je reçus de lui : Vous êtes un enfant lorsque vous insistez pour savoir ce que je pense de l'opinion de madame de Staël à mon égard ; je me méfie toujours de l'enthousiasme des femmes qui font de l'admiration hors de leur ménage, et qui intriguent du matin au soir. Tout ce que j’apprends de celle-là me la fait voir comme une coureuse de salons, qui va, vient, cherche partout à s'accrocher, veut être quelque chose ; et attendu que ses jupes l'empêchent d'administrer directement, elle tâche de prendre l'autorité par ruse. On lui donne de l'esprit, qui n'en a pas en France ? Je crois qu'elle manque de jugement et de raison, elle endoctrine, elle parle, elle prêche ; c'est trop pour moi, qui veux que son sexe cause ou fasse des enfants. Je lui suis pourtant obligé de la bonne opinion qu'elle manifeste en ma faveur. Remerciez-la, mais très en l'air, de façon à ce qu'elle ne puisse en profiter pour faire de moi une de ces marionnettes qu'elle met en mouvement dans sou intérêt personnel. Je tiens à n'être brouillé avec personne, surtout avec Talleyrand, qu'on dit être à ses genoux, lui et nombre d'autres. Cela ne me surprend pas, les Français sont les plus faciles à se laisser éblouir par de belles paroles. Enfin celles qui ressemblent à madame de Staël sont dangereuses dans un état, soit qu'elles le gouvernent, soit pis encore, si elles ne le gouvernent pas. Je trouvai de la sévérité dans le jugement du général, et me contentai de faire ses compliments à l'ambassadrice de Suède. Il vous a donc écrit quelque chose de moi ? me dit-elle, je serais curieuse de connaître les expressions dont il s'est servi. — Je suis au désespoir, répliquai-je, madame, de ne pouvoir vous complaire en ceci ; mais les lettres du général sont sacrées, et il m'a fait jurer de ne les montrer à qui que ce soit. — Voilà une prudence ridicule. Il se pourrait que vous eussiez &soin de consulter sur leur contenu des gens capables de vous donner un bon avis ; et s'ils ne voient point par leurs yeux :— Tenez, monsieur, si vous vouliez vous concerter avec moi, nous ferions un grand bien à la chose publique. Vous avez l'amitié de Bonaparte, j'ai la confiance des premiers de l'état, et au moyen d'une franchise entière et réciproque tout irait pour le mieux, je vous assure. Je vis avec effroi la proposition de la fille de M. Necker. Je savais le danger d'une liaison intime avec elle, et comment sa légèreté compromettait tour à tour ses amis. Je savais aussi combien de circonspection il convenait de garder pour éviter d'être mêlé à des intrigues désagréables. Moi particulièrement, moi si étroitement lié avec Bonaparte, j'eusse commis une imprudence majeure en donnant tête baissée dans ce piège dangereux. Je répondis donc que je me voyais trop peu de chose pour espérer de servir la patrie avec utilité ; que je me garderais, sous aucun prétexte, d'employer le nom du général à rien de ce que le général m'aurait prescrit lui-même ; que, dans ma position, une grande réserve m'étant imposée, je m'étais fait la loi impérieuse de n'en jamais sortir. Ah ! reprit madame de Staël, il vous plaît de faire montre de discrétion et de diplomatie. Cela convient peu à votre âge. Pensez-vous réussir en vous tenant toujours à l'écart ? Ces caractères boutonnés déplaisent universellement, je vous en préviens ; tandis que, avec du laisser-aller, de la franchise et de la bonhomie, on plait à tous et on profite de tout. Je me défendis du mieux possible, sans parvenir cependant à me ramener madame de Staël. Aussi, quelques jours après, Talleyrand me dit : Qu'avez-vous fait à une dame de mes amies ? Elle prétend que vous êtes un fat mystérieux. — Je la remercie du mot ; il me rend justice. Je suis fat, selon elle, parce que je ne me jette à la tête de qui que ce soit ; et mystérieux, attendu mon refus de lui livrer la correspondance des autres. J'entrai ensuite en matière, et je fis Talleyrand juge des griefs de cette dame contre moi. Vous avez agi en sage, me répondit-il elle brode cent aunes de mature sur un chiffon d'un pouce carré. Je la. sais si bien par cœur, que je ne lui confie jamais en grand secret que ce que je veux apprendre à toute la terre. Eh bien ! malgré cette précaution, je trouve, la moitié du temps, qu'elle m'a fait dire mille fois plus que je ne lui en ai avoué. Prenez garde surtout à ce qu'elle ne mette le grappin de sa parole sur les actes de Bonaparte. Si une fois elle entame celui-ci de son consentement, ce sera pour le brouiller avec le ciel, l'enfer, salis oublier les planètes et notre monde. Je ris du propos il était conforme à la vérité. Je me reculai donc de cette femme spirituelle, et je fis bien. Comme j'écris de souvenir, que je laisse à ma mémoire le soin de me guider, elle refait souvent intervertir l'ordre des temps. C'est de peu d'importance, car je ne fais pas l'histoire de cette époque ; je rassemble seulement des matériaux pour ceux qui s'en occuperont. Se trouve maintenant dans mes papiers une lettre relative à l'arrestation du Vendéen Charrette. Celui-ci, porté jusqu'aux nues par les royalistes est mis en jeu dans cette pièce au moment où il fut pris, et cela d'une façon bien différente de tout ce que son parti a débité sur son compte. Cette lettre, peu connue et oubliée complètement aujourd'hui, aura peut-être quelque intérêt, ne serait-ce que polir montrer de quelle manière différente le même homme est jugé par les opinions diverses. Angers le 7 germinal an IV (27 mars 1796). Hier, Charrette, bien escorté et accompagné des officiers qui l'ont pris est entré dans nos murs. Cinq pieds cinq pouces ; taille assez bien prise, nerveuse et leste ; le teint basané ; la barbe, les sourcils et les cheveux noirs ; les yeux moyens, mais vifs et quelquefois durs ; le nez large et court, la bouche grande, le menton carré et avancé ; voilà son portrait. L'ensemble de sa figure en général est plat ; sa manière de parler est douce, et ressemble à celle de ces petits messieurs à cadenettes et à paole supême ; mais cela est naturel chez lui, et nullement l'effet de l’affectation ce qui donnerait à penser qu'ils ont cherché à l'imiter lorsque les chouans qui avaient resté à Paris et dans toute la république ont mis cet accent en vogue avec es collets noirs. Son accoutrement n'avait rien de remarquable que sa malpropreté. Un pantalon et un gilet gris, une veste verte et dont la couleur est passée, un collet rouge bordé d'un petit galon d'or volé à une chasuble, une ceinture de coton de différentes couleurs, des brodequins, un chapeau rond, un petit crachat sur le revers de sa veste, et un petit Christ pendu à sa boutonnière, voilà son costume. La main gauche en écharpe, et la tête enveloppée de serviettes à cause de ses blessures. Un peuple immense était sur son passage, et faisait entendre les accents du patriotisme et parfois de l'indignation ; mais la persuasion où il était que ce scélérat allait bientôt recevoir le prix de ses forfaits l'a contenu. Son abord dans la salle où nous l'attendions a été celui d'un homme un peu étourdi de l'appareil qui l'environnait, sans cependant en être décontenancé. Beaucoup de courbettes et de politesses affectées. Arrivé au milieu de nous, le général Hédouville — le général fiche étant absent — lui a dit qu’il était fâcheux qu'il eût appliqué les grands talents qu'il avait déployés à résister à la volonté d'un grand peuple dont il voyait l’expression aussi fortement prononcée. Sa réponse a été qu'il sentait cette vérité, et que la connaissance qu'il avait de cette volonté générale l'avait décidé à cesser la guerre. Cette réponse prouve aussi la bassesse et la duplicité de son caractère ; car il donne à entendre qu'il n'a pas été pris, mais qu'il s'est rendu. Le général Hédouville remit devant lui à
l'adjudant-général Travot son brevet de général de brigade, accordé depuis
quelques jours, en récompense des services rendus dans la Vendée. Charrette
applaudit à cette récompense, en faisant l'éloge du zèle et de l'activité du
citoyen Travot. On servit ensuite un petit morceau à manger, à lui, à Travot,
et à Valentin — autre adjudant-général employé à sa poursuite —, et on eut
soin de ne pas laisser de couteau à sa portée. Pendant une heure que nous fûmes autour de lui, il ne lui échappa rien de remarquable ; des compliments à ceux qui l'entouraient sur leur manière d'agir avec lui, des protestations de ne rien connaitre des projets des Anglais — surtout lorsqu'on lui eut appris la capture faite dernièrement, sur la côte de port Malo, de toute la correspondance anglaise des émigrés, adressée à lui et aux autres chefs vendéens et chouans —. L'entretien particulier qu'il eut ensuite avec les généraux Hédouville et Travot n'a rien présenté, à ce que j'ai su, d'intéressant. Il n'a rien voulu dire qui pût nous servir, et a eu l’air, par ses compliments et ses protestations, de chercher à intéresser en sa faveur. On l'a conduit en prison, et le soir, sur les dix heures, on l'a embarqué pour le conduire à Nantes, où il sera jugé et exécuté. Il a semblé naturel, et même nécessaire, que le théâtre de ses triomphes et de ses forfaits fût aussi celui de son supplice. Sa prise a été celle d'un cerf aux abois. Accompagné d'une cinquantaine de ses soldats, il est chassé d'un bois, et poursuivi par une patrouille d'un de nos cantonnements. Dans sa course, il tombe sur la colonne commandée par l'adjudant-général Valentin, qui met sa bande en déroute, lui tue dix à douze hommes, entre antres son Allemand, l'exécuteur de ses massacres, et le poursuit à grande course, pendant plus de six lieues, toujours à vue. Il donne, en se sauvant, sur une autre troupe, qui le reçoit à coups de fusil, et en voulant l'éviter ; excédé de fatigue, blessé, et soutenu par deux des siens, il tombe entre les mains de Travot, à la sortie d'un petit bois. Du moment qu'il fut aperçu, les deux hommes qui le soutenaient tombent atteints d'un coup de fusil ; il se trouve renversé sur les deux cadavres. Travot, courant à lui, le saisit en le désarmant, et lui dit : Es-tu Charrette ? — Oui, répondit-il ; où est le commandant ? — C'est moi. — Es- tu Travot ? — Oui. — A la bonne heure ; c'est à toi seul que je voulais me rendre. Tout ce qui se trouvait avec lui a été tué sur la place, à l'exception de cinq ou six qui sont parvenus à se sauver dans les différents endroits où il a passé en venant. Ici, il a montré beaucoup d'assurance et de tranquillité ; il a répondu sans hésiter aux différentes questions qu'on a pu lui faire. Il ne s'est pas tué, lorsqu'il s'est vu pris, parce que, chef d'un parti, il veut soutenir son caractère jusqu'au bout. C'est ce qu'il a dit. Je ne le pense pas ; je crois qu'il craint la mort, et qu'il fait son possible pour allonger sa carrière. Il a eu l'air de faire quelques plaisanteries sur la charrette, en disant qu'elle était démontée ; mais qu'au surplus ce n'était qu'une charrette. Il a prétendu que nous devions l'estimer d'avoir su résister si longtemps à nos efforts, puisque, avec la quantité de troupes que nous avions dans la Vendée, nous n'avions que lui pour but ; tandis qu'il fallait qu'il cherchât échapper à tous. Cela est assez juste. Sur l'observation qu'il avait sacrifié et assassiné plusieurs de ses partisans, il a répondu : Que sa position était difficile ; que dans son pays il n'était qu'entouré de gens qui pouvaient le trahir, zl devait se méfier de tous, et que le moindre soupçon à ses yeux devait être une certitude ; que, n'ayant pas de loi, il faisait seul la loi, et l'exécutait ; et que, manquant de prison et de lieux propres à retenir quelqu'un, il fallait nécessairement qu'il prit beaucoup sur lui ; qu'au surplus, il avait tué les braves gens, et que les lâches lui étaient restés. Il n'avait sur lui que quelques louis, qu'on lui a laissés, et un petit portefeuille contenant quelques lettres, dont trois du roi de Vérone, dans l'une desquelles il lui annonçait qu'il l'avait nommé lieutenant-général, et lui confiait le commandement de son armée catholique et royale ; d'autres du comte d'Entraigues ; deux adresses des reçus de sommes payées, et un petit médaillon sur lequel est, lavée à l'encre de Chine, l'urne ombragée d'un saule pleureur, dans les contours de laquelle on voit les profils de Louis XVI, de sa femme, de ses enfuis. Il était armé d'une espingole et d'un pistolet. La prise de ce chef doit terminer la guerre de la Vendée, à cela près de quelques bandes de déserteurs, d'émigrés, et de chefs, qui tous sentent le supplice qui les attend. Il n'y a plus dans ce pays que des gens soumis. Le ci-devant pays de Stofflet, et de Sapineau, est le territoire où il y a le plus des premiers, et où il peut encore se faire de petits rassemblements qu'on viendra facilement à bout de dissiper et d'empêcher, en mettant autant d'activité qu'on en a mis à poursuivre Charrette, dans le pays duquel des patrouilles de vingt hommes circulaient continuellement sans danger. Les chouans ne gagneront pas à la perle de Charrette ; ils vont devenir l'objet de l'attention particulière du général Hoche, et gare à eux. La saisie faite, il y a quelques jours, sur la côte, près de port Malo, de a toute la correspondance des plans, brevets, cartes, décorations, adressées à Charrette, Stofflet, Sapineau, et autres chefs des brie Bands et chouans, et apportés d'Angleterre par un des principaux d'entre eux, nommé BOURMONT, qui venait de débarquer avec quelques hommes, qui a eu l'adresse de se sauver, en abandonnant le tout ; cette saisie, dis-je, nous mettra sans doute au fait de leurs projets, de ceux des émigrés, et de l'Angleterre ; elle nous facilitera peut-être les moyens de les anéantir. Rien, au reste, n'est et ne sera épargné pour en venir à bout. S*** officier de l'état-major de l'armée des côtes de l'Ouest. FIN DU TOME PREMIER |