Situation de la France. — Les armées. — Pichegru. — Propos de Louis XVIII. — Les assignats. — Bouleversement de l'intérieur. — Ce qu'il fallait pour sauver la patrie. — Ma conversation avec Bonaparte la veille de son départ. — Sur sa femme. — Sur les journalistes. — Sur ses amis. — Sur la manière d'agir envers des ennemis. — Je vais voir Barras. — Lettre entièrement inédite, que lui adresse un compagnon du comte d'Artois, sur l'expédition de l'Île-Dieu. — Détails intéressants.Le directoire avait fait beaucoup pour Bonaparte, il fallait que Bonaparte à son tour se rendit utile au directoire. La circonstance était grave, on ne pouvait en sortir que par des moyens extraordinaires, ou par un coup d'éclat qui rendit respectable au dedans comme au dehors le nouveau gouvernement ; une série de revers pesait sur celui-ci. La victoire, infidèle à nos drapeaux, repassait du côté de nos adversaires. Les Autrichiens reprennent l'offensive. Le général Clairfayt, après avoir passé le Rhin auprès de Mayence, malgré la résistance que les nôtres lui opposent, force nos lignes, nous bat à Membach, nous prend cent canons, et nous prive de trois mille hommes. Du côté de Manheim nous ne sommes pas plus heureux ; le général autrichien Wurmser, que nous avons attaqué, nous repousse avec une fureur dont les conséquences nous sont funestes. Manheim ne tarda pas à tomber au pouvoir des ennemis, et huit mille Français sont faits prisonniers de guerre. Ce succès est dû à la trahison de Pichegru, gagné à la cause royale par le libraire Fauche Borrel, de Neufchâtel en Suisse, agent du prince de Condé. Pichegru a confié la défense de Manheim au général Montégut, que lui-même qualifie d'officier sans talent. Il lui a donné, dit-il encore, ce qu'il avait de plus mauvaises troupes. Enfin il fait dire au prince de Condé de venir l'attaquer sans relâche et qu'il lui répond du succès ; propres paroles que répète de sa part son aide-de-camp Badouville au prince de Condé. L'armée française, ainsi maltraitée et lâchement trahie par ses chefs, se replie en désordre sur Strasbourg et Landau. Jamais il n'est moment plus favorable à là cause royale ; elle peut espérer de triompher ; mais l'Autriche ne le veut pas. L'Autriche ne consentira à ramener Louis XVIII dans Paris que lorsque ce prince lui aura garanti la possession de l'Alsace, de la Lorraine des delle Bourgognes, de la Franche-Comté, qui deviendront la dot de Madame, fille de Louis XVI, et qu'elle apportera à un archiduc. Louis XVIII, quoique sans ressource, errant à l'aventure, rejette intrépidement toute proposition de ce genre ; ii ne veut pas entrer en France en la morcelant et prononce ces paroles généreuses : Je préfère que la république triomphe, que de la renverser en flétrissant mon honneur. L'Autriche voit alors qu'elle nia plus à compter sur le concours des Bourbons, leur refuse le sien ; et, pour ne point aider, en poursuivant ses victoires, au mouvement dirigé par Pichegru, arrête tout-à-coupla marche de ses armées victorieuses, campe en-deçà du Rhin, et là conclut un armistice avec Pichegru et malgré lui. Il voudrait l'éviter ; mais les généraux qui le secondent ne sont pas comme lui des traîtres ; ils voient le péril, le découragement des troupes, et espèrent en remonter le moral après un peu de repos. C'est dans cette position critique au-dehors que se trouve le directoire ; il n'est pas plus heureux dans l'enceinte de la république. La masse énorme des assignats, qui s'élève à la somme de quarante-cinq milliards cinq cent quatre-vingt-un millions, amène dans Paris et dans la France une misère affreuse. Le numéraire a disparu, et nul ne veut vendre en échange d'une monnaie fictive sans aucune valeur. La fabrication des assignats coûte unième plus que les assignats ne valent. Un agiotage odieux spécule sur le besoin. On ne peut rien acheter qu'au prix de sommes énormes une paire de souliers est payée deux mille francs ; il en coûte cinq cents pur une livre de pain ; la livre de viande vaut quinze cents francs. Le peuple, mourant de faim, murmure ; les campagnes sont livrées à des voleurs, à des bandes de chauffeurs, de larrons, qui les désolent ; la guerre civile gronde dans les communes murées. Les partis sont plus que jamais en présence, mais les royalistes paraissent l'emporter ; ils poursuivent leurs 4dversaires avec une rage motivée sur les crimes précédents. Le midi est en feu, le sang y coule ; la réaction est menaçante ; on n'obéit pas à l'autorité ; les contributions sont mai payées, et les caisses du gouvernement restent vides. De toutes parts la confusion est au comble, un tel état ne peut durer encore. Deux victoires de la part des ennemis, et la république est perdue, et la restauration arrive trop tôt ; car encore rien ne consolide les avantages que tant de calamités ont néanmoins acquis à là France. Que fallait-il donc pour rehausser cette nation qui s'éteignait après les grands efforts qu'elle avait faits, lorsque quatorze armées sur pied repoussaient les ennemis et enfantaient des prodiges ? Il fallait lui redonner l'enthousiasme qu'elle avait perdu, ou le remplacer par un autre plus respectable. Arrive r de nouveau au triomphe par de la terreur ne se pouvait plus. Il fallait réveiller la France par des exploits plus brillants que ceux du passé, et surtout plus rapides ; il fallait qu'elle s'enorgueillit de la gloire de ses soldats, qui étaient ses enfants, qu'elle en tressaillit de joie. On confia le soin de cette tâche importante, non moins que difficile, au général Bonaparte, et il la remplit avec autant de promptitude que de génie. Bonaparte avait interrogé d'un regard d'aigle la situation de la patrie et ses besoins ; il s'était promis de ne point tarder à l'arracher à ce malheur, contre lequel elle luttait sans force. Il accorde à peine trois jours à la tendresse de sa femme, et part précipitamment, tandis que ses amis l’invitaient à des fêtes que l'on destinait à célébrer son mariage. J'étais venu le voir la veille de sa mise en route. Il me parut moins soucieux que de coutume ; une sorte de joie éclatait par intervalle sur sa physionomie, habituellement sérieuse. Je lui demandai s'il comptait rester encore longtemps à Paris. Je ne le crois pas, me dit-il, j'ai hâte d'aller à mon poste. Une armée sans son chef est une veuve qui peut faire des sottises, et compromettre sa réputation. Savez-vous que dès le moment de ma nomination je suis responsable de sa conduite ? — Et en bon mari vous êtes impatient de veiller sur elle ; mais il est une autre épouse que vous laissez ici. — A mon grand regret, sans doute. Il est impossible qu'elle vienne avec moi ; je ne sais comment tourneront les affaires ; elle est faible et poltronne, elle s'épouvanterait au moindre bruit de danger. — Et vous ne comptez pas rester sur la défensive ? — Qui me. le conseillerait ? mon plus cruel ennemi à peine. None de par Dieu ! je me garderai de rester les bras croisés ; j'espère que vous ne tarderez pas à entendre parler de moi. Mais lorsque j'irai combattre les Piémontais et les Autrichiens, je serai ici en butte à tous les traits de la jalousie et de la méchanceté. — Le croyez-vous ? — J'en suis certain : si je suis heureux, ou m'épargnera moins que si je succombe. Les journalistes, surtout, sont la race infâme et odieuse qui s'acharnent après les hautes réputations. — Il est possible que ceux qui sont royalistes travaillent contre vous. — Et les autres aussi ne me ménageront pas. Laissez-les faire ; ces hyènes de couleur différente s'accorderont pour me dévorer. C'est une chose bien dangereuse que la liberté de la presse ; avec elle il n'y a pas de possibilité de gouverner en paix. — Général, sans elle la tyrannie avive. — Je le sais, les extrêmes se touchent ; niais est-ce que la tyrannie doit être nécessairement faible et sans gloire ? a-t-il pas un moyen de la légitimer à force de grands exploits, en vertu d'une administration forte, généreuse, supérieure ? Ne peut-on aucunement cacher les chaires, sous le repos intérieur, l’agrandissement de l'industrie, des arts, des sciences, de toutes les supériorités possibles ; sous un amas de lauriers enfin ? Je ne sais ; mais il me semble qu'on trouverait, en cherchant bien, une manière de rendre le despotisme respectable et utile, même à une nation. J'en doute, répondis-je ; l'exemple des siècles est là. — Il faudra voir, se dit-il plus à lui-même qu’à moi ; et cela d'une voix concentrée qui exprimait beaucoup de choses par sa seule inflexion. L'intérieur de sa pensée s'y développa tout entier : cet il faudra voir comprit l'avenir de la France ; et Napoléon, malgré lui, me montra ce qu'il voulait faire de nous. Cependant il était si peu probable qu'il pût réussir, que je ne regardai son espérance, fondée sur un tel plan, que comme une chimère ? dont la réalisation était hors du pouvoir humain. Il garda un instant de silence, puis continua : Je pense que mes amis ne m'abandonneront pas, qu'ils ne consentiront point à ce que je sois livré aux bêtes.. — Soyez sans crainte sur ce cas, ils vous seront fidèles ; j'en juge par moi. — Vous êtes un de ceux en qui j’ai le plus de confiance ; je vous en donnerai la preuve, en vous priant de m'écrire ce qui me sera utile à savoir. Je vous manderai, de mon côté, les événements curieux qui se passeront en Italie. Il faudra, mon cher ami, me tout répéter ; le moindre déguisement serait une faute : je veux savoir, par vous, ce qu'on dira, fera au directoire, aux conseils, dans Paris, dans le reste de la France, chez moi enfin. — Hors ce point, je vous réponds du reste ; mais souffrez que je me taise sur les affaires de votre ménage ; vous les révéler me serait nu rôle pénible ; d'ailleurs j'ai présent le proverbe : Entre l'arbre et son écorce..... — Soit ! dit le général en m'interrompant ; je mettrai là quelqu'un qui répondra à ma fantaisie. Quant aux autres, répétez-moi tout, mon ami, je vous en aurai une obligation extrême ; vous me ferez connaître ceux qui me tourmenteront le plus. — Afin que vous leur rendiez la pareille ? — Non, en vérité ; mais pour que je puisse les gagner à ma cause. Il y a un moyen sûr de succès, dont je ne me départirai jamais, celui de commencer toujours par essayer de traiter avec mes ennemis, par chercher à les gagner si je peux, en leur prodiguant des avantages. Si cela manque, si Leur haine se perpétue, alors il convient de tomber sur eux de toute la force dont on est susceptible, et de les écraser sans leur laisser aucune ressource pour l'avenir. Je tâcherai, d'ailleurs, de les mettre dans l'impuissance de nie nuire, en ne donnant pas prise à leur venin. On se sauve de nombreuses méchancetés en se réfugiant dans la gloire ; avec elle on gagne l'estime des nations, qui a naturellement un sens droit ; et lorsqu'on possède ceux qui ont une âme sensible aux grandes choses, on va loin, n'en doutez pas. Ainsi donc, il est convenu que nous correspondrons ensemble. J'en pris de nouveau l'engagement pour ma part ; je lui prouvai de mon mieux la sincérité de mort attachement. Eh bien fi je ne pus en obtenir, en retour, la confidence qu'il partait le lendemain, tant il y avait dans cette âme le besoin de taire ses projets ; la conviction que le silence et la discrétion sont les moyens qui amènent à la réussite. Ce fut Barras, que j'allai voir, qui me dit : Notre général a quitté Paris la nuit dernière. Je parus étonné. Il a hâte, dis-je ensuite, d'arriver à son armée. — J'admire son activité, me répondit Barras ; il n'a pas demeuré une minute en repos depuis le moment de sa nomination. — C'est ainsi, répliquai-je, que l'on va à la renommée. — Par ma foi, la route, à ce prix, me semble trop pénible ; je m'arrêterais, en la suivant, dans chaque cabaret. Je ris de ce propos, et le directeur fit comme moi. Puis il me demanda si le général m'avait fait part de ses projets. Il veut combattre vite. — Il fera bien ; nous avons besoin de victoires ; c'est le seul remède convenable à la maladie de la France. Je souhaite qu'il frappe fort, et avec succès. Nous causâmes ensuite de l'état des affaires intérieures. Elles étaient dans l'état le plus déplorable qu'on pût imaginer, à pet du côté de la Vendée, où la retraite des Anglais, précédée de celle du comte d'Artois, et suivie de la prise de Stofflet, après laquelle ne tarderait pas à venir celle de Charrette procurent de ce côté quelque répit. Je tins en ma main, à cette époque, une lettre écrite de Londres à ce directeur, par une personne de marque qui avait suivi S. A. R. à l'Ile-Dieu, et qui correspondait secrètement avec Barras. Cette lettre, très-longue, renfermait plusieurs paragraphes que je m'amusai à transcrire, et que je vais rapporter ; je crois qu'ils ne sont pas sans intérêt. Je préviens que je supprimerai les détails des choses trop connues, et surtout le nom de l'écrivain, par égard pour sa famille ; il a, d'ailleurs, montré lui-même, toute sa vie, un tel royalisme !!! Je dais dire, en outre, que, lié anciennement avec le directeur, il conservait dans son épître les formes de la familiarité. Nous voici de retour, mon cher ami, de notre expédition aventurière, et que je ne qualifierai pas de glorieuse. Nous revenons avec la honte d'être demeurés en vue de la France, et de n'avoir pu y aborder. Je sais que les Anglais sont la cause de notre inaction ; mais, ventre-saint-gris, Henri IV se serait jeté à la nage, plutôt que de ne pas prendre terre, et chacun des siens aurait suivi de bon gré ou de force. Les choses ont eu lien autrement, parce que nous sommes sous une étiquette différente ; on est plus grand de rang qu'à son époque, ce qui fait qu'on s'expose moins. Déjà son petit-fils Louis XIV se plaignait de sa grandeur qui l'attachait au rivage. La raison est fort belle dans le vers de Boileau. Nous sommes arrivés à cette Île-Dieu remplis d'impatience de nous signaler, et avec des projets de conduite admirables, parce que les projets sont faciles à faire. Je ne sais quel malin démon s'attacha à ce qu'ils ne pussent être exécutés. Figurez-vous toute la Bretagne toute la Vendée en rumeur ; les chefs allant, venant de la côte à nous, se montrant avec leurs formes vulgaires pour ceux du commun, leur courage de forcenés ; leurs insistances-irrespectueuses. A les entendre, on aurait dû descendre dans la première barque venue, aborder, au hasard de rencontrer les bleus, faire la guerre en partisans, courir toutes les chances de la mauvaise fortune, de la déroute, d'une trahison. Nous les laissions dire. Mais qui diable, parmi nous, avait envie de chouanner ? Nous en parlions pourtant beaucoup, rien ne nous paraissait plus vénérable que la chouannerie. Mais, mon Dieu, les plaisantes tournures ! que de bandits d'opéra ont passé sous nos yeux ! Puisaye, Charrette Vauban, à la bonne heure, ceux-là sont gens avec lesquels, à toute force, on peut dîner ; mais Stofflet, Mercier et les autres, il fallait se rappeler l'éminence de leurs services pour condescendre à les traiter familièrement. Au reste, les pauvres gens ne le demandaient point ; leur enthousiasme était comique on était des dieux à leurs regards. Savez-vous, mon cher, que les hommes sont de plaisantes bêtes ? Comme on leur fait accroire qu'on a quelque valeur ! avec quelle prestesse ils consentent à ce qu'on les trompe ! Ils vont à la mort joyeusement, en récompense d'un mot bienveillant. Il est étrange la facilité qu'ils ont à mourir pour le compte des autres. Se doute que vous parveniez jamais à en faire de francs républicains. Le Français surtout demeurera longtemps avant de se convaincre de sa propre importance ; il lui semble ne valoir quelque chose que par le prix que les autres y attachent ; et lorsqu'un prince consent à les apprécier, alors ils font des merveilles. Nous avons fait d'excellents dîners à l’Île-Dieu, et tenu force conseils. Les Anglais ne nous ont pas laissé manquer de vivres, aimant mieux nous voir autour d'une table, soit servie, soit couverte d'un tapis vert, que sur un champ de bataille. Nos digestions, nos délibérations leur convenaient beaucoup. Il ne leur plaisait pas du tout que la Vendée dévorât la république. Monseigneur, dont la valeur brillante n'a point de terme de comparaison, demandait lx bien souvent à quelle époque on serait à terre. Aussitôt s'élevait un cri général ; chacun frémissait des conséquences de l'héroïsme de S. A. R. ; on la suppliait de modérer son ardeur bouillante ; son impétuosité faisait peur même en paroles. Nous ne voulions que monseigneur s'exposât que lorsque la France entière lui serait soumise. Il y avait ce fat de Vauban, cet avantageux Charrette, qui faisaient contraste avec nous. Figurez-vous leur mine froide, soit lorsque le premier venait nous voir, soit lorsque le second recevait nos réponse dilatoires à ses instances précises de hâter le débarquement. Ces personnages nous étaient insupportables autant que MM. de Puisaye et de Scépeaux. Le d'Autichamp nous embarrassait bien quelquefois aussi avec sa valeur brutale ; mais celui-là est si amoureux de ses maîtres qu'on lui ferait entendre raison plus facilement. Quant à Georges Cadoudal, on lui aurait fait baptiser des pierres. Il ne voyait que par nos yeux, bien que souvent il me demandât, avec une naïveté charmante : Mais pourquoi monseigneur ne descendrait-il pas au moins pendant une quinzaine de jours, pour voir par lui-même l'état des choses ? Il se battrait, et il y prendrait goût. Je ne pouvais dire crûment à ce cher homme que monseigneur resterait à bord, parce que autrement il nous faudrait descendre avec lui, et que nul des nôtres ne se souciait trop de se faire soldat dans la Vendée. Georges n'aurait pas compris ce que les convenances imposaient de retenue à notre valeur. Alors je rejetais tout sur les Anglais ; ils ont bon dos on peut les charger outre mesure. Par le fait, ils ne voulaient pas que nous allassions combattre ; mais on aurait pu y aller facilement sans eux. Ce pauvre baron de Roll ! j'ai vu le moment où la tête lui tournerait ; c'est l'homme du monde qu'une résolution épouvante le plus ; il ne respire que dans le précaire, sa vie est un en attendant perpétuel. Qu'il a paru embarrassé quand on lui demandait une réponse positive ! c'était le prendre à la gorge, l'étouffer ; il en expirait cent fois dans, une journée. Aussi combien il a respiré facilement dès que nous avons tourné la proue vers les côtes de l'Angleterre ! Je ne lui a jamais vu plus d'enthousiasme chevaleresque que le jour de notre débarquement à Portsmouth. Nous y sommes arrivés, bien fatigués de notre expédition héroïque, qui occupera, j'espère, une place importante dans l’histoire ; et, avec l'ardent désir de nous reposer de nos grands travaux, nous sommes si fiers de cette levée de boucliers, que maintenant notre refrain perpétuel dit : A chacun son tour ; que les autres, s'ils ne sont pas contents, aillent voir les côtes de France au moyen d'une longue vue, et, au retour, ils nous en diront des nouvelles. Calmez donc vos craintes, ce ne sera pas de notre côté que viendra le péril ; le principe conservateur nous interdira toute démarche dangereuse à votre cause. Non seulement nous ne mettrons jamais le pied dans la Vendée, mais, si des affamés de gloire ou si des envieux de prendre notre place, le duc de Bourbon, par exemple, le prince de Condé, son père ; monseigneur d'Enghien, son fils, ou quelque Orléans, témoignaient la moindre velléité d'aller chouanner, une lettre de cachet, car nous en expédions encore, arrêterait cet élan. Le roi n'est pas satisfait ; lui aussi se meurt d'envie de payer de sa personne ; il y a dans ce corps cacochyme autant de valeur que de sagesse. Mais le roi n'est pas maitre de ses mouvements, et cela grâce à Dieu, car il nous faudrait le suivre ; et on est si bien où nous nous trouvons ! Adieu, mon cher Barras, ma tâche est remplie ; faites en sorte que la lettre-de-change promise ne se fasse pas trop attendre, et surtout qu'elle ne passe point par le canal de Montgaillard ; celui-ci a tant de papiers qu'il les perd souvent les uns dans les autres. |