HISTOIRE SECRÈTE DU DIRECTOIRE

TOME PREMIER

 

CHAPITRE V.

 

 

Je suis questionné par la vicomtesse de Beauharnais sur le général Bonaparte. — Beau mouvement d'Eugène. — La société d'alors. — Une soirée chez Tallien. — Madame Amelin. — Madame de Man***. — La maîtresse de la maison. — Madame de Staël. — Le baron de Staël. — Barras. —Nous causons ensemble de la journée du 13 vendémiaire, de Bonaparte, du directoire futur, et d'autres choses encore.

 

Madame de Beauharnais eut la bonté derme dire qu'il y, avait un siècle qu'elle ne m'avait vu ; or il y avait à peine huit jours. D'où sortez-vous ? ajouta-t-elle ; j'ai craint que le canon du 13 ne vous eût atteint. Que vous semble du général jacobin qui a commandé le mouvement ?Mon Dieu, répondis-je, est-il plus jacobin qu'un autre ? ne commandait-il pas sous Barras ?Oh ! grâce pour celui-ci, je vous prie, on lui en veut beaucoup, et cependant pouvait-il faire autrement qu'il a fait ? Les sectionnaires l'avaient mis hors la loi, il a pris sa revanche ; et le général Bonaparte a commencé sa fortune il ira loin. Quel homme est-ce ?Ne l'avez-vous pas vu encore ?Non. Je fis son portrait ; Joséphine m'écouta avec une curiosité singulière ; puis prenant la parole avec une lenteur qui me fit croire qu'elle pesait ses mots : Savez-vous qu'en vertu du décret de la convention nationale qui ordonne le désarmement des citoyens, on nous a pris l’épée du malheureux Alexandre ? mon fils en est désespéré. — Les scélérats ! s'écria Eugène de Beauharnais, ils m'ont ravi le plus précieux souvenir de mon père ! Et le noble adolescent versa des larmes ! Hortense, qui jouait à l'écart, vint à lui, et l'embrassant : Ne pleure pas, mon frère, tu me ferais pleurer aussi. — L'épée de mon père, répéta Eugène, que j'aurais été si glorieux de porter lorsque le temps sera venu pour moi de combattre pour la patrie !

Il y avait quelque chose d'enchanteur dans l'explosion de ce jeune courage, dans cette sensibilité précoce et si convenable. Joséphine regardait son fils avec admiration, sans cesser pour cela de travailler à son chapeau : elle était ensemble mère et coquette ; son caractère savait concilier tous les extrêmes. Je dis à Eugène :

Mon ami, à ta place, j'irais trouver le général Bonaparte, qui est chargé du commandement provisoire de Paris, et je le prierais de te rendre cette épée à laquelle, et avec raison I tu attaches tant de prix. — Vous lui donnez là un conseil singulier ; me dit Joséphine ; ce monsieur aura grand égard à la prière d'un enfant ! — Si cet enfant était accompagné de sa mère, repris-je, il serait encore plus sûr de réussir dans sa pétition. — Vous me donnez envie de le connaître, repartit la vicomtesse de Beauharnais. Hélas ! il en sera de celui-là comme des autres ; nos républicains ne sont pas très-galants, en général. — Ne lui demandez pas les belles manières de nos merveilleux d'autrefois. — J'entends, c'est un rustre, — Point ; il n'imite personne : il n'est pas heureux, l'infortune le gène ; vous savez combien elle nous enlève de grâce et d'aisance. — A qui le dites-vous ? il y a des instants où je me sens à tel point humiliée par ma vie présente, que je ne sais plus parler, ni me tenir, ni marcher. — Je ne m'en aperçois pas, répondis-je. — Tant mieux, mais je le sais, et cela suffit. Viendrez-vous ce soir chez madame Tallien ? — Je ne sais ; j'aimerais mieux vous suivre ailleurs. — Vous avez tort, c'est une femme charmantes bien élevée ; la bonne éducation est aujourd'hui si rare ! on la calomnie, parce qu'on ne la connaît pas. — On ne prête pourtant qu'aux riches... — Oh ! en fait de médisance on prête à tout le inonde ; j'en sais quelque chose, moi, qui ne possède plus rien. Venez, il y aura tout Paris ; des députés des membres des comités, des généraux, des aides-de-camp, des fournisseurs...

La vicomtesse de Beauharnais m'entraîna, et il fut convenu que je serais son chevalier. Je vins la rejoindre de bonne heure nous arrivâmes chez Tallien presque des premiers ; il y avait pourtant ce qu'alors on appelait bonne compagnie. Dieu ait pitié de nous ! elle était bien mauvaise ; quelle cohue ! quel ton ! quelles gens !... Des femmes sorties de je ne sais où, et des hommes dont on savait trop d'où ils venaient ; de vraies marchandes ouvrières endimanchées, des dames de la halle, des soubrettes passées de l'antichambre au salon, des vivandières, des créatures cent fois pis, mais qu'il fallait supporter, parce qu'elles étaient parées comme des châsses, et que leurs maris gagnaient gros : je dis leurs maris bien au pluriel, sans crainte d'amphibologie ; car, grâce à la loi du divorce, il n'était pas une de ces madames si superbement mises qui n'eût an moins deux ou trois fois tranché le nœud gordien du mariage.

L'éducation, les mœurs, les manières, étaient en parfaite harmonie ; la société pouvait être quelquefois comparée à un mauvais lieu privilégié on ne savait avec qui on était, mais bien qu'on pouvait tout entreprendre, sauf à s'en repentir après. On trafiquait de l'amour comme de toute autre denrée ayant cours sur la place ; on se prenait à bail, à loyer, et même à terme ; on se quittait pour se reprendre plus tard ; et sur ce point la facilité était si complète, qu'on regardait en vraies dupes ceux qui consentaient à contracter ces mariages dont certes on n'avait pas besoin. La nécessité de se dérober à une mort presque certaine, celle d'éviter les embûches d'ennemis perfides ou les menaces plus franches, la défiance, le soupçon, avaient amené la mode de prendre un faux nom et de cacher le sien. A la faveur de cet usage, la société offrait une confusion de noms et de personnes dans laquelle on ne se reconnaissait plus les gens de qualité, à l'abri de l'incognito, se croyaient tout permis ; les gens de rien, au contraire, relevaient leur naissance et flétrissaient la noblesse, à laquelle ils se vantaient d'appartenir : on ne pouvait plus suivre les rameaux de diverses familles, au milieu de ce déplacement de toutes les existences ; les terres vendues en quelques années dix ou douze fois, et dont chaque propriétaire successif s'arrogeait le titre, ajoutaient encore à cet épouvantable chaos ; les ducs et les marquis, les barons et les comtes, devenaient des êtres obscurs, et la canaille parvenue se targuait des plus beaux noms de France.

Je m'amusais quelquefois à évoquer par la pensée Épiménide historiographe ou héraldique dans ce monde renversé ; mais que l'application de la science du blason eût coûté cher ! On se taisait, et d'ailleurs il était petit le nombre de ceux qui en savaient là-dessus plus que les autres, Les émigrés, aux derniers jours de la convention, n'abondaient pas encore dans Paris, ni même dans la France.

On doit croire que la société rassemblée chez Tallien participait de ce caractère général à la société d'alors. Je vis pour la première fois une madame Amelin, que l'an d'après les journaux, la Gazette de France par exemple, accusèrent de ne pas porter de chemise, sous prétexte que cette partie nécessaire du vêtement gênait, par les plis, la pureté des formes du corps, que la simple robe de mousseline devait dessiner dans tous ses contours. Femme du fournisseur, dont les mêmes feuilles périodiques ne disaient pas de bien ; mignonne et piquante, sinon jolie, elle faisait beaucoup parler d’elle, car sa dépense était énorme et son étourderie caractérisée. il y avait auprès d'elle une femme de qualité, dont le nom m'échappe, et que plus tard je retrouverai peut-être ; celle-ci avait eu le courage de représenter les vices de l'ancien régime auprès des monstres à face humaine de la convention nationale. Elle prit part aux orgies des jacobins, leur tenant tête à table et ailleurs, s'enivrant avec eux, chantant leurs chansons sanguinaires, et ne frémissant pas lorsqu'elle les accompagnait à l'horrible récréation qu'ils allaient chercher sur la place de la Révolution. Elle était belle, très-belle, si la beauté existe sans aucune vertu. Je la contemplai, lorsque, devant moi et à demi nue, elle caquetait avec Vadier, vieillard encore amoureux, Anacréon régicide.

La maîtresse de la maison tenait aussi le premier rang parmi celles que la voix publique accusait à tort ou à raison ses imprudences, la légèreté de sa conduite, justifiaient en partie les reproches qu'on lui adressait. Il y en avait qui la rendaient responsable du meurtre de leurs parents ; d’autres qui, au contraire, reconnaissaient lui devoir la vie. Mariée et déjà divorcée au moins une fois, elle avait partagé, à Bordeaux, les honneurs du proconsulat de Tallien, alors son amant. Plus tard, arrachée à l'amour du conventionnel par la haine de certains de ses féroces collègues, elle fut incarcérée ; et il parait prouvé que le désir de l'arracher à une mort certaine devint la cause principale qui poussa Tallien à faire le neuf thermidor. Maintenant, femme légalisée de ce représentant, elle jouissait d'une assez brillante existence, en attendant qu'elle divorçât de nouveau, afin de se remarier encore. Au demeurant, c'était la beauté, la grâce en personne, qui ne le cédait qu'il ta citoyenne Récamier.

La baronne de Staël était encore l'une des convives de Tallien, ainsi que son mari, le premier de tous les républicains parmi les ambassadeurs des puissances étrangères. Je ne m'arrêterai pas ici à la faire connaître de mes lecteurs ; ce sera plus tard. Qui n'a lu les ouvrages de notre Sapho métaphysicienne ? qui n'a reconnu dans sa conduite privée cette inconséquence cette mobilité fâcheuse, avec laquelle on gâte une grande réputation ? Madame de Staël était en querelle -ouverte avec toutes les autorités, et en tendre correspondance avec les conspirateurs, n'importe dans quel genre. Une ambition inquiète, un besoin de pouvoir dont elle ne se rendait pas compte, un amour délirant de célébrité, la portaient à commettre nombre de fautes, la plaçaient .dans des situations difficiles, et nuisaient à la considération qu'elle aurait si bien méritée. La haine que plus tard elle porta à Napoléon, et les torts de ce grand homme à sort égard, ont fini par la rendre intéressante ; elle ne l'était point à l'époque dont je parle je dois même dire qu'elle ne se déchaîna contre le premier consul et l'empereur que parce que le général Bonaparte n'avait pas voulu d'elle ; ceci est vrai au pied de la lettre, malgré ses dénégations ; et j'ai le projet dans la suite de mon récit de lever sur ce point le voile qu'un biographe, plus parleur que véridique, a essayé de rendre plus épais. Nous sommes au temps des r6vélations, la lumière ne saurait être étouffée sous le boisseau ; les accusations de la baronne de Staël doivent autoriser les amis et les obligés de ce héros de raconter à sa décharge ce qu'ils ont appris de lui-même et de ses alentours.

Le baron de Staël, auquel on a consacré de belles notices, était néanmoins un homme très-ordinaire, que je crois voir suivre à pied dans la boue le char de notre révolution. Ambassadeur de la cour de Suède auprès de la république française, il l'avait déjà été auprès de Louis XVI ; mais les actes par lesquels il aidait de tous ses moyens au détrônement de cet excellent prince avaient décidé son souverain Gustave III à le rappeler. Dès que celui-ci eut été assassiné, le duc de Sudermanie, tuteur de son neveu, qu'il devait chasser plus tard, se hâta de nouer des relations avec une assemblée régicide, et le baron de Staël-Holstein fut l'intermédiaire choisi à cet effet ; il arriva deux mois après le meurtre du roi de France, et mit de l'empressement à fraterniser avec les bourreaux ; il eut peur cependant de ses nouveaux amis, et les quitta, emportant avec lui un traité si bien conçu, que le duc de Sudermanie n'osa en ratifier les conditions.

Après le 9 thermidor, le baron de Staël revint en France, toujours en sa qualité d'ambassadeur de Suède ; son audience de réception fut solennelle, elle eut lieu dans le sein de la convention nationale, où il obtint un fauteuil en face de celui du président. Ce- président lui donna l'accolade fraternelle ; et l'ambassadeur au nom d'un roi déclara qu'il venait rendre un hommage éclatant mir droits naturels et imprescriptibles des nations. Depuis lors il assista très-exactement aux Séances de l'assemblée ; ce qui n'empêcha pas un jour le député Legendre de déclamer tout à 'son aise contre la femme de l'ambassadeur, qu'il qualifia entre autres expressions peu galantes d'intrigante effrontée.

Le mari n'était pas le chef du ménage, c'était l'ambassadrice qui portait les culottes, et qui menait monsieur le baron à la baguette. : au demeurant, devait-on le plaindre, puisque ces manières lui convenaient ? Il était ce soir-là de fort bonne humeur, jasait politique et législation avec les membres de la convention expirante, tandis que la baronne de Staël, à l'autre extrémité de la salle, traitait en métaphysicienne les droits de l'homme, que plus d'une des belles madames qui étaient auprès d'elle aurait pu professer ex cathera.

Barras vint à moi ; il était lié avec plusieurs membres de ma famille, et il me désirait un des siens : ceci me coûtait trop pour que je le lui accordasse de bon g ré ; Barras n'était pas mon héros : je le voyais avec ses vices, avec sa médiocrité turbulente, tout occupé de trouver, au moyen du pouvoir, la satisfaction de ses fantaisies particulières. Dans quelque sphère qu'il montât, homme de second ou de troisième rang ; il n'était rien au fond, étant de ces gens qui ne savent être ni vertueux, ni vicieux en entier. Certes, à part son besoin d'argent, son goût des plaisirs, sa furie révolutionnaire, dont assurément il ne s'était pas rendu compte, il y avait en lui de bonnes qualités : il n'aimait pas le sang, il était capable de reconnaissance, et serviable par occasion ; il avait des amis auxquels il tenait, il avait aussi une sorte de générosité indépendante de sa position, une tournure distinguée, les manières d'un grand seigneur, le ton de la bonne compagnie ; ce qui ne l'empêchait, ni d'être débauché, ni de lâcher de gros mots. Il regrettait ceux de sa caste, et déplorait à part lui de demeurer l'objet de leur haine et de leur mépris : heureux lorsqu'il pouvait en gagner un ; c'était à ses yeux une conquête véritable. Il leur rendait volontiers la liberté de rentrer en France, tout en la leur faisant acheter quelquefois. Mal placé parmi les conventionnels du commun, il apporta au directoire une espèce d'étiquette, qu'il aurait bien voulu faire prendre pour de la majesté, et qui n'était au fond qu'une dignité gourmée, car ses collègues ne le secondaient pas.

Il aimait les dames bien ou mal nées, pourvu qu'elles fussent jolies ; les petits soupers, qu'il tâcha inutilement de transporter dans les habitudes nouvelles ; la causerie, voire même le commérage. Curieux, inconstant, sans aucune fixité de pensées et de principes, il jurait haine à la royauté, et, en même temps, entrait en négociations avec le roi de France. Il y a des gens qui maintenant nient ce fait ; il est incontestable. Barras avait trop de penchant pour ceux de sa caste, pour ne pas désirer ardemment de se retrouver parmi eux ; mais, d'une autre part, il connaissait son peu d'influence ; il sentait que la force lui manquerait lorsque le moment serait venu de tenter la contre-révolution ; que son exemple à se ranger sous la bannière Manche ne suffirait-pas à entraîner les partisans du drapeau tricolore, et que, par suite, le succès pourrait être incertain. Ces considérations, sages d'ailleurs, furent les vraies causes qui empêchèrent la conclusion des négociations entamées ostensiblement par Fauche Borrel, et plus en secret par d'autres, ainsi que, peut-être, je le révèlerai dans le cours de mon récit.

Barras savait que je voyais beaucoup les débris tremblants de l'ancien régime ; aussi Me demanda-t-il ce que les miens disaient de la journée du treize.

Elle les accable et les consterne, répondis-je ; vous les avez frappés à mort. — Il n'y avait plus moyen de les tolérer ; car, à voir la rapidité de leur course, on pou-Fait deviner jusqu'où ils prétendaient aller ces braves gens tâchaient de nous tous faire pendre ; nous les avons mitraillés, et avec raison. — Mais, répliquai-je, ne craignez-vous pas que la rudesse de cette représaille n'exaspère contre vous en particulier le peuple de Paris ? — Aussi, dit Barras en souriant, ai-je pris mes précautions à l'avance, en plaçant, entre lui et moi un bon émissaire qui se chargera de toute la haine de ce monde-la. Je me suis tenu à l'écart, et le général Bonaparte a parlé et agi pour moi : aussi, de quelles épithètes accompagne-t-on son nom corsé ! Je vous assure qu'il me revient de toutes parts qu'on ne songe guère à moi, et qu'on n'exècre que lui.

Barras avait raison ; plus la date de vendémiaire s'éloignait, moins il était question de lui reprocher la victoire de ce jour, lorsque les grandes actions du général Bonaparte eurent offert à la jalousie, à l'envie médiocre, à la méchanceté une victime dîne d'être immolée. Quant à moi, au moment où Barras me parlait, j'admirais la légèreté avec laquelle il dévoilait sa pensée secrète ; tel étai ! son caractère. Les plus grands efforts de ceux dont il se méfiait n'auraient pu lui arracher un mot qu'il n'eût pas voulu exposer ; et de lui-même, et en face d'un jeune 'homme, il disait son secret.

Savez-vous, répondis-je sur le même ton de gaîté, que, tout en grondant contre le général Bonaparte, on lui reconnaît des talents très-remarquables ? — Il en a en effet, et beaucoup ; il m'a étonné par ses manières aisées, son calme, sou aplomb, son sang-froid. Lorsque tout, autour de 1 était dans la confusion et le désordre, les ressources sont nées à sa voix ; a vu la victoire là oi l'on n'apercevait qu'incertitude et désordre. Il ira loin, si on le laisse faire. Vous le voyez souvent ? Oui, quelquefois ; car je perds le temps, et lui l'emploie. — Oh ! vous êtes dans l'âge où on peut en dépenser beaucoup. — Et vous, repartis-je, dans celui où l'on profite de ce que l'on a médité. Bon je troquerais avec le vôtre, et même je rendrais du retour. — Ah ! répondis-je, est-ce au moment où vous allez remplir la magistrature souveraine de la république que vous parlez ainsi ? — Dit-on, dans le monde, que je serai choisi pour occuper une des places du directoire prochain ? — On vous porte à la première.

Un sourire de satisfaction anima les traits du noble conventionnel, qui me répondit :

Dans ce cas, venez souvent me voir ; vous avez d'ores et déjà vos entrées dans le palais du Luxembourg. Sera-ce là, demandai-je, où le directoire logera ? — Oui — Pourquoi pas aux Tuileries ?

Barras, à cette question, se pencha à mon oreille :

Il y a là trop encore de la royauté. Les comités qui s'y sont assemblés n'ont pas assez profané la sainteté du lieu, et on aurait peur que les cinq directeurs ne songeassent à faire le monarque ; on nous éloigne parce qu'on nous craint déjà. — Et vous ne faites que de naître — Les républicains sont prévoyants. — Ils sont envieux, peut-être. — Vous raisonnez en homme qui a l'expérience des hommes. — C'est parce cille mon expérience s'est formée en voyant beaucoup en peu de temps. En effet, dit Barras, les sept dernières années de notre vie nous valent un siècle d'observation.

Comme il prononçait ces derniers mots, la vicomtesse de Beauharnais lui fit signe de venir à elle. Il y courut, en me disant : Les dames avant tout ! Et je le laissai partir.